[SUJET COMMUN] Spinning Infinity, Boy

Il avait en premier lieu reçut la lettre de Connor qui lui annonçait en quelque sorte la mort d’Elias. Ce n’était bien sûr pas dit en ces termes, mais il avait bien compris derrière les nombreux sous-entendus et formules de style, codes qu’ils avaient entre eux ce que ça signifiait, et il pouvait sentir facilement que son cousin ne le vivait pas forcément bien. Il n’avait pas les circonstances exactes. D’une certaine manière, il ne voulait pas les savoir. Il ne voulait pas cette foutue confirmation que ce qu’avait pu faire le plus jeune, mais quelque chose clochait clairement sans qu’il ne puisse savoir qui exactement. Connor ne lui en parlerait jamais de toute manière que ce soit par écrit ou même en face à face, même si pour le face à face s’il avait eu assez de temps, de patience et compagnie  il aurait pu réussir à en tirer  quelque chose... mais du temps ce n'est pas ce qu'il avait.

Les jours passaient, sa conscience lui disait d’essayer de trouver et Keza et Caitlyn pour leur annoncer le triste sort de l’ex préfet mais il ne pouvait décemment pas envoyer une lettre pour leur dire ça. Et le temps lui manquait clairement, le boulot l’accaparait la plupart du temps, lorsqu’il en sortait, il cherchait encore et toujours une maison où vivre avec Mily, cela ajouté aux fêtes de Noël qui arrivaient c’était assez compliqué. Il était exténué. Par ailleurs, il n’était pas certain que ce soit le moment d’annoncer une telle nouvelle à Keza, il ne voulait pas la faire s’effondrer alors qu’elle avait juste besoin de se reconstruire… Quant à Caitlyn, vu comme elle semblait aller il y a quelques semaines, il ne savait pas trop ni comment la retrouver ni comment lui dire. Les laisser dans l’ignorance n’était pas une bonne chose, il le savait bien, mais les jours passaient, il n’avait toujours aucune idée de comment faire. Mais il y arriverait, il essayerait, après Noël.

***

Et puis, lors d’une conversation avec un des jumeaux Lorence, il avait appris ce qui allait se tenir en la mémoire d’Elias en ce dimanche 3 janvier. Il hésita longuement,  est-ce qu’il devait y aller ou pas ? Cela faisait des jours et des jours –pour ne pas dire des semaines-, qu’il n’avait pas pu vraiment sortir un peu trop surbooké par sa vie personnelle. Alors est-ce que c’était une bonne idée qu’il se déplace ? Est-ce que cela ne lui attirerait pas d’ennuis, ou n’en attirerait pas à d’autres personnes ? Pire, est-ce que sa venue ne serait pas mal perçue. Même s’il restait différent globalement que le reste de sa famille, il n’en restait pas moins un Tveit, Connor était son cousin, sa famille était des pro-Supérieurs. Sans compter Arranz,  -peut-être ?- même s’il ne savait pas le rôle qu’elle avait là-dedans.  Il n’avait pas sa place là-bas, probablement pas, surtout qu’il n’était pas spécialement proche d’Elias.  Il voulait probablement surtout vérifier que Caitlyn et Kezabel n’allaient pas trop mal. Ou pas. Il n’en savait rien. C’était un peu confus dans sa tête. Il ne comprenait pas comment Fletcher avait pu être tué. Ce n’était pas comme s’il était un danger…. C’était un peu comme tuer un chaton inoffensif parmi une meute de loup. Fletch n’était pas un danger. Et de ce qu’il savait – avait compris à demi-mots-, le sort n’était pas quelque chose de perdu. Et cela le rendait malade de se sentir lié à cela, coupable, juste par ce que sa famille était d’une étroitesse d’esprit hors-norme.

