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Jeu 6 Avr - 0:05
25 novembre 2016 - Dans la nuit








Au coeur de l’automne, les nuits anglaises étaient plus fraîches que celles de Marseille. L’humidité alourdissait l’air, le chargeait d’une forte odeur d’herbe fraîche. Je regrettais l’été avec ses longues journées de soleil et sa chaleur nocturne. Peut-être était-ce par nostalgie que j’avais ouvert la fenêtre de ma chambre, comme quelques mois plus tôt où je cherchais désespérément la brise.
Je ne dormais pas. Allongée de travers sur le lit, je m’étais perdue dans la contemplation du plafond encadré par les contours du baldaquin. Il n’y avait que la lampe de chevet pour dissiper l’obscurité, diffusant une lumière chaude à travers l’abat-jour en raphia. Près de ma tête, le carnet noir reposait lourdement sur les couvertures. Je ne le regardais plus. Je ne pouvais plus. Depuis des mois, j’avais l’impression de ne penser qu’à ça, de ne voir que lui. Il était partout, omniprésent. Il me narguait par son silence, ses pages blanches, son inutilité. Ou était-ce mon incapacité à en percer le mystère qui m’irritait tant ? Ma frustration s’était transformée en obsession. Mes nuits se raccourcissaient, me laissant désemparée, enragée. J’étais de plus en plus certaine que mon père avait utilisé un sortilège de sang et que sa puissante magie ne pouvait être contournée par mes propres moyens. J’avais pourtant cherché dans les livres, sillonné des chapitres entiers sur des sortilèges qui ne firent aucune différence. Le carnet voulait garder ses secrets. Et je pleurais celui qui n’était plus là pour me les confier lui-même. Je pleurais, surtout, de cette fatigue intense qui me prenait l’âme et le corps, qui m’emportait vers des pensées si noires qu’elles ne trouvaient de lumière que dans un état liquide.

Je fermai les paupières, gonflai ma cage thoracique. L’air s’engouffrait dans mes poumons, se bloquait, avant d’être expiré d’un souffle tremblant. Ce carnet pesait lourd. J’en sentais le poids jusqu’au fond du ventre. C’était lui qui m’empêchait de dormir, et au fond, si j’étais si nostalgique de cet été, je le devais surtout à ces sentiments plus légers qui m’avaient habitée. Mes nuits avec Margo me manquaient, nos escapades aussi. J’aurais aimé sentir son corps blotti contre le mien. Mes doigts auraient joué avec la douceur de sa peau, mon nez se serait collé contre sa nuque pour sentir son parfum. J’aurais été ailleurs, dans une autre moi qui n’était pas encore rongée de l’intérieur. A l’anniversaire de sa mort, j’avais entendu le cliquetis d’un chronomètre, le tic tac d’une pendule. Le temps se rappelait à moi et avec lui, le seul but de ma présence en Angleterre.

J’avais été tant distraite par la vie, par la revendication de ma liberté, l’effervescence des découvertes, que j’avais mis de côté le plus important. Il m’était revenu dans le rappel des profondeurs de l’absence. Comme l’on sonnait la fin d’une récréation bouleversante, cet anniversaire m’avait replacé dans le chemin emprunté au début de tout. Depuis, s’autoriser toute autre pensée que ma vengeance m’apportait plus de culpabilité que la stagnation de tous les autres pans de ma vie. Je me sentais absente à chaque instant de la journée. En faisant les bandages de mes patients, je pensais au carnet. En écrivant à Kezabel ou au beau milieu de nos conversations, je pensais au carnet. Quand je rejoignais Margo pour deux heures d’un nous qui aurait du être passionné, il était là, dans mon esprit, avec sa couverture noire et rigide, sa tranche immaculée, ses pages vides. Même dans mes entraînements, durant mes missions, sous la douche, en mangeant, en dormant… il me poursuivait comme un fantôme hantait les vivants.

Je me relevai, ne supportant plus l’immobilité. Mes jambes nues étaient parcourues de chair de poule à cause de la brise glaciale qui s’infiltrait par la fenêtre. Je passai un pantalon de pyjama noir, au tissu lâche, et enfilai un pull court mais trop large pour moi, me retombant plus bas que les épaules. Je m’approchai de la fenêtre et ouvris les battants en grand. Le jardin était plongé dans le noir. Pourtant, j’apercevais le contours plus sombre des arbres et les draps pendus sur le fil. J’avais oublié de les rentrer ; avec l’humidité, ils ne sécheraient pas cette nuit. En me penchant, les mains posées sur l’encadrement de bois qui s’écaillait sous mes paumes, je crus apercevoir une faible lueur créant des ombres sur les marches du perron. Des mouvements se dessinaient mais bien que je me penchai plus avant à la fenêtre, je ne pus davantage les distinguer. Je n’étais pas la seule à être éveillée.

Logan avait souvent de terribles insomnies. Il m’arrivait d’aller me coucher avant lui et de le trouver au même endroit le lendemain, comme s’il n’avait pas vraiment bougé, qu’il s’était extrait du temps. Lui aussi était obsédé par bien des choses. Parfois, en me levant la nuit pour aller chercher de l’eau, je remarquais de la lumière par-dessous sa porte. Je n’avais jamais osé toquer à sa chambre mais ce soir, puisque nous étions tous deux éveillés, il aurait été idiot de ne pas vivre cette insomnie à deux.

Oui, pourquoi s’acharner chacun de son côté sans espoir de résolution ? Pourquoi étions-nous toujours incapables de chercher l’aide dont nous avions besoin ? N’apprenions-nous jamais de nos erreurs ? N’avions-nous aucune volonté de sortir de cette solitude ?

Je fermai la fenêtre et restai un instant immobile face aux carreaux abîmés. Dans mon dos, le carnet vrombissait, martelait, hurlait. C’était comme avoir un regard constant braqué sur soi. Bien sûr, j’y avais pensé… Plusieurs fois, même. Il aurait été bien plus facile de chercher à deux, de confier entre des mains plus capables que les siennes, un problème qu’on ne savait résoudre. Partager, simplement, un fardeau trop lourd à porter seul. Je ne savais pas si c’était par égo, par habitude ou par stupidité, que j’avais attendu si longtemps pour franchir ce cap. Mais il était temps de déposer les armes aux pieds d’un autre et de lui demander son aide. Peut-être alors, dans un but commun, chacun de nous trouverait un soulagement inattendu.

Quand je descendis, le carnet glissé son mon bras, le cottage était silencieux. Les lumières du salon étaient toujours allumées mais le couloir menant au jardin de derrière était plongé dans l’obscurité. Je le parcourus en fixant la porte ouverte tout au fond qui déversait de faibles lueurs sur le sol. Pieds nus et frissonnante, je me glissai sans faire de bruit au-dehors. Assis dans une des chaises de bois installées pour nos rendez-vous de minuit, Logan avait le regard rivé sur une boule de lumière suspendue dans les airs. Elle n’était pas bien grosse mais sa lumière grossissait et faiblissait sans cesse. Comme avec la tenture de sa chambre, Logan faisait des expériences. Sur les accoudoirs de la chaise, ses mains étaient légèrement redressées, ses doigts se mouvant en des gestes précis pour tenter d’apprivoiser l’intensité de la lumière. Il devait y être depuis longtemps, à vouloir perfectionner sa maîtrise, et l’espace d’un instant, je me dis que nous chassions tous deux quelque chose qui semblait pour le moment impossible.

Je dus respirer trop fort ou il remarqua de lui-même ma présence car soudainement, l’orbe lumineux se désagrégea. Il parut déverser sa lumière avant de s’écrouler et de s’évanouir sur les larges lattes de bois du perron. Une grimace sur le visage, je me tournai vers Logan pour voir son air pincé face à l’orbe anéanti. Je plaçai mes mains derrière le dos, y tenant le carnet, et contemplai avec lui l’anéantissement de ses efforts. Il ne resta plus comme lumière que celle accrochée aux poutres au-dessus de nous.

« Heureusement que t’y avais pas passé des heures hein... » fis-je, d’une moue mi-contrite, mi-amusée. Je m’avançai, me tenant debout à sa droite. « Désolée... Je t’ai déconcentré.» soufflai-je. C’était presque étrange de s’excuser. On ne le faisait pas souvent, même pour ce genre de choses. Je posai une main sur le dossier de sa chaise, tenant toujours le carnet derrière mon dos, et continuai à regarder le jardin désert. « Tu crois que c’est le sommeil qui nous fuit ou que c’est nous qui l’évitons ? » Depuis toujours, j’étais maîtresse des questions existentielles aux moments les plus inopportuns. J’aimais le surprendre au détour d’un repas – ou de tout autre instant que se prêtait au calme - dès que je saisissais un instant de silence, lançant une question qui aurait mérité quatre bonnes heures pour trouver une réponse satisfaisante. A chaque fois, je récoltais un regard blasé de sa part avec la ferme impression qu’il était à deux doigts de monter une tente en plein désert seulement pour fuir ces conversations.



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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Lun 17 Avr - 2:36
Ce n’est pas venu de rien. Ou plus exactement, très justement, c’est venu de rien. D’un rien tellement énorme qu’il vous bouffe et vous ronge. Comme un chatouillement dans le fond des entrailles, un bruit qui vous grésille dans l’oreille, un chuintement dans le fond des nerfs. C’est venu de cette petite chose qui vous dérange à force de rester à vous abrutir devant la télévision.

“Il faut quand même être particulièrement décérébrés…” Voilà ce que j’avais dit il y a bien des mois, devant cet effroyable poste de télévision. Et pourtant, au fil des semaines, j’y ai passé davantage de temps. Au début, je n’y voyais rien. Les images s’enchaînaient sans que j’y prenne gare jusqu’à devenir une fange de lumière et de sons. Et puis à un moment, je me suis pris au jeu. Plus exactement, je crois que j’ai arrêté de me servir de ça pour masquer les moments de crises. Mais les crises sont restées, elles n’ont cessé de me broyer hors de la réalité. Étrangement, j’ai fini par être apte à en déclencher certaines. Ce n’est qu’un pas pour contrôler le mal, mais c’en est un malgré tout. Du moins ça m’en semble un. L’une de ces crises m’a amené ailleurs, loin. Là où j’aurais sans doute pas dû aller. La télé, les travaux à l’étage et puis, de plus en plus régulièrement, la course en forêt, tout est devenu un moyen de me canaliser et d’endiguer ces pensées qui me happent vers un passé sur lequel je n’ai aucun contrôle. Vers un monde, même, fait des maléfices de mon existence.
Puis la tension est montée, faite de ce vide atroce dont sont enveloppés les moldus. Je crois qu’à un moment, à rester hypnotisé par le numérique, j’ai fini par ressentir ce goufre qui me happais avant, au sortir de Poudlard. Au sortir des cachots. Alors “le rien”, devenu énorme et monstrueux, s’est soudainement comme emplis d’eau jusqu’à m’empêcher de respirer. T’étais pas là, bien sûr. Une telle réalisation ne peut se faire que dans la solitude d’un face à face avec soi-même.
J’y ai songé pourtant. Je te promets que j’y ai songé. Mais cette guerre… c’est lâche de ma part de ne vouloir m’y replonger n’est-ce pas ? Lâche, de ne pas vous donner la puissance dont je dispose. Ce serait leur donner du pouvoir, pourtant, que d’être cet ennemi qu’ils m’ont tous poussé à devenir.

J’ai eu besoin de bouger. De me sortir de là. D’agir. De mois en mois, ça devient plus réel et peut être la réalité prend-elle davantage corps en moi à ces moments-là.

J’ai surveillé Dorofei. Vous me tueriez tous si vous le saviez. Il repart sur les champs de bataille. Alors c’est en courant aux bords de falaises irlandaises, là où il a failli prendre la vie de Jordane, à cracher mes poumons et à sentir mes muscles céder que je l’ai revu. “Tu es un animal sauvage, Logan Rivers. J’apprécie ça chez toi.” Anthony. Anthony qui m’a fourni bien des armes avec lesquelles je l’ai balayé de la carte. Anthony, à qui j’avais expliqué qu’un Rivers ne peut avoir de failles. Encore moins un bâtard.
A chercher mon souffle au bord du monde, j’ai pas pu m’empêcher de revoir Alec. Tellement geignard à sa manière. Toujours quelque chose à dire. Toujours une insulte à balancer, une pique à sortir. Mais comme moi, il s’est toujours relevé.
Alors je me suis revu, à faire le tour du monde pour connaître des magies qui m’étaient inaccessibles. Celles qu’on n’apprend pas dans les livres, ni ceux de la réserve à Poudlard, ni celles de la crypte chez les Rivers. J’ai revu mes frères moquer les compétences du bâtard qui n’aura reçu aucune instruction supplémentaire. J’ai revu Woods, lorsqu’on m’a surpris la première fois. Dans la réserve, la salle de duel, les bureaux des enseignants. Woods derrière moi, dans la salle de duel ou les cachots. Woods qui m’a systématiquement mis en retenu avec les enseignants des matières que j’affectais.

J’y ai repensé, quand à tenter d’éteindre la télévision, mes doigts n’avaient plus ni prise ni force et que la télécommande a volé et frappé le mur.
J’y ai pensé, quand Sanae est rentrée en râlant face à l’émission stupide qui tournait dans le salon tandis que je ne m’y trouvais pas.
Chaque fois que je m’entraînais sur la tenture, que j’en venais à distinguer chaque fibre que je pourrais brûler indépendamment de sa voisine.
Tout autant quand j’ai ouvert un livre, puis un autre. Des romans, des essais, des manuels, des recueils.

J’y ai pensé, chaque fois que je t’ai entendue te crisper. Chaque fois que tes pas sont devenus plus secs sur le parquet. A chacun de tes temps de latence, à chaque contact entre nos esprits.
J’y ai pensé, quand je n’ai pas cherché, ce qui se rumine en toi.

Et j’y pense, maintenant. Seul sur le perron de cette maison pour laquelle je ne sais toujours pas que penser. Seul face à un sort que je travaille depuis des semaines maintenant. Ça vient chaque fois comme une lubie. Je fouille mon passé, des manuscrits, des ouvrages. Je me suis intéressé à la magie africaine, mais sans avoir rejoint les terres du rift pour m’imprégner de leurs savoirs. Seules les pages et les souvenirs viennent à mon aide. Ça, et la légilimencie. Qui aurait pu penser qu’une telle malédiction puisse rendre plus instinctive la modélisation de la magie ?
Il y a autre chose. Je suis là, assis, le dos en avant et les mains tendues contre les accoudoirs. A l’origine, elles étaient posées mais au fil du temps, la concentration les a soulevées jusqu’à les crisper. Ça tire. Dans mes tendons, mes muscles, mes os. Ça brûle dans des parts de mon corps qui n’existe plus. Mais paradoxalement, ça rend également les choses plus simples. Un peu plus tôt, j’ai fait apparaître un filin rougeâtre au centre de l’orbe de lumière. Ce fil, il se trouve dans mon index gauche. Il tire à chaque fois que je tend les paumes. Il passe de la deuxième phalange, court sous le métacarpe, est rabattu au centre de la paume où il s’éclate en plusieurs autres aiguilles tout aussi douloureuses. C’est sur elles que je me concentre pour agrandir la sphère, comme si ces douleurs-là pouvaient se projeter au loin, de l’exacte même façon dont fonctionne l’esprit lorsqu’il est projeté dans celui d’un autre. Ces filins deviennent ceux d’une marionnette qu’on fait se mouvoir.

A chaque fois j’ai l’impression de retrouver un peu de ce que j’ai perdu.
Chaque fois…
Chaque fois pourtant, je ne peux que constater la faiblesse de mon pouvoir. Il est moindre ; limité ; fébrile. Il est faible. Aussi faible que je l’étais en sortant des geôles. Autant que je le suis, je le sais, s’il me fallait affronter Sanae en corps à corps. Chaque fois donc, ce n’est qu’une illusion qu’il faudra faire ployer pour la rendre véritable.

C’est sur ces mots, concentré de tout mon entre sur la douleur de mes membres blessés que j’associe sans vraiment comprendre comment à l’orbe, qu’un simple mouvement, une respiration ou un regard me fait perdre le fil. Qu’importe le pourquoi, les liens se défont, les brins s’emmêlent, la sphère se disloque. Sanae se trouve à mes côtés.

Impossible alors de garder la structure intacte. Comme de l’eau, elle file et s’écoule jusqu’aux lattes du perron tandis que les contours du monde reprennent leur existence autour de moi. Sans même m’en rendre compte, j’agis comme ça parfois. Je coupe le monde de ma conscience pour tenter d’extraire cette puissance qui grésille quelque part chez les sorciers. Dur d’admettre qu’en vérité, par moments, je n’y parvient pas. A d’autres, les sortilèges complexes se tissent sans que je n’en comprenne le procédé. Frustrant. Tout est frustrant.

Et je ne suis pas le seul dans ce cas.

« Heureusement que t’y avais pas passé des heures hein... »  

Des jours entiers, pour être honnête.

Avec un certain retard, mes mains se referment sur les accoudoirs, mon souffle se relâche dans un soupir sec et mon dos s’arrondit de dépit. “Une chance…”
« Désolée... Je t’ai déconcentré.»

Un instant, j’observe ces lattes comme si quelques réponses se trouvaient dans la patine dont le temps les a dotées. Rien qu’un instant à courber l’échine face à l’échec avant de redresser le regard vers les ombres du jardin couvert de rosée. C’est avec un instant de latence que j’entends ce mot “désolé”. Presque doux, entre nous. Une même douceur qui se retrouve dans ce geste que tu as de poser ta main sur mon dossier. Un geste que tu ne te serai jamais permise, six mois plus tôt. Et si je m’y adosse, aucun de nous n’ira souligner que ça, c’est moi qui ne te l’aura accordé. « Tu crois que c’est le sommeil qui nous fuit ou que c’est nous qui l’évitons ? » A la place je soupire et t’adresse un regard en coin, las et moqueur.
“Je crois qu’on est de mauvaise compagnie quand on n’a pas dormi.”

Il y a un silence, comme un creux entre nous, avant que les sourires ne le comblent et qu’un souffle d’amusement ne passe mes narines. “Trois jours Sanae. Ça faisait trois jours.” Certaines choses demandent du temps, dirait ton père. “C’est frustrant de faire du sur-place quand on s’acharne.” De nouveau, ce même regard en coin vers elle. De nouveau, ce même sourire. “Tu viens admirer mes échecs ?”

Ou me parler des tiens ?
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Ven 21 Avr - 16:25
Le cottage avait cet avantage qu’il n’était pas enfermé entre deux maisons mitoyennes. S’il donnait d’un côté sur la rue, l’arrière de la bâtisse, elle, menait à un jardin qui s’étendait jusqu’à une clôture en bois. Au-delà, c’était une forêt verdoyante qui grimpait sur une colline au sommet de laquelle l’on pouvait voir tout le village. J’y étais montée quelques fois et je m’étais assise sur un vieux tronc cassé pour admirer les toitures anciennes, le clocher au loin, et les pâturages. Il n’y avait rien de plus que le paysage ici ; peut-être était-ce suffisant d’ailleurs. Quoi qu’il en soit, j’aimais cet espace qui mettait le cottage un peu à l’écart. Mais ce qui m’avait plu, c’était ce jardin aux arbres fruitiers qui, en cette saison, étaient nus et frêles, mais qui donnaient d’ordinaire des touches de couleurs et des odeurs de printemps. Et puis, sur toute la longueur de la façade arrière, il y avait cette terrasse pas bien large construite avec des planches sur pilotis. Des piliers en bois encadraient la terrasse et s’élevaient jusqu’à une vieille pergola qui laissait toujours passer la pluie. Quand j’avais visité le cottage pour la première fois, je nous avais vu assis sur cette terrasse pour notre verre de minuit. Sans doute était-ce ridicule d’avoir tenu à une chose aussi insignifiante au regard des circonstances qui nous avaient amenés là, ou de la guerre qui faisait rage loin de ce trou paumé des Cotswolds. Nous avions plus important à faire, plus important à penser. Et pourtant, j’y avais tenu à ces deux chaises placées côte à côte pour faire face au jardin. De même que cela avait été indispensable de dormir au même étage, de partager la même salle de bains, de vivre dans la même maison.

J’avais eu besoin de trouver une normalité quelque part ; besoin de la partager et de la façonner à notre image. Image parfois un peu floue, un peu bancale, mais c’était peut-être ce qui faisait qu’elle était de nous. Maintenant, tout le cottage nous appartenait, en ce sens qu’il était imprégné de chacun et des habitudes que nous avions adoptées. Je lançais toujours une cafetière de café, même lorsque je devais partir au travail, car il se débrouillait mal avec ce qui était moldu – nous en étions à la troisième réparation de la machine à café - ; nous nous installions toujours au salon pour manger, fuyant par réflexe la disposition d’une table trop stricte et solennelle ; et si nous voulions êtres seuls, chacun de notre côté, l’autre n’insistait jamais pour pénétrer les lieux qui nous appartenaient, ainsi que je n’allais jamais dans sa chambre et il n’allait jamais dans la mienne, sauf lorsque nous nous retrouvions en d’autres humeurs… Toutes ces habitudes, futiles pour la plupart mais non moins significatives, habitaient désormais ce cottage. Il arrivait parfois que je ne les vois plus ou que je m’inquiète de leur disparition mais je me surprenais surtout à me demander quels nouveaux rituels, quelles nouvelles habitudes viendraient à naître entre ces murs.
Peut-être qu’au coeur de nos insomnies, nous finirions échoués sur une terrasse durant une nuit d’hiver…

Ici, tout était calme. Seulement le bruissement de la brise dans les branches dégarnies et les buissons aux abords de la clôture. Mes pieds nus étaient déjà gelés. Une chair de poule me prit la nuque et les épaules. Mais peu importait, j’étais concentrée sur l’orbe de lumière qui flottait dans les airs. Dans sa chaise aux larges accoudoirs, Logan semblait jouer une méticuleuse partition avec ses doigts abîmés. Je savais qu’il s’essayait beaucoup à ce genre d’exercices et je n’étais pas contre : ils avaient l’intérêt de rendre ses mains un tant soit peu mobiles, lui qui aurait du pratiquer une motricité fine tous les jours depuis le début de sa convalescence. L’emménagement avait eu cela de positif : il s’était acharné dans sa pièce de bureau, à faire sa table en bois. Ses périodes d’activité restaient néanmoins très irrégulières et je sentais que ces derniers temps, les insomnies revenaient au même titre que l’immobilité et la frustration. Que se passait-il dans cet esprit troublé ? Prenait-il cet orbe en chasse comme une promesse de puissance, un regain de vie ? Ou était-il, lui, pris en chasse par des démons qu’il tentait de faire fuir par cette sphère lumineuse ? Les deux peut-être…
Nous étions ainsi deux esprits sans cesse agités, jamais paisibles, jamais reposés. Je fuyais la grande activité de mes pensées par un rythme aussi frénétique dans le réel ; mais lui, ses journées étaient longues, sans rythme, et l’activité du corps était moindre. Alors oui, j’eus la pensée que ce qui me tourmentait moi pouvait participer à son soulagement à lui.
Quand l’orbe se réduit à une flaque de lumière bien vite dissipée entre les fentes des lattes de bois, je grimaçai. Si j’étais sincèrement désolée, j’étais également amusée de cet air pincé qu’il arborait en contemplant cet anéantissement soudain. Ses mains s’accrochèrent aux accoudoirs et son dos se fit rond. Je pinçai les lèvres.

« Heureusement que t’y avais pas passé des heures hein...
- Une chance... »
Je posai ma main libre sur le dossier de sa chaise alors que l’autre tenait le carnet derrière mon dos. Cette proximité avait fini par être admise et je n’y pensais plus avec la même prudence ou appréhension qu’au début. Comme Logan, mon regard se porta sur les dernières traces de l’orbe sur le plancher. Je laissai échapper une excuse, véritablement désolée d’avoir réduit ses efforts à néant. Il finit par se replacer au fond de sa chaise et je fis la moue. Dans ce léger silence, la nuit enveloppait les escaliers qui reliaient la terrasse au jardin. J’aimais distinguer les ombres des arbres dans la pénombre, et voir ici et là quelques mouvements furtifs d’animaux. Le sommeil nous fuyait tous les deux ces temps-ci. J’avais souvent l’occasion de penser à la vie nocturne. Ainsi, pensive, et toujours disposée à lancer des questions existentielles à des heures improbables, je soupirai en m’appuyant à la chaise, demandant à Logan s’il pensait que c’était le sommeil qui nous fuyait ou nous qui l’évitions.

Ce fut à son tour de soupirer avant de m’adresser un regard en coin, subtil mélange de lassitude et de moquerie.
« Je crois qu’on est de mauvaise compagnie quand on n’a pas dormi. » fit-il.
Un point de vue intéressant. Mais était-ce lui la mauvaise compagnie ou moi ? Je me mordis l’intérieur des joues, amusée. Nos sourires se répondirent après un instant de silence. Dans cette position, mes cheveux qui avaient poussé ces derniers mois, atteignaient son épaule. Les pointes vinrent l’effleurer et ma main demeurait sur le bord du dossier. Nous apprivoisions notre proximité de jour en jour. Elle gardait pourtant une pudeur bien à nous. Il eut un souffle amusé.

« Trois jours Sanae. Ça faisait trois jours. » Je cachai mon sourire en coin. D’habitude, c’était moi qui râlait que les choses n’avançaient pas assez vite. Ma perception du temps l’avait-elle contaminé ? « D’un autre côté, ça fait seulement trois jours Logan. » objectai-je. Mais je savais que ce n’était pas ce qu’il voulait entendre. De même que je détestais qu’on me rappelle que le temps ne passait pas au même rythme que mes sensations. « C’est frustrant de faire du sur-place quand on s’acharne. » dit-il. C’était si vrai que mon ventre se serra et que mes doigts s’ancrèrent plus fort sur le carnet. Je mordis ma lèvre, la gardant entre mes dents une seconde avant de la relâcher. Oui, rien n’était plus frustrant qu’un acharnement qui ne donnait rien. « Je sais... » soufflai-je avec le même dépit. Il se tourna à nouveau vers moi et eut un sourire qui déclencha le mien. Mais ce fut un sourire sans joie et sans amusement. « Tu viens admirer mes échecs ? » Je secouai la tête. « Non, je viens partager les miens. Avec un peu de chance, cela te distraira des tiens. ». Je glissai le carnet sur ses genoux et me détachai de lui.

Juste en face, dans le prolongement d’un pilier de bois, je me hissai sur la rambarde en bois. Les pieds dans le vide, un bras passé autour du pilier, je laissai reposer ma tête contre le bois.
« Ça fait des mois. Je gagne… » soupirai-je. « J’ai tout essayé...tout ce que je connaissais comme sortilèges et tout ce que j’ai pu trouver dans mes anciens manuels. J’espérais que mon père n’avait pas utilisé de sortilège de sang pour l’ensorceler mais plus le temps passe, plus je pense que ce serait la seule explication. Si je partageais son sang, ce serait vite réglé... » Ma mâchoire se crispa. Si j’étais vraiment sa fille, l’histoire aurait été différente oui… « Le fait est que je n’arrive pas à révéler ce qu’il contient… je n’en ai ni les connaissances, ni les compétences. Je ne sais même pas si on peut contourner un sortilège de sang… Alors j’ai pensé que toi, peut-être tu saurais, ou tu aurais une idée… »
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Mer 26 Avr - 17:03
Tu y tiens n’est-ce pas ? A cette maison aux murs de pierre. A ces arbres fruitiers, aux palissades qui séparent les jardins, à ce petit muret qui entoure les porches des maisons ou aux petites courettes qu’on voit un peu partout dans le village. Je n’y ai pas mis les pieds, bien sûr, comme si la perspective d’être reconnu, même ici, me poursuivait. D’une manière absurde, j’ai plus aisément foulé les pavés d’une petite ville d’Espagne ou d’ailleurs que ces places que d’autres pourraient considérer comme les miens. Je reste étranger à l’église et la mairie, aux deux pubs qui s’arrachent leur clientèle ou à l’épicerie qui rassemble les habitants le samedi. Seule la forêt me connaît. En vérité sans doute êtes-ce pire ; penser qu’on restera anonyme.
Tu t’y fais toi ? A ces lieux reculés et calmes ? Si loin de la ville. Loin de la mer. Loin de ce que tu as connu. Parfois j’y songe, à cette capacité d’adaptation que tu as, et je me demande pourquoi moi, je n’ai jamais envisagé quelque lieu que ce soit comme le mien. Seule Poudlard fait exception. La grande dame de pierre.
Je crois qu’en vérité, je n’ai jamais cessé de me battre pour voir le jour suivant. Depuis tout gosse. Ainsi prévoir l’avenir n’avait aucun sens. Quoi que ç’aurait dû. D’autres se battent pour des causes, pour des objectifs. Toi tu le fais.

Et c’est pour ça que tu es là. Non pour contempler mes échecs, je le sais, il ne s’agit là que d’une ouverture. La preuve aussi sans doute que je sombre moins que ce n’était le cas il y a quelques mois. Davantage de patience, davantage d’autodérision. Pas que ce soit mon fort cela dit, mais là où hier j’aurais gardé lèvres closes, je savoure aujourd’hui une complicité qui n’a plus rien d’artificielle. Elle est pudique, sobre, mais malgré tout bien présente. J’y gagne une forme d’apaisement, à ta présence. Ça prend du temps à l’accepter, ça s’écoule mal la majeure partie du temps, mais je suppose qu’il faut s’y faire. En vérité, l’un comme l’autre trouvons peu à peu la distance adéquate. La fréquence à accorder à celle de l’autre.
J’ai un sourire à nos échanges. Un autre que je garde pour moi à sentir tes cheveux m’effleurer. Encore un, d’autant plus secret, lorsque tu consens à céder du terrain. C’est un petit carnet qui me tombe sur les cuisses, non loin des genoux. Un instant, je ne l’observe même pas, pas plus que je ne laisse remonter mes yeux vers elle lorsqu’elle se déplace. Mon regard lâche les lattes de la terrasse et circule dans les herbes longues du jardin. Je m’interroge sur les aptitudes que la magie peut permettre. Si j’ai pu dépêcher des larmes de pouvoir sur chaque brique de ma cellule, peut-être pourrais-je en faire de même sur un endroit plus vaste ? Percevoir ce que mes yeux ne voient pas. J’essaye, sans résultat bien sûr. Alors mon esprit raccroche et te considère avec un rictus d’amusement te percher sur la rambarde qui sépare le porche de l’espace vert. Le bois grince, tangue un peu, mais ne rompra pas. Quoi que je pourrais peut être le consolider ?
En vérité, ce n’est ni la perspective que la construction encore vieillotte de la bâtisse puisse te faire défaut ni la possibilité que tu puisse tomber en arrière qui m’amuse, c’est le naturel avec lequel tu agis à présent. Ça m’a toujours fait sourire en vérité, bien que tu n’y ais pas eu accès. Lorsque tu t’asseyais en tailleurs à même le sol à quelques mètres de moi.
Personne n’a jamais eu ces habitudes, d’aussi loin que je m’en souvienne. Ça m’agaçait de la part des élèves à Poudlard, quand j’étais enfant, puis enseignant. Mais toi… ok, au début ça m’a peut être tiré une pointe d’irritation. A présent il y a quelque chose de plus tendre à te voir agir ainsi. Quand je songe aux postures rigides de Serena, ou celles plus droites encore d’Emersyn, ma grand mère, j’imagine leur air outré si elles te voyaient ainsi, le bassin légèrement en avant, les pieds dans le vide, un bras autour du poteau.

Finalement il y a quelque chose que j’aime bien là-dedans.

« Ça fait des mois. Je gagne… J’ai tout essayé...tout ce que je connaissais comme sortilèges et tout ce que j’ai pu trouver dans mes anciens manuels. J’espérais que mon père n’avait pas utilisé de sortilège de sang pour l’ensorceler mais plus le temps passe, plus je pense que ce serait la seule explication. Si je partageais son sang, ce serait vite réglé... »

Je n’en dis rien, ne commente pas. C’est ironique non ? Il suffirait qu’on échange nos statuts de sang et le problème pourrait être réglé. Quoi que je doute que ton père n’ait pas anticipé la possibilité de sa mort. Peut être voudrait-il te protéger. Un concept qui m’échappe mais qui n’est pas improbable, contrairement à ce que sa stature distante et froide a pu m’évoquer les premières fois que j’ai croisé son ombre dans tes souvenirs.
Je me doute, là, maintenant, de la plaie que ça ouvre chez toi. Pas que je la comprenne vraiment je pense, mais ça vient petit à petit. Ce qui m’était étranger devient familier au travers de tes yeux.
La pulpe de mon pouce passe sur les ongles encore fins de mes doigts. Ça repousse, même ceux qui m’ont été arrachés par les inquisiteurs quand je jouais à y retrouver Maeve pour un dernier face à face. Si j’étais un moldu, je jouerai sans doute avec les fils de suture. Si tu étais une moldue, tu ne t’interrogerais pas sur les secrets qu’un père a pu garder loin de sa fille. Car sa fille tu es. Sinon tu ne serais pas là, à me demander de l’aide pour quelque chose qui active déjà les rouages de mon esprit. Ça mouline d’avance quand mon regard quitte le tien pour retomber sur le carnet et le saisir de mes mains. Peut-être cela te donnera-t-il un peu d’espace pour dealer avec le creux qu’il a laissé. Ou peut-être cela me permettra-t-il de cesser de jouer avec les nerfs à vifs qui crissent chaque fois que j’y passe le doigt. Ou alors, seule la solution ne m’importe. Va savoir.

« Le fait est que je n’arrive pas à révéler ce qu’il contient… je n’en ai ni les connaissances, ni les compétences. Je ne sais même pas si on peut contourner un sortilège de sang… Alors j’ai pensé que toi, peut-être tu saurais, ou tu aurais une idée… »

Il t’a fallu combien de temps avant d’en arriver là ? Bien sûr que j’ai des idées. Pas que je sache, je me suis assez attardé sur tes souvenirs pour savoir quel sorcier était ton père et quoi que j’ai comme bagages de mon côté, je n’ai sans doute pas la moitié de ses compétences. Ou du moins pas la moitié de son expérience. J’aimerai que ce soit le cas, beaucoup le pensent, beaucoup le fantasment. Mais j’ai en vérité plus de lacunes qu’on pourrait l’imaginer. Alors un instant, je hoche du chef en passant les doigts sur la couverture de cuir et les sillons formés par le temps et les ornements sobres qui le recouvrent.
“Le contourner sans doute pas. Le corrompre, ça s’envisage. Si tant est qu’il s’agisse bien d’un sortilège de sang…” Je n’en démord pas, mais sans doute est-ce déplacé. Ça va surtout à l’encontre de cette plaie que tu portes de n’être son enfant légitime je suppose.
Ma cheville passe sur le genou opposé et s’y immobilise dans une posture maintenant familière. Un coude sur l’accoudoir, de ma main libre je parcours l’objet. “Quand j’étais môme, j’étais fasciné par les traités de magie noire, les recueils de magie étrangère… bien sûr la bibliothèque de mon père m’était interdite…” En sortant ma baguette, je glisse un sort sur la surface. Rien de sérieux, simplement pour soumettre l’objet à une réaction, qu’importe laquelle. “Donc bien sûr j’y passais mes nuits.” Dans un sourire en coin, je relève le regard vers l’encre du tien, m’arrête un instant. Aucun besoin d’énoncer les choses, je sais que tu fais le lien avec Alec autant que je le fais.
Affaire de famille. Je me plairais à le croire.
Un instant, mon regard se pose de nouveau sur le petit objet puis je glisse “Oui, j’ai quelques idées. J’ai besoin de l’étudier un peu, je ne promets rien. Mais j’ai quelques idées.”
Puis je me lève, l’esprit déjà en vadrouiller dans les caves creusées dans mon âme. Il y a bien des tisseurs de sorts au Japon, bien des runes en Russie. Bien des options que j’ai déjà étudié mais pour lesquelles mes connaissances méritent quelques rafraîchissements. Pour être honnête, quelque chose s’anime en moi. La flamme de la recherche, celle de briser un mystère, celle de se parer d’un objectif concret et simple. Celle de servir à quelqu’un. Quelqu’un qui compte. D’avoir un impact. De savoir que tu me confies là quelque chose d’important. Que ce n’est pas neutre. Je sais ce que ça représente.

Alors j’ai atteint le pas de la porte lorsque je réalise, que je me retourne et te fais face. Une main abandonnée sur le chambranle, je pose le regard sur toi, redresse entre nous le petit carnet de ton père, et prononce ce que je n’aurais jamais pensé dire.

“Une expédition suicide et un voyage, toi et moi sur les traces du savoir ; ça te dit ?”
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Mar 2 Mai - 23:15
La main autour du pilier de bois, je tenais en équilibre sur la rambarde de la terrasse. Mes pieds nus pendaient dans le vide et la brise froide de la nuit venait les caresser. J’avais froid et on pouvait difficilement trouver position moins confortable mais je n’y pensais pas vraiment. Toute mon attention était fixée sur ce carnet que j’avais mis entre les mains de Logan. Par ce simple geste, j’eus l’impression qu’un peu de ce fardeau se soulevait de mes épaules. J’aurais dû me sentir coupable de partager avec lui ce poids insoutenable; n’était-ce pas une demande égoïste? Devais-je avoir honte de lui demander de mettre son nez dans une vengeance qui ne le concernait pas? Il pouvait envoyer valser ma demande et décider qu’il ne le porterait pas, ce fardeau, qu’il s’y refusait. Il pouvait dire, très justement, que ça ne le concernait pas, que ce n’était pas son histoire, son besoin, son but. Il aurait eu raison. Alors que j’attendais de voir entre ses lèvres la réponse à ma demande, j’eus cette pensée passagère qui m’habita comme une fulgurance: aurait-il vraiment eu raison?

Tout légitime qu’il était à refuser d’y participer, il n’était pas moins impliqué par ce qui nous liait l’un l’autre. N’avais-je pas éprouvé sa souffrance et sa peur quand il avait partagé avec moi ses souvenirs tourmentés? Ne m’étais-je pas sentie traversée par ses émotions et ses sensations comme si elles étaient les miennes? Et, n’étais-je pas tout aussi concernée par la voie qu’il prendrait que par celle que je prendrai moi-même? N’avions-nous pas déterminé que nos destins étaient liés? Plus j’y pensais, plus je me persuadais qu’il faisait déjà partie de tout ça. Qu’il soit un acteur passif ou actif de mon histoire, il n’en était pas moins inclus dans chaque décision, chaque montée et descente, chaque virage serré et chaotique. Je l’avais intégré aussi rapidement dans ma vie que mon esprit s’était lié au sien. Lui donner l’occasion de prendre une place dans cette vengeance était une évidence, bien que j’aurais aimé savoir me débrouiller seule. Mais lui, éprouvait-il la même chose? Se pensait-il comme partie prenante de ma vie? Et si oui, allait-il accepter l’aide que je venais chercher auprès de lui?

Je l’observai, attentive à chaque expression, à chaque geste ou variation qui pourrait me donner un indice. Il ne dit rien mais son regard retomba sur le carnet. Il le prit entre ses mains abîmées, semblant étudier la question. Un premier contact silencieux entre lui et cet objet récalcitrant. Ce n’était pas simple d’admettre que je ne pouvais y arriver seule. Je me surpris à le dire à voix haute. C’était sûrement un aveu que je ne pouvais faire qu’à lui, dans cet espace où il savait tant de moi qu’aucune révélation n’aurait pu véritablement le surprendre. Il hocha la tête. J’eus un sursaut au fond du ventre. Il acceptait. Par curiosité pour la magie qui tournait autour de ce carnet, par ennui, par défi, ou simplement parce que j’avais besoin de lui… Je l’ignorais mais cela n’avait pas d’importance. Qu’il le fasse pour lui ou pour moi, était-ce si différent?

“Le contourner sans doute pas. Le corrompre, ça s’envisage. Si tant est qu’il s’agisse bien d’un sortilège de sang…” dit-il. J’acquiesçai en silence. Le corrompre, oui, probablement avec de la magie noire. Il croisa les jambes, sa cheville appuyée contre son genou. D’une main, il passait sur la couverture du carnet. “Quand j’étais môme, j’étais fasciné par les traités de magie noire, les recueils de magie étrangère… bien sûr la bibliothèque de mon père m’était interdite…” Bingo. Ca ne m’étonnait pas de sa part, toujours attiré par l’interdit, le danger. Et puis, ce n’était pas pour rien qu’il avait pu préparer Alec au pire. Je reposai ma tête contre le pilier. Il ne parlait jamais de sa famille, et certainement pas de son père. Il sortit sa baguette et la fit glisser sur le carnet. “Donc bien sûr j’y passais mes nuits.” Je souris et trouvai un écho sur le visage de Logan. Nos regards s’accrochèrent comme ils ont tant l’habitude de le faire. Je savais qu’il pensait à Alec, lui aussi. Ma poitrine se serra. “Évidemment.” soufflai-je.

