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Mar 28 Sep 2021 - 23:43
Fuir la foule ? Caitlyn n’en était pas réellement consciente, c’était surtout l’attention qu’elle fuyait, les regards posés sur elle, sur eux. Une timidité qui ne lui ressemblait pas, contrastait avec l’assurance dont elle avait pu faire preuve à l’automne à ce même piano, puis à l’auberge à Bodo. Timidité qu’elle ne s’expliquait pas, ne voulait pas s’expliquer, alors que les regards de Takuma se chargeaient d’une tendresse qu’elle ne voulait pas voir, que son cœur battait avec une force nouvelle qu’elle ne voulait pas entendre. Non, elle ne se rendait pas compte des changements qui s’opéraient en lui, des sentiments qui naissaient là, comme incapable de voir entre eux autre chose que cette amitié en laquelle elle croyait si fort.

« Tu m’as convaincu d’en faire déjà ! Mais tu voudrais en plus me convaincre d’en acheter un ?! T’as des actions chez Yamaha, avoue !
- Pas du tout ! »

Le ton outré, l’air vexé, le dos droit et le menton haut, feignant d’avoir été piquée au vif après qu’il se soit penché vers elle, taquin. Elle ne résista pas longtemps au sourire qui ne demandait qu’à étirer ses lèvres et coller des étoiles dans ses yeux, le bouscula doucement d’un coup d’épaule en biais.

« C’est ça ouais, fais comme si t’avais entendu aucune fausse note de ma part. »

Elle se contenta de lever les yeux au ciel. Comme s’il n’avait entendu aucune fausse note de la sienne ! Si Caitlyn avait une sensibilité indéniable pour la musique, ce n’était rien face au talent qu’elle sentait chez Takuma. Ses prouesses étaient le résultat d’un travail assidu et par conséquent bien moins impressionnantes que celles du nippon, quand bien même il avait fait davantage de fausses notes qu’elle cette fois-ci. Clairement, il restait convaincu que le piano n’était pas son instrument de prédilection, et ce n’était pas en une demi-journée qu’elle allait effacer des années de rancœur et de résistance passive…

« Plus sérieusement, ça faisait des années que j’avais pas touché le moindre instrument. J’suis content d’avoir fait ça avec toi. »

Son sourire s’adoucit, reflet du sien.

« Moi aussi. »

Et elle le prit dans ses bras, comme ça, spontanément. Une façon d’exprimer sa joie plus qu’autre chose, en réalité. De consolider ce nouveau vécu commun, aussi. Une étreinte assez rapide mais pas trop, et alors qu’ils se remettaient en chemin, elle sut que Takuma avait compris.

« .. avoue tu l’as fait exprès ? »

Plus loin dans la rue, l’enseigne en bronze d’un luthier se détachait de la façade. Caitlyn s’était efforcée de ne rien laisser paraitre en cherchant ni en trouvant l’endroit. Elle n’y était jamais rentrée mais était souvent passée devant quand elle habitait chez Rafael et Casey l’été dernier et qu’elle passait ses journées entre les parcs et les bibliothèques.

« Pas du tout ! »

Cette fois-ci, elle ne parvint pas et ne chercha même pas à cacher son sourire jubilant. Ils arrivèrent à la hauteur du magasin, s’arrêtèrent quelques instants devant la vitrine à contempler les différents instruments exposés là.

« J’te préviens la dernière fois que j’suis rentrée dans un magasin dans le genre c’était avec mon père pour acheter un violon, autant dire que ça remonte. »

C’était… pas exactement ça qu’elle voulait dire, initialement. C’était sorti tout seul, et le pincement de cœur ne vint qu’une fois qu’elle se fut rendue compte de ce qu’elle avait dit, des souvenirs qui étaient remontés malgré elle. Elle n’en montra rien, et déjà la voilà une main sur la poignée, poussant la porte et déclenchant la cloche fixée au-dessus.

« Bonjour. On cherche un violon, je sais pas si ce serait possible d’en essayer ? »

Quelques échanges plus tard, et ils se retrouvaient dans un coin de la boutique, entourés de plusieurs étuis ouverts contenant des violons neufs ou d’occasion, le vendeur parti s’occuper d’un autre client arrivé après eux. Elle saisit celui qu’il lui avait proposé en premier, prit l’archet dans son autre main, se laissa quelques secondes pour s’imprégner de la sensation de tenir l’instrument entre ses doigts.

