Le 06 mars 2016,
Quelques mois avant l'arrivée de Nour à Londres,
Zone désaffectée,
Sud de la Roumanie, Zărnești,
L’endroit n’aurait pas pu être plus reclus. Au sud de la Roumanie, dans une ville entourée dans une région montagneuse, coupée du monde. Si la famille Klemheist avait voulu envoyer Nour dans un endroit aussi reculé, ils auraient dû l'inventer. L’endroit aurait dû lui mettre la puce à l’oreille, d’une certaine manière. Comment se méfier ? D’une famille que vous connaissez depuis aussi longtemps ? Comment se méfier d’une famille qui vous embauche depuis déjà six ans ?
En arrivant aux pieds des monts Pietra, la neige recouvrait encore les cimes. Un spectacle délicat, doux, empreint de toute la beauté que l’américain a appris à aimer dans sa patrie de cœur. L’intégration y a été difficile, sans en parler beaucoup la langue. Il a fallu en maîtriser les rudiments. Bien sûr, l’héritier Klemheist parlait anglais, ce qui a constitué un avantage certain lorsqu’ils ont dû apprendre à communiquer. Avec le temps, les choses sont devenues plus évidentes, plus simples. Les phrases qu’ils ne reconnaissait pas sont devenues limpides, les jeux de mots et les nuances plus aisées. L’intégration dans cette famille, moins défaillante visuellement que la sienne, s’est faite. Et comment ne pas les aimer ? Ils ont été sa famille d’adoption. Bien que stricte, sévère, il ne les voyait que par intermittence. Dans ces moments anodins qu’une vie en nature exige. Quelques dîners, quelques réunions de famille. Après tout, Nour n’en avait plus réellement, de vie de famille. Plus depuis la mort de son père, l’absence de réponse. Aimer cette famille d’adoption a été simple, aisé. La confiance est née progressivement, après des années à participer à la formation de leur fils.
De lui, il en est tombé amoureux. Aussi simplement que cela. Dans les longues balades en forêt, quand le secret des arbres ont camouflé ces émois. Lorsque personne, pas même la femme de Sergius ne pouvait voir ces quelques regard échangés. De l’admiration, de la beauté. De l’affirmation, en voyant celui qui était son apprenti grandir, découvrir ses forces. Apprendre à maîtriser un vocabulaire, des savoirs qui n’étaient pas les siens.
Peut être que c’est en grande partie pour ce rapprochement, qu’il s’est retrouvé à l’autre bout de la Roumanie. Sans doute que les raisons étaient toutes méritées. Il y avait quelque chose d’interdit, dans la façon dont l’un et l’autre se parlait. Peu importe, finalement. Les raisons leur appartiennent.
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“Spune-mi acum.”*Dis le moi maintenant*Des heures que le même refrain avait lieu. L’espace semblait petit, étroit. Peut être qu’il était immense, impossible à le dire, les yeux bandés. En arrivant dans cette ville, il n’a pas vraiment eu le temps de réagir. Un sort l’a atteint, le paralysant immédiatement.Ensuite, de se réveiller dans l’obscurité conférée par un sort, le rendant aveugle. A-t-il les yeux bandés ? Il ne saurait le dire. Les premières heures ont semblé un supplice, sans savoir qu’en réalité, elles étaient des minutes de répit bienvenue avant la suite. Comment aurait-il pu s’en douter ? Depuis plusieurs heures, l’un de ses tortionnaires, particulièrement inventif, semblait prendre plaisir à lui répéter cette phrase en roumain. Un homme plus intelligent aurait fait en sorte de parler en anglais, mais, le tortionnaire a reçu des informations utiles. S’il lui parle en roumain, c’est très certainement car il sait que son prisonnier en comprend chaque intonation. Son informateur sait au moins cela de lui. La famille Klemheist ? Un associé à son père décédé au Ministère ? Un membre de sa propre famille ? Un membre des trafiquants qu’il chasse depuis tout ce temps ?
