Récap de votre histoire : — Né le 20 Décembre 1990 à Anvers, d’une vieille famille de sorciers — Jeunesse entre la Flandre et la famille étendue aux Pays-Bas — Enfance et éducation privilégiées mais sévère et conflictuelle — Entrée à Beauxbâtons en Septembre 2001 — Elève sans histoire mais doué dans ce qu’il aime — Notes brillantes aux ASPIC d’Enchantements, Runes et Forces du Mal — Envoyé chez une connaissance de la famille, Emma Martens, après les ASPIC, en 2013 — Apprend à manipuler des objets occultes — Approche toutes formes de magie et se prend de passion pour l’Animancie — Sa mentor disparait en 2016, il part et devient photographe à Amsterdam — Vivant chichement loin de ses parents, décide de partir pour l’Angleterre après un retour dans sa vie
Votre histoire complète :
Amsterdam – 25 Avril 2017Une volée de mouettes s’envola dans le soleil couchant du port d’Amsterdam. Si Tycho n’avait pas eu les membres engourdis par le froid, et surtout, par la flemme, ç’aurait été une belle photo. Il haussa les épaules : de toute façon, des comme ça, il y en avait déjà des milliers chaque semaine. Et puis, les piafs, vous aviez beau vous appliquer pour les prendre en photo, ça se barrait du cadre à la première occasion. Trop d’efforts pour rien, en somme. Tycho continua sa marche en direction de nulle part, longeant les quais jusqu’aux canaux intérieurs. L’inspiration n’était pas là, pour peu qu’elle ait déjà été présente un jour. Il songea aux derniers clichés qu’il avait vendus au Tovenaarstelegraf, qui avaient eu pour seul mérite de le nourrir cette semaine-là. Et une autre pensée le foudroya tout à coup, s’insinuant dans les méandres de son cerveau : peut-être devait-il retourner chez ses parents. Peut-être serait-ce une bonne idée. Trouver un job classique, arrêter de faire le fier avec ses délires farfelus. Ou bien, rejoindre le reste de la famille, dans la Communauté ?
Sans répondre à ces questions qui n’amèneraient de toute façon à rien ce soir-là, Tycho se dirigea vers une petite embarcation amarrée au bas d’un quai. Il jeta un coup d’œil derrière lui, au cas où. Puis, alors qu’il s’installait, la barque démarra sur les eaux du canal, et rejoignit le pont de l’Utrechtsestraat. Les eaux étaient toujours calmes : le frêle esquif ne dessinait aucun sillage derrière lui. C’était comme s’il n’était pas là, comme un écho de l’existence de son occupant. Sous le couvert de la nuit, personne ne le voyait ; mais à vrai dire, même de jour, on l’ignorait superbement. Un vrai pouvoir dont il aimait à se vanter.
Après quelques minutes à se laisser transporter par sa petite embarcation, Tycho se retrouva sous le pont du tramway, et descendit tandis qu’elle ralentissait avant de couler, emportée dans les tréfonds du canal. Elle réapparaitrait un peu plus tard, quelque part ailleurs, prête à emmener un autre Sorcier. Juché sur une marche légèrement trop étroite pour ses pieds, il s’empressa de traverser la pierre du pilier du pont. Sans aucune difficulté, il se retrouva aussitôt de l’autre côté : l’Allée des Chaudrons. Il détestait cet endroit autant qu’il l’adorait. Ce soir-là, il était certain cependant qu’il l’abhorrait. Pourtant, sans même y penser, il parcourut le chemin de ses habitudes pour s’installer à la terrasse de l’Oranjegoblin.
C’était une taverne qui correspondait en tout point à l’idée qu’on pouvait se faire d’un lieu de beuverie. A croire qu’elle avait été construite avec un modèle prédéfini. Murs de pierre, atmosphère sombre, lumières tamisées, comptoir boisé, tireuses et fûts juste assez usés. Evidemment, le patron était moustachu bedonnant, et les serveurs et serveuses, juste assez avenants, moitié distants, moitié provocateurs. Quant aux clients, il s’agissait de l’habituelle foule faussement éclectique d’un pub : jeunes et vieux, amis et amants, tous partageaient les mêmes histoires, les mêmes pensées, les mêmes aspirations.