Et puis elle le plaça sons son menton, tenta une première note, grave, ronde, en apprécia le timbre, la justesse, la prolongea, cherchant Takuma des yeux avant comme pour y trouver la force, l’impulsion, le courage pour enchaîner. Un échange de regards, une fraction de seconde, assez pour confirmer que toute son attention était tournée vers elle, qu’il serait déçu si elle se dégonflait.

Alors elle se lança, se souvenant d’un morceau qu’elle avait travaillé pendant des semaines, des mois sans doute, ses doigts courant sur les cordes sans difficulté, l’archet léger mais ferme, comme si elle n’avait jamais arrêté. Comme si c’était facile, une deuxième langue maternelle. Et ce sentiment de plénitude, presque de soulagement, comme si elle venait de combler un manque, un vide en elle.
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Caitlyn Louise Twain
Ptite tête boule de poils
Caitlyn Louise Twain
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Caitlyn Louise Twain
Dim 3 Oct 2021 - 3:34
« Moi aussi. »

Son sourire s’était adouci, reflet du sien, se posant sur son regard d’ébène dans un moment suspendu. Heureuse d’avoir partagé ça avec lui, oui. D’avoir pris le temps de se découvrir à travers quelques notes de musiques, de tisser une passion commune entre eux. Etrange quand il ne lui semblait pas, quelques mois plus tôt, qu’il s’agissait de quelque chose qui compta vraiment dans sa vie. Qu’importe, la question s’effaçait quand elle le rejoignait, l’enlaçant soudainement dans une spontanéité qui le prenait de court, le laissant un instant con, les bras ballants avant de les resserrer autour d’elle, un peu hésitant. Il avait déjà passé un bras autour d’elle pour l’embrasser en se retrouvant après un moment, juste pour se saluer. Mais étrangement en cet instant, l’idée de leurs corps reliés traçait son chemin avant de s’esquiver alors qu’elle le relâchait, sans se départir de son aisance.

Un petit sourire sur ses lèvres et il passait à autre chose aussi, reprenant sa marche sans plus y songer que ça, profitant seulement du moment et non des questions qu’il pourrait soulever. Pas le moment, pas le lieu, aucune pertinence. Pas envie, surtout, de le gâcher avec des questions existentielles. Alors il avançait … et s’arrêtait en distinguant l’enseigne d’un luthier.

« .. avoue tu l’as fait exprès ? »
« Pas du tout ! »
« Dit-elle d’un ton outré sans pouvoir contenir son sourire jubilatoire… » Répondait-il avec un petit sourire au coin des lèvres. « Ok mais si je me retrouves à gérer des groupies dans deux semaines je t’en tiendrais personnellement responsable ! »

Et bientôt, ils rejoignaient la petite boutique. Incluse dans les bâtisses typiquement londoniennes, elle exposait à travers ses fenêtres aux teintes sépia bien des instruments. Petit artisan, on devinait aisément que l’homme travaillait seul, développant son art sur différentes créations. Une boutique à taille humaine se devinait là.

« J’te préviens la dernière fois que j’suis rentrée dans un magasin dans le genre c’était avec mon père pour acheter un violon, autant dire que ça remonte. »

Takuma posait un regard sur elle, détachant les yeux des merveilles qui attendaient là qu’on pose la main sur elles. Pour l’heure, une autre attendait son attention. Celle qui venait de lâcher sans y prendre garde une part de son enfance, de ces blessures dont elle ne se remettrait sans doute jamais vraiment. Une part de son histoire qu’elle ne révélait pas en temps normal et qui constituait un morceau du puzzle de son existence. Une confidence lâché avec confiance sur une passion partagée entre père et fille, sans doute. Un moment important, dans tous les cas.

« Il en faisait ? »

C’était tout ce qu’il s’autorisait à demander, posant sur elle un regard doux, conscient de l’importance de l’instant sans pour autant le charger de lourdeur. Ça n’avait pas à l’être, bien au contraire. Il devait y avoir dans les souvenirs partagés des trésors à chérir et non des moments à regretter. S’ils existaient encore, c’était à travers elle, ces odeurs qu’elle gardait toujours au creux de ses poumons, ces touchers fugaces, ces baisers quotidiens qu’elle faisait vivre à son tour. Par l’attention qu’elle portait aux autres, par la folie de ses passions, la fureur de ses émotions, la force de ses valeurs ou le naturel de ses rires. Rien de lourd à aimer un être disparu, juste un quotidien remplis de la beauté du passé.

