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Knockout (Mai 2017)

 :: Autour du monde :: Grande Bretagne :: — Ecosse
Jeu 14 Nov 2024 - 13:25
20 mai 2017 - 17h43

Léon avait couru jusqu'à sentir ses muscles hurler. Il avait pris le sentier des falaises, celui qui vous promettait des panoramas à couper le souffle si vous étiez assez masochiste pour supporter le vent hurlant et la crainte d’être soufflé dans l’océan. Une course absurde, comme si se pousser au bord de l’épuisement pouvait effacer les démons qui le pourchassaient. Ce n’était plus du sport, c’était une mission punitive. Il imagina un instant être le personnage principal d’une série d’action ratée, le type torturé qui court sous la pluie avec une bande-son mélancolique à la Linkin Park pour montrer qu'il a des traumas, beaucoup trop de traumas. Ridicule, mais efficace.

Il n’était rentré qu’après que le ciel irlandais l’ait lessivé d’une averse furieuse, et le spectacle qu’il offrait alors était celui d’un type trempé jusqu’aux os, les cheveux dégoulinants, comme un chiot egaré et un poil pitoyable. Il croisa le regard de Maxence, assis à table, les sourcils froncés par une inquiétude évidente. C’était encore plus irritant qu’un cliffhanger mal géré dans une série Netflix.

- Tu devrais peut-être te doucher, tu vas attraper froid, lança-t-il, avec cette note de remontrance contenue qui, autrefois, aurait immédiatement déclenché la colère de Léon.

Mais Léon se contenta d’un vague signe de tête, docile, et fila sous la douche. La chaleur de l’eau brûlante lui rougit la peau, et il se frotta comme s’il pouvait gratter autre chose que la crasse. Peut-être l’angoisse elle-même. Quinze minutes plus tard, il était de retour dans la cuisine, les joues rosies par la vapeur, le corps las mais l'esprit toujours au bord de l’ébullition.  Il attrapa une éponge pour commencer la vaisselle, un automatisme étrange qu'il s'était imposé, une sorte de thérapie qui ne fonctionnait pas mais occupait les mains. Il frotta avec une précision presque chirurgicale, glissa une assiette sale sous le filet d’eau et la nettoya méthodiquement. L’assiette termina ensuite sa course sur l’égouttoir, dans un équilibre précaire au-dessus d’un biberon rose et d’un bol en forme de crabe souriant. Une jolie pièce de vaisselle à l’effigie de Sebastian de La Petite Sirène, qu’il ne pouvait pas s’empêcher de fixer avec un mélange d’amusement et d’épuisement. Ironie du sort, il était passé de se battre dans des arènes clandestines à récurer la vaisselle de la fille de Sova en plein après-midi. C’était un enchaînement bizarre, mais quelque part, peut-être logique, pour quelqu’un qui avait vu sa famille se faire massacrer et avait erré dans les rues londoniennes, oscillant entre vagabond et combattant de rue. La violence avait été son refuge, son exorcisme.

Maintenant, le seul combat se déroulait dans sa tête, et il le perdait lamentablement. La nuit, il courait pour échapper aux cauchemars, le matin pour échapper à lui-même. Mais il se faisait rattraper quand-même, quand cela n’était pas Maxence qui le poursuivait pour essayer de recoller les morceaux d'une fraternité désabusée. Mais il continuait d’essayer. C’était perfide, retors, mais sans doute sincère. Il s’insinuait dans chaque moment, réduisant Léon à ce qu’il ne voulait pourtant pas être : un frère en deuil, un garçon perdu, un frère dont l'autre manquait. C’était insupportable. Et le pire, c'était que Maxence gagnait peu à peu du terrain - ou peut-être était-ce qu'il était trop fatigué pour lutter. Léon aurait aimé hurler, mais il se contentait de faire la vaisselle, de corriger des équations de Takuma, de se morfondre sur le canapé, jouant les figurants sans but. La colocation était devenue un piège confortable, dont il s’échappait pour finir par y revenir de lui-même dans une mécanique bien huilée. Et alors, invariablement, il se mettait à faire quelque-chose pour Sovhann, qui débordait d’énergie comme une version humaine de Pikachu, bondissant partout avec une liste interminable de projets. Et, tout aussi invariablement, quelqu’un se mettait ensuite à faire quelque-chose qui lui donnait envie de fuir à nouveau.

