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Ven 16 Déc 2022 - 13:46
“La mort n’a jamais voulu de moi.” Voilà ce qu’il aurait souhaité lui dire à percevoir chacun des tourments qui la foudroyaient. “Elle m’avale, me recrache, me laisse chaque fois davantage sali de sa gueule béante, de la puanteur qui y macère. Le boyau de ses horreurs m’est familier, amical presque. J’en connais le chemin de la sortie comme elle me connaît, étrange association de deux monstruosités. Je rentrerai, car je crois que je serai à jamais le dernier debout. Il en a toujours été ainsi, et la vie elle-même n’acceptera pas qu’il en soit autrement. Car même lorsque je baisse les armes et touche le fond, la mort ne veut pas de moi.” Comment aurait-il pu admettre une chose pareille ? Comment aurait-il pu sous entendre la lâcheté qui était la sienne de n’avoir par moment plus eu la volonté d’avancer ? Le manque d’intérêt était là, il gangrenait sa pensée, infusait ses nerfs depuis des mois. Quelle utilité à encore laisser passer une journée ? Pas qu’il ait des pensées suicidaires, ce n’était pas son genre. Seulement le sens lui faisait défaut. Ce n’était pas “trop”. Ni trop à vivre, ni trop à gérer, ni trop à encaisser. Le vide, seulement, répondait à ses épreuves.

Dans le fond, Logan aurait aimé être de ceux pouvant simplement se permettre de lâcher prise. De se perdre, de tomber. Mais par un phénomène qui lui échappait, il était fait d’une trempe dont la prise avec la mort aboutissait à la vie. Une vie martelée à coup de poignards pour laquelle il ne lui était accordé aucun choix. Le pantin d’une existence abusive. Voilà ce qu’il était. L’homme qui ne faiblissait jamais, le roc qui refusait de se fendre, le bâtard qu’on ne pourrait éliminer. Cet homme-là qu’on accusait tant de manipuler et de tirer les ficelles de destinées qui ne lui appartenaient pas ; cet homme-là n’était rien de plus qu’une marionnette.

Comment admettre une telle chose ? Pourquoi même le faire ?

Sanae était arrivée à un moment où il aurait dû passer le voile. Elle était sa survie dans un monde d’obscurités. Elle l’avait ramené sur un chemin dont il ne comprenait plus la texture sous ses pieds. Qu’importe ce qu’il pourrait penser ou éprouver, ce satané chemin se déroulait seul. Pire encore, à sa manière, elle l’y rabattait sans cesse. A chacune de ces entrevues, à chaque fois qu’ils se montraient tant à nu, à chaque partage aussi intenses qu’un orage en pleine mer ; il retrouvait le sentier d’une existence qui ne lui appartenait plus tout à fait. A chaque fois, elle lui rappelait qu’il ne pouvait se perdre dans les obscures forêts qui l’éloignaient de cette cavée. Sans doute aurait-il dû avoir une pensée pour Kezabel mais seul le regard rougi de Sanae captait son attention. Les muscles de ses paupières se contractaient à peine, faisant remonter ses pommettes dans une indistincte expression de souffrance. Il y avait tout à la fois une dureté et une douceur dans ces traits qui le surpris soudainement, comme s’il la découvrait. La peur qui la rongeait lui sembla se déverser droit dans son âme. Leur don restait pourtant étranger à ce qui dégorgeait avec tant de verve. La sensation s’insinua dans sa gorge comme une anguille, s’y tordit, y gonfla. Étrangement, Logan fut incapable de détourner le regard. Il aurait d’ordinaire levé les yeux au ciel, soufflé, balayé cette peine immense d’un revers de main comme il avait pu le faire avec Aileen.
Combien de fois avait-elle tenté ce que Sanae réussissait ? Combien de fois avait-elle voulu ces foutus faces-à-faces ? Esquivés pendant des années, il ne les lui avait jamais accordé avant son départ, lorsque tout était déjà fini. Dans cet entre deux qu’il associait à présent à lui-même. Ni vraiment vivant, ni vraiment mort. Une relation achevée avant d’avoir commencée, telle qu’ils l’avaient toujours perçue. Comme d’autres, sans doute. « Tu poses des questions dont tu ne veux pas entendre la réponse. »
Logan s’était attendu à ce qu’elle combatte. Sans doute cette option l’aurait-elle arrangé. Plus simple, plus accessible. Prévisible. Et pourtant de la voir ainsi, il en eu un pieu entre les côtes. A ces mots, un recul immédiat eu lieu sous son épiderme. Une tension réflexe qui d’ordinaire dégageait dans sa chair un agacement brusque. Pourtant ce qui avait lieu habituellement ne vint pas. Le vide et l’absence avaient créé une chape de protection dans ses nerfs. Une fatigue qu’il ne chercha pas à combattre. Là où, avec Aileen, c’était la conscience acerbe de la fin qui l’avait poussé à accepter le dialogue, l’image de Sanae sur son lit d’hôpital l’emporta cette fois. Le souvenir se dilata avec brutalité dans son esprit lorsque de quelques doigts, elle abandonna une caresse sur sa joue. Ces gestes entre eux étaient rares. Si ce n’était simplement absents de sa propre existence. Jamais l’affection ne s’était exprimée autrement qu’au travers d’une violence certaine. Le sang versé avec Maeve, l’oppression envers Alec, le rejet face à Aileen, le mépris contre Maxence ou la défiance à l’encontre de Dorofei. Seule Ismaelle s’en sortait avec les honneurs.
Ainsi le geste le brûla. Il ne s’en esquiva pas pour autant, mais elle laissa sur sa peau une marque à vif, droit dans une part de lui qu’il ne pouvait qu’assumer en sa présence. De la voir baisser les yeux, la pointe de côté se dilata jusqu’à lui en fracturer le myocarde.

Elle releva les yeux et il eut envie qu’elle se taise. Le pas en avant n’appelait pas ce qui allait suivre. Cette reddition lui mordit l’échine par la tristesse infinie qu’elle portait. « Tu ne sais pas ce que c’est, Logan. Tu es venu de nombreuses fois dans mon esprit mais ça, c’est quelque chose qui t’échapperas toujours. » Elle n’était que tension. Une entaille géante dans les crispations de son visage, les creux de sa voix. Chaque mot devenait une fissure à ses sens. . « Je ne connaissais pas le combat de mon père, je n’ai pas pu voir le danger venir. Je ne savais rien de son implication. Et je n’ai pas pu être à ses côtés. Je n’ai pas pu me préparer. Il n’y a pas de deuil comme celui-là. » Toute la bonne volonté du monde n’aurait pu le protéger du parallèle évident. Contre sa main, les doigts brûlants de son amie le serraient. Cette douleur-là, Logan y aurait sans doute été insensible s’il n’avait pas visité son âme, s’il n’avait pas sentit le martellement brutal de la peine l’écraser. S’il n’était pas devenu muet et vidé par sa douleur. Il pouvait bien taire ses affects, Logan n’y était pas insensible. Ce qui la blessait tant l’avait amené à la retrouver sur la plage quelques mois plus tôt, à comprendre à quel point elle en était dévastée plutôt que d’en dénigrer l’impact. « Je ne veux pas revivre ça. Je ne peux pas revivre ça. »   Des mots comme des balles. Difficile alors d’ignorer ce qui les reliaient, d’encore avancer en loup solitaire persuadé qu’il n’avait aucune place dans l’existence des autres quand il sentait la peur du mal gonfler dans les prunelles d’encre de Sanae. Chaque mot était lâché comme s’il lui brûlait l’œsophage. Droit dans sa poitrine, comme criblé de ce deuil à venir autant que de l’affection qui y perçait. « Mais toi et moi, on s’est liés et je ne voudrais pour rien au monde effacer ça, mais tu ne peux pas me demander d’attendre aveuglément que le danger vienne à toi que tu viennes à lui, sans être là, sans avoir une part dans tout ça, sans … avoir au moins la chance de m’assurer de ton retour. » C’est trop tard Logan. Tes discours sont révolus avant même d’avoir été prononcés. Ils n’existent pas, n’ont pas de poids, car l’affect vous lie déjà trop profondément. Il sillonne vos âmes, les lient de ponts de feu, de lames de glace. Il verse déjà le sang futur. Tu peux te débattre, la repousser, qu’importe la force avec laquelle tu le feras, les liens plantés ne cesseront de se serrer d’autant plus. Le mal est déjà fait. « L’intérêt, c’est que si toi tu ne rentres pas, moi non plus je ne rentres pas. L’intérêt, ce serait de survivre à deux. »   Lorsqu’il dégluti, Logan eu l’impression d’avaler un champ de ronces. Comment lui dire qu’il serait celui qui survivrait ? Comme toujours. Ou bien se berçait-il de ces certitudes qui vous font tenir lorsque l’avenir est plus noir que la nuit ? « Je ne veux pas que tu sois dans mon ombre, et je ne veux pas être dans la tienne non plus. Dans le meilleur scénario, nous pourrions combattre ensemble, être plus forts à deux, et rentrer, ici, chez nous, ensemble. Mais je ne suis même pas sûre que tu sois seulement un peu attaché à ta propre vie, et je ne peux pas t’obliger à aller de l’avant. C’est ça, qui me fait peur, Logan. » Il aurait dû détourner le regard, s’esquiver de la chaleur de son contact, soupirer ou se défendre. Il n’en eut pas la force. Pas alors que la fulgurance de ses souvenirs résonnaient encore entre eux. La violence avec laquelle il avait défendu sa vie n’avait pour échos que le vide avec lequel elle prenait place à présent. Et Sanae le savait aussi bien que lui. Du chaos naissait l’acceptation douloureuse. Cette conversation qu’ils fuyaient depuis des mois s’échappait d’elle-même et laissait leurs gorges râpeuses et alourdissait leurs épaules. Sa langue était sèche, ses mains moites. « J’ai peur qu’entre ton refus de ne serait-ce qu’intégrer la Garde comme formateur et tout ce que tu peux faire en secret qui te mette en danger, il n’y aucune place pour le futur. »
Quelques mots aussi justes que la lame la plus fine. Ils tranchaient son regard d’une fente profonde.
Avait-il seulement jamais réellement envisagé la suite ? A accuser les autres, Logan ne se remettait pas en question. Lorsque Maeve était là, elle lui offrait une autre raison de combattre. Car voilà bien la seule manière dont il avait jamais avancé : de batailles en batailles. La lutte pour seul chemin de croix. Et toute cette peur déversée le prenait de court, elle glissait en lui un vent glacial qu’il ne pouvait qu’admettre. Naïvement, sans doute, Logan avait cru que cette part mal assumée de sa psyché resterait hors de portée. Qu’il pourrait la renier jusqu’à ce qu’elle n’ait plus aucune réalité. Non, le futur n’existait pas. Voilà bien pourquoi il avait tant peur pour Sanae. Parce qu’à suivre ses traces, il n’y aurait que le chaos à l’arrivée. Car lui même n’avait jamais vraiment décidé de s’en sortir. Mains et regards liés, il su qu’il se devait de répondre quelque chose. Mais la contusion à nue n’avait de justifications qu’un silence de plomb. Que dire à ça ? Alec aurait fait preuve de cynisme. Maxence l’aurait rassurée. Un instant, ceux dont il connaissait l’âme se déployèrent en lui. Jordane l’aurait combattue. Enzo aurait été honnête. Ismaelle n’en serait jamais arrivée là.

Que tu te débats mal Logan.

Droit en plein cœur, la vérité y avait percé une béance. L’affection en recouvrait la plaie. La juger inattendue serait malhonnête. Ce qui s’ouvrait comme une lutte de leurs peurs respective s’achevait brusquement par la mise à nue d’une réalité incandescente. Elle couvait ses braises, en maculait la cendre.

Qu’importe ce qu’il ferait, elle faisait déjà partie de son avenir.
Poussé, une nouvelle fois, sur la travée obscure.

Ni cynisme, ni combat, ni assurance. Logan en silence, serra plus fort ses doigts jusqu’à poser son front sur le sien. Les paupières closes, son souffle ralenti. Des barbelés lui roulaient dans la gorge, ses lèvres se serrèrent et finirent par trouver les siennes. Lâchant ses mains, il glissa les siennes contre son cou, jusqu’à ses joues. Puis les laissa retomber dans son dos et se sentit retomber contre elle. Enlacés, le regard échoué quelque part sur le mur d’en face, Logan la serra plus fort encore. “Je suis désolé.” Ses propres mots l’écorchèrent.

De tendresse, tous deux étaient avares. D’affection, pourtant, ils s’avouaient vaincus.

“Je vais..” A vrai dire il n’en savait rien. Alors la promesse fut ensablée par la tempête qui tonnait dans les tréfonds de son organisme. Sans trembler, sa voix râpait pourtant plus que du papier de verre et lui-même n’aurait su expliquer comment il la maintenait si droite alors qu’en lui, tout chavirait. De nouveau, il ferma les paupières et ses doigts maltraités glissèrent sur ce tissu à la douceur de soie. Ça semblait presque absurde. La texture aurait dû être rugueuse sous sa peau. Sous la chair, le textile fut plissé dans une délicatesse étrange, imprégné d’une telle chaleur que Sanae semblait couver un feu vivace. Sur sa peau, un souffle s’échoua à son tour.
Il faudrait trouver quoi dire, bien sûr. De la rassurer, Logan était incapable. La bile avait reflué, ne laissant sous sa chair qu’un affection qui lui semblait presque brutale tant elle l’emplissait en cet instant du besoin d’être autre chose que cette ombre qui s’esquiverait jusqu’à la fin des temps. D’être plus réel et véritable en cet instant que ce qu’il ne s’accordait jamais. De faire mieux, simplement, que ce dont il était capable d’ordinaire. Pourtant les mots ne venaient pas, ils s’échouaient dans sa gorge comme le bois flotté après des mois à dériver. De toutes ces fois où on lui avait tendu la main, de tous ces moments où on avait tenté de construire quelque chose, de tous ces refus qu’il avait dégagé avec certitude, cette fois ne restait que la fatigue de lutter seul, la peur de perdre l’autre, et le besoin de s’ancrer à elle. De la laisser s’accrocher, puisqu’elle y tenait tant. Puisqu’il ne savait être à la fois présent et absent. Puisqu’il n’avait sous la chair que le besoin primaire de s’extraire d’une solitude glaçante.
Ce silence lui faisait presque mal jusqu’à s’inscrire dans une douleur physique. Pourtant lui-même aurait été bien incapable d’exprimer un tant soit peu de ce qui avait lieu sous sa carapace bien fissurée. Lorsqu’il retrouva l’encre de ses yeux, l’acier tremblait et son esprit flottait vers elle, emprunt d’émotions confuses. Il reprit ses lèvres et l’attira davantage contre lui.
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Mar 20 Déc 2022 - 21:30
C’était trop tard. Bien trop tard.
Ça l’avait été dès notre premier échange, dès notre première fusion. Dès l’instant, en vérité, où il était venu à moi dans cet appartement qui avait été le nôtre pendant quelques mois. Peut-être qu’avant ça, nous aurions eu une toute petite chance d’échapper à ce lien, de l’enterrer quelque part en nous et de poursuivre notre route, chacun de notre côté. Nous y aurions pensé mais la cassure de la distance aurait fini par apaiser la curiosité et l’envie de plus. Il aurait été le souvenir de ma première fois, d’une porte ouverte qui se serait refermée aussitôt et j’aurais été une possibilité, un point d’interrogation au fond de lui, derrière de lourdes portes. Je ne savais pas si nous aurions pu nous tourner le dos et partir, mais si ça avait été possible, ça aurait été ce moment-là.