La voilà déjà partie pour entrer dans la boutique avec la vitesse de l’eau vive qui s’échoue dans les rochers. Sans mot dire, Takuma suivait, se laissant imprégner de l’odeur de bois et de cire qui flottait là. L’atmosphère était comme dans ses souvenirs, chargée de sciure, l’atelier de l’artisan étant la part majoritaire de la boutique. L’homme s’arrêtait d’ailleurs en les voyant arriver, cessant de poncer l’instrument sur lequel il travaillait.

« Bonjour. On cherche un violon, je sais pas si ce serait possible d’en essayer ? »

L’eau vive, toujours.

Etrangement pour Takuma, lui qui était toujours survolté s’était toujours apaisé dans ces lieux. Il s’imprégnait de cette atmosphère sèche que les odeurs de produits adoucissait malgré les petites particules flottant dans l’air. S’il y avait effusion d’instruments, la boutique semblait pourtant petite, laissant place à une sorte de cocon de passion quand d’autres boutiques d’instruments… n’étaient que ça. Là pas d’alignements d’instruments comme s’il s’agissait d’un magasin de chaussure. Non, les lieux étaient à échelle humaine, chaque création emprunte de toute l’attention de son créateur. C’était bien là ce qui marquait le garçon. Ça n’était pas de la sciure qui flottait dans l’air, c’était de l’art. Comme une ambiance concentrée, studieuse tout en sortant du cadre. Quelque chose qui vous prenait aux trippes même sans comprendre la relation particulière d’un luthier avec ses œuvres. D’une manière première, l’homme était apte à reconnaître les bois, à entendre les sons qui n’existaient pas encore. Il savait façonner pour donner un corps puis une âme à un instrument qui s chargerait ensuite de celle des musiciens qui le feraient chanter.

L’homme saluait avec un calme joyeux les deux jeunes gens, répondant posément à la demande, interrogeant les besoins, les compétences, le passé de celle qui voulait essayer l’une de ses créations. Un instant, suivant le mouvement et déconnectant légèrement de la conversation, Takuma pensait à ce Stradivarius dont l’histoire était contée dans ce film, le violon rouge. L’instrument qui traversait les âges et les guerres, des mains d’un père à celles d’inconnus, arraché pour le son exceptionnel qu’il émettait, chargé, surtout, de l’Histoire qu’il traversait, témoins de la folie des Hommes.

Il suivait, descendait trois petites marches avec Caitlyn pour s’isoler dans un coin de la boutique tandis que l’homme les abandonnait, appelé par un client qui semblait plus proche de l’ami que de l’acheteur. Sans vraiment y songer, Takuma laissait couler son regard sur le bois, les cordes et les archers tout autour de lui, ses prunelles appelant les guitares du regard, allumant dans ses veines un feu éteint depuis des années. Mais il y avait Caitlyn et son violon. Lyn qui voulait lui montrer le sien, son amour de la musique, ses aptitudes de nouveau, peut être. Partager ce moment avec lui une nouvelle fois. Parler un langage qui ne nécessitait pas de mots et se transmettait sans craindre les frontières. Arrachant son regard aux guitares qui semblaient l’appeler, Takuma se forçait à raccrocher au moment présent, à poser l’esprit sur elle, sur cet attachement évident à l’instrument qui reposait sous ses doigts.