Et puis il y avait ceux qui étaient seuls, dont Tycho faisait partie. Eux, inspiraient un peu de pitié, parfois de la moquerie, souvent de l’indifférence. Eux, portaient en revanche une certaine unicité, des histoires qu’il serait bien plus intéressant d’écouter. Pourtant, ce n’était pas vers eux que l’on se tournait.
Une jeune femme s’approcha du nouveau venu, marquant un temps d’arrêt. Comme si elle le reconnaissait, sans vraiment en être sûre. Tycho n’avait jamais su comment elle s’appelait, mais il la trouvait charmante. Ses traits n’étaient pas harmonieux, mais il était sensible à ce qu’elle dégageait, une forme de force farouche, de charme inatteignable, une assurance en toutes circonstances.
Alors, il commanda une pinte prise au hasard, afin qu’elle s’éloignât de lui le plus rapidement possible.
Ce fut cependant un hibou qui se retrouva à sa table avant même que la bière ne lui soit servie. Un hibou qu’il connaissait bien : son pelage virant du gris au marron, les motifs autour de ses yeux, et surtout, la patte gauche légèrement atrophiée, il l’aurait reconnu entre mille. La main tremblotante, il s’empara du mot que l’animal lui tendait stoïquement.
Tycho,
Grande nouvelle ! J’ai trouvé un spécimen, après toutes mes recherches. Passe me voir quand tu auras du temps, ça en vaut le détour !
EmmaEmma. Aucun doute, c’était là son écriture. Le choc était réel. Il n’avait reçu aucune nouvelle pendant une année complète, au point qu’il la croyait disparue à jamais. Et elle revenait de nulle part, avec ce simple mot. Tycho se leva, groggy. Il tituba presque et manqua tomber avec sa chaise. Mais il ne réfléchit pas plus, il avait besoin de savoir. De voir. Alors, il courut, et transplana, comme s’il avait attendu ce moment depuis des mois – et, au fond, sans se l’avouer, il savait que c’était le cas.
***
La campagne de Hollande n’était vraiment pas un endroit où Tycho aimait se rendre. Pourtant, c’était là que vivait toute sa famille, à l’exception notable de ses parents. Une succession de petits hameaux et de communautés de vieilles familles de sorciers locaux, implantées depuis des siècles sur ces terres, dont les seuls dissidents avaient, au mieux, été oubliés par l’histoire familiale, et au pire, disparu de toutes les mémoires dans des circonstances diverses. Parmi ces îlots de maisons biscornues entourés de champs à perte de vue, la masure d’Emma Martens dénotait largement. Elle vivait seule et à l’écart, dans une maison de plain-pied qui ne laissait apparaitre aucune bizarrerie. D’extérieur, on aurait pu penser que des non-sorciers s’étaient installés par hasard au milieu de la Communauté. Mais ça, c’était pour quiconque n’avait pas visité la cave d’Emma.
Tycho arriva par le sentier le plus proche de la maison. Il ne désirait pas vraiment être vu des autres membres, et encore moins par sa famille. A la faveur de la nuit, il se glissa jusqu’à sa porte et frappa. Elle n’eut pas l’air d’être surprise le moins du monde de le voir accourir si vite. Tycho frissonna, pour des raisons bien éloignées de la fraicheur nocturne : elle n’avait pas changé d’un pouce. Les cheveux noirs et bouclés, là où ceux des autres étaient blonds ou roux. Les yeux, noirs également. Les traits anguleux et sévères, mais fins et altiers. Elle portait une longue robe noire, comme il en avait presque toujours été. Elle avait dix ans de plus que Tycho, mais le temps ne semblait pas avoir de prise sur elle. Elle cultivait la différence en tous points et était parvenue à trouver l’équilibre entre respect, crainte et acceptation de la part de la communauté. Une année entière s’était écoulée depuis la dernière fois qu’il l’avait vue, mais rien ne semblait avoir changé. Elle le serra dans ses bras, puis l’invita à entrer.