Parce que s’attacher à ces gens, c’était admettre que Maxence avait peut-être eu raison.

C’était un poison lent. Haïr Maxence, c’était comme renier ces gens-là, ceux que son frère avait choisis de protéger. Mais les apprécier, c’était commencer à lui pardonner. Et ça, c’était trahir la mémoire de ses parents, dont il revivait la mort chaque nuit comme si une partie de lui tenait à ce que la colère ne revienne. Il se sentait coincé, comme un poisson que l’on s'amusait à sortir de l’eau et à plonger ensuite dans un liquide mortellement contaminé. Sa colère s’était éteinte, telle un feu qu’on aurait étouffé avec une couverture trop lourde. C’était étrange de ne plus la sentir le brûler. La cohabitation avait émoussé ses angles, rendu ses sentiments illisibles.

Il étouffait. Là encore, il eu désespérément envie d’hurler et de se taire, simultanément.

Alors, il éteignit calmement l’eau, et se sécha les mains avant de fouiller les placards pour dénicher quelque chose à avaler. Léon n’eut même pas eu le temps de mordre dans sa collation — un muffin sec qu’il aurait normalement dévoré sans se poser de questions — que Maxence le stoppa,  les sourcils froncés.

- Léon tu… s’inquiéta-t-il, la voix légèrement tremblante alors que sa main hésitait sur la sienne, ... t’es sûr que c’est safe ?

Léon le regarda, son muffin suspendu en l’air. Normalement, il aurait grogné, riposté avec des sarcasmes acérés.

- Je suppose que oui, marmonna-t-il aujourd'hui, enfonçant un peu plus la sensation de n’avoir plus de flamme, plus d’étincelle.

Juste ce vide oppressant qui lui laissait croire que rien ne comptait. La sensation enfla pendant le laps de temps ou Maxence inspecta scrupuleusement l’étiquette de la boîte avant de la lui rendre, un sourcil haussé, comme si ce manque de révolte le désarçonnait. Mais il ne creusa pas. Alors, Léon détourna les yeux, les lèvres serrées. Voilà, il était devenu ça : l’ombre docile, le gamin qui obéissait sagement, parce que s’offusquer était devenu une dépense énergétique trop coûteuse. Vaincu par ce nouveau combat perdu, Léon le gratifia d’un merci qu’il n’était même pas sûr d’avoir réellement articulé, avant de se retourner pour rejoindre le canapé. Et manquer percuter Jordane, qui, comme un mauvais gag cosmique,  se trouvait là depuis… il n’aurait su dire combien de temps.

Fantastique, songea-t-il.

- Salut, murmura-t-il à la place, avec une nonchalance étudiée, sans oser croiser son regard, bien trop bleu et trop perçant pour son propre bien. Sovahnn et Takuma ne sont pas là, embraya-t-il ensuite en se laissant tomber dans le canapé, comme si cette information était la seule qui avait de l’importance.

Puis, il écrasa le bouton de la télécommande et croqua sans grande conviction dans son Muffin, saveur Maxence Frère Poule. Pressé que la télévision assourdisse le vacarme de ce qu’il n’arrivait plus à assumer.

( :orage: )
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Léon Wargrave
Bambineihmer
Léon Wargrave
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Léon Wargrave
Mar 19 Nov 2024 - 0:35
Des hauts et des bas. De tas de foutus hauts et d’atroces putains de bas. Mes bras tremblent et mes cuisses flambent. Ça c’est sans compter les abdos qui rendent l’âme depuis une heure déjà. Fin fond de l’Ecosse, périphérie de Galway, une salle de sport parmi d’autres. Avec une carte métamorphosée. Les vieilles habitudes ont repris le chemin de mon quotidien comme une bourrasque laissée entrée par la porte ouverte qu’a été le manque de logement. Pas que j’ai résolu le problème, mais à dormir plus souvent chez les uns et les autres j’ai fini par craquer et passer quelques nuits dans la maison abandonnée d’Alec. Dormir, c’est un grand mot vu la gueule de mes insomnies. Mais dormir, étonnement, c’est plus simple … ici. Ici ou auprès de tous ces cons-là qui ont fait partie de mon quotidien pendant quatre ans. Comme si mon corps avait enregistré qu’eux à proximité, ça faisait partie du quotidien. De la normalité. Qu’ils s’agissent de ceux de la coloc - Tim excepté - d’Alec ou d’Enzo, il y a quelque chose d’étrangement logique à leur présence. Pourtant j’ai souvenir d’une nuit en Irlande où j’étais pas plus capable de m’endormir avec Enzo que… bref.