“Nu știu”*Je ne sais pas*La voix est faible, dite avec un filet d’énergie qui lui reste. Le visage tuméfié, probablement. Il sent un engourdissement inquiétant dans l’une de ses mains, résultant des heures passées sans bouger et des liens trop serrés. S’il ne bouge pas de temps en temps les doigts, il sent une perte de sensibilité. Est-ce qu’il perdra sa main en étant statique aussi longtemps ? Son cœur était calme au début de l’interrogatoire, plus vraiment depuis plusieurs minutes. Le tortionnaire, de son accent, dont il est incapable d’en estimer l’origine semble perdre patience. Ou bien, peut-être que le jeu l’excite un peu trop. Qu’il y à quelque chose de plaisant, dans son sadisme. Quoi que ce soit, la violence a progressivement escaladée progressivement. Désormais, chaque question s’accompagne de plusieurs coups, savamment porté.
La réalité, c’est que Nour ne sait pas quoi lui dire, exactement. La mort de son père ne lui a jamais été communiquée dans des preuves fiables. Bien sûr, en grandissant, il s’est douté que la théorie du suicide est peu probable. Était-il un Supérieur ? Peut être. L’enfant qu’il était, ou l’adolescent par la suite, ne l’a jamais su. Il y à des choses qu’on ne dit pas, pas même à ses enfants. Si sa mère sait la vérité, elle est quelque part aux Etats-Unis, et il a coupé les ponts depuis tant d’années, qu’il ne pourrait même pas indiquer une adresse. Ce qui déplait fortement à l’homme à la voix grave. Le déplaisir de ne rien soutirer le frustre, l’énerve. Pour tout le reste, Newrose sait évidemment des choses, comme l’implication que peuvent avoir la famille Kelmheist.
Avant même de pouvoir répondre, Newrose reçoit une pluie de coups qui lui arrache un cri violent. Il commence à fatiguer, sa voix n’est plus vraiment la sienne. Des heures à supplier, il se sent épuisé. Dans un coin de sa tête, il se demande où est Sergius. Ce qu’il subit lui. Subit-il le même interrogatoire à côté ?
“Stop…stop…pitiez…stop.” La supplique n’est pas la première et pas la dernière. L’impatience de l’homme n’est qu’un jeu. Tout cela n’est qu’un jeu en réalité. Le seul but est de le faire craquer. Il l’aurait déjà fait des heures en arrière s’il avait pu donner la moindre information. N’importe qui se targuerait d’être un homme fort, capable de résister. C’est une autre paire de manche face à quelqu’un qui semble s’amuser à vous rouer de coups. Ou vous immerger dans de l’eau.
“Am spus-o ! Am spus-o ! Am spus-o…je ne sais rien. Ils m’ont rien dit. J’étais…. -un autre gémissement, un peu plus fort encore - je ne sais pas ce qu’ils veulent. J’sais rien sur mon père…”Inutile de déblatérer. Le tortionnaire a frappé assez fort pour que Newrose perde connaissance. Il s’est réveillé quelques minutes plus tard dans une cellule, humide et froide. Le mois de mars en Roumanie n’est pas tendre en température. Un autre homme était assis sur le sol. Plus mal en point que moi. Il semblerait qu’un de ses bras soit couvert de sang, en y regardant de plus près, les blessures n’étaient pas si belles. Pas de blessures mortelles, assez pour faire mal. En le rencontrant, Newrose ignorait que c’est grâce à cet homme qu’il est probablement encore en vie. Que grâce à lui, ils saisiront l’opportunité de s’enfuir, une semaine plus tard.
Probablement que cet homme avait plus d’informations que lui. Il est sans doute revenu sur les lieux, quelques semaines après pour se venger. Comment y est-il parvenu ? Comment a-til su qu’ils étaient ici ? Le lieu a brûlé, selon ses dires, les ravisseurs sont morts. Newrose ignorait même que grâce à cet homme, il a pu s’enfuir du pays, de faux papiers en main, sous le nom de Nour, désormais. En observant cette épave au sol, il ignorait que son ami d’infortune serait la personne à lui sauver la vie et le sauver de l’emprise d’une famille en qui il avait confiance.