Au-delà de la tristesse qui accompagnait toujours chaque d’Alec, je ressentais une satisfaction toute singulière quand Logan se confiait. Ce n’était jamais attendu, jamais prévisible. A chaque fois qu’il décidait à glisser ici et là des morceaux de sa vie d’avant, des détails sur sa famille, ses anciennes relations, ou sur Poudlard, je recevais ce morceau de lui et le mettais dans un coin de mon esprit, là où tout était précieux. Nous arrivions au moment où je pouvais lui demander son aide et où il pouvait se dévoiler. Quelques mois en arrière, cela aurait été impossible. Nous grandissions peu à peu et nous gagnions, en nous fréquentant, bien plus que de la compagnie.

“Oui, j’ai quelques idées. J’ai besoin de l’étudier un peu, je ne promets rien. Mais j’ai quelques idées.”
J’acquiesçai.
« Fais ce que tu pourras... » murmurai-je.

Le soulagement me prit aussi vite qu’il disparut. Logan se leva, chargé d’une détermination que je n’avais jamais l’occasion de voir chez lui, et moi, je fus soudainement paralysée par l’idée qu’il emportait avec lui mon fardeau. J’avais cru que le voir s’en emparer me rassurerait malgré la frustration, que cela pourrait apaiser mes pensées désordonnées. Mais en vérité, en s’éloignant avec le carnet, il prenait en otage une partie de moi que je ne savais pas gérer seule. Et j’étais incapable de dire si c’était une bonne chose ou une mauvaise, si c’était ce que je désirais vraiment ou ce que je redoutais. Allait-il disparaître avec ce carnet et revenir seulement avec le résultat de ses recherches? Allais-je restée seule dans le silence du cottage durant des jours, des semaines? Cette histoire lui profitait, le rendait actif là où il y avait eu trop d’immobilité, mais où étais-je dans tout ceci ? En lui donnant une place, avais-je supprimé la mienne? Qu’allais-je pouvoir faire en attendant ? N’être qu’une ombre en suspend?

Le cœur serré, incapable de dire quoi que ce soit de cohérent, je demeurais muette. En proie à tant de vents contraires que je n’aurais su dire d’où chacun provenait, je vécus ce dos tourné, ces pas s’éloignant de moi, comme une porte claquée. A tort, de son point de vue à lui, je le savais. Ce n’était que sa manière de m’aider, de s’impliquer, de répondre à mon appel. Je me laissai glisser de la rambarde, mes pieds retrouvant le sol, avant de passer quelques doigts dans mes cheveux. Ma main accrocha ma nuque.

Et puis, je le vis s’arrêter dans l’encadrement de la porte. Je fronçai les sourcils, manquant un battement. Il se retourna pour me faire face. Son regard me trouva et il brandit entre nous le carnet noir.

“Une expédition suicide et un voyage, toi et moi sur les traces du savoir ; ça te dit ?”

Ma main glissa de ma nuque.  Jamais prévisible, toujours surprenant. C’était idiot d’observer quelqu’un de si près et de ne jamais pouvoir prévoir ce qu’il ferait. Je ne luttai pas contre le sourire qui me vint. Je m’approchai, faisant craquer le vieux bois, et me postai devant lui. Un instant, je m’arrêtai sur le carnet qui, entre nous, devenait désormais un objectif partagé, un but commun et non une barrière. Puis, ce fut les prunelles d’acier que je retrouvai. Des prunelles qui s’accrochaient aux miennes et attendaient…

Mon sourire s’élargit. Il y avait trop de pudeur chez moi, tout autant que chez lui, pour exprimer autre chose et dire combien l’affection brûlait à l’intérieur.

« Quand est-ce qu’on part ? »


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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Jeu 11 Mai - 19:52
A partir de ce jour, nous serons liés. Nous le sommes déjà, je le sais. Mais il en sera autrement.

Au bout du couloir, le bureau a pris des airs d’une véritable pièce. Laissé en chantier pendant des mois, n’avançant qu’à une lenteur probablement insoutenable pour Sanae qui aura retapé l’intégralité du cottage en trois fois moins de temps, il s’est pourtant métamorphosé dès que j’ai eu le carnet de Masa entre les mains. Quelques jours et les murs déjà bien avancés ont été terminés, le parquet poli par Sana a été lustré, nourri, ciré. Les meubles installés ont été emplis, les bibliothèques se sont chargées de livres, des tiens. Des rideaux ont été posés. Les lumières allumées. Un mélange étrange entre ancien et moderne. Des styles qui ne sont pas les miens se sont invités ici et là, à commencer par ce bureau noir et bois à la sobriété et aux matériaux moldus. Je remplirais les vides avec le voyage à venir. Des objets, des potions, ces choses qui ne font plus partie de mon décor mais qui ont besoin d’y revenir.
En m’y asseyant sur la chaise de bureau pour la première fois, j’ai songé au lendemain de la mort d’Anthony, lorsqu’après une nuit complète à sécuriser l’école, débarrasser les corps, enfermer les Supérieurs récalcitrants, rassembler les élèves et soigner les blessés, nous nous sommes réunis pour décider de la marche à suivre. Lorsque les tableaux ont été les premiers à m’appeler “directeur” et que j’ai pris le poste, sans vraiment m’assurer que d’autres puissent être plus aptes à cette tâche. Je m’y suis assis, certain que je serais capable de tenir face aux décisions qui seraient demandées. Face aux reproches qui me seraient faits. Face à la ligne de mire qu’on braquerait droit sur moi et dont d’autres ne voulaient pas.
Elle a toujours été là. Il faudrait être lâche pour choisir quelqu’un d’autre quand ma tête a déjà été mise à prix dès ma venue au monde. C’est pragmatique. Mathématique. C’était moi. Mon rôle. Ma tâche.
J’ai fixé les différents directeurs, abaissé le menton à l’absence de Woods, songé à sa mort, des années plus tôt, à la mienne, inéluctable. A l’ombre d’Alec, non loin du cadavre d’Anthony. Au corps dont il était lui-même responsable. Un homme que je savais père de famille, apprécié et soutenu et dont je ne lui révélerai pas même le nom.
Au cottage, par habitude, j’ai redressé le regard sans pouvoir croiser celui de qui que ce soit. Aucune peinture. Aucune ombre du passé. Seulement moi. Peut-être me manquent-ils, ces hommes avec qui je me suis souvent entretenu, engueulé, morigéné. J’ai entendu Sanae sortir de sa chambre, descendre, remonter pied nus sur l’escalier. Chambre vide, lumière sous la porte du bureau. Lorsqu’elle est entrée, j’avais le regard perdu vers les profondeurs de la forêt alentours.
Pas d’alcool pour elle. Pas de crise pour moi. Seule la nuit pour nous répondre. Je ne sais pas trop pourquoi, mais j’ai souri. Puis je me suis mis à l’étude du carnet.
Comme ça.
Et “comme ça”, elle s’est jointe au procédé. Je suppose que de lâcher prise à quatre heure du matin pour une médicomage n’est sans doute pas la meilleure des manières de commencer une journée de travail mais cette bataille est la sienne bien avant d’être la mienne.
Plusieurs fois, j’ai passé du temps au creux de son esprit pour en analyser chaque test, chaque tentative, chaque échec. J’ai cherché son père, sa manière d’être et de penser. Les apparitions de ce carnet. Le rapport à la magie.
Et j’ai eu de nombreux tête à tête également. Des nuits passées à refaire par moi-même les pas de Sanae, sachant pertinemment que je n’aurai pas davantage de résultats - et d’ailleurs, je m’étais décidé à ne pas en chercher sans elle - mais simplement pour sentir à mon tour la résistance du petit objet. A m’inclure. A comprendre.
Au fil des jours, j’ai fait le tour. Surtout, la couverture de cuir rarement éraflée, les quelques plissures de pages, les volutes tracées avec délicatesse, tout a fini par me devenir familier.

J’avais besoin de ça. Besoin de le connaître, comme on connaîtrait un vieil ami. Peut être ais-je toujours mieux su créer du lien avec l’inanimé et le sauvage qu’avec les Hommes. De cette familiarité est née une forme d’affection étrange. Comme l’impression de s’y retrouver un peu. Ce petit objet fermé refusant de livrer ses secrets, qu’importe qui s’adresse à lui, qu’importe la violence avec laquelle on lui somme de se confier, qu’importe les menaces qui planent. Infatigable. Obtus. Une fois de plus, je me suis surpris à me dire que j’aurais aimé rencontrer Masa. Non pas qu’un tel face à face eut été positif ou dénué de tensions, j’en ai conscience. Mais avec le recul, oui, j’aurais aimé.

Tout comme je me suis pris à apprécier travailler sur le carnet avec sa fille. Marcher en sembles, réfléchir, tenter, échouer. Je retrouve contact avec mes anciennes connaissances, des capacités oubliées, une flamme pour la recherche que je ne sentais plus brûler mes nerfs depuis longtemps.

Je pense que quelque part ça t’amuse. Ou en tout cas, ça te rassure.


Demain tu ne travaille pas. Alors cette nuit, on a du boulot. Sauf que ce que j’ai en tête, je ne t’en ai pas parlé. Déjà parce que je pense connaître ta réaction, ensuite parce que j’hésite toujours.
Nous sommes le 10 décembre. Il y a deux jours, j’ai fait une crise. Une crise que t’imagines pas, que je cherche peut être à me faire pardonner, que je voudrais compenser. Une crise, surtout, dont je voudrais m’éloigner. Et pour ça, j’ai besoin de toi.
Si ces dernières quarante huit heures s’étaient déroulées autrement, je n’aurais sans doute pas sous les côtes cette incertitude. J’aurais même peut être eu le dédain de t’en parler. Mais là… Là si je parle, je brise quelque chose d’encore balbutiant. Et si je me tais, je le reporte à plus tard. Dans tous les cas je te trahis.

La porte bascule sous mes doigts. Une décharge passe sous le majeur blessé, fuse dans les cicatrices, remonte jusqu’à mon coude.
Et tu te tourne vers moi sans comprendre.

“ J’ai besoin d’un truc avant de partir.”

On part dans deux jours. Pas si simple de prévoir quand on bosse dans le plus gros hôpital du monde magique et qu’on fait ses nuits à la Garde. T’as déjà anticipé mille trucs. Et moi j’ai… prévu d’autres choses. Mais j’t’en ai pas parlé.
Parce que je prévoyais de me défiler.

“Un ouvrage. Dans la réserve des Rivers.”

Mon épaule touche le battant de la porte, j’observe ce qui passe dans ton regard sans m’y soustraire, comme lorsqu’un livre tendu entre nous faisait office d’accord tacite. Une main passe sur le chambranle de la porte, la seconde se porte à ma poche. “Tu me suis ?”

Ma voix n’est qu’un souffle. Une confidence, tout au plus.
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Jeu 8 Juin - 21:29
Quelques semaines s’étaient écoulées depuis que j’avais confié le carnet à Logan. Quelques semaines où le fardeau s’allégeait par le simple fait que nous étions deux pour réfléchir, deux pour chercher. Je n’osais pas lui demander ce qu’il y avait pour lui dans tout ça, si n’est une activité capable de le déloger de sa stagnation, mais je devais admettre qu’il y mettait beaucoup de lui. Nous y mettions beaucoup de nous.

Je redoublais d’efforts à l’hôpital, remplaçais quelques collègues quand ils avaient un impératif familial, car je savais qu’un jour prochain – très prochain – j’aurais besoin, moi aussi, de m’absenter. Je cumulais alors les heures supplémentaires par-ci par-là, ce qui malheureusement – ou heureusement pour moi – était grandement nécessaire vu le nombre décroissant de soignants depuis des mois. Aussi, j’allais peu à l’hôpital clandestin mais continuais mes missions pour la Garde. J’appris alors qu’à un certain stade de fatigue, on ne la ressentait plus, un peu comme le froid se transforme en vicieuse sensation de chaleur. Je fis comme je faisais souvent durant mes premières années de médicomagie : beaucoup de micro-siestes et de café. Par chance, je pouvais m’endormir n’importe où, en très peu de temps. Je m’étais endormie, souvent, dans un des fauteuils du bureau de Logan. Nos nuits s’étaient transformées en insomnies collaboratives. Il cherchait dans mon esprit toutes les méthodes que j’avais utilisées, les pistes que j’avais déjà poursuivies, et par rigueur, s’assurait que rien ne m’avait échappé. J’avais pris l’habitude de m’écrouler quelques heures en rentrant et d’émerger plus tard, au cœur de la nuit, pour retrouver la lumière sous la porte de son bureau. Je m’y glissais toujours en silence et me joignais à ses réflexions.

Nous nous étions mis à fouiller dans ma mémoire pour en déterrer un indice. Au bord de la migraine, je m’étais accrochée de longs moments à l’acier de ses prunelles pour tenter d’attraper une image, une parole, un morceau de souvenir flottant où mon père m’aurait parlé de ce carnet, où je l’aurais vu l’utiliser. Mais mon père travaillait tant que je l’avais toujours connu le nez dans les journaux et dans toutes sortes de carnets, agenda, ou dossiers. Qu’ils soient écrits en français, anglais, japonais ou autres langues dont il connaissait les usages pour son travail, Masa n’était jamais loin d’une pile de courriers des Ministères. Comment, parmi la multitude de carnets, qu’il possédait, aurais-je pu en identifier un seul comme étant spécial ? J’avais beau scruter chaque recoin de ma mémoire, analyser les gestes de mon père, je n’arrivai à trouver un seul souvenir exploitable. Il n’y en avait qu’un seul qui avait déclenché chez Logan et moi de l’espoir, bien vite dissipé par le flou qui accompagnait ces furtives images. C’était un vieux souvenir qui ne m’avait pas marquée, ce qui impliquait qu’il n’avait jamais été ravivé. Chose qui me frustrait tant que ces moments de légimencie se terminaient toujours par une furieuse envie de jeter tous les meubles par la fenêtre.

Les semaines défilèrent si rapidement que je n’eus conscience du temps qui passe qu’en voyant les rues de Londres s’illuminer de guirlandes, d’arbres et de décorations à toutes les vitrines des magasins. Les fêtes de fin d’année approchaient et l’automne semblait m’avoir glissé entre les doigts. Je n’avais pas vu Kezabel depuis deux semaines, bien que nous nous téléphonions souvent, mais je savais qu’elle était sur la bonne voie. Son nouveau travail la passionnait, signe qu’elle se projetait vers l’avant et commençait à se construire un futur. Margo était très prise également, voyageant chaque semaine, voire chaque jour, gardant ce rythme à mille à l’heure qui lui allait tant. Elle aussi, allait vers l’avant.

Mais moi...c’était en arrière que je traçais mes pas. J’avançais à rebours, dans ce passé où je retournais chaque nuit et à chaque moment où mes pensées dérivaient, cherchant désespérément à comprendre. Si j’avais conscience de ces rythmes et de ces avancées contraires, je n’en souffrais que par les conséquences qu’ils pouvaient avoir sur les autres. Soudainement confrontée à leurs vies, je comprenais que je n’en faisais alors plus véritablement partie. Et je ne savais pas qui blâmer, à part moi.


J’étais tant prise par les recherches que le reste s’évaporait, insaisissable. J’aurais aimé dire que les autres me manquaient, que j’aurais aimé passer plus de temps avec ma sœur, que j’attendais chaque seconde le prochain moment d’intimité avec Margo, mais cela aurait été un mensonge. Tout l’amour que je leur portais demeurait présent et je n’aurais jamais refusé de les voir, mais il n’y avait pas de place en moi pour quoi que ce soit d’autre que ce carnet. Je n’arrivais à penser à rien d’autre. Mon monde commençait à ce carnet et s’arrêtait à ma vengeance. Si bien que tout le reste s’échappait de ma mémoire…

En transplanant au cottage ce soir-là, je pensais à mes pieds douloureux après ma journée à l’hôpital qui s’était allongée et à combien d’heures de sommeil je pouvais avoir avant de retourner à l’étude du carnet. Je me débattais avec ma veste tout en attrapant mon téléphone sur la table de la cuisine quand, en s’allumant, l’écran dévoila le nombre d’appels et de messages reçus. J’arrêtai mes gestes désordonnés pour me sortir de cette maudite veste entortillée avec mon écharpe. Et merde….Merde. Merde. Merde. Je pris mon téléphone, appuyait sur le nom qui s’était affiché à côté d’un nombre astronomique d’appels ratés et le glissai à mon oreille en me débarrassant de mon écharpe. Trois sonneries et Margo décrochait. Je ne la laissai pas parler.

« Je sais, je sais ce que tu vas dire… j’ai merdé, j’ai complètement oublié, dis-je précipitamment.
— Quelle putain de classe. De meuf inexistante je suis passée à la casserole qu'on oublie sur le feu, siffla-t-elle, acide.
— C’est pas ça… J’ai enchaîné le boulot et tout le reste, j’ai oublié que c’était ce soir. Je suis désolée… Je me rattraperai.
— Dans deux mois entre deux recherches avec Logan ? Te fatigue pas pour rien, dit-elle, avant de raccrocher. »

J’avais senti venir la fin de la conversation mais cette porte claquée au nez n’en fut pas moins douloureuse, même au téléphone. Comment lui en vouloir ? J’avais promis de finir plus tôt ma journée et de la rejoindre en Irlande pour dîner avec elle mais cette promesse s’était dissipée comme une frêle volute de fumée. Je ne lui en voulais pas pour sa jalousie ou sa rancœur, mais j’exécrais l’idée que nos échanges ne soient plus que constitués de tensions et de culpabilité.

Je laissai retomber le téléphone sur le plan de travail et soupirai. Lasse, je fermai les paupières, ma veste encore entortillée sur mes bras, m’oppressant par son épaisseur. Un instant, j’aurais presque pu entendre une voix familière près de moi. Quand on veut tout faire, on finit par ne rien faire du tout. Il me l’avait souvent répété quand, plus jeune, j’oscillais sans cesse d’une activité à l’autre sans jamais en terminer aucune, vite ennuyée ou frustrée, et que je n’apprendrais finalement rien, n’excellais dans aucun domaine. Depuis ce moment, j’avais été tenue de faire maximum trois activités en parallèle et d’y progresser suffisamment pour en maîtriser, au moins, les bases. Étais-je revenue à mes travers d’enfant ? Vouloir tout faire, tout en même temps, sans jamais m’établir dans un domaine précis, traitant tous les problèmes à la fois ...et finalement, ne rien régler, n’aller au bout de rien, seulement osciller en permanence d’un point à un autre sans jamais respirer. Je n’étais en ce moment, ni une sœur présente, ni une petite-amie à la hauteur. J’étais, au mieux, une accro au travail, un courant d’air.

J’abandonnai ma veste sur une chaise, récupérai mon sac et mon téléphone, et montai jusqu’à ma chambre. Un bref échange avec Logan, dans son bureau, et je filai déjà à la douche. Dans l’évacuation perdue au milieu de la porcelaine blanche, je laissai s’écouler toutes les frustrations, les chagrins, les angoisses, les poussées d’adrénaline et les brusques retombées d’énergie qui avaient rythmé ma journée. Je me débarrassai de l’effervescence de l’hôpital, encore tonitruante dans mon esprit. Et quand j’enroulai une serviette autour de moi, l’odeur de désinfectant mélangée à celle des potions et des traitements s’était détachée de ma peau. Les cheveux retenus en une queue de cheval lâche, quelques mèches noires s’échappaient pour coller à mes tempes et à ma nuque. J’aimais ce moment juste après la douche, où la peau était encore humide, perlée de gouttes, et où l’odeur de noix de coco du gel douche parfumait encore mon corps. Une pause dans l’atmosphère, simplement quelques minutes à moi où je séchai mes pieds engourdis, mes jambes fatiguées, mon ventre creusé par la faim, et mes épaules douloureuses. Même s’il ne durait pas, ce moment m’appartenait et m’apaisait.
Je dormis trois heures et émergeai quand la nuit s’était déjà bien installée.
Au-dehors, l’obscurité engloutissait les toitures des maisons voisines et les bois qui longeaient le jardin, donnant aux arbres d’inquiétantes silhouettes longilignes. Par la fenêtre de ma chambre, seules des formes indistincts se dessinaient à travers de fines gouttelettes. A défaut de véritablement neiger, une légère pluie s’abattait dans le brouillard. En quittant cette vision obscure et brumeuse, j’eus brusquement conscience que ce que nous faisions, Logan et moi, au coeur de la nuit, nous rendait plus étranges et marginaux que nous l’étions d’ordinaire. Cela ne suffisait pas d’être légimens, incapables de répondre aux attentes sociales, et toujours en conflit avec des parts de nous-mêmes, il fallait aussi que nous nous embarquions dans des projets complexes qui apparemment ne pouvaient avoir lieu le jour. Quand les gens normaux dormaient, nos yeux étaient, eux, grands ouverts.

J’étouffai un bâillement, envisageant de descendre faire le plein de thé ou de café pour les quelques heures où mon colocataire et moi serions en plein examen de mes souvenirs ou en train de chercher dans de vieux livres des indices qui m’auraient échappé dans mes premières tentatives. J’enfilai un pull noir léger et m’assis sur le rebord du lit pour mettre d’épaisses chaussettes. Au cottage, le passage du parquet au carrelage présent dans quelques pièces était toujours un choc. Avant que je n’ai pu me lever du lit, la porte de ma chambre coulissa, dévoilant Logan dans l’encadrement.

Tournée vers lui, je haussai un sourcil interrogateur. D’habitude, il restait dans son bureau en attendant que je le rejoigne.

« J’ai besoin d’un truc avant de partir. »

Je fronçai les sourcils, la tête penchée, prête à entendre la suite.  Nous avions prévu de partir en Inde dans deux jours pour faire des recherches dans une très grande bibliothèque. De quoi avait-il besoin ? Qu’avions-nous oublié ?

« Un ouvrage. Dans la réserve des Rivers. »

Je clignai des yeux plusieurs fois, les traits figés. Même l’incompréhension tardait à se jouer sur mon visage. Logan, appuyé contre l’encadrement de la porte, finit par y appuyer une main et enfouir l’autre dans sa poche. « Tu me suis ? »

Je me mis à calculer dans ma tête, arrêtant le temps une seconde. Si je m’exclamais que l’idée était absurde, dangereuse et complètement stupide, Logan ne me demanderait plus jamais de l’accompagner. Si je posais trop de questions, il penserait sans doute que je n’avais pas le courage de prendre le risque d’aller là-bas, ce qui reviendrait au même résultat que de lui hurler qu’il lui manquait plusieurs cases. Or, comment pouvais-je réagir calmement quand il voulait aller tout droit dans la gueule du loup ?

Il y eut un instant de silence où mes traits se mouvèrent au fil de mes pensées, passant de la crispation, à la réflexion intense. J’ouvris la bouche, laissai passer une inspiration, une expiration, et finit par soupirer en me levant. Je m’approchai de lui, une main sur la hanche et l’autre sur l’encadrement de la porte.

« T’es conscient que t’es pas en train de m’annoncer que tu veux aller chercher du pain au bout de la rue, hein ? Mais que tu veux aller, en pleine nuit, chez la famille qui te porte tellement dans leur coeur, si tant est qu’ils en aient un, qu’ils seraient prêts à tout pour te capturer et te faire payer ton existence ? Et, tout ça, pour récupérer un bouquin. » Je marquai une pause, les lèvres pincées. « J’ose espérer que c’est pas un roman de gare qui t’obsède parce que t’as jamais lu la fin. » J’eus un sourire amusé en coin, malgré le fait que j’étais terriblement consciente des risques qu’il voulait prendre. J’eus un soupir, reprenant mon sérieux. « Évidemment que je viens avec toi. Mais est-ce que tu es sûr que tu veux prendre autant de risques pour m’aider dans ces recherches ? C’est quoi ce bouquin ?».


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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Lun 19 Juin - 22:03

 08 décembre 2016
Ça aurait pu n’être qu’un passe-temps comme n’importe quel autre. L’une de ces choses qu’on fait par obligation ou par devoir. Ça en avait toutes les caractéristiques. Je ne m’étais pas passionné ainsi pour la moindre chose depuis … ce qui ressemble à des décennies. Tout ça semble appartenir à une autre vie. Sans doute est-ce le cas, en vérité. J’étais quelqu’un d’autre, j’opérais dans d’autres sphères.
Enfant, ça m’arrivait. Fouiller, creuser, bouffer des connaissances par pelletées, apprendre en masse, m’entraîner depuis l’aube au crépuscule sans relâcher les efforts des nuits durant. Je n’ai jamais compris le manque de constance des élèves. Leur aptitude à survoler le travail demandé, à papillonner ici et là sans jamais vraiment s’impliquer. Il y a là quelque chose de profondément frustrant à comparer avec l’acharnement dont j’ai fait preuve. Je l’ai encore moins compris lorsque mon enseignement est devenu quelque chose d’essentiel. De vital. De quoi enrager de les voir prendre les choses par dessus la jambe. Quitte à les écarter, les jambes. Plutôt que de bosser.
J’ai pourtant une conscience très acide des raisons qui m’ont poussé à être ainsi assidu. Ni maître, ni précepteur…. Jusqu’à ce qu’on voit chez moi une certaine utilité. Là, mon père, puis Walkers, se sont penchés sur la question de mon apprentissage. Dire que j’ai charbonné serait mentir. Je me suis arraché, rongé à réussir. A être le meilleur, jusqu’à m’acharner à dépasser le maître. Et ce… sans lui montrer, bien sûr. Aucune naïveté dans mes actes. Aucune béate admiration. Pas plus d’ingénue confiance. J’apprenais, car être bon est et a toujours été une question de survie.
C’était ce qui me passionnait. La seule raison pour laquelle on me perdait dans les ouvrages empruntés ou volés. La seule manière de me démarquer, de compter. Savoir que je pourrais toujours avoir un atout dans ma manche. Un moyen de prendre le dessus. Briser le cadre, aller trouver ailleurs d’autres réponses. Découvrir tout type de magie comme s’il s’agissait de langues matérielles, ça a été un projet de vie… qui a laissé plus que de marbre la majorité des élèves à qui j’ai pu tenter d’enseigner un tant soit peu de ce que j’avais ingurgité.

Un gosse arrogant et capricieux. Voilà ce que j’ai été. Persuadé d’être bon alors qu’il ne connaissait qu’une infime partie de ce que le monde et les autres cultures ont à offrir.

C’est cette sensation qui me racle les os à chaque fois que je me casse les dents sur ce foutu calepin.

Ça. Et l’impression de servir à quelque chose.

On ne va pas se mentir, je ne suis qu’un invité ici. Tu fais tout, je comprends à peine le fonctionnement de certaines machines. Et surtout j’en vois pas l’intérêt. Alors tu t’arraches au boulot et moi je… je lustre une chaise. Ecoute, avec un peu de recule, c’est sans doute pas la chose la plus passionnante que j’ai fait de ma vie. Mais ça me re-muscle les bras, j’ai l’impression que mes doigts marchent mieux. Bref, j’essaye des choses.
J’ai lu dans un de tes bouquins qu’il y a chez les blessés lourds une histoire de plasticité cérébrale. Qu’il faut que les nerfs se re-connectent entre eux. Que ça se ré-enclenche, au niveau du cerveau.
Bref. J’en sais rien. Mais c’était le but de l’opération. On s’acharne tous à faire les choses à dessein, n’est-ce pas ? Toi tu t’acharnes.. Car le venin de la vengeance brûle tes veines. Alors tu t’éloignes des autres. Et tu te rapproches de moi. C’est ironique compte tenu du fait qu’à l’enlèvement de Kezabel, j’ai cherché à te faire emprunter une autre voie.
Et pourtant je suis là, à te proposer un plan que j’ai aucun intérêt à partager avec toi… Peut être que je t’attire d’autant plus sur le chemin du chaos. Ce serait aisé de penser ainsi. D’ailleurs, d’une certaine manière, c’est le cas.
Je sais que c’est un plan à la con et je le vois dans ton regard encore ensommeillé quand tu te redresses. Ce qui est pire, c’est de t’embarquer là-dedans. C’est là une décision qui ne me ressemble pas, qui te prend de court et me surprends moi-même. Malgré tout je sais ce que je te dois. Et je sais quand je merde. Je sais aussi quand je perds pied.
Alors tout ça a sans doute un lien. Qu’importe : je te le propose. Le pas est franchis, la décision est prise. L’heure n’est plus à la marche arrière.

Pour toi non plus. Toi qui m’a parlé de rejoindre les enfers plutôt que d’abandonner ce lien qui nous unis…
Allons gaiement sur les sentiers des enfers, mon amie. Mon enfer. Mon enfance.

Tu butes, me rejoins, te poste face à moi et adopte une posture similaire, presque miroir.

« T’es conscient que t’es pas en train de m’annoncer que tu veux aller chercher du pain au bout de la rue, hein ? Mais que tu veux aller, en pleine nuit, chez la famille qui te porte tellement dans leur coeur, si tant est qu’ils en aient un, qu’ils seraient prêts à tout pour te capturer et te faire payer ton existence ? Et, tout ça, pour récupérer un bouquin. »
Un rictus amusé sur mes lèvres et l’encre de ton regard dans le mien. “C’est l’idée.”
« J’ose espérer que c’est pas un roman de gare qui t’obsède parce que t’as jamais lu la fin. »


Un sourire en coin, encore. J’étais tendu, mais ta réaction me tranquillise. Je sais… je me doute, du moins, que tu te bats pour ne pas t’insurger face à cette idée que je propose. Quelques phases d’humour ne balayeront pas l’absurdité d’une telle entreprise mais elles permettent de normaliser un peu le propos. D’autant plus que je te prends au réveil, en plein milieu de la nuit, avec une idée suicidaire. Il y aurait de quoi exploser. Mais t’en fais rien.
T’as peur de mon recul… et pour être honnête, tu as raison.
Moi, je note que tu ne dormais pas. Que t’as aussi des choses qui t’obsèdent et d’autres qui t’abîment.

Tout ça disparaîtra quand on sera là-bas.
Mes dérapages de la veille. Tes addictions. Tes manques. Ou ceux que tu provoques.

Alors le sourire se fane chez toi et se charge un ton plus factuel dans ta gorge.

« Évidemment que je viens avec toi. » Étrangement, oui, ça l’est. Évident. Pas certain que ça me plaise, mais c’est ainsi. « Mais est-ce que tu es sûr que tu veux prendre autant de risques pour m’aider dans ces recherches ? C’est quoi ce bouquin ?»
“Les contes de Alastair Manglyeong, je suis sûr de l’avoir corné, ça fait vingt ans que ça m’obsède…”

L’idiotie qui permet de repousser une seconde cette réflexion que tu as eue. Est-ce que je suis certain de vouloir prendre tant de risques pour t’aider ? Étrange d’énoncer les choses ainsi. Pourtant c’est bien là, une évidence parmi les autres.
Je pourrais argumenter ou botter en touche. Je me contente de hausser des épaules. Mon sourire n’y est plus, il n’y a que le regard droit d’une sobre détermination.

Oui. Voilà tout ce qu’il y a à comprendre dans ce simple geste.

“Ce n’est qu’une maison. Et ils ne sont que des Hommes.” Qu’est-ce qui pourrait mal se passer ? J’en entendrais presque certains lâcher un petit rire nerveux. Pourtant je laisse retomber mon bras et m’adosse au bois de la porte. Le ton devient factuel. “Je t’ai parlé de sa bibliothèque, celle de mon père. Ce souvenir sur lequel je t’ai fait revenir sans cesse… je suis certain que ça a un rapport. Et dans tous les cas je sais qu’il y a un ouvrage sur l’usage de la magie noire à l’international ; celle du sang. Ça nous donnera un bon axe de recherche.”

Aucun conditionnel dans ma phrase. J’y vais, la question ne se pose pas.

“On entre, on vérifie, on prend le bouquin et on repart.” Il y a de bonnes chances pour que mon père soit absent. Sa femme est à une conférence avec le plus jeune de mes frères. Les plus âgés n’y habitent plus. “C’est le bon soir pour ça.” Reste la chance. “Change toi. On part dans une demi-heure.”

Ça pourrait paraître sec. Ça l’est peut être d’ailleurs, factuellement. Mais j’aborde pourtant les choses avec une certaine douceur. Du moins quelque chose d’assez similaire.

Ainsi lorsqu’un peu plus tard, je pose le regard dans le sien, je ne sais qu’y trouver. Pas plus que je sais ce qui se reflète dans le mien. Fouler les dalles du manoir Rivers est toujours quelque chose. C’est ambigu, ça me prend aux tripes, ça réveille des choses que j’ai ni envie de ressentir, ni de voir. Mais aussi quelque chose qui n’existait plus il y a quelques mois. Une forme de lutte, une violence brute s’est réveillée lorsque je tend la main vers la sienne, m’assure en silence qu’elle est toujours partante et me noie dans ce mutisme qui me ressemble tant.
Puis je transplane.

Le corps n’est pas encore tout à fait lui-même que mes sens réagissent. C’est toujours ainsi, il y a quelque chose sur cette terre, qui semble tellement implantée qu’elle vous happe dès votre arrivée. C’est peut être seulement moi. Quelque chose qui se ressent jusque dans mes os.
L’air est différent ici. Étouffant. Pourtant l’air charrie le vent froid du large, un peu plus loin. Il sent la forêt, la pluie, la roche chauffée au soleil. La boue.
Autour de nous, les fourrés et les hauts arbres se matérialisent et un instant, je serre davantage le poignet de Sanae dans ma paume.
Nous sommes dans le domaine. Je connais les failles des bordures, les malfaçons des sortilèges qui y ont été tissés, les limites des protections de la propriété. Je les connais, car j’en ai mis certaines en place, j’ai écouté ce que je n’aurais dû entendre, quand on les a présenté à mes frères, et pire encore, je m’y suis mesuré durant l’enfance.
“Ils ont lié bon nombre des protections au sang de la famille. Ces terres m’acceptent mieux qu’eux.” J’explique, sans trop savoir pourquoi, avant de poser un regard sur Sanae.
Quelques branches barrent la craie de sa peau et le geai de ses cheveux. Devrais-je y voir la peur de cette famille, ou l’excitation de braver toutes les règles de raison pour poser le pied à mes côtés dans une pareille demeure ?
Et pour demeure, elle est là. J’y assène enfin un regard. Derrière les bosquets, au travers des jardins à la française, elle trône au cœur de la plaine qu’elle a creusé. Forêt d’un côté, falaises de l’autre et enfin, la campagne bien plus loin, elle se dresse là comme se dresserait le château d’un quelconque roi. C’est sans doute ce qu’ils ont toujours été. Des rois.

Des rois crédules qui se pensent à l’abri parce qu’ils ont posté quelques gardes ici et là, des sorts pour veiller sur le domaine et des chiens, que je vois paraître au loin. Pas de cris. Seulement le bruit des pattes sur l’herbe ou les pavés.
Sans un mot, sans même regarder Sanae, je claque des doigts. A droite. Si elle savait, elle ne louperait pas une blague là-dessus. Le son n’est pas le même à gauche, si mon majeur droit avait été amputé, ces animaux m’obéiraient-ils toujours autant ? Sans doute pas.

Certains sont semblables au sinistros, d’autres des chiens ordinaire. Quelques uns sont des croups, bien sûr. Qu’importe : tous ralentissent, hésitent, reculent. Même ceux qui n’étaient pas là dans mon enfance.
Profondément idiots sont ceux qui pensent que les bêtes n’apprennent pas.
On apprend.

“Prête à entrer par effraction chez l’un des types les plus influent du pays ?” Un sourire en coin passe. Il fait taire ce trouble sous mes côtes. Et la rage qui passe dans mes veines.

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Dim 25 Juin - 18:36
Le pas de la porte traçait une ligne invisible entre nous. Lui, d’un côté. Moi, de l’autre. Mais nos regards allaient au-delà du tangible et dessinaient à travers cette ligne, une route qui jamais ne disparaissait. Invisible et secrète, nous l’empruntions pour nous rejoindre sans gestes et sans mots. Ce soir, pourtant, nous nous parlions vraiment, et ce que j’entendais m’aurait fait frémir s’il ce regard n’était pas tant braqué sur moi. Je n’aurais su décrire la myriade d’émotions qui me traversa à l’idée de pénétrer dans la gueule du loup. Mon esprit imagina l’horreur d’être découverts, le déchirement d’une nouvelle capture, la peur de l’éloignement. C’eut été trop simple d’avoir peur de ma propre mort, de redouter la douleur de passer entre les mains de l’ennemi. Les yeux dardés sur Logan, je sus que c’était sa mort à lui que je redoutais en premier ; sa fin et notre fin, étroitement liées, me comprimait la poitrine. Et si ce n’était la mort qui parasitait mes pensées, c’était l’idée d’une nouvelle errance, de nouveaux traumatismes qui auraient délité cet esprit déjà si fragmenté. Un esprit qui ne survivrait pas deux fois aux cruels sévices de ceux qui désiraient tant le détruire.

De quel genre d’égoïsme étais-je faite ? Jusqu’où pouvais-je justifier le danger que les autres pouvaient courir pour moi ? J’avais beau repousser la vilaine morsure de la culpabilité, elle reviendrait marquer ma peau plus tard. Ainsi face à Logan, je ne voyais que l’ouverture soudaine dans les ténèbres de son passé et la preuve de confiance qui rassurait toujours mes plus fidèles démons. J’étais touchée, surtout, par les risques qu’il comptait prendre pour m’aider et la détermination qu’il y mettait. Mieux valait ne pas penser trop longtemps aux conséquences de nos actes. L’humour venait alors couvrir l’inquiétude.

“Les contes de Alastair Manglyeong, je suis sûr de l’avoir corné, ça fait vingt ans que ça m’obsède…”

Je réprimai un sourire mais sur ma bouche, l’amusement se glissa en de discrètes plissures. Une main sur la hanche, je penchai la tête sur le côté, lançant à Logan un regard faussement irrité. Au fond, dans cette pudeur où aucun n’arrivait à exprimer la grandeur de notre volonté d’être là pour l’autre, il y avait le gonflement du coeur et les palpitations d’une profonde affection. Il haussa les épaules, sa manière à lui de couvrir ce qui ne pouvait être dit. L’inflexibilité de son regard ne m’étonna pas.

“Ce n’est qu’une maison. Et ils ne sont que des Hommes.” J’inspirai douloureusement.Ils ne sont que des Hommes, oui. Mais toi aussi, Logan, tu n’es qu’un Homme de chair et de sang ; mortel, comme tous les autres. Je me retins de l’énoncer à voix haute. Il n’aimait pas qu’on le lui rappelle. Il n’aimait pas que je le sache.  “Je t’ai parlé de sa bibliothèque, celle de mon père. Ce souvenir sur lequel je t’ai fait revenir sans cesse… je suis certain que ça a un rapport. Et dans tous les cas je sais qu’il y a un ouvrage sur l’usage de la magie noire à l’international ; celle du sang. Ça nous donnera un bon axe de recherche.”

J’acquiesçai, pensive. Je ne doutais pas que les Rivers possédaient des ouvrages qui pourraient nous éclairer mais je perdais espoir de donner du sens à ce morceau de souvenir que nous tentions d’extirper de ma mémoire.

“On entre, on vérifie, on prend le bouquin et on repart. C’est le bon soir pour ça. Change toi. On part dans une demi-heure.” Le bon soir pour ça… il savait donc les allées et venues de sa famille, au soir près. Pensait-il à cet ouvrage depuis un moment ? Était-il allé lui-même vérifié que la voie serait libre ce soir ? Quels risques avaient-ils pris sans me le dire ?
Les sourcils froncés, j’acquiesçai d’un signe de tête.
« On prend le livre et on se barre, pas d’autre risque. » insistai-je à mon tour.