- En voilà des manières, débarquer chez moi en plein milieu de la nuit !, s’exclama-t-elle de son ton pince-sans-rire caractéristique.
- Les instructions étaient claires : passer quand j’aurais du temps, et j’avais justement du temps, répliqua Tycho sur le même mode.
- Je t’en aurais voulu si tu n’en avais pas eu pour moi, de toute façon. Et tu vas pas être déçu. Thé ?
- J’ai jamais aimé ça.
- Les gens changent. Mais j’ai besoin de toi sobre, alors je garde la liqueur centenaire pour plus tard. Si t’es sage.
- Voilà ma curiosité doublement piquée, donc, conclut Tycho dans un sourire.
Emma se dirigea vers la bouilloire et se servit, avant d’inviter Tycho à avancer d’un geste. Elle ne le montrait pas, mais le jeune homme sentait qu’elle bouillonnait d’impatience. Il savait ce qu’elle avait voulu chercher, ce pour quoi elle avait disparu, et il savait que si elle était revenue, c’était avec une bonne nouvelle. Il aurait simplement aimé… Eh bien, ne pas la croire morte, pour commencer. Avoir un peu plus d’importance à ses yeux, pour pouvoir recevoir des nouvelles, d’une manière ou d’une autre.
Mais il ne se fit pas prier, et ouvrit la marche en direction de la cave. L’escalier de pierre grise s’enfonçait dans les ténèbres, mais en bas, il voyait que des bougies avaient été allumées. Là, sur la table où il avait étudié des années durant avec Emma, reposait… Un corps. Un corps, dont les stigmates horribles donnèrent un haut-le-cœur à Tycho. Il ressemblait à un noyé, tant les chairs décomposées, brûlées par endroit, pendaient lamentablement autour de lui. Le peu de peau épargnée par les brûlures et autres marques putrescentes avait un teint blafard verdâtre, rendant ce spectacle horriblement grotesque. Les yeux de la créature étaient révulsés, d’un blanc vitreux. Un Inferius.
Emma rayonnait.
- Alors ?
- Tu l’as… Tué toi-même ?
- Non, je l’ai trouvé comme ça. En Espagne, si tu veux tout savoir. Je pense que son maître est mort, et ça l’a rendu… inactif. Mais imagine tout ce qu’on pourrait en tirer ! Qui a déjà pu étudier un spécimen comme celui-là ?
Tycho demeura songeur. Il était à la fois impressionné, perturbé et curieux. Il n’avait jamais été confronté à la mort de si près. Et, s’il avait déjà étudié des objets enchantés à l’aide de magie noire avec Emma, jamais il n’avait imaginé se retrouver face à un Inferius.
- Tu sais par où commencer ?, demanda Tycho.
- J’ai effectué des enchantements préliminaires, bien sûr, répondit Emma en hochant la tête. Déjà, pour m’assurer qu’il n’est plus dangereux, et pour essayer de retracer les sortilèges qui l’ont affecté.
- Et donc ?
- Rien. Je ne sais même pas qui l’a créé. A vrai dire, je pensais que le plus dur serait de trouver un Inferius en état, et que l’analyse serait moins délicate.
- C’est pour ça que tu m’as fait venir, donc, conclut Tycho qui se surprit à ressentir une certaine fierté, assombrie par une pointe d’amertume.
- Tu es le seul en qui je peux avoir confiance pour tes compétences et ta discrétion, approuva Emma.
Fichtre, elle savait lui parler. Fier comme un paon, Tycho oublia toutes ses déceptions. Celle d’avoir été tenu à l’écart toute une année, celle d’être appelé en dernier lieu, celle de n’avoir été qu’un élève. Alors, il se retroussa les manches.