Ce moment, c’était celui qu’elle avait partagé avec son père des années auparavant. Un pan de son histoire, une part d’elle. Alors en s’asseyant sur une marche, lui adressant un petit sourire et posant sur elle un regard qui voyait au-delà d’une femme et un violon, Takuma l’observait caresser l’archet pour en extraire la première note. Une part d’enfance, une invitation dans ses souvenirs, dans cette vie qu’elle n’évoquait pas, un appel aux sens que le simple terme « musique » dépassait largement. Alors les notes accrochaient les souffles et virevoltaient dans l’air, glissant sur ses traits concentrés, ondulant le long de ses lèvres pincées pour souffler dans la boutique la joie d’une mélodie aux accents des années écoulées. Oubliant un instant ses propres manques, ses envies égoïstes, Takuma ne faisait que s’emplir de cette évidence qui découlait des sons emportés. Il y avait tant de finesse dans ces notes qu’une part de lui ressentait cette sensation pure qui se dégageait de la jeune femme, s’emplissait d’évidence, comme si elle comblait finalement une part d’elle-même. Qu’elle partageait avec lui. Et si son corps lui-même se chargeait de fourmillements d’impatience, le reste de son être se tournait vers elle pour partager ce moment qui n’appartenait qu’à elle et dans lequel elle l’invitait à présent. Que racontait-elle par ces notes fluides ? Il n’aurait su le dire, n’aurait pas eu la prétention ni la suffisance de penser qu’il pourrait décrypter ce qui passait dans les sons légers du violon. Takuma se contentait d’être simplement heureux d’être là pour entendre ce qu’elle ne partageait, en cet instant, qu’avec lui. Le don d’une époque.
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Takuma Ishida Hayato
Génie de supérette
Takuma Ishida Hayato
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Takuma Ishida Hayato
Jeu 28 Oct 2021 - 7:02
« Il en faisait ?
- Non, même pas ! »

Un haussement d’épaules, un sourire amusé à l’idée d’avoir été encouragée à faire de la musique alors même qu’aucun de ses parents n’en faisait, et déjà Caitlyn poussait la porte du magasin et se voyait assaillie par les odeurs de bois et de cire. Aucune hésitation, aucun mouvement de recul, ces fragrances avaient quelque chose de familier, de naturel, bien plus que celles des pots d’échappement ou même des cuisines, elle se sentit même se détendre imperceptiblement, et bientôt la voilà un violon sous l’angle de la mandibule, un archet dans la main, ses doigts prenant leurs marques sur les cordes de l’instrument.

Et Takuma, assis sur une marche d’escalier, face à elle, son attention tournée vers elle alors qu’elle s’installait sur un escabeau, se fondait avec la mélodie qui émanait du morceau de bois, les paupières à moitié fermées, les lèvres pincées, le cœur ouvert malgré son dos arrondi, ses jambes repliées. Les notes s’enchaînaient, reliées les unes aux autres, emplissant la boutique comme le cœur d’une cloche en emplissait le corps. Caitlyn sentait le sien prêt à exploser, de bonheur, de plénitude. Se laissait porter au gré des nuances, des phrasés, emporter dans cet espace hors du temps, uniquement accessible par la musique.

Et puis elle sentit la cadence finale se dessiner devant elle, l’amena, savoura les dernières notes, laissant son annuaire caresser la corde pendant quelques instants après que son archet l’ait quittée, avant d’ôter l’instrument de sous sa mâchoire, le poser sur ses jambes et laisser ses épaules s’affaisser légèrement, le regard dans le vague l’espace d’une seconde ou deux. La musique était pour elle comme un monde parallèle, une dimension dénuée de tout ce qui emplissait celle dans laquelle elle vivait, comme vide en réalité, légère et pesante à la fois, où elle ne pensait à rien d’autre, à personne d’autre. Aucun regret à la quitter, pourtant, et à revenir dans l’instant présent.

Un regard rapide vers Takuma, comme pour vérifier qu’il était toujours là, et elle se leva de son escabeau, rangea rapidement l’instrument dans son étui, le fixa, et le laissa là, ouvert, à la vue du vendeur quand il reviendrait, puis se dirigea vers ses cousines, acoustiques, électriques, hybrides, exposées dans la vitrine et sur plusieurs rangées dans la partie avant de la boutique. Elle attendit qu’il la rejoigne, si calme et posé par rapport à d’habitude, comme intimidé par les lieux, l’ambiance qui y régnait.

« À toi ? »

Elle ne le forcerait pas, du moins pas plus qu’elle ne le faisait déjà. L’encouragerait tout au plus, le soutiendrait si elle le voyait hésiter, indécis. Gêné peut-être, paradoxalement à cette manie qu’il avait depuis toujours que de faire ce qu’il voulait, ce qu’il aimait, au nez et à la barbe de ses parents, de ses professeurs. C'était autre chose, que de devoir se montrer devant des personnes à qui on tenait.
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Caitlyn Louise Twain
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Caitlyn Louise Twain
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Caitlyn Louise Twain
Sam 30 Oct 2021 - 20:15


La musique l’appelait. Le jeune homme n’aurait pas pu avoir d’autres définitions de ce qui cramait dans ses veines à ce moment-là. Le violon n’y était pour rien pourtant. Pas son instrument, pas ce qui lui parlait avec tant de virulence. Mais les notes. Celles qu’elle injectait directement dans l’air, ondes sublimes qui venaient courir sur son épiderme pour glisser doucement en lui et éveiller quelque chose qu’il avait pensé perdu.