Finalement, il s’était décidé à se rendre sur le lieu de la commémoration après avoir trouvé un énième mensonge à sortir à Mily, heureusement qu'il n'était pas Pinnochio, sinon sont nez serait actuellement plus que lon.  Mais pour l’instant, il préférait observer de loin ce qui se passait, qui il y avait. Il était toujours tiraillé par les mêmes dilemmes.  Il n’osait pas y aller, mais il n’avait pas non plus envie de partir. Il voulait la paix, une bonne fois pour toute, et c’est bien ce que Fletch’ ne cessait de prôner.

Le bouche à oreilles, voilà comment je l'ai su. On n'était pas tellement proches lui et moi, pas du tout même, et je me souviens parfaitement l'avoir malmené parfois. Parce que j'peux être un vrai p'tit con et qu'il était trop sérieux … Le choc des tempéraments, l'envie de secouer et défier l'autorité sans doute un peu, mais derrière tout ça un réel respect pour lui. C'était pas un mec que je connaissais très bien, dans le fond, mais je me retrouve là ce soir parce que sa mémoire mérite d'être honorée et ce par le plus de monde possible. Je ne suis pas en colère, triste oui mais avec la décence de ne pas en faire trop. Je reste dans mon coin, je pense aux discussions qu'on a pu avoir, je me remémore les bons moments parce qu'il y en a eu. Mec … T'en avais de la patience, tu le sais ça ?
Encore un innocent tombé, pour un combat auquel il n'a finalement jamais voulu prendre part. Un dommage collatéral ? Je trouve ça nul comme appellation, c'était un putain d'être humain a qui on a arraché la vie salement et bien trop tôt.
Je pense aussi au trou béant qu'il va laisser dans le cœur de certaines personnes, Caitlyn en tête de liste mais pas seulement. Elijah est là, en larmes, je le sais parce que j'ai encore une trace d'humidité sur mon manteau au niveau du torse – là où elle a posé ses yeux quand elle est venue me dire bonjour et qu'elle n'a pas réussi à s'empêcher de pleurer. Alors je l'ai prise dans mes bras le temps que ça se calme et j'ai rien dit, une pensée pour Charleen au passage. Tout ça, c'est beaucoup à encaisser pour elle. Pour d'autres encore.
Yassen, Megan, eux aussi traversent mes pensées. Il y en a eu d'autres, la liste s'allonge et ne semble pas vouloir s'arrêter.

Silencieux, assis sur le rebord du toit une bière à la main, j'arrive pas à savoir si je réfléchis ou bien si mon esprit est vide. J'observe les autres, leurs rires, leurs pleures, comme après un enterrement. D'après ce que j'ai compris son corps n'a même pas été rendu à sa famille. Ça aurait pu être le cas de Kim, celui de Kezabel … Mon poing se serre, je ferme les yeux puis regarde le ciel. Pas d'étoiles, trop de lumière pour ça en ville.
Il y a quelque chose de particulier dans cette ambiance, je ne sais pas si je crois à ce genre de conneries mais je me dis qu'Elias y est peut-être pour quelque chose. Indirectement, il l'est, de toute façon. Après tout c'est pour lui que tout le monde est réuni ici ce soir. Je le revois en train d'essayer de me prendre mon skate, surtout en train d'essayer de me faire entendre raison … Je le revois aussi tenter de me calmer, essayer de me faire entendre que la violence ne résout rien … Je crois qu'on avait même échangé nos expériences respectives par rapport à une fratrie un peu compliquée … Tout ça, ça remonte, mais enfin oui, clairement, patience aurait pu être son deuxième prénom. Ça me fait sourire et je décide de me laisser aller à ça, pas de place pour autre chose ce soir. Je me dis que c'est ce qu'il aurait voulu. Ce qu'ils auraient tous voulu.

J'espère que tu reposes en paix.

Mes yeux se perdaient sur le lac. Bouteille de vodka à la main, je pris une autre longue gorgée qui me brûla aussitôt l’œsophage. L’alcool me permettait de me tenir au chaud surtout à cette hauteur et me donnait aussi du courage. Comme toujours. Parce que j’étais un putain d’émotif qui ne savait plus comment gérer ce tas de sentiments qui ne faisaient que m’assaillir à tout moment du jour ou de la nuit.