Une demi-heure plus tard, j’avais enfilé un pantalon et un haut près du corps, noirs, pour me fondre dans les ombres de la nuit. Je mis un sweat à capuche avec une poche intérieure où je glissai ma petite bourse ensorcelée contenant tout le nécessaire des « au cas où ». Avec les lacets de mes bottines montantes, je fis trois tours autour de mes chevilles pour les serrer fermement. Les gestes étaient mécaniques, presque similaires à ceux qui précédaient une mission pour la Garde. Mais ce soir, c’était un autre type de mission, une affaire plus personnelle dont nous ne parlerions à personne. Je trouvais un réconfort certain à partager des secrets avec quelqu’un, à avoir ces petits murmures échangés ou ces regards de côté qui n’étaient à aucun autre que les deux personnes qui maintenaient ces secrets en vie. J’aimais, dans ce pacte tacite, l’unité du duo, la fidélité dans le silence.

Prête, je rejoignis Logan. Je ne dis rien, et lui non plus. Une tension crispait mes nerfs, verrouillait ma mâchoire. Pourtant, je reconnaissais indéniablement l’excitation au fond du ventre, comme les papillons dont parlaient les amoureux en décrivant leur idylle. Je ressentais ces papillons face au danger, au combat ou tout autre forme de chaos qui parlait si bien à celui qui dormait au fond de moi. Leurs petites ailes s’agitaient en harmonie avec les battements de mon cœur et chaque respiration amenait le souffle qui les faisait s’envoler. Nos regards s’appuyèrent l’un dans l’autre, conversation muette où nous nous rassurons d’être toujours sur la même longueur d’onde. Ressentait-il de l’excitation ou de la peur ?

Car en vérité, là où nous allions, il n’y avait pas simplement une maison, et ils n’étaient pas juste des Hommes. C’était les murs témoins des sévices de l’enfance, les couloirs sombres des terreurs passées. C’était l’odeur, la voix, et la présence d’anciens bourreaux dont le souvenir continuait à martyriser.

Logan me tendit la main et quand je la saisis, nous disparûmes.

L’espace se délita et se reconstitua en quelques secondes. Signe que je devais vraiment être fatiguée, la nausée me prit en apparaissant ailleurs. Ailleurs… toujours accrochée à Logan, je laissai mon regard errer autour de moi. De hauts fourrés nous entouraient parmi des arbres encore touffus malgré l’hiver. L’odeur des cyprès me parvint, mêlée à celle de l’humidité et de la terre. Un filet de vent glacial s’infiltra sur ma nuque et je frissonnai. Dans la pénombre, des allées bien dessinées, des statues, des buissons parfaitement taillés, se devinaient ; et plus loin, s’imposait la grande demeure des Rivers. Je n’osai bouger mais je sentais les herbes hautes caressaient mon dos, mes jambes et mes bras à travers le tissu. Autour de mon poignet, la prise de Logan se fit plus ferme. Mes yeux glissèrent sur sa silhouette, tout près. Son corps était tendu, sur le qui-vive, tout comme le mien, mais je savais que d’autres choses venaient le crisper. Sur l’instant, j’éprouvai un doute violent sur ce que nous faisions. N’était-ce pas la pire idée de le faire revenir ici ? Ne fallait-il pas au contraire l’éloigner de ses traumatismes ? Tout ça pour un livre… mais un livre dont j’avais cruellement besoin. Petite voix égoïste. Je me fustigeai intérieurement, pourtant bien vite rattrapée par le fait que si je n’étais pas là, il y serait quand même venu.

“Ils ont lié bon nombre des protections au sang de la famille. Ces terres m’acceptent mieux qu’eux.”
Le ton était presque factuel, sans émotion. Il soulignait pourtant le rejet de toute une famille. Sûrement n’était-ce rien pour eux, ces années d’exclusion, de maltraitance et de mépris ; sûrement n’était-ce lourd à porter que par la survie de Logan et non par la culpabilité. Peut-être même ne se souvenaient-ils pas de tous les coups qu’ils avaient portés sur lui, comme un passant ne se souviendrait pas d’avoir bousculé une silhouette sans nom sur le trottoir. Ou était-ce une pensée naïve ? Se remémoraient-ils les sévices dont ils étaient coupables pour s’en délecter encore et encore ?

« Tu ne penses pas qu’ils auraient pu modifier leurs protections ? » chuchotai-je.

Je les imaginais, flous et menaçants, bien que leurs visages aient traversé mon esprit via celui d’Alec. Je n’avais pas vraiment envie de les voir, pas envie de me souvenir de la forme de leurs yeux plein de haine, des grimaces de leurs bouches insultantes. Car au fond, c’était la souffrance du petit garçon et puis de l’homme qui m’atteignait trop pour laisser mon imagination les rendre réels.

Mais en me tenant debout dans ces fourrés, les Rivers devenaient plus tangibles que jamais. Droit devant, par-delà les ombres des arbres, les hauts murs de cette large demeure immortalisaient leur présence. La bâtisse ressemblait davantage à un petit château qu’à un manoir ; même dans l’obscurité, je devinais les palissades soignées, le luxe des larges fenêtres, le prestige des petites tours aux toits pointus. D’un côté, la forêt s’étendait, sombre et dense, et amenait dans le souffle givré son parfum de nature, mais de l’autre, j’entendais le ressac contre les falaises. Habituée au flux et reflux de la mer, je reconnaissais sa présence, en contre-bas, et les effluves iodées qui venaient titiller mes narines. Une seconde, j’imaginais Logan regarder l’horizon au-dessus de la mer. Peut-être avions-nous contemplé les vagues au même moment, en rêvant de lointain. Ce n’était pas la même mer, mais j’aimais l’idée qu’elle nous avait peut-être liés l’un à l’autre avant même que nous nous trouvions. Pour moi, elle avait été une porte sur le reste du monde. Et pour lui, sûrement l’ironie cruelle d’avoir à portée de main une fenêtre sur l’ailleurs sans jamais pouvoir l’ouvrir.

Un bruit, discret, me sortit de mes pensées. Dans les fourrés, le bruissement léger donne lieu à un son mat. Je vis les pattes avant de voir les faces aux yeux brillants. De larges chiens noirs apparurent d’entre les herbes. Dans ma manche, j’agrippai ma baguette et me tendis, les genoux prêts à se fléchir pour prendre de l’élan. Mais le poignet toujours dans la main ferme de Logan, je sens qu’il ne bouge pas, qu’il ne s’affole pas. Il connaît ses chiens. Parmi les pelages noirs, d’autres petits chiens se détachaient du lot. Des croups. Merveilleux. Je grinçai des dents.

Un claquement résonna près de moi. Je mis un temps à comprendre qu’il venait de Logan. Je n’avais pas l’habitude de le voir claquer des doigts.

Les chiens cessèrent d’avancer vers nous, s’immobilisant en nous observant attentivement. La respiration lente, je ne clignai pas même des yeux. Ces chiens semblaient réceptifs à Logan mais on ne pouvait jamais prévoir avec précision les pulsions animales de certaines créatures. Pourtant, ils reculèrent avec précaution, craignant la silhouette à mes côtés. Je me détendis progressivement jusqu’à ce que les chiens disparaissent dans les fourrés. Je ne doutais pas qu’ils resteraient à bonne distance, suivant nos pas.

Un soupir passa mes lèvres et je me tournai vers Logan. Cet idiot souriait.

“Prête à entrer par effraction chez l’un des types les plus influent du pays ?”

Il aimait ça. L’adrénaline coursant les veines, la soudaine montée en puissance quand face à lui reculaient des chiens qui auraient pu nous mettre en pièces. Un claquement de doigt et c’était le plaisir de contrôler qui venait titiller l’égo et le faire vibrer de plaisir. Ou peut-être que j’imaginais ce qu’il ressentait à l’image de ce que j’éprouvais moi…

Je haussai les épaules.

« J’avais rien à faire un jeudi soir de toute façon... »
murmurai-je, amusée, avant d’ajouter : « On va…. ».

Je n’eus pas le temps d’énoncer ma question que déjà, sa main se resserra autour de moi et nous transplanâmes. L’espace s’écartela à nouveau, les fourrés et la terre molle disparaissant au profit d’un sol dur et d’un vent plus insistant. Mes cheveux furent dégagés de mes épaules par un souffle glacial. Quelques mèches sur mon front se dispersèrent. Nous étions en hauteur, sur une terrasse entre deux toitures. Un carrelage avait remplacé l’herbe du jardin et au lieu des arbres et des buissons, des murs de pierres et le sommet des tours nous encerclaient. Je jetai un regard interrogatif à Logan. Voulait-il vraiment passer par les toits ?

Sa main lâcha mon poignet et mes pas suivirent mon regard. Je le lançai au loin, par-delà la chute des falaises. Une étendue noire et mouvante s’étalait dans l’obscurité, seulement éclairée par une lune à moitié cachée par les nuages. Ce paysage était à l’image de l’homme qui était à mes côtés : dans les ombres, l’on pouvait à peine deviner ce qui s’y cachait. Je m’approchai du bord, observant au loin un portail et les contours du jardin. Sur l’allée plus claire, entre les rangées de buissons, je crus voir les chiens regroupés près des marches, le museau dirigé vers le ciel. Je revins vers Logan et le suivis jusqu’à un muret qui donnait sur une toiture. Un carré de fenêtre semblait donner l’accès. Comme le vent était plus fort dans les hauteurs, j’agrippai le bras de Logan pour qu’il se tourne vers moi, m’évitant de crier.

« Par là ? » demandai-je. « On sera loin de la bibliothèque ? »
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Lun 10 Juil - 1:38

 08 décembre 2016
Revenir à Poudlard me ferait-il la même impression que celle qui passe dans mes veines et fait frémir ma peau ? J’aimerai n’avoir que l’indifférence pour répondre à cette grande baraque. Faire face aux contours écorchés des tourelles, à l’ardoise sombre des tuiles, aux dessins trop propres des jardins. Tout me nargue et me brave ici. Il n’en a jamais été différemment. Je suis et je serais étranger à chacune des ombres que les feuilles dessinent, chaque regard que les statues m’opposent, chaque grain de ces murs râpeux. Je resterais le bâtard dans son grenier. Le gamin qui s’évade par les toits, qui y rentre par la porte, tiré par un père qui ne retire de ce titre qu’un statut de géniteur. De supérieur.
Tout ça devrait me laisser indifférent. Plus encore maintenant. L’enfant est loin. L’adolescent n’a jamais semblé en être un. Pourquoi, alors, ces murs me semblent-ils toujours trop larges ? Toujours prêts à m’écraser ? Pire ; me dénoncer.
Ça a été l’effort de toute une vie, que d’apprendre à déjouer les pièges de cette demeure. Le domaine est empli de sortilèges, de caches secrètes, de mystères dissimulés. Ce devrait être une chasse au trésor, pour un gosse, que d’en découvrir l’héritage. Le faire sien. Ça a été une véritable guerre, pour moi.
Sanae observe au loin les chiens se terrer derrière les arbustes et la pénombre des hautes statues. Le sorcier au chapeau des années trente, avec son index pointé dans le lointain et un livre ouvert sur les genoux. Il suffit d’activer certaines pages pour déplier une ouverture sur la longueur de l’allée à la hauteur du doigt tendue. Elle est une ouverture pour la bibliothèque.
Si simple. A notre portée. Bien plus simple que de passer par les toits, pénétrer la forteresse de mon enfance ou risquer de fouler du pied les couloirs du manoir. C’est là. Mais j’ai toujours été incapable de réaliser le sortilège.
Tu as parlé d’un changement possible. Je n’ai pas véritablement répondu, me suis contenté de froisser mes traits et de hausser des épaules avant de lâcher un laconique “ S’ils l’ont modifié, c’est récent.” Sous-entendu : nous prendrons le risque. Et le risque, je suis prêt à le prendre. Non seulement, ça compte pour toi, mais ce que je tais, c’est que cette expédition, ce but, il m’est nécessaire aussi. Je vrille. Ce n’est pas si courant, je m’y oppose la majorité du temps, mais je pense avoir besoin d’air. Besoin de me raccrocher à quelque chose. Ce quelque chose, c’est ta quête. La seule qui fait encore sens quand tout ce que j’ai entrepris semble m’avoir échappé au point de s’achever comme un cuisant échec. L’enseignement. La reprise de Poudlard. Mes relations sociales. “Sentimentales” - si tant est qu’on puisse nommer cela ainsi -. La Garde. Alec. Tout ça me laisse un goût de cendres. Alors oui, peut être pourrais-je faire mieux à tes côtés. Faire quelque chose, du moins, à défaut de n’être qu’une ombre qui hante des murs qui n’étaient pas les tiens quelques semaines plus tôt.
Je deviens une part de ta vie, tu es une part de la mienne. C’est un danger que je ne suis pas prêt à accepter mais qui s’impose de lui-même. Il suffit de nous voir ici. Je fais face dans un mot à une lucarne qui a vu mes peurs d’enfance, mes désespoirs inertes et mes paniques mutiques. Qui d’autre que toi peut y trouver sa place ? Je songe à ta propre enfance, quand tu balayes le domaine de ton regard d’encre. Je vois l’orpheline, l’abandon et le surinvestissement. Je te revois dans ta chambre, t’inventer des mots, pour une personne qui ne t’entendrait pas. Qui, pourtant, est arrivé à retardement. Tu vois. J’ai vingt ans de retard. T’en as autant.
Cette putain de lucarne. La seule foutue sortie qu’il m’aura fallu dix ans avant de franchir. J’y ai croisé le chemin des étoiles ici. Pas de l’eau. Non. Ça, c’était pour mes frères. Moi je n’avais le droit aux ombres d’un jardin que je ne pouvais percevoir. Il n’y avait que les ténèbres mouvantes de la forêt au loin, entaché par les traces de doigts, le lambris qui bouffait mon champ de vision et les tâches du le verre vieilli. J’ai pas regardé la mer. J’ai pas vu l’ouverture sur le monde. J’aimerai que ce soit le cas, qu’il y ait au travers des années un moyen de faire le lien. Mais mon domaine était celui des bois.
L’eau, c’est venu plus tard. À adolescence. Un regard vers les flots, du haut de la falaise, en arrière de la bâtisse, là où les balcons semblent se jeter dans le vide et que les baies vitrées embrassent l’horizon.
Alec aurait sans doute pissé par dessus le vide. Je me suis contenté de regarder. La crevasse, ce n’était pas devant moi qu’elle prenait place.
C’est cette dernière, qui se tord, quand tu retrouves le chemin de mon regard et le suit jusqu’à la petite lucarne bien sale. J’imagine que tu n’envisageais pas ça. Tu as sans doute plus d’habileté que moi à sillonner les toits. Je suis gauche, mon équilibre n’est pas bon et la souplesse n’a jamais été mon fort. Même à l’adolescence, j’ai déjà réussi à faire un mauvais pas pour tomber sur les terrasses en contre-bas. C’est pourtant le passage le plus sûr à mes yeux. Sans doute parce qu’il m’est le plus familier. Une erreur commune à bien des gosses aux neurones en carences. Comme quoi, j’en suis un aussi.
Et s’ils avaient compris par où je passais ? Identifié le tueur de l’un de leurs Gardes ? Ou la disparition soudaine d’un autre ? Là-bas, près des grilles, dans les allées à l’écart du domaine, ils sont nombreux à patrouiller. Les sorts de dissimulations, ici, nous protègent. Mais il en faudrait peu pour que ça tourne au drame. Et pourtant il y a un soubresaut électrique qui me scie les veines depuis mon apparition ici. Au nez et à la barbe. C’est là ce que je n’aurais cessé de faire. Depuis Londres jusqu’aux empreintes laissées dans l’humus à la lisière du jardin. J’étais là. Pire, plus fourbe encore : elle était là.

Une alliée.
Une amie.

Qui l’eut cru ?

Plus ironique encore : qu’elle appartienne à la Garde.
Moi, du moins, je n’y aurais pas soupçonné possible.

« Par là ? » demande-t-elle, loin de mes pensées. « On sera loin de la bibliothèque ? » J’y passe un regard, éprouvant une joie dissidente à effleurer son esprit jusqu’à m’y mêler quelques secondes. Comme un pied de nez à tout ce qu’on m’a toujours inculqué. Tant de règles à suivre, tant de sévices en cas d’incartades.
Elle est une sacrée incartade, soyons honnêtes, à tout ce qui m’a construit, briques après briques, creux après creux. Accumulation de fêlures et de métal en fusion.

Je lui ai dit que la plus solide des lames est constituée d’un alliage. Peut-être est-ce celui-là, d’alliage, qui construira notre avenir ?
Ou peut être l’âge adulte me gave-t-il des vains espoirs que j’ai si durement esquivé à l’adolescence. Ironie du sort.

“C’est le grenier. La bibliothèque est au second. L’étage du dessous est le troisième. Il y a trois voies qui amènent au bureau de mon père. Passer par la lucarne, sortir par la petite porte inclinée, suivre le couloir en mezzanine qui surplombe l’étage, prendre l’escalier de droite, pas celui de gauche, on se rapprocherait des chambres. Puis rejoindre la petite alcôve à droite des marches. Elle amène dans les murs. Il y a différents couloirs dérobés là-bas. Il faut remonter les lunettes de la sorcière sur le tableau pour ouvrir le passage. Ensuite on longe par la gauche, on prend l’échelle et on descend pour sortir au niveau du grand miroir du second étage, à quelques pas de l’entrée de la bibliothèque. Quelques sorts et on sera dedans. Impossible de transplaner, il y a des runes dans tout ce bazar que je ne peux pas anticiper. Ça bouge, c’est ingérable. Mais logiquement, à moins de croiser un elfe, à cette heure ça devrait se faire sans accro.”

Tout ça, c’est à la fois pour m’assurer que tu saches que faire si besoin. Que tu ais un minimum d’éléments pour te repérer alors que je te proposes d’entrer par effraction dans l’un des pires nids de basilic qui soit. C’est aussi un moyen de reculer l’échéance.
Je te jette un dernier regard, une manière de m’assurer que tu es toujours opérationnelle pour tout ça. Et puis j’ouvre la lucarne.
On pourrait imaginer qu’elle pivote, comme n’importe quelle fenêtre. En vérité, elle crépite. Pas d’illumination, de fumée ou d’effets grandioses. Seulement ce crépitement qui m’a infligé tant de spasmes que j’ai cessé de les compter. Je sors ma baguette, y passe un bras, jette quelques sorts à l’intérieur, dirigés où il le faut et le crépitement cesse. Pas un regard, cette fois : t’as pas envie de savoir. La sensation de ma peau en train d’être arrachée à mes premières tentatives puériles d’évasion, elles, s’en souviennent.
Il ne faudrait pas manquer de garder l’animal en cage…

Et nous passons l’ovale de l’ouverture. Elle est petite, mais lorsque je passe, les bords s’en écartent pour m’y laisser y pénétrer. Ça, c’est mon œuvre.
Pas de magie en dehors de l’école, qu’ils disaient.
Et mon cul c’est de hippogriffe.

Les ombres se referment sur moi. Quelque part sous la surface, ça pulse un peu plus fort. Malgré ma concentration, mon regard passe un peu partout. Il décrypte la poussière, l’amoncellement de fatras qui a repris ses droits ici. Je devine sans mal la forme obscure de la goule qui s’avance, à mi-chemin entre la menace et l’inquiétude, à ma droite. Sans doute Sanae ne la verra-t-elle pas tout de suite, mais finira par entendre les claquements de sa gorge et le craquement de ses griffes sur les lattes du parquet. Lorsqu’elle se déplace, certains objets tintent ou tombent, comme si elle n’avait pas véritablement conscience des limites de son corps.
C’est le mien, qui m’échappe une seconde lorsque mon regard se pose sur le vieux matelas. Tout ce que j’avais construit ici a été brisé. Les étagères, les fauteuils, les instruments en cuivre récupérés ici et là, même la vieille pensine et l’astrolabe. Sans compter ce lit qui n’était qu’un pauvre futon à même le sol et que j’avais rendu confortable à force d’y travailler. La valise est toujours là, aussi vieille, râpée et ébréchée qu’à l’accoutumée, griffée de partout. Mes livres. Mes parchemins. Tout. Mais tout est brisé, brûlé, éclaté sur les murs.
Quelqu’un, ici, a laissé exprimer sa rage et fracassé ce qui me restait d’identité.
Sanae m’a rejoint et je mets un moment avant de m’en rendre compte.

La goule aussi, est sortie des ombres et dans un geste étrangement doux, j’abaisse une paume vers la sorcière pour lui signifier qu’il n’y a ici aucun danger.
Il n’y a jamais eu de danger, ce n’étaient que les fantasmes d’un gamin un peu crédule. Ce n’est que les chimères que d’autres ont construit sur mon compte. Et je t’amènes là. A cet endroit exact où on construit les bases branlantes d’un mythe qui oublie d’être un homme. Là que je les brise. Mon visage s’est creusé, je le sais, le sens dans mes joues et ma gorge sèche. Un instant, mon regard s’attarde encore sur le désastre.
C’est idiot. Ce n’était rien que de vieilles affaires qui n’ont jamais eu aucune valeurs. De vieilles fripes et quelques déchets dont personne ne voulait. Pourtant je ne peux que retracer des pars de mon vécu. Les coups reçus à droite, sur les lattes taillées par mes ongles et le bois relevé par les chocs. Les victoires, aussi, illustrées par ces marques de griffes dont j’ai su m’extraire. Le vide, enfin, de ce que ce spectacle m’apporte.
Une seconde, c’est sur la goule que je pose les yeux. La bête de mes cauchemars, devenue chétive et malingre à mon regard. Tout change, lorsque l’enfant laisse place à l’adulte. Je pose alors les yeux, non dans ceux de Sanae, mais quelque part près de sa gorge, sans oser aller bien plus haut. Ça ne dure qu’un instant, une hésitation étrange, une envie soudaine de connecter les esprits, de chercher cette sensation, aussi, dans son vécu. Mais je me ravise, racle ma gorge, et enjambe un vieil ouvrage déchiré.

Défense contre les forces du mal, volume pour initiés.

En rejoignant la porte d’en face, j’esquisse un soupir. Putain d’enfance, souillée, ulcérée, craquelée. Mais réduite à néant.
Ça ne devrait pas faire mal. Ce devrait même me soulager.
Sentiment imbécile.

En posant la main sur la poignée de la porte au sommet inclinée, bien trop basse pour moi - plus encore pour mon père - ramène un regard en arrière pour trouver celui de Sanae. Sans vraiment savoir ce que j’y cherche.

On n’a pas le temps pour ça.

J’active le battant.

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M. Logan Rivers
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Lun 11 Sep - 19:23
Le vent nous fouette le visage pour nous tenir éveillés et sur nos gardes.

Du haut de la bâtisse, j’ai l’impression d’être au sommet d’autre chose, de marcher le long d’autres remparts. Je connais les hautes murailles de son monde intérieur mais cette nuit, c’est dans le présent que mes pas foulent les pierres froides. C’est dans le réel que je franchis ses murs avec l’excitante et douloureuse impression de pénétrer dans son passé. Je suis à la fois exactement là où je ne devrais pas être – dans l’antre du diable, le terrier infernal – et absolument à ma place – dans l’univers intime et secret de celui avec qui je partage tout. Je suis là, surtout, parce qu’il désire que j’y sois. Et cette réalisation, brute et touchante, me gifle les joues autant que les bourrasques du vent.

J’essaie de ne pas penser à ce qui aurait pu être, dans une autre vie, dans des circonstances plus clémentes, face à ce domaine et ces hauts murs. J’essaie de ne pas imaginer ce qu’un jeune sorcier rejeté des siens et déjà tant éprouvé, pouvait regarder au sommet de ce château. Mais comme un réflexe, je me mets à croire que l’air marin et le bruit des vagues auraient pu nous relier, qu’ils auraient pu établir un pont entre nous… je sais pourtant que ce n’est qu’une belle façon d’échapper à la réalité amère de nos enfances solitaires. Il n’y avait pas de pont, seulement du silence. Nous étions seuls.

Et Nous nous étions trouvés tard ou très justement, au bon moment.
Rien n’aurait pu présager que nous marcherions un jour tous les deux sur les toits de son Enfer, ballottés par le vent et mordus par le froid.

Mon regard se pose sur la lucarne, un peu plus loin, entre les briques sombres. Une toute petite ouverture sur l’extérieur, à travers des carreaux de verre opaques. Logan se dirige vers la lucarne, et je le suis. Le chemin n’est pas évident dans l’obscurité mais si nos pas se font moins assurés que sur la terre ferme, nous y parvenons. Est-ce une voie qu’il a souvent empruntée étant enfant ? Il a beau être gauche pour atteindre cette petite fenêtre, il me semble pourtant savoir exactement par où passer et où mettre les pieds. Entre deux pas prudents, je relève parfois les yeux sur sa silhouette qui me fait dos et je crois voir soudainement les pas chancelants d’un petit garçon. Mon coeur se serre. Je n’ai pas envie qu’il ait à affronter des réminiscences désastreuses mais il est tant lancé vers cette lucarne que rien ne pourrait l’arrêter. Peut-être, aussi, y a-t-il un besoin en lui d’y retourner, de poser son regard sur ce qui a été et n’est plus aujourd’hui, sur ce qui l’a hanté et le hante toujours…

Nous arrivons près de la lucarne et je tapote son bras pour le faire se retourner. Je lui demande si nous serons loin de la bibliothèque, craignant que ce passage nous fasse faire un long chemin jusqu’à notre objectif. Quand Logan se retourne, je vois dans la pénombre le rond d’acier de ses prunelles. Il effleure mon esprit et une seconde, je ne sais si c’est de l’excitation ou de l’amusement qu’il me renvoie. C’est la première fois que nous usons de notre don l’un sur l’autre, à l’extérieur de nos lieux secrets, de notre bulle. C’est étrange et exaltant.

« C’est le grenier. La bibliothèque est au second. L’étage du dessous est le troisième. Il y a trois voies qui amènent au bureau de mon père. Passer par la lucarne, sortir par la petite porte inclinée, suivre le couloir en mezzanine qui surplombe l’étage, prendre l’escalier de droite, pas celui de gauche, on se rapprocherait des chambres. Puis rejoindre la petite alcôve à droite des marches. Elle amène dans les murs. Il y a différents couloirs dérobés là-bas. Il faut remonter les lunettes de la sorcière sur le tableau pour ouvrir le passage. Ensuite on longe par la gauche, on prend l’échelle et on descend pour sortir au niveau du grand miroir du second étage, à quelques pas de l’entrée de la bibliothèque. Quelques sorts et on sera dedans. Impossible de transplaner, il y a des runes dans tout ce bazar que je ne peux pas anticiper. Ça bouge, c’est ingérable. Mais logiquement, à moins de croiser un elfe, à cette heure ça devrait se faire sans accro. »

Il me décrit les lieux et je tente d’en imaginer les couloirs, les portes, les virages. Comme Logan n’est pas du genre à s’étendre en détails, je comprends que s’il m’en donne autant, c’est pour une raison bien précise. Je soupire, un léger sourire en coin, alors que je sens son regard frôler le mien. Je lève les yeux au ciel.

« Heureusement que ça a l’air simple... » Et puis nous nous tournons déjà vers la petite entrée, comme s’il fallait balayer au plus vite cette idée de risque.

La vérité est qu’il est impératif que tout se déroule bien. Si nous nous faisons prendre, les conséquences seraient désastreuses que nous en sortions vivants ou pas. Je prends une inspiration alors que devant moi, Logan tend la main vers la lucarne. Sous mon regard étonné, la fenêtre ne pivote, ni ne s’écarte. La main du sorcier passe à travers et disparaît de l’autre côté. Après quelques mouvements, le crépitement de la lucarne cesse et l’ouverture nous est favorable.

Logan passe en premier et l’espace d’un instant, je me demande comment. Bien sûr, les sortilèges jetés sur la lucarne lui donne la capacité de s’étirer et de s’agrandir lorsqu’un corps la franchit. Une sensation étrange me parcoure lorsque je passe à mon tour l’ouverture ovale, glissant mes pieds jusque sur le plancher du grenier. Je laisse derrière moi le vent et le froid. La pénombre m’enveloppe et mon nez se plisse à l’odeur de renfermé. Dans les fins rayons de lune qui traversent le grenier, la poussière stagne un moment avant de se déposer sur les surfaces environnantes. Mon souffle, lui aussi, se met en suspens. J’observe en silence le vieux futon défait sur lequel vieillit une couverture rapiécée et un oreiller déformé, des instruments dont le cuivre est recouvert de crasse, et une valise ouverte au cuir griffé, de laquelle quelques livres dépassent. Dans les coins obscurs, je devine les contours de petits fauteuils qui doivent certainement être dans le même état que le futon. Le tout semble avoir été traversé par une bête féroce ayant déchiré, brisé, écrasé chaque instrument, meuble, livre, bibelot…. Des parchemins noircis d’encre jonchent le parquet, et j’y aperçois une seconde l’illustration d’une mandragore.

Marchons-nous sur ses livres d’école ?
Et ça, ce futon délité, était-ce son lit d’enfant ?

Je laisse mon regard se perdre dans la pièce mansardée et je sens gonfler dans ma poitrine une haine profonde. Elle descend au fond du ventre et s’y tord violemment. La vision de ce trou où on l’a enfermé me brise le cœur et enflamme ma colère. Je me tourne alors vers Logan mais il ne bouge pas, tout aussi silencieux que moi. Il constate des dégâts, replonge dans son passé. J’esquisse un mouvement vers lui mais un bruit dans un coin de la pièce m’arrête net.

Sur notre droite, dans les ombres, quelque chose bouge, se dessine. Je fais un pas de côté, sans mouvement brusque, ma main agrippée à ma baguette. Je suis déjà prête à agir, les yeux rivés sur l’endroit où je tente de discerner cette présence. Je ne fais que voir son étrange silhouette. Cette chose se garde bien de traverser l’espace pour s’y révéler mais elle rase le mur, fait grincer le parquet, frôler des objets. Ce sont les bruits qui me confirment qu’elle n’est pas humaine. Sur les lattes en bois pleines de poussière, j’entends des griffes, comme les pattes d’un chien dérapant sur le sol au rythme de ses pas ; j’entends les claquements de sa gorge… et puis elle sort des ombres. Une goule…

Les yeux étrécis, je suis à deux doigts de lancer un sort mais Logan lève une paume vers moi. Je le regarde, perplexe. Quoi ? Est-il au courant de l’existence de cette créature ? Dans sa posture, je ne sens aucune crispation ou élan d’agressivité ni de méfiance envers la goule. Entre son attitude et la mienne, le contraste est si fort qu’il refroidit mes ardeurs. Je crois que cette goule, il la connaît… et peut-être que ce constat est d’autant plus inquiétant.

Logan détourne les yeux de la goule, revient à la vision de son enfance éventrée sur le sol du grenier. Moi, je le regarde avec un mélange d’inquiétude et de perplexité. J’aurais cru que cette goule paierait les frais de son retour, qu’il aurait voulu se débarrasser d’une vision cauchemardesque liée à son enfance mais il n’en fait rien. Au contraire, peut-être veut-il la garder, cette goule ? Je peine à croire qu’elle ait pu devenir une présence rassurante, même au fil des ans, tant sa silhouette me répugne. La pâleur de la lune coule sur son corps penché, rabougri. C’est la première fois que j’en vois une en vrai ; soudainement, les illustrations des livres sur les créatures magiques semblent dérisoires. La goule est plus laide, ratatinée et chétive que l’image qui lui est souvent donnée. Ou peut-être est-ce seulement celle-ci, restée trop longtemps dans ces combles…

Je la fixe sans pouvoir m’en détourner, presque hypnotisée, prise dans un mélange de dégoût et de pitié. Cette chose, recroquevillée dans les coins du grenier, aurait tout aussi bien pu être la manifestation d’un cauchemar de petit garçon, de l’enfer vécu à la fois dans le réel et dans les songes. À l’âge adulte, ces jambes décharnées et fléchies me rebutent et je n’ose imaginer ce que j’aurais éprouvé enfant.

Aucun de nous ne parle. Le silence est de rigueur et même si nous avions été dans une situation moins périlleuse, je crois que nous n’aurions rien dit.

Je n’avais pas les mots pour décrire cette ébullition d’émotions à la vue des dernières traces de son enfance. Alors le silence nous convenait bien.

Pourtant, je sens sur moi le poids de son regard. Je tourne mon visage vers lui et déjà le sien se détourne. J’ai tout de suite l’impression d’avoir raté quelque chose.

Il y a parfois des mondes dans des demi-secondes.

Celui-ci vient de passer et je n’ai pas eu le temps de m’y accrocher. Alors Logan fait un pas en avant, désertant l’immobilité contagieuse et l’horrible vision de la goule. Il enjambe un livre de Défense contre les forces du mal, déchiré par endroit, et je ne sais pourquoi, alors que le sorcier est de dos, je ramasse ce livre en morceaux. La couverture est si abîmée que les inscriptions sont presque toutes effacées. Sur la première page, des initiales ont été inscrites il y a longtemps dans un coin. M. L. R. Je fronce les sourcils. Si les deux dernières lettres ne m'étonnent pas, la première me laisse interdite. Peut-être n'est-ce pas son livre finalement...? M. Logan Rivers ? Je secoue la tête pour chasser les milliards de questions qui me viennent. Ce n'est pas le moment.

Je le ferme délicatement et je le pose près du vieux futon, là où plus jeune, Logan devait certainement étudier les centaines de pages pour construire le sorcier accompli qu’il est aujourd’hui.

Je rejoins Logan près de l’entrée du grenier, basse et inclinée, qui donne l’impression de passer par un trou de souris. Une main sur la poignée, il hésite, se retourne. Je suis sur ses talons, ma baguette sortie, et je me demande s’il a entendu un bruit, senti une présence derrière la porte. Nos regards se croisent.

Ces deux prunelles d’acier attrapent les miennes et je comprends. Ce qu’il cherche, c’est ce que n’importe qui chercherait face aux réminiscences de cet enfer : du réconfort. L’assurance d’avoir un allié à ses côtés, ou même de trouver quelque chose d’humain dans un lieu dénué d’humanité. Une porte de sortie face à un passé douloureux. Et c’est dans cette demi-seconde où je laisse couler mon regard vers le sien, m’ancrant à lui comme il pouvait s’ancrer à moi lorsque j’en avais besoin.

Je prends une inspiration et Logan ouvre la porte.

En me glissant à l’extérieur du grenier, l’appréhension écrase ma poitrine. L’adrénaline rend chaque battement de coeur plus vibrant. Je retiens presque ma respiration, comme plongée sous l’eau. Sous mes pieds, un parquet parfaitement ciré s’étend sur toute la surface du couloir en mezzanine, surplombant l’étage du dessous. La capuche toujours remontée sur le sommet de ma tête, je suis Logan en logeant le mur de droite. Les escaliers, voilà où il nous emmène. Escaliers. Alcôve. Lunettes de la sorcière. Miroir du deuxième étage. Je récite les points de repères dans ma tête, tentant de me souvenir des mots exacts de Logan, mais il avait donné tant de détails que je sais qu’il me sera impossible de tout retenir. Un tic-tac régulier au fond de mon crâne n’aide en rien. Nous avons une bombe entre les mains et toute rencontre au fil de notre progression la fera exploser.

Je mesure alors mes pas sur le parquet, grimaçant à l’idée qu’il grince sur notre passage. Nous ne tardons pas à atteindre les escaliers. Je jette un regard vers la rambarde de la mezzanine, un peu derrière nous, qui est assez loin pour que personne ne puisse nous apercevoir d’en bas. Nous rejoignons la petite alcôve en pierre blanche avec à son centre, un tableau de sorcière dont les lunettes pendent au bout de son nez. Dans sa robe satinée bleue, sa longue chevelure noire cascadant sur ses épaules, la sorcière nous adresse un regard perçant. Logan la fixe un instant avant de remonter les lunettes sur son nez. Les pierres de l’alcôve s’ouvrent alors pour dévoiler un passage dans le mur. Logan s’y engouffre et je le talonne. Aussitôt, la porte se referme et nous nous retrouvons dans le noir. Je souffle un Lumos et pointe ma baguette vers le sol, pour ne pas nous éblouir, et je secoue la tête en chuchotant.

« Y a que les sangs-purs pour avoir des passages secrets chez eux... »

Mais en l’occurrence, cet élément joue en notre faveur. Nous marchons lentement, attentifs à ce qui pourrait se passer de l’autre côté de ces murs. Je trouve à la fois passionnant et angoissant d’être ici, à un mètre parfois de l’autre côté du mur où le père de Logan pourrait se trouver. Ces passages sont comme des intestins, et nous les parcourons en tâchant de ne pas être repérés par leur hôte. Nous longeons le mur et ma main passe sur les pierres blanches apparentes. Une fine couche de poussière recouvre ma peau, la rendant étrangement douce.

Logan s’arrête net et je lui rentre dedans, agrippant aussitôt sa veste pour nous stabiliser. A un pas de lui, une échelle descend jusqu’au deuxième étage. Je l’éclaire en passant ma tête pour voir la hauteur qui nous sépare du dessous. « J’espère qu’elle est solide... » soufflé-je. L’idée de nous éclater en bas ne m’enchante pas, surtout que je suis persuadée qu’il passera le premier. Et quelques secondes après, c’est effectivement lui qui continue de guider l’expédition. Je le laisse descendre en l’éclairant, avant de me tourner dos au vide et de m’accrocher aux deux barreaux de l’échelle, ma baguette coincée entre deux doigts. Mes pieds tâtonnent pour trouver les marches et je commence peu à peu à descendre.

Une fois en bas, je me tourne vers Logan et passe une main sur mon visage. Il fait à la fois chaud et froid entre ces murs, comme des courants différents entre deux eaux. On se remet en route et je sens que nous ne sommes plus très loin car à la lumière de ma baguette, je vois les épaules de Logan se tendre et son pas ralentir. Il s’arrête devant un mur sur lequel je vois une démarcation nette. Nous sommes derrière le miroir. Quelques pas nous séparent donc de la bibliothèque. Soudainement, je trouve mille scénarios où ce plan deviendrait l’idée la plus stupide du siècle.

« Bon..
.murmurai-je du bout des lèvres en me rapprochant du sorcier, maintenant il ne reste plus qu’à espérer que ton père ne soit pas devenu insomniaque… Combien de temps il te faut pour déverrouiller la porte ? »
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Lun 25 Sep - 2:08

 08 décembre 2016
Elle a quelque chose de déconcertant, cette sensation de poser le pied sur le terrain de l’enfance. Naturellement, le corps se positionne comme autrefois. Il trouve les lames du parquet d’un couloir et évite les briques mobiles d’une corniche. Il sait. Mais le corps d’adulte s’adapte mal à son environnement. Il est moins souple, plus raide. Plus lourd. Il me donne l’impression d’être étranger à moi-même.

La corniche est plus fine.
Le grenier, plus petit.
La goule moins effrayante et les ténèbres moins profondes.

Elle que j’ai tant haïs et crains fait à présent figure d’alliée. Ou du moins d’habitude. Un monstre décharné, tordu. Elle est moins qu’elle ne parait et a pourtant fait tremblé nombre de mes nuits, enfermé dans cette petite valise. Force est de constater que j’ai eu bien des geôles dans ma vie.
Toutes poreuses à leur manière.
Alors si je suis cet homme si prompt à passer entre les mailles… pourquoi cette tension dans le creux de mes nerfs ? Tout à la fois endiablée par la sensation absconse d’être insoumis sur une terre hostile et écrasé par la peur de s’y retrouvé enfermé de nouveau.
Ça n’a rien de physique, de concret. C’est la peur d’échouer. Celle de plier.
La peur d’avoir peur. De sentir le gamin s’agiter, quelque part dans sa valise ensorcelée, à en fixer les parois de tissues percées de jour qui vibrent et ploient au rythme des coups de griffe.
Celui qui ne crierait pas pourtant, de peur d’agacer son père.

Un regard à Sanae et je me reprends. Tout à la fois soutenu par l’idée de partager quelque chose que poussé par elle. La fuite tout autant que la lutte.
La poussière du grenier entre dans les poumons et les gonflent d’une sensation commune tandis que la petite porte pivote sans un bruit. Tout une bataille, cette absence de son. Celle d’un fils et d’un père ensorcelant les gongs tours à tours pour s’assurer de l’un ou de l’autre des options. Pas un bruit donc ; il semblerait que j’ai gagné.
Ainsi, lorsque mon pied se pose sur les lattes lustrées de l’étage, un petit sourire victorieux déforme mes lèvres et m’accompagne aussi bien que Sanae durant notre avancée. J’essaye de ne pas y penser, pour être honnête. Elle foule le chemin de mon enfance et j’ai sous les côtes cette sensation trouble que de la vouloir près de moi autant que je voudrais l’en expulser. A chaque seconde, je sais qu’elle assemble les morceaux, qu’elle tisse les liens. Une part de moi en reste ulcérée et l’autre… a l’impression étrange d’être rasséréné pour la première fois en ces lieux.
Ne pas être seul.
Quelle sensation étrange.

