Un temps à ne pas mettre un chat dehors | Gary

Quel temps de chien.

Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour être au chaud dans mon appartement, pelotonnée dans un plaid sur le canapé avec un café bien fort, à regarder la pluie par la fenêtre. Ou plutôt, je serais trop concentrée sur mon livre ou sur les notes de mes dernières enquêtes - c’est bien mon genre de ramener du travail à la maison. Jonas râle toujours un peu, mais il sait pourquoi j’agis de la sorte. Que ce ‟travail” n’est pas du travail à proprement parler, mais de l’investissement sur du long terme. Et mon frère peut bien pester, il finit toujours par jeter un œil par-dessus mon épaule, inquiet. Investi lui aussi, l’envie de pas connaître ces tragédies encore et encore au cœur.

Et de l’inquiétude, il y a de quoi en avoir, assez pour me pousser à rester dehors sous cette pluie battante, à crapahuter en pleine nature au lieu d’être bien au chaud chez moi. Pourtant, rien ne m’oblige à suivre cette piste. Je pourrais fermer les yeux, avertir la Garde peut-être, puis tourner les talons. Laisser d’autres personnes s’en occuper, me convaincre qu’il vaut mieux laisser certaines affaires tranquilles.

Au fond, j’en suis bien incapable. Rien qu’à cette idée je serre les poings tandis que j’avance d’un pas acharné. Le chemin se transforme en boue glissante, la forêt mène vers les reliefs et la nuit tombe. Tout porte à croire pourtant qu’une adolescente a disparu sur ce sentier de randonnée, à quelques kilomètres de Londres. Une quinzaine d’années, orpheline, une non-maj qui découvre la vie lycéenne, sans se douter un seul instant du monde sorcier qui existe en parallèle. Une innocente, piégée entre deux feux ou prise pour cible, je ne saurai dire. Les indices manquent pour cette enquête, pour comprendre et saisir tous les tenants et aboutissants de cette disparation. La seule certitude que j’ai, c’est l’implication de sorciers.

Je réprime un soupir. Depuis le début du mois de mars, les disparitions s’intensifient. De premiers échos apparaissent au sein de la Garde, mais rien de concret ou de palpable. Action des Supérieurs, des Ombres, ou de dissidents, qui sait ? Même avec mes recherches je n’en sais pas davantage. De toute façon, que des sorciers s’en prennent à des non-majs ne m’étonne plus. Avec les Supérieurs au pouvoir, ces agressions deviennent usuelles, une épée de Damoclès invisible qui plane au-dessus de ces gens. Et j’ai beau agir à ma hauteur, je ne suis pas surhumaine non plus ; je ne peux pas être partout, à empêcher toutes ces agressions de survenir. Même la Garde n’y arrive pas, en dépit de la force du groupe.

Mais cette adolescente, je compte bien la retrouver, même si je dois crapahuter en pleine nuit dans les colinnes pour suivre sa trace.  

A nouveau, j’avise les lieux. Le panneau marque le début du chemin de randonnée qui s’enfonce dans la forêt vers les collines. L’adolescente n’est sûrement pas seule. De Londres, il faut compter une bonne heure de route en voiture, mais avec la magie, les distances ne sont plus qu’un vague souvenir. Retrouver la piste de la jeune non-maj m’a d’ailleurs causée beaucoup de soucis, et si Jonas n’avait pas eu vent d’activités étranges du côté de Westhumble, je chercherais encore. Je regrette d’ailleurs sa présence à mes côtés, mais son poste d’Auror restreint sa mobilité s’il ne tient pas à être soupçonné. Être né-moldu est déjà suffisamment une source de suspicions aux yeux des Supérieurs, alors autant ne pas en rajouter.

Mais m’aventurer seule sur ce sentier, sans savoir ce qui m’attend ? L’idée est tout sauf prudente. Jonas sait peut-être où je suis, mais une sécurité supplémentaire ne fera pas de mal. Alors j’appelle les urgences, dans l’espoir d’impliquer les non-majs au plus vite. Si des sorciers sont effectivement impliqués, l’approche des sauveteurs non-majs en nombre les forcera peut-être à la fuite ; et si l’adolescente s’est seulement perdue en forêt, des sauveteurs seront plus efficaces que moi.

Je compose le numéro, la tonalité résonne un instant dans le vide, jusqu’à ce qu’une voix masculine débite le discours habituel. Les mots se figent dans ma gorge l’espace d’un instant. Je reconnais la voix.

— Gary ?  

On se croise de temps à autre en soirée. On plaisante bien, et c’est toujours un plaisir de le retrouver, mais je n’ai pas un seul instant pensé tomber sur lui en appelant le numéro des urgences. Le secret cimente notre relation ; il ne sait pas qui je suis réellement, ne connaît pas non plus le quart de ma vie moldue, et j’ai bien remarqué ce voile dans son regard, celui qui indique qu’il en sait bien plus qu’il ne veut bien l’admettre.

— En combien de temps tu peux me rejoindre à Westhumble ? C’est stupide, je ne devrai pas impliquer un civil dans cette histoire. Mais raccrocher me fera paraître suspecte, et je me dis qu’il vaut mieux que je m’aventure dans cette forêt avec quelqu’un que je connais et qui m’aidera. Mon chat s’est perdu en forêt.  