J’avais dû me battre pour être ici. Je ne me souviens plus de la manière dont je l’ai appris, mais le choc a été douloureux. J’avais été foudroyé par l’incompréhension, la colère, la tristesse et encore toutes ces autres choses qu’on essaie généralement de ne pas ressentir. Lorsque j’avais appris pour cette soirée, j’avais dû faire des pieds et des mains à mon boulot avant que le patron n’accepte de me relâcher. Il avait fallu que Suzy se sacrifie pour prendre mon chiffre plutôt que de m’accompagner. Je n’avais pas eu envie de venir ici seul, mais ça avait été le seul moyen de faire acte de présence et j’avais absolument tenu à faire honneur à mon ami et camarade.
Tout ça n’avait aucune importance de toute manière.

Un autre Poufsouffle était tombé. La malédiction se poursuivait. Qui serait le prochain ? Est-ce que la vampire tiendrait parole et reviendrait me hanter pour me donner la mort véritable cette fois-ci ?
Tout ça n’a aucune importance.

Nouvelle gorgée de vodka.
Je grimace.

Elias. Il était un préfet infaillible. Une personne dotée d’une grande écoute et d’une grande force. Il avait toujours été présent pour les autres que ce soit pour des conseils ou simplement pour prêter main forte. Il était là pour remonter le moral, pour nous rassurer lorsque les choses se passaient mal avec les Supérieurs. Il avait toujours du temps et il était dévoué à la tâche. Je me souvenais de tous les moments que j’avais passés avec lui sans me douter que ce seraient en réalité les derniers. Si je me concentrais assez sur le lac que je ne voyais déjà plus, je parvenais presque à entendre son rire.

Ne pleure pas.
Vodka.

Comment était-il mort ? Je ne voulais pas le savoir. Son souvenir resterait longtemps dans nos cœurs et pour les Jaunes, il resterait une bonne figure. Il devenait l’emblème humain de notre équipe puisqu’il représentait toutes les qualités recherchées de cette maison.

Je levai ma bouteille dans les airs, prêtant ainsi hommage à lui, mais aussi à Charleen et Megan qui étaient tous partis trop tôt. Trois bonnes personnes qui n’avaient jamais rien demandé et qui avaient quitté cette Terre dans des conditions horrifiques et cruelles. Ils me manquaient tous à leur manière et ils seraient dans mon cœur à jamais.

J’abaissai la bouteille avant de la porter une nouvelle fois à mes lèvres. Cette fois-ci la gorgée fut plus longue que la précédente. Des millilitres de plus pour chacun d’entre eux. Qu’ils me donnent la force de continuer d’avancer dans ce foutu monde pourri.

Pourquoi est-ce qu’il prend le temps de se regarder dans le miroir ? C’est idiot après tout. Sa tenue n’a aucune importance, ce n’est pas un soir de gala et de toute façon, celui qu’ils honoreront ce soir ne sera pas là pour voir si les vêtements sont appropriés ou pas. Zachary soupire alors que sa main s’ouvre lentement. Son insigne de Préfet. Il l’avait sur lui le jour de l’attaque et il est donc revenu à Londres avec. Il le regarde longuement. Ce poste de préfet, c’était ce qui le rapprochait d’Elias. On ne pouvait pas dire que ça avait été toujours simple entre eux, le Gryffondor s’était même amusé à le titiller un peu juste avant sa disparition, voulant le pousser à ouvrir les yeux, à arrêter de mélanger la Résistance et les Supérieurs. Mais quoi qu’ils aient pu se dire, ils s’étaient toujours respectés. Le Gryffondor fixa son insigne. Elias portait le sien fièrement, même s’il semblait ne jamais être certain de le mériter. Zach lui ne se posait aucune question à ce sujet. Elias l’avait toujours mérité, il savait prendre le temps d’écouter ses camarades, d’être là pour ceux de sa maison. Zachary ferma les yeux et le poing avant de glisser l’insigne dans la poche de son jean noir. Peut-être aurait-il le courage de le porter en souvenir de son camarade plus tard, mais rien que l’idée de le poser sur sa chemise noire pour le moment, lui filait la nausée.