J’ai fait le tour, c’est tout.

J’ai fait le tour. Cette sensation, il l’avait réellement éprouvée. Comme s’il avait simplement flambé ce sujet comme n’importe quel autre, s’en était remplis, l’avait usé jusqu’à la corde pour finalement le lâcher lorsqu’il n’en aurait plus rien à apprendre. Plus rien à prouver. Mais si la musique avait été d’antan une histoire de contraintes, elle était rapidement devenue un récit de liberté. Un conte d’émancipation, de réalisation. S’il était monté, Takuma avait eu l’impression de n’être que la représentation qu’on attendait de lui, placé là parce qu’il avait la gueule, l’audace et le talent. Mais l’histoire allait bien au-delà de ça. Au-delà des idées que lui-même se faisait de cette période de sa vie. Au-delà de sa propre vision affreusement réductrice de ses propres expériences, il y avait eu un parcours contre la drogue. Se plonger dans un univers où tout allait trop vite, trop fort, trop intensément pour lui c’était aussi s’échapper de ce monde qui l’appelait sans cesse dans les abysses de ses veines envieuses. Il n’y avait rien d’étonnant dès lors que l’envie revienne avec le manque. L’appel était là, résonnait dans chaque alvéole de ses poumons. Il naissait dans chaque inflexion, chaque mouvement de l’archer, prenait sa source au sein de ce qu’elle, elle décidait de raconter à l’instant à travers chacune de ces notes. Et ça battait à ses tempes, ça lui donnait l’envie de se noyer dans ce moment, de se nourrir de ces notes, de boire ces sourires qui se dessinaient parfois presqu’à l’encontre de sa concentration. Plongée dans sa bulle, elle l’y invitait sans s’en rendre compte et la douceur se peignait sur ses traits fins sur lesquels il se perdait un instant alors qu’elle touchait de nouveau terre.

Le silence s’installait, lui en rappelant un autre alors qu’il accrochait son regard un instant, celui qui quelques semaines plus tôt les avait lié dans un autre monde avant de s’évanouir à présent. L’existence de Jakob ? La récurrence du manque dans ses veines ? Oh, il ne les oubliait pas, bien sûr. Le jeune homme se disait simplement qu’un jour, ils perdraient la partie face à ces lucioles qui brillaient en silence dans les prunelles de la jeune femme.

Celle-ci laissait retomber l’instrument le long de son corps, laissant se prolonger l’instant encore quelques secondes, comme si les notes résonnaient encore quelque part dans le silence. Et pour être honnête, s’il tendait l’oreille un instant, Takuma les entendait aussi. Et puis elle se redressait, rangeait l’instrument et se dirigeait jusqu’aux guitares tandis que lui, restait encore un instant sur sa marche. Etrange non ? Alors qu’elle prenait le violon, lui n’y ressentait qu’une frustration ultime d’être là sans se précipiter vers les autres cordes qui l’appelaient tant… à présent la situation s’inversait très étrangement. Comme une hésitation dans son âme, une sorte de recul réflexe, une gêne étrange. Un instant, l’avant bras sur son genou, il la suivie du regard avant de se décider à se lever, la rejoignant sans un mot. Etonnante, oui, cette posture presque timide, respectueuse. Takuma était plus déférent et humble ici que dans un temple Shinto. Il se déplaçait en douceur, rejoignait les guitares, circulait entre elles sans rien dire, ses doigts glissant par moment sur le bois des instruments, le métal des cordes, l’aluminium des clefs.