Alors je tourne un regard vers Sanae et lui fait signe de poser le pied sur telle latte et non la précédente. Chacun de ses pas est le mien. Elle est l’ombre d’une ombre. L’autre. Le reflet. L’écho du présent qui se mêle à celui du passé.
Alors la chaleur qui s’en dégage me force à rester ancré au moment. J’y puise un certain calme qui m’empêche de céder aux appels que j’entends par instant dans le fond de mon âme. Il y a un monstre sous la surface qu’appellent mes sens. Il connaît les odeurs, les sons, les sensations. Alors il frémi et s’ébroue dans mes ténèbres. Et sourit. Car de me savoir de retour, c’est derrière d’autres barreaux qu’il est impatient de me retourner.
Mais le monstre recule à chaque fois que d’un regard, ma malédiction devient un don. Mon esprit s’ancre à effleurer le sien. Une fois, puis deux. C’est minime mais c’est là tandis que, silencieux, nous rejoignons l’escalier de pierre puis l’alcôve et le tableau qui l’orne. La sorcière muette, un grand allié de mon enfance. Celle qui me remercie en haussant les sourcils d’un air solennel tandis que je lui redresse les lunettes sur le nez.

L’instant suivant, nous sommes dans l’obscurité totale des murs du manoir et mes muscles se dénouent un peu. Il faut ça pour que j’entende comme à rebours le battement sec de mon cœur sous mes côtes. Déjà prêt à se battre, la magie ruisselle en moi comme l’eau en montagne quand le printemps pointe et fait pleurer les glaciers.
Un souffle passe, mêlant celui de Sanae et le mien.
La vérité, c’est que si je lui ai donné tous ces détails sur la marche à suivre, c’est pour qu’elle puisse se sortir d’ici si jamais les choses tournaient mal.

Mais nous sommes en vie, discrets dans le silence de la maison. J’ai beau tendre l’oreille, je n’entends rien. Ni les frères qui se chamaillent dans leurs chambres, ni le plus petit qui passe de l’une à l’autre dans la crainte de croiser Père, encore moins les griffes des chiens rôdant dans les couloirs. Non. Maintenant les Rivers craignent plus ce qui vient de dehors que ce qui descend du grenier. La teneur de la menace est la même et son aptitude à se moquer des barrières érigées tout autant.
Dans la lueur qu’illumine le bout de la baguette de Sanae, un sourire passe, bientôt changé en rire bref à l’entendre marmonner « Y a que les sangs-purs pour avoir des passages secrets chez eux... »
“Il faut dire qu’on a une goule au plafond…”

Un sourire amusé passe et je retrouve plus longuement son regard. Dans la lueur bleutée du lumos, les particules de poussières tracent sur son visage des volutes proches d’une fumée légère. La lumière pulsatile lui tire ses traits et les figent dans une figure pâle et égale. Comme un air de marbre. Comme un air de mort. L’idée n’a rien de plaisant, encore moins à l’écoute de nos dernières discussions sur le sujet. C’est un sourire qui pourtant se dessine. Les morts marchent en des lieux qui les ignorent. Ils défient les vivants et se liguent dans l’indifférence des puissants.

En avançant, je reprend à voix-basse, le regard au loin et l’esprit plongé dans les leçons parentales. “Le manoir n’a pas toujours appartenu aux Rivers. C’était le siège d’un ancien duché au VIème siècle.” Il est des leçons sur la puissance familiale qu’on n’oublie pas ; d’autant moins quand on y est opposé toute son enfance. “ça a dû jouer je suppose, en terme de défenses..” L’anatomie des lieux a beaucoup évolué a-t-il appris au fil des années. Les murs d’enceinte écroulés, les bâtiments renforcés puis percés pour faire entrer la lumière avant d’être fatalement rasés de sorte à re-construire du neuf. Plus lumineux, plus ornementé. Ici et là, les vieilles pierres témoignent des fondations initiales et murmurent les vestiges d’un passé bien lointain.
Mais ne restent qu’eux. Eux et la vieille vanité du sang.

Combien d’étrangers sont venus ici ? Combien d’affaires de famille ? De drames et de trahisons ? Qu’elles histoires dans l’Histoire ? Qui étaient ceux dont je partage l’héritage non pécuniaire mais diplomatique. La généalogie des tourments. On m’a tant répété que j’y étais étranger que j’y ai toujours trouvé une forme de fantasme réconfortant. Intégrer les grands noms du passé.
Mais ce n’est là rien de plus : un fantasme.

Alors quand le bout de mon pied racle sur une dalle un peu plus haute que les autres, j’articule un juron avant de nous amener jusqu’aux contours d’une échelle dans la pénombre.  « J’espère qu’elle est solide... »
Pas de réponses. Mon pied rejoint le bois poussiéreux et descend le long de l’échelle. La baguette coincée entre les dents pour me dégager les mains. ‘Pas confiance en mes muscles.
Lissé par les âges, le bois est piqueté de trous et aussi doux sur le dessus que râpeux en dessous. Une fois au sol, j’en retire une écharde dans la pulpe d’une phalange déjà abîmé et tandis que le râle en silence je sens venir la boutade de la part de ma partenaire d’expéditions. Donc j’avance. Sans louper un regard par dessus mon épaule… plus complice qu’il n’y semble. Une main passé sur ses traits et j’imagine sans mal l’impression d’être recouvert d’une couche de poussière millénaire que les courants d’air froid et chaud rendent plus solide encore.

C’est en silence qu’on rejoint la démarcation que je vise. Derrière se trouve le petit bout de couloir où se trouve la porte de la bibliothèque. Il y a surtout des ouvertures dans le mur qu’elle ne voit pas mais par lesquelles j’ai si souvent passé le regard pour surveiller cette maison dans laquelle je n’étais bienvenu pour personne. J’y ai vu des choses..
On s’imagine tant d’un légimen sa propension à violer l’esprit des autres qu’on en vient parfois à oublier que les murs ont des oreilles.
« Bon... murmure-t-elle en me rejoignant. Maintenant il ne reste plus qu’à espérer que ton père ne soit pas devenu insomniaque… Combien de temps il te faut pour déverrouiller la porte ? »
“ça devrait être rapide.” Je ne jette aucun regard sur la petite pile de livres à deux mètres à peine de mes pieds. Poussiéreux, accompagnés d’une demi-chandelle, ils traitent de bien des sujets et je donnerai à parier qu’il y a encore la forme de ma silhouette quelque part au sol dans ce coin. Pas un œil, donc, mais un regard dans un interstice. Nulle œuvre du temps sur des murs dégradés mais de véritables judas percés ici et là dans toute la demeure. Invisibles de l’autre côté. Non seulement j’ai amené Sanae sur les traces de mon passé mais également dans l’entre-deux. Littéralement de l’autre côté du miroir. Indéfiniment petite dans les coulisses des Grands ; comme je l’ai été.
Au travers de l’ouverture, un genou au sol, j’observe. Comme toujours, les runes entourent la porte de la bibliothèque. Nulle âme qui vive. Certaines ont changé et connaissant mon géniteur, j’ai de quoi me méfier. Qu’il y ait un système d’alarme pour toute erreur ne m’étonnerait pas.
J’en ai déclenché une une fois… Le chat de mon frère aîné en est mort, accusé d’avoir griffé le mur.

“C’est bon : j’ai !”
Sans plus de cérémonie, je glisse ma main contre un interstice après avoir marqué un arrêt - les réflexes musculaires : l’ongle de mon annulaire gauche dont j’usais enfant n’existe plus… - et la pierre s’ouvre en silence pour nous laisser passer. Chaque brique se décale l’une par rapport à l’autre, le tout sans le moindre bruit. Un bijou de réalisation que ne je réalisais pas dans l’enfance et qui me saute aux yeux à présent plus au fait des capacités de la magie et de leurs limites.
Quelques pas et mon regard file de droite et de gauche. Personne. Et dire qu’il y a une forme similaire donnant droit dans la bibliothèque mais que je n’ai jamais su ouvrir…
Qu’importe : baguette en main, les runes sont remaniées, la magie file et défait les verrous accumulés.
L’ensemble rougeoie une seconde.
Et la porte s’ouvre.

Dans ma poitrine, mon cœur explose et tous mes muscles se tendent, prêts à frapper. La crispation s’étend jusqu’à mon esprit qui enfle et prend l’espace, déjà prêt à s’étendre comme un fouet droit dans le regard d’un potentiel intrus. Sans doute Sanae perçoit-elle l’étendue de ma nervosité.
Mais la pièce est vide.
Et l’air sort de mes poumons tandis que je me précipite avec elle dans la bibliothèque avant d’en fermer la porte.

Pour être très honnête ; il aurait parfaitement pu se trouver là.
La fameuse insomnie dont elle parlait a toujours fait partie de son quotidien. Rares sont les nuits durant lesquelles Jethro dort plus de trois heures.
Un truc de famille apparemment.

“Bon ! Pas si mal …”

A ton regard, je devine que tu as deviné.

“Ok : il est effectivement insomniaque.” My bad. “Il est surtout invité demain à une réunion avec des dignitaires en Roumanie. Le connaissant, il est arrivé la veille pour entretenir les liens avec les mieux placés dans le conflit.”

D’où le choix de cette date pour venir fouiller la bibliothèque. Un choix risqué, basé sur l’idée absurde d’un fils connaissant son père.
Quant à sa femme… c’est sans doute là que le bât-blesse. Je ne l’ai jamais comprise. Et nous nous sommes bien trop évités pour que je puisse prévoir ses habitudes.

“Bon.. Le livre.. Traité des loquets et serrures magiques par Egwine Bacchus, Volume 4. Tu prends la droite, moi la gauche. Attention, certains ouvrages hurlent.. Ou mordent. Et ceux dans l’armoire crachent de l’acide ou du venin.” Un regard échangé, les sourcils qui se lèvent. “Tout est avenant ici.”
Ça aussi, c’est de famille.

Commence la recherche, donc. Durant le quart d’heure qui suit, les pieds piétinent sur les tapis épais, et les yeux fixent les tranches des livres. Je déverrouille le petit meuble bas dans lequel différents ouvrages se trouvent en songeant qu’y classer là l’ouvrage en question serait de la pure ironie. Bien sûr l’un comme l’autre tentons un accio, à tout hasard mais une telle option serait bien triviale pour mon père qui en a bloqué l’usage en dehors de sa présence. Après un moment, je me rend compte de la présence de runes masquées par une lampe et en efface l’activité. Ainsi chaque nom sur la tranche des livres s’efface pour en laisser apparaître une autre.
Tout est à refaire.

Au détour de nos recherches, je remarque le regard de Sanae qui s’arrête sur un parchemin exposé sous verre au mur. Titre de propriété.
Certains noms sur ce bout de papier lui sont sans doute familiers et Rivers n’est pas le seul. Avis de cession des terres, daté du IXème siècle.

Un sourire en coin, le genou au sol et le regard passant le long des livres entassés au bas des étagères, j’explique avant que la question ne tombe.

“Le Duché de Warminster est devenu au fil des ans “Duché de Warsters” puis enfin… Walters.” Un nom qui t’es familier. “Les moldus ont gardé Warminster. Et Warsters, ancien hameau magique est tombé en désuétude quand la famille associée a plié face à une autre et lui a cédé ses terres.”

Les noms évoluent. Les frictions restent.
Rien d’étonnant à ce que Walters et Rivers perpétuent la longue tradition des trahisons et des affrontements.
N’en reste qu’un. Johan. L’ironie est notable non ?

C’est ce qui se lit dans mon regard lorsque je croise celui de Sanae.
Celle du passé et du présent qui se mêlent m’amène en silence à un autre coup du sort : en partant sur les traces de ton père, c’est celles du mien que l’on foule. Pour l’intimité de ton enfance, c’est la mienne que j’offre. Comme un échange équivalent. Un équilibre qu’on trouve sans un mot échangé.
Un pied d’égalité que je consens, peu à peu, à t’accorder.

Un instant, le silence devient non pas pesant mais épais des mots qu’on tait.
Puis la recherche reprend.

C’est après avoir défait les serrures magiques bloquant l’accès à la petite pièce en arrière du bureau que, me perdant dans la contemplation des ouvrages de magie noire, j’entends un bruit dans la bibliothèque.
Sanae, le Traité des loquets et serrures magiques par Egwine Bacchus Volume 4 sous le bras, fait face au battant de la porte venant de s’ouvrir.
Devant elle, un elfe de maison : Slag.
Le regard figé sur un pli du tapis ; l'elfe relève le regard.

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M. Logan Rivers
Mer 1 Nov - 17:32
Nous marchons dans la pénombre de ce labyrinthe, entre les murs épais du manoir, et dans la lumière projetée par ma baguette, la poussière se soulève et stage dans l’air. Elle retombera, lentement, après notre passage, tout comme l’adrénaline finirait par quitter nos corps. Mais pour le moment, dans la tension qui me parcoure, je sens l’excitation se mêler à l’angoisse. Je reconnais cette chose qui gronde en moi et qui a soif d’aventure, de combat et de mystère. Je n’ai pas fait assez de missions ces dernières semaines pour combler ce monstre de chaos qui s’agite lorsque tout est trop calme.

Malgré la situation, nos murmures se chargent d’amusement et nos sourires se font complices. Je le taquine sur ces passages secrets que seuls les sangs-purs semblent posséder et il rétorque aussitôt : « Il faut dire qu’on a une goule au plafond... ». Je ne sais pas si c’est la situation ou la rareté de ses traits d’humour, mais je pince les lèvres pour ne pas rire, finissant par laisser échapper un souffle amusé. On ne peut pas dire que Logan est un homme qui rit ou plaisante souvent, alors cet élan soudain me prend par surprise. Son regard me trouve avec la vivacité qu’il a toujours. Je ne sais jamais dire ce qu’il voit de moi quand il m’observe ainsi, ni ce qu’il pense ; je devine parfois la couleur de ses émotions, la force de ses pensées, mais j’ai rarement de certitudes avec lui. Je crois pourtant comprendre que si je suis ici, c’est que la confiance qui nous lie est devenue plus profonde que jamais.

Les poussières stagnent dans l’air qui nous sépare et peut-être que c’est la première fois qu’il y a dans le réel ce suspens entre nos esprits. J’ai souvent l’impression qu’au-delà de nos yeux d’humains, faits de chair et de nerfs, il existe d’autres yeux qui se regardent ; ou peut-être que c’est cela qu’on nomme âme et qui n’a pas de forme, qu’on garde au sein de soi, et qui pense, ressent et renferme tous nos secrets. Oui, sans doute qu’il y a un peu de ça. Nos âmes se regardent.

Nous continuons notre discrète avancée de l’autre côté du mur où se déroule la vie nocturne du manoir Rivers. Je suis curieuse de voir à quoi ressemble cet autre côté. La décoration est-elle froide ou d’une fausse chaleur ? Les murs sont-ils remplis de tableaux anciens ? Y a-t-il un peu de passé dans chaque objet ou toile qui agrémente les lieux ?
Le passé, nous y pensons tous les deux. A mesure que nous marchons, l’un après l’autre, Logan sort du silence.

« Le manoir n’a pas toujours appartenu aux Rivers. C’était le siège d’un ancien duché au VIème siècle….ça a dû jouer je suppose, en terme de défenses... 
— J’imagine que c’est ce qui a leur a plu ici... »

Plus que jamais, je sens qu’il me fait entrer dans un monde qui est le sien, ou a été le sien. J’aurais pu lui demander s’il avait trouvé dans l’enceinte de Poudlard des éléments familiers – l’ancienneté des lieux, les secrets cachés au-delà des murs – mais ce n’est ni le moment, ni l’endroit. Plus tard, les vraies questions viendraient. Nous arrivons à l’échelle qui ne m’inspire aucun sentiment de sécurité et après quelques mètres de parcourus dans la pénombre, Logan s’arrête. Nous y sommes.

Par terre, une petite pile de livres a été oubliée, recouverte d’une poussière grisâtre, à côté d’un reste de chandelle. Se mettait-il ici, dos au mur, en tailleur, à lire sous la seule lumière d’une flamme ? Un petit clandestin emprisonné dans les entrailles du manoir. J’essaie de ne pas y penser, nous ne sommes pas là pour ça, mais mon coeur se serre. Logan se penche pour jeter un œil dans un interstice que je ne distingue pas. Il sait où regarder, les réflexes de l’enfant revenant sans difficulté. Comme il est difficile de quitter les lieux qui nous ont vus grandir… Leur présence est semblable à celle d’une personne, toujours ancrée en nous. En serons-nous un jour débarrassés ?

Logan met un genou au sol et son œil se rapproche du mur. Il m’a assuré que ça ne prendrait pas longtemps mais un tic-tac désagréable résonne à mes oreilles. Combien de temps avant qu’un minuscule détail ne vienne trahir notre présence ? Tout ça est une terrible erreur, une mauvaise idée, un plan foireux… mais il n’y a aucune manière de ne pas aller jusqu’au bout, comme s’il fallait s’assurer que ce soit effectivement une erreur. Je n’ai pas honte d’avouer que j’ai peur, car ce n’est pas mon destin qui m’inquiète.

« C’est bon : j’ai ! » lâche-t-il dans un souffle.
Je me tends, cherche à voir ce que ses mouvements font. Je ne vois que sa main passer sur le mur avant que les vieilles briques ne se déplacent pour laisser un chemin. En silence, elles forment une sortie, ou plutôt une entrée vers la bibliothèque dont Logan s’empresse par quelques coups de baguettes de déverrouiller les runes qui protègent la pièce. Leur rougeoiement est aussi menaçant qu’il est libérateur. La porte s’ouvre et c’est l’explosion dans ma poitrine. Mes doigts se resserrent autour de ma baguette. De son côté, Logan semble tout aussi nerveux que moi. Regardant tous deux de chaque côté, analysant la moindre menace potentielle, nous devons certainement ressembler à des animaux sauvages traversant une route. Un seul chasseur et le plan tomberait à l’eau… quant à nous, on ne tarderait pas à recouvrir les chapeaux des mondains. Oh, quelle belle écharpe en peau de Logan ! L’image était absurde. Tout autant que notre présence ici.

Nous traversons. Et bientôt, la porte de la bibliothèque se ferme derrière nous. Le soulagement vide nos poumons d’un seul coup et je réalise à quel point nous aucun de nous n’était confiant. Mon regard retombe sur Logan, un sourcil relevé.

« Ok : il est effectivement insomniaque. » Je penche la tête sur le côté, ouvrant grands les yeux. C’est maintenant qu’il m’avoue ça ? « Il est surtout invité demain à une réunion avec des dignitaires en Roumanie. Le connaissant, il est arrivé la veille pour entretenir les liens avec les mieux placés dans le conflit. »Comment sait-il ça?!

Je soupire.

« T’as de la chance que j’frappe pas les handicapés... » lui lançai-je en serrant les dents. « Maintenant, il faut juste espérer que les autres tarés de cette maison ne traînent pas la nuit… vu notre chance naturelle, tout devrait bien se passer, hein ? »

Un sourire amusé et je me tourne enfin vers ce qui se trouve autour de moi. Une lumière tamisée éclaire la bibliothèque par les bougies et les lampes enchantées qui se trouvent sur les meubles et les étagères. De grands tapis recouvrent le parquet ciré, allant avec goût avec le tissu des fauteuils près d’une petite table basse. Cette pièce ressemble à toutes les bibliothèques des hommes influents et riches : luxueuse et certainement pleines de secrets. Je fais quelques pas, évitant de toucher quoi que ce soit

« Bon.. Le livre.. Traité des loquets et serrures magiques par Egwine Bacchus, Volume 4. Tu prends la droite, moi la gauche. Attention, certains ouvrages hurlent.. Ou mordent. Et ceux dans l’armoire crachent de l’acide ou du venin. » Je me tourne vers lui, les sourcils relevés, et une moue de dégoût sur les lèvres.  “Tout est avenant ici.
— Charmant, commentai-je. Je suis étonnée que vous ne soyez pas tous nés avec des écailles. » En quelque sorte, ils l’étaient. Des écailles en-dedans, tout autour du coeur, et au fond du ventre. Peut-être même que c’était elles qui faisaient tant souffrir Logan dès qu’il ressentait trop fort des choses humaines. Peut-être aussi qu’elles tombaient ou se lissaient en chair avec le temps…

Nous nous mîmes rapidement à chercher le livre d’Egwine – prénom que je sus pas prononcer une seule fois correctement –, Logan partant sur les rangées de gauche et moi, de droite. Les yeux rivés sur les étagères remplies de livres, je lis les écritures fines et dorées ancrées sur les couvertures. Quelques babioles traînent sur les coins des étagères, décorant les colonnes d’ouvrages anciens : de petites statuettes en bois ou en bronze, représentant soit des animaux, soit des visages humains. Entre deux larges livres, un petit miroir me renvoie un reflet épouvantable. Une traînée de poussière et de crasse barre ma joue et mon front tandis que ma queue de cheval laisse s’échapper des mèches un peu folles. Je longe la bibliothèque, le regard toujours attentif aux titres des livres, tout en rattachant mes cheveux. Avec mon sweat noir à capuche, j’ai l’air d’une cambrioleuse. C’est un peu le cas, il faut l’avouer.

Je glisse un regard vers Logan, puis vers l’élégante horloge aux contours en or qui trône sur une commode. Combien de temps cela nous prendra-t-il ? Malgré nos efforts pour être rapides, l’heure tourne et nous n’avons toujours rien. Le désespoir me prend lorsque Logan découvre une rune qui remet les compteurs à zéro. Ma tête retombe lourdement en arrière alors que je pousse un soupir rageur et recommence tout à gauche. Dans d’autres circonstances, j’aurais admis que ce tour-là était brillant.

Je ne sais combien de minutes s’écoulent dans le silence de nos recherches mais je m’attarde un instant sur une vitrine protégeant un vieux parchemin. Accrochée au mur, elle est visiblement d’une grande valeur ; un objet qu’on garde précieusement mais qu’on montre volontiers à quiconque se trouverait ici. La fierté des sangs-purs…
Je fronce les sourcils en lisant. C’est un titre de propriété datant IXè siècle, un document d’origine sur lequel figurent les signatures de ceux qui ont cédé les terres sur lesquelles nous sommes présentement. L’encre a un peu bavé au coin de certaines lettres mais l’écriture est belle et soignée. J’y reconnais certains noms…

J’ouvre la bouche mais Logan est plus rapide.

« Le Duché de Warminster est devenu au fil des ans “Duché de Warsters” puis enfin… Walters. Les moldus ont gardé Warminster. Et Warsters, ancien hameau magique est tombé en désuétude quand la famille associée a plié face à une autre et lui a cédé ses terres. »
Je lève un sourcil, me tournant vers lui quelques secondes.
« Alors que ce soit par la rivalité ou le mariage, toutes les familles sangs-purs sont définitivement proches les unes des autres... » soupirai-je. Est-ce que cette vieille rivalité entre les deux familles avaient pavé la voie à ce qui plus tard résulterait en la mort d’un Walters par la main d’un Rivers ? Cette page avait-elle été écrite depuis longtemps ?

Le silence nous reprend mais je pense à tous ces siècles d’Histoire dans lesquels s’inscrit la famille de Logan, du moins une partie. Au-delà de son père, il n’y a pas rien, il y a des années d’évolution, de trahisons et d’alliances… il y a, précisément, une histoire à laquelle être rattaché. Et je me demande ce qui est le pire : ne pas en avoir ou être éternellement relié à celle qu’on nous impose ?

L’heure tourne plus vite qu’il n’y paraît. J’en suis aux étagères hautes de la bibliothèque, perchée sur une chaise que j’ai ensorcelée pour qu’elle lévite à bonne hauteur quand Logan débloque l’accès à une autre salle, accolée au bureau, où j’aperçois de nouvelles rangées de livres. Il va mener ses recherches là-bas tandis que, bras tendus, je continue d’examiner les couvertures. Distraite, je passe un doigt sur la reliure d’un livre et je sens comme une brûlure vive. En plus de mordre et jeter du venin, les livres brûlent les doigts… Je serre les dents en agitant ma main mais passe aux autres couvertures. Les œuvres sont de plus en plus larges, pour la plupart des livres d’Histoire, des Traités de Magie, des bibliographies de sorciers célèbres dont la réputation mérite d’être chuchotée entre deux verres de vin. Plus je vois défiler les titres des œuvres, plus la personnalité de leur propriétaire se dessine. Le père de Logan n’est pas un homme qui aime la fiction, ou la philosophie ; à part la magie et l’Histoire des grands noms de la société sorcière, je ne vois de place pour rien d’autre. De ce côté de la bibliothèque, l’âme noire et sèche d’un sorcier à la vie calquée sur le passé, aux admirations douteuses, et aux idéaux tranchés m’apparaît plus clairement que si j’avais pu lui parler. Je n’aurais pas aimé rencontrer cet homme-là. Mon regard trouve la silhouette de Logan dans l’ouverture de la seconde salle, passant d’une étagère à une autre.

Si tous les livres mordent, qu’en est-il des souvenirs ?
Lesquels viendront lui injecter leur venin, plus tard dans la nuit ?

Je me détourne, reprend mes recherches. Et presque pour atténuer mon désespoir, l’ombre de mon doigt passe sur un prénom agaçant. Egwine. Là ! Je me fige, ma respiration en suspend, et tire délicatement l’ouvrage vers moi. D’un coup de baguette, je fais descendre la chaise qui lévitait jusqu’alors. Je n’ouvre pas le livre mais la couverture délivre une soudaine dose d’espoir et d’adrénaline. Traité des loquets et serrures magiques par Egwine Bacchus, Volume 4. Mes pieds retrouvent le tapis et je m’apprête à appeler Logan pour siffler la fin de nos recherches clandestines mais au moment où mon regard se relève, c’est la porte de la bibliothèque qui s’ouvre.

Une petite figure aux larges oreilles, nez écrasé et guenilles rapiécées, darde sur moi ses grands yeux globuleux. Le livre sous le bras, je ne réfléchis pas. La porte se referme déjà derrière l’elfe de maison et le sortilège file du bout de ma baguette tendue. Petrificus totalus. Le corps de l’elfe se fige alors que l’expression dans ses yeux demeure bien vivante et il retombe sur le parquet dans un bruit mat.

« Putain... » crachai-je dans un murmure.

Je me retourne. Logan est là.

« J’ai le livre. On doit lui effacer la mémoire et partir maintenant. »

Maintenant avant que quelqu’un ne vienne. Maintenant avant que la situation n’empire. Je lance un sortilège pour que la chaise soit rangée à sa place initiale et que nos empreintes disparaissent de la pièce. A l’étage du-dessus, un tap tap se met à résonner comme s’il emplissait déjà la pièce. Des talons sur le parquet. Je lance un regard vers Logan.

Partir. Maintenant.

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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Dim 12 Nov - 13:41

 08 décembre 2016
Je n’ai pas souvenir avoir une seule fois éprouvé de la joie entre ces murs. À l’intérieur ou à l’extérieur, qu’importe. Il ne me revient qu’une frustration immense. Une colère dont je n’ai jamais su que faire à part l’accumuler pour en faire quelque chose d’autre. Quelque chose d’intelligent peut-être.
De torve.

Pourtant alors que nous parcourions cet entre-deux que constitue la doublure des murs de pierre, ce sentiment était bien présent. Une joie rêche et vengeresse qui se mêlait à une autre, plus subtile, moins aisée à accueillir. Celle d’y être accompagné, d’y partager quelque chose. Cette bâtisse, si grande, m’avait toujours terrifié. Mais à présent, il me semblait inverser les rôles. Je serais toujours l’indésirable. Je m’y suis senti sans cesse observé, oppressé par les alliances d’autrui. Aujourd’hui, il me semble que certaines choses se sont inversées. Je n’y suis pas seul. Pas plus que ce sont les murs qui m’observent.

Nous observons.
Nous avançons.
Nous fomentons, aussi, sans aucun doute.

Le verbe est important, mais le pronom l’est davantage. Si cette maison peut être personnifiée tant elle dégage quelque chose pour moi, il en est de même pour ce simple mot. Nous. Il cristallise dans de simples actes. Des petites choses qui lui donnent forme dans l’air qui nous entoure et passe dans nos poumons. Des regards échangés. Des esprits qui s’effleurent parfois. Des pensées qui se répondent dans un silence bien différent de celui d’autrefois. Des piques, simplement échangées comme si nous étions simplement attablés au cottage. Qu’elle me qualifie d’infirme. Qu’elle les traite de tarés. Dans chacun de ces mots, dans chaque souffle amusé échangé, il y a quelque chose qui me plaît. Quelque chose qui me déplaît de me plaire, plus honnêtement. Mais petit à petit, je cède à cette complicité, j’en ai conscience.

Elle se creuse d’une simple secousse et se change en un rire sobre. Une fois. Deux. La troisième est différente. Le rire est crispé mais réel. Admettre que mon paternel puisse avoir un coup d’avance sur moi a quelque chose d’à la fois prévisible et insultant. Deux notions qui m’agacent particulièrement. Que la colère, en revanche, soit partagé, donne à l’ensemble une forme plus risible et m’aide à ne pas développer cette crispation qui me noue pourtant les épaules. Anticiper par une rune qu’un petit fouineur puisse venir visiter sa bibliothèque… c’est bien joué, autant l’admettre. J’en note d’ailleurs la forme de la rune pour songer à la reproduire.
Est-ce qu’une telle protection signifie qu’il a compris mon manège de l’époque ? Ou qu’un des autres membres de la fratrie s’y serait pris au jeu à son tour ? Pour être honnête, mes pensées partent vers Alec. Ce serait bien le genre. De ce que j’ai vu dans son esprit, la bibliothèque de Leeroy a été bien autant visitée par Janie et lui que celle de Jethro l’a été par moi. Pour autant ; cette pensée m’inquiète. L’idée que je puisse emmener Sanae droit dans la gueule du loup ne m’a jamais quitté, bien sûr. Mais j’ai l’arrogance de penser qu’à nous deux, nous avons des ressources que peu soupçonnent. Notamment si d’aventure, nous n’avions pas de baguette pour nous défendre. Des armes pour prendre l’autre par surprise.
Mais que mon paternel puisse anticiper ma venue dans un endroit rend les choses bien plus glaçantes. Je connais sa propension à la violence et sait de quoi il est capable.
Malgré tout, je le sais aussi simplement paranoïaque. Cette rune peut être une découverte récente… ou une réponse à mon intrusion quelques semaines plus tôt.

Dans un cas comme dans l’autre, les minutes suivant ma découverte, je m’assure que d’autres runes ne sont pas cachées ailleurs à risquer de nous compromettre. L’exaltation d’être ici en dépit de tout bon sens ne s’est pas altérée. Toujours chargée du réalisme que demande une telle entreprise, l’exaltation se teinte d’une appréhension nouvelle. Jethro n’est pas homme à faire tant d’erreurs et il serait parfaitement stupide de le prendre pour un incapable. Si c’était le cas, je serais parfaitement assuré ici et ce n’est pas le cas.

Aucune autre rune. D’autres sortilèges en revanche, mais aucun que je n’ai désactivé par avance à notre arrivée. Seulement quelques renforcements ici et là.
Paranoïaque disions-nous.
Tel père tel fils.

Quant aux titres d’ouvrages, ils défilent sous mes yeux sans discontinuer. Certains ont déjà connu le toucher de mes mains et la poussière des entre-murs. D’autres ne me sont pas même familiers.
La frustration passe en silence. Il y a peut être ici, ou plus justement dans le crâne de mon père les réponses aux questions de Sanae. Sans doute a-t-il le bon contact, la personne à qui confier le carnet qui pourrait en faire sauter les verrous en quelques instants. Mais tout comme il ne m’a jamais lié à un expert en légilimencie. Du genre de celui qui lui a sans doute appris ses propres capacités. Peut être cela aurait-il été inutile. Peut être pas. Toujours est-il qu’il a un réseau tant étendu qu’il y a sans doute un nom dans son carnet d’adresse qui résoudrait le problème actuel. Mais de ça comme du reste, il ne faut y compter.
Je l’embarque dans la frustration de mon existence. Tout à la fois si proche d’un futur fourré aux facilités tout en en étant le plus éloigné qui soit.

Un instant, je songe aux quelques mots échangés précédemment, face au titre de propriété sur lequel je n’ai aucun droit.

« Alors que ce soit par la rivalité ou le mariage, toutes les familles sangs-purs sont définitivement proches les unes des autres... »

J’ai souri. Pas que la mort d’Anthony me procure le moindre plaisir mais par elle seule, elle me rattache à ce foutu bout de papier. Certaines choses semblent écrites. Ou peut être quelques âmes mal lunées se décident-elles à jouer avec les concepts du destin. Il pourrait se dire que je l’ai fait intentionnellement. Que je me suis amusé des sous-textes qu’une telle mort impliquerait. Il n’en est rien. Anthony me manque, d’une manière absurde. Chimérique.

Est-ce si lointain pour elle ? Ça l’est, je le sais. Pour autant, à toujours avoir grandit dans ce monde, j’ai malgré tout du mal à imaginer en être parfaitement ignorant de…

Tout s’arrête. En me retournant vers la première salle, je l’aperçois avec un ouvrage sous le bras. Mais c’est le bruit qui a attiré mon attention, pas le livre. Une porte qui s’ouvre, quelques pas tenus sur le bois, bientôt absorbés par l’un des épais tapis de la pièce.
Une seconde, pas plus. Et Slag tombe sur le parquet, entre le tapis et la porte déjà close. Je n’ai eu le temps d’esquisser aucun geste que le problème est déjà réglé. Une chance ! Ni elle ni moi n’avons envie de nous mesurer à un elfe en pleine possession de ses moyens.
Moi encore moins qu’elle. Pas ici. Pas sous ce toit. Pas face à cet être.

« Putain... »  Comme elle dit. « J’ai le livre. On doit lui effacer la mémoire et partir maintenant. » Par Morgane, elle a trouvé ce foutu bouquin !

L’espace d’une seconde d’hésitation, mon regard part droit vers le plafond d’où quelques pas se font entendre.

“Selena…” Je gronde tout en m’activant.
Pas de doute.
Pas que je sache véritablement hiérarchiser mon non désir de croiser qui que ce soit ici cela dit...
En un instant, baguette en main, j’oubliette l’elfe et l’attrape sans ménagement par l’oreille. D’un sort en arrière, j’ordonne la réactivation des sorts et entrouvre la porte. Un coup d’oeil à droite, à gauche, un dernier pour m’assurer que Sanae soit prête : Et d’une pulsion commune, je soulève la chose et nous traversons le couloir pour passer derrière les murs. J’y balance l’elfe, reviens vers la porte que j’ouvre de nouveau dans un accès de perfectionnisme. La suite va très vite. Trop peut être. Je jette un sort pour lisser le tapis que j’aperçois froissé, referme le battant, réactive les runes, ramène mon attention vers Sanae. Les bruits de pas approchent et ses prunelles se dilatent.
Moi j’ai des flashs sous les yeux. De trop nombreuses situations qui reviennent, des angoisses d’enfant desquelles je tire une chose : un timing.
Le métronome des pas dans la tête, celui que j’ai écouté à loisir entre les murs, celui qui a hanté mes nuits chaque fois que quelqu’un s’approchait de la porte du grenier. Tap tap tap… Un deux trois…

Runes verrouillées. Les quelques pas qui me séparent du passage dans lequel se tient Sanae sont avalé en un instant. Prête à engager un combat qu’elle sait plus que risqué, elle se tient dans l’encadrement et referme dès que je passe. Lumières éteintes, il ne faut qu’un instant avant de voir filtrer les rayons lumineux des chandeliers et des bougies derrière les appliques au mur qui illuminent les lieux dès qu’on en active le sort. Les pas se rapprochent et une ombre balaye la lumière. Un regard échangé avec Sanae et, après un sort de confusion lancé à Slag, nous engageons le chemin sans le sens contraire.





J’aimerai dire qu’aucun des pas ne nous a crispé, que tout s’est passé sans le moindre heurt mais à chaque grincement, chaque bruit si ténu soit-il, nous avons sursauté. J’ai beau savoir que tout a été isolé par des sorts d’un point de vue pratique … la tension dans mes muscles comme dans ceux de Sanae n’a fait que croître. Malgré la conscience acide de la mettre en danger pour une entreprise sans doute absurde, j’en ai aimé chaque instant.
A un moment, nous nous sommes arrêtés pour observer au travers d’un miroir la silhouette endormie de mon plus jeune frère, Ian, cheveux en batailles, bâillements aux lèvres et démarche mal assurée, traverser la maison pour aller chercher quelque chose en cuisine.
Définitivement, personne ne dort jamais vraiment ici…

Quelques airs de son cousin, si on y réfléchit bien. Je suis resté. Dans un espoir un peu bête qu’il se retourne vers le miroir pour s’observer, et entrer dans sa mémoire pour chercher des nouvelles d’Alec. Ou plus exactement, que Sanae le fasse. Plus subtile. Plus discrète. Plus précise que moi. L’idée est venue aussi vite qu’elle est passée. Je crois qu’à effleurer nos âmes, elle l’a compris.
Mais il ne s’est pas retourné.

Pourquoi habiter encore ici ? La question, elle aussi, est passée lorsque nous avons repris la route. Mais j’en ai la réponse. Jethro veut ses fils près de lui. Il veut construire. Sans cesse construire. Et chaque enfant est une brique pouvant servir ses plans. Ainsi quoi qu’ils souhaitent, quoi qu’ils espèrent de leur avenir, la réalité sera toujours dictée par notre père.
A cette pensée a succédé celles qui lient Sanae au sien. A ces briques qu’il a posé, lui aussi, pour faire d’elle ce qu’elle est. Dans quelle mesure est-on le reflet de ce que nos géniteurs, nos parents, nos mentors ont voulu de nous ? Que voulait-il, lui ? Que voulaient ses parents biologiques ? Qu’aurait voulu ma…
Ça s’est arrêté là. J’ai basculé de nouveau dans ces images que j’ai perçu de Masa. Son exigence, ses influences. A-t-il un jour envisagé que Sanae récupère ce carnet ? L’aurait-il voulu ? N’a-t-il jamais prévu son propre décès et ce qui en adviendrait ? Le besoin de compréhension de sa fille, ses velléités de vengeance ? Refusait-il qu’elle y ait accès ou cherchait-il à la protéger ? L’a-t-il crue capable d’y avoir accès par excès de confiance ou de fierté ? Ou bien au contraire, était-il dans l’assurance que jamais, elle n’accéderait aux informations que contient l’objet ?
Il sait, pourtant, comme elle est pugnace lorsque quelque chose lui échappe. Comme jamais, elle ne lâcherait le morceau …
Est-ce voulu ? Un test, une épreuve ? Non, ça ressemblerait davantage à Jethro. Quoi que…

Les pensées, c’est ce qui a accompagné notre retour. Jusqu’à passer la toile, contourner la statue, remonter les marches et parcourir le couloir du dernier étage. L’adrénaline qui bat dans les veines, les sens à vif, la tension jusque dans nos pieds. En bas, les échos d’une conversation nous sont parvenus. Là aussi, j’aurais aimé dire que Ian et Selena évoquaient des points intéressants nous permettant de ressortir de là avec des nouvelles du monde aristocratique, des jeux politiques, d’Alec ou de la position des Supérieurs au sein des grandes instances. Mais rien. Seulement une dispute entre une mère et son fils.
Assez donc, pour que je m’arrête un instant, les sourcils froncés, un pied dans le grenier, l’autre dans le couloir, une main sur le dessus de la porte et l’esprit totalement absorbé par ce qui pouvait s’y dire. Impossible, pourtant, de comprendre le moindre mot. Trop loin. Lorsque je me suis retourné, c’est l’un de nos échanges muets qui a empli l’espace. Peut être aurait-on dit quelque chose si la goule, derrière Sanae, n’avait pas fait grincer le plancher.
Mais nous n’avons rien dit.

Alors j’ai fermé la porte et rejoint la fenêtre. Un instant, il m’est venu l’idée de récupérer certaines choses ici. Mais quel intérêt ?
Nous sommes sortis. Ça évoque quelque chose de simple dit de cette manière. Mais rien de cette nuit ne l’a vraiment été.

J’en ressors avec une sensation mordante, une fierté vorace… mais aussi quelque chose de plus lourd. Une part de déception peut être. De peine, surtout. Sensation obscure. Brumeuse.

Comme la nuit, lorsqu’enfin, elle nous a avalé.