Quelqu’un toqua doucement à sa porte. Zachary tourna la tête pour voir la silhouette de Layla. Elle était vêtue de la même manière que lui, un pantalon et un chemisier noir.

« Tu es prêt ? »

Un hochement de tête. Layla tenait à l’accompagner à cette soirée. Parce qu’elle aussi avait connu Elisa, parce qu’elle aussi avait besoin d’un moment de deuil. Peut-être aussi pour garder un œil sur lui mais ça, aucun d’eux ne le formulerait à voix haut. Zachary attrapa alors un épais manteau qu’il glissa sur ses épaules et une écharpe, avant de rejoindre sa sœur. Il glissa sa main dans la sienne. Elle lui sourit. Elle était vivante. Kezabel et Kim aussi. Il se raccrocherait à ça, encore et encore.

Layla et Zachary arrivèrent bientôt sur le toit qui avait été choisi pour cette cérémonie. Il y avait déjà du monde. Certains pleuraient, d’autres buvaient en silence ou discutaient entre eux. Le rouge sentit un vertige s’emparer de lui. Savaient-ils ? Etaient-ils au courant ? Il eut soudainement l’impression que des regards plein de rancœur se posaient sur lui. Ils auraient dû réagir plus vite. Ne pas provoquer Cody, ne pas provoquer Connor, le défendre avant tout. S’assurer de la sécurité d’Elias avant d’attiser le feu. Il aurait dû payer les conséquences de ses opinions et pas Elias. Il aurait dû le sauver.

« Arrête. »

Zachary tourna la tête vers Layla qui posait un regard dur sur lui. Elle n’avait pas besoin de l’entendre penser ou parler, il suffisait qu’elle pose son regard sur lui pour comprendre. Cela faisait trop longtemps qu’elle le voyait se laisser ronger par la culpabilité. Zach lui adressa alors un sourire faible et déposa un baiser sur son front. Après une promesse arrachée, elle le laissa, allant de son côté saluer Enzo. Zach n’avait pas ce courage, pas ce soir. Il avait remarqué Doryan à côté de l’Australien, il le saluerait plus tard.

Le Gryffondor décida alors de s’approcher du feu. Il y avait un peu de monde. Dans un geste réflexe il plaça ses mains devant les flammes, comme pour les réchauffer. Pourtant il n’avait pas vraiment froid. Quelqu’un s’approcha alors de lui, lui proposant un verre. Zachary l’accepta avec un mince sourire. Un mélange quelconque qu’il commença à siroter doucement, son regard perdu dans les flammes. Elias était dans tous ses cauchemars. Il était venu ce soir-là dans l’espoir de conjurer le sort mais il sentait bien qu’il s’était trompé. Il faudrait plus pour gommer la culpabilité, pour faire disparaître cette impression viscérale qu’il était responsable de la mort d’Elias. Il avait envie de le hurler. Il voulait le dire à toutes les personnes présentes ce soir-là. Pour qu’elles arrêtent de pleurer. Pour qu’elles déchaînent leur rage et leur colère sur lui. Que les larmes d’Elijah et de Lukas se transforment en lances acérées ayant pour destination sa poitrine. Zachary termina son verre bien plus vite que prévue. Est-ce que Sovahnn viendrait ce soir ? Il ne valait mieux pas, il ne voulait pas lui montrer ce visage-là. Et Ora ? Il ne l’avait pas prévenue, lâchement mais Layla l’avait sans doute fait. Il pensa aussi à Chiara. Idiot.