Mais nous nous étions retrouvés et sans l’admettre, nous avions signé un contrat dont les termes nous échappaient. J’avais su sans savoir. C’était idiot sûrement, étant donné le lien que j’avais eu avec mon père, mais je n’avais pas cru possible de retrouver ce partage-là, d’y découvrir une telle intensité, et surtout pas avec lui. Il m’était apparu si réticent à tout, si distant, si peu dans le présent que j’avais davantage guetté la fin de tout que le commencement. J’avais toujours eu ce défaut-là, ce besoin de regarder loin devant et d’essayer d’y déceler les obstacles, les arrêts brutaux, les départs, les abandons. Il y avait des absences et des fins qui avaient le pouvoir de renverser mon monde. La sienne m’aurait déchirée. Elle le ferait sans doute un jour. Et une part de moi s’en voulait de lui imposer cette peur. Je la savais si profondément contagieuse. Mais c’était son défaut à lui, n’est-ce pas ? De n’ouvrir les yeux que lorsque la fin faisait résonner son tambour et que la Mort le toisait de son regard malicieux. J’ignorais ce qu’elle nous réservait. Elle était tantôt l’ennemie, tantôt la promesse d’un repos à venir. Je la détestais autant qu’elle me rassurait.

En cet instant, elle m’effrayait. Et je ne pensais qu’aux dégâts qu’elle ferait en me prenant ce lien, en m’enlevant la seule personne qui pouvait comprendre le tourment de toute une vie. Je ne pensais pas à ma propre mort et à ce qu’elle lui prendrait, à lui, un jour. Car s’il souffrait de me voir ainsi, s’il avait mal quand j’avais mal, mes pensées n’osaient aller jusqu’au jour où lui vivrait ce deuil. Je me gardais de l’imaginer, comme si au fond de moi, je savais déjà que cette image me remplirait de culpabilité. Et j’en étais déjà pleine…

Parce que pour le trouver lui et me trouver moi, j’avais du en perdre un autre.

A mes heures perdues à regarder le plafond de ma chambre, j’avais imaginé ce qui se serait passé si mon père n’était pas mort, si j’aurais fini par croiser le chemin de Logan quoi qu’il en soit, et s’il m’aurait libérée malgré tout. Je me perdais aussi à imaginer ce que nous aurions été si nos vies s’étaient mêlées bien plus tôt, dans d’autres circonstances, à un âge où tout est encore possible. Aurions-nous été différents ? Aurait-il, lui, été un autre ? Qui avait-il été d’ailleurs, avant tout ça ? Avant l’enfermement, avant les décès, les départs, la fond béant de son existence perdue ? Quel avait été cet homme avant d’être celui qui se tenait devant moi ?

Je lui parlais mais je ne savais pas s’il m’entendrait, s’il comprendrait. J’eus l’impression que ma tristesse envahissait tout et qu’elle devenait bien trop vivante. Je lui montrais un visage peu familier, même s’il avait toujours été là. Je m’attendais à ce qu’il se détourne, esquive, rejette. Mais il avait cela d’extraordinaire parfois : il me surprenait dans le chavirement de toutes mes théories, de tous mes doutes. Sur ses traits et dans chacun de ses muscles, je sentis la crispation de la peine partagée, et de celui qui y faisait face avec une brutalité si profonde qu’elle le traversa jusque dans son regard. Je vis cette ombre passer dans l’acier de ses yeux et l’inonder. Mon ventre se crispa.

Après avoir vu son cauchemar, l’avoir senti en moi aussi viscéralement, je ne voulais pas le plonger dans la peur et le vide mais le tirer vers l’avenir. Je voulais, surtout, qu’il y croit un peu lui aussi ; qu’il pense au chemin que nous pourrions faire ensemble, à garder chacun la vie de l’autre, à protéger le lien qui nous unissait, et à continuer d’avancer. Mais je savais la difficulté qui le tourmentait. On n’apprenait pas à penser à plusieurs quand depuis sa naissance on n’avait toujours été qu’un seul. Les souvenirs de ma propre solitude étaient sans cesse réveillés par la distance qui me séparait des autres ; cette solitude là ne partait pas, ne faisait que se transformer sans jamais perdre son essence. Peut-être était-ce pour cela que j’avais été si pressante, si bornée à demeurer aux côtés de Logan. J’aurais souffert de le laisser seul.

Et c’était trop tard pour le faire, ce serait désormais toujours trop tard. Même si nous aurions voulu nous repousser, fuir, nous n’aurions jamais pu nous infliger une telle douleur. Les enfants que nous avions été et qui avaient tant de souffrance en eux s’étaient accrochés l’un à l’autre ; ils ne s’embarrassaient pas des circonstances, ils ne voyaient pas les doutes ou les dangers, ils voulaient simplement se réparer et enfin trouver la main qui ne les avait pas tenus tout ce temps.

Nos mains étaient l’une sur l’autre, de chaque côté. Elles ne nous laissaient pas nous soustraire à ce moment. Nos regards n’arrivaient pas non plus à se détourner. L’instant de grâce se prolongeait d’une manière qui m’était inconnue. Je n’avais jamais entendu une telle vulnérabilité chez moi et je n’avais jamais vu autant de fragilité chez lui. Je compris alors qu’il avait entendu ma supplique, qu’il avait compris le besoin que j’exprimais avec autant de chagrin. Il régnait dans la pièce une douceur lourde, chargée d’une intensité et d’un silence qui enrayait nos gorges. Elle pesait sur nos poitrines, comprimait chaque respiration. Dans le peu d’espace qui nous séparait, il n’y avait pas que la tristesse, il y avait sa source première, la raison même de son existence. L’affection. Brutale, immense. Elle nous prenait en otage et nous n’avions pour solution qu’un renoncement plein de tendresse.

Mais je ne m’étais pas attendue à ce qu’il la montre d’une manière aussi pure.

L’éclat brisé de son regard me perçait le coeur. Il le cacha derrière ses paupières closes et sa respiration se fit plus pesante. Un instant alors il se pencha vers moi, posa son front sur le mien et je fus remplie d’une sensation pleine que je n’aurais pu nommer. Autour de mes doigts, ses mains se pressaient. Nous nous tenions fermement, perdus dans cette violence qui nous bouleversait l’âme. Je fermai une seconde les paupières. Je ne voulais pas que ce contact se termine. D’expérience, ce n’était jamais plus de quelques secondes volées. Le moment où il s’éloignerait me tourmentait déjà.

Il ne s’écarta pas.
Si proche de lui, nos nez se frôlant tandis que nos fronts restaient soudés, je pouvais entendre et sentir son souffle plus profond, presque douloureux. Et puis, ses lèvres...elles se posèrent sur les miennes et quelque chose en moi sursauta. Il y avait un drôle mélange de délicatesse, de tristesse et de douleur dans ce baiser ; il y avait surtout l’affection pleine de fragilité. Nos mains se laissèrent mais seulement pour trouver l’autre ailleurs. J’agrippai le tissu recouvrant ses épaules et lui, glissa ses mains abîmées dans mon cou, quelques doigts sur mes joues. J’avalai son souffle incertain, retrouvai le goût familier de notre intimité. Quand la légimencie n’arrivait pas à combler nos lacunes, les gestes prenaient la relève.

Ses mains retombèrent dans mon dos, et lui contre moi. Mon corps accueillit le poids du sien sans y croire. Il faisait un pas nouveau vers moi. J’étais plus surprise encore que devant mon premier sortilège ; jamais il n’avait fait cela, jamais je n’aurais même osé le demander. Après ce que j’avais pu voir dans son esprit, la distance physique qu’il mettait entre lui et les autres ne me paraissait plus si mystérieuse, alors qu’il m’enlace ainsi de ses bras, qu’il me serre contre lui au lieu de repousser la vulnérabilité d’un tel geste, je peinais à y croire. Je n’osai plus bouger d’abord, prise dans l’étau de ses bras et dans les battements surpris de mon coeur.

« Je suis désolé. »

Je déglutis. Le craquèlement de sa voix me griffait de l’intérieur. De quoi était-il réellement désolé ? D’avoir tant combattu l’idée d’un avenir ? De me garder à distance ? Ou de ne savoir comment faire face à un lien qui était si demandeur ? Je n’avais pas voulu qu’il s’excuse, mais il y avait dans ces mots l’assurance qu’il comprenait. C’était bien tout ce que j’avais souhaité. Et à ça, je ne répondis rien. Je crois qu’au fond j’étais émue, si émue qu’aucun mot n’aurait su le décrire. Je ne pus que m’abandonner dans ses bras, l’attirer plus près, glissant mes mains tremblantes autour de lui. Il n’y avait rien d’autre à faire. Mes yeux se fermèrent quelques secondes. Son odeur familière me rassura.

« Je vais... »

Sa phrase resta en suspend. C’était tout ce dont j’avais besoin pourtant.

Il allait. Et voilà ce qui importait.
Sa voix rocailleuse résonna à mes oreilles encore un instant. Mes doigts froissèrent le tissu dans son dos. J’y sentais traverser sa chaleur. Il devait sentir la mienne aussi, sous ses paumes qui glissaient sur mon haut fin. Sa délicatesse me faisait frissonner. Elle se rappelait à moi par un autre souvenir, le premier vrai moment que nous avions partagé et qui s’était éternisé dans des gestes tendres et surprenants. Dans mon cou, son souffle s’échoua et vint réchauffer ma peau. Je sus que ce serait difficile de le lâcher, que je ne voudrais pas, que je m’y refusais. J’accédais à une part de lui qu’il ne m’avait jamais montrée avec autant de force avant ce jour.

J’avais beau savoir ce que l’échange engendrait de meilleur, je me trouvais à nouveau surprise par la force de ce qu’il faisait naître en nous. Que Logan partage une partie de ses démons ou que j’expose l’essence de ma peur, nous étions tous deux pris de ce trop plein d’affection qui venait quand on pensait trop à la fin et qu’on se sentait à moitié soi et à moitié l’autre. Aucun de nous n’aurait pu dire un mot de plus. Le silence ne nous séparait pas pour une fois, il nous rassemblait car nous savions tous deux ce qu’il contenait. Il suffisait pourtant d’écouter nos souffles, de voir nos fronts plissés, de sentir ce que nos mains sentaient, pour deviner toute l’étendue de ce que nous éprouvions. J’avais trop peu de recul pour savoir ce que cet instant-là disait de nous. Mais peut-être qu’il était ce moment précieux que j’attendais où il n’y avait plus de doute, où nous affrontions ensemble ce que signifiait ce lien et ce qu’il chamboulait dans nos vies.

Nos regards se trouvèrent et je caressai du mien l’acier fissuré de ses prunelles. Je voyais ses cassures plus nettement que jamais. Elles me striaient la peau, me tordait le ventre autant que ma peine pouvait le tourmenter lui. Quand on esprit vint à moi, ce n’était pas dans la violence ordinaire de nos échanges mais dans un contact aussi doux que ses doigts sur mon corps. Je n’étais plus une tempête et il n’était plus un rempart de glace qui lançait des canons ; nous glissions l’un vers l’autre. Il reprit mes lèvres et j’y reconnus la même soif que la mienne, le même besoin de se confondre encore, de faire taire la souffrance que la seule idée de se perdre avait créée en nous.

Ce baiser, ces gestes, cet enlacement, ressemblaient à une toute nouvelle première fois. Je ne savais comment, ni vraiment pourquoi cet échange prenait cette forme, mais je m’y plongeai toute entière. J’avais besoin de ça, d’exister contre lui, de sentir son esprit dans le mien et de ne plus savoir ce qui était lui et ce qui était moi. Il n’y avait que ça pour faire disparaître la solitude qui nous accompagnait depuis toujours ; que ça pour dissiper la douleur. Mes jambes s’enroulèrent autour de lui. Je m’accrochai et trouvai non pas à nouveau le sentiment qu’il était ma bouée mais que nous étions notre propre ancrage, notre propre langage, notre propre tout. Par cela, notre fusion était l’acte de légimencie le plus complet et le plus pur que je n’avais jamais connu auparavant.

Je le sentais dans le déploiement qui se propageait en moi, faisait trembler mon corps, crispait mes cuisses autour de lui. Peut-être que nous nous trouvions vraiment, que nous touchions au coeur même de ce que nous pouvions être à deux. Deux âmes, si férocement accolées qu’elles se confondaient, partageaient leurs émotions trop fortes pour être seulement vécues par un corps solitaire. Deux âmes qui se faisaient une promesse incapable d’être prononcée.

Cette promesse, elle passait dans nos lèvres qui se capturaient, se goûtaient, soufflaient sur des braises aux flammes nouvelles. Mes mains remontèrent sur son torse et prirent son visage, avant de remonter dans sa nuque. Elles se perdirent dans ses cheveux sombres et déjà, mon souffle se saccadait. Mon besoin de lui explosait dans ma poitrine, donnait à mon coeur un rythme de tambours. Il m’oppressait presque, se déchargeait dans mes gestes de plus en plus avides. J’étais tiraillée par ce gonflement en moi qui ne cessait de grandir, de conquérir l’espace. Il y avait dans cette avidité une affection vorace, une envie de tirer ce corps vers le présent, de l’y ancrer, de poignarder les images ignobles de cette geôle humide et froide. De toute la chaleur de mon corps je voulais l’emplir lui. Et si dans la pièce avait régné un silence endeuillé, il s’y étendait désormais un air saturé d’envie, d’une volonté grisante de le faire mien et d’englober cet esprit d’une douceur fiévreuse.

Je voulais le sentir, plaquer nos peaux l’une contre l’autre, me perdre en nous.
Mes doigts tiraient sur son haut, le déformaient. Je quittai ses lèvres pour faire passer le tissu au-dessus de sa tête. Son torse marqué de lignes cicatrisées m’apparut sans que je ne le vois vraiment ; j’étais habituée à ces tracés rempli d’une douleur qui le hantait toujours, à ces doigts meurtris, coupés. Si je m’arrêtais plus longtemps sur chaque marque de cruauté qu’il avait reçue, il n’y aurait pas eu de fin à ma colère. Alors j’y apposai mes paumes chaudes, m’imprimai sur ce champ de bataille. De quelques gestes tremblants, je tirai sur le nœud qui retenait mon haut à mon flanc et le tissu se fit plus lâche. Il finit par glisser le long de mes bras, y dévoilant ma poitrine nue. Mes bras passèrent autour de sa taille, mes ongles griffant le creux de son dos et glissai hors de son regard pour dévorer sa gorge, embrasser avec avidité son cou, mordiller son oreille. Le souffle erratique, j’agrippai son corps. Mon esprit tourbillonnait dans ce magma dévorant qui passait un voile devant mes yeux.