Alors je prétexte une raison stupide, mais Gary viendra - il m’a toujours l’impression d’avoir le cœur sur le main. Je tente ma chance, et lorsqu’il me confirme qu’il arrive dès que possible, je lui donne une point de rendez-vous et je raccroche. Si jamais l’appel est enregistré, personne ne saura que j’enquête sur des disparitions inquiétantes, et c’est mieux ainsi.

Je transplane dans la foulée. Je retourne à mon appartement, récupère de l’équipement plus adapté à ce qui nous attend. Une part de moi se reproche encore d’impliquer Gary dans cette histoire, mais une autre part de mes réflexions juge la situation opportune. L’action et le danger pousseront sans Gary à en dévoiler plus qu’il ne le voudra, et je mettrai enfin des mots sur ce voile qui habite son regard. Faire confiance à mon intuition, même lorsque celle-ci paraît déraisonnable.

Pour attendre Gary, je me place sous le porche de la mairie de Westhumble pour être à l’abri de la pluie ; je ne lui ai pas directement donné rendez-vous sur le chemin de randonnée, pour ne pas attendre sous la pluie, et pour faciliter la rencontre.

Je souris lorsque je l’aperçois arriver. Je lui fais signe.

— Gary ! Je lui laisse de la place sous le porche. Merci d’avoir fait si vite.  
 

La pluie ne faiblit pas. Chercher l’adolescente en forêt s’annonce déjà compliqué, mais alors sous la nuit et en pleine nuit ? Je réprime une moue emplie de doute. Je ne laisse pas le doute s’installer. Je n’ai pas fait tout ce chemin, tout ce travail de recherches, pour abandonner maintenant. Je la retrouverai, et avant qu’il ne soit trop tard. Cette lycéenne, elle pourrait être ma fille à quelques années près, et il est hors de question que je baisse les bras. Elle me rappelle les enfants de Codrin, kidnappés en Roumanie par un réseau de sorciers extrémistes. Il m’est peut-être impossible d’empêcher toutes les tragédies de cet acabit, mais j’empêcherai celles qui sont à ma portée.

— Bien et toi ? Désolée de t’avoir fait venir ici par un temps pareil.

Désolée, je le suis vraiment, mais je le referai si c’était à refaire. Je n’abandonnerai, et je ne lésine pas sur les moyens à employer. Dans les faits, demander de l’aide à Gary comporte moins de risques que d’appeler Jonas. Et même si c’est égoïste de ma part, je préfère mettre en danger Gary que mon frère. J’ai beau apprécié le jeune homme, les répercussions ne seront pas les mêmes ; il n’a pas à justifier au Ministère de la Magie ce qu’il fichait à Westhumble à enquêter sur la disparition d’une adolescente non-maj.

Toutefois, en dépit de cet égoïsme qui est le mien, je ferai mon possible pour le protéger. J’ai connu pire qu’une excursion en forêt sous un temps de chien - et à choisir, je préfère ce terrain plutôt que les landes d’Irak, où la peur de marcher sur une mine me tenaillait les tripes. J’ai affronté pire que des sorciers. En comparaison avec les talibans ou les soldats irakiens, la magie est propre. Les sortilèges se veulent précis, efficaces. Sans fioritures. Expelliarmus pour désarmer. Stupéfix pour neutraliser. Même le sortilège de la mort se veut plus propre que certaines horreurs dont j’ai pu être témoin.

Les bombes au phosphore blanc n’ont rien de “propre”, pour ne citer qu’un exemple.

Que Gary mentionne un chat me rappelle l’excuse stupide que je lui ai sorti au téléphone. Un rire nerveux me secoue. Je lui offre un sourire contrit. J’aurais pu trouver mieux. Plus crédible. Ou alors, je passerais seulement pour l’une de ces personnes qui appelle les urgences pour tout et n’importe quoi.

— Il n’y a pas de chat. J’ajuste la bretelle de mon sac sur mon épaule. Quand j’ai entendu ta voix, je me suis dit que ça serait plus rapide de te demander de l’aide, et j’ai inventé une excuse bidon par précaution.

D’un geste de tête, je désigne les collines qui surplombent la bourgade. La forêt les recouvre, même si entre la pluie et l’obscurité, difficile d’y voir grand chose.

— Une adolescente a disparu dans la forêt. Disparition ou enlèvement, je n’ai pas de certitude, mais on m’a demandé de la retrouver. Pas vraiment un mensonge. Codrin a été le premier à me demander un tel service, et d’autres me sollicitent parfois pour ce même genre de services. Je n’en fais toutefois pas un métier subsidiaire - je tiens à rester discrète, loin des radars des Supérieurs. J’ai remonté sa piste jusqu’à un chemin de randonnée, mais je n’ai pas voulu m’y engager seule. Pas sans ligne arrière. Alors j’ai appelé les secours, puis je t’ai demandé ton aide. Autant y aller avec quelqu’un que je connais plutôt que d’attendre des secours qui ne prendront peut-être pas au sérieux ma demande.

Simple. Factuelle. Aucun mensonge, seulement des adaptations légères pour éviter de trop en dévoiler sur la nature de mes enquêtes ou sur l’existence de la magie. Et si jamais des sorciers nous tombent dessus, j’aviserai le moment venu.

— Tu dois avoir une formation pour les premiers secours, non ? Cette adolescente doit être gelée avec un temps pareil. Si elle n’est pas tombée.

Je joue un peu sur l’émotionnel pour le convaincre de ne pas faire demi-tour. S’il me plante sur le perron de la mairie, j’aurais perdu un temps précieux.

— Je suis désolée de t’entraîner là-dedans, mais tu veux bien m’aider ?