« J’suis vraiment désolé Elias… »

Un murmure lâché entre ses dents serrées. Il ferma les yeux et la silhouette du vampire se dessina clairement devant ses paupières. La vie quittant le corps d’Elias. Une envie profonde de hurler. Zachary plongea alors la main dans la doublure de son manteau. Une poche magique dans laquelle il avait glissé une bouteille, comme beaucoup d’autres sans doute. Il se servit un verre d’alcool pure. Ce soir il n’était pas le futur père. Il n’était pas le membre de la Garde. Il était un jeune adulte paumé, dévoré par la culpabilité qui avait bien l’intention de se saouler jusqu’à ne plus pouvoir réfléchir. Il leva la tête. Sans doute n’était-il pas le seul dans cette situation…

Il les regardait arriver. Certains se parlaient entre eux, commençaient à boire tandis que lui restait là, à son point d’observation. Toujours loin. Il ne voyait ni Caitlyn, ni Kezabel. Probablement qu’il attendait cette dernière pour se montrer, ou pas. Il continuait de se dire que c’était pas sa place, qu’il n’était pas le bienvenu. Si quelqu’un commençait à accuser Connor de quoi que ce soit, comment est-ce que ça finirait ? Pas bien, il le savait pertinemment. Il monterait forcément au créneau pour protéger son abruti de cousin ; Parce qu’il savait, par ce qu’il comprenait certaines choses que la plupart des personnes présentent ne soupçonnaient probablement même pas. Et ça le bouffait, encore et toujours plus, d’être toujours le cul entre deux chaises, d’avoir l’impression de devoir se justifier dans un camps, comme dans l’autre. Et si avant c’était vrai, depuis quelques semaines c’était pire. Probablement depuis les enlèvements, probablement depuis que Connor avait pris part encore plus à ce combat et cela le rendait malade de voir son cousin embarqué dans cette voie. Mais ce n’était pas sa faute, pas vraiment, il avait été programmé pour suivre cette voie. Tout simplement. Warren soupira doucement, se passant une main dans les cheveux, et finalement il s’avança. Il avait repéré Zachary, il n’était pas certain que ce soit une bonne idée, mais il avait besoin de savoir. Besoin d’avoir un autre avis, un autre point de vue sur ce qui s’était passé. Ce n’est ni l’endroit, ni le moment, lui soufflait une petite voix. Il le savait. Pas le moment de parler de tout ça. Il sera le poing mais continua sa marche vers l’ex Rouge… ou du moins c’est ce qu’il voulut faire, mais finalement il rebroussa chemin. Non, ce n’était pas le moment, pourtant la question était simple « qu’est-ce que tu as vu ? » ; Et il se répéta, encore et encore, que ce n’était pas le moment.

Il finit par sortir son téléphone de sa poche, vérifiant que ni Keza ni Caitlyn ne l’avaient contacté, au cas où elles aient besoin d’aide pour arriver jusqu’ici, ou quelque chose dans ce goût-là. Mais là encore, pourquoi est-ce qu’elle s’adresseraient à lui ? Surtout Twain. Pourquoi est-ce qu’elle voudrait voir sa tronche, alors que Connor avait « participé » d’une manière ou d’une autre à la mort de son ex petit ami. Mais non, il n’avait aucun message d’elles.

Son regard se tourna de nouveau vers les personnes qu’il connaissait le mieux : Enzo, Lukas. Peut-être qu’il pouvait aller vers elle, mais même-là, il n’osait pas.
Rentrer, lui souffler sa conscience, son instinct. Rentrer, par ce que sa place n’était pas là. Sa place était probablement plus parmi sa famille.
Mais il ne pouvait pas être loin d’ici, si jamais Keza arrivait, si jamais elle avait besoin de lui. Et d’une certaine manière, il avait besoin de croire que c’était le cas.
Et puis, il y avait Doryan, et si lui ne l’appréciait pas, il savait que Connor c’était le contraire, qu’à un moment le Rouge avait été important pour lui. Et aujourd’hui ? Probablement que son cousin s’était détaché de McKiddle, les raisons précises, il n’en était pas sûr, Connor n’était pas le mec le plus expansif de la terre, mais il savait juste qu’il n’avait jamais eu de réelles nouvelles de Doryan depuis qu’il était parti.
Et son regard son tourna encore une fois sur Zack. Merde. Merde. Triple merde.