- Si tu viens pour me dire autre chose qu’un “tu déchires tout meuf”, sache que c’est une idée daubée du cul.

J’atteins pas les 130kg au dead lift, ça m’emmerde, c’est mon nouvel objectif. Voilà de quoi j’ai l’air. D’une meuf qui compte se buter à la salle jusqu’à ce que mort s’en suive. Un besoin de retrouver de l’ordre dans ma vie, des foutus objectifs et un endroit pour retrouver mes routines sportives. Bref : du nerf ma fille.
Une semaine que je me fous des coups de pied au cul, entrecoupés par ce que les retrouvailles auprès de la Garde ont provoqué.

- Juste demander si t’en avais pour longtemps encore.
- J’ai l’air d’avoir fini ?
- Ok, ça va..

Lorsque la barre aux lourdes altères touche de nouveau le sol, que mes quadri et mes ischio crament à en faire trembler l’ensemble de mon corps, j’arrive à l’échec. Et me plie, le souffle court, le front en sueur.
Debout.
Tu lâches rien.
T’avances.


Dans mes oreilles, les basses lourdes d’une guitare électrique crachent ce que je n’exprime pas autrement que par cette putain de mauvaise humeur qui laisse les autres à distance. J’ai pas bouffé depuis un mois autrement qu’en taxant les uns et les autres, je dors pas, j’ai dans le cœur le manque d’un ami et la panique chevillée aux côtes que les autres ne comprennent. Et c’est sans compter la réunion, l’attaque et le reste. L’absence d’Aldric et de Dorofei dans mon quotidien.
C’est comme ça. J’me mets le couteau sous la gorge. J’ai assez raclé le bitume.

- Elle est à toi.

La barre transversale retombe au sol et rebondit quand je m’adresse au type. Pour être très honnête, s’il avait tout du gros lourdaud à son arrivée, il semble n’avoir voulu rien d’autre que les altères que j’ai monopolisé. Une pensée qui passe et s’extirpe bien vite. Ainsi, lorsque je m’assoie sur les bancs de la salle, bras et jambes tremblants les uns posés sur les autres, je n’y pense simplement plus. Je pense à manger. Je pense à la reconstruction de la Garde. Je pense à la gerbe de fleurs que j’ai laissé dans la boite aux lettres d’Aldric. ( @Aldric Tivari ) Mais j’pense surtout à un putain de burger frites.
Mon dos ploie. Mes genoux tremblent. J’enroule ma nuque de mes paumes.
Et répond à un texto d’Enzo.

C’est là-bas que je me pointerai si j’avais pas peur qu’il capte ma dalle.
Mais surtout, quitte à être en Écosse…

Deux heures plus tard et après avoir taxé deux energy balls à un type de la salle, c’est le long d’un petit sentier familier que je remonte. C’est sans doute un peu bête mais j’imagine toujours ne plus la trouver, cette baraque. Zach en parlait avant même de l’annoncer à Sova alors dans ma tête, c’est davantage la sienne que celle de la petite blonde au circuit électrique monté sur 200 volts. Pourtant j’ai toujours cette crainte un peu idiote. C’est con. Elle sait même pas comment modifier les sorts. Et si elle le savait, elle n’y arriverait pas.
Mais j’ai peur qu’elle le rompe, ce lien.
Pourtant la maison perchée au dessus des vagues m’accueille sous la pluie de mai - Fais ce qu’il te plaît, mon cul oui ! - et sans passer les portes de suite, je contourne les lieux pour m’assurer qu’aucune tornade blonde ne fait des vrilles sous les trombes d’eau. Personne. Et la porte d’entrée entre-baillée s’ouvre sans un bruit. Dans la cuisine, face à moi, les deux Wargrave et leur prise de bec habituelle.
Quoi qu’habituelle soit le pire des qualitatifs.