De la même manière, il serait assez naturel de se dire que nous avons dormi, à la suite de cette escapade. Mais à nous connaître, ce serait absurde.
Nous nous sommes couchés, oui.

Mais lorsque le soleil s’est levé, nous étions dans le salon, l’un sur le canapé, les jambes croisées sur la table passe, la seconde en tailleurs au sol, à tester chacune des possibilités recensées dans le grimoire de Jethro, boire du café et combattre une migraine en dormance. Pas un bâillement. Non. On baille quand on lutte. Et on ne luttait pas.

L’espoir, l’exaltation du terrain, l’envie d’avancer… et puis quelque chose de plus personnel. Personnel mais à deux. Une envie partagée de ne pas laisser ce moment filer, de le pousser plus avant, d’en extraire encore cette sensation de révolte commune et de ne pas achever l’instant.

Ce n’est qu’en fin de journée que ces mots ont été prononcés : “Il y a une bibliothèque en Inde…”
Là aussi, un renouveau pour fouetter les corps et réveiller les esprits.

Dissoudre la déception et les frustrations en ouvrant une autre option. Je pourrais dire être en colère face à ces possibilités qui s’ouvrent et se ferment sans cesse… mais j’aime ça. Je n’ai jamais été patient mais l’investigation initie d’autres choses que la crispation de l’échec. Nous trouverons, je le sais. Et ma certitude, je crois, est assez solide pour apaiser d’autres frustrations que les miennes.


C’est forts de nos petites réussites, de nos grands échecs, de nos crispations et de nos doutes que nous prenons, donc, le chemin de l’Inde.

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Mar 28 Nov - 16:06

Bombay (Mumbai), Inde



Nous avions troqué le vent glacial de l’hiver anglais pour la chaleur étouffante de l’Inde. Au cottage, nos vestes étaient restées au placard et j’avais revêtu une longue jupe en coton et un  débardeur, attachant mes cheveux en une tresse qui commençait à atteindre mes omoplates. J’avais acheté une chemise plus légère pour Logan qu’il avait d’abord refusé, ignoré et enfin considéré lorsque les températures de notre prochaine destination avaient été évoquées. Jusqu’au dernier instant avant notre départ, j’avais cru la chemise destinée à ne jamais remplir son office. Dans un petit sac en bandoulière, j’avais pris deux casquettes – j’étais presque sûre que je serai la seule à la porter -, et quelques fioles en cas d’urgence. Loin de Londres, l’attention était bien moins portée sur la recherche de Logan mais il demeurait des liens complexes entre le Ministère indien et le Ministère anglais.

C’était un risque, bien sûr. Cette fois-ci, nous n’allions pas dans les couloirs secrets du manoir des Rivers mais dans les rues bondées de Bombay pour atteindre l’une des plus vieilles bibliothèques du monde. Si la foule me faisait moins peur puisque nous pouvions nous mêler aux autres visages en restant discrets, je redoutais l’entrée très sécurisée de la bibliothèque. Par précaution, je pus nous faire faire de faux papiers d’identité grâce à un contact de mon père à qui je n’avais pas parlé depuis l’enterrement. Tout ceci m’apparaissait parfois hors de la réalité. Dans mon deuil, je m’étais raccrochée à l’image de mon père avant de la repousser, de la remettre en question, de l’éprouver à maintes reprises, avant de finalement admettre, en moi-même, l’imperfection de l’homme qui m’avait élevée. Retourner sur ses traces et replonger dans ses actes passés me reconnectait étrangement à lui. Et je sentais s’animer, dans ma poitrine, la déchirure qu’avait laissée son absence.

Je savais que les heures passées à chercher le moindre indice dans ma mémoire y étaient pour beaucoup. Logan et moi tentions de trouver un élément précis dans mes souvenirs, remontant parfois très loin pour le trouver. Même la nuit, je rêvais de mon père, de notre ancien quotidien, des conversations que nous avions eues. Tous nos efforts se concentraient sur ces souvenirs et j’avais souvent l’impression de me noyer dans de l’acide. Mais nous finîmes par trouver quelque chose… un moment furtif, un morceau de conversation lorsque j’étais petite. L’image de mon père, sur le palier de notre maison japonaise traditionnelle, près de Kyoto, passait rapidement avant d’être interrompue par un autre souvenir rattaché, collé sans que je ne sache s’il l’était par chronologie ou par association d’idées. Ce morceau-là était un peu plus long, quelques secondes à peine où mes petites mains attrapaient le bras de mon père pour le tirer en arrière...il se retournait avec un air las mais rassurant, son carnet noir dans l’autre main. Je ne voulais pas qu’il parte et qu’il me laisse avec la gouvernante japonaise que je n’aimais pas et qui était trop stricte. Je voulais venir avec lui, mais d’ailleurs où partait-il ? Le discours était flou, sûrement un peu déformé par les années. Mon père me rassurait en me disant qu’il serait vite rentré, qu’il devait aller voir un vieil ami...et puis, le souvenir se brouillait, s’échappait et la suite de la conversation s’évanouissait. Tout ce que nous savions était que ce jour-là mon père était parti avec son carnet tout neuf.  

Grâce au livre de magie des Rivers, Logan avait conclu que le carnet n’était pas scellé par de la magie noire, ce qui écartait une théorie parmi d’autres, mais que celle qui liait les pages était très puissante et très technique. Et voilà la raison pour laquelle nous en étions là, en Inde, sous le soleil brûlant de Bombay. En attendant de débloquer le reste du souvenir, nous repartions dans des recherches sur les diverses techniques magiques pour sceller et protéger des objets, avec pour seul indice qu’il était probable que cette technique soit plus courante ou du moins originaire d’Asie.

Nous remontions une grande rue marchande et touristique lorsque je tapotai le bras de Logan.

« Tiens... » lui dis-je en lui tendant ses faux papiers. «... Mr Maddox Lowell Rogers. » Je souris. J’avais bien sûr choisi nos fausses identités. « J’espère que ça te convient… j’avais hésité avec Marley, Marvin…, énonçai-je en guettant ses réactions,...Michael, Morgan…. » Je continuai, citant tous les prénoms en M que je pouvais trouver, dans le simple but de dénicher un indice. Depuis que nous étions allés au manoir Rivers, je n’avais cessé de le harceler pour savoir à quoi se référait le M de ses initiales, répétant qu’il était incroyablement insultant de vivre avec quelqu’un depuis presque un an sans connaître son vrai prénom. J’avais décidé de l’appeler par un défilé de prénoms en M jusqu’à ce qu’il abdique, mais jusque-là, je n’avais obtenu qu’un silence plombant. « ...mais je me suis décidée sur Maddox...à moins que tu ne préfères que je t’appelle Lowell ? » conclus-je après avoir passé trois minutes complètes à rayer ma liste de prénoms en M alors que nous nous frayions un passage dans la foule de touristes et de locaux.

Tout au bout de l’avenue, par-delà les quelques arbres au milieu de cette vie citadine, se dressait le plus vieux temple hindou de la ville, le temple Mahalakshmi. Nous étions tout près du rivage de la mer d’Arabie, et si le brouhaha de Bombay n’était pas si constant, nous aurions pu entendre les vagues sur la plage. En continuant de discuter, comme si nous venions simplement visiter la ville, nous nous rapprochions de l’entrée du temple. Comme Logan était déjà venu par le passé, nous savions où était l’entrée directe de la bibliothèque, dissimulée dans une petite alcôve de murs blancs dans le temple, à l’abri des regards. Une petite femme était assise juste à côté, un léger foulard bleu allant du sommet de son crâne jusqu’à sa taille pour se mêler au même bleu de sa robe. Elle avait les traits doux mais l’oeil sévère. Je lui tendis une pièce de monnaie sorcière et après un instant, nous demandant de nous asseoir sur le banc de pierre de l’alcôve, elle vint tapoter le mur en un endroit précis. Sous nos pieds, les grandes dalles blanches s’animèrent et le mur coulissa pour nous emporter de l’autre côté. Une pièce circulaire avec un bureau en son centre, quatre personnes droites comme des pics aux coins de la salle, et quelques chaises le long des murs se présenta à nous. Nous nous dirigeâmes vers celle qui était assise derrière le bureau. Comme il s’agissait d’un haut lieu de savoirs magiques, elle parlait un anglais parfait, bien que son accent était prononcé. Nous lui présentâmes nos papiers qu’elle examina attentivement en nous observant avant de noter dans un grand livre nos noms, à la date d’aujourd’hui. « Monsieur Rogers….marmonnait-elle en écrivant, et Madame Tanaka... ». Avec sa plume, elle écrivait si lentement que je pinçai les lèvres pour me retenir de soupirer. Derrière nous, trois autres personnes venaient d’arriver.  « Tenez, voici vos pass pour accéder aux différentes sections de la bibliothèque ainsi qu’au salon de thé ; prenez la porte de droite et descendez les escaliers, tout est indiqué. Suivant ! »

J’enfilai mon pass accroché à un cordon autour de mon cou, et me dirigeai vers la porte de droite sous les regards très attentifs de ce que j’imaginais être des agents de sécurité. Lorsque nous fûmes de l’autre côté de la porte, je lâchai un soupir soulagé.
« Bon, maintenant on sait que ta tronche ne leur est pas familière... » chuchotai-je.

Il fallut quelques minutes avant de rejoindre le coeur de la bibliothèque. Après les escaliers, nous dûmes traverser un long couloir où mes pas ralentirent considérablement…

La lumière, faible et un peu trop blanche, de l’étage s’était dissipée pour laisser place à une lumière bleutée. Les murs, eux, n’existaient plus. Les parois étaient devenues des vitres ensorcelées qui nous permettaient de voir ce qui nous entourait. « On est...sous la mer... » m’étonnai-je, émerveillée, dans un souffle. J’avançai mais mon regard s’élevait vers le plafond de verre. Juste au-dessus de nous, des bancs de poissons passaient et sur les côtés, de magnifiques coraux s’étendaient, habités par toute une vie marine. Au loin, j’entrevoyais une tortue, une raie manta… comment n’avais-je pas visité ce lieu plus tôt ?

Dans les lueurs bleutées projetées dans le couloir, j’eus l’impression d’avoir pénétré dans un rêve. Je peinais à avancer, distraite par chaque présence autour de nous, bercée par le vacillement des lumières qui marquaient le mouvement de l’eau. Logan dût se rappeler à moi pour que je presse le pas. Au bout du couloir, l’entrée du grand hall de la bibliothèque nous attendait.


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Sanae M. Kimura
Sam 16 Déc - 21:11

 
 10 décembre 2016
La chaleur a beau me submerger, j’ai encore la sensation de froid héritée de la nuit pour me maintenir dans cet état d’entre-deux. Quand l’esprit ne sait plus très bien où il en est, ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. J’inspire. Tente d’immerger le véritable dans les lambeaux de l’impalpable. Mais à la chaleur s’oppose le frisson glacé. Aux épices s’adossent l’odeur de métal qui colle aux lèvres et roule sous la langue.
J’essaye. J’inspire. J’expire. La chaleur me brûle les poumons, les épiques me piquent la gorge et il me semble sentir la poussière peindre une nappe sableuse jusqu’au travers moi. J’ai une main dans la poche, pour tenir les faux papiers d’identité ou passer sur mes doigts la fabrique du tissu de ma chemise. Je suis là. Je le sais. Pourtant il me suffit de fermer les paupières pour sentir de nouveau les battements frénétiques de mon cœur ce jour-là. Le grain des cris. Le glapissement des gorges. Le son erratique des respirations torves.
J’étais à peine majeur quand je suis venu ici la première fois. Un besoin d’émancipations, de solitude aussi, de larguer au loin les évènements des dernières semaines. De me trouver une voie aussi, quelque chose de cet acabit. Mais avant de prendre cette décision, j’étais surtout le fils de mon père. Non pas par le sang, le nom ou l’alliance mais parce que je devenais pas à pas celui qu’il souhaitait. C’était une sensation paradoxale. Une honte autant qu’une fierté. Un objectif et un échec.
Au sortir de Poudlard, je m’étais confronté à ma première véritable défaite. Entrer dans la police magique, appartenir à la formation des aurors, sentir le regard critique de Leeroy sur ma nuque chaque jour, et les attentes de tous - dont Dorofei, d’une manière très spécifique que j’ai toujours ressentie sans savoir l’expliquer - du matin au soir. Savoir, surtout, que j’étais meilleur que chacun d’entre eux, instructeurs compris. Et échouer malgré tout. Cette sensation ne m’aurait pas dérangé si je n’avais pas su - profondément su - que le problème n’était pas une question de compétences. C’était plus profond que ça.

- Tu penses peut être que ton statut t’ouvriras toutes les portes. Mais tes petits privilèges ont pris fin aux portes de Poudlard. Tu n’es pas fait pour être auror et je ne mettrais pas mes Hommes en danger pour un bâtard incapable de gérer ses petites frustrations. Rivers ou pas Rivers.
Les mots ont peut être un peu évolué dans mes souvenirs au fil des années mais l’idée générale demeure bien présente. La colère tout autant, le jour où j’ai officiellement été recalé. Avec un peu d’efforts, je pourrais encore entendre le grain de sa voix, la manière dont l’instructeur faisait claquer sa langue et éructait certaines syllabes, sa lèvre fendue en deux, la claudication de sa jambe gauche et le tic nerveux de son cou quand, régulièrement, il jetait un coup d’œil agacé par dessus son épaule.
Je doute avoir prévenu Dorofei ou qui que ce soit d’autre. Le lendemain, j’étais ici. Après tout, je n’avais jamais véritablement voulu être auror. Ou quoi que ce soit d’autre d’ailleurs.
Et puis cette ville… On s’imagine parfois que dans les histoires de vie, il y a ces chocs, ces moments charnières qui servent de pivot pour ouvrir les perspectives d’une nouvelle existence.
Je n’y ai rien trouvé.
Pas de renouveau, de grande réalisation, d’ébranlement profond de mon être. Juste un type qui déambule dans une ville dont il ne connaît rien. Puis la bibliothèque. La plus grande du monde, un puits de savoirs dans le monde magique. Un lieu d’enseignement et de connaissances, de cartes, de sorts, de runes et de techniques. Tant ! Et moi. Un sorcier, incertain face à trop de bouquins. Trop d’options et rien dans le fond des tripes.
Rien d’utile.
Le lendemain, la brume londonienne retrouvait ses droits sur moi. C’est ces semaines que j’ai visité la nuit passée. Revenu pour faire face à un père qui m’aura trop souvent menacé de se débarrasser de moi. Pour servir ses intérêts et le nom des Rivers.
Il a fallu quelques mois pour en arriver là. Quelques mois où j’ai peu à peu non pas prouvé ma valeur, mais du moins été utile à faire avancer certaines causes. Un légimen dans vos rangs, ça permet de déceler les traîtres, de fournir les informations, d’intervenir auprès de rivaux, de défaire complots et alliances. Je parlais peu, ne connaissais ceux avec qui je travaillais qu’au travers de certaines de leurs pensées, quand je les volais pour m’assurer de leur fiabilité auprès de mon père. Une mission titanesque que de m’assurer des allégeance de chacun.
Il est surtout devenu rapidement évident qu’à moi seul, je pouvais abattre le travail de la plupart de ces Hommes. Et c’est ce que j’ai fait. Pendant un temps.
Ni plaisir ni satisfaction, mais l’ombre d’une sensation d’importance. Si la mission était risquée, après quelques mois, certains Hommes faisaient preuve d’un soulagement ambigu à apprendre que j’étais de la partie. Moins de risques d’y passer. A condition de ne pas m’emmerder.
J’ai éprouvé une certaine empathie, par moment, pour ces types aux histoires navrantes. Ou du moins quelque chose de l’ordre de la compréhension. De l’envie, aussi. Non pour leurs situation mais pour la complicité parfois acquise entre eux. Malgré tout, là aussi, j’étais le bâtard. Le bâtard de loin, mais le bâtard quand même.
Cette nuit, nous étions envoyés pour éliminer la famille d’un opposant. Être ministre de l’Economie et porter la finance du pays a toujours attiré bien des convoitises. Certaines plus simples à gérer que d’autres. Lui, Jorge Hammond Pine, faisait partie des emmerdeurs de première. De ceux dont on ne se débarrasse pas si facilement. De ceux qui passent sans mal aux offensives les plus musclées.
Et Jethro Rivers n’est pas homme à se laisser impressionner. Il est encore moins homme à laisser qui que ce soit menacer son fils pour faire pression. Pas moi, bien sûr. Non, moi, j’étais la réponse.
La politique n’a jamais été autre chose que ça, quoi qu’on en pense.
Des hommes sont morts cette nuit-là.
Les gardes. Les hommes de main. Le grand père.
Et puis la femme. Le fils aîné.
- Attaque moi, je te le rendrai au centuple ; disait mon père.
Alors nous avons rendu le centuple.
Les elfes. Le personnel de maison.
Restait la gosse. Dix ou onze ans, des larmes à s’en étouffer, des gouttelettes rouges sur sa peau blanche, un pyjama violet. Et le brouhaha des hommes de Jethro dans la maison mise à sac.
Elle, moi. Ses hoquets suppliants. Et cette impression grandissante sous ma peau d’être le même roquet que tous ces autres hommes. Le bras armé. La baguette. Le truc dont on se sert.
De hommes sont morts cette nuit-là. De ma main sont tombés la femme, une sentinelle ; et l’intégralité des hommes envoyés par mon père.
J’ai sans doute ma place dans les cauchemars de cette gosse. Encore maintenant. Elle a sa place dans les miens.

C’était le cas cette nuit. Celle dont la pénombre terne se maintient sous le soleil de plomb, traverse le Gange et gonfle dans la poussière d’une ville aux milles couleurs.
Accompagnée de l’ombre sobre et froide du père de Sanae.

- Elle ne lâchera pas ; a-t-il dit. Elle a toujours été une enfant entêtée. Pourquoi l’avoir détournée du chemin de la vengeance pour l’y suivre à présent ? Tu sais comment ça finira. Tu sais comment vous êtes.

C’est comme s’il était là, à l’instant. Comme si ses pas accompagnaient les nôtres sous les balcons de Bombay. Penché au dessus de nos épaules quand nous l’étions sur le carnet ou du foutu Bacchus inutile coincé quelque part dans notre paquetage.
D’une certaine manière, il est bien là. Et d’une certaine manière, une forme de culpabilité est apparue. L’impression de lui voler quelque chose. À Sana. D’emporter une part d’elle, une part de son père, une part de choses qui ne m’appartiennent pas, jusque dans mon inconscient. D’expérience, je sais que cette part de ma vie me marquera, qu’importe l’avenir. Qu’on brouille les frontières de l’identité. Qu’il en restera une impression étrange, un entre-soi qu’elle connaît mieux que moi et qui la hante bien plus que je ne saurai seulement le comprendre.
Dans les profondeurs de mon être, il y a ces éclats morcelés qui appartiennent à d’autres que moi. Des fragments d’hommes et de femmes, d’amis, d’ennemis, d’élèves. D’absents. J’y ai un peu d’Ismaelle, d’Aileen, d’Enzo. D’Alec. Et de tant de personnes que j’ai entraîné moi-même par delà le voile.
Mais rien de tout ça n’est semblable au fait de porter des bribes d’un père jusqu’après la mort.
Alors mon regard accroche un instant la nuque de Sanae et je force ma conscience à reprendre le chemin du “maintenant”. A sortir des limbes. A quitter le frisson de la nuit ou la brume des souvenirs d’une petite fille dans le spectre de la présence de son père.

Comment peut on être dans une ville pareille sans vraiment l’être ? La chaleur, la poussière, le brouhaha des passants, les cris, les odeurs. Les voiturettes jaune et noires, les pousse-pousse, les devantures, les gens au sol, dans les boutiques, aux balcons. Tout est à plusieurs étages ici. A l’image de certains immeubles gigantesques qui n’étaient pas là la dernière fois que je suis venu et qui viennent ajouter de la hauteur dans une ville qui n’en manque pourtant pas. Le bitume, du bitume partout. Jusqu’aux palettes de béton entreposées à même la rue entre deux murets. Et pourtant, ici et là, des alignements de verdure. Bien plus loin, j’ai souvenir de rues ombragées par les arbres. Comme si cette ville entière n’était faite que de paradoxe. Les immenses hôtels et la misère des locaux. Les boutiques foisonnantes et les moines dans le Gange non loin. Les instituts de science, planétariums et autres grandes écoles en face des temples qui pullulent. Et pas si loin, les églises.
Un truc moldu qui m’échappe, je le sais. Mais j’en perçois la multitude. Tout est multiple ici, de toute manière. Les odeurs, les couleurs, les gens, les commerces, les rues. Il y a de quoi se perdre, pourtant nous avançons avec une assurance venue du passé. D’un passé qui me semble ne plus tout à fait m’appartenir.

C’était un autre qui est venu ici.

« Tiens... » Le dos d’une main s’interpose en travers de mon torse et me sors de mes pensées. «... Mr Maddox Lowell Rogers. » Un regard lancé par dessus mes sourcils : quelle chieuse ! « J’espère que ça te convient… j’avais hésité avec Marley, Marvin...Michael, Morgan…. » Songer un instant qu’elle me lâcherait l’affaire serait mal la connaître, j’en ai conscience. Ça je m’empêche pas de lever les yeux au ciel avec un demi sourire sur les lèvres. « ...mais je me suis décidée sur Maddox...à moins que tu ne préfères que je t’appelle Lowell ? » D’un rien, je pourrais revoir Aileen le voir où elle a trouvé. L’éclat dans son regard clair, les mimiques sur ses traits. Le murmure dans sa voix, lorsqu’elle affirmait encore et encore ce prénom - Marek - d’abord pour m’énerver. Ensuite comme quelque chose de plus intime. Un truc qu’elle aurait gagné à mesure des années.
Là aussi, une chieuse. Il faut croire que c’est ce qu’il faut, pour m’approcher véritablement.
“Tu te crois maline, d’utiliser les même initiales ?” Je ne saurais dire si c’est de l’amusement, un reproche, une pique ou l’ensemble de ces intentions à la fois. Je sais que le demi-sourire ne me quitte pas. Amusé, mais un brin acide. Un coup d’œil sur les papiers et je marmonne un “Maddox… c’est fin ça..” entre mes dents. Je ne saurais dire d’où ce prénom vient véritablement, mais le cynisme du “mad” anglais ou du “mad” gallois, faisant référence à la joie, la fortune, et le fait d’être bien né me saute aux yeux et m’amène à lui balancer un regard pince sans rire. “T’as qu’à utiliser ça. Ça donnera le ton. Disons que c’est ça mon prénom, bravo, t’es tombée dessus, félicitations !” Un regard en coin j’appuie le propos d’un truc moins sérieux qu’il n’y parait.
Des prénoms, je crois en avoir porté plus que nécessaire. Et puisque la pensée me fait partir droit vers Maeve et que le défilement d’idées commence à peser, j’embraye sur autre chose. Des trucs et d’autres, de ceux qu’on se dit pour passer le temps quand on est quelqu’un de sociable et qu’on visite un pays qui n’est pas le nôtre accompagné d’une personne qu’on estime.
De ceux qu’on exprime aussi quand il s’agit de se diriger au bon endroit dans une ville apparemment bâtie comme un véritable labyrinthe. Un peu comme Londres.

Le vieux temple aux murs d’ocre clair nous accueille et dans une alcôve, après avoir passé les colonnes et longé les statues dorées, je laisse Sanae interagir avec la sorcière qui régit l’entrée à la bibliothèque. Elle a couvert ses épaules, comme il convient, et lorsque le regard de la femme vêtue de bleu s’attarde sur moi, je regrette un instant de n’avoir mis la casquette que Sanae m’a acheté. C’est idiot, il aurait de toute manière fallu l’enlever. Un turban alors ? D’autant plus absurde. J’attirerai plus encore le regard.

C’est là une sensation qui m’accompagne systématiquement. Elle prend de l’ampleur. Déjà dans la rue, il me semblait parfois sentir peser le regard d’autrui, mais à présent, sur le perron de la bibliothèque ou dans son antre, chaque moment suspendu me scie les nerfs.
Étrangement la nervosité semble plus présente ici, à des milliers de miles de Londres où j’ai déambulé jusque dans le monde magique. Jusque sous les portes de mes ennemis et dans les murs de mes parents.
Je vois Sanae pincer des lèvres quand je lutte moi-même contre l’envie d’en coller une à la secrétaire qui nous accueille et fait le nécessaire pour nous laisser entrer dans la bibliothèque à la portée internationale.
Les secondes s’égrènent et la nervosité devient agacement puis soulagement lorsqu’enfin, elle nous tend le nécessaire. Le cordon du pass s’enroule de lui-même autour de mon cou et je remercie cette femme d’un signe. Nul besoin d’attirer l’attention davantage.

Je glisse pourtant à Sanae un regard appuyé d’un soupir sec lorsque nous nous engageons dans les couloirs indiqués par cette femme.
C’est elle, pourtant, qui se fend d’un soupir soulagé, reflet de ce qui bourrine pourtant sous mes côtes.
« Bon, maintenant on sait que ta tronche ne leur est pas familière... »
“Ou qu’ils ne veulent pas d’emmerdes..” J’ajoute en esquissant un regard en arrière que je rattrape à la dernière seconde. “On le saura rapidement..” Mon ton n’est pas morose mais j’entends dans le timbre raclant de ma voix les reflets de ma tension. Si on nous tombe dessus ici, il ne sera pas si aisé de se sortir de cette tombe. Car c’est bien là ce que m’évoque la magnificence de cette bibliothèque. J’en ai été émerveillé autrefois. Aujourd’hui, quand nous nous enfonçons dans les couloirs et les escaliers et que je nous sais avancer plus avant sous la mer d’Oman, j’ai surtout l’impression que les litres d’eau qui nous recouvrent et que Sanae ne tardera pas à découvrir s’apparente à la terre qu’on balance sur une tombe une fois le cercueil en place.
Inquiétude ou non, la beauté de la bibliothèque chope en revanche Sanae. Les murs du couloir laissent place aux verrières qui tapissent l’immense majorité de la bibliothèque et donnent à cet endroit son grain si spécifique. La lumière y semble naturelle et filtre par le haut plafond de verre, entrecoupée des miroitements de l’eau et des ombres de la vie qui fourmille là-dehors. L’ensemble est ensorcelé bien sûr, et je me suis toujours demandé si ce que nos yeux perçoivent au delà des vitres est véritable ou illusoire. Un instant et comme chaque fois que je descends ici, l’image de la salle commune des Serpentards s’impose à moi. Ses grandes fenêtres donnent sous le lac noir et laissent passer une lumière bien plus sombre. Des ombres plus larges, parfois immenses lorsque les tentacules du calmar géant s’y enroulent.
C’est sans doute par association que j’ai toujours eu une certaine affinité pour cette bibliothèque. Ou simplement parce que la grandeur des lieux donne au mot “magique” une définition différente de notre quotidien.
Un sourire d’une certaine tendresse amusée passe mes lèvres quand nous arrivons à l’entrée de la bibliothèque et que Sanae ralenti le pas, subjuguée par les lieux. Un contraste pour moi, quand ce qui l’emporte est la nervosité de sentir le regard de quelques sorciers se tourner vers nous à notre arrivée. Toute ethnie, toute origine. Chose qui n’a rien de rassurant.
Alors je l’attrape par le bras et la pousse en avant.

Dôme de verre, grandes verrières et fenêtres allongées éclairent d’une lueur bleutée les étages de cette bibliothèque sous la mer. Au centre, un escalier mène vers une alcôve surplombée de trois étages où s’étalent rayonnages et petits balcons arrondis.
Ces strates se retrouvent tout autour du pilier central et partout autour de nous, escaliers, passerelles et échelles permettent d’atteindre les différentes zones de la bibliothèque. Au sol, les reflets de l’eau nappent différentes tables. Chacune possède une ou plusieurs lampes d'un corail vert luminescent, ainsi qu’une boule en cristal servant à contacter les employés.
Ici et là, des livres volent d’un étage à l’autre et contournent les colonnes et rambardes d’or et de bronze dont l’ouvrage rappelle sans mal les temples hindou à la surface.

En m’engageant sur la gauche, j’emprunte un premier escalier, boudant volontairement l’alcôve dans laquelle des employés sont - bien sûr - à notre écoute. D’en haut, une fois arrivés au premier étage et en longeant les balcons donnant sur l’espace en contrebas, on distingue en arrière du pilier central quelques petits bassins qui abouchent directement au rez de chaussée. J’y vois la silhouette d’un makara affleurer à la surface, puis le passage d’une ombre au travers de mon regard me ramène vers Sanae. Un coup d’œil vers le haut m’apprend qu’il s’agit d’une raie qui nage en frôlant la queue de ce que je devine être un naga, déjà évanoui dans l’immensité de l’océan.
Ismaelle serait folle ici.
Et en ramenant le regard vers Sanae, je m’arrête sur l’une des seules lignes droites de la bibliothèque : un contrefort en haut du dernier étage, sur notre droite. Bloqué de larges barreaux.
Lorsque nos regards se croisent, je crois qu’on se comprend.

“Je propose de commencer par être sages…” Soufflais-je dans un sourire.

L’idée, elle, ne partira jamais tout à fait.

Puis, après avoir croisé quelques elfes et beaucoup trop de sorciers, je pose mes mains sur le dossier d’une chaise. Nous nous sommes isolés dans un coin plus tranquille de la bibliothèque, à proximité d’une section dont un panneaux suspendu indique sans grand hasard “Sortilèges, runes et loquets magiques” et à fixer le dédale de rayonnages et le grand promontoire portant un registre de pages parcheminées, je lâche finalement un soupir marqué. Je crois que l’ampleur du travail ne m’apparaît véritablement qu’en cet instant.

“Bon… eh bien si on ne trouve rien ici…”



Trois heures plus tard, mes yeux me brûlent, mes épaules voûtées vers la table me tiraillent et l’agacement menace et je bougonne quelques invectives à l’adresse d’un homme qui n’est plus là pour les entendre.
Quelque part, il gagne pourtant mon respect.
Deux heures de plus et comme Sanae, je me mets à chercher d’autres ouvrages à ajouter sur la pile déjà bien massive qui trône sur notre table, juste pour satisfaire le besoin de me détendre les jambes et d’apaiser ma frustration.
Une heure de plus, et je suis entré dans une phase maniaque. Je ne vois plus rien ni personne, tout mon être braqué sur les runes, les sorts, les mémoires d’anciens sorciers que personne n’a consulté depuis bien des années.
Après deux heures, fasciné par la fièvre de la recherche et nourri de connaissances annexes dont je me doute être initiatrices de nouveaux échecs face au petit carnet mais suscitant malgré tout chez moi un intérêt grandissant … je relève soudainement le regard vers Sanae. Un regard rougi de fatigue.

- J’ai faim ; je glisse dans un murmure avant de lui faire signe d’un mouvement de menton, initiant la possibilité de s’aérer un peu le cerveau.

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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Sam 30 Déc - 14:49
Ma nuque se plisse et ma tresse vient toucher le milieu de mon dos quand mes yeux se lèvent, émerveillés, vers les hauts plafonds de verre. Aussitôt, je ne pense plus au mystérieux prénom de Logan, ni au danger que nous courrons à être ici. Je ne pense même plus au carnet, simplement à la beauté de l’architecture et à la grandeur de la magie qui soutiennent toutes deux cette bibliothèque sous la mer. Dans ces reflets bleutés qui passent sur nous en épousant nos formes, tout est plus beau et plus intéressant. Même le visage inquiet, concentré, de Logan m’apparaît nouveau dans cette lumière mouvante. L’amusement de me voir hypnotisée a cédé la place à un froncement de sourcil alors que des silhouettes nous dépassent et que d’autres se tournent vers nous. Difficile d’ignorer ce à quoi il pense quand quelques minutes plus tôt, il énonçait l’éventualité que la non-réaction des vigiles ne nous assurait pas qu’ils ne l’avaient pas reconnu. Par volonté de ne pas faire d’esclandre, laisseraient-ils vraiment passer un fugitif anglais ? L’idée me serre d’un coup la poitrine alors que Logan me prend par le bras pour me faire avancer plus vite. Je tente de me convaincre qu’ils ne l’ont pas reconnu, et qu’il y a tant de visages ici, de toutes origines confondues, qu’il aurait été compliqué d’y identifier qui que ce soit. Peut-être même qu’ils ne savent même pas à quoi ressemble Logan Rivers. Peut-être qu’aux autres coins du monde, on se fiche bien de qui il a tué et pourquoi. Il fallait bien y croire pour pénétrer dans cette bibliothèque sans sentir ses jambes trembler et imaginer son autre soi aux mains des autorités, tout ça pour un carnet… tout ça pour une vengeance.

Non.
Avance, Sanae.

Je prends une inspiration.

Pendant des heures, nous écumons les sections qui nous intéressent. La tête relevée vers les étagères, les doigts crispés sur les tranches des livres, le corps tendu sur la pointe des pieds, je fais défiler les titres des ouvrages, je note les références que j’attrape ici et là qui pourraient nous rapprocher du but. Aussi immobile qu’un poteau, je lis debout les sommaires de dizaines d’ouvrages pour juger s’ils seront utiles, je prends, ouvre, ferme, et range à nouveau. Nos corps se déplacent, s’arrêtent pour un temps infini, se déplacent encore, comme si une ou deux fois chaque heure une main invisible nous bouge pour nous donner vie. Je n’ai plus l’impression d’appartenir au réel, mon esprit est partout dans les livres, coincé entre les pages, suspendu à des morceaux de phrases qui me poussent vers d’autres livres, d’autres pages, d’autres mots. C’est infini. Et je ne trouve rien.

Parce que j’essaie d’élargir nos horizons, je m’absente un moment dans les sections de livres français et japonais. Je ramène à la table sur laquelle nous empilons nos trouvailles quelques oeuvres qui traitent de sortilèges anciens, d’enchantements particuliers dont les méthodes ont été perdues, ou qui ont été bannis de l’enseignement dans certains pays. A chaque piste, je tente de me demander si mon père y aurait pensé, s’il aurait connu ce sortilège, ou du moins s’il aurait approuvé cette méthode. J’interroge mes souvenirs de lui, parle à son fantôme, éternellement coincé dans ma tête, mais je n’arrive à aucune certitude.

J’essaie de m’évader parfois en relevant la tête de mes bouquins pour avoir l’impression de respirer à nouveau.

Logan vient déposer deux livres sur notre table avant de feuilleter un minuscule ouvrage à la reliure dorée. Mon regard flotte un instant sur le sorcier.

Je ne sais pas pourquoi mais je le trouve soudainement changé. Il ne ressemble plus à l’homme brisé, mutique et agressif que j’ai rencontré en février dernier. Un homme qui avait fouillé mon esprit comme un animal sauvage vous renifle, incertain de si vous êtes une menace. Ses traits sont moins crispés, il sourit davantage, rit même parfois. Il devient plus actif, et cette vengeance lui donne étrangement vie. Si les traumatismes sont toujours là, derrière ses prunelles d’un bleu froid et perçant, il se contrôle mieux qu’il y a quelques mois. Je n’ai plus la sensation de regarder une plaie à vif, un corps sans peau que tout érafle. Je crois que ma compagnie lui fait du bien, comme la sienne m’apaise souvent, et qu’il s’habitue peu à peu à ce nous.

Masa, qu’aurais-tu dit et pensé de lui ? Quel regard aurais-tu posé sur notre semblable ?

Je crois que tu l’aurais aimé.
Comme tu m’as aimé moi, à l’instant où tu as vu ma colère et ma solitude.
Comme je l’aime, lui, depuis que nos esprits se sont rencontrés.

Il y a bien des manières d’éprouver ces choses-là. Des centaines d’amours, des milliers de sentiments. Je ne sais pas comment les autres aiment, mais je sais que l’intensité de ce que j’éprouve pour Keza, Margo et Logan est similaire. Ce n’est simplement pas la même couleur, ni la même source. Et sans doute que les gens comme nous n’aiment pas comme les autres. On ne nous explique pas les conséquences d’un partage d’esprit, ni le lien qu’il tisse entre deux êtres. J’aurais pourtant aimé trouver dans un livre de quoi calmer mes inquiétudes, ou peut-être de quoi répondre à certaines questions. Avoir, quelque part, des mots écrits à l’encre qui puissent faire sens de tout ça, et expliquer aux autres en un seul paragraphe ce que nous sommes.

Le temps file, la fatigue s’installe, mais nous continuons. Plus le temps passe, moins je suis concentrée. Je lâche mes lectures pour laisser mon esprit vagabonder ailleurs. Il y a beaucoup d’étudiants et d’enseignants, mais je vois passer quelques parents avec leurs enfants faire sûrement leur sortie familiale intellectuelle. Une femme blonde avec un gilet rouge passe sur ma gauche et je crois une seconde que c’est Margo. Un pincement étrange me prend, car je réalise que cela fait bien dix jours que nous ne nous sommes pas vues, et que le dernier coup de téléphone n’était pas joyeux. Elle me paraît de plus en plus loin, de plus en plus inaccessible. C’est bientôt la fin…et je n’ai pas la force de me battre.

« J’ai faim. » me souffle Logan avant de me faire un signe du menton pour m’intimer de lâcher nos recherches.

Je lève un sourcil, et affronte son regard rougi de fatigue à force de lire des pages et des pages des ouvrages étalés devant nous. L’amusement ne tarde pas à poindre. C’est bien la première fois que j’entends Logan prononcer ces mots.

« C’est sacrément un scoop de la part d’un type qu’il fallait forcer à manger y a quelques mois. » murmurai-je, moqueuse, avant de refermer mon livre. « Allons-y. Je crois avoir vu un salon de thé au rez-de-chaussée... » Je me lève, prends mon petit sac que je passe sur mon épaule, et attrape deux livres. « Je prends ça avec nous, au cas où le génie nous frappe entre deux bouchées. »

Nous devons passer par plusieurs escaliers et ponts suspendus avant de revenir jusqu’au rez-de-chaussée où il semble y avoir moins de monde que tout à l’heure. Je regarde la grande horloge au-dessus du Bureau des Prêts central. Il est cinq heures de l’après-midi ici, ce qui veut dire qu’à Londres, il est bientôt l’heure de déjeuner. Comme quoi, l’estomac de Logan a le sens du timing. Il nous faut peu de temps pour trouver le salon de thé – cafétéria qui sert apparemment toutes sortes de nourriture.

A peine un pied dedans que mes yeux louchent sur le comptoir en cercle qui trône au milieu de la grande salle. Comme une sorte de manège qui tourne sur lui-même, le coeur présente des étagères pleines de vaisselle - des services entiers de tasses, assiettes, verres, et théières – et de bouteilles dont les couleurs vives me font penser à des sirops. Au vu des pancartes tout autour du comptoir, je comprends qu’il ne s’agit pas d’alcool puisqu’il est interdit de boire dans les locaux. Mon ventre commence à grommeler quand j’aperçois, derrière de jolies vitrines, un étalage de pâtisseries. De petites montagnes de beignets saupoudrés de sucre glace sont accolées à une ribambelle de donuts, cookies, gâteaux au chocolat, choux à la crème avec cerise sur le dessus, tiramisu, makrouts, baklava, pudding, et je vois même des croissants et des pains au chocolat, juste à côté de desserts que je ne reconnais pas. Étant donné la population multiculturelle de cette bibliothèque, je ne suis pas tellement surprise de retrouver une grande diversité de choix.

J’arrive à peine à me défaire de la vision de toutes ces sucreries, mais je sens Logan à mes côtés jeter un regard concentré sur l’ensemble de la salle. De nombreuses tables rondes sont éparpillées tout autour du comptoir central. Certaines personnes sont seules, le nez dans un livre tout en sirotant du thé, quand d’autres sont en grande conversation autour de coupes de glaces ou de sandwichs. Plus encore qu’aux étages où l’on venait de passer plusieurs heures, la cafétéria est illuminée d’une lumière bleutée éblouissante. Elle se diffuse du dôme de verre tout en haut jusqu’au sol qui donne l’étrange impression de marcher sur l’eau. Sous mes pieds, je vois des lignes entières de coraux, avec de sublimes anémones, des poissons bariolés, et des algues qui sont rappelées par celles, ensorcelées, qui tombent le long des verrières. Tout est clair et lumineux ici.