Ensemble, Tycho et Emma passèrent au crible l’entièreté du cadavre, chaque marque sur sa peau déchiquetée et brûlée, chaque possible rune, chaque potentielle trace d’enchantement. La création d’un Inferius semblait être une véritable toile d’araignée de sortilèges, tissée, protégée, entremêlée, un travail digne des plus grands orfèvres. Chaque fois qu’ils parvenaient à une hypothèse probante sur la nature d’une étape, une autre théorie émergeait la contredisant. C’était un joyeux mélange de frustration et d’effervescence. Surtout, c’était comme si tout était revenu à la normale pour Tycho. Il était dans son élément, malgré la présence dérangeante d’un cadavre qui avait été autrefois animé par magie noire.
Après un long temps de recherches, Emma se laissa aller sur une chaise, visiblement exténuée. Tycho, penché sur l’avant-bras du cadavre, leva la tête.
- Déjà fatiguée ?, demanda-t-il d’un ton moqueur.
- On est dessus depuis deux heures ! Et je crois qu’il nous manque des infos. Des infos cruciales. On tourne en rond.
- Je doute qu’il y ait un livre « Les Inferi pour les Nuls » quelque part, nota Tycho en relâchant le bras qui retomba mollement sur la table, manquant se détacher de son propriétaire.
- Je pense qu’il y en a, en réalité. Pas
exactement ce livre, ajouta-t-elle devant l’expression incrédule de son ancien élève. Mais des livres d’études des Inferi.
- Et je suppose qu’on peut le trouver dans n’importe quelle librairie ?, répliqua le jeune homme, toujours ironique.
- Evidemment que non. Mais ça vaudrait le coup d’aller à la bibliothèque centrale de Londres. Je sais qu’ils ont énormément de choses. Plus qu’à l’Académie.
Emma se releva de son siège.
- Remontons. On continuera plus tard. Je verrai demain comment je pourrais accéder aux réserves de la bibliothèque de Londres.
- Légalement ? C’est pas un peu la merde, là-bas ?, demanda Tycho en lui emboitant le pas.
- T’imagines pas à quel point. Mais peu importe.
- Si tu veux, j’y vais, moi.
Elle s’arrêta sur le pas de porte du salon. Comme si elle réfléchissait.
- Tu pourrais faire ça, tu penses ? Tes allées et venues sont moins scrutées que les miennes, c’est vrai, ajouta-t-elle dans une grimace.
- T’as des problèmes ?, demanda Tycho, en essayant de paraitre détaché.
Il n’avait encore rien demandé à Emma. Ni ce qu’il lui était arrivé, ni si elle allait bien. Rien. Il savait qu’elle ne répondrait de toute façon pas. Elle avait toujours été comme ça, insaisissable ; elle choisissait exactement quand et à qui elle parlait. Alors, il avait simplement imaginé qu’il lui était arrivé… Des choses, et qu’elle les lui raconterait lorsque l’occasion se présenterait.
- Toujours, mais t’en fais pas, ils sont pour la plupart derrière moi. Je dois juste, disons, me calmer un peu pour quelques temps, répondit-elle dans un sourire. Mais merci de t’inquiéter.
- Je suis pas inquiet, répliqua Tycho, faisant sourire de nouveau son ancienne mentor. Et, vivre à Amsterdam ou à Londres, pour moi, à vrai dire, c’est du pareil au même. Alors je peux bien partir en éclaireur.
En prononçant ces mots, Tycho se rendit compte qu’ils étaient faux. Ce n’était pas du pareil au même, mais bien plus que ça : il avait ce besoin viscéral de s’enfuir, de partir de sa vie actuelle. Un besoin d’avancer dans ses recherches, de découverte, de mystères. Un besoin, sans doute, d’écumer les bibliothèques, d’étudier, d’apprendre. Il avait perdu tout cela durant une année, et la vie pouvait le lui offrir de nouveau. Il voulait le faire pour elle, mais surtout pour lui.
Emma dut percevoir quelque chose dans son attitude, car elle n’hésita pas plus longtemps.
- Dans ce cas, c’est réglé. Evidemment, si tu as besoin d’aide, n’hésite jamais. Compris ?
Tycho hocha la tête.
- J’ai surtout besoin d’une bonne liqueur, parce que je sais pas dans quel bourbier je me suis foutu.