Il y avait un soulagement si dense à sentir mes seins contre son torse, chaleur contre chaleur, peau contre peau. Je gémis contre son cou, vint reprendre sa bouche. Déjà mes hanches ondulaient contre lui, l’appelaient, venaient chercher son désir. Mon esprit l’attira plus près, plus loin en moi. Et je voulais si ardemment que son corps imite ce mouvement, vienne fusionner avec le mien, me prenne, me transcende. Chaque geste de lui faisait trembler mes membres, crispaient mes muscles, creusaient mon ventre. J’eus l’impression que l’instant de grâce se prolongeait, s’étendait, se déployait jusqu’au désir de n’être qu’une seule envie, qu’un seul ensemble.
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Sanae M. Kimura
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Sam 31 Déc 2022 - 1:38
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M. Logan Rivers
Lun 16 Jan 2023 - 23:01





Le bois était dur sous mes cuisses nues mais je ne le sentais plus. Toute conscience de l’extérieur s’était évanouie et il ne restait en moi que la brute redécouverte de son corps et du mien si profondément liés. J’étais une onde parcourut des tremblements de la terre. J’ondoyai à chaque va et vient, crispant mes muscles, tendant mes bras, ébranlée par chaque baiser qui venait prendre mes lèvres. Je ne voyais de ces mains abîmées que la prise ferme et chaude sur ma peau et de ces prunelles au bleu acier que la profondeur de l’esprit qui s’étendait. Je le laissais s’infiltrer en moi et je prenais de lui ce qu’il me donnait, ce qu’il partageait enfin sans autre peur que celle de la nouveauté. Parfois, dans le désir flamboyant qui nous faisait rugir, il y avait cette tendresse et cette douceur maladroites qu’ont tous ceux à qui on ne les a pas accordées plus tôt. Logan avait cette maladresse, plus grande encore que la mienne, qui était aussi touchante que douloureuse car je savais la difficulté de donner à l’autre ce qu’on n’avait jamais reçu soi-même. Chacun de ses tremblements, chacune de ses hésitations était marquée par l’aridité de son passé. Et je trouvais merveilleux qu’il y arrive. J’aurais pu m’extasier en silence de tous les gestes doux qu’il avait pour moi, des regards qu’il m’adressait, de la vulnérabilité qui transparaissait de lui en cet instant. Toutes ces choses qui étaient si infiniment intimes et qu’on ne pouvait livrer à quiconque, nous les partagions avec fragilité.

Nous étions plus que nus, dénués de tous artifices, de toute apparence autrefois préservée. Sans doute étions-nous arrivés à l’essence même de ce qui nous définissait l’un et l’autre. La peur de s’accrocher existait bel et bien de concert avec celle de s’éloigner. Et entre nos deux corps, j’eus la frappante impression que nous préservions, nourrissions et couvions une chose si précieuse qu’elle ne pouvait se montrer qu’entre nos deux esprits et corps liés. Encore timide, elle n’osait exister par les mots mais elle nous atteignait en plein ventre, là où tout se noue et se contracte, là où les émotions macèrent et dévorent. Elle nous prenait par les tripes, créait cette torsion double où l’affection est si grande qu’elle en est douloureuse et où tout projet de la perdre meurt au combat. Pour une fois d’ailleurs, ce n’était pas à travers l’affrontement que nous nous trouvions. Nous n’avions plus la force de lutter contre cette fausse ignorance et il était temps, pour lui surtout, d’accepter que ce lien ne serait pas éphémère, qu’il demeurerait, et qu’il exigeait de nous l’impossible. Il dessinait, déjà, nos destins imbriqués.

Mais pour l’instant seul le présent comptait. Seul ce moment où nous ne savions plus lire ce qui était seulement lui et ce qui était seulement moi, comme deux essences séparées, nous importait. Je sentais chez Logan un abandon qu’il n’avait jamais montré avant. Il s’épanchait en moi, ramenait en mes flots le goût de sa propre rive, et j’étais prise dans l’incandescence de notre communion. Il avait eu raison de construire un temple dans son esprit car ce qui faisait trembler le sol avait le caractère du sacré. Ce ne pouvait être que ça pour être aussi fort, aussi pur. Une revanche sur une vie faite de douleurs. L’avènement après une errance solitaire. Nous nous érigions à deux, au même rythme qu’un plaisir qui s’oubliait trop dans son corps meurtri.

J’eus soudain la déchirante réalisation que cette course au plaisir se solderait par ce que je redoutais tant. Alors je m’accrochai plus fort, luttai contre l’éclosion, me tendis contre lui, ramenai son corps plus près si c’était possible, m’ancrai avec une ténacité qu’on ne voyait que chez ceux qui veulent mettre à mort leur ennemi. Peut-être était-ce la séparation inéluctable de nos corps et de nos esprits que je voulais tuer. Mais ses râles autant que son ardeur en moi rendaient la lutte plus dure encore. Dans l’effervescence de nos émotions, je sombrai peu à peu dans la tourmente grisante de l’orgasme. Son souffle contre mes lèvres s’était emballé au même rythme que le mien. Nous n’étions plus qu’une vague, tempêtant, grossissant pour gagner les hauteurs du plaisir, mêlant sueur et tremblements, cris et soupirs, jusqu’à ce que l’électricité nous parcoure et que nous nous tendions ensemble. Une seule contraction de nos êtres liés. Tous les muscles de mon corps se crispèrent et l’explosion irradia mon bas-ventre, mes cuisses, ses jambes. Nos esprits se perdirent, dévastés, rendus vagues par la charge des sensations. Dans l’infatigable plaisir à son paroxysme, j’oubliai l’après, j’oubliai la peur et la souffrance de la fin. J’étais éblouie un instant. Et puis, tout retomba comme une mer soudainement calmée, ridée seulement par la brise plus clémente, dernière trace du déluge.

Dans ces instants-là, je ne le regardais jamais. Mes yeux se fermèrent et j’enfonçai mon visage dans son cou. Je me cachai, tentai d’enterrer la tristesse qui s’infiltrait comme de l’eau au coin des paupières. Mais mes mains sur son dos ne desserrèrent pas leur prise. Je gardai au bout des doigts la même volonté de le retenir. Les dents serrées, j’attendis avec frayeur le mouvement de recul, l’éloignement qui précéderait le vide. Est-ce que l’abandon et l’acceptation n’existeraient que dans ce moment, aussitôt effacés après ?

Nos poitrines se soulevaient en rythme, se calmant peu à peu. Le temps se noyait dans mes pensées et j’aurais été bien incapable de savoir combien de secondes ou de minutes passaient alors. Quand il se redressa, je déglutis et relevai mon visage vers le sien. Dans son regard, je reconnus ce même désir de rester accrochés. Il reprit mes lèvres et j’enroulai mes jambes autour de lui. Ma peau glissait contre la sienne et déjà ses mains retrouvaient mon dos. Les tremblements de l’orgasme nous parcouraient toujours quand nos bouches se capturèrent à nouveau. L’envie reprenait de l’élan, comme si au pied du mur, face à la simple idée de séparation, elle revenait plus forte. Nos fusions n’avaient jamais duré aussi longtemps, ne s’étaient jamais enchaînées ainsi. Une euphorie grandissante me prit. Lui non plus n’avait pas envie de cette distance atroce. Il la rejetait, préférait poursuivre ce moment, faire gronder encore la pulsation intense de notre communion. Quand ses lèvres suivirent la chute de ma gorge, j’arquai mon corps, rejetai la tête en arrière. Un gémissement s’échappa dans l’emprisonnement éphémère de mes pointes dressées pour lui. Nous soufflions sur des braises qui n’avaient pas eu le temps de refroidir.

Et quand son regard se planta dans le mien, nos esprits s’élancèrent pour s’ancrer l’un l’autre. Alors, la pièce disparut autour de nous et les contours de ma chambre se dessinèrent. Sous mon dos, j’eus à peine la sensation du matelas et des couvertures. Je n’étais dirigée que vers lui. Rien d’autre n’existait autour. Seulement lui et moi. Nous. Nous pour un instant de plus.

Les aiguilles s’arrêtèrent. Nos esprits s’affranchissaient de leurs barrières, allaient et venaient, se léchant, dansant, se clashant ensemble ; nos mains parlaient le langage du désir désespéré. Combien de fois mes mains glissèrent dans le creux de ses reins ? Combien de petites morsures, de douces griffures marquèrent nos peaux ? A quel point mon corps pouvait-il se tendre et vibrer si fort ? Je ne  comptais plus les soupirs, les baisers, les va et vient de plus en plus profonds, les gémissements bourdonnant à l’oreille. Le front collé au sien, mes mains empoignèrent ses flancs, appuyèrent ses mouvements, et je le regardai jusqu’au fond de l’âme…jusqu’à ce que le plaisir me fauche et rende ma vision floue.


Quel était cet instant suspendu ?
Il était beau et il était doux.
Il nous secouait autant qu’il nous berçait.


A travers la fenêtre entrouverte, les rayons du soleil s’infiltraient pour réchauffer les draps blancs. Ils barraient une partie de mon visage et je clignai des yeux. Mon nez frôla l’épaule de Logan. Nous étions allongés tout à côté, les draps entortillés autour de nos corps nus, ma jambe touchant encore la sienne. C’était un instant paisible où je ne pensais à rien. J’observais seulement le léger duvet ci et là sur son corps, illuminé par les raies de lumière qui zébraient le lit. Sur mon dos découvert, la chaleur d’un rayon me réconfortait. J’avais encore sur moi l’odeur de Logan, le sel de sa peau, la trace de ses baisers. Et dans mon esprit, c’était son empreinte que je gardais précieusement.
Nous ne disions rien mais je ne détestais pas ce silence. Il était même reposant. J’entendais seulement la respiration plus lente de Logan, sentais même son souffle sur ma main abandonnée sur son bras. Nous n’étions plus entrelacés mais nous étions toujours liés car quand mon regard remontait vers lui, je sentais son esprit caresser le mien. Il n’était toujours pas parti, et je savais au fond qu’il ne savait ce que ce moment devait être. Aucun de nous, à vrai dire, n’aurait su comment se comporter.

Parfois, je fermais les yeux quelques secondes et je tentais de m’ancrer dans chaque sensation : la légère brise passant par la fenêtre, la chaleur du soleil, nos parfums mélangés, mes muscles fatigués, la douceur des draps qui couvraient mes seins et passaient autour de mes hanches, et sous mes doigts, la peau de Logan. Je me demandais si c’était un goût de l’avenir, un aperçu de ce que la quiétude pouvait être. Était-ce ainsi quand on cessait de lutter contre le chagrin ou la peur et qu’on les partageait ?

Et lui, que ressentait-il maintenant ? Que retirait-il de cet instant ?

Je redressai la tête et mon regard glissa sur sa silhouette. Pendant la seconde où il regardait ailleurs, je retraçai la ligne de son nez et l’éclat plus clair de ses yeux dans la lumière. Mais je ne me demandai pas où il était car je savais qu’il était ici, avec moi, et que ce nous embrumait encore son esprit. Quelques cheveux noirs barraient son front et apparaissaient légèrement plus clairs dans le rayon. Ils avaient bien poussé depuis février. Ça lui allait bien, même s’ils étaient souvent en désordre. Comment avait-il été autrefois ? Avait-il eu les cheveux courts ? Comment s’était-il habillé ? Je l’imaginais sérieux dans son rôle de directeur. Peut-être ne souriait-il pas plus en ce temps-là… mais je voulais croire que si. Je voulais imaginer qu’un jour, il avait été juste un homme, meurtri mais pas brisé. Un homme qui travaillait, riait, sortait, avait une vie bien avant le néant.

« Logan ? »

Ma voix n’avait été qu’un souffle, comme si parler trop fort aurait brisé la douceur de ce moment. Il se tourna vers moi et je retrouvai l’acier de ses yeux. J’étais presque sûre que quelque chose sursautait en lui à chaque fois que je l’appelais et qu’il savait qu’une question viendrait le troubler.

« Est-ce que ça te manque, d’enseigner ? »

On ne parlait jamais de sa vie d’avant mais peut-être était-ce parce que cela lui rappelait cet après, et le peu de futur qu’il entrevoyait pour lui-même. Aujourd’hui, j’avais envie d’en parler.

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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Dim 22 Jan 2023 - 12:05
Le temps n’avait plus cours. A peine semblait-il être un concept usé, racorni, absurde même lorsqu’ainsi, ils s’étaient trouvés. Logan n’aurait su dire pourquoi maintenant, pourquoi comme ça. L’idée même de se poser la question n’avait pas véritablement corps. C’était ainsi, comme lorsqu’ils s’étaient unis la première fois, rugissant d’une chose qu’aucun des deux n’avait véritablement prédite. Ni elle, à fuir ce qu’elle était. Ni lui, à se penser hors d’atteinte. Pourtant atteint, Logan l’était ici. Hier, aujourd’hui. Là, maintenant. Quelque chose avait cédé, l’entraînant vers elle dans une bascule assourdissante, un éclair aveuglant. Contre elle cet après-midi là, l’homme admettais sa fatigue, ses faiblesses, ses peurs. Il n’y eut ni lutte ni résistance dans cet échange. Ce qui faisait de lui ce qu’il avait toujours été disparu ce jour-là et rien n’aurait pu le préparer à une telle chose. Étranger à lui-même et pourtant parfaitement sincère, Logan n’aurait su définir qui il avait été à cet instant-là. Cet homme qui surgissait ne lui appartenait pas. Il était l’ombre, le reflet, l’éclat qu’on ne perçoit qu’à l’extrême limite de notre champ de vision. Cet homme l’avait n’avait corps, même en lui. Il n’était que les éclats brisés qu’une colère sourde avait laissé derrière elle.
L’ombre alors n’était ni puissante ni violente. Elle ne prenait pas l’espace, ne parlait pas fort, ne faisait pas baisser le regard. Pas qu’elle le baissa à son tour d’ailleurs. Mais il y avait de lui à cet instant ni les grondements voraces d’une âme qui s’affirme, ni le sinistre éclat d’une endurance malsaine. Il n’était ni résilient, ni abrupt, ni endurcit. A vrai dire, cet homme-là n’était pas même fort. Celui qui résidait au cœur de la tourmente n’avait jamais eu ni place ni voix. On l’avait fait taire, braqué, forcé. “On” s’était même vêtu de milles couleurs pour le contraindre à disparaître. Étranglé par lui-même, il était resté, morcelé et violenté, sans espace ni lumière. Terne et morne. Il était celui qui avait abandonné.