- ... t’es sûr que c’est safe ? Toujours cette foutue obsession d’enrouler les gens dans du papier bulle. On s’étouffe autant avec du plastique qu’avec du monoxyde d’azote tu sais.
- - Je suppose que oui.. Cette voix m’accroche. Elle me vrille les tripes et tend chacun de mes muscles pourtant épuisés. La sensation de bien être due à ma séance reflue aussi vite qu’elle est arrivée, ne laissant qu’un froid d’acier dans mes nerfs.
Il le remercie même, ce con-là ! Non mais j’y crois pas. Demi-tour donc, pour la demi-molle. Un chamallow qui ne m’a pas calculée une seconde, pas plus que son frère tout à son observation inquiète. Chamallow qui me percute l’épaule, son muffin à la main, et redresse un regard aussi étonné qu’éteint vers moi.
- - Salut,   Froncement de sourcils immédiat. Va chier avec ton “salut”. Sovahnn et Takuma ne sont pas là.
- Ok. Circonspecte, je l’observe retourner s’affaler sur le canapé, les cheveux encore humides et emplis de l’odeur d’un shampooing dont la douceur tranche très frontalement avec ce que j’observe là.
La télé suit la course de l’abrutissement général. Et il croque dans le muffin sans grave conviction. Dernier rempart de mon self contrôle. Un arc électrique mord mes vertèbres et la seconde suivante, je passe derrière Maxence et lui assène sur le crâne une claque du plat de la main.
- Mais ça va pas ?!
- Nan, ça va pas. J’oublie pour autant pas de choper trois grains de raisin déjà balancés sur mon palais. T’as déjà lu la mécanique du cœur ? Fais-je en ignorant le regard qu’il me jette comme j’ai ignoré le “bonjour” qu’il n’a sans doute pas manqué de me servir à mon entrée.
- Nan ? C’est ça, masse-toi le crâne, ça activera peut être la boue qui te sert de cerveau.
Parce que le sien est pété. Et qu’il rouille. Une réponse que je tais, portée par un simple regard noir droit vers l’ancien infirmier. Putain d’amerloque, j’vous jure ! Et non, je ne l’ai pas lu non plus, je suis juste chauvine.
Pas plus de réponse ; j’ai déjà rejoint Léon. Une main dans mes cheveux trempés pour les dégager de mon visage, je lui vole le muffin dans lequel je mord très largement.
- Debout. Et le lui rend dans un lancer en cloche, le bras retombant sur ma hanche dans un regard qui ne laisse aucune place à l’interprétation : tu bouges ton cul et tu le bouges tout de suite. Et parce qu’il relève le regard vers moi et qu’il m’agace plus encore par son apathie, je renchéris. T’as une gueule de demi-molle et moins d’énergie qu’un lombric : debout. Un ordre que j’appuie par un coup décoché dans son mollet. Celui-là même qui a été brûlé. Oui.

Debout.

Un ordre que suit Maxence, à défaut de son frère.

- Et toi tu t’assoies. Un légume c’est suffisant, j’ai pas besoin de faire collection.