Comment est-ce qu’il vous pouvait se joindre à eux ? Il n’allait pas arriver la bouche en cœur « hey salut c’est moi, je peux me joindre à vous ? » à leur place, il s’enverrait bouler. Il s’avança néanmoins cette fois de nouveau, doucement, hésitant toujours à se joindre au groupe.

Londres, Grande Bretagne

Une soirée hommage. Exactement le genre de trucs que Caitlyn n’aimait pas. En tout cas pas quand il s’agissait de ses proches. Les moins proches, c’était plus simple, et elle se souvenait encore de ce concert qu’ils avaient donné à Poudlard en souvenir de Megan. Cette fille, elle ne l’avait pas beaucoup connue, elles n’avaient pas le même âge ni la même maison, ne côtoyaient pas le même cercle d’amis… Participer à l’animation de la soirée avait été pour elle un moyen de montrer son soutien vis-à-vis de ceux à qui elle manquerait le plus. Quand bien-même c’était exactement ce dont elle ne voulait pas.

Non, elle ne voulait pas du soutien des autres, elle ne voulait pas de leurs regards pleins de compassion et d’inquiétude, de cette bienveillance qui l’oppressait, l’étouffait. Elle ne voulait pas les voir célébrer la mort de son ex comme on célébrerait celle de n’importe qui d’autre avant de l’oublier en quelques jours, semaines tout au plus. Elle ne voulait pas qu’il ne soit qu’un nom de plus sur la liste de tous ceux qui avaient perdu leur vie sous le règne des Supérieurs.

Elle voulait lui rendre hommage, mais à sa manière. Elle voulait un moment juste pour eux, elle voulait se recueillir et pleurer sur sa tombe, seule, sans que personne ne fasse de lui un exemple, un martyr. Il l’était, pourtant, par bien des aspects. Un exemple de bonté, de douceur, de neutralité surtout, aussi agaçant qu’il puisse être, actif dans sa passivité, incompris finalement, n’appartenant pas à ce monde plein de conflits. Un martyr, mort dans une bataille à laquelle il n’avait sûrement pas pris part ou du moins pas pris parti. Mais cette cérémonie, c’était trop.

Pourtant, Caitlyn était là. À l’ombre d’un renfoncement de porte, épiant l’entrée de l’immeuble choisi pour l’occasion. Elle était arrivée en avance exprès, sachant bien qu’elle aurait besoin de temps pour se montrer. Elle observait les gens arriver, essayait de distinguer leurs traits dans la pénombre, ne les reconnaissait que rarement, emmitouflés dans leurs bonnets et leurs écharpes en laine, les mains dans les poches de leurs manteaux pour faire face aux températures hivernales.

Elle reconnut Enzo, eut un pincement au cœur. Il avait été le premier à lui envoyer un message. Le seul d’ailleurs, et elle s’en voulait de lui avoir répondu si sèchement, si froidement, mais elle n’avait pas réussi à faire autrement. Elle aurait pu ne rien répondre… Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle ne l’avait pas fait, finalement. Ce n’était pas pour lui faire du mal, pour déverser sur lui sa peine et sa colère.  C’était… comme un besoin de parler, d’exprimer sa détresse, paradoxalement à son envie de se taire et faire comme si tout allait bien.

C’était pathologique. C’était quelque chose de complètement pathologique, que de tout garder pour elle à chaque fois, elle le sentait de plus en plus. Chaque nouveau traumatisme ne faisait que renforcer cette mauvaise habitude qu’elle avait prise à s’isoler avec ses idées noires et à ne plus laisser personne l’approcher assez pour qu’elle s’attache. Et quand bien même il était probablement celui dont elle se sentait le plus proche ici, il était le dernier à qui elle avait envie de se confronter.

