Le relai est passé. Le chef prévenu. Les informations données. D’une certaine manière, ce n’est plus mon problème. Plus moi qui gère. J’ai refilé la patate chaude et ça me va parfaitement comme ça. De tout l’interrogatoire, je n’ai appuyé que la malchance de la situation. J’aurais pu, bien sûr, dire ce que je pense. Dire que seule, dans ce genre de cas, je m’en sortirai sans doute mille fois mieux. Que par moment, j’ai l’impression que si ma voix n’est jamais entendue, les méthodes de la Garde risquent seulement de me faire tuer. Que j’suis pas toujours en accord. Que j’y trouve mon compte, pour l’instant, à n’être que la bleue, un pion qui fait ce qu’on lui dit. Mais que ça ne durera peut être pas.
Mais s’il n’y avait aucun passif, soyons honnêtes, je n’aurai pas été tendre avec Neolina. Sauf que je lui dois son silence, alors elle a le mien. Donc je regarde mon chef droit dans les yeux et j’esquive ce qui doit l’être. Un partout, balle au centre. Si elle parle, je parle et si je parle, elle parle. C’est comme ça que je le vois.
A moins qu’elle ne meurt.
Je sais qui elle est pour Dorofei et vraiment, j’aurais voulu être capable de faire plus que ça. Mais elle parait en sale état alors… ouais, j’le sens pas. Une de plus sur le mur des éternels ? Une autre qu’on pleurera à la lueur des chaumières ? J’étais là. Et je crois que si je m’étais affirmée, ça ne se serait pas passé ainsi. J’étais là, et j’ai suivi les ordres. Une part de moi exulte même de cette conclusion cynique. Ou plus exactement, ça viendra plus tard. Puis la fatigue englobera tout et il n’y aura plus que la lassitude de ces drames qui s’enchaînent et des épreuves à venir.
Certes. Un bon point, s’il pense ça. Ça ne durera peut être pas lorsqu’elle mourra, cela dit. Peut être qu’à ce moment-là, il pensera que c’est ma faute. Peut être que ça changera tout. Peut être que j’aurais fait demi-tour pour rien, ou pas assez tôt. Ça fait des tas de “peut être” et mon cerveau explose. J’ai juste envie de courir, de dormir, de fermer les yeux et de courir encore. Je sais, c’est pas trop compatible mais je crois que mon corps voudrait essayer quand même.
J’acquiesce, inspire. Le regard droit, de tout le voyage et ce, jusqu’à la douche, je n’aurais pas baissé les yeux vers mon propre corps. Ainsi, quand je croise mon reflet dans le miroir, c’est avec étonnement que je découvre une femme brune, à la peau si pâle qu’elle en devient cireuse. Grisâtre. Le front, le menton, les lèvres. J’ai du sang partout. Mes yeux verts fixent le spectacle un instant, puis je me lave mes mains et en tremblant, tente de retirer les lentilles de contact colorées. J’y arrive pas. Et moins j’y arrive, plus je tremble et plus je tremble, plus je finis par me griffer l’oeil et lâcher un râle douloureux qui se réverbère en échos dans la petite salle de bain.
Mais ça va pas. Et ça va encore moins quand je retiens un gémissement sous la douche, quand l’eau passe sur mes bras et me brûle soudainement. Les plaies sont bien là, ma peau victime du souffle des explosions qu’on a nous-même provoqué. Alors je me mets à trembler et je manque d’air, les genoux au sol et le front sur le mur carrelé. Je revois en boucle Kezabel courir dans ces mêmes entrepôts, un peu plus loin dans la rue, des hommes à ses trousses. Je la revois chuter dans la ruelle, les genoux plein d’eau et Néolina pour tenter de l’apaiser. Je revois ma colère. Mon dépit. Mon incompréhension. Je revois Hampton, enfin, se relever et me dire d’un signe de me barrer, puis les batailles, et sa chute. Je revois mes pas qui s’en vont, puis la capsule de poison dans sa main. Les ennemis qui arrivent, les éclats de l’affrontement.
Et l’ensemble me ramène à Poudlard. Puis dans les Balkans. Et j’me laisse tomber dans l’eau qui me rappe l’épiderme. Le regard fixe, j’attends juste que les battements furieux de mon cœur se calment. Et ça passe.
Ça passe toujours.
Qu’importe ce goût amer. Cette sale impression de déjà vu.
- Topic fini -