Chose qu’il ne fait pas, bien sûr, mais le ton suffit à le garder à distance, ses éternels sourcils froncés tandis que je fais face à la loque qu’est en train de devenir son petit frère.
[/quote]
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Jordane Suzie Brooks
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Jordane Suzie Brooks
Hier à 15:43
Léon fixait l’écran comme si l’absurdité des émissions diffusées pouvait, à elle seule, remplir le vide béant qui s’étirait dans son esprit. Il avait trouvé refuge dans une compétition surréaliste où des participants chronométraient leurs talents en artichauts sculptés – les trophées étant des vases ridicules en forme de légumes géants. Mais la réalité refusa de se taire. Elle prit la forme d’une claque sèche sur le crâne de Maxence qu’il capta du coin de l'œil, assortie d’une réplique qui vibra à travers la pièce comme une alarme incendie : Jordane venait d’entrer en scène. Avec toute la délicatesse qui allait avec. Un muscle se contracta dans sa mâchoire lorsqu’elle traversa la pièce. Aujourd’hui, il y avait quelque chose d’insupportable à ce que Jordane surgisse comme une tempête polaire, soudainement décidée à bousculer des meubles — et des certitudes. Sans surprise, elle fit irruption dans son champ de vision. Brisant sans ménagement sa contemplation du candidat en sueur qui taillait frénétiquement un artichaut en forme de couronne. Léon releva péniblement le regard le long de son corps, avec une nonchalance conférée par l’habitude. Tenue de sport, cheveux trempés et, évidemment, toujours ces putains d’yeux trop bleus qui se mirent à fouiller en lui comme pour chercher la réponse à une question existentielle. Et quoi qu’elle n’ait trouvé, cela ne lui plaisait pas. Égoïstement, Léon trouva dans sa déception une certaine forme de satisfaction. Alors, il la laissa lui voler son muffin - un peu sec, de toute façon - et la regarda en engloutir la moitié sans daigner bouger d’un millimètre. Si elle avait paru sur le fil du rasoir lors de leurs dernières rencontres, la flamme avait dû se rallumer pendant ces derniers jours. Ce qui était à la fois une bonne nouvelle - sans en connaître les détails, il avait deviné qu’elle avait morflé - et une très mauvaise. Noyée dans ses propres soucis, elle n’avait rien eu à redire sur son apathie grandissante.

Alors que là...

— Debout, ordonna-t-elle avant de lui renvoyer son muffin en un lancer parfait.

Léon le rattrapa au vol sans vraiment réfléchir, plus par réflexe que par volonté. Et ne bougea pas du moindre millimètre. Par habitude, par défi ou par fatigue – il n’aurait pas su dire. Les trois, sans doute.

—  T’as une gueule de demi-molle et moins d’énergie qu’un lombric : debout, s’impatienta-t-elle, puisqu’il était toujours assis.

Une critique, lancée avec le même défi que le gâteau, suivie par un coup dans son mollet, là où la peau gardait encore des souvenirs cuisants d’une brûlure. Léon baissa les yeux sur sa jambe, puis les releva lentement vers elle. Son regard croisa le sien et, l’espace d’un instant, un éclat d’émotion brute passa entre eux, comme un fil électrique. Elle lui avait fait mal et elle le savait. Il n’avait pas bronché, cependant. Quelques relents des habitudes prises dans la cage, lorsque ses faiblesses avaient fini par devenir les objectifs favoris de ses adversaires. Encaisser, donc, sans donner l’impression que cela faisait un mal de chien. Il ne lui donna même pas la satisfaction d’être énervé. Maxence, par contre, perdit patience. Il se redressa, prêt à intervenir.

—  Et toi tu t’assoies, le stoppa-t-elle. Avant de rajouter, puisqu’elle ne savait rien faire à moitié : Un légume c’est suffisant, j’ai pas besoin de faire collection.

La vanne était bonne, mais ne lui décrocha pas plus qu’un sourire. Peut-être qu'elle devrait se mettre à tailler des artichauts, elle aussi. Il ne dit rien, pourtant. Agacé par avance de la suite. Parce qu’elle avait cette façon foutrement déloyale de le regarder, comme si elle était déçue et en colère alors qu’elle n’avait absolument aucune raison de l’être. Une emmerdeuse. Une emmerdeuse dangereuse, qui fixait son mollet comme pour jauger de la possibilité d’un deuxième coup ce qui lui fila l’envie de cacher sa jambe quelque part. Elle le faisait chier, terriblement. Avec l’impression d’en avoir quelque-chose à foutre, soudainement, qu’il se soit pris d’amour pour des émissions débiles alors qu’elle s’en était très bien accommodée jusque-là. Mais puisqu’elle était plus têtue que la définition même qu’on avait dû coller dans un dictionnaire, il poussa un soupire résigné.

Et se redressa avec une lenteur exagérée. Trop près d’elle. Cette fois, c’était flagrant. Et peut-être voulu, d'envahir son espace personnel avec la même ingérence qu'elle cherchait à foutre le bordel dans son après-midi.
 