Logan aurait pu trouver bien des mots pour affirmer qu’un tel homme en lui n’existerait jamais. Il avait poussé des cris à s’en glacer les sangs, avait avancé seul dans une boue visqueuse qui aurait noyé n’importe quelle âme perdue. L’ancien directeur avait été le monstre, le roc, le vile et le traître. Mais jamais quiconque n’aurait vu en lui l’éclat cassé, la roche fendue, la fatigue hésitation. Tel était l’être qu’elle décelait ce jour. Telle était la forme obscure, la malédiction avilie d’un enfant né sous les pires hospices.
Tel était surtout le dernier rempart. Ce cadenas qui était tombé pour laisser place à celui qui, enfin, réclamait son dû. Aurait-il jamais ressenti quoi que ce soit de similaire si la vérité n’avait pas été exhumée comme elle l’avait été ? L’avenir inexistant fut avalé avec le reste. Avec les plaies du passé et les incertitudes du présent et pour rien au monde Logan n’aurait laissé le réel revenir. Avec elle, l’espace de ces instants, il s’était senti entier, honnête, complet. Il y avait eu dans leur valse une telle communion qu’il n’aurait su se défaire de la sensation exaltante d’exister là, en entier. De la sentir elle, dans toute sa richesse et sa confusion, accepter en elle des parts de sa personne qu’elle n’aurait dû jamais soupçonner.

Certains se disent voir les personnes. Voir leur âme sœur et être vu en retour. Pleinement. Combien de fois avait-il vu dans ces esprits naïfs ces paroles bien banales ? Logan avait noté qu’elles s’échappaient souvent chez les mêlés ou les moldus des médias. Films, séries, chansons. On aurait pu penser qu’il en serait différemment chez les sangs purs et c’était globalement le cas. Pourtant ces mièvreries, parfois, échappaient à la logique et se mêlaient dans le quotidien de ses contemporains. Il en avait tant lu, tant entendu au travers de souvenirs qui ne lui appartiendrait jamais. Pourtant rien n’était vrai. Rien ne traduisait le quart de la moitié de ce qu’ils vivaient, eux. Pas le dixième du tiers de ce qui s’était tissé entre eux ce jour-là. Non, ces idiots parlent ainsi des premiers jours, de la manière dont quelqu’un les perçois après avoir parlé, brodé, construit un beau mensonge. Et après étonnamment s’émerveillaient-ils de trouver un regard aimant, une possibilité d’acceptation. Pourtant d’eux, l’autre n’avait que des perles, des brides. Des jolis éclats brillants. Les siens étaient pourtant mats, ternes et tranchants. On s’y coupait, s’y râpait l’âme. Pire encore, on le plaignait, le découvrait divers, rigide ou anémié.

C’est ce qui les unis ce jour-là, au cœur de l’encre. Dans les draps ou la sueur, les râles et la chaleur. Ces parcelles d’eux qu’on avait broyé, délaissé, repoussé ou abandonné. Ces parts sales, moches, ces parts seules, laides. Ce dont les autres ne veulent pas, ce qu’on garde caché, qu’on oublie ou qu’on repousse. Pas de lutte, pas de colère. Pas même la puissance ou la force de se dresser contre le fer. Seulement ça, ce bourdonnement multiple qu’ils s’offraient l’un l’autre, peints des plaies et des drames, des élans de vie ou des vertiges de la chute. D’elle, il ne se chargeait pas, il se mêlait, se confiait. En elle, il vivait. Et chacune des parts de cette femme lui semblèrent à cet instant constitués d’une marbrure qu’il eut envie de chérir comme le plus précieux des cadeaux.

Sous la terre, quand les roches se forment, elles se trouvent emportées, pressées, griffées par la remontée lente et immuable de travées se soulevant et se modelant les unes les autres. Ainsi sont forgés les Hommes. Sous la pression de leurs confrères, écrasés, pressés, percés par les exigences et les chaos de la vie. A exhumer certaines roches, on y trouve les marques de ces violences. Invisibles d’abord, la surface est unie, simple, sombre. Il faut la briser pour en extraire ses subtilités, en comprendre sa nature, ses nuances. Alors ce qui devrait être uniforme se révèle vaste, moiré, marbré. Iridescent. On les nomme inclusions, ces ocelles, ces zébrures venues des profondeurs.

C’est elles qui, lorsque le plaisir vint finalement les faucher, s’étaient mêlées jusqu’à ne plus vouloir se défaire. Noyés dans l’océan de leurs âmes mêlées, c’est entiers, pour la première fois, qu’ils s’étaient trouvés.

Il aurait pu dire, pour être tout à fait honnête, que cette image resterait gravée. Mais d’image il n’y avait pas que le visage de Sanae lorsqu’au paroxysme, tout avait achevé de se confondre. C’était une iridescence, un kaléidoscope qui s’était gravé en lui. Toutes la nacre d’une âme qu’on mêle à la sienne. Le miroitement confus mais entier d’un enchâssement soudain. Logan n’aurait su dire s’il était jamais resté ainsi après un moment échangé avec une femme, mais celui-ci n’avait de ressemblance avec ces brides du passé que le nom. Dire qu’il n’avait jamais été connecté avec qui que ce soit ainsi aurait semblé être une injure à l’instant. Bien sûr qu’il n’avait jamais été connecté ainsi. Ce qui s’était mêlé dans ces draps n’avait pas d’égal, pas de pareil. Ces moments n’avaient jamais appartenu à d’autres qu’eux, et ne pouvaient se retrouver chez qui que ce soit ailleurs qu’ici, entre leurs prunelles mêlées. Et pourtant à présent allongé, le regard vers le plafond sans vraiment le voir, seulement attentif à la chaleur dégagée par le matelas sous son dos, la jambe contre la sienne et la main sur son bras, Logan se demanda si ce type de partages trouvaient un échos quelque part. S’ils avaient seulement une similarité avec ce qui avait pu constitué un jour ses relations humaines. La réponse était simple et dure : non. Pas une fois il n’avait apprécié ce moment d’entre deux où l’après n’a pas encore de sens. Avec Maeve, aucun après, jamais. Pour Aileen, c’était différent, mais il avait toujours eu envie de se lever, de désamorcer les choses. Restait pourtant dans sa mémoire la première fois, celle qui avait fait basculer tout à fait leur relation vers cette autre chose qu’il avait tant combattu. Là aussi il avait fixé le plafond un moment. Là aussi les traits de lumière se mêlaient aux ombres. Aujourd’hui la forme de l’ampoule s’étendait sur la peinture blanche. Elle se séparait en trois et sur deux des ombres formées, le miroitement du verre faisait miroir avec la sensation qui demeurait en lui.

D’aucune façon Logan n’aurait voulu revenir tout à fait à lui-même. Ce qui l’avait tant pesé au fil des années, porter en son âme des brides d’êtres qui n’existeraient probablement jamais véritablement autrement qu’ainsi. Porter le poids de leurs sentiments, de leurs pensées, de leurs erreurs. Puis pire encore, les sentir s’estomper en lui jusqu’à le laisser parfaitement vide et creux … ces sensations trouvaient ce jour en lui un écho étrange, renversé. Comme le reflet à l’envers de quelque chose de connu ; familier tout en n’ayant aucune proximité véritable.

D’ordinaire, il y avait toujours quelque chose d’atrocement grinçant lorsque la férocité du désir s’atténuant. Comme une chute après le vertige, un mal qui vous ronge. Une peine profonde qui appelait à la mise à distance, à la culpabilité et au mal-être. Quelque chose de cruel et lourd à jamais devenu habitude depuis l’adolescence. Pourquoi rester donc ? Et partager ces pénibles instants ?

Il n’y avait aucune tension dans son corps. Une jambe tendue, l’autre repliée vers Sanae se posait contre sa propre cuisse. Logan ne cherchait pas à fuir. Son bras droit, demeurait même, paume vers le haut, contre elle et la chaleur de la main qu’elle y avait posé trouvait une résonance dans la chaleur de son buste qu’il sentait irradier contre ses doigts. D’ordinaire il serait parti. C’était ainsi, ça ne se discutait pas, ça n’avait pas à devenir autrement entre eux. Pourtant bouger ne lui vint pas à l’esprit. Au même titre que de se séparer d’elle était impossible un peu plus tôt, Logan n’avait à présent aucun désir de briser le moment. Il était encore là, l’âme en vadrouille, prête à accueillir et à se déverser. Seul le corps, sans doute, ne suivait pas.
Son regard revint vers la fenêtre. La lumière était claire à l’extérieur. D’ici il ne distinguait rien d’autre que le ciel clair, d’un bleu presque blanc où quelques nuages épars s’invitaient presque à rebours ; puis la couleur argile et olive de la végétation. L’hiver rendait le tout à la fois pâle et lumineux. Froid et indocile mais calme, doux même. Il lui semblait n’être pas tout à fait lui-même et pourtant, c’était un apaisement venu de nulle part qui s’était emparé de lui. Ainsi dévoilé il aurait dû se braquer, s’éloigner, s’isoler. L’idée n’aurait pourtant pas eu de sens. Pas en était ici et là tout à la fois. Ce qu’il y avait d’étrange, c’est que lorsqu’il gardait des parts des autres, ces fragments existaient en lui, il en connaissait les contours comme pour ses propres souvenirs. Impossible, pourtant, de se projeter dans ce qu’il avait laissé en elle. Ces parts de lui lui appartenaient à présent, comme une offrande étrange, la plus intime qui soit. Au fil du temps, elle-même s’était creusée une place dans son esprit. Pas comme quelque chose d’éphémère qui puisse s’estomper comme les autres le faisaient. Logan aurait pu chercher au loin, explorer le labyrinthe de ses abysses, jamais il n’aurait su y retrouver Ismaelle ou Enzo. Alec seul effleurait toujours, des brides de lui cassées et remisées dans un coin par une forme de pudeur distante. Mais elle ? Elle était comme une odeur qu’on cesse parfois de percevoir mais qui hante les pièces, subsiste dans chaque fibre de vêtements. Finirait-il, lui aussi, par lui appartenir un peu ? Un mouvement léger prit l’un de ses doigts tranchés et glissa en douceur sur sa peau nue l’espace d’un geste discret.

« Logan ? »

Sans répondre, son crâne roula sur le matelas. Quelque part au dessus de lui, un oreiller en boule demeurait dans la position qu’ils lui avaient abandonné. Écrasé par des mains crispées de plaisir, serré et replié sur lui-même. Logan n’avait dû se détourner la jeune femme que depuis quelques secondes tout au plus mais il aurait été incapable de définir véritablement l’espace temps qui séparait chacune des minutes délitées dans la petite chambre du cottage. Sur le matelas, ses cheveux crissèrent et retombèrent sur son front. Sa voix n’était qu’un souffle, une demande à venir, une réflexion générale. Un retour au présent peut être.
Corps et draps étaient emmêlés. Les cheveux en arrière formaient une corolle autour d’elle et en soulignaient la pâleur de sa peau. Ses yeux en amande le fixaient et Logan s’arrêta un instant sur l’épaisseur de ses lèvres, le léger froncement de son nez et les plis, fins, qui soulignaient son regard lorsqu’elle réfléchissait ainsi, le visage sur le matelas. Pour la première fois sans doute, une réflexion somme toute naturelle lui traversa l’esprit. Il la trouvait belle.

« Est-ce que ça te manque, d’enseigner ? »

La question le prit de court et souleva une bride d’émotions dans son âme anesthésiée. Non, il n’en parlait pas. Tout ça semblait appartenir à un autre. C’était étrange non ? Devoir relier un métier aussi classique que l’enseignement - celui qu’ils avaient tous connus d’une manière ou d’une autre dès l’enfance. Le seul qu’ils aient tous véritablement entrevu ; à tel point même qu’il n’en devenait plus tout à fait un emploi mais un élément du décors. - et quelque chose d’aussi violent qu’un siège, des batailles, du sang et des morts. Des gosses qu’on enterre, des décisions qu’on prend en connaissant les conséquences à venir. Des erreurs. Des échecs. Des chutes. Et la douleur violente et immuable qui vous brise jusqu’aux os. Comment les deux pourraient-ils véritablement coexister dans son passé ? Comment lui, pouvait-il être toutes ces personnes à la fois ainsi que celui qui se trouvait couché ici, étrangement détaché du passé et de l’avenir.

“C’est à ça que tu penses ? Me voir devant un tableau noir ?” Un léger sourire étira ses lèvres, moqueur. Pourtant Logan n’avait pas véritablement souvenir d’avoir jamais tenu une craie de sa vie. L’esprit tendu vers le sien, sans en faire état de volonté, juste par une suite logique, une porte qu’on ne prends pas la peine de refermer, l’homme vit passer quelques souvenirs. Les élèves assis à leur table, Aileen au premier rang et ses yeux qui roulent dans leur orbites à découvrir cette configuration de table. Il s’était agit de son premier cours et lorsque sa voix eut tonné dans la pièce brusquement silencieuse, il était passé sans vraiment le comprendre du statut d’élève à celui d’enseignant. Se lever, s’éloigner des tables et ranger les affaires. Logan s’était en quelques mouvements débarrassé de l’ensemble des pupitres, avait fait disparaître dans une tempête vertigineuse chaque indice d’un cours manuscrit, sobre et scolaire. Ni livre, ni notes, ni discours pompeux dans ses cours, il avait donné le ton et aligné les élèves les uns face aux autres. Chacun n’avait cessé d’être mis en difficulté durant ses cours, à commencer par celui qui pouvait le mieux encaisser : Alec. Celui, surtout, qui avait eu la chance d’avoir des cours à domicile quand lui-même s’était retrouvé entouré de tant de jeunes, tant de dangers et d’erreurs à venir pour un jeune légilimen. Quelques images fusèrent. Des brides d’un passé auquel il se surprenait à ne plus véritablement penser. Des lambeaux partagés.

“Je doute d’avoir jamais été un très bon enseignant tu sais. A vrai dire je ne sais toujours pas pourquoi ce vieux fou m’avait engagé. Mais oui. Paradoxalement je crois que ça me manque.” Les jeunes non. Leurs jérémiades pour un rien, le recul de certains face à la véritable pratique tandis qu’à côté, ces mêmes élèves étaient capables d’envisager des prises de risques atroces face aux Supérieurs. Logan n’avait jamais vraiment compris cette dichotomie. Ce refus d’apprendre quand, pourtant, il leur offrait simplement la possibilité de survivre à leurs propres décisions. Ou à ce que la situation leur imposait aussi bien qu’à lui. “J’y ai pas mal pensé depuis que tu en as parlé. C’est étrange non ? J’avais pas l’âge qu’ils ont quand ils sortent de l’université, un dégoût profond pour l’ordre et l’autorité et en quelques mois puis années j’étais enseignant, directeur des Serpentards, et enfin directeur de l’école.” Lui, celui qui ne parlait pas aux autres. “Il faut avoir un grain pour faire ce choix.” Comme sans doute, songea-t-il, pour engager Margo après la violence de leur premier entretien. On aurait alors pu croire qu’il y avait dans ses paroles une véritable incompréhension, un doute profond, un besoin d’être rassuré. Le petit sourire qui s’était formé sur ses lèvres contredisait l’ensemble. Il savait, bien sûr. Parce qu’implacable passé avait été son avenir, et qu’il y avait là-dedans quelque chose d’amusant et de vile à être à son tour l’un des pions qu’il avait d’ordinaire l’habitude de manipuler.

