En famille [Adonis & Armis]

Manoir des Moore,
Angleterre,

“Père, vous vouliez me voir ?”

Le bureau est situé derrière une série de portes en bois massif. L’endroit est méticuleusement rangé et les lourdes bibliothèques arborent une série de livres sur le monde magique. Anthony Moore, le patriarche, a toujours été un homme plein de connaissances, jouant son rôle tapis dans l’ombre. De sa lourde et imposante silhouette, je le vois esquisser un geste pour refermer la porte de loin d’un coup du sort. Devant lui, le bureau est enseveli de dossier, certains sont encore ouverts et d’autres classés dans des piles qui tiennent uniquement grâce à la magie. D’ailleurs, il congédie une pile qui se transporte d’elle-même vers un placard pour se ranger tout naturellement.

Petit, ce bureau me paraissait inaccessible, imposant et froid. Plus je grandis, plus y être me confère une sensation particulière de pouvoir. “Entre Armis. J’ai appris pour ton recrutement, comment se passe ton intégration ?”

Les choses sont énoncées en demi-teinte et je ne relève que d’un sourcil le fait qu’il ait appris, j’ignore comment, que j’ai intégré les rangs des Supérieurs. En fait, rien de très surprenant à cela, au vu de ces relations. Mon père a toujours été un homme sur le côté mais qui aime fréquenter l’élite et surtout la plupart des familles sangs-purs. Pour ce qui est des Supérieurs, il est presque certain que bien que beaucoup le taisent, les soirées qu’il organise ne sont pas uniquement pour le bon plaisir de tous. Ce sont des alliances fortes, qu’il entretient au profil d’années de travail.

Sans en avoir été invité, je m’assois sur l’un des lourds fauteuils de la pièce. Il est dans un cuir très délicat et brillant, grinçant légèrement quand on s’assoit dessus. Son regard paternel mais surtout autoritaire se pose sur moi, semblant m’évaluer plus que d’éprouver un plaisir pour me revoir. Le travail est davantage apprécié que les réunions familiales et même si ce dîner ce soir en est l’occasion, il aime, comme pour le reste, mettre en place les pions de l’échiquier en avant.

Pas vraiment fébrile, sans doute en raison des années à se disputer sur le sujet, je plonge mes yeux dans les siens lentement. “L'intégration se passe bien. Vous savez mes ambitions, vous savez aussi que je suis loyal et vous m’avez entraîné à être soldat toute ma vie. Ce n’est pas une surprise pour vous.”

Sans doute audacieux, le ton soulève au moins les sourcils d’Anthony qui m’observe avec une grimace de réprobation. Il n’est pas d’accord avec mon envie de m’impliquer chez les Supérieurs. Surtout, il n’est pas d’accord pour qui je travaille, un homme d’une nouvelle génération. Mon père est un homme de régularité qui trouve dans les anciens systèmes une forme de conservation qu’il apprécie. Pour lui, le général Blackthorn est un traître et voir son fils travailler directement pour lui est une honte familiale qu’il a du mal à accepter.

“Ta soeur et ton beau-frère arrivent ce soir. J’aimerais que ce…sujet soit écarté. Tu fais tes choix, tu connais mes opinions mais je t’interdis de gâcher ce repas. J’aimerais te rappeler que tes choix ont des conséquences sur la famille.”

Le ton, plus fort ne laisse aucun doute sur la menace proliférer. ll est contre et, cela me surprend encore de savoir qu’il n’a pas encore tout fait, à coup de pots de vin, pour faire en sorte que je ne sois pas recruté. Il en aurait peut-être le pouvoir ?

Quoique cette conversation promettait, le bruit dans le hall principal du manoir nous fait tourner la tête. J’ajoute, un peu sarcastique même si ces dires ont un regard agacé de mon père : “Oui père, rien de trop intime. Je suis sur qu’on va bien s’amuser.”

Loin de moi l’idée de décevoir mon père mais son côté vieille école me déplaît. Pire, le fait qu’il soit quelqu’un qui donne des conseils dans un système pour lequel il ne s’implique que dans ses idées, jamais pour le reste m’agace. Après plusieurs discussions houleuses, le problème reste en suspens : lui pense que la Cause se travail uniquement dans l’ombre, moi, qui pense que tout le système est a changé. En interne.
Les enjeux sont trop importants et, nous ne sommes pas capables de nous mettre d”accord.

Sans rien dire, je le vois se relever pour sortir de la pièce. Ce soir, le dîner a été préparé et mon frère, que je n’a pas si hâte de revoir, ma soeur et son mari seront présents. Avec ma mère, une tante, deux oncles et mes grands-parents. Un petit comité quand on pense à l’extension que la famille Moore a un peu partout.

Il me faut une seconde de plus pour reprendre contenance et quitté cette discussion pour rejoindre le hall principal. Dedans, mon frère semble encore plus enclin à la discorde. Il avance, un sourire amusé sur les lèvres pour me prendre dans ses bras. La tension qui anime mes épaules ne le met même pas en alerte. Se détachant, un coup sur mon épaule il dit juste :

“Ravi petit frère, tu te souviens que nous sommes ta famille ! Ah tiens, petite soeur arrive.”
Un clin d’oeil alors qu’il part accueillir notre soeur. Silas est un homme en dehors du moule, un électron libre qui a toujours donné du fil à retordre à ma famille. Il n’est en rien en accord avec la philosophie de la maison et même s’il s’y plie, il passe la plupart du temps à mener un défis au sein de la famille. Bien que l'aîné, il n’a jamais accepté de s’engager dans la politique, préférant discréditer parfois même le gouvernement.

