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Jeu 31 Mar 2022 - 23:42
11 juillet 2016



« Tout va bien Mrs Kimura, ça ne fait qu’une seule nuit.
- Oui mais…
- Je sais que c’est difficile pour la famille mais c’est important qu’elle se retrouve dans un environnement…
- Mais vous avez bien vérifié qu’il n’y avait rien de dangereux dans sa chambre ?
- Pour la millième fois, oui Mrs Kimura. Vous nous avez fait vérifier à plusieurs reprises. Nous avons l’habitude, ne vous inquiétez pas.
- Elle a dormi au moins ?
- La première nuit est toujours difficile, il faut lui laisser le temps de s’acclimater.
- Donc, elle a pas dormi.
- Je vous assure que nous prenons ses troubles du sommeil sérieusement. Vous devez vous tranquilliser, nous avons l’habitude…
- Et vos médicaments ? Ils sont sous clés, n’est-ce pas ?
- Mrs Kimura… vous vous en êtes assurée lors de votre dernière visite.
- Oui...oui, c’est vrai.
- La meilleure chose pour vous et elle, c’est de faire confiance en nos pratiques. Nous prenons grand soin d’elle. »

Entre ses doigts, un petit origami en forme de cygne se tournait et se retournait. Au bout du fil, la jeune femme du Centre suisse tentait de dissimuler son agacement et prenait le temps de répondre à l’interrogatoire de la sorcière. C’était la deuxième fois qu’elle appelait aujourd’hui et il n’était que 14h. La conversation fut rapidement écourtée par un second appel qui, Sanae en était persuadée, était seulement une excuse pour se débarrasser d’elle. Elle avait beau avoir choisi elle-même le centre, Sanae ne voyait maintenant chez le personnel soignant que l’obstacle qu’il représentait entre sa sœur et elle. Quand l’appel se termina, elle jeta son téléphone sur le lit méticuleusement fait et soupira brusquement. Elle aurait aimé lui parler, lui écrire – Merlin, lui envoyer un hibou ou un pigeon si c’était possible ! - et dissiper ce sentiment atroce qui s’était installé depuis la veille.

Elle l’avait abandonnée.
Et elle se souviendrait à tout jamais du visage de Kezabel quand ils l’avaient laissé là-bas.

Ce visage, elle le revoyait à chaque fois qu’elle y pensait. Il s’imposait à elle, lui empoignait le coeur, le torsadait, et l’envoyait d’un seul coup dans sa gorge. Il s’y était coincé et elle ne trouvait le moyen de l’en déloger. Elle l’avait abandonnée. Là-bas. Toute seule. Et comme si ce n’était pas suffisamment douloureux, sa propre image de petite fille dans son lit qui grinçait se superposait à celle de Kezabel, dans sa chambre à probablement guetter des silhouettes à travers la fenêtre.

La sorcière se leva comme si quelque chose l’avait piquée. Elle glissa le petit cygne dans la poche de son jean et ses mains disparurent dans sa chevelure, grattant son crâne en regardant les contours de sa chambre.

Le chaos avait été remplacé