Elle ne bougea pas. Lui non plus. Et pendant un instant, le silence s’étira, incendiaire.

— Voilà, tu as gagné, déclara-t-il finalement en soutenant son regard, concédant la victoire sans avoir daigné combattre. Je suis debout, précisa-t-il, à mi-chemin entre la naïveté et l'insolence, alors qu’il se savait à terre depuis des semaines.

Il se surprit à noter les gouttes de pluie qui glissaient le long de ses mèches blondes, son air résolu par-dessus les cernes qui sertissaient son regard. Et parce que ça lui rappela brusquement trop le motel, il fit un pas sur le côté pour mettre un peu de distance entre eux. Il passa une main dans ses cheveux, mal à l’aise, avant d’enfoncer ses mains dans son jogging et de faire quelques pas hasardeux vers la baie vitrée. Sans surprise, il pleuvait des cordes. A croire que même la météo avait décidé de baisser les bras.

—  Alors, quel est le plan ? demanda-t-il sans grande conviction.  Avant de rajouter, trahissant sans le vouloir une douleur qu’il n’avait pas identifiée jusque-là. Tu voulais juste voir si je savais encore me lever ou bien tu te fais juste chier dans ton palace avec piscine ?

Sa voix sonna creuse, comme une claque dans le silence. Pas de colère, pas de reproche. Juste un écho de quelque chose qu’il n’arrivait pas à nommer.

( :corde: )
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Léon Wargrave
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Léon Wargrave
Aujourd'hui à 1:21
Ça fait combien de temps ? Qu’il lâche, qu’il creuse, qu’il s’abandonne dans cette espèce de foutue apathie qui ronge le derme et désosse l’âme. Combien de temps a pris sa gueule pour s’affaisser ainsi ? L’éclat de son regard pour se ternir ? Il est poli. A force de mains tendues et de remerciement cajoleurs. Poli, par les regards et les silences. Poli par le confort, le mieux être, la facilité et les remords. Poli par ses nuits trop claires et ses pensées trop sombres. Poli. Usé. Mat. Jusqu’à s’éteindre. 
Oh bien sûr, Léon ne réagi pas lorsque je frappe l’exact endroit que je sais être le plus douloureux. Rien dans la sève de son regard ne pourrait laisser deviner la portée de l’impact. L’habitude, sans doute. Il y a des choses qu’on apprend. J’ai pas plus sourcillé quand il frappait en traître dans la box, pas plus tergiversé, quand j’ai repéré le boitillement d’un des gorilles. Alors si Maxence là-bas n’y lit rien, dans ce regard atone, le mien appuie davantage, à défaut de ramener le talon sur l’ancienne brûlure. 
J’suis pas Aldric. 
Et tu vas te lever de ce canapé. 

De gré ou de force mais j’te jure que tu vas te lever. 
Parce que j’en ai putain de ras le cul de les laisser gagner. 
Alors tu vas prendre une foutue respiration et bouger tes miches.


J’irradie. Ma voix gronde. J’ai sous la peau des insectes qui fourmillent et dans le crâne bien trop de morts. Si je lâchais le brun de ses yeux pour ramener le regard jusqu’à ceux de Maxence, est-ce que j’y verrais une compréhension dont je ne veux pas ? Est-ce qu’il y était, lui, quand il fallait ramasser les autres à la petite cuillère, dégager les corps et informer les familles ? Il a fait ce qu’il fallait lui j’en suis sûre. Il n’a pas fuit. 
Une fois de plus et contre toute attente, le frangin se la joue flambi et oublie de renchérir. Qu’importent ses raisons puisque je reste braquée vers Léon et le soupir qu’il fini par lâcher avant d’initier un mouvement. 
Et c’est une victoire. Une victoire qui crépite d’autant plus. Aucun triomphe, pas la moindre réjouissance dans le regard de glace que je lui oppose alors qu’il se redresse lentement. Trop lentement - et c’est en vérité la seule chose qui apaise l’élan brusque qui a incendié mon organisme à le voir si docile - pour que ce soit honnête. Indolent. Bien. Pas un mouvement, pas un pas en arrière, ni pour moi ni pour lui. Les regards s’affrontent en chiens de faïence. L’air grésille. Les souffles se suspendent. 