Avançant à mon tour, j’enlace ma soeur et salut lentement mon beau frère que j’ai déjà vu plusieurs fois mais pour qui je n’ai pas spécialement d’atomes crochus. Quoiqu’il en soit, ce soit, il est question de famille et surtout de tenir sa langue. Ce que Silas ne semble pas prêt à faire.

“Bonsoir, vous avez fait bon voyage ?”

Je pose la question à mon beau-frère, gardant cette attitude guindée exigée.

Les Moore avaient cordialement invité la famille Devonshire à leur manoir pour une soirée de retrouvailles. Cette invitation avait redonné le sourire à Evelyn qui semblait avoir retrouvé sa bonne humeur. Ce n’était pas plus mal puisque Elliot était beaucoup plus calme. Il y avait une connexion entre sa femme et son fils qu’Adonis ne pourrait jamais avoir. La grossesse avait certainement été un plus, mais il y avait autre chose: leur relation semblait fusionnelle et elle continuerait certainement de fleurir au fur et à mesure qu’Elliot prendrait de l’âge. Evelyn était une mère dévouée: aucun doute là-dessus. Elle chérissait son fils, s’occupait de lui comme si il était la prunelle de ses yeux, veillait à ce qu’il ne manque de rien et surtout, l’aimait plus que tout. Il ne suffisait que d’un regard pour comprendre toute l’affection qu’elle lui portait. On pourrait être porté à croire qu’Adonis aurait été jaloux, peut-être même envieux de cette connexion et pourtant… Il faut dire qu’il ne faisait aucun effort envers sa progéniture. Il ne passait pas de temps avec lui, ne s’intéressait pas à ses progrès, ne lui parlait pas, ne jouait pas avec lui, bref, il avait tout du père absent sans forcément l’être. Il n’était qu’une ombre dans la maison, une présence inconnue. La seule chose dont bénéficiait son fils de sa part était le soutien financier. À contre-coeur, Adonis participait à l’achat de  nourriture, de vêtements et autres objets nécessaires à la survie et au bien-être du bambin, donnant l’impression que son fils lui dérobait des gallions qui lui permettent d’acheter de nouveaux complets. Était-il un mauvais paternel? Réponse courte: non. Son père avait également été absent durant son enfance, préférant veiller à la réputation de la famille et à la préservation du sang qu’à passer du temps avec ses mioches: il avait les priorités au bon endroit. Sa mère avait été plus présente, mais la vraie connexion était avec sa sœur. Cette relation était difficile à expliquer, mais Madison était sans aucun doute sa personne préférée et celle avec qui il s’entendait le mieux. Adonis avait toujours eu un profond respect pour son père, un certain amour pour sa mère, mais pour Maddie, c’était complètement différent.

Chez les Moore, Adonis n’était pas tout à fait un inconnu, mais pas un habitué non plus. Il ne les évitait pas forcément, mais ne lançait pas beaucoup de bouteilles à la mer. Ces dernières années, il avait eu des horaires chargées et avait parfois décliné certaines invitations afin de finaliser certains rapports, compléter des leçons ou bien simplement pour souffler un peu. Les études désormais derrière lui, il pouvait se permettre de reprendre une certaine vie sociale, histoire de garder une certaine réputation. Surtout auprès de la belle-famille: les relations étaient importantes. Là-dessus, son paternel avait été très clair. Il comptait bien faire honneur à sa propre famille.

C’est pourquoi, en préparation à cette soirée, après avoir méticuleusement choisi ses vêtements, Adonis s’était enfermé dans la salle de bain. C’était son moment préféré. Sa détente. Son petit refuge loin des gazouillis d’Elliot et des rires d’Evelyn. Il en profitait pour prendre une longue douche chaude, laissant couler l’eau durant de nombreuses minutes avant de finalement s’activer. Prendre soin de lui était presque comme une religion. Un rituel qu’Adonis n’avait jamais cessé de faire. Il passa beaucoup trop de temps dans le miroir à s’admirer dans son costume d’Adam. Il s’était toujours considéré chanceux. La nature et sa bonne génétique l’avaient gâté en termes d’apparence physique. Il sorti finalement de la salle de bain deux heures plus tard, prêt à affronter la soirée en compagnie des Moore.

Si l’excitation était au rendez-vous pour Evelyn, Adonis s’assurait de garder son air sérieux. Pour une des rares fois, c’était lui qui tenait Elliot dans ses bras. Les frères Moore s’étaient empressés de venir les accueillir. Evelyn et Silas se saluaient déjà, visiblement très heureux de pouvoir se retrouver.

“Bonsoir, vous avez fait bon voyage ?”

À la vue de son oncle, Elliot s’activa légèrement dans les bras de son père.

- Bonsoir. Oui merci.

Adonis offrit un sourire poli à Armis.

- Nous avions très hâte de venir vous voir. Merci pour l’invitation, c’est vraiment gentil.

Il se doutait bien qu’Armis n’était pas l’initiateur, mais si le message passait c’était le plus important.

- Tu aimerais le prendre?

Sans une once d’hésitation, il lui tendit Elliot qui tendait déjà les bras vers Armis. Tout pour se débarrasser de ce petit morveux.

- Je pense qu’il s’est bien ennuyé de son oncle.