Je pince les lèvres. Peut-être que la cafétéria, lieu où on devient plus visible qu’entre deux étagères de livres dans l’immensité de cette bibliothèque est un risque trop grand à prendre. J’attrape un pan de la chemise de Logan et viens chuchoter dans son épaule. « Si on trouve pas de table à l’écart, on se casse. » J’imagine déjà les journaux du lendemain : Logan Rivers – pardon, M. Logan Rivers – arrêté en Inde, en train de déguster du pudding. Si son histoire était une légende, elle s’arrêterait entre ces lignes. Mes yeux scrutent la salle à la recherche d’un coin tranquille, et d’un coup, je tire Logan sur la gauche. Collée à la paroi qui nous sépare de la mer, se trouve une table libre éloignée des autres et accolée à une petite desserte en bois qui présente une plante rampante assez épaisse pour former un buisson. Parfait. Vive, je m’assois à la table comme si le serveur avait annoncé un jeu de chaises musicales. Surtout, je prends la place qui est plus exposée.



Quelques instants plus tard, j’engloutis déjà mon deuxième mini-sandwich. Je ne prête pas attention aux autres tables ou au passage des serveurs qui font léviter des dizaines d’assiettes et de verres comme s’ils traînaient un ballon dans les airs. Je ne regarde pas non plus Logan qui jette un œil aux bouquins que j’ai emmenés avec nous. Non, mon regard est perdu sur ma droite, là où à travers la vitre, un banc de poissons file d’un même mouvement en créant un nuage de petites bulles tout autour. Ces bulles ressemblent aux souvenirs que je tente d’attraper. De minuscules capsules d’air qui se forment avant d’éclater et de se remplir d’eau. Elles me narguent.

Je soupire.

La frustration qu’évoquent nos vaines tentatives pour trouver une piste solide m’irrite et j’essaie de penser à autre chose. Mes yeux se posent à nouveau sur Logan.

« Tu sais que je suis tombée sur une série de livres pour apprendre à faire pousser des choux mordeurs ? »
Quand il releva un regard confus et interdit vers moi, je me mis à développer. « Tu as bien entendu. Il y a quatre tomes sur ces putain de choux et rien sur les gens comme nous. On pourrait croire qu’on est plus intéressants, mais non... » Je secoue la tête et commence à m’en prendre à la croûte de mon dernier mini-sandwich, l’émiettant dans des gestes secs. « N’importe quel imbécile voulant planter ces atrocités n’a qu’à se rendre dans n’importe quelle bibliothèque et il trouvera même un chapitre sur comment se les carrer là où je pense, mais nous... rien. Quelques mentions qui tiendraient toutes réunies sur une seule page. C’est même pas qu’on n’existe pas. C’est qu’ils veulent pas qu’on existe. »

Et encore, les quelques mentions en question parlent davantage de comment se prémunir de la légimencie via l’occlumencie. Il n’existe à ce jour aucun manuel de légimencie détaillant les capacités de ce don, son fonctionnement, ses conséquences, et encore moins d’explication sur comment s’en servir. Non pas que ce fait est nouveau pour moi, mais il réussit toujours à soulever un profond sentiment d’injustice. Je lâche la désacralisation brutale de mon sandwich et croise les bras sur ma poitrine, détournant le regard vers les fonds marins. Au coin de ma bouche, une moue s’esquisse.

« Enfin...j’imagine que s’il existe des ouvrages sur la question, ils ne les mettraient jamais dans des sections accessibles au public... » Une demi-seconde, mon regard glisse vers celui de Logan. Je n’oublie pas la partie interdite de la bibliothèque que nous avons aperçue. La malice me traverse, furtive, avant que je ne pince les lèvres et me concentre sur les poissons. Peut-être un jour, plus tard, bien plus tard, nous reviendrons… pour le moment, Logan avait eu raison, il fallait être sages.

Je pousse quelques assiettes, et prends un des livres. Je n’y crois pas vraiment, mais j’ai vu quelques pistes intéressantes dont j’aimerais parler avec lui.

« Et si ce n’était pas un sortilège ? Il y a une technique qui consiste à utiliser une potion pour protéger le papier : chaque page est plongée dans une mixture avant d’être assemblées pour former un livre, carnet, peu importe. Le papier ne révèle ce qu’il s’y écrit qu’au contact de son propriétaire. J’imagine que la mixture en question doit comporter une mèche de cheveux ou même un morceau de peau. »

Cette piste me paraissait plus proche de mon père que l’utilisation de runes. Je ne l’ai jamais vu en utiliser, ni en parler, étrangement. La technique dont je parle est française, mais je n’ose pas le dire. Parce que le souvenir que nous avions tant essayé d’attraper n’est pas en France, et que j’ai peur que Logan me dise que c’est une fausse piste. Je n’ai pas envie de parler du souvenir, pour tout avouer. J’en ai mal à la tête rien que d’y penser.

Et si ce souvenir n’était qu’un mirage ? Qu’un morceau déformé de quelque chose de trop ancien pour être juste ? Et si nous pensions à tort que mon père n’avait pas le carnet avant ce souvenir ? La chronologie n’avait jamais été claire sur cette période-là. Une bonne succession de voyages passés dans des hôtels, maisons secondaires ou longs couloirs de Ministères étrangers. Mon esprit avait agglutiné tout ça et l’avait rangé dans un tiroir marqué « ENNUI & SOLITUDE – NE PAS OUVRIR. » Résultat : je n’avais pas ouvert ces souvenirs depuis un bon moment. Pourquoi se replonger dans ces voyages à observer mon père mener sa vie d’adulte, à me sentir comme un boulet à sa cheville – boulet refilé le plus souvent à une gouvernante trop stricte ? J’avais aimé mon père plus que tout au monde – je l’aime toujours – mais il n’avait jamais été doué avec les enfants. Il m’avait traitée comme une minuscule lui, employant des mots aussi compliqués que lors de ses rendez-vous politiques, sans comprendre que j’avais besoin de la présence rassurante d’un père tout dédié à ma propre existence. Pour lui, cette petite adulte dont il était tout de même responsable se devait de saisir l’importance de ses absences, et ne devait pas faire de crise dès lors qu’il partait. Je me souviens avoir pensé dans mes premières années d’adolescence que s’il me considérait comme une adulte, c’était pourtant sans me faire confiance. La preuve, j’étais toujours surveillée par un tuteur.

Quel intérêt de m’adopter si c’était pour me délaisser ?
Avec l’amertume et la rage d’une enfant, j’avais souvent pensé n’être qu’une pièce rapportée à son grand projet de vie, une addition anecdotique qui n’avait pas tant impacté son quotidien. Il préférait demeurer dans son bureau, faire sa promenade, lire son journal…

...et écrire dans son carnet.

Une tristesse enragée me vient comme une main sur la gorge. Je détourne les yeux, et plonge une fourchette dans une part de gâteau au chocolat.

« T’as trouvé quoi, toi ? »
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Sam 6 Jan - 16:22

 
 10 décembre 2016
J’ai toujours trouvé étrange ce lieu. Son aura. Sa fréquentation. Une bibliothèque masquée aux yeux de tous et qui, pourtant, rassemble une foule hétéroclite de sorciers venus du monde entier… Pas que la notion en elle-même ne m’échappe véritablement. Mais une bibliothèque, ça n’a jamais été…ça. Ça n’a jamais été un endroit de rassemblement, là où les gens se croisent, échangent, travaillent ensembles parfois voire même partagent un verre ou un repas à l’étage supérieur. Ça n’a jamais été un endroit où quiconque puisse m’accompagner. M’accompagner ; rien que ce mot sonne étrange. Les bibliothèques ont toujours été des lieux solitaires à mes yeux.
Celle de mon père, que j’infiltrais en douce quand personne ne regardait, pour me plonger dans les manuels, les traités, les recueils.
Celle de Poudlard, dont l’immensité permettait un certain isolement mais dans laquelle je ne faisais que passer aux heures de fréquentations. Le soir. La nuit. Les vacances. Pas que rester plongé dans des livres ait jamais été une réelle envie, mais les Hommes étant ce qu’ils sont, et étant ce que j’étais, ils étaient la seule porte ouverte. Un moyen d’apprentissage comme un autre. Une façon de comprendre le monde, d’avoir un coup d’avance, de ne pas me laisser berner aussi. Un apprentissage bien plus aisé que celui qui, en classe, consistait à garder les yeux loin de toutes les prunelles, contrôler ma respiration, me centrer sur les pulsations de l’esprit pour les garder sous contrôle. Passer de la solitude d’un grenier à la présence de centaines d’élèves sans cesse autour, d’enseignants qui vous dévisagent… Le quotidien était le trop plein. Le risque de basculement. Les mots, le papier, le silence ont toujours été un refuge quoi que je peine à l’admettre. Un monde minéral dans lequel l’organique n’avait pas sa place.
Or tout, ici, est organique. Du moins la chair, les âmes, les gens s’infiltrent là où il ne devrait y avoir que l’épaisseur de l’océan. Un univers froid et riche, mais dénué de vie. Ils sont partout. Des bruissements de pages aux murmures échangés en passant par les ombres mouvantes qui balayent chaque salle au rythme des ballets aquatiques.
Et au centre de tout ça, bien sûr, une présence devenue au fil du temps rassurante, sur la chaise d’en face, de l’autre côté de la table. C’est sans doute ce qui dénote le plus. Ses mouvements, ses regards, ses recherches. Le simple fait qu’elle repousse les piles de livres vers moi quand j’en fais de même, quelque part entre l’agacement et la complicité.

Une dissonance qui prend par moment le pas sur la conscience d’être en plein fief sorcier, cible facile au risque d’être piégé par les autorités et de l’entraîner avec moi. La vie en cellule serait-elle plus facile à gérer à deux ? Au détour de mes recherches, j’ai exploré les lieux, laissé traîner un œil, cherché des moyens de fuite. Des options de replis. Des refuges en cas d’attaques. Et puis au centre de tout ça : les livres. Les portes ouvertes non plus vers des moyens d’apprentissages mais… vers une file continue et absurde de déceptions entrecoupées de faux espoirs. Chaque plongée dans un nouveau cadenas pourrait nous rapprocher de la vérité, ou à défaut, me rapprocher de son enfance ou de ce père dont je ne fais que percevoir les échos. Mais il n’en résulte que frustration et échecs.

Jusqu’à la rupture. Celle que les nerfs réclament sans doute depuis de nombreuses heures mais que le cerveau n’accepte qu’avec un temps de retard. Nous avouer vaincus n’est pas notre fort, ni à l’un, ni à l’autre et à mesure du temps, l’image de la gamine frustrée et colérique, fermée à l’échec m’est revenue en mémoire. Quelques fois, j’ai senti mes yeux se perdre non sur elle mais au travers des pages, dans des souvenirs rangés dans les abysses. Dans des grottes qui ne m’appartiennent qu’à peine.
J’ai vu les regards. De ceux qui m’observent, ceux qui s’impatientent, ceux qui cherchent et ceux qui trouvent mais s’arrêtent sur la mauvaise personne. Je relève à peine le mien, m’acharne à rester en dehors de ça. Ni mon problème, ni ma relation et qu’importe qui elle pourrait interroger, la réponse serait égale : mes conseils seraient sans doute les pires.
Pourtant je vois. Et à défaut d’aide, il reste la diversion.

“J’ai faim.”
Un sourcil en l’air et ses yeux d’encre retrouvent les miens. « C’est sacrément un scoop de la part d’un type qu’il fallait forcer à manger y a quelques mois. » D’un murmure elle trace un sourire et je retiens le regard en arrière qui me chatouille la nuque. Je voudrais m’en moquer, de cette femme qui, plutôt que de s’inquiéter de notre survie à court terme, se prend à songer à ce qu’elle perd jour après jour. Ça aussi je le vois. Comme j’ai vu les années passer et la tension se cristalliser. C’est sans doute au nom de ces quelques mots échangés avec Aileen, avant de lui arracher chaque parcelle de ce qu’on a partagé, que je retiens mots et moqueries et me contente de l’observer abaisser un livre et céder à l’appel du ventre. Qu’importent alors les silences d’hier et les assiettes pleines.  « Allons-y. Je crois avoir vu un salon de thé au rez-de-chaussée... »  C’est le cas et j’hoche du chef en suivant le mouvement. Combien d’assiettes vides pour en arriver là ? Combien de silences qui ont fini par se combler ?
J’esquisse un sourire. “Faut dire que c’est pas toi qui cuisine…”
Il suffit d’un regard.
« Je prends ça avec nous, au cas où le génie nous frappe entre deux bouchées. »
Un hochement de tête et je glisse dans ma paume le petit recueil qui a attiré mon attention cette dernière demi-heure. Ce n’est qu’en partant, quand je cueille l’œil curieux d’une femme pourtant absorbée dans sa lecture, lovée dans le fond d’un fauteuil en suspension dans une alcôve de verre… que je réalise. A moins que le livre que je porte à la hanche soit si intriguant, ce sont mes doigts qu’elle a observé. Pas que les sorciers soient si souvent dénués de stigmates pourtant mais celle-là a suffit à l’arrêter dans sa lecture.
L’espace de quelques instants, je marche plus vite, claque le petit livre à la reliure verte contre le ventre de Sanae qui le rattrape au vol, et m’engage sur l’un des ponts qui sépare les différentes sections de la bibliothèque. Pas une réflexion, je me contente de l’y abandonner là et de planter mes mains mutilées dans mes poches.

Un ado râleur, voilà de quoi j’ai l’air.
En avoir conscience ne me défait pas de l’envie de faire avaler ses doigts intacts à l’autre lézard dans son fauteuil. Si tranquille dans sa vie posée, sans doute facile et morne.

Qu’importe. Qu’importe qu’elle ignore ce qui se joue ; ce qui gravite autour d’un petit carnet de cuir.

La cafétéria n’a pas changé. Paradoxalement, alors même que la magie permet de refaire des pans de murs en quelques minutes, certains lieux restent tel quel, qu’importent les années qui passent. Le comptoir central et ses différents étages en mouvements, ses vitres et ses mets à porté de regard. Le sol où les reflets bleutés donnent vue sur les profondeurs de la mer. Les racines qui pendent et offrent à la coupole des allures moins froides. Plus aérée. Un détail qui passe dans mes muscles dans une crispation quand mon regard balaye la pièce. Une esplanade de tables espacées les unes des autres pour dégager l’espace. Pas d’humidité au plafond malgré l’eau tout autour. Le présent. L’ici et maintenant. N’en sors pas.
Et si possible, va manger à la surface..

Les doigts de Sanae s’accrochent à ma chemise le temps de tirer dessus et d’attirer mon attention.
« Si on trouve pas de table à l’écart, on se casse. »
J’acquiesce. Il pourrait y avoir mille points de bascule ici. Un journaliste, des flics, des aurors, des supérieurs ou quelque péquin relié à ma famille, celle de Walters ou n’importe quel autre. Sans compter la ribambelle de pauvres épeurés que j’ai dû vexer en vingt sept ans d’existence. Le type de la dernière fois, la famille Humblelily ou celles que j’ai éventré. Bien des raisons. Mais personne ne lève le regard.
Presque vexant.

La pensée me traverse au moment même où un type relève le regard et s’attarde un instant sur nous. Karma. Une seconde, l’idée d’infiltrer son âme pour m’assurer la sécurité me traverse, puis son regard descend un peu plus bas quand Sanae passe devant lui et le reflux de  magie qui battait mes veines s’apaise.

Un instant plus tard, Sanae s’assoie sur l’extérieur, moi à l’abri d’un battant de bois, quelques feuilles semblables à du lierre dans le dos. Elles frissonnent à mon passage. Hedera quelque chose, une espèce magique dont la spécificité m’échappe.

“Tu me prendras du khir au passage..”

Comme si je ne pouvais pas me déplacer. L’emmerder est amusant. Garder un œil sur la salle au passage est utile.

Un demi sandwich plus tard, à avaler le nez braqué sur les pages d’un livre - qu’une ancienne bibliothécaire m’arracherait sans doute des mains si elle surprenait une telle hérésie - lorsqu’elle se redresse. Les épaules un peu en avant, le nez froncé, les pupilles un brin dilatées, le soupir hors des lèvres. Inutile de passer par son esprit pour voir ces crispations.

« Tu sais que je suis tombée sur une série de livres pour apprendre à faire pousser des choux mordeurs ? » J’abaisse l’avant bras, dépose le sandwich sur la table et fronce les sourcils. Quel rapport avec les choux mordeurs ? Très utiles à balancer en douce sur un con dans un couloir, cela dit en passant.  « Tu as bien entendu. Il y a quatre tomes sur ces putain de choux et rien sur les gens comme nous. On pourrait croire qu’on est plus intéressants, mais non... »   ça devrait m’énerver. Me piquer au vif. Me rappeler comme ceux qu’on est sont occultés de la société. Comme elle et moi n’existons simplement pas, tant que notre présence en devient une agression à elle-seule. Oui, ça devrait m’agacer comme ça l’agace. . « N’importe quel imbécile voulant planter ces atrocités n’a qu’à se rendre dans n’importe quelle bibliothèque et il trouvera même un chapitre sur comment se les carrer là où je pense, mais nous... rien. Quelques mentions qui tiendraient toutes réunies sur une seule page. C’est même pas qu’on n’existe pas. C’est qu’ils veulent pas qu’on existe. » J’esquisse un sourire pourtant. Pas un sourire mauvais, un sourire de moquerie ou de façade. Un vrai sourire. Un sourire qui s’extériorise par un souffle plus léger.
C’est vrai. Tout ça l’est et tout ça est insupportable.
Mais sa colère, elle, est la meilleure chose que j’ai jamais entendu.

« Enfin...j’imagine que s’il existe des ouvrages sur la question, ils ne les mettraient jamais dans des sections accessibles au public... »
“Probablement pas…” Elle a posé son repas, fixé les profondeurs de l’océan où des bancs de poissons forment des volutes dans l’eau ; et un sourire plisse son visage quand elle ramène le regard dans le mien. Je sais. Tu sais. Aucun doute là-dessus.
Peut être qu’un jour, c’est sur nos traces à nous que nous visiterons quelques rayonnages interdits, plutôt que sur celles de ton père.
Mais une chose à la fois. Alors dans cette malice qui nous uni, en aval de la cohésion bizarre qui prend ses aises depuis quelques temps, le devoir se rappelle à nous.

J’ai échangé deux mots. Rien que deux mots. Et pourtant avant même de passer au sujet du jour, c’est tout un monde qui est passé entre nous. Un monde de silence rempli de bruit.
Et de l’autre.

« Et si ce n’était pas un sortilège ? Il y a une technique qui consiste à utiliser une potion pour protéger le papier : chaque page est plongée dans une mixture avant d’être assemblées pour former un livre, carnet, peu importe. Le papier ne révèle ce qu’il s’y écrit qu’au contact de son propriétaire. J’imagine que la mixture en question doit comporter une mèche de cheveux ou même un morceau de peau. »
Pas idiot ça.
“Ou de larmes. J’ai vu un truc là dessus tout à l’heure…” Je fronce les sourcils et repousse le bol de khir qu’elle m’a effectivement rapporté. Penché sur la table, je refais le fil des souvenirs tant ressassés qu’on les prendrait pour une vieille bobine de film moldus. “Si ton idée est la bonne, on n’a pas fini de buter sur ce bouquin…”

Seul son être permettrait d’accéder à ces pages. En d’autres termes : soit on est foutus, soit il nous faudrait trouver un moyen de shunter le problème. Avec des illusions par exemple, en abusant la potion. On en revient alors à la situation initiale : il nous faut être certains de ce qu’il a utilisé pour pouvoir le duper.
Et pour ça, il faut faire le lien entre ce qu’on retrouve dans des souvenirs flous, déterrés, mal assortis et chronologiquement instables d’une enfant qui ne veut pas se souvenir. Là aussi, je sais et je sais qu’elle le sait. Les souvenirs incertains, tronqués ou falsifiés ne sont pas une nouveauté pour un légimen, d’autant moins de naissance. Petit, ils m’attiraient comme un papillon vers une flamme. Les trésors arides, cachés, reniés. Ceux que l’âme refuse de porter à la surface et qu’on enfouis au plus loin. J’avais envie de les chercher, chez mon père d’abord, mes frères, chaque personne qui m’entourait. La raison de nombreuses raclées alors même que je n’avais pas la force de déterrer quoi que ce soit. Mais c’est resté ; l’envie est restée. Elle se déploie chaque fois que depuis lors, j’ai cédé aux caprices de la malédiction.
Je l’observe de biais. Elle et les souvenirs qu’elle repousse. Elle et sa rage sous cape, son deuil emmuré. Pour n’importe qui d’autre, je n’aurai eu aucune pitié et la manière dont se sont passés les recherches dans son esprit ces derniers jours n’a eu aucun aspects agréables. Mais pourtant, il est des parcelles que j’ai délaissé. J’ai déjà tout entrevu d’elle, c’était dans le contrat initial. Difficile, donc, de cacher ce qui est déjà révélé. C’aurait été différent si notre relation n’avait pas débuté comme elle l’a fait. Je connais ses qualités et ses forces. Ses manques aussi.
Faut-il pour autant accepter que ces derniers nous conduisent sur une mauvaise piste ?
Elle détourne soudainement le regard sans en croiser le mien - sans doute consciente de ce qu’elle y trouverait - et à défaut, plonge sa fourchette dans un gâteau au chocolat et change de sujet en bougonnant.
Cette fois, c’est elle qui a des airs d’ado râleuse.

« T’as trouvé quoi, toi ? »
“Une flopée de fausses pistes..” Je marmonne, agacé de ces heures d’échec. “Des histoires de lunettes permettant de voir les véritables pages quand l’œil n’en voit que des vierges, des sorts à la pelle, des scellés qui ne s’ouvrent que sous les effluves de certaines potions mais il n’y a ni odeurs ni brume dans tes souvenirs donc ça n’aurait pas de sens et j’imagine mal ton père passer deux heures de préparation chaque fois, des élixirs à tenter, sait on jamais. Un ensorcellement par phrases clefs. L’usage du sang, des larmes … et de choses plus obscures que je refuses d’envisager quand on parle de ton père. Et puis le reste : sceaux, runes...  Sans compter les sortilèges qu’on a déjà essayé…” J’ai tout noté, bien sûr. Une flopée d’informations en vrac qui nous fera perdre des semaines si tout ça ne mène à rien. “Des rossignols aussi, qui m’intéressent assez..” L’objet, pas l’oiseau. “Et une sombre histoire de samurai aux yeux bleus..” Qu’on trouve dans le fameux petit carnet que j’ai trimbalé et qui repose à côté d’une assiette vide, sur la pile de bouquins. Histoire qui m’a fait dériver, en partant d’une piste véritable, vers les rives d’un continent que je ne connais qu’au travers des yeux de Sanae… et d’un métis aux yeux bleus dont l’histoire engendre de nombreux échos.
Je hausse des épaules. “Aucun souvenir d’un objet qu’il a pu garder sur lui, une fiole ou un bijou, une montre, une chevalière… ?” Et sans transition, je lâche un soupir et me recule de la table en la repoussant du talon de ma paume. Quelques centimètres tout au plus, pour marquer le mouvement et planter le regard sur elle. “Tu me caches un truc, sur cette histoire de potion.” Je ne pose pas la question, elle est sous entendu. L’interrogation est d’ailleurs bien davantage présente que l’accusation qu’on pourrait trouver dans une telle énonciation.

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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Lun 8 Jan - 18:28
« Faut dire que c’est pas toi qui cuisines... »
Mon regard claque dans le sien mais c’est un sourire qui étire mes lèvres. Je secoue la tête en marmonnant une insulte en français que je sais qu’il ne comprendra pas, et nous partons en direction de la cafétéria. Il a de la chance que nous soyons dans un lieu public. Au cottage, ce genre de provocation aurait déclenché un sacré coup dans les côtes, quelques morsures et beaucoup plus d’insultes. Mais il n’y a aucune rancœur en moi, pas plus qu’il n’y a de vraie colère. J’aime cette complicité un peu rude, salée et piquante que nous avons souvent et qui n’est qu’une preuve concrète de notre lien. Si ce dernier s’était forgé dans la violence des émotions et des corps, nous avions appris à rire ensemble, à rire l’un de l’autre en tout cas.

Je prends quelques livres et Logan emporte un petit ouvrage qu’il serre dans sa main. Nous laissons derrière nous les heures passées à chercher l’introuvable, bien heureux de faire une pause sous peine de sentir nos cerveaux fondre entre nos boîtes crâniennes. Perdue dans mes pensées, je suis propulsée dans le présent par un coup sur le ventre. Logan vient de plaquer son livre contre moi, sans douceur, et je suis si surprise que je manque de le faire tomber. Sourcils froncés, je jette un regard agacé au sorcier mais il me dépasse déjà d’un pas pressé. Il n’est pas impatient, il fuit. Alors je regarde autour de nous, redoutant soudain qu’il ait reconnu quelqu’un ou que quelqu’un l’ait reconnu. Je surprends le regard un peu gêné d’une jeune femme qui finit par s’enfoncer dans les pages de son livre. Elle n’a pas l’air de le suivre des yeux, ni d’avoir l’intention de se lever pour le suivre. J’accélère le pas pour rejoindre Logan mais il marche devant moi d’un pas plus que décidé. Et puis, ça fait sens. Ses mains se sont plantées presque rageusement dans ses poches, là où personne ne peut les voir. Je m’en veux de ne pas y avoir pensé.

J’oublie trop souvent que cet homme n’est pas entier. J’aime le croire inébranlable alors je ne pense pas à ses mains, aux doigts qui n’y sont plus, à la faiblesse qu’il a l’impression de porter. Je crois qu’il a honte, comme tous ceux qui ont une plaie exposée, à qui il manque un membre, parce que ce n’est pas une cicatrice sous les vêtements, un organe en moins, ou les maux invisibles de l’esprit, c’est un étendard que tout le monde peut voir. Et comme il est homme à être fier, à se penser lui-même au-dessus des lois des mortels, cet étendard est sûrement le rappel incessant qu’il n’est fait que de chair et d’os, et qu’un jour, il s’est confronté aux limites de sa puissance. Nous n’en parlons d’ailleurs jamais, du moins pas sérieusement. Si je plaisante sur ses doigts manquants, ce n’est pas pour lui lacérer l’âme par de vilaines moqueries, mais pour tenter de briser le tabou de ses mutilations. « Par l’humour, on peut faire des merveilles ! » m’avait dit un clown d’hôpital, un jour où il venait rendre visite à des enfants malades. Alors je tente depuis de ne pas exagérer le sérieux autour des maux que l’on préfère ignorer ou au contraire, qui par leur seule existence définissent l’être qui les porte. Bien qu’en vérité, rien de ce que je pourrais dire ne changera sa perception de ses mains...

La boule au ventre, je lâche la jeune femme du regard et rattrape Logan en chemin. Son allure se calme à mesure que nous approchons de la cafétéria. Tous deux fébriles, nous finissons par trouver une table écartée des autres, où Logan peut plus facilement se dissimuler. Je m’apprête à aller commander quand il me lance. « Tu me prendras du khir au passage. » Je lève les yeux au ciel, râlant qu’il me prenait pour sa bonniche, mais au fond, je suis soulagée qu’il ne se déplace pas jusqu’au comptoir.

Quelques instants plus tard, la table est remplie de livres et d’assiettes sur lesquelles repose ce qui reste de mes sandwichs, un gâteau au chocolat, et plus loin, un bol de khir, ainsi que deux boissons. Le dos de Logan est légèrement voûté alors qu’il mange le nez plongé dans un bouquin. Moi, je laisse mon esprit errer alors que ma frustration gronde.

J’aurais pu parler des ouvrages sur les meilleurs matériaux pour les chaudrons – comment les choisir, quelles propriétés ont-ils, quelles formes sont les plus adaptées – ou encore quel bois est le mieux destiné à devenir un balai, mais ce sont les choux mordeurs qui me viennent à l’esprit. Dérisoires et très peu utiles – pour ce que j’en sais –, ils sont pourtant plus dignes que les légimens à devenir le sujet de plusieurs tomes, sagement rangés sur les étagères des bibliothèques. La rage me monte face à l’injustice. Bien que ce sentiment soit né il y a bien longtemps, il n’a jamais disparu depuis, même après que l’âge m’ait donné davantage de discernement. Je n’ignore pas les raisons qui ont toujours poussé la société à taire le fonctionnement d’un tel don. Écrire des livres sur la légimencie a sûrement été considéré comme un encouragement implicite à s’y exercer, ou du moins, une porte ouverte pour ceux qui en sont dotés à cultiver leur don. Or, il est hors de question pour la majorité de la population de vivre parmi des esprits qui savent lire ceux des autres, s’y glisser, et prendre ce qu’ils veulent. Là où les métamorphomages ne prennent que l’apparence de l’autre, les légimens possède la faculté de connaître l’essence même des gens, de dérober leurs secrets les plus enfouis, et donc d’avoir un avantage si crucial pour manipuler et faire chanter n’importe qui que s’en prémunir relève d’une importance incontestable. On ne peut se fier à un légimen.

Alors nous n’existons pas.
Aussi rares que nous devons l’être, nous marchons dans l’ombre du commun et nous nous dissimulons pour échapper à des esprits moins capables que les nôtres. J’avais parfois fantasmé un monde où nous aurions été plus nombreux : dotés d’un sixième sens, nous aurions été l’élite des nations sorcières, indispensables en politique, imbattables dans le renseignement, acclamés dans les brigades de combat car qui connaît son ennemi peut le battre facilement… Je nous avais imaginé Dieux parmi les Hommes, des idoles dont on ne peut contester ni la nature, ni la préciosité, et pour un instant, j’avais cru toucher du doigt un espace-temps où je n’étais pas un monstre, où je n’avais pas de tare, et où là où je trouvais d’ordinaire de la crainte, il y n’y avait que du respect et de l’envie.

Mais bien difficilement, je devais à chaque fois revenir à la réalité, dans un monde où personne n’enviait ni Logan, ni moi. Tout alors me paraît injuste et cruel. Cette invisibilité de ce qui détermine si profondément qui nous sommes m’écœure. Pourtant, c’est la première fois que j’en parle à voix haute, la première fois que j’exprime ma colère à ce sujet face à Logan. Ce dernier m’écoute, m’observe, et je crois d’abord qu’il va intervenir pour mêler sa rage à la mienne ou me dire que je débloque à parler de ça ici et que nous avons d’autres choses à faire, mais non. Il reste étrangement silencieux, et enfin, un sourire défait la ligne mystérieuse de sa bouche. Il sourit, oui, mais ce sourire-là est nouveau, je ne le reconnais pas. Un souffle amusé franchit ses lèvres et j’y trouve presque quelque chose d’extatique. Même ses yeux perçants expriment une soudaine joie alors que j’aurais du y voir une colère similaire à la mienne. Cet homme n’a aucun sens. Et comme il ne dit toujours rien, je continue mes babillages frustrés, glissant avec une malice à peine dissimulée que s’il existe des livres sur les légimens, ils ne sont certainement pas accessibles.

Nos regards se croisent et se comprennent. « Probablement pas... » dit-il d’un ton calme. Ma bouche frémit d’un amusement complice, car je sais qu’il y a une forme de promesse dans notre échange. Pas besoin que nos esprits se touchent pour savoir qu’un jour, nous reviendrons chercher d’autres réponses que celles d’aujourd’hui. Un jour, nous nous plongerons dans le cœur même de ce que nous sommes depuis petits.

Je reprends la contemplation des poissons à travers la vitre. Les fonds marins m’apaisent étrangement. Je ne sais pas si ce sont les nuances de bleu dans les vagues, ou si ce sont les mystères et les merveilles contenus dans les profondeurs mais tous les abysses me fascinent et tous les rivages m’appellent. Je ne m’interroge plus de ce lien, je sais d’où il vient, et cette pensée me traverse aussi rapidement que la conversation change, comme si l’on venait de tourner une page ou de changer de pièce. D’une manière bien plus fluide qu’avec n’importe qui, Logan et moi captons les changements de sujet, d’humeur et d’intérêt ; une pause, un soupir, un regard, une demi-seconde de silence et tout peut changer. Comme nous sommes tous deux attentifs aux flux et reflux entre deux esprits, il est inutile de nous embarrasser avec des transitions et c’est naturellement que je poursuis avec la raison de notre présence ici.

Je lui expose une théorie à laquelle je ne crois pas moi-même mais qui m’éloigne un instant de ce qui griffe mes nerfs depuis des jours. Ce n’est pas un mensonge, peut-être une omission, et si je suis coupable d’une chose, c’est davantage de vouloir me persuader que les réponses sont ailleurs que dans ma tête. Il m’écoute, sérieux et concentré, son visage reprenant sa dureté de pierre.

« Ou de larmes. J’ai vu un truc là dessus tout à l’heure… » dit-il avant de repousser son bol de khir, son dos s’arrondissant un peu plus alors qu’il se penchait en avant. « Si ton idée est la bonne, on n’a pas fini de buter sur ce bouquin… ». A ces mots, je ne peux retenir l’inspiration irritée qui me vient. Ce carnet aura notre mort.

« Remercions les idées tordues de mon père. » grognai-je en plantant une mini-fourchette dans le gâteau au chocolat.

J’évite son regard, lui demande ce qu’il a pu trouver d’intéressant.

« Une flopée de fausses pistes...Des histoires de lunettes permettant de voir les véritables pages quand l’œil n’en voit que des vierges, des sorts à la pelle, des scellés qui ne s’ouvrent que sous les effluves de certaines potions mais il n’y a ni odeurs ni brume dans tes souvenirs donc ça n’aurait pas de sens et j’imagine mal ton père passer deux heures de préparation chaque fois, des élixirs à tenter, sait on jamais. Un ensorcellement par phrases clefs. L’usage du sang, des larmes … et de choses plus obscures que je refuses d’envisager quand on parle de ton père. Et puis le reste : sceaux, runes...  Sans compter les sortilèges qu’on a déjà essayé…Des rossignols aussi, qui m’intéressent assez…Et une sombre histoire de samurai aux yeux bleus.. ».

Je lève un sourcil. La fourchette coincée entre mes lèvres, je sens le métal contre mes dents. Logan n’a pas chômé, c’est certain. Toutes ces idées sont intéressantes mais il n’y en a aucune que je puisse relier à mon père et à ses manières. « Aucun souvenir d’un objet qu’il a pu garder sur lui, une fiole ou un bijou, une montre, une chevalière… ? » Je réfléchis, les sourcils froncés, les dents crispées sur ma fourchette.  Mon père avait beaucoup d’objets sentimentaux qu’il gardait et collectionnait mais très peu sur lui. Sa montre lui venait de son grand-père et il m’interdisait toujours de jouer avec, raison pour laquelle il ne l’enlevait qu’au moment du coucher. Une seconde, je pense à ses lunettes car cette idée aurait pu être de lui mais cela voudrait dire qu’il aurait dû les faire réparer par une technique spéciale, et la seule fois où c’est arrivé, il leur a seulement jeté un sortilège…Quant aux bijoux, le seul qu’il portait était son alliance et je pourrais donner ma main à couper qu’il n’aurait jamais dénaturé cet objet-là. Tout ceci est grotesque, je le sais. Ce sont des idées dont le potentiel est pour moi déjà mort. Je me donne l’impression de participer à une vaine illusion, ce qui ne fait qu’attiser ma frustration.

Et Logan le sent. Son regard s’alourdit sur moi, devient de plus en plus insupportable, bien que son esprit ne se tende pas vers le mien pour le moment. Je l’entends soupirer et malgré moi, mes yeux reviennent vers les siens. Il recule sur sa chaise, comme si prendre de la distance lui donnerait une meilleure vision de la situation. « Tu me caches un truc, sur cette histoire de potion. »  Ou parce qu’il me soupçonnait de quelque chose… Je ne devrais plus m'en étonner.

Le silence s’assoit à notre table, prend l’espace qui nous sépare, et devient un invité intrusif. Je ne quitte pas Logan des yeux, ma respiration se bloquant quelques secondes dans ma poitrine avec le sentiment irritant d’avoir été découverte en pleine faute. Je dépose la fourchette près du gâteau et hausse les épaules.

« Juste que c’est une technique française. » lâché-je comme si ce n’était rien qu’une information de plus, et comme son regard se fait plus lourd, je pousse une expiration énervée. « Arrête de me regarder comme ça. Je sais ce que tu vas dire. » Mes coudes se posent sur la table et je glisse sur le rebord de ma chaise pour me rapprocher, davantage penchée sur la table, ma voix se faisant plus basse mais aussi plus agressive. « C’est vrai, le premier souvenir du carnet n’est pas en France mais si mon père a quitté son pays, d’autres personnes peuvent aussi le faire non ? Qui sait ? Peut-être qu’un expatrié français s’est reclus je-ne-sais-où au Japon pour s’exercer à ses potions secrètes de papier de mes deux... » À mesure que je parle, le ridicule de mes arguments me frappe et même mon irritation se délite. Mes lèvres se pincent, ma tête se baisse et je soupire. Je passe mes mains dans mes cheveux, mes ongles ripant contre mon crâne, et je me mets à chuchoter entre mes dents serrées : « On n’arrivera pas à retrouver l’entièreté du souvenir… On a essayé, encore et encore, ça ne donne rien… Et je sais même pas si ce souvenir est valable. Alors oui, j’aime bien l’idée que la réponse soit ailleurs vu que de toute façon, on y aura jamais accès. ».

Je ne relève pas les yeux vers lui, parce qu’au fond j’ai un peu honte. Je devrais être celle qui garde espoir mais j’ai cette boule dans la gorge que je connais bien et qui survient dès lors que mes efforts se soldent par des échecs. Le goût amer de mon enfance avec ses longs et difficiles apprentissages me revient. On ne grandit jamais vraiment, pas vrai ? Même à presque trente ans, j’en suis encore à me débattre avec la rage de ne pas y arriver du premier coup, de ne pas exceller dès la première tentative pour me prouver à moi-même et aux autres que je suis méritante, que j’ai ma place ici, qu’il y a une justification à mon existence ; plus insupportable encore, c’est qu’à la peur d’échouer s’est jointe celle de réussir. Réussir à retrouver l’ensemble du souvenir, réussir à identifier un moyen d’ouvrir le carnet, découvrir qui a tué mon père, comment, pourquoi, et plus loin après tout ça… mettre un terme à ma vengeance, poser le point final à cette histoire.

Dire adieu.
Avancer.

Une voix au fond de moi me dit que je ne suis pas prête, alors je la fais taire et je l’ignore, oubliant aussitôt cet instinct dont ma conscience ne veut pas.

Je me racle la gorge, le front bas et les yeux clos.

Je lui fais perdre son temps, je nous fais perdre du temps.

« J’ai la tête vide et pleine à la fois...Plus j’essaie de réfléchir, plus ça m’échappe. » soufflé-je. Je finis par relever mes yeux vers lui, ma mâchoire soutenue par mes mains de chaque côté et un triste sourire anime mes lèvres. « Alors, monsieur le professeur, quel verdict ? Une idée de génie, une solution miraculeuse ? »
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Mar 9 Jan - 12:20

 
 10 décembre 2016
Je suis l’homme de colère. Son porteur. Ils m’ont si souvent observé avec cet œil rayé, caverneux. L’incompréhension comme paroxysme du mépris. Je sais qu’elle attend ma colère. Tous l’attendent, surtout si notre monstruosité est évoquée. J’ai souvenir de l’enfant d’hier qui enrageait chaque fois qu’il voyait son père faire taire les uns et les autres à la mention de la tare de son môme. Comme s’il s’agissait d’un goitre que tous avaient pris l’habitude d’éviter du regard. Pas tant le don, mais moi. Dans mon entièreté. J’ai parfois voulu le hurler aux yeux du monde. Devenir si puissant que je pourrais les empêcher de détourner le regard. M’y planter et y apposer une marque tellement incendiaire qu’ils demeureraient atones, aphasiques, apathiques. Soufflés par la réalité de ce qu’ils se font force d’ignorer. Aucun besoin de l’entendre, bien sûr, pour savoir comme cet élan trouve un écho chez elle. Mais l’entendre énoncé ainsi, voir cette colère portée sur la place publique, si vive qu’elle ignore même les précautions élémentaires qui devraient pourtant être notre priorité… il y a bien plus que de l’affection chez moi lorsque je l’entends parler ainsi. Ces quelques mots qu’elle juge sans doute bien banals, sont emportés en surface dans les abysses. J’y loge le souvenir à portée, un geste qui arrive si peu souvent que ces caves-là sont bien vides.
Mais banal ou non, de toutes ces vies explorés, il n’existe rien de tel où que ce soit, derrière les murailles de mes abîmes.
Nul besoin d’en dire davantage. Qu’importe son incompréhension. Peut être un jour réalisera-t-elle en quoi c’est important.