— Voilà, tu as gagné, Bien au contraire. Mais ça viendra. Je suis debout
- Tu veux une médaille ?  

Menteur. 

Je n’esquisse aucun geste. Laisse à cette pensée le soin d’infuser son éclat dans la glace de mon regard. Et sous le givre, Léon perd soudainement du terrain, m’accordant un pas de côté avant de passer une main dans ses cheveux puis d’enfoncer ses poings dans son jogging pour s’éloigner. Il aurait été aisé d’accorder une trêve d’entendre le malaise et d’apaiser la tension grandissante. 
Et avorter le premier élan de présence que je perçois de lui depuis mon arrivée ? Pas la moindre chance. 
Alors s’il s’esquive sous ces iris boréals, je n’ai pour réponse qu’une seule pensée : il fera avec.

—  Alors, quel est le plan ?  Aucune idée. Ou plutôt si. Et à celle-là, j’ai bouffé la boue la dernière fois. Tu voulais juste voir si je savais encore me lever ou bien tu te fais juste chier dans ton palace avec piscine ?
- Pourquoi, t’as envie d’un spa ? Ma voix gronde autant que la sienne sonne creux. Et enfin, de quelques pas je quitte ma position, passe devant Maxence sans sembler le voir et attrape quelques raisins  tout en reprenant. On va commencer par des bains de boue alors. Très bon pour la peau. Ça claque, de ma langue à l’atmosphère. Sèchement, en prévision de ce qui ne manquera certainement pas de la part de Maxence. Quoi ? T’as peur que le frangin chope un rhume ? Alerte spoiler ; c’est pas sa première pluie. 
On est à Londres, l’ami. 
J’ai rejoint la porte d’entrée ouverte à la volée. 

Et s’il suit, Maxence en fait de même. 

- Qu’est-ce que vous faites ?! C’est pas prudent de.. Et Léon qui ne réagit pas.
- C’est de continuer à m’chauffer qu’est pas prudent. Un regard en arrière. T’es vraiment toubib ou t’as chopé le titre dans un paquet de chips ? Il bute, j’enchaîne. Eh bah tu lui fileras un doliprane.  
J’peux pas. Dire que j’sais pas d’où ça vient serait con. J’sais juste quelle haleine elle a, cette apathie-là. Elle m’a recrachée le jour de mes dix-sept ans, un coup dans la gueule et la trahison pour seul moteur. 
Les mêmes insectes sous les vertèbres. 

- Rentre. Tu vas choper froid. La vérité c’est que je ne suis pas tout à fait moi. Pas celle qu’ils connaissent, pas celle qu’il a croisé dans les couloirs de Poudlard. Il y a sous ma peau une môme qui devrait être guérie mais qui l’est pas. Qui se dresse, brutalement, parce qu’elle déteste ce qu’elle voit. Amènes-toi. Pas si loin du saule pleureur, là où la pluie siffle dans les branches et où les nuages abattent sur les falaises leurs lourdes ombres. Ta garde, t’a tendance à la garder trop basse. Tu perds du temps pour parer. La glace a rejoint la sève, j’y plante l’implacable assurance que j’ai tant feint dans la rue. Fake it… Vous connaissez la chanson. Il n’y a plus de contusion sur sa pommette, pas de teint gris ni de lèvre fendue. Il a la gueule du type qui va mieux. La docilité de la civilisation et l’apathie du capitalisme. Ok. Menteur. C’est ça que tu disais non ? 
Alors admettons. Je suis pas suicidaire. Et t’es debout. 
J’dis pas ça parce que j’aime particulièrement les clairs-obscurs pour une conversation technique sur les postures défensives. Bosse ta garde ou tu t’en manges une. En parlant, ma hanche a pivoté, le centre de gravité abaissé. Ton talon gauche. Il est mal aligné. Ça t’entrave quand tu frappes et tu perds en puissance.  

L’iode passe en rafales. 
Et j’revois Dorofei. Ses yeux fous, la salve de coups, le poids de son corps. 

- Mets toi en garde j’te dis.. 

Fake it..
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Jordane Suzie Brooks
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