Elle reconnut Doryan, entouré de personnes qu'elle ne connaissait pas, un homme et deux ados. Sa famille ? Ça aurait pu, ça y ressemblait, mais quelque chose lui disait que ce n’était pas le cas. Elle se souvenait encore du temps où ils se détestaient. Une haine puérile mais tellement normale de deux ados normaux dans une école normale avec des préoccupations normales. Une haine finalement oubliée quand une autre, plus sombre et plus menaçante, s’était abattue non seulement sur eux mais surtout sur les proches qu’ils avaient en commun.

L’affluence s’était tarie progressivement. Tapie dans l’ombre, Caitlyn hésitait toujours. Une partie d’elle voulait se joindre à ceux qui s’étaient rassemblés sur le toit de cet immeuble. L’autre avait peur, à tel point que son ventre s’en était noué et que son cœur en battait la chamade. Elle ferma les yeux, expira longuement, les rouvrit. S’avança dans la rue, mains dans les poches, capuche sur sa tête baissée. Entra dans l’immeuble, prit l’ascenseur.

Ils étaient tous là. Tous les rescapés, les survivants, de Poudlard. Ceux qui avaient réussi à fuir le Château, s’éparpillant à travers le monde entier. Dans l’encadrement de la porte, Caitlyn resta interdite. Résistant à l’élan qui la poussait à fuir, son cœur coincé dans sa gorge l’empêchant de respirer. Elle s’avança sur le toit, ses genoux manquant de se dérober à chaque pas, déglutit. Sa vue s’embua.

Elle ne pouvait pas. Elle n’y arrivait pas. C’était trop d’émotions, trop de souffrance. Rentrant son cou dans ses épaules, elle s’éloigna en hâte, contourna la cage d’escaliers et s’adossa contre la façade arrière. Bientôt, un sortilège de désillusion la dissimulait aux yeux de tous. Appuyant sa tête contre la pierre froide, elle ouvrit son manteau puis son gilet, dénudant sa gorge qui manquait d’air.

Elle ne voulait pas. Non, elle ne voulait pas de ce rôle qu’elle sentait se déposer sur ses épaules et y peser. Ce rôle qu’elle était la seule ici à pouvoir endosser, la plus légitime du moins. Celui de la famille du défunt, à qui on vient présenter ses condoléances, proposer son soutien. Un rôle qu’ils se partageaient tous équitablement et sans rechigner avant qu’elle n’arrive.

Alors elle resta invisible, indiscernable, même après avoir retrouvé sa contenance. Refermant ses vêtements, elle alla s’asseoir à même le sol dans l’angle du toit, dos au vide, et observa en silence. Warren se trouvait là, seul et un peu à l’écart, hésitant. Lukas et Zachary, qu’elle connaissait du Quidditch, chacun une bouteille à la main, à moitié vide déjà. Des Hufflepuffs venus se remémorer leur préfet. Des Ravenclaw, des Gryffindor, des Slytherin. Des adultes également. Une bonne cinquantaine de personnes qui le connaissaient de près ou de loin.

Elle n’avait plus envie de pleurer. Elle n’avait plus envie de hurler. La tension était redescendue, elle avait trouvé sa place. Finalement, des lampions commencèrent à s’élever dans le ciel, et Caitlyn se leva, renforça l’enchantement qu’elle avait placé sur elle-même, et alla s’en procurer un discrètement, étendant son sortilège dessus puis l’emportant derrière la cage d’escaliers pour allumer la bougie qui s’y trouvait.

Se concentrant pour discerner ses contours miroiter comme l’air dans le désert, elle le suivit du regard sur quelques mètres puis leva le sortilège et le vit briller aux côtés des autres. Elle ferma les yeux, prit une inspiration profonde. Huma l’air de la nuit, s’efforçant de faire abstraction des odeurs des gens et de celles de la ville.

Une larme unique coula le long de sa joue, se détachant au niveau de sa mandibule pour s’imprégner dans le tissu de son manteau. Caitlyn essuya la trace qu’elle avait laissée sur sa peau puis dégaina une dernière fois sa baguette et disparut.