Pour l’heure le sujet est ailleurs. Il cristallise en sept petits mots. « Remercions les idées tordues de mon père. »
Je grimace. Buter sur le sujet m’agace et admettre que cet homme puisse être meilleur que moi n’est pas envisageable. Si elle me demande mon aide, ce n’est pas pour voir l’échec se graver dans la reliure du cuir de ce foutu carnet. J’ai épluché nombre de recueils, balayé le panel de possibilités pour me centrer sur les options les plus probables. Pourtant la solution m’échappe et le risque de l’avoir croisée sans m’y être arrêté me rend dingue. L’efficacité ne laisse pas place à l’opportunité de lui faire défaut.
‘Pas si courantes, ce genre de demandes.
Pourtant ce foutu carnet ne doit pas être si imprenable que ça. Il existe quelque part un moyen de résoudre ce qui nous fait bloquer. Entre les pages de la plus grande bibliothèque du monde, dans les détours de son esprit ou simplement dans le quotidien d’un homme qu’elle connaît et dont elle porte sans cesse le fantôme. Impossible, pourtant, de lui poser la question. Masa est là sans l’être. Toujours à portée mais inaccessible. Si pour moi l’idée est frustrante, cette dimension est largement dépassée pour Sanae. Et malgré tout, c’est tout près. Ça l’est forcément. Plusieurs fois je sais avoir poussé violemment sur son esprit. Je sais la douleur, la frustration, je sais même qu’elle en récolte l’impression de ne pas être à la hauteur. Mais le mieux désigné pour extraire et reconstituer un souvenir qu’importe le refus de son hôte, c’est bien moi. Et ça ne donne rien. J’ai l’impression que je pourrais bien lui broyer les neurones et faire plier chaque part de volonté en elle, ça ne changerait rien. Ou peut être ais-je la faiblesse de me radoucir face à elle.
Et pourtant chaque fois, c’est elle qui y est retournée. La gamine d’hier peut bien s’énerver tant qu’elle veut et l’adulte en faire de même, elle demeure la définition même de l’acharnement.
Et malgré ça, pas un sort, pas une potion, pas un sceau ne m’a semblé être une piste valable. Je l’emmène de l’autre côté du globe pour feuilleter du papier et en apprendre plus sur des foutus choux mordeurs et une histoire de samurai. Rien de pertinent.

Pourtant il y a des idées. Je les énumère, m’interroge sur ce que je connais déjà de Masa, tente de faire émerger quelques souvenirs au détours de la conversation. Peut être finiras-tu par raccrocher. Une réalisation soudaine, un éclair de génie. Et pourtant tout ce que je perçois, c’est ton air buté à fixer l’eau comme s’il s’y trouvait la moindre réponse. A croire que tu fuis la conversation et ce qui pourrait en ressortir. A croire, surtout, que t’esquive certains points.
J’aurais pu jouer à ce petit jeu un moment, mais je m’en lasse et je sais trop bien quand tes pensées s’esquivent. Tu joues à te dérober au quotidien. Par moment, c’est ton seul moteur. Quelque chose que tu reconnais chez moi, alors ne sois pas surprise que je l’identifie en retour.
Ton regard tombe. Avec lui l’évidence. Et à ses côtés, la colère. Compagne éternelle.

« Juste que c’est une technique française. » Et bien entendu, ce n’est rien de plus qu’une information comme une autre, sans aucun écho à quoi que ce soit… Le visage de biais, une crispation que je devine sur ma joue, je lâche un simple souffle sans décoller les lèvres et fixe ce regard d’encre sans chercher à y plonger mon âme. C’est dont ça le point de discorde, le détail auquel tu t’accroches sans vouloir le porter à l’oral ? Coïncidence ou réelle bascule vers la réussite ? Tu n’en sais rien. Presque malgré moi, je replonge dans les abysses, passe les souvenirs, cherche le point de concordance. Un réflexe idiot, aussi inutile que vain. Si tu n’en as rien dit, c’est justement parce que ça ne colle pas. Les lacunes de ta mémoire ne permettent pas de trancher en un sens ou dans un autre. Et ça te rend folle.
Et moi, j’ai été capable d’exhumer les souvenirs reniés de Julian Neil, mais les tiens me mettent sans cesse face à l’échec… « Arrête de me regarder comme ça. Je sais ce que tu vas dire. » Évidemment que tu sais. Tu te penches, et la gestuelle me plaît de par son bellicisme. T’en mordrais. Du moins au début.
Un peu l’image que je me fais de ce fameux samurai. Pas le sujet.
« C’est vrai, le premier souvenir du carnet n’est pas en France mais si mon père a quitté son pays, d’autres personnes peuvent aussi le faire non ? Qui sait ? Peut-être qu’un expatrié français s’est reclus je-ne-sais-où au Japon pour s’exercer à ses potions secrètes de papier de mes deux... » C’est vrai : tu sais ce que je vais dire. Alors tes lèvres se pincent et un soupir t’amène à baisser le visage, déjà harassée par ce que tu sais être des conneries d’espoirs sans fondement. La vérité c’est que tu es à bout de nerf et que l’impatience t’amènes à supposer que la première hypothèse un peu plus cohérente sera nécessairement la bonne. Qu’il faut que ce soit la bonne, car tu n’iras pas plus loin. Tu m’as vu entraîner Alec : tu sais que t’iras plus loin si c’est faux. Que tu le veuilles où pas, crois-moi, on continuera. D’une manière ou d’une autre, tes souvenirs céderont leur vérité. « On n’arrivera pas à retrouver l’entièreté du souvenir… On a essayé, encore et encore, ça ne donne rien… Et je sais même pas si ce souvenir est valable. Alors oui, j’aime bien l’idée que la réponse soit ailleurs vu que de toute façon, on y aura jamais accès. ».
Un légimen devrait être expert des émotions humaines. Fin psychologue. Je ne vois que de la honte. Celle d’échouer, de buter, de baisser les bras, de craquer peut être. Une position rassurante, que d’être de l’autre côté. Malgré moi, mes pensées me ramènent au fauteuil. A mon silence. A son attente, jours après jours, plantée devant moi, à me raconter toutes les conneries du monde en espérant que je finisse par réagir.
Tes ongles raclent sur ton crâne, comme s’il était plus aisé d’en faire sortir le souvenir ou la solution en te raclant l’os pariétal jusqu’à atteindre le cerveau plutôt que par la légimencie. C’est sans doute ce qui est le plus frustrant. Avoir été forcés de se construire avec et malgré cette chose qu’ils ont tant pointé du doigt chez nous… mais la voir inutile aujourd’hui, alors même qu’elle a cristallisé les relations avec ton père. Peut être la réponse ne viendra pas de là. Ça a un côté contre-intuitif c’est vrai, mais peut être qu’on s’y prend mal c’est vrai. C’est d’ailleurs là tout l’intérêt à être ici. On y est depuis quoi ? Cinq heures ? Tu n’imaginais pas qu’on s’en sorte si facilement.

En te redressant, tu as quelques mèches en vrac, la fatigue marquée sur les traits et une crispation des lèvres tout droit venue de l’enfance. « J’ai la tête vide et pleine à la fois...Plus j’essaie de réfléchir, plus ça m’échappe. »
“Je vois ça..” C’est contre-productif. Mais dire qu’à éplucher livres après livres, j’ai fini par m’arrêter sur une histoire annexe dont le rapport était parfaitement obscure, simplement parce que je ressens la même chose… à quoi ça amènerait ? Qu’importe l’énergie ou le nombre d’hypothèses épluchées, j’en arrive toujours au même point, et à force de ressasser tes souvenirs en arrière plan quelque part derrière les murailles de mon esprit, j’ai seulement l’impression de commencer à les modifier à ma sauce. Or si nous sommes deux à les tordre, ça ne nous amènera nulle part. Pas plus que de me perdre dans l’histoire d’une femme samuraï avide de vengeance, dont le principal crime était d’être une métisse sur une terre ravagée par la guerre. Parlant, certes, mais hors propos. Pourtant au travers de sa quête se trouve quelque chose qui m’attire. Un truc égoïste, sans doute. Malgré tout… Hm.
Tes yeux se relèvent, un sourire vient masquer tes émotions contradictoires et je marque la pause à mon tour. « Alors, monsieur le professeur, quel verdict ? Une idée de génie, une solution miraculeuse ? »
Si seulement j’avais ça en stock..
Je revois le défilé des élèves et des collègues - si ce n’est les sangs purs et autres Supérieurs - à venir me demander la solution à tous les maux de la terre. Avec elle, c’est différent pourtant, et le parallèle est injuste, j’en ai conscience.

“Parle moi de lui. De cette époque.” Les mots sont moins fiables que les souvenirs pourtant. Et insister sur cette voie qui change ses neurones en glu filasse n’est peut être pas la meilleure des options. Pour autant, changer d’angle, se sortir de nos habitudes de légimen, prendre du recul et se forcer à reformuler ces souvenirs avec des outils aussi vulgaires que des mots pourrait nous permettre de prendre l’ensemble sous un prisme différent. C’est du moins ce qu’il me vient, bouffé par cette impression de frôler quelque sans pour autant réussir à mettre le doigt dessus. “Parle-moi de lui. Avec tes mots. De son usage de la magie, des sorciers qu’il rencontrait au japon, de sa culture, de ce qu’il t’a enseigné…”
Sortir du cadre. Trouver la solution ailleurs.

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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Jeu 11 Jan - 17:05
« Parle-moi de lui. De cette époque. »
Mes sourcils se froncent. Le choc passe sur mon visage, comme si l’idée qu’il venait d’énoncer m’avait giflée. Parler de lui… à voix haute. Je ne l’avais pas refait depuis cette virée aux États-Unis avec Margo, où je m’étais saisie de ma meilleure humeur pour y parvenir. Mais alors nous avions parlé des bons côtés, des choses dont je pouvais rire, pas de celles qui font encore mal aujourd’hui...des questions qui ne sont toujours pas réglées. Je n’arrive pas à savoir ce que je ressens. Voûtée au-dessus de la table, je sens mes épaules se crisper et mes coudes s’enfoncent plus avant dans le bois. Je ne détourne pas le regard mais face aux paroles de Logan, je reste interdite.
« Parle-moi de lui. Avec tes mots. De son usage de la magie, des sorciers qu’il rencontrait au japon, de sa culture, de ce qu’il t’a enseigné… ». Mes lèvres se sont scellées. L’idée qu’elles ne s’ouvrent plus me terrifie. Une seconde, j’en veux à Logan de suggérer ça, de ne pas avoir une meilleure technique pour sortir de ce bourbier, mais je ne dis rien, ma colère se ravise. Contre le rebord dur de la table, ma poitrine bloque, se presse douloureusement au rythme de ma respiration.
Je me redresse, joins mes mains sur la table alors que je mords l’intérieur de mes joues. Il croit que les choses seront plus claires à voix haute mais je ne suis pas sûre d’avoir jamais pu parler de mon père convenablement, en usant des mots les plus justes. Soudain, je sais ce que je ressens : de la peur. J’ai peur de parler de lui, de vraiment parler de lui, car je ne sais pas ce que j’en dirais.
« Parler de lui… répété-je comme pour mieux intégrer la chose. Je ne suis pas sûre de savoir par où commencer, ni comment mettre de l’ordre dans tout ça...Et puis, tu sais déjà tout…  Tu penses vraiment que ça pourrait marcher ? » Et je vois dans son regard que de toute façon, nous n’avons pas le choix. C’est la seule chose que nous n’avons pas tenté.

Je prends une inspiration, reste sur le bord de ma chaise, dans cet étrange équilibre émotionnel qui est le mien. Mes yeux se posent sur les assiettes, les verres, pour chercher l’inspiration, trouver quel fil tirer en premier. Comment parler de lui ? Par quels mots ? Ma bouche se plisse, se pince, et au moment où elle s’ouvre, je ne sais toujours pas ce qui en sortira. Je dois lâcher prise, laisser faire.

« Il travaillait beaucoup, tout le temps… Je sais que ce pourquoi il œuvrait lui tenait à cœur et qu’il s’est construit à travers sa carrière. De ce qu’il m’en a dit, ça a été la porte de sortie loin de sa famille, alors il n’a jamais envisagé de prendre sa retraite. Pourtant, il aurait pu le faire depuis longtemps, et très honorablement. Je crois qu’après la mort de sa femme, il devait rester occupé. Il n’avait pas vraiment d’amis, à part les parents de Kezabel, donc c’était pas franchement le genre à aller à des dîners ou des soirées – peut-être pour le travail mais je me souviens qu’il détestait ça. Il disait toujours qu’il rendait visite à un ami, à une connaissance, peu importe, mais il ne me parlait jamais d’eux. » J’esquisse un sourire triste.
« Il aimait les choses anciennes. Il collectionnait des tas de reliques japonaises et il gardait toujours les cadeaux qu’on lui offrait, même les moches. Avec lui, tout avait une histoire, et il pouvait parler des heures de certains sujets alors qu’au quotidien, il n’était pas très bavard. Ça le fatiguait de parler de ce qui ne l’intéressait pas vraiment et même s’il était l’homme le plus poli et bien élevé qui soit, il n’aimait pas feindre son intérêt. »
Je marque une pause, les sourcils légèrement froncés alors que je tente j’invoque son image. Elle n’est jamais très loin de la surface. « A part les Hastings, il ne m’a jamais présenté personne, ni parlé de son amitié avec qui que ce soit. J’ai dû certainement lui poser mille questions sur sa vie d’avant, mais il arrivait toujours à éluder. Non, en fait, il donnait l’impression de donner un élément de réponse alors qu’il ne donnait rien. Il était fort pour ça. Sûrement la raison pour laquelle la politique lui allait bien… En tout cas, il n’a jamais parlé d’anciens amis. » J’avais cru longtemps qu’il avait honte de moi et que c’était la raison pour laquelle il n’invitait personne à la maison, mais il me dit bien plus tard que c’était parce qu’il n’avait besoin que de sa maison, de sa famille, et d’un ami pour être heureux. Pas plus, il ne faut pas être trop gourmand.  
« Pourtant, il connaissait beaucoup de monde. Pas simplement par son travail, mais parce que pendant des années, il a voyagé un peu partout. Il ne m’a jamais vraiment raconté mais vu sa collection de bibelots, il a dû faire le tour du monde. En tout cas, il connaissait tout, enfin… c’était l’impression qu’il donnait. Il était féru d’Histoire, et pouvait soudainement se mettre à parler du fonctionnement des marées autant que des symboles magiques les plus anciens. Je ne sais pas comment sa tête pouvait supporter autant d’informations. Et évidemment, ce dont il préférait parler était son pays natal. Il ne s’est jamais remis de devoir le quitter.  Il n’avait pas d’autre choix pourtant, ayant tourné le dos à sa famille, il fallait recommencer ailleurs… Et même s’il aimait profondément la France, il n’aimait aucun endroit plus que le Japon. Il me lisait beaucoup de contes traditionnels quand j’étais enfant, ou même des livres d’Histoire… c’était important pour lui que je sache tout ça. Il disait… » Je m’anime sur ma chaise, comme si l’information remontée si vivement venait d’éclater dans mon esprit pour exister à nouveau. « ...il disait qu’il n’y avait pas de plus pures formes de magie que dans l’ancien Japon, qu’on ne devrait user de sa baguette que lorsque c’en est vraiment nécessaire... Ce qui n’est pas étonnant puisqu’il l’utilisait très peu au quotidien. Pas qu’il vivait complètement comme un moldu, mais il trouvait déshonorant d’user de la magie pour attraper le sel ou tirer une chaise. » Je pousse un soupir et lève les yeux au ciel. « A coup sûr, il a utilisé une technique dont tout le monde a oublié le nom. » Avec l’agacement vient la certitude que nos chances de découvrir laquelle sont proche de zéro.

Je continue, sans certitude. « Il était très occupé quand on y retournait, et je passais beaucoup de temps avec une gouvernante. Je crois qu’il a arrêté de m’emmener à partir de mes dix ans, je ne suis pas sûre de l’âge que j’avais ; peut-être que le dernier voyage là-bas était à mes onze ou douze, mais je ne venais plus avec lui quand il devait y travailler, ça c’est sûr. Au début oui, parce qu’il devait penser que garder un lien fort au Japon serait moins brutal pour moi que de ne plus jamais y aller, mais en vérité, je désirais seulement être avec lui. Chose problématique : on ne peut pas emmener une enfant à un rendez-vous professionnel, encore moins à une assemblée de ministres. Surtout que j’étais pas la plus facile et la plus sociable qui soit…  »

Plus encore, j’étais persuadée que mon père avait mis un terme à mes caprices de l’accompagner jusqu’aux Ministères pour me protéger : ma présence à ses côtés ne pouvait pas être passée inaperçue dans les hautes sphères japonaises. Lui avait-on fait des réflexions ? Ses ennemis avaient-ils murmuré sur son passage ? Tant de questions que j’aurais aimé lui poser aujourd’hui. Cette époque remonte dans mon esprit comme une marée progresse sur le rivage, l’eau salée donnant une nouvelle couleur aux rochers et aux galets. On croit à tort que la légimencie ne s’appuie que sur la vision et l’ouïe, mais elle est tout autant affaire de sensations et de sentiments. Avec les années, j’avais appris que les odeurs propulsent mieux la pensée jusqu’aux souvenirs les plus reculés et que les narines ont une mémoire étonnante, surtout pour ce qui est d’associer une personne, un endroit ou une période à un parfum. Le goût, lui aussi, possède son propre génie :  je peux retrouver la saveur exacte des soupes de mon père, celle de ses confitures, de ses bouillons de légumes, de ses plats de nouilles aux mille couleurs. Toutes ces sensations sont ancrées profondément en chacun et reviennent dès que le présent les invoque et restaure leur intensité d’autrefois. En cet instant, des souvenirs se pressent en moi, je les sens arriver par de vieilles sensations que j’avais cru oubliées : le parfum des encens d’une maison, mes pieds nus contre les tatamis, l’odeur de l’attaché-caisse en cuir de mon père… Ça remonte, de moins en moins lointain, de plus en plus réel. Un souvenir, parfois, c’est un peu comme un mot qu’on a sur la langue et qui ne veut pas sortir, qui se refuse à faire sens. Il est là, si proche de notre conscience, et pourtant il n’arrive pas à éclore.

« Je crois... » Je n’ose même pas dire qu’il est tout près, de peur de le faire fuir. Je dois continuer. Mais je suis sûre que Logan le sent lui aussi, qu’il voit dans mon regard troublé que les choses bougent. « …que je ne me suis jamais autant ennuyée qu’à cette période de mon enfance. Et lui, il a eu du mal à jongler entre moi et son travail. » Je m’arrête à nouveau, cherche à me poser les bonnes questions. Que faisait-il quand nous allions au Japon ? « Hm...quand on allait là-bas, on séjournait un peu en dehors de Kyoto, dans une maison qu’il avait achetée dans sa jeunesse. Ce n’était pas bien grand, mais je me souviens que c’était entouré de jardins et que des pruniers y étaient toujours en fleurs… » Je tique. Ces pruniers fleurissaient en janvier. « Ah, mais oui... On y allait souvent pour le nouvel an, et on y restait quelques jours parce que deux fois, il m’a emmené voir des temples. » Dont l’un deux que Logan connaissait fort bien désormais. « Enfin bref, peu importe. Même s’il avait quelques jours de congés début janvier, il avait quand même des choses à faire : tout ce qu’il m’en disait, c’était qu’il devait régler des affaires, sans jamais donner de détails, ni de nom. » Et plus tard, m’avait-il parlé de quelqu’un qu’il y voyait là-bas ? Que disait-il de ses voyages ? Il ne disait rien. Jamais rien. Ou peut-être que je n’avais pas écouté, que j’attendais à l’époque d’autres choses de lui que des détails à priori sans importance.  Je soupire, mes doigts triturant un sachet de sucre déchiré sur la table.

« Quoi d’autre...quoi d’autre… » Je baisse le regard sur mes mains. Mon esprit turbine. Qu’avais-je l’habitude de faire durant ses absences ? Qu’y a-t-il d’important à dire sur ces voyages-là ? Je fouille dans ma mémoire, la bouche close, et alors mon visage devient aussi inexpressif que si j’étais tout à fait ailleurs…

Ce sont finalement mes propres mains qui me propulsent vers le souvenir, et d’un regard, relevé à la hâte comme on attrape sa veste avant de sortir, je prends Logan avec moi.

Une cabane avait été construite avec deux chaises placées de chaque côté contre un mur et un très large drap blanc les recouvrait pour former un toit. En dessous, des coussins, une couverture épaisse étalée par terre, deux boîtes de biscuits secs, et une grappe de raisin sur un livre aux belles illustrations. Je me souviens brusquement que j’aimais construire ces cabanes de fortune pour y mener ma petite vie secrète, pour me couper du regard des autres et du mien sur eux, avant que la lassitude et l’ennui me prennent de détruire ce que j’avais mis tant d’application à construire. Je faisais et défaisais pour m’occuper. Et je revois mes propres mains accrochant le drap et tirant d’un coup sec. Une voix, par-delà la chambre et le salon, se mêle à celle de la gouvernante et je me précipite. Mes pas pressés sur le vieux parquet tambourinent et en un éclair, je tiens sa main et je regarde avec animosité la dame qui m’a gardée tout l’après-midi. Je n’écoute pas vraiment ce qu’ils se disent, ou peut-être que j’ai écouté mais que je ne souviens pas, que ça n’a pas d’importance, car j’observe leurs lèvres bouger en me posant une seule question : pourquoi la dame ne part pas ? Son visage est flou, mais je crois qu’elle garde ses cheveux en un chignon serré et qu’elle sent un peu trop le clou de girofle. Je ne l’aime pas, c’est évident, et je n’ai pas besoin d’en savoir plus sur elle ou de m’en souvenir. Dans ma main, celle de mon père est trop grande et fraîche, signe que la brise est glaciale dehors. Un instant, je me concentre sur cette main. Mes doigts se cramponnent aux siens ; je me souviens qu’ils n’étaient pas beaux ses doigts, que son pouce était tout plat, ses ongles toujours de la même longueur, très nets, et que la peau de ses mains était déjà ridée à ce moment-là. Il est vieux, mais je ne le sais pas. Je ne le vois pas à cet âge-là, parce qu’il est le Soleil et que je ne distingue de lui que son éclat.

Je ne résiste pas à m’attacher à la sensation de sa main dans la mienne, j’y reste même un peu trop longtemps, une vive morsure au coeur et la gorge étrécit par l’émotion. Je ne veux pas pleurer mais je ne peux pas fermer les yeux non plus. Logan est toujours avec moi, et alors que le souvenir se trouble, je tente de le stabiliser en m’accrochant à sa présence. Il me rappelle pourquoi je fais ça.

Masa vient de rentrer, un attaché-caisse par terre à ses pieds, celui qui sent fort le cuir. Il n’enlève pas sa veste, lâche pourtant ma main pour poser ses affaires plus loin. Les mouvements dans la pièce m’échappent, je crois que je tente de créer du lien avec la suite, j’imagine ces transitions plus que je ne m’en souviens. Ça s’accélère et il est à la porte. Je retrouve le sentiment de colère qui était le mien en le voyant repartir. Ce n’était qu’un entracte dans mon ennui. Je tire sur sa manche. Une autre image me vient, superposée à celle-ci, de mon père sortant un carnet de son attaché-caisse. Ah ! C’est donc ça. Une première sortie pour l’acheter. Une deuxième pour… pour quoi ? Je tire à nouveau sa manche, il me regarde les sourcils froncés. Son visage prend une raideur que je ne comprends pas alors, mais qui aujourd’hui fait sens : il se sent coupable.
« Je reviens dans deux heures, Sanae.
– Non ! Je viens avec toi.
– Tu ne peux pas, je dois faire une dernière course avant de rentrer. Tu resteras avec Madame Higashi, sois sage. »
La rage empourpre presque ma vue. Je sens le sang affluer à mes joues et je ne sais plus si c’est dans la réalité ou dans mon souvenir. Mon coeur s’est logé dans mes oreilles. Je tire davantage sur la manche et Masa s’agace, bien que cela ne se lise pas sur son visage mais moi je sais.
« Non !
– Sanae, ne sois pas têtue.
– Je veux venir ! Laisse-moi venir ! »
Jusque-là de biais, prêt à partir dans l’encadrement de la porte, il me fait face et je vois le carnet dans son autre main. Il est là, ce fameux casse-tête insupportable, à me narguer même dans le passé. Masa s’accroupit à ma hauteur et ses prunelles claires m’enveloppent. C’est sûrement les seules choses dans mes souvenirs qui soient aussi précises, aussi détaillées et nettes : les yeux de mon père.
« Qu’ai-je dit sur les cris ? dit-il d’un ton calme et doux, et voyant que je ne réponds pas, il poursuit. On n’obtient rien de viable par des hurlements. De bon coeur, on te donnera plus volontiers ce que tu demandes si restes calme. »
Je ne sais pas si je comprends toute sa phrase mais je sais qu’il me demande de ne plus crier.
« Si tu restes, je ne crie pas.
– Tu ne négocieras pas avec moi, Sanae. Je dois m’absenter mais je reviens vite, et nous passerons la soirée à jouer aux petits chevaux si tu le souhaites. Mais je ne veux pas t’entendre crier pour obtenir ce que tu veux. »
Ma vision se rapetisse tant mes sourcils se froncent. La rage ronge mes nerfs. Il ne comprend pas et je n’arrive pas à lui expliquer. La frustration est semblable à celle qui me hante dans le présent, mais plus terrible encore car je n’ai pas les mots pour l’exprimer. Mon corps n’arrive pas à rester en place, je me tortille, je tire encore sur sa veste, je veux le retenir, je gémis comme si l’intensité des émotions est trop forte pour être contenue dans mon petit être. Tout en moi hurle qu’il doit rester, que je ne supporte pas de le voir partir, que je n’aime pas être seule, que j’ai peur qu’il ne revienne pas.
Je finis par exiger :
« Dis-moi où tu vas…
– Je vais voir un vieil ami qui doit me rendre un service.
Un vieil ami !
– Quel ami ?
– Tu ne le connais pas, mais il est le seul à pouvoir m’aider et il est la raison de notre voyage ici. Plus vite je serai parti, plus vite je serai rentré, n’est-ce pas ? »
Il attend que j’approuve, mais je plaide ma cause : « Moi, je peux t’aider. » et il rit légèrement, avec une tendresse évidente qui le pousse à passer sa main dans mes cheveux.
« Mon enfant, tu m’aides déjà tous les jours. Maintenant, laisse-moi partir, on m’attend. 
– On t’attend où ? C’est loin ? »
Il se redresse, plaque le carnet contre son flanc et pose sa main sur le sommet de ma tête.
« Ce n’est pas si loin, mais je vais devoir marcher une partie du chemin et j’aimerais le faire avant la nuit tombée. Allons, allons, tu vas me mettre en retard avec tes questions. Madame Higashi, donnez-lui deux carrés de chocolat, cela lui fera plaisir. »
Je sens une main tirer mon bras et l’odeur de clou de girofle s’accentue avant que la porte ne se ferme.

Et un autre souvenir me revient d’un seul coup….

Une image, particulièrement, sans savoir pourquoi. Je revois les portes coulissantes shoji dont le papier translucide entre les treillis en bois laisse passer une lumière chaude. Elle me baigne dans un halo étrange mais réconfortant car je sais que la lumière projetée à travers le panneau vient du salon, là où mon père est présent. Parfois, quand il passe dans le couloir, j’aperçois sa silhouette qui, à son passage, assombrit ma chambre avant de disparaître. Je retrouve, brumeux mais encore très vif, l’espoir qu’il fasse coulisser les portes et qu’il vienne me voir, ainsi que le sentiment de soulagement à le savoir tout près. Mais ça ne me suffit pas. Sur mon petit matelas à même le tatami recouvrant le sol, je me mets à quatre pattes et je me hisse sans faire de bruit jusqu’à la porte. La poignée est haute, mais ma partie consciente, encore rattachée au présent, comprends que c’est parce que je suis toute petite. D’un doigt, j’entrouvre les portes de ma chambre, les sentant coulisser dans les rails en bois qui heureusement rendent le mouvement fluide et discret. Je n’ouvre pas plus, juste assez pour passer un œil dans l’espace entre les deux panneaux de bois et de papier, pour entrevoir ce qui m’intéresse. Mes cheveux noirs tombent devant mon œil gauche mais le droit, lui, voit parfaitement. Il est là, assis en tailleur sur un petit coussin près de la table basse en pierre noire. Un silence absolu règne dans le salon. Le dos voûté par l’âge et la concentration minutieuse dont il semble faire preuve, Masa tient une plume entre ses mains et semble hésiter à l’utiliser. Il demeure immobile un moment avant d’enfin apposer sur le papier les premiers mots d’une longue série. Si je ne l’avais pas remarqué à cet âge-là, je le vis très nettement aujourd’hui : par-dessous sa manche, les contours noirs du carnet m’apparurent comme une révélation.

Le passé me glisse entre les doigts et je cligne des yeux, reprenant pied avec le réel. Je déglutis, tente de réguler ma respiration et de repousser le mal de tête qui me guette. Je sens qu’il y a plus, que je pourrais aller plus loin mais à chaque image de lui renaît le manque douloureux de sa présence. Je respire plus profondément, dénouant la tension qui avait jusque-là crispé mes épaules, et mon dos s’arrondit, alors que je ramène mes bras contre moi.

« Un vieil ami donc… » soufflé-je en détournant les yeux de ceux de Logan. « Au moins, je suis maintenant certaine que c’était ce jour-là. Pas que nous soyons plus avancés pour autant... »
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Lun 15 Jan - 0:37

 
 10 décembre 2016
Je sais. Je n’ai aucune pitié pour toi, qu’importe l’énergie que tu y mets et les sacrifices qui en résultent. C’est un exercice que tu ne fais pas, limite une trahison de ma part. Pourtant t’en passeras par là. Parce que tu ne lâches jamais rien et que ce serait lâcher. Et parce que c’est moi qui te le demande.
Je vois la colère, je vois la peur et je sais que tu m’en veux ; mais je n’en lâche pas moins ton regard, qu’importe que tu te crispes ou me toise, qu’importe le tranchant de l’encre lorsque tu te redresses de cette même manière que je l’ai fait un peu plus tôt. Mimétisme ? Est-ce qu’on ne finirait pas par emprunter certaines choses à l’autre ? Auquel cas, qu’ai-je pris de toi ?
Quels fantômes de l’autre emporterons-nous dans la tombe ? De ces vestiges que les gens normaux saisissent sans toujours en avoir conscience et que nous portons

« Parler de lui… Ces mots que tu ne prononces jamais. Ces souvenirs qu’à ressasser, je t’impose déjà l’horreur. Je sais. Et je sais en demander plus encore.  Je ne suis pas sûre de savoir par où commencer, ni comment mettre de l’ordre dans tout ça...Et puis, tu sais déjà tout…  Tu penses vraiment que ça pourrait marcher ? »

Je pense que si c’est une part de la solution, tes sentiments ne sont pas une excuse pour nous en passer.
Alors je ne répond pas. Inutile. Tout ça, tu en as conscience et si tes lèvres se plissent pour laisser entrevoir la réponse à venir, je sens qu’elles cherchent à retenir autant qu’à divulguer. Un entre-deux indocile qui peine à lâcher du lest mais qui fini par se plier aux exigences de la situation.

« Il travaillait beaucoup, tout le temps… Je sais que ce pourquoi il œuvrait lui tenait à cœur et qu’il s’est construit à travers sa carrière. De ce qu’il m’en a dit, ça a été la porte de sortie loin de sa famille, alors il n’a jamais envisagé de prendre sa retraite. Pourtant, il aurait pu le faire depuis longtemps, et très honorablement. Je crois qu’après la mort de sa femme, il devait rester occupé. Il n’avait pas vraiment d’amis, à part les parents de Kezabel, donc c’était pas franchement le genre à aller à des dîners ou des soirées – peut-être pour le travail mais je me souviens qu’il détestait ça. Il disait toujours qu’il rendait visite à un ami, à une connaissance, peu importe, mais il ne me parlait jamais d’eux. » C’est étrange de l’entendre en parler. Comme on présenterait quelqu’un sans que l’interlocuteur ne sache rien sur lui. Là chacun de ces mots semble porter une forme d’écart, une dissonance étrange entre l’homme qu’il connaît et celui qu’on lui présente. Pas que ces termes sonnent faux. Simplement comme si on lui présentait son propre père, Dorofei ou bien lui-même. Le discours est à la fois connu et étrangement déphasé. Je partage son sourire, sans véritablement savoir pourquoi. « Il aimait les choses anciennes. Il collectionnait des tas de reliques japonaises et il gardait toujours les cadeaux qu’on lui offrait, même les moches. Avec lui, tout avait une histoire, et il pouvait parler des heures de certains sujets alors qu’au quotidien, il n’était pas très bavard. Ça le fatiguait de parler de ce qui ne l’intéressait pas vraiment et même s’il était l’homme le plus poli et bien élevé qui soit, il n’aimait pas feindre son intérêt. » J’en connais une autre comme ça…  « A part les Hastings, il ne m’a jamais présenté personne, ni parlé de son amitié avec qui que ce soit. J’ai dû certainement lui poser mille questions sur sa vie d’avant, mais il arrivait toujours à éluder. Non, en fait, il donnait l’impression de donner un élément de réponse alors qu’il ne donnait rien. Il était fort pour ça. Sûrement la raison pour laquelle la politique lui allait bien… En tout cas, il n’a jamais parlé d’anciens amis. »  
C’est étrange non ? Cette manière de poser des questions aux adultes. Plus encore l’idée d’en obtenir la moindre réponse, d’ailleurs. Peut être devrais-je en retirer la conscience qu’il cachait quelque chose ou que la solution se trouve auprès de ces contacts qu’il devait malgré tout avoir. Mais si l’idée passe, elle se heurte à mes propres représentations du monde adulte. Aucun pont entre les générations.
Malgré tout, secrets ou non, l’origine de ce carnet peut bien venir de quelqu’un d’autre. Tout comme il pourrait se loger dans un apprentissage différent, une formation ou ses études à Mahoutokoro. L’idée me parle, sans doute davantage liée à mon histoire personnelle qu’à la sienne. Mais personne ici n’a été à Mahoutokoro. Serait-ce notre prochain arrêt ? A-t-il seulement véritablement étudié là-bas. Il ne s’agit que de spéculations, d’une forme de logique.

« Pourtant, il connaissait beaucoup de monde. Pas simplement par son travail, mais parce que pendant des années, il a voyagé un peu partout. Il ne m’a jamais vraiment raconté mais vu sa collection de bibelots, il a dû faire le tour du monde. En tout cas, il connaissait tout, enfin… c’était l’impression qu’il donnait. Il était féru d’Histoire, et pouvait soudainement se mettre à parler du fonctionnement des marées autant que des symboles magiques les plus anciens. Je ne sais pas comment sa tête pouvait supporter autant d’informations. Et évidemment, ce dont il préférait parler était son pays natal. Il ne s’est jamais remis de devoir le quitter. Il n’avait pas d’autre choix pourtant, ayant tourné le dos à sa famille, il fallait recommencer ailleurs… Et même s’il aimait profondément la France, il n’aimait aucun endroit plus que le Japon. Il me lisait beaucoup de contes traditionnels quand j’étais enfant, ou même des livres d’Histoire… c’était important pour lui que je sache tout ça. Il disait… » Tu le sens comme moi, cet arc électrique. J’ai pas besoin du grésillement d’un souvenir qui émerge pour sentir que l’atmosphère a changé. Il n’aurait pas utilisé une technique française. Il n’aurait pas utilisé quoi que ce soit d’autre que quelque chose qui fasse sens à ses yeux. Cet objet l’a accompagné toute sa vie, il l’a suivi là où rien d’autre ne l’a véritablement fait. Ça vient du Japon ; c’est forcément le cas. Un hommage, un clin d’œil, un soutien émotionnel aussi. Quelque chose qui lui parle et soit une part véritable de son identité. Un frisson passe sous ma peau, et je jurerai qu’il en fait de même sous la tienne. J’le vois dans ton regard, dans cette tension exaltée qui vient de toi. On tient un truc.  « ...il disait qu’il n’y avait pas de plus pures formes de magie que dans l’ancien Japon, qu’on ne devrait user de sa baguette que lorsque c’en est vraiment nécessaire... Ce qui n’est pas étonnant puisqu’il l’utilisait très peu au quotidien. Pas qu’il vivait complètement comme un moldu, mais il trouvait déshonorant d’user de la magie pour attraper le sel ou tirer une chaise. » Un sourire passe sur mes lèvres. Une forme absurde et grossière de respect envers un homme que je ne connais pas vraiment. D’affection, même, je crois bien. Je le tiens peut être de toi, je n’avais pour lui que mépris et rejet la première fois que j’ai infesté tes pensées. Aujourd’hui, les choses semblent différentes. Quelque chose me parle, du moins, dans cette manière de pensée. Et plus avant, ça fait sens. Ça amène à frôler quelque chose de concret, à portée. « A coup sûr, il a utilisé une technique dont tout le monde a oublié le nom. »
“C’est ce que je pense aussi…”
Et quand tu as la gueule d’une gamine dépitée, je ressens le frisson inverse. J’y suis pas, mais je sens que je loupe quelque chose. Quelque chose de tout près, à portée. Peut être dans ce que j’ai lu… Le Japon, les techniques oubliées… On aurait dû partir là dessus dès le départ. A minima, ça fait de nous des idiots.  « Il était très occupé quand on y retournait, et je passais beaucoup de temps avec une gouvernante. Je crois qu’il a arrêté de m’emmener à partir de mes dix ans, je ne suis pas sûre de l’âge que j’avais ; peut-être que le dernier voyage là-bas était à mes onze ou douze, mais je ne venais plus avec lui quand il devait y travailler, ça c’est sûr. Au début oui, parce qu’il devait penser que garder un lien fort au Japon serait moins brutal pour moi que de ne plus jamais y aller, mais en vérité, je désirais seulement être avec lui. Chose problématique : on ne peut pas emmener une enfant à un rendez-vous professionnel, encore moins à une assemblée de ministres. Surtout que j’étais pas la plus facile et la plus sociable qui soit…  » Il serait sans doute attendu de moi que je sois navré pour cette solitude, de m’y projeter, de supposer de ses sentiments. Je délaisse pourtant ces émotions pour me mettre à la place du père. La difficulté de poursuivre sa vie professionnelle, ses engagements, ses craintes aussi. A trimballer sa fille sans avoir sans cesse le regard sur elle, pouvait-elle être mise en danger ? Au contraire, risquait-elle de voir quelque chose qu’elle aurait pu révéler à la mauvaise personne ? Ces amis que Masa n’avait pas, était-ce une véritable volonté ou un besoin plus formel ? Au delà du carnet se découvre tout le mystère d’un père, les risques engagés, ses combats, ses erreurs. Et la raison de sa mort…
« Je crois... » La tension dans tes paupières, le jeu de tes doigts sur la table. T’es pas loin, et si je ne craignais pas faire refluer le souvenir en effleurant ton esprit, j’y serais déjà. Mais il me semble qu’il a le caractère d’un animal sauvage ; une proie qui rentrerait dans sa coquille dès lors qu’elle se sentirait observée. « …que je ne me suis jamais autant ennuyée qu’à cette période de mon enfance. Et lui, il a eu du mal à jongler entre moi et son travail. »  Pas la place d’une enfant. Mais nos pères respectifs ont toujours eu cette aptitude à mélanger des mondes qui devraient rester séparés. Dans l’ennui d’hier pourrait bien se trouver la solution d’aujourd’hui.  « Hm...quand on allait là-bas, on séjournait un peu en dehors de Kyoto, dans une maison qu’il avait achetée dans sa jeunesse. Ce n’était pas bien grand, mais je me souviens que c’était entouré de jardins et que des pruniers y étaient toujours en fleurs… »   Je tique, au même instant qu’elle le fait. Ce qu’elle évoque se recoupe avec les souvenirs que j’ai arpenté tant de fois.  « Ah, mais oui... On y allait souvent pour le nouvel an, et on y restait quelques jours parce que deux fois, il m’a emmené voir des temples. »   ça fait sens. On affine. Les lieux, les périodes, les dates peut être. Ça n’amène à rien à première vue et pourtant je vois bien qu’il en ressort petit à petit des précisions que nous n’avions pas quelques jours plus tôt.  « Enfin bref, peu importe. Même s’il avait quelques jours de congés début janvier, il avait quand même des choses à faire : tout ce qu’il m’en disait, c’était qu’il devait régler des affaires, sans jamais donner de détails, ni de nom. »  Jamais rien de plus. Approuverait-il seulement ce qu’on fait aujourd’hui ? Serait-il inquiet ou en colère de voir la voie dans laquelle sa fille s’engage ? Aurait-il voulu l’en préserver, l’extraire de là, lui répéter que s’il ne l’y a jamais mêlée, ce n’est pas pour la voir s’embourber dès lors qu’il ne serait plus là pour veiller sur elle ? L’idée me semble absurde, décalée et pourtant pas si impossible. Pour autant m’y accrocher n’a aucun intérêt. Tout ce qui concerne l’avenir, les tombes et le vide n’a pas à interférer. Le choix est fait.A présent il convient d’avancer et de s’y tenir. « Quoi d’autre...quoi d’autre… »  

Ton regard tombe sur tes mains, sur le sachet de sucre que tes doigts usent à force de le triturer sans cesse. Les deux pans de papier ont tant été frottés l’un contre l’autre que j’en devine les fibres amincies dont la structure ne tient plus qu’à peine. Pourrait-on, à force de mêler nos esprits, percevoir le monde comme le fait l’autre ?
Un instant, je songe à Aileen, aux nuits passées, aux sens qu’on mêlait jusqu’à l’oubli lui-même. Pas le sujet.
Ton visage a perdu toute expression et je fronce les sourcils. Impossible de partir avec toi, tu m’en as privé en baissant les yeux. De si grandes capacités, bloquées par un geste si banal. A-t-on crevé les yeux de légimens de naissances comme on a failli le faire pour moi ? Une information inexistante dans des bouquins inexistants dans une bibliothèque qui se soucie bien peu de ce que toi et moi sommes… J’abaisse les épaules de quelques centimètres et me penche pour attraper ton regard comme si ce simple mouvement pouvait te faire relever les yeux. Mais ça n’est pas le cas. Pourtant je vois dans ton air fixe que tu attrapes enfin ce que nous cherchons à l’instant-même où je me sens lâcher d’un rien ma concentration. La fatigue peut être. La fatigue n’a pas sa place.
Je souris dès que tes muscles se crispent. L’instant suivant, tu m’as emporté avec toi dans le passé. Arraché au présent comme on prend un portoloin, droit vers un univers de coussins et de draps qui me laissent interdit. Deux chaises, un semblant de tente, des biscuits et un livre d’image. Je ne comprends pas. Et d’une manière pourtant, ça fait sens. Cette manie de faire et défaire, la sécurité qui émane des lieux mais la solitude et l’envie de se couper de l’extérieur. L’excitation de l’enfance lorsque le père revient, le fracas de ses pas sur le parquet. Rien de tout ça ne m’est familier et pourtant le rejet qu’elle éprouvait envers cette femme devient le mien sans que je cherche à luter. Son impatience lorsque sa petite main se referme sur celle, si grande et froide de son père, cette manière qu’elle avait de plisser le nez à l’odeur du clou de girofle et la pression de la grande main pour la tenir au calme. J’ai beau regarder la scène avec des yeux d’adulte, les paroles restent indistinctes et le visage de cette femme m’apparaît comme si j’étais atteint d’agnosie. Reste cette volonté folle de passer enfin du temps avec l’homme qui gonfle sa poitrine d’enfant de fierté et d’espoir. Et écrase celle de l’adulte que je suis, parfaitement incapable de comprendre ce sentiment-là. Il m’emplis, pourtant, et pour une fois, je me vois inapte. Tout à la fois imbécile et obtus face à ces sentiments qui m’angoissent et m’envahissent et incompétent à les assumer tout à fait. Tes émotions sont les miennes, et toi comme moi nous détournons d’ordinaire. Mais tes paupières ne se ferment pas et les miennes résistent tout autant à cette tentation lâche et fébrile.
Je suis là. Je ne pars pas et je crois que tu t’y raccroches aussi fort que cette gamine à la main de son père. Ça devrait me mettre mal à l’aise et tout, dans le fond, le fait. Mais ça comme le reste, je le mets de côté, trop conscient de ce souvenir instable qui manque de t’échapper pendant de trop longues secondes. J’ignore l’humidité qui fait peut être trembler ta vision et le risque d’être considéré comme étranges du point de vue extérieur.
Ce fragment de vous, tu n’as pas le droit de le laisser filer. Et je n’ai pas le droit de faire dans le sentimentalisme pour préserver qui que ce soit quand on pourrait attraper la solution là, maintenant.