« À toi ? »

La question glissait sur son épiderme comme les notes un peu plus tôt, presque lointaine. Ailleurs. Mais ça n’était pas elle qui l’était mais lui. Le luthier s’adressa à eux sans qu’il n’y prête attention. Déjà dans son monde. Cette bulle, elle n’avait rien à voir avec l’idée de faire du piano ou du violon, il n’avait pas la même relation avec ces instruments-là. Ceux là n’étaient pas une bouée de sauvetage, une extension de lui-même. De nouveaux souvenirs s’y raccrochaient à présent, une nouvelle lumière pour en éclairer l’existence.
En douceur, d’une main ferme, comme on prendrait une relique, le jeune homme détachait et soulevait l’un des instruments présentés, s’asseyant bientôt sur un petit tabouret en bois. Pas de regards, pas de façon de s’assurer que d’autres étaient là, de soutien à chercher cette fois. Rien que lui et sa bulle, lui et cette chose dans laquelle il n’avait pas fondu depuis des années. Jamais Takuma n’aurait imaginé en être ému, et pourtant c’était le cas.
Lorsque ses doigts virent effleurer les codes de métal, le son se mit à déferler dans ses os avant même que ses oreilles ne le réalisent. Une vague d’or dans la chaire, une bourrasque dans les poumons et il cessa simplement de résister. Comme le papillon vers la flamme, l’addict rejoignait les rives d’une passion dévorante. La mélodie prit place sans qu’il ne la recherche, comme une évidence trop souvent réprimée. Inscrite dans son âme, elle glissait jusqu’au temps présent, emplissait l’espace, remplissait les creux. D’abord douce, elle se chargeait de mélancolie, dilapidait les cendres des erreurs passées et grimpait de notes en notes pour gonfler dans l’atmosphère, tendre les muscles, emplir les poumons. Sans y prendre gare, l’harmonie perdait son sérieux, s’écoulait différemment, comme le torrent d’une rivière qui au cours d’un méandre se met à prendre de la vitesse, s’agite soudain contre les galets. L’eau bouillonne alors, se charge d’oxygène, claque dans l’air. Voilà comme les notes pulsaient à présent, ses doigts retrouvant leur cadence d’antan, jouant sur le bois autant que les cordes quand son talon se mêlait à la danse, le tout dans un jeu survolté. Ah qu’elle était vive la mélodie, qu’elle virevoltait, joyeuse. Puissante, l’eau vive, toute chargée d’assurance qu’elle était, s’écrasant contre les murs où elle rebondissait pour voleter ailleurs, emporter les âmes dans cette valse endiablée contre l’adversité. Il y avait dans ces notes un semblant de magie.

Celle qui réside en chacun quand enfin, on relève le regard,
Et on décide de vivre.

Le corps en mouvement dans ce rythme qui lui sortait directement des trippes, les doigts devenus fous claquant avec une précision qui le surprenait lui-même sur ces cordes qui à l’instant, devenaient une véritable partie de lui-même. Pas à pas, l’improvisation devenait plus précise, plus vivre, plus rigoureuse même dans les tons qu’elle prenait jusqu’à se stabiliser sur une musique qui prit naissance jusque dans sa gorge, sa voix se mêlant pour la première fois au son de la guitare depuis ce qui lui semblait être une décennie.

Imagine nothing in the morning light
If the world ended we had one last night
So every man has danced through history
Around the fires from the clouds to seas
And in our life we have an instinct for us
To move, to move, to move
If you come with me don't fall behind
With the horizon in sight
Just imagine let go of your mind
Like we're on the edge of light


Le visage barré d’un sourire, il lui sembla que quelque chose claquait en lui, se réalignait comme un mécanisme mal enclenché qui cédait enfin ou une articulation qui s’emboitait de nouveau. D’une certaine façon, c’était sa vie qui se remettait dans le bon axe, paré des bonnes armes, soutenu par les bonnes personnes.

A présent, son monde pourrait retrouver le moyen de tourner comme il le devait.

Lorsqu’enfin, les notes se tarissaient, le son vibrant un instant encore autour de lui, il plantait sans le chercher son regard dans les prunelles d’azur de celle qui n’avait pas bougé.
Ce sourire là, sur ses lèvres, chargé d’une force brute, d’une joie vive, n’était pas truqué.  