Un battement de paupière chassa l’image du vieux directeur, conscient que Sanae avait effleuré des brides de sa mémoire sans qu’il ne les cache. “Tu cherches à me faire parler du passé ou à évoquer sans la moindre once de subtilité la proposition de la Garde ?”
Il y eut un petit sourire lorsqu’il se redressa, basculant sur le côté pour se relever sur un coude et lui faire face. Absurde de discuter ainsi de ce qu’ils n’évoquaient jamais, les corps nus, les pointes de sa petite poitrine tendue non plus de désir mais sans doute par la fraîcheur qui s’insinuait doucement dans la petite chambre. Aucun courant d’air ici pourtant, le mur qu’il avait travaillé préservait sa colocataire des affres de la météo. Étrangement, il en ressentit une certaine satisfaction. Logan n’avait aucune idée de la manière dont ils étaient censés se comporter à l’instant, ni même de la nature de ce qu’ils échangeaient. Rien n’était ni normal ni habituel, alors sans doute était-il logique que lui-même ne le soit pas.
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Dim 12 Fév 2023 - 22:06
Les gens paraissaient différents, nus et étendus dans des draps.
Ils n’avaient pas les artifices et les barrières qui leur venaient si naturellement ailleurs. Ils avaient l’air entiers dans leur vulnérabilité. Plus honnêtes, plus vrais.

En cet instant, Logan n’était plus une silhouette immobile dans un fauteuil, l’esprit absent. Il était un corps encore chaud dont la respiration lente n’était pas en proie à la souffrance. Il n’était pas le mystère à découvrir, la bombe à désamorcer, ou le roc qui n’éprouve rien. Je le regardais et voyais ce que j’avais pu ressentir sans en avoir une preuve tangible entre mes mains : il n’était qu’un homme. Un homme fait de chair et d’os, tous deux meurtris ; d’un coeur qui avait tremblé et qui tremblait sûrement encore ; et d’une âme qui, comme toutes les autres, voulait exister en-dehors du silence. Il n’était ni un sur-homme, ni une sous-espèce que d’autres auraient appelé bâtard.

Il était un homme qui ne savait pas être juste un homme. Il se croyait monstre ou dieu – peut-être était-ce la même chose d’ailleurs – mais jamais simplement humain. Que lui avaient-ils fait, petit, pour qu’il n’apprenne jamais à l’être ? Pour qu’il ne connaisse ni repos, ni joie, ni partage ?

Il savait les sources de mes douleurs, avait vu en moi la naissance de mes angoisses et l’accomplissement de mes chaînes. Mais moi, je ne faisais que deviner la brutalité de sa genèse. En le regardant d’aussi près, plus nettement et plus clairement que jamais, j’imaginais les fracas de son enfance, les sillons de ses tourments. Il avait dévoilé aujourd’hui des parts de lui-même auxquelles je n’aurais jamais cru pouvoir accéder. Nous venions de partager un instant de grâce comme ils s’en faisaient peu. Et je me plaisais à croire que c’était son bouleversement à lui, sa révolution. La mienne s’était faite des mois auparavant, et la sienne était peut-être celle-ci. L’acceptation de cette fragilité qu’il portait malgré lui, de son besoin de la partager, de son envie de ne plus être seul.

Aucun de nous n’était seul, là, enroulés dans des draps baignés dans les rayons du soleil. Profondément mélangés, nous gardions des bouts de l’autre au sein de nos êtres. Nous ne parlions pas. Nous existions juste l’un à côté de l’autre, imprégnés d’une quiétude qui d’ordinaire nous fuyait. De l’extérieur, sûrement ce moment devait paraître étrange mais il n’y avait pas de doute en moi sur sa nature. C’était un moment qui n’avait rien à voir avec ceux que je partageais avec Margo. J’avais appris avec elle à vivre l’après en ne cessant de caresser l’autre, en laissant ses mains liées à cet autre corps qu’on ne voulait pas quitter, à parcourir du bout des lèvres une peau qui nous appartenait encore, et à susurrer toutes les choses qu’on ne disait pas à voix haute. J’avais appris ça comme une langue qu’on découvre, comme les partitions d’une nouvelle musique que je n’avais jamais jouée. Avec Logan, ce n’était pas le même tempo, ce n’était pas les mêmes gestes, les mêmes envies. Le corps n’importait pas et le désir prenait une autre forme. Nous nous appartenions d’une bien autre manière. Et sans doute que ce à quoi nous appartenions n’était pas tant à l’un et l’autre mais à ce lien à la fois tangible et invisible qui nous maintenait ensemble, à ce besoin de réparer ce qui nous avait tant manqué dès notre naissance. Nous emportions cependant des traces de l’autre et les mêlions à nous-mêmes.

Mon regard se perdait dans la chambre. Je traçais les raies de lumière qui venaient découper avec douceur nos silhouettes. La pièce avait bien changé depuis notre arrivée. J’avais repeint le vieux lit à baldaquin, avait enlevé le vernis pour passer une couche de blanc, et poser des voilages autour des colonnes. Ils se ballottaient dans le souffle léger de la brise et le tissu clair brillait parfois comme s’il était fait de nacres. Sur le sol, de petits tapis beiges et taupes recouvraient les endroits où le parquet était abîmé. C’était bien loin de la chambre aseptisée que j’avais eu en France. Ici, l’aspect vétuste ressortait ci et là par petites touches que je n’avais pu faire disparaître. Derrière les quelques tableaux de paysages maritimes, de longues fissures débordaient par-dessous les cadres ; l’encadrement de fenêtre n’avait pas encore été retapé et la peinture s’écaillait toujours dans un vert d’eau délavé ; seule la petite coiffeuse blanche semblait plus moderne bien que les poignées dorées étaient rayées. De l’appartement de Westminster, j’avais ramené de petits poufs, des livres, et quelques objets. J’avais fait attention à ne pas prendre des choses trop personnelles qu’on aurait pu relier trop vite à mon identité – à part les vinyles de mon père, il y avait peu de traces du Japon et aucuns papiers où mon nom figurait n’étaient présents. Je les gardais tous à l’appartement ou dans mon sac que je transportais partout. L’idée qu’un jour cette planque aurait pu être découverte me brisait déjà le coeur ; j’aurais aimé qu’elle soit plus qu’une cachette confortable où nous nous étions établis.

Un jour, peut-être, devrions-nous la quitter…
Mais pas maintenant.
Pas maintenant que nous y étions si bien.

Mon regard revint vers lui. Je le détaillais silencieusement en me demandant ce qu’avait été sa vie et qui il avait été autrefois. Au fond, je m’interrogeais surtout sur qui il serait plus tard. Je ne sais pas s’il le sentit, ou si son geste suivit ses propres pensées, mais son pouce passa sur la peau de son bras, presque comme une caresse distraite dont il n’avait pas conscience. Peut-être qu’il fallait que sa garde s’abaisse pour qu’il se laisse aller à être juste un homme.

Je l’appelais dans un souffle, un simple murmure qui ne trahissait pas ce moment suspendu. Déjà, il tournait son visage vers moi. Un fin rayon de soleil barrait mon œil et donnait des teintes plus chaudes à mes prunelles. J’aurais pu lui poser mille questions mais une seule me vint. Est-ce que ça lui manquait ? Je voyais l’enseignement, au même titre que la médecine, comme des vocations qui nous tombaient dessus ou qui avaient toujours fait partie de nous, et je me demandais ce qu’il éprouvait en n’enseignant plus. Pour sûr, cette place qu’il avait eue à Poudlard était gravée dans un mélange d’horreur et de drame, de douleur et de regrets, mais par les nombreuses fois où il m’avait poussée à faire mieux, à aller au-delà de mes habitudes, et par la joie que j’avais vue dans son regard lorsque j’y parvenais, je sentais que cette part de lui était toujours présente.

Ma question le surprit et je vis passer sur ses traits le ricochet de ses émotions.
“C’est à ça que tu penses ? Me voir devant un tableau noir ?”
Il eut un sourire moqueur et je souris à mon tour.
« Et pourquoi pas ? » soufflai-je, amusée.

Ses pupilles se dilatèrent presque imperceptiblement mais de si près, je vis ce rond noir au milieu de ce bleu acier s’étendre. Son esprit n’était pas fermé, au contraire, il était resté ouvert, tout comme le mien, et je sentis le flux de ses pensées se faire plus fort. Je captai ci et là des bouts de lui. Des rangées de table dans une grande salle de classe, le visage d’Aileen au milieu des autres qui passa une seconde avant de disparaître, le ton ferme d’une voix distante, la transformation d’une salle aux contours strictes bien vite gommés pour laisser placer à un espace libre… jusqu’à ce que les élèves, formes indistinctes, finissent par se faire face. Il avait changé l’ordre établi, et rien ne m’étonnait à le voir faire. Je vis passer le visage expressif d’Alec, l’image pinçant mon coeur avant qu’elle ne soit remplacée par autre chose. Des bribes de souvenirs allaient et venaient sans que je ne puisse tout à fait les saisir. C’était donc à ça que ressemblait son ancienne vie, un morceau du moins. J’eus un sourire en coin.

“Je doute d’avoir jamais été un très bon enseignant tu sais. A vrai dire je ne sais toujours pas pourquoi ce vieux fou m’avait engagé. Mais oui. Paradoxalement je crois que ça me manque.”
Il était sincère et je tâchai de ne pas avoir l’air trop surprise par la facilité avec laquelle il se prenait au jeu des confidences. J’étais tant habituée à ce qu’il ne réponde jamais à mes questions, à ce qu’il ne donne que de succinctes informations dénuées de détails que son aveu me touchait. Nous avions sans doute tous deux besoin de ça. Du reste, il confirmait ma théorie : ça lui manquait. “J’y ai pas mal pensé depuis que tu en as parlé. C’est étrange non ? J’avais pas l’âge qu’ils ont quand ils sortent de l’université, un dégoût profond pour l’ordre et l’autorité et en quelques mois puis années j’étais enseignant, directeur des Serpentards, et enfin directeur de l’école.” Je l’observais en silence mais chacun de ses mots me parvenaient comme un cadeau. Il y avait bien des manières d’offrir ses pensées à quelqu’un. Etait-ce étrange, alors, que parmi d’autres profils plus scolaires et stables, il ait été choisi pour devenir professeur ? Je ne trouvais pas ça absurde. Ce vieux fou – que j’entrevis dans sa mémoire - avait sans doute vu que Logan avait quelque chose à transmettre. L’âge importait peu – je ne doutais pas d’ailleurs qu’il n’ait jamais paru être ni un enfant, ni un adolescent. Propulsé dans le monde des grands trop tôt et trop brutalement, Logan devait avoir eu très vite les traits d’un adulte. Trop mature et trop dur pour son âge sûrement, ignorant des joies de l’enfance et les codes de la nature humaine. “Il faut avoir un grain pour faire ce choix.” J’eus un souffle amusé. Il n’y avait pas de regret ou d’amertume dans ces mots. Il était bien plus conscient qu’on n’aurait pu l’imaginer de ce qu’il renvoyait auprès des autres. Nombreux étaient ceux qui ne pouvaient l’imaginer en enseignant. Pourtant, n’était-ce pas les plus abîmés, souvent, qui prenaient les rôles nécessaires à la société ? Fous, ils devaient l’être.

Il se confiait, à la fois par les mots et par l’esprit. Je ne savais exactement ce qui m’avait valu ça, ce que j’avais fait pour engager un tel acte de confiance et d’abandon chez lui. La vulnérabilité, pour une fois, n’avait sans doute pas été un vecteur de faiblesse mais la porte ouverte à l’échange. Ses paupières se fermèrent une demi-seconde avant de s’ouvrir à nouveau, chassant les dernières images qui avaient afflué en lui.

“Tu cherches à me faire parler du passé ou à évoquer sans la moindre once de subtilité la proposition de la Garde ?”
Il sourit et se mit de côté, redressé sur son coude pour me faire face. Comme cette posture était nouvelle et étrange… Je relevai un sourcil avant de lui adresser un large sourire. Quand avais-je déjà été capable de choisir entre deux choses ?
« L’un n’empêche pas l’autre, dis-je, amusée. Mais je me doutais de la réponse. » J’inspirai doucement en le regardant, pinçant mes lèvres avant de poursuivre. «  Tu as cet air parfois, quand tu essaies de m’apprendre à emprunter une autre voie et que j’y parviens, qui te trahit un peu… » Ma main, qui était restée entre nous sur le matelas, vint s’accrocher au drap qui passait autour de ma poitrine. Distraitement, le bout de mes doigts pinça le drapé du tissu. « Tu parais toujours...profondément satisfait quand ça arrive, comme si tu ne pouvais pas t’en empêcher. Je crois que c’est sûrement ça un bon enseignant...celui qui se réjouit de la réussite de ses élèves. » Pas que j’en sois une, d’élève, mais en certaines circonstances, il avait été celui qui m’avait poussée ailleurs, plus loin. Je me revoyais bien plus jeune, à Beauxbâtons, et puis face aux nombreux tuteurs qui étaient passés dans ma vie, et j’eus un souffle amusé. « Cela dit, je suis heureuse de ne pas t’avoir eue comme professeur, tu m’aurais terrifiée. » Un léger rire me vint avant qu’il ne s’éteigne progressivement dans d’autres pensées. Je croisai à nouveau son regard. « Je crois que tu devrais vraiment envisager leur proposition. Pas pour eux, mais pour toi. »

Pour avancer.
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Sam 18 Fév 2023 - 10:34
Il y a quelque chose de très paradoxal dans le fait d’avoir grandit en ayant un accès illimité à l’autre sans pour autant pouvoir le trouver véritablement. C’est peut être ce qui nous différencie toi et moi. Peut être ce qui m’intrigue tant dans ce que tu as partagé avec ton père. Il y a une forme de mépris et de colère en moi face à cet homme. J’ai toujours pensé qu’il s’agissait de la manière dont il t’a enfermée en toi-même, dont il a refusé de te voir telle que tu as toujours été. Je suppose que ce simple fait en dit davantage sur moi que je le voudrais. Mais il y a autre chose. Peut être que ça tend d’une forme de jalousie, mais ce serait sans doute y accorder bien trop d’importance.
Il t’a accordé de te partager son monde. Ses pensées. Son passé. Peut être pas en entier, loin de là, mais tu as eu de sa part une attention et un enseignement qui ne m’ont jamais été accordés. Tu crois que tu aurais été différente si ce de quoi nous sommes faits avait été naturel pour les gamins de l’orphelinat ? Si t’avais pu comprendre leur manière de fonctionner et apprendre des règles et des limites avant de te servir dans celles de ton père ?
C’est étrange ce truc. Pas une question, seulement une affirmation. Se plonger dans l’esprit des autres, en saisir jusque la couleur de l’âme, son grain, ses failles et ses drames. Pouvoir couler dans son quotidien, se glisser dans chacune de ses occasions manquées, de ses regrets cachés, de ses pensées honteuses ou de ses émotions reniées. On peut s’inscrire dans l’être-même d’un autre. Tout connaître de lui. Tout savoir de ses gênes, de ses facilités, de son rapport aux autres. Je peux. Tout savoir de tout et des autres. Ou du moins des autres. De toi, tu me l’accordes, tu me l’offres. J’en ai fait des intrusions. Si peu de volontaires dans le fond, mais tant où j’ai pu tout prendre, tout arracher à l’autre. J’en exulte d’avoir ce pouvoir, autant que je l’exècre. Je sais, surtout, ce qu’est la normalité de tous ces gens. Ces réveils qu’ils ont, eux. Ces moments seuls ou à deux. Ces petits déjeuners, ces balades, ces fou rires et ces moments partagés. Ceux-là, étrangement, ont un petit quelque chose de ce qu’il y a là, maintenant, entre nous. J’ai vu, comme toi, tant de fois. J’ai ressentis, j’ai volé, j’ai capté des fragments d’un héritage qui n’est pas le mien, d’une mémoire et d’une vie qui ne m’appartiendront jamais. Je les aient haïs pour ça. Je me suis hais, pour chaque silence imposé, pour chaque moment où, en se séparant, ça n’a donné qu’un instant sale et vide. Un instant dont, surtout, je n’ai rien su faire.