La mémoire se disloque et tu accoles les morceaux comme tu peux. Une nouvelle fois, une part de moi s’enfuit ailleurs et tente d’absorber les souvenirs de ton père, de les y lier, d’en faire émerger quelque chose. Mais comme toujours, ils sont de la brume dans laquelle je me perds sans réussir à lui rendre sa texture. C’est entre toi et lui. Et je suis incapable d’y faire quoi que ce soit. Mais là encore, pas de sentimentalisme. Ma frustration et mes colères sont hors sujet.
La tienne, nous amène jusqu’à la porte, là où il s’apprête à de nouveau te laisser. Là où, surtout, une autre réminiscence se superpose, lorsqu’il sort ce fameux carnet de son attaché-caisse. Un frisson électrique passe sous ma peau.
Il est là. Neuf je crois. L’odeur, la qualité du papier, le brillant de sa surface. Ça y ressemble, mais ces souvenirs sont si instables qu’il pourrait s’agir d’une volonté de toucher au but.
Ils peuvent modifier jusqu’à cet air que ton père prend. Se sent-il coupable ou veux-tu qu’il le soit ? ‘Pas mon job de pointer ça du doigt.

« Je reviens dans deux heures, Sanae.
– Non ! Je viens avec toi.
– Tu ne peux pas, je dois faire une dernière course avant de rentrer. Tu resteras avec Madame Higashi, sois sage. »


Si seulement il était possible de passer d’un esprit à l’autre. D’être un marcheur de souvenirs. Y a-t-il des gens comme nous, à s’être perdus dans le passé ? Est-ce un risque pour toi ? Toi qui te prend chacune de ces secondes droit dans le poitrail ? Le mien se serre tant j’ai envie de mettre les points sur le I à cet homme sourd à la colère de son enfant. L’adulte que je suis, l’enfant qu’elle était.. J’ai toujours eu du mal à garder une forme de recul quand j’entre si profondément dans la psyché de l’autre. Ça faisait peur hier. Ça me noie seulement aujourd’hui et je ne garde contenance qu’en me sentant crisper les doigts contre ma cuisse et la table.
Le calme.
Le recul.

Elle avait besoin de toi. A quoi ça sert de lui promettre tant si c’est pour la laisser en arrière ?

Le recul peine, je sais.

« Non !
– Sanae, ne sois pas têtue.
– Je veux venir ! Laisse-moi venir ! »
« Qu’ai-je dit sur les cris ? dit-il d’un ton calme et doux, et voyant que je ne réponds pas, il poursuit. On n’obtient rien de viable par des hurlements. De bon coeur, on te donnera plus volontiers ce que tu demandes si restes calme. »

Elle n’aurait pas besoin de crier si tu daignais l’écouter…

Cette frustration d’enfance, cette manière qu’elle a de se tortiller comme si ça allait y changer quelque chose, le grondement entre ses lèvres ; en d’autres circonstances, tout ça m’agacerait. Aujourd’hui, ça presse mes côtes sans porte de sortie.
« Dis-moi où tu vas…
– Je vais voir un vieil ami qui doit me rendre un service.
Ah !
– Quel ami ?
– Tu ne le connais pas, mais il est le seul à pouvoir m’aider et il est la raison de notre voyage ici. Plus vite je serai parti, plus vite je serai rentré, n’est-ce pas ? »
‘Notre voyage ici’ ? Où sont-ils ? Quel ami ? Quelle raison ? On touche au but, assez pour me dégager des émotions de l’enfant pour transmettre le grésillement de la recherche jusqu’entre les synapses de l’adulte.
« Moi, je peux t’aider. » Oh crois-moi, n’essaye jamais d’aider un père. C’est là le pire des pièges à cons.
« Mon enfant, tu m’aides déjà tous les jours. Maintenant, laisse-moi partir, on m’attend.
Mouais.
– On t’attend où ? C’est loin ? » Merci petite fille, de poser nos questions.
« Ce n’est pas si loin, mais je vais devoir marcher une partie du chemin et j’aimerais le faire avant la nuit tombée. Allons, allons, tu vas me mettre en retard avec tes questions. Madame Higashi, donnez-lui deux carrés de chocolat, cela lui fera plaisir. » De la marche. Je sais qu’il ne transplanais que rarement, comme pour les autres pans de la magie. Malgré tout, est-ce la seule raison ?

Sur ces questions, la petite fille est entraînée en arrière et les vagues d’un nouveau souvenir remplacent le précédent.
La crispation n’est cette fois pas la sienne. Si son petit corps s’extrait du futon au sol pour aller faire coulisser les panneaux en bois  et papier d’une maison traditionnelle japonaise, je ne peux m’empêcher d’y projeter un petit bout de moi. Ces lieux que je n’imagine pas. Auxquels je ne me raccroche pas. Ils sont les siens, jusqu’au temple trône en amont de mes murailles, seul lien vers un pays que j’ai toujours gardé à distance. A chaque plongée dans son enfance, je ne peux qu’imaginer quelle aurait été ma vie, si j’avais été là-bas moi aussi, dans un orphelinat sinistre.
N’as-tu pas, rongée par ta colère, failli dépasser les bornes, atteint l’esprit de ton père ou celui d’Higashi ?
Toujours pas le sujet. Ton petit corps se penche et au travers de la lumière chaude, ton père se penche pour apposer les premiers mots sur son carnet.

Ça serait si tentant de traverser le tatami, dépasser la structure du panneau coulissant, d’éclater le papier washi ou d’en faire sauter les tessons de bois. Franchir le parquet et atteindre ce bureau..
Mais ça ne servirait à rien.

Et un battement de paupière emporte avec lui odeurs organiques, froissements de la nuit et fraîcheur du japon.
Les couleurs minérales des reflets aquatiques teintent sur la migraine qui approche en moi. Les odeurs de la brasserie et la cacophonie de couverts et de paroles s’opposent à cet entre-deux duquel j’ai du mal à me sortir, encore empli des sentiments de l’enfant. Du mal à m’y confronter, j’admets. Plus encore d’avoir conscience de ceux qui chahutent l’adulte.
« Un vieil ami donc… » Les traits plissés, le regard arrêté sur un banc de poissons qui fait des allers retours à un mètre de portée de la vitre derrière elle, je hoche du visage sans commenter.  « Au moins, je suis maintenant certaine que c’était ce jour-là. Pas que nous soyons plus avancés pour autant... »
“Détrompes-toi, on avance..” nous autant que mon mal de crâne.

Un instant, j’inspire en espérant que ça suffira. Mais les maux de la légilimencie me sont trop communs pour me permettre de céder à la naïveté. Je sors alors une branche d’une poche. Amère et filandreuse, elle la connaît bien. Plutôt que de reporter mon attention sur mon bol de khir, je machonne le bout de bois sans lâcher les poissons du regard. Besoin de revenir en moi, de me réaligner.
Je m’investis trop.
Jusqu’à quel point peut-on se perdre en l’autre ?

A mordre dans le liège, j’en emporte un morceau et lui tend le second sans commenter.

“Tu sais où c’était ? Il a dit pouvoir atteindre l’ami en question à pied, avant la nuit. Ça donne quelques indications. Et Higashi, elle est toujours en vie ?”

Des fils que je tire pour penser à la solution et non au problème. Des moyens détournés pour concentrer mon esprit sur le présent et non sur ce qui vibre en arrière plan. Mais parmi ces grésillements parasites, je le sais, tout ça me pousse à effleurer une hypothèse que je n’arrive pourtant pas à comprendre. Il y a quelque chose, dans mes propres souvenirs.
Ça me parle, tout ça. Mais d’où ?

Je fouille les grottes, les cavités. Et elle ? Buterait-elle comme je le fais sur son esprit ? Serait-elle si inutile ? Personne n’a dit d’elle qu’elle était le sorcier le plus puissant de sa génération… pour autant, elle attend de moi des résultats, pas un idiot incapable de faire littéralement la seule chose qui a jamais été instinctive pour lui.
Mais les résultats, elle les trouve d’elle-même. Et lui donner accès aux galeries de mon esprit n’est pas envisageable. Alors je cherche. Et la racine fibreuse se coince entre mes dents et m’arrache une grimace par la saveur amer qui s’en dégage.

“Côté Hastings, personne ne pourrait connaître ?”

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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Ven 23 Fév - 16:14
Là, entre ma tasse de thé et la petite assiette à dessert, les reflets de la mer créent des vagues bleutées sur la table. La tête baissée, je me perds dans leurs mouvements réguliers. J’aimerais n’exister que dans ces ondulations lumineuses, me laisser porter par leur rythme, par leur forme,    n’appartenir qu’à un flot, qu’à un courant ; et peut-être est-ce déjà le cas depuis un moment, peut-être ne suis-je que le reflet d’une vague, la projection d’une lumière qu’on observerait à travers une vitre ensorcelée. C’est sans doute ça. Étais-je donc à moitié fantôme, à moitié cendres ? Qu’adviendrait-il, avec le temps, de cette moitié de moi qui ne vivait plus ? Où vont les souvenirs qui s’effacent, les pensées qui s’envolent ?

Je me souviens de quelque chose dans cette demi-seconde où la mer se fracasse sur mon crâne et où je ne suis que le reflet d’une vague : j’avais un jour demandé à mon père s’il se souvenait d’avoir été un enfant, si sa mémoire avait gardé les précieux moments de son enfance, ou si l’encre s’était effacée au fil des pages. « J’ai oublié, pendant longtemps, les petites choses de mon enfance ; j’ai cru les avoir perdues définitivement et les avoir remplacées par d’autres souvenirs. Mais plus je vieillis et plus je me souviens… cela me prend comme un frisson, remonte d’un seul coup, et je retrouve l’odeur de ma maison, je revois un vieux jouet auquel je tenais, ou le visage de ma mère passe soudain devant mes yeux sans que je ne sache pourquoi ni comment ces souvenirs me reviennent. » m’avait-il dit. Et puis, il avait eu un sourire triste et avait laissé son regard divaguer sur l’horizon avant d’ajouter que c’était drôle de vieillir… Drôle, oui, de retrouver des bouts de soi qu’on croyait perdus. Drôle de se sentir un peu plus entier à mesure qu’on se souvient d’anciennes vies, de soi du passé.

Les souvenirs que je viens de partager avec Logan ne sont pas seulement douloureux parce qu’ils contiennent des traces de mon père, mais parce qu’ils ont aussi des traces de ce que j’avais été moi. Plus les années passent, plus on laisse des pans de vie en arrière ; des moments pleins de morceaux de nous et de ceux qu’on aime ou qu’on a aimé sont continuellement abandonnés, contenus seulement dans notre mémoire sans garantie de rester fidèle ou entiers. A peine vécu, l’instant est déjà passé ; il nous glisse entre les doigts et je passe mon temps à me demander si je me souviendrais de ce à quoi je pense maintenant, de ce que je ressens là à cette table, ou de si je retiendrais les traits concentrés de Logan et l’empreinte de son esprit sur le mien. Y aura-t-il un temps où je penserai avec nostalgie à nos recherches en Inde ? Un temps où tout sera perdu et où je serai seule avec mes souvenirs flous et mes sensations délavées, recherchant sans cesse à revivre ce moment-là ?
Je relève les yeux vers Logan. J’ai soudainement envie que tout soit vrai, palpable, concret. Je ne veux pas me souvenir d’aujourd’hui comme je me souviens de mon enfance, à regretter de ne pas poser les bonnes questions, à sentir tout m’échapper à mesure que j’essaie de le retrouver. Je ne veux pas, surtout, qu’un jour cet homme inaccessible du passé soit celui qui se tient devant moi.
« Détrompe-toi, on avance. » me dit-il.
Je me retiens de lever les yeux au ciel. On avance ? Dans quelle direction ? En arrière ? La frustration et la fatigue me rendent mauvaise, mais je ne dis rien. Logan sort un bout de la racine qui nous délivre à chaque fois de nos migraines, en croque un morceau et me la tend. Je n’en raffole pas bien sûr, le goût amer et la texture fibreuse une fois mâchée reste trop longtemps sur la langue. Il n’y a pourtant rien de plus efficace contre nos maux de légimens. Je croque et grimace.

« Tu sais où c’était ? Il a dit pouvoir atteindre l’ami en question à pied, avant la nuit. Ça donne quelques indications. Et Higashi, elle est toujours en vie ? 
– Je peux retrouver la maison qu’il possédait à l’époque à Kyoto, mais c’était il y a longtemps et il l’a vendue depuis pour en racheter une autre. J’appellerai son notaire, il devrait pouvoir retrouver les papiers de la vente, dis-je d’un air pensif. Quant à Higashi, elle est sans doute décédée depuis, elle n’était pas toute jeune, mais je me renseignerai. »
Ce sont des pistes, je le sais, mais par prudence, je m’empêche d’y croire. Je glisse ce qui reste de la racine vers Logan et croise les bras sur la table. La maison, Higashi...tout ça indique une certitude : notre chemin nous mènera au Japon. Il y avait peu de doute jusque-là mais en être sûre propulse un sentiment étrange en moi. Une appréhension sournoise, aussi piquante que l’angoisse, s’insinue dans mon coeur pour l’accélérer. Logan ressent-il la même chose ? Viendra-t-il avec moi ou sa coopération s’arrêtera-t-elle à cette limite ? Y est-il seulement déjà allé ?
« Côté Hastings, personne ne pourrait connaître ? » demande-t-il alors.
Je lève un sourcil. Et immédiatement, un mal aise me prend à la gorge. Je parle rarement de mon père avec James, comme s’il s’agissait d’un sujet tabou. Pourtant, je sais que ce serait une bonne idée de lui demander ; une idée que j’aurais du avoir avant.
« Je demanderai. » dis-je simplement, pour couper court.
En vérité, je crains que poser trop de questions mettent James et Kezabel sur la piste de ma vengeance. Or, à part à Logan et Margo, personne n’est au courant de mon projet. Je sais déjà que le meilleur ami de mon père s’y opposerait et que Kezabel serait si inquiète qu’elle voudrait m’accompagner, même si sa colère à l’égard de Masahiro n’était toujours pas calmée. Je prends une inspiration et me repositionne sur ma chaise, les coudes sur la table, penchée vers Logan.

« Bon, résumons : une technique japonaise, probablement ancienne et oubliée, qui aurait poussé mon père à aller à Kyoto pour ensorceler son carnet. Une technique qui, en plus, serait celle d’un … ami (mais pas un ami au point de me le présenter), vivant apparemment pas si loin de la maison que mon père possédait. » Coïncidence ou l’avait-il fait exprès ? Pourquoi avoir vendu la maison alors, si elle était près de celle d’un si vieil ami ? Une moue sur les lèvres, je réfléchis à voix assez haute pour que Logan puisse m’entendre : « Mon père était très admiratif des sortilèges compliqués qui mêlent plusieurs choses en une, avec plusieurs étapes pour obtenir un résultat final et une structure très...organisée. Je le sais parce que son esprit était un peu comme ça...très compliqué et à la fois extrêmement logique une fois qu’on a compris le principe. » Je me penche un peu plus sur la table. Je ne crois pas avoir jamais parlé de l’esprit de mon père ; sans doute parce que c’est la chose la plus intime qui appartienne à quelqu’un pour moi. Mais parce que Logan est une étrange partie de moi, si bien intégrée qu’il faut parfois me faire violence pour m’en dissocier, je n’hésite pas à poursuivre : « La raison pour laquelle je sais si peu de choses sur lui est que ses souvenirs étaient extrêmement fragmentés. Ce n’était pas un dédale, un labyrinthe ou des centaines de portes et de couloirs, non, c’était très simple finalement : un seul espace contenant tout de lui. Sauf que cet espace était organisé d’une façon si propre à lui qu’à moins de le connaître, c’était impossible de retrouver le fil d’un seul souvenir. Tout s’entrecroisait, se recoupait, comme si tout n’était que de racines d’arbres sur le sol dont on ne saurait pas d’où elles partent, où elles vont, ni à quel arbre elles appartiennent. Il travaillait ses associations d’une façon bien spécifique, ce qui donnait des regroupements de morceaux de souvenirs sans queue ni tête. Pourtant, pour lui, ça faisait sens. Il ne s’y perdait jamais parce que c’était sa logique à lui, sa structure. » Je hausse les épaules et pince une miette de gâteau au chocolat entre deux doigts avant de la porter à ma bouche. « Enfin bref… ça m’étonne pas qu’on galère autant avec ce carnet. Vu les informations sensibles qu’il doit y avoir dedans, je comprends qu’il l’ait aussi bien protégé que son esprit. »

Mon regard revient sur Logan et je me mords l’intérieur de la joue avant de céder à la tentation de demander. « On dirait bien qu’aller au Japon devient inévitable…. » Je fais une courte pause, juste le temps d’avoir toute son attention. « Tu y es déjà allé ? ». Je suis presque sûre que non, lui qui met toujours beaucoup de distance avec une partie de ses origines. Tout comme je ne l’ai jamais entendu parler de sa mère biologique, il n’a pas non plus pour habitude de parler du Japon. J’avais été surprise de l’entendre, une fois, écouter un des disques de mon père, et je n’avais pas su si c’était par ce lien à une partie de lui-même dont il ignorait tout ou si c’était mon père qu’il recherchait d’une manière détournée. Encore une fois, les frontières entre nos deux existences demeurent troubles. Pire, j’ai l’impression qu’elles se confondent de plus en plus. Est-ce une mauvaise chose ? Y a-t-il un réel danger à se fondre l’un dans l’autre ?
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Mar 27 Fév - 10:38
Nous nous rapprochons. Je le sens dans la légère tension à la surface de mon épiderme. Là où elle ne ressent que la frustration de l’échec et des portes closes, il me semble distinguer une nouvelle idée quelque part dans la multitude de mes souvenirs. Mais impossible de mettre le doigt dessus. Je vois sa concentration et les phases où ses pensées deviennent plus lugubres. Je sens la fatigue jouer sur ses nerfs et la lassitude l’emporter sur l’engagement. Je sais surtout qu’elle explore sans cesse des parts de ses souvenirs qu’elle voudrait laisser de côté plutôt que d’en ressentir la morsure à chaque instant. Une seconde, je songe à Alec, mais repousse cette pensée pour laisser l’espace à nos investigations. Ce qu’elle considère être une impasse est pour moi une piste évidente.

– Je peux retrouver la maison qu’il possédait à l’époque à Kyoto, mais c’était il y a longtemps et il l’a vendue depuis pour en racheter une autre. J’appellerai son notaire, il devrait pouvoir retrouver les papiers de la vente, dit-elle d’un air pensif. Quant à Higashi, elle est sans doute décédée depuis, elle n’était pas toute jeune, mais je me renseignerai. »

J’acquiesce en silence. Est-ce que trouver la maison en question nous aiderait ? Y aller, et puis quoi ? Interroger les voisins, prospecter sur un rayon équivalent au temps que Masahiro a pu mettre pour aller chez son ami ? Ça me semble ridicule. Ou plus exactement, le ridicule ressenti correspond à un recul immédiat que je sens agir en moi comme quand on approche la main d’une flamme. L’idée d’aller sur place me crispe tout autant que je sens Sanae l’être lorsque j’évoque les Hastings.

« Je demanderai. »  Et je doute qu’elle le fasse. James froncera des sourcils, finira par en parler à sa fille et Kezabel tiquera. Elle comprendra bien sûr, immédiatement, et s’empressera de raisonner sa sœur ou d’affirmer qu’elle viendrait avec elle. Est-ce qu’alors, Sanae continuerai ? Y aurais-je encore ma place ? Question stupide, bien sûr que non.
Je laisse mon regard traîner un instant dans le sien.
Non. Elle ne le fera pas.
Et je ferai mine de l’ignorer.

Coude sur la table, elle balaye le sujet en reprenant la parole. Histoire de noyer le poisson, donc. Et bon joueur, je la laisse faire. « Bon, résumons : une technique japonaise, probablement ancienne et oubliée, qui aurait poussé mon père à aller à Kyoto pour ensorceler son carnet. Une technique qui, en plus, serait celle d’un … ami (mais pas un ami au point de me le présenter), vivant apparemment pas si loin de la maison que mon père possédait. »  Pourquoi présenterait-il le moindre ami à une enfant ? L’idée sonne étrange, issue d’un monde qui n’est pas le mien. Mais l’enfant a grandit. L’ami serait-il mort depuis ? Ou hors d’atteinte ? Ou est-il seulement effectivement de ceux que Masa a gardé loin de sa fille pour des raisons qui lui échappent à présent. La protéger ? Le protéger, lui ? Ou bien cet ami n’avait-il rien d’un ami, ce qui expliquerait la vente de la maison ? Chaque question est une piste mais chaque piste a, vu d’ici, des airs de culs-de-sacs. Dans une moue, elle tique, sans doute aux proies avec des interrogations similaires aux miennes, puis poursuit : « Mon père était très admiratif des sortilèges compliqués qui mêlent plusieurs choses en une, avec plusieurs étapes pour obtenir un résultat final et une structure très...organisée. Je le sais parce que son esprit était un peu comme ça...très compliqué et à la fois extrêmement logique une fois qu’on a compris le principe. » Cette fois c’est moi qui tique, tout à la fois intéressé par la découverte de l’esprit d’un autre légilimen tel que cet homme… et à la fois happé par quelque chose dans ses propos. Quelque chose… une texture. Une impression. Cette sensation similaire à celle d’avoir oublié quelque chose en sortant de chez soi sans pour autant réussir à mettre le doigt dessus. Ça me prend avec violence mais est tout aussi vite repoussé par la curiosité de l’entendre évoquer la nature de l’esprit de son père. Mes sentiments n’ont jamais été plus contradictoires envers lui qu’à cet instant. J’ai une colère pour lui dont la couleur est aussi vive que la curiosité qui m’attire vers ce personnage. Une forme de respect aussi, moins bien gérée. : « La raison pour laquelle je sais si peu de choses sur lui est que ses souvenirs étaient extrêmement fragmentés. Ce n’était pas un dédale, un labyrinthe ou des centaines de portes et de couloirs, non, c’était très simple finalement : un seul espace contenant tout de lui. Sauf que cet espace était organisé d’une façon si propre à lui qu’à moins de le connaître, c’était impossible de retrouver le fil d’un seul souvenir. Tout s’entrecroisait, se recoupait, comme si tout n’était que de racines d’arbres sur le sol dont on ne saurait pas d’où elles partent, où elles vont, ni à quel arbre elles appartiennent. Il travaillait ses associations d’une façon bien spécifique, ce qui donnait des regroupements de morceaux de souvenirs sans queue ni tête. Pourtant, pour lui, ça faisait sens. Il ne s’y perdait jamais parce que c’était sa logique à lui, sa structure. » Je fronce des sourcils en mâchonnant la racine fibreuse. J’aurais aimé visiter cet esprit, non comme le conquérant que je suis d’ordinaire, mais comme l’homme qui voudrait en comprendre les rouages. C’est une pensée absurde qui n’a de cohérence qu’au travers d’une situation fictive. Face à l’homme vivant, je n’aurai pas eu la même approche. Mais n’ayant vu les bordures de son esprit qu’au travers de celui de Sanae, j’en éprouve une curiosité amère. Un jeu de poupées russes qui nous fait croire à la réalité physique de ce que l’on visite alors qu’il ne s’agit de rien d’autre que d’écrans de fumée…
Elle joue avec une miette brune, l’écrase, la porte à ses lèvres. Comme si elle ne venait pas d’aborder un sujet d’une intimité folle comme ça, à l’oral, à la table d’un bistro, loin de tout. Mais pas de moi. « Enfin bref… ça m’étonne pas qu’on galère autant avec ce carnet. Vu les informations sensibles qu’il doit y avoir dedans, je comprends qu’il l’ait aussi bien protégé que son esprit. »
Je fige. Le regard droit, les traits immobiles. Là. J’le tiens. C’est là, à portée de main. Cet arbre aux racines emmêlées, ces regroupements de souvenirs qui se mêlent jusqu’à ce que.. . « On dirait bien qu’aller au Japon devient inévitable…. » Jusqu’à ce qu’ils soient impossibles à tout à fait discerner les uns des autres, comme un nuancier dont on ne pourrait distinguer les transitions tant celles-ci seraient subtiles. Ou la structure de mailles d’un vêtement fait de plusieurs fils de laine.
Un… « Tu y es déjà allé ? » Tissage.

Mon regard n’a pas bougé. Pas cillé.

- Non.

C’est sec. Mais pas pour les raisons qu’on imagine. Je suis d’une incommensurable connerie. La voix m’est lointaine. Je vois au delà de Sana, ne l’écoute pas tout à fait, ne perçoit ni le froissement de ses traits, ni la forme de son visage, ni les mouvements d’eau derrière elle. J’ai plongé dans les méandres des souvenirs, droit dans le quotidien d’un couple qui ne l’a jamais été. Je revois l’engueulade, les traits tirés d’Aileen, ses lèvres tremblantes, le léger voile humide, puis Takuma que je chope par la fenêtre et son esprit que je fracasse par revanche.
Simplement parce que l’idée que ce vermisseau ait couché avec elle me rendait dingue.
Il y a toujours eu sur leurs deux fronts le mot “couple” de tatoué. Peut être est-il avec elle maintenant.

Hors propos.
Totalement hors propos.

Mes doigts se crispent sur la serviette.

- Je sais qui on doit aller voir. Je le revois tisser des sorts dans la salle commune alors qu’il faisait mine d’être un idiot fini en classe. Je le revois aborder des techniques que je n’avais jamais vu de ma vie. Des sorts entremêlés, comme s’il les rendait assez physiques pour les lier et les tisser. Ton père était un tisse-sort.

J’ai un frisson et pour la première fois mes paupières battent et l’image fait de nouveau le focus sur Sanae.

Puis un dernier souffle.

- On rentre à Londres.


***


C’est ce qu’on appelle une idée de merde.

Les mains plantées dans un long manteau, la capuche profondément enfoncée sur mon visage dont les traits ont été modifiés au mieux par différents sortilèges - qui me brûlent et me grattent et me font véritablement douter du résultat à long terme - j’avance aux côtés de Sanae sur les pavés. Les pas font vibrer chaque flaque d’eau aussi bien que le brouhaha général et les éclats de voix.
On dépasse Au plumes d'Amanuensis, passons à côté de Fleury et Bott et contournons une délégation de police qui arrête les passants au hasard pour les interroger. Ainsi, c’est Slug & Jiggers que nous contournons et sans nous regarder je sens la tension émaner d’elle autant qu’elle implose dans mon propre organisme. La magie pulse en moi. Sa baguette est à portée. A tout instant, nous risquons de finir dans les cachots du Ministère, comme si d’un commun accord, nous avions décidé de faire le pire de chacun des choix qui se présentait à nous. Un pied de nez aux possibilités.

Que disais-je déjà ? Refuser ce lien, trop certain de l’issue qui nous est échue. Je revois pourtant son visage ce jour-là, dans son lit, éclairé par les lueurs d’une froide matinée.

Marcher entourés de centaines de sorciers dans la ruelle la plus populaire du pays… En accord l’un et l’autre pour cette profonde stupidité.
Du même acabit qu’une certaine visite dans un manoir familial.

Quelle idée Takuma a-t-il eu d’avoir une boutique ici ?!

Le Veaudelune. Un nom stupide pour des bestioles ridicules et une devanture… passable. Sanae tire la manche de mon manteau et nous bifurquons. Elle vérifie l’intérieur, entre, et je passe à sa suite.

Elle est encore retournée quand je croise le regard d’un Takuma adossé au comptoir qui nous salue avec un grand sourire commercial.. Qui se froisse dès qu’il croise mon regard. Difficile de l’oublier dès lors qu’il vous a tatoué l’âme, n’est-ce pas ? Je reconnaîtrai mon père même si chacun de ses traits étaient tordus. D’un geste de menton, je désigne le duo de cliente qui font leurs emplettes dans le fond et Sanae vérifie la rue.

Si les gestes d’Hayato n’ont rien de naturels, il s’empresse pourtant d’aller rejoindre les deux clientes et de prétexter un problème en arrière boutique. Il leur fera livrer les deux onguents et la réduction de graines demandée… Puis les accompagne jusqu’à l’entrée où il croise Sanae sans relever le regard vers elle, salue les deux clientes, referme la porte et les vitres s’assombrissent dans un sortilège intégré au verre.

Alors, seulement, il se retourne vers nous. Et tandis que je m’attend à le voir perturbé par ma présence… c’est Sanae qu’il fixe.
Et je jurerai le voir pâlir plus encore.

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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Jeu 29 Fév - 18:37
« Non »
Le mot est sec mais pas brutal. Il coupe court à la conversation que j’espérais avoir avec lui et je fronce les sourcils, frustrée et piquée au vif par son attitude soudain distante.
« Je suis d’une incommensurable connerie, ajouta-t-il.
- Comment ça ? »
Il ne répond pas. Il n’est même pas là, à vrai dire. Son regard est pointé dans ma direction mais il ne me voit pas. Je finis alors par comprendre : ce n’est pas son attitude qui est distante, mais son esprit. Il cherche, attrape et se souvient. Je peux presque entendre le déclic de ses méninges, le voir dans l’éclat nouveau de ses yeux d’acier. Qu’ai-je dit qui ait pu le mettre sur la voie ? Est-ce la mention du Japon ? L’esprit de mon père ? Je n’arrive pas à trouver la connexion, à retracer le chemin de ses pensées, et c’est avec impuissance que je regarde l’épiphanie qui le traverse. Logan est projeté dans ses souvenirs, loin du présent, loin de l’Inde ; notre table n’est plus pour lui qu’une ancre au milieu des vagues et je n’existe plus tout à fait. Sur la table, les doigts de Logan se crispent sur une serviette.

« Je sais qui on doit aller voir. » Je lève un sourcil, et la curiosité me percute. Qui ? Où ? Pourquoi ? Mes yeux cherchent des réponses invisibles, mon coeur manque un battement. « Ton père était un tisse-sort. » dit-il alors que ses prunelles viennent à nouveau accrocher les miennes.

Un tisse-sort… ?

« On rentre à Londres. »




***






Dire que je l’avais harcelé de questions sur le chemin retour serait un euphémisme. Je ne crois pas qu’il se soit passé plus de cinq minutes sans que je ne l’interroge à nouveau sur le sujet. Comment peut-il affirmer que mon père était un tisse-sort ? D’où lui provient cette information ? Et pourquoi vient-il d’avoir cette illumination divine ? Mais surtout...un tisse-sort ? L’espace d’une seconde, j’avais cru à une insulte – espèce de tisse-sort ! Tisse-sort toi-même ! Entre l’Inde et le cottage, les seules réponses que j’ai obtenues ont dressé une image incomplète de ce qu’est un tisse-sort. Dans un étrange mélange de runes, invocations et sortilèges, certains sorciers semblent capables de tisser des sorts entre eux afin de créer un ensemble trop complexe à déchiffrer pour la majorité des autres sorciers. Logan a connu un élève japonais quelques années auparavant qui avait montré des prédispositions pour ce genre de pratique. Je n’ai pas pu en apprendre plus, car Logan lui-même n’en savait pas plus.

Nous sommes passés par la maison pour nous changer et modifier au mieux le visage de Logan. Le résultat est bizarre, mais il couvre un minimum son identité, sauf ses prunelles bleues. L’idée ne m’enchante pas mais l’ancien élève que nous devons voir a une boutique sur le Chemin de Traverse. C’est complètement fou, dangereux, probablement le truc le plus stupide à faire (en compétition évidente avec notre visite au manoir Rivers) mais aucun de nous ne peut rester sans réponse bien longtemps. Et puis, je n’ai que quelques jours de repos au travail pour tout ça, ce qui fait résonner un tic-tac insupportable dans ma tête. A mesure que nous approchons d’une piste solide, on s’agite et on se presse pour la transformer en certitude.

C’est la toute fin d’après-midi lorsque nous arrivons sur le Chemin de Traverse, fréquenté par des centaines de sorciers et sorcières, incluant des membres du Ministère, des sangs-purs et tant d’autres menaces auxquelles je préfère ne pas penser. Logan enfonce ses mains dans les poches de son manteau tandis que la capuche dissimule son visage dans l’ombre ; de mon côté, j’ai revêtu un pull court et sombre sous ma veste longue et j’ai attaché mes cheveux noirs en une queue de cheval haute que le vent vient secouer. Le changement de température et de paysage est brutal, mais nous sommes surtout préoccupés par les gens autour de nous. J’essaie de ne penser aux regards sur nous comme des choses ordinaires et sans danger ; nous ne sommes que des passants sur cette grande avenue marchande, à chercher dans les rues la boutique qui nous intéresse. Seulement des silhouettes qui avancent côte à côte, sans rien dire et sans se regarder. Pas besoin. Je sais que nous partageons la même fébrilité. A tout moment, tout ça finit dans une cellule du Ministère.

De fines gouttes me fouettent le visage, emportées par une brise glaciale, et je passe une main sur mes traits alors que nous passons devant Fleury&Bott. Un sursaut de panique m’agite quand on contourne une délégation de police qui semble interroger des passants. Est-ce un contrôle de routine ? Sont-ils là pour un incident qui n’a rien à voir avec nous ? Je me rassure : ils ne peuvent pas savoir que nous sommes ici. Mais il ne faut pas non plus que nous nous attardions en leur présence. Qui sait combien de temps les sortilèges de dissimulation sur Logan fonctionneront… Dans la manche de ma veste, je garde ma baguette entre mes doigts, prête à m’en servir au moindre signe de danger.

Je repère la ruelle qui nous intéresse et je tire la manche de Logan pour que nous bifurquions. Il n’y a pas grand monde dans ce coin-là, et de grandes flaques couvrent les pavés. J’accélère le pas et je trouve enfin la devanture de Veaudelune. Boutique d’herbes et de potions médicinales. Dans la boutique, je distingue qu’il n’y a que deux clientes face aux nombreuses étagères. J’entre, analyse la boutique d’un coup d’oeil, sans prêter attention à celui qui vient d’apparaître derrière le comptoir – sûrement l’ancien élève que nous venons voir - et Logan entre derrière moi. Un instant, j’observe les deux clientes occupées à parler entre elles dans un coin en tenant un article dans leurs mains, et jette un œil à la rue pour être sûre que personne ne nous a suivi. Même plus haut, sur les façades en briques, il n’y a aucune silhouette à sa fenêtre qui nous observerait. Bien. Dans mon dos, je sens qu’il y a du mouvement : le vendeur met les clientes dehors. Il a donc reconnu Logan. Sa voix est pressée, bien qu’il tente d’être rassurant, et je fronce les sourcils en détachant progressivement mon regard de la rue. Une étrange impression vient me piquer. Une impression de déjà-vu, de quelque chose de familier…

Je me tourne vers le vendeur qui ferme la porte de la boutique alors que les vitres s’assombrissent, et bien qu’il ne me regarde pas tout de suite, je le reconnais. Des mois auparavant, une nuit d’errance au plus profond de la honte, j’avais partagé un moment étrange avec cet homme, autour d’un café. Un souvenir que j’aurais préféré oublier et qui, maintenant à la surface de mon esprit, me tend violemment. Logan n’a jamais vu ce moment et bien qu’il sache déjà à quoi ont ressemblé mes plus sombres moments, je ne peux m’empêcher d’être gênée. Takuma pâlit en me fixant. La gêne est partagée. Nous sommes alors l’un l’autre un rappel désagréable. Je tente de bloquer toute expression de choc sur mon visage mais je sens mes traits crispés, mes dents serrées.

Un instant de silence entre nous trois. Dans une autre situation, ce serait sûrement hilarant.

« Takuma... » dis-je, d’un ton résigné, sans doute un peu froid. J’évite par-dessus tout le regard de Logan. « Il n’y a personne en arrière boutique, n’est-ce pas ? » Je me concentre sur des choses concrètes, logiques, importantes. Cette conversation ne doit être entendue de personne d’autre que nous trois. « Je me permets. » ajoutè-je en levant ma baguette pour lancer un sortilège d’insonorisation sur la boutique, juste au cas où, et reviens dans ma position initiale. Je croise les mains devant moi, ma baguette entre mes doigts et pince les lèvres. « Bon, de toute évidence, on peut passer les présentations. »


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