Sa bulle explosait dans sa réalité, le passé pour rencontrer le présent et qu’enfin, tout trouve son sens.
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Takuma Ishida Hayato
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Takuma Ishida Hayato
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Takuma Ishida Hayato
Jeu 23 Déc 2021 - 15:24
Un monde parallèle, oui. Une infinité de mondes parallèles en vérité, différents, uniques, et si Caitlyn regagnait la réalité, Takuma s’en détachait à son tour pour rejoindre le sien. Elle l’observait évoluer dans la boutique d’un pas mesuré, les yeux dans le vague et le corps entier dégageant ni plus ni moins qu’un profond respect. Et son regard de se remplir de tendresse en le voyant presque ému, touché par l’immensité de l’univers qui s’offrait à lui, à portée de mains, littéralement.

Était-ce pour ça qu’elle agissait avec autant d’assurance ? C’était bien son genre, que de prendre sur elle, de s’adapter aux exigences de chaque situation. Il suffisait de trouver plus timide qu’elle et elle devenait audacieuse, plus effrayé qu’elle et elle devenait téméraire, plus triste et elle devenait optimiste. S’oubliant, inconsciemment, instinctivement. Oui, c’était son genre. C’était sa manière d’être. Et pas une seule fois elle ne l’avait regretté. Pas une seule fois elle n’en avait tiré autre chose qu’un plaisir sincère, celui d’avoir pu encourager, rassurer, protéger, réconforter l’autre. Et, alors qu’elle assumait la discussion avec le maitre des lieux, Takuma évoluait entre les instruments avec une infinie lenteur, les détaillait, les humait, les effleurait du bout de ses doigts, les caressait du plat de sa main, comme attendant que l’envie soit à son paroxysme pour y céder enfin, s’y abandonner.

Le premier accord fit vibrer l’air autour d’eux et le temps s’arrêta. Tous ses sens à nouveau tournés vers lui, Caitlyn pouvait voir la mélodie couler dans ses veines et les embraser, sentir la musique émaner de lui, irradier à travers sa peau bardée d’encre. Ses doigts courant sur les cordes, tapant sur le bois, les notes s’enchaînaient à une vitesse folle, inarrêtables, et bientôt il joignait la voix aux sons, son corps entier chantant avec puissance. Alors elle comprit. Comprit le lien qui l’unissait à la musique, loin du simple talent, loin du simple génie, bel et bien une passion, un besoin vital finalement. Sentit le déclic, comme un mécanisme qui s’enclenche enfin après avoir été à l’arrêt pendant ce qui semblait une éternité. Vit l’étincelle s’allumer à nouveau dans la nuit de ses yeux, devenir flamme puis feu, en lui, à l’intérieur de sa poitrine, dans le creux de son ventre. Le vit revivre, vivre tout simplement, et resta les yeux rivés sur lui encore plusieurs longues secondes après que les dernières notes se soient envolées, le cœur tambourinant dans sa poitrine et le souffle coupé, l’estomac noué.

Elle le laissa plonger son regard dans le sien, aussi longtemps et profondément qu’il le voulait, sans chercher à en faire de même, comme refusant de se perde dans ses yeux alors qu’il y avait tant d’autres choses à voir. Son sourire radieux, plus heureux que jamais. Son pouls à sa gorge, à ses tempes, rapide et puissant, chargé de pur bonheur et comme de soulagement. Ses muscles fébriles, frémissant d’impatience sous sa peau.

Et puis elle réduisit la distance qui la séparait de lui et le prit dans ses bras, le serra contre elle, incapable d’exprimer autrement ce qu’elle ressentait, de verbaliser les émotions qui se bousculaient en elle. Emerveillement, stupéfaction, tendresse, admiration. Joie, surtout, que de le voir ainsi épanoui, entier. Se détachant de lui, elle planta finalement à son tour ses yeux dans les siens, s’y perdit un instant, puis eut un sourire amusé, secoua la tête.

« Tu vas encore m’accuser d’avoir des actions chez Yamaha si j’te dis que tu dois acheter une guitare ? »
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Caitlyn Louise Twain
Lun 27 Déc 2021 - 20:25
La musique s’écrasait droit dans ses veines dans une force qu’il n’avait pas prévue. L’ensemble résonnait, pulsait, griffait l’intérieur de son organisme jusqu’à prendre toute la place. Peu à peu ça le noyait, l’emplissait jusqu’à pousser les parois de ses poumons comme une énergie brusque et dévastatrice qui le comblait de nouveau. Une évidence qu’il avait oubliée pendant trop longtemps. Comme si son corps se trouvait de nouveau entier, armé, solide, comme s’il retrouvait la surface et qu’il apprenait de nouveau qu’il avait passé des années sans véritablement savoir respirer. Ce truc, il l’avait dans le sang, c’était certain, ça rugissait dans ses veines et claquait dans sa gorge au rythme de ses doigts. Ça s’envolait dans l’air et percutait les murs, emplissait la salle et distillait dans les corps quelque chose d’aussi vif que l’eau fraiche. Ce truc qui lui avait permis de survivre, d’avancer, de trouver une voie et d’y trouver de l’intérêt. La première fois qu’il trouvait dans autre chose que l’humain quelque chose de vrai, de violent même tant ça le prenait aux trippes.