Ce qui me dérange, c’est ce qui s’admet dans le trop plein de ces moments. Ça en serait presque un crime que d’aimer te prendre en entier, ressentir l’intégralité de ton être à mes côtés, en moi, sur moi, contre moi jusqu’à ne plus chercher à discerner autre chose que ça… et ne t’accorder que des brides en retour. Pourtant ce sont ces brides le problème. Et c’est le plaisir le problème. Le fait, sans doute, de savoir que ce moment-là dépend de toi. Que si tu t’y refuses, si tu meurs, tu décides d’oublier, tu t’en vas ; tout ça s’arrêtera. Elle vient de là, la colère, il vient de là le détachement. Et pourtant là, maintenant, ça a un sens. Là ça marche. Ça a pas de sens puisqu’au contraire, ce qu’on s’est dits devrait renforcer ce qu’il y a derrière mes espaces. Et je suis là. Je pars pas. Ça… marche. J’ai jamais trouvé quelqu’un dont l’âme était si vérolée que ces moments-là lui étaient interdits. Jamais quelqu’un pour qui ces phases pourtant si normales je suppose, en sont devenues aussi atroces qu’elles le sont pour moi.
Personne sauf toi. Mais toi t’as compris. T’as appris. J’y vais pas dans ces souvenirs ; sans doute parce que je te respectes trop pour ça. Sans doute parce qu’il y a quelque chose que j’y comprends intime et privé. Que je la respecte trop, elle, pour ça. Quoi qu’on semble ne pas s’apprécier tous les deux, la vérité reste bien là, en sous texte, dans ce qu’on fait ou ne fait pas. Dans cette guerre qu’on ne s’est pas livrés quand on attendait à ton chevet que la vie veuille bien te rendre à nous.
D’elle aussi, tu t’es encrée. Ils sont finalement nombreux ceux qui t’ont offert ça. Je me refuse à le montrer car oui, vraiment, ça en dit trop sur moi. Mais il y a de la rage dans mes abysses. Il y a un vide. Il y a un gosse planté sur une chaise dont le père n’a cessé de lui fracasser l’esprit pour le barricader. Il y a des violences, pour répondre à chaque tentative de relier l’autre. Il y a de la glace et du feu, pour toute réponse à cet engrenage de l’enfer. T’as eu ce que personne ne m’a offert. Et tu m’offres ce que tu as eu. Ce qui, pour toi, n’a pas été l’éternelle torture mais autre chose. Quelque chose au service d’une relation, au service d’un apprentissage c’est vrai, mais aussi de l’autre. De celui que tu portes en toi même à regret, même à rebours. Toi aussi les gens t’ont quitté. Mais pour toi, ils sont encore là. Un présent empoisonné, aussi douloureux qu’il est salutaire, je le sais. En attendant j’ai personne. Rien que des vols, des viols, des choses qu’on ne garde non dans la tendresse d’une offrande mais dans l’acidité des remords.

Quant à passer le cap d’être celui qui offre, justement… celui qui s’expose au jugement. Je doute d’en être là. C’est bien beau de se cacher derrière quelques pensées magiques comme des solutions miracles. Ne pas vouloir partager pour préserver l’autre. Très juste pourtant, sans être aisé à admettre. Je sais qu’à te charger de moi, c’est la course du temps que tu accélères. Mais c’est surtout de la lâcheté. Je sais mon jugement. Et je sais ce que d’autres pensent de moi.

Et si tout ça.. S’arrêtait ?

Alors… Pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi là, ça marche ? Parce que, justement, certaines parts de moi ont foutu le camp, remplacées par un quelque chose d’autre. Un entre deux qui laisse ressurgir les ombres sous l’écaille.
Je ne sais pas. Vraiment, ça n’a aucun sens.
Je ne l’admettrais pas, ni à moi-même et certainement pas à toi ; mais il y a quelque chose d’agréable là-dedans. Je n’aurai jamais parler ainsi si le contexte n’y était pas et je crois qu’en vérité, je ne suis pas tout à fait moi-même. Ou peut être simplement pas un “moi-même” que je me connais. Un être que j’accepte de laisser s’échapper vers la surface. Je sais comme tu es multiple, là en dessous. Mais tu n’as pas idée à quel point j’y suis disloqué. Fendu. Craquelé. Ou peut être que si. Peut être que c’est bien ce qui, d’ordinaire, me retient.
Penses-tu que j’emporte avec moi ces parts de toi qui ont déjà accepté le pas ? Que je laisse chez toi ces morceaux qui me retiennent au loin. Pour ne plus laisser que ça, cet homme épuisé de se battre contre tout et tout le monde, qui n’a eu pour seul lien que ceux de l’offensive. Je lâche. Avec l’idée de te préserver de tout ça, je lâche des armes que j’ai toujours pensé liées à moi. Sans l’envie, mais surtout sans la force de faire autrement. Sans la force de te décevoir, de m’acharner, de m’enliser dans un chemin que tu me supplies d’abandonner. Je lâche. Peut être par lâcheté justement. Parce que cette fois-ci je n’y arrive pas. Parce que prendre toutes les décisions pour les autres et estimer que je sais mieux, ça n’a pas toujours eu que les conséquences que j’attendais. Parce que tu sais aussi bien que moi que j’ai plus la force de poursuivre. Sinon t’aurais pas fait face à un mur de glace dont la seule ambition était de sauver le seul véritable membre de ma famille. Alors je… Je ne sais pas. Je ne sais ni ce que je fais, ni ce que je vis ni ce que j’expérimente, là tout de suite. J’ai beau chercher, dans les méandres de mon esprit, à résoudre ce qui n’a pas de sens, à poser les mots, à analyser ce qui se refuse à la logique… je ne sais pas. J’ai juste pas envie de savoir. Juste pas envie de comprendre, de trouver, de projeter. Je sais que ça finira mal, on le sait tous les deux.

Je crois que j’ai juste envie de vivre ça, là maintenant. Sans penser à la suite. Peut être que ce moment là pourra alors rester. Lui. Rien qu’un peu et d’une manière un peu plus véritable que quelques souvenirs volés.

« L’un n’empêche pas l’autre, Je souris. Je me vois sourire. Ça serait une nouveauté tu me diras, de choisir une option et non l’autre. J’ai pourtant le corps sur un bras, étalé dans les draps encore chauds, aucun miroir face à moi autre que les notes ambrées de ton regard. Ça n’arrive pas si souvent qu’elles dégagent ces notes plus chaudes. D’ordinaire elles sont d’encres. Froides et constantes. Grandissantes même, à en emplir tout l’espace. Pourtant pour l’heure, nos esprits se mêlent et si je n’y laisse que les pensées qui vont et viennent, chaotiques mais maîtrisées, je chope les tiennes à la volée. Je laisse couler, ce que j’ai essayé de garder. Quelques parcelles du moins. Quelques souvenirs, des instants cristallisés d’une vie qui n’est plus tout à fait la mienne. Cet homme-là, le prof avant d’être le directeur, me semble lointain. Tout comme les quelques échanges remontés d’une relation naissante avec Alec me semblent appartenir à un autre. Dans le fond, ce pincement de douleur qui te vient, comme des décharges voletant dans l’air que j’attrape sans vraiment y prendre gare… elles font du bien. Mais je me doutais de la réponse. »  Que ça me manque ? Je pense que ce dont tu doutais, surtout, c’est que je réponde. Et puis tu inspires, pince des lèvres, et poursuis. A vrai dire je ne suis pas certain de vouloir la suite mais je laisse couler. C’est plus simple comme ça. J’ai juste pas envie de me battre, pas là tout de suite, pas alors qu’il y a quelque part en moi cette part de toi qui m’y encourage. Ça t’a fait quoi, toi, quand tu as baissé les armes pour la première fois ?
Je crois que c’était dans mes bras.

« Tu as cet air parfois, quand tu essaies de m’apprendre à emprunter une autre voie et que j’y parviens, qui te trahit un peu… »

Mon crâne roule doucement sur mes épaules, fronce des sourcils non pas d’un air de mécontentement, mais simplement pour percevoir ce qu’elle décrit, ce à quoi elle songe en même temps sans doute. Qui émerge d’elle ou de moi sans véritable distinction, plus un sentiment général qu’un véritable souvenir d’ailleurs. « Tu parais toujours...profondément satisfait quand ça arrive, comme si tu ne pouvais pas t’en empêcher. Je crois que c’est sûrement ça un bon enseignant...celui qui se réjouit de la réussite de ses élèves. »  Un instant je bloque. Non pas parce que c’est faux, simplement que je ne l’ai jamais vu sous cet angle. Un véritable souci de la réussite des élèves ? Tout à la fois vrai et faux d’une certaine façon. Vouloir la réussite, oui, profondément. La vouloir pour eux, pas toujours. Pas pour tous, surtout. Pour toi, oui, c’est certain. Ça serait donc comme ça que tu me vois ? Un bon enseignant. Une donnée étrange compte tenu du fait qu’ils sont sans doute peu et sans doute masos, ceux qui m’ont considérés comme tels. Et pourtant c’est bien à moi qu’on a donné le poste. C’est rassurant d’une certaine manière. C’est confortable. C’est… comment t’as dit ? Satisfaisant. Oui, je crois que c’est satisfaisant d’être dépeint comme ça pour une fois. J’en viendrais presque à ne pas te croire. Sauf que je suis en toi.

Et je sais que tu ne mens pas.

Alors quelque chose se serre en dedans. Quelque chose gonfle et amène les mots à se taire. Un sourire pourtant, davantage une crispation pour être honnête, me tord les lèvres et ferme mes doigts sur ta peau. Encore ton bras, faut que j’enlève ma main de là.

Elle y reste pourtant.

« Cela dit, je suis heureuse de ne pas t’avoir eue comme professeur, tu m’aurais terrifiée. »

Et je ris. Ça semblerait presque naturel tant je suis déconnecté. Comme en travers de moi-même. Mais l’idée m’amuse et je me laisse retomber sur le matelas dans une légère secousse du poitrail.

“Moi qui pensais t’avoir terrifiée déjà..” Loupé.

Un sourire, donc, en coin à fixer le plafond encore un moment. La lueur chaude s’évade ici. Elle étend ses filaments sur la peinture, se brode dans les drapés du cadre du lit. T’en as fait un sacré truc. D’ailleurs je doute que tu fasses quoi que ce soit à moitié. T’es toujours comme ça, soit bloquée soit en roue libre, à chercher à en faire un maximum. C’est pour toi que tu fais ça, ou pour les autres ? T’as toujours fait beaucoup de choses pour les autres alors… ces autres, c’est de moi dont il s’agit ici ? Ou pour te sentir à l’aise dans un environnement qui n’est plus le tien du fait de ma présence ? T’es apaisée pourtant. Peut être que c’est moi, qui devrais songer à commencer à construire des trucs.

Ton regard passe, le mien s’y accroche. Il s’arrête, décrypte les filins de lumière.

« Je crois que tu devrais vraiment envisager leur proposition. Pas pour eux, mais pour toi. »

Ouais. Construire des trucs.
Un peu pour moi aussi.

“J’y songe Sanae.”

Pour la première fois je crois que c’est vrai.
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Mar 14 Mar 2023 - 22:52
1er septembre 2016

A quoi ressemblerait notre futur ? 
Il me semblait si incertain que je n’osais en imaginer ne serait-ce que  les contours. Tout ce que je gardais en tête, c’était que ces deux corps côte à côte que nous avions été quelques jours plutôt n’auraient jamais pensé être si vulnérables, simples, vrais. Il y avait une intimité singulière dans le fait de vivre avec quelqu’un qui savait tout de nous — le bon, comme le mauvais. Pas de place pour le mensonge ou l’illusion. Le seul luxe que je pouvais m’octroyer était d’occulter les informations dont je n’étais que la porteuse, et de remettre à plus tard les mots que je ne pouvais pas encore prononcer. Et ils étaient parfois nombreux, ces mots. 

Je gardais ceux de Logan précieusement en moi. 
J’y songe, Sanae.

Je savais qu’il était sincère, que dans les rouages de ses pensées il y avait désormais une place plus nette pour la proposition de la Garde. J’espérais même avec plus de certitude qu’il accepterait. Ça me donnait un peu foi en ce futur. Le sien, surtout, que j’invoquais davantage que le mien. Je me plaisais à l’imaginer à nouveau dans ce bureau de Directeur de Poudlard ou dans une salle de classe face à des élèves craintifs. J’aimais cette vision qui passait furtivement dans mon esprit, comme le rappel doux-amer qu’il y aurait peut-être un après-guerre où la vie continuerait. Il serait professeur à nouveau, directeur sans doute, et il retrouverait le rôle qu’il avait assumé. Cette fois-ci, il n’y aurait pas de cachot ou de sang versé. Seulement le quotidien d’un enseignant renfermé et un peu tyrannique. 

Je souris à cette réflexion. 