’Et t’as appris seul ?’
‘Plus ou moins oui. Avec un ami pendant un temps.’


Il revoyait le visage noué du producteur, le petit sourire de vainqueur du chasseur de tête une demi-fesse sur son bureau, le regard vers lui, tourné de trois quarts.
Il revoyait ce quelque chose de piquant dans le regard de son ex ou les premières personnes à se presser quand les notes vibraient dans l’air. Mais rien de tout ça n’avait vraiment d’importance quand il sentait la liberté lui brûler les veines, soulager son manque et griser son organisme. Pas d’importance quand il posait le regard dans les yeux de Caitlyn sans véritablement savoir ce qu’il y trouvait. Qu’importe, cet éclat faisait un bien fou. Alors rien n’existait, aussi bêtement que ça. Plus d’addiction, plus de manque ou d’abandon, juste cette joie pure qui crachait en lui et ondulait sous son épiderme. Plus rien que l’éclat de ce regard pour l’éclairer un peu plus, la mettre en lumière et en souligner les contours. Rien qu’un instant parfait qui se passait de paroles et le ramenait très exactement à sa juste place. Enflammé par la musique et apaisé par ses bras.

Sans doute y avait-il là des messages qu’il ne parvenait pas à saisir et après tout qu’importe, il lui suffisait de vivre ce moment avec elle, de profiter des milles couleurs qu’il lui livrait, de nouer dans ses bras quelque chose de vrai et de brut que la poussière de la crasse ne pouvait atteindre. Un instant, il la retenait même, écrasant un souffle de satisfaction contre son épaule, profitant seulement de cette joie simple qui émanait du moment. Comment avait-il passé tant de temps sans toucher un instrument ? Sans déconnecter du monde présent, percer les cieux et juste se fondre dans cette transe exquise qui émanait de la musique ? Ces questions restaient quelque part dans le fond de son âme sans véritablement la percer. Non, il ne restait en lui que ce soulagement intense de retrouver un monde connu, plus coloré où tout lui semblait soudainement possible. Comme si de quelques notes, il échappait à l’emprise de son passé. Et d’un corps pressé contre le sien, c’est au présent qu’il s’arrimait de nouveau.

Et si Caitlyn se détachait finalement de lui, c’était pour y planter ses prunelles d’eau, ne le quittant pas tout à fait, le perçant à vrai dire d’une certaine tendresse qu’il n’attendait pas.

« Tu vas encore m’accuser d’avoir des actions chez Yamaha si j’te dis que tu dois acheter une guitare ? »

Son rire glissait dans sa gorge comme prêt à enlacer le sien, s’y mêlant sans retenue un instant.

« Ouais ! » Evidemment !

Et évidemment, il achèterait une guitare, ne captant que bien plus tard le regard du luthier qui restait naturellement de côté, comprenant que ce moment appartenait à ceux qu’il n’était pas certain de définir comme deux amis en balade.

Ce fut donc avec la sensation familière d’un étui sur l’épaule que Takuma retrouvait le soleil perçant timidement les nuages de cette journée de mai. Et sans vraiment calculer ce geste, il attrapait son amie à sa droite par la hanche, l’attirait un instant contre lui pour claquer un baiser sur sa joue.

« Merci. »

Derrière la vitrine, le luthier de nouveau absorbé par son travail esquissait un petit sourire sur ses lèvres minces.
Ils sont beaux ces amours de jeunesses qui s'ignorent encore, se disait-il en silence, de la fibre de verre à la main, réajustant ses lunettes sur son nez avant de se pencher sur son ouvrage, la cloche de la boutique résonnant encore un instant à ses oreilles.

– Fini pour moi –
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Takuma Ishida Hayato
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