Mes pouces passèrent sur la boite d’un bleu profond entouré d’un fin ruban blanc. Pourquoi avais-je tant de mal à me voir dans ce tableau? Pourquoi, quand je l’imaginais assis derrière son bureau, je n’étais pas près de lui, quelque part dans un coin de cette image floue? Je pensais à Margo, et je ne trouvais pas de place pour moi dans cette vie à cent à l’heure, aussi spontanée que passionnée. Et lorsque mon esprit me portait vers Kezabel, je ne voyais que l’avenir prometteur qui l’attendait, sans moi à l’horizon.

Je blâmais ces derniers jours. 
Je blâmais le trou dans ma poitrine qui était invisible à l’oeil nu mais qui m’irradiait de douleur. 

Je n’arrivais plus à m’imaginer au-delà de ma vengeance. Oui, c’était le plus loin où je pouvais aller. La mort, violente et jouissive, de celui ou celle qui m’avait enlevé le noyau de mon existence. Je n’étais pas même sûre de continuer à Sainte Mangouste, de poursuivre cette voie que je reconnaissais de moins en moins comme la mienne. Pas sûre non plus d’identifier un quelconque autre désir que l’accomplissement de ma rage. Sans doute serais-je encore dans les rangs de la Garde, à lutter. Mais après? Que et où serai-je alors? Qui serai-je? 

Je soupirai en fixant la boîte bien emballée. 
Il détesterait l’emballage. C’était bien trop lisse, bien trop joli. 
J’avais mis du temps à trouver son cadeau. Finalement, Alec et Kezabel m’avaient donné la réponse. C’était presque évident. Deux objets reliés ensemble, communiquant au-delà des contraintes du monde moldu ou du régime des Supérieurs ; un moyen à nous. J’avais choisi une montre aux bracelets de cuir, avec un acier légèrement marronné qui rappelait le cuir. Dans le cadran, différentes aiguilles se tournaient vers des chiffres romains : les plus grosses affichaient l’heure réelle tandis que deux autres, plus fines, une dorée et une dans un acier plus clair, pointaient dans des directions opposées. La dorée était la mienne et la grise, elle, lui appartenait. Sur la tranche de la montre, des boutons actionnaient nos aiguilles et celles qui donnaient l’heure ordinaire. J’avais du trouver un vieux magico-horloger pour lui faire relier les aiguilles entre elles. 

Car autour de mon cou, un médaillon discret renfermait un plus petit cadran, parfaitement identique. Je n’avais pas pu faire fabriquer une deuxième montre, portant déjà celle de Sainte Mangouste, alors l’idée m’était venue de la dissimuler dans un médaillon. Je portai ma main à mon cou. Mon index passa sur la pierre d’obsidienne entourée de bordures argentées. C’était un petit médaillon ovale qui donnait l’impression qu’il ne s’agissait que d’un simple collier. On ne le remarquerait pas.  

Mais moi, je saurais à qui et à quoi il me reliait.

Assise sur le bord de mon lit, une jambe repliée sous l’autre, je laissai mon regard errer sur les draps défaits. J’éprouvais une peine étrange dans l’évanouissement du moment que nous avions partagé. Il était passé, il ne reviendrait pas. Je savais pourtant qu’il en aurait sûrement d’autres mais j’étais si peu sûre que ce dernier laisse un semblant de trace qu’un fond de tristesse imprégnait ce souvenir. Il y avait eu un souffle, lourd, saccadé, qui s’était transformé en quelque chose de plus léger. Une ouverture, entre nos deux esprits, s’était manifestée avec plus de tendresse que nous aurions aimé l’admettre. Je ne voulais pas que ce moment se dégrade, qu’il ne résiste ni au temps, ni à nos erreurs futures. Je voulais l’ancrer. Peut-être que ce cadeau était un moyen de le faire, en quelque sorte.

Je dépliai le petit carton blanc encore vierge et pris un stylo. Peu sûre encore de ce que je comptais écrire, je me mis à faire quelques pas dans la chambre. Le jour n’était pas encore levé. A travers les carreaux de la fenêtre, je vis le ciel revêtir un bleu moins ténébreux. Parmi les maisons voisines, quelques lumières filtraient par les rideaux tirés. Je trouvais parfois étrange d’observer ces voisins qui ne savaient rien de notre présence. Leurs petites vies semblaient tranquilles, silencieuses, routinières. Je me demandais parfois ce que leur existence banale leur donnait à ressentir. S’ennuyaient-ils ? Attendaient-ils la mort ? Rêvaient-ils d’expériences lointaines ? Je n’avais vu que de vieilles personnes dans la rue qui bordait le cottage mais il devait y avoir des jeunes, parmi les habitants, qui devaient subir un ennui féroce. Et je ne savais pas si j’avais envie de leur dire d’aimer leur tranquillité ou si je les plaignais de leur ennui.

Je tapotai la carte contre ma main. Un joyeux anniversaire, plein de bonnes choses ! était proscrit. Il faudrait quelque chose de plus vrai, de plus...lui. Encore une année en vie mais toujours moins de doigts ! Non. Je lui épargnerai mes blagues habituelles sur ses phalanges. Ce n’était pas tant de lui souhaiter un joyeux anniversaire qui m’angoissait – bien que j’étais persuadée qu’il ne devait ni s’y attendre, ni le vouloir vraiment – mais plutôt de présenter le cadeau que j’avais fait faire pour nous. Sans doute parce qu’il était terriblement intime et qu’il disait tant que je sentais mon instinct pudique se manifester. Je m’étais promis de ne pas reculer, de ne pas laisser cette boîte dans le fond de mon armoire.

Et puis, nous avions besoin de ces montres. Au cas où le cottage se trouvait assailli par les Supérieurs, nous devions pouvoir nous contacter, nous prévenir de ne pas rentrer. Nous devions, aussi, avoir un moyen de nous ramener à la maison si le besoin se faisait sentir, s’il y avait une urgence. Avec les nouvelles lois du monde magique, je ne pouvais plus avoir mon téléphone avec moi. Ce n’était pas si gênant avec Kezabel ou Margo : elles avaient les moyens de joindre quelqu’un d’autre lorsque je n’étais pas dans le monde moldu mais lui, il n’usait que peu de son téléphone, oubliait généralement de le charger, ou de l’emporter. J’étais le lien officiel qu’il avait avec le reste du monde et l’idée qu’il ne puisse m’appeler s’il avait un jour besoin m’angoissait bien trop pour ne rien faire.

Oui, c’était une nécessité, pratique et utile.

Je posai le carton sur la surface d’un meuble et me mis à écrire quelques mots. J’eus une hésitation avant de sourire.



C’est l’anniversaire de Personne. 
Alors Joyeux anniversaire à Personne. 
J’ai pensé qu’il faudrait un moyen à nous pour communiquer.
On en aura peut-être besoin un jour. 
Minuit est l’heure de se retrouver.
Six heures est celle de s’éloigner. 
Et toutes les autres sont des possibilités.



Peut-être qu’il aurait d’autres idées, d’autres signaux, pour nous comprendre à travers les rouages des aiguilles. Peut-être, aussi, qu’il ne mettrait jamais cette montre.

Ma main se suspendit au-dessus du papier. J’aurais aimé avoir le courage d’écrire qu’avec cette montre, il pourrait toujours me demander de l’aide mais le stylo se figea trop longtemps.

Je signai le mot et le pliai.

Quand j’ouvris la porte de ma chambre, ce fut à pas de loup que je passai dans le couloir et descendis jusqu’au rez-de-chaussée, la boite dans la main et mon sac sur l’épaule. Hors de question de lui donner en mains propres. Ce n’était pas la peine de faire un concours de celui qui était le plus gêné. Je me glissai dans les ombres du salon, allumai les lumières de la cuisine et déposai près de la cafetière la boîte et le petit carton blanc. D’ici ce soir, il le verrait. Nous n’aurions pas besoin d’en parler. Il saurait et je saurais. C’était largement suffisant.


Fini pour moi
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Dim 26 Mar 2023 - 15:38
Ce sont ces choses qui nous forgent. Celles dont on se nourrit, sur lesquelles on se construit. En aout il m’est arrivé de les chercher, ces brisques sur lesquelles tu t’es appuyée. Ces brides de l’enfance que j’ai pourtant si souvent parcouru. Ça m’a pris du temps, à vrai dire, pour y remonter. D’abord par jeu, par envie aussi, peut être même par cruauté. Ils sont si fragiles, ces fragments des premiers âges. La tendresse de l’innocence. Je sais comme elle te crispe, celle des autres. Tu devines comme il en est de même ici. Je doute de l’avoir jamais été d’ailleurs, innocent. Un grand mot pour de si petites choses… ingénues, frêles et inconstantes. Sans cesse en demande de l’autre. Sans cesse dans l’attente d’un regard. Moi les regards, je les ai toujours crains jusqu’à les broyer sous les miens. Et toi.. Oh toi.. Je sais que tu m’as sentis m’y attarder, l’autre soir. Perdu dans ton esprit, je suis resté un instant aux côtés d’une petite fille, seule dans un orphelinat trop grand pour elle et ses pensées. Si grand qu’on pourrait s’y perdre, que nos cris pourraient s’y réverbérer jusqu’à se dissoudre tout à fait dans le néant. Trop étroit pourtant, si plein et oppressant qu’il y était impossible de s’extraire quelques minutes rien qu’à soi. Seule, loin des autres. Il n’y a que l’esprit pour ça. Mais même ça, à toi, on l’a refusé. Alors j’ai songé aux miens. A ces nuits passées seul à envisager les années achevées. Le seul truc c’est qu’à l’époque, j’aurais été bien incapable de tracer la moindre bougie sur le sable. Dans le chaos des souvenirs, on peut remonter, pourtant, à ce jour-ci.

Trois coups frappés à la porte du grenier. Pas qu’on demanda à y entrer, Jethro en avait d’ailleurs bien sûr passé le seuil. Il n’aurait simplement pas souhaité avancer plus avant, de peur sans doute de se souiller avec ma médiocrité. Ainsi était-il resté, ombre de clair-obscur sur la lumière aveuglante du couloir.
“Logan ?! Debout. Tu pars à Poudlard.” Comme ça. Rien de plus. Tu as onze ans mon fils. Avance et quitte le nid.
J’aurais dû en être soulagé, me presser à l’extérieur pour enfin sortir de mon enfer de poussière et d’or mêlé. Mais la boule qui m’étouffait la gorge alors semblait plus épaisse qu’un souaffle. Je me souviens comme mes bras tremblaient, dans la calèche qui m’amenait au château. Nous ne prenions pas le train. Du moins mes frères ne s’abaissaient-ils pas à cela. Sans doute trop trivial pour les fils d’un homme à la tête du pays. J’avais d’ailleurs pensé qu’on m’y laisserait et que je me débrouillerai, le jour où viendrait mon tour. Mais personne ne m’amena au Poudlard Express et c’est en calèches que se fit le voyage. Un long et pénible trajet lors duquel je n’ai pas cessé de trembler, calmé à rythme régulier par des coups balancés dans mes tibias par les frangins plantés face à moi. Ils m’avaient raconté beaucoup d’horreurs sur l’école et la vie qui m’y attendait. Des horreurs qui m’auraient sans doute fait frémir plus encore si je n’avais pas attrapé quelques souvenirs ici et là dans l’esprit des uns et des autres. D’eux, pour commencer. Ceci dit, je ne doutais déjà pas à l’époque que sans personne pour les canaliser, les deux légitimes risquaient de m’en faire baver. Qu’ils tentent. Voilà ce que je me suis répété durant toute la traversée. Qu’ils tentent. Qu’ils tentent. Qu’ils tentent. A la fin, tous deux me fixaient d’un regard en biais, les muscles crispés, quelques réflexions mutiques adressées l’un à l’autre. Il a fallu que l’un d’eux ne fasse signe à notre père pour que celui-ci ne réagisse. En a-parte ; “Un seul pas de travers Logan, et je te promets que tu regretteras d’être né.” Craindre un seul et unique pas était sans doute bien mal me connaître. “ça serait un bon jour remarque. La vie et la mort à célébrer sur une même date maudite.” Rien de plus. Voilà. Je connaissais le jour de ma naissance. Joyeux anniversaire Logan.

“Encore un Rivers ? Différent mais si similaire… promis à de grandes choses, lui aussi. Ambitieux c’est sans équivoque…

Serpentard.

Ces tables ont toujours été trop pleines. Les élèves trop serrés, comme imbriqués les uns sur les autres. Je me revois à me lever, le coeur battant, l’esprit en vrac. C’était à prévoir, mais j’étais destiné à onze ans d’études dans le même dortoir que les autres engeances Rivers. Ces derniers ne cessèrent de me fixer alors que je quittais l’estrade, m’accordant le même regard que trois autres garçons, à ma droite, aux couleurs bleu et bronze. Les Rowe. Je me souviens avec lever le regard et le menton avec autant de hargne que possible et cherché à peindre la pire des ombres dans la clarté de mes iris. Quand je suis allé m’asseoir au plus loin de la table, tout ce que j’ai pu capter ailleurs fut des “Bah putain…” “Bonne ambiance le gars”. J’étais là depuis cinq minutes et ma réputation était faite. Personne ne s’est assis près de moi et je suis parti avant le début du repas.
Nul besoin de préfets ou de carte pour me repérer, j’ai atteins la salle commune sans mal. Personne. Seules les ombres projetées par les créatures aquatiques dont les formes se détachaient au travers des hautes fenêtres. Elles traçaient au sol des formes mouvantes et silencieuses qui me recouvraient et me délaissaient sans prendre en compte ma présence.
“Il peut être intimidant de se trouver sous les feux des projecteurs quand on les a évité toute sa vie.” C’est là que je lui ai fait face seul à seul pour la première fois. Avant la répartition, bien sûr, mon père avait pris la peine de me faire subir une entrevue avec le directeur afin de lui faire part de mes “particularités” et s’assurer - sans doute pour la n-ième fois - qu’il saurait gérer un “spécimen comme le mien”. “Soyez assuré qu’il ne lui sera fait aucune concession.”
“Il n’est cependant pas rare de rencontrer des élèves de première année intimidés par leur arrivée dans l’école.”
“Je ne suis pas intimidé.” Un pieu mensonge, en vérité.
Et il a sourit. Plus tard, il me dira sa curiosité face à un élève tel que moi. Il sous-entendra également connaître mon père depuis des années et distillera ici et là une certaine répulsion pour le personnage. De tous ceux que j’ai pu croiser dans cette école, j’aurai été bien incapable de le définir, lui. J’ai toujours eu l’impression que si j’essayai une intrusion, les conséquences en seraient désastreuses, en plus de rendre la tentative totalement infructueuse. La sensation m’a suivie, jusqu’à ce que je me pointe au bas de ces mêmes escaliers de pierre, dix ans plus tard. Que je signe un contrat m’engageant à préserver ceux que Woods aura mis sous ma responsabilité.
Jusqu’à ce que sa tête tombe et que je vois cet homme qui m’aura accordé je crois, bien des passes-droits et une confiance que je n’ai jamais compris, s’écrouler sur le sol. Pour lui succéder, alors, un sorcier qui m’a dit un jour avoir vu grandeur et aptitudes en moi.

D’une manière assez absurde pour l’un, et très légitime pour l’autre, j’ai l’impression de leur avoir pris la vie à tous les deux. D’être coupable, du moins, d’une forme de trahison envers chacun d’entre eux.

Chaque année, enfin, une manière de fuir les Rivers. De gagner une forme de liberté. De faire face, pourtant, à la déception d’un vide maintenu entre moi et les autres. Le problème n’a jamais été les autres. Poudlard ne m’apporterait rien de plus qu’un autre isolement. Plus apaisé malgré tout puisque l’école finirait par devenir ma complice. Le château a toujours été un lieu de secrets, de passages dérobés et d’énigmes. Un labyrinthe qui a rapidement été le mien. Je pense que si j’y avais grandit plus tôt mon esprit se serait formé sur le modèle de l’école. J’aurai peut être dissimulé mes pires journées dans la salle sur demande ou l’étage scellé dans la tour des hiboux. J’aurais relié les cachettes par divers passages, inclus des épreuves. Ce n’est sans doute même pas possible mais ado, c’est ce que j’imaginais. Il me prenait même de supposer que Woods était comme moi. Que l’école était son esprit. Que j’y trouverais peut être des réponses aux questions que je n’ai jamais posé. Peut être que j’étais destiné à en devenir directeur. Dans une autre vie, dans d’autres circonstances. Ou bien peut être était-il voyant et m’a-t-il mis là pour une bonne raison. Je ne sais pas. Mais aujourd’hui l’école me manque. Le calme avant l’arrivée des autres élèves, dès lors que Woods m’a autorisé à y demeurer pendant les vacances scolaires. L’agitation des elfes, l’entretien des salles. J’ai cru, pendant un temps, que ma connaissance du château suffirait. Que je saurai même utiliser les elfes comme d’une arme contre nos ennemis. Qu’ils m’écouteraient. Après tout, j’étais leur supérieur et j’avais côtoyé leur manège pendant des années. Ils n’ont jamais écouté qu’Ismaelle.
Va comprendre.
Le refuge est devenu prison. T’imagines pas ce que c’est, de connaître chaque brique de sa cellule. De savoir qu’un mur plus loin, il suffirait d’une pression bien placée pour ouvrir une trappe. Que la sortie est là, à portée. Hors d’atteinte.

Je ferme les yeux, inspire, souffle. Mes paupières battent les souvenirs hors de mes prunelles et je force mon corps à se redresser contre le matelas.
C’est ce jour-là, celui de mon onzième anniversaire, que j’ai découvert mon second prénom. Marek. Il était inscrit à côté de ma date de naissance, comme bien d’autres informations qui ne m’ont pourtant jamais été adressées. Marek. Chaque fois que je pense à ce nom, j’entends rien d’autre que sa voix. Je sais même pas comment elle l’a eu. Via ses frères, il parait. Ce qui voudrait dire qu’ils ont eu accès à mon dossier avant même que je ne mette la main dessus. C’est à ça que je devrais me raccrocher. À l’injustice, la colère, la rage. Pourtant je revois chaque rentrée. Chaque regard. Le premier. Le dernier. Nos conneries pour nous chercher. La manière dont j’ai pris ses lèvres, puis son corps, son âme, enfin. Et sa mémoire.
Un grognement m’échappe. Elle ne devrait pas parasiter mes pensées comme ça. L’histoire est terminée, elle n’est rien d’autre qu’achevée. Il n’y aura pas, cette année, cette impatience piquante dans ses yeux clairs. Il n’y a plus rien me concernant. Il n’y a sans doute plus rien nulle part d’ailleurs. Ni elle, ni Woods, ni même Ismaelle je suppose. C’est elle qui était tombée sur mon dossier lorsqu’on a pris possession du bureau du directeur. Qu’Anthony demeurait au sol aux côtés de son associé, blancs comme le marbre.

En me levant, j’eus la pensée absurde et violente de marcher sur Poudlard. De renverser l’école. De récupérer les vieilles pierres ; les libérer. Comme si l’école était ma propriété. Mon avenir, plus que mon passé. J’y ai laissé tant de sang, tant de larmes invisibles. Parfois j’ai l’impression d’avoir laissé un peu de moi dans les charnières de cette dame de roches.
L’avenir ? Pensée étrange pour le jour de ma naissance. Pensée incongrue, surtout, émergée de je ne sais où, dissonante et intruse dans le flot de mon esprit.
Bien sûr, je sais d’où elle me provient. De toi. Uniquement de toi.

Mais toi, comment le vois-tu cet avenir ? Tu me fais la leçon, tu t’acharnes à m’ancrer dans mon futur, mais le tien es-t-il si aisé ? Tu crains mes pensées, mon acharnement et mon épuisement, mais qu’en es-t-il du tien ? Je te vois tu sais, avec Kezabel et ses épreuves. Je vois son présent après l’agression, la manière dont ton esprit a frayé avec la faucheuse, la façon que tu as de t’accrocher au présent et de fuir les sujets qui fâchent. Je ne dis rien, ça ne me regarde pas. Mais je vois. Je vois comme tu songe à quelque chose ces derniers temps. L’alcool ? Il y a quelque chose qui tourne en boucle. Es-tu prête à partir en France ou dans les ruelles d’une ville pour te perdre à la recherche d’acide ? J’aurais tant de questions, tant de réflexions que je ne ferais pas. Sans doute suffirait-il de se mêler de nouveau, jusqu’à se perdre complètement. Jusqu’à rendre naturelles chacune de ces crispations étrangères à mon être. Faire des tiennes ma propriété, des miennes la tienne. J’en suis pas là. Un recul ces derniers jours, bien sûr, comme toujours. Pourtant j’ai laissé un accès qui n’était pas là avant. Pas tant des souvenirs, mais des émotions, grésillant comme un halo électrique autour de moi. J’ai interrogé les tiennes, en mon fort intérieur. Me suis demandé ce que c’est de perdre un père. De ressentir cette rage qu’il y a en toi. J’ai soupesé la frustration de se savoir dans un cul-de-sac. La peine, qui a implosé dans la maison auprès des flots, je l’ai visualisée, me suis demandé combien de temps tu tiendrais encore sans la moindre avancée. Combien de temps moi, je tiendrais, ici, sans sentir le pouls de mes geôliers se presser sous mes doigts, louper quelques battements puis se taire tout à fait. Une année de plus, et l’idée que je me fais de mon identité semble plus atroce encore. Plus coupable que l’année passée. Coupable d’inaction cette fois.

Dans un souffle, j’ai fini par me lever, m’habiller et ouvrir les volets. Il y a dans l’air de ce village comme un parfum d’inertie. Une chose amère qu’on ne ressent que sur les pavés de pierre. Au centre des briques, sous les toits d’ardoise ou de paille. Dans la chaleur du bois des poutres. Il y a dans les murs une vibration particulière.
Tu le voyais comment ton avenir, quand tu étais môme ? Tu t’imaginais dans ce genre de baraque ? Tu t’imaginais compter tes cibles, à chaque bougies soufflées ? Simple expression bien sûr, je n’ai jamais soufflé une seule bougie.
Alors je laisse entrer l’air frais de la matinée. Je le laisse engloutir les murs et les draps de son parfum d’oisiveté, je passe quelques affaires et je sors de là. Il n’y a pas un bruit. Il n’y en a jamais à cette heure-là. Pas que je t’évite mais… Si, je t’évite. Aujourd’hui je veux être seul. Je ne veux pas penser à Dorofei qui serait foutu de m’apporter un gâteau comme il l’a fait une fois. “Tu te crois drôle ?” que je lui avais répondu. Comme si sa réponse m’apporterait quoi que ce soit. Je crois que je redoute un peu ça, en vérité. Que t’y ai pensé. Que tu ais fait quelque chose. Comme s’il y avait quoi que ce soit à célébrer.
Un pied de nez ? C’est en tout cas comme ça que je l’ai pris durant des années. J’ai célébré en mon fort intérieur quelque chose de grinçant et d’amer : je suis encore en vie, me suis-je dit tant de fois. Une réflexion qui n’a jamais été si lourde de sens qu’aujourd’hui.
J’essaye, surtout, de ne pas penser aux autres. J’essaie d’oublier Alec, de ne pas songer à ceux qui sont partis. De ne pas invoquer le sablier qui trace de chaque grain de sable le temps qui sépare la rupture de notre propre relation, à toi et moi. Quoi qu’elle soit, quoi qu’il n’y ai pas de mot adéquat. De manière absurde, je songe que j’ai eu un chat un jour, qu’il doit être mort à Poudlard à l’heure qu’il est. Le phoenix avec lui. Que le patronus d’Aileen a sans doute changé. Que Dorofei pourrait se flinguer. Que toi, t’as trop à gérer. Qu’Ismaelle a sans doute fait le bon choix, mais que l’abandon me reste acide. Qu’il y a dehors, trop d’esprit à qui j’ai prédit la mort, qui ricanent encore du sursit que je leur accorde contre mon gré. Elle est là, cette colère à laquelle s’accrocher. Celle qui m’a fait vibrer, qui m’a pourtant quitté de trop longs mois. Alors je songe à mon père, de manière plus absurde encore qu’au chat. J’imagine sa vieille peau de génitrice poser les yeux sur moi. Je le vois partager le tic de leur pouce, qu’ils frappent en rythme du majeur. Trois coups. Une pause. Trois coups. Et puis je revois mon frère. Ses lèvres bleues, la terre sur son visage de cire. Je revois le môme, aux portes de l’école, qui s’effondre le regard droit. Je revois les victimes de l’enfance, l’esprit qui part comme une balle, la froideur du ton du patriarche.

Derrière moi, la porte claque brutalement. Elle m’en ferait presque sursauter si je n’en étais pas à l’origine. Ça part dans tous les sens sous les os de mon crâne. Ça avale la distance et les années. Ça bouffe le silence de cette saloperie de baraque. Aujourd’hui, j’aurais la patience de rien. Je ne supporterai ni les murs, ni la forêt environnante, ni la clameur de la voisine là-bas, qui appelle son chiard dans le jardin. Je trouverai insupportable ton absence. Tout autant que ta présence ce soir. Je lèverai les yeux face à chacun des plaids, des coussins, de l’électroménager moldu, des potions, de l’alcool. Des grincements du parquet. Du soleil dans les carreaux.
Le souffle, un peu fort, en atteignant la dernière marche. C’est ainsi. Ce jour a toujours eu quelque chose d’électrique. De puissant. Trop puissant même, pour moi.
Mes yeux clignent. De toutes les cicatrices que je porte, celle qui me brûle à présent se trouve sur ma paupière inférieure, à droite de mon visage. C’est psychologique, je le sais, mais ça n’empêche pas à Jethro d’être quelque part, à hanter mes souvenirs. Peut être a-t-il fait comme ton père lui aussi ? Peut être a-t-il laissé des parts de lui là-dedans. Des fragments que j’ai enfouis si profondément que je ne les ressens même pas.
Toi, tu ferais la différence, si je te laissais aller et venir dans les catacombes de mes souvenirs, entre ce qui m’appartient et ce que j’ai dérobé ? Entre mes démons, et ceux qu’on m’a imposé ?
Moi je le fais, derrière tes frontières. Alors je suppose que tu saurais.

Et puis je m’arrête. “Je me fige”, serait plus adapté. T’as laissé un paquet sur le meuble, pas si loin de la télé.

Évidemment.

C’était pas de l’alcool que tu cherchais. C’était un cadeau.
Un cadeau.
L’idée est étrange, même de ta part.
Évidemment je songe à Aileen, quelques instants. Je revois les conneries, ma colère, le boursouflet qui chante en cœur au dessus de ma tête toute la journée jusqu’à ce que je me décide à l’enfermer. J’en avais pas l’impression, mais en me penchant sur le passé, je crois que j’y étais plus humain finalement. C’est ça qu’ils font ? Les humains ? Ils reçoivent des cadeaux ? Tu m’en diras tant…

“T’en as de ces idées à la con..”

Je ne l’ai pas touché. De toute la journée ; je suis allé courir, parce que ça implosait sous la surface, j’ai bu, j’ai fait toutes ces merdes que je fais tous les jours pour passer le temps davantage que je ne l’utilise. Pas touché aux travaux. Fini par me perdre en forêt, à jouer les apprentis sorciers sans baguette. Un incendio dans une forêt, quoi de plus naturel en août ?
Ça va, ils vont bien, ces arbres. Majoritairement.

Et puis je suis revenu. Et j’ai défait ce foutu paquet. Tu sais qu’il ne ressemble ni à toi ni à moi ce paquet ?

C’est l’anniversaire de Personne.
Alors Joyeux anniversaire à Personne.
J’ai pensé qu’il faudrait un moyen à nous pour communiquer.
On en aura peut-être besoin un jour.
Minuit est l’heure de se retrouver.
Six heures est celle de s’éloigner.
Et toutes les autres sont des possibilités.

Et le pire, c’est que j’ai souri.
Tu te retranche derrière le factuel, l’utile. C’est plus rassurant comme ça hein ? Moins intrusif. Moins intime. Tu feras ça aussi pour Margo ? Pas que je sois sur le même plan mais t’as compris l’idée. Tu fais quoi, d’ailleurs, pour Kezabel. Tu lui offrais quoi à ton père ? Vous faites ça hein, je suppose. Merde, je me rends compte à retard que ça m’est simplement jamais arrivé. Le mieux que j’ai dû faire pour un anniversaire, c’est de distribuer des heures de retenues.
Alors, en ouvrant l’écrin de bois, je revois un instant Alec qui me claque une bouteille sur le torse et la lâche sans attendre que j’ai le réflexe de l’attraper. “Tu fais chier Logan. J’te proposais juste un verre. Arrête de faire ta bêcheuse et souhaite moi bon anniversaire.”

Ouais.

Elle est belle ta montre. Et c’est malin.
Et toi aussi t’y as pensé, à lui.

Alors je pose les mains à plat sur la surface du meuble et j’observe les aiguilles qui avancent sans prêter gare à mes pensées. Il y en a quatre. Le mécanisme est apparent, le bracelet de cuir sombre. Un balancier en arrière des rouages permet de recharger l’objet et de le faire fonctionner. Le reste est ensorcelé. J’ai pas besoin de sortilège pour en comprendre l’usage, tes quelques mots ont suffit. Ses souvenirs, à lui, suffisent…

Toi et moi… comme si on pouvait avancer ensembles. D’autres s’y sont essayées tu sais ? Elles se sont vautrées.

Et puis, je crois que quelque part, j’arrête… de faire ma bêcheuse. Je mets la montre.
Et je règle mon aiguille sur cinq heures. Mai. Le premier. Là aussi on a fait dans la synchronicité.
Ce n’est ni minuit, ni six heures. Je te demande ni de venir ni de t’éloigner.

Je te dis juste que tu ne perds rien pour attendre, avec tes idées à la con.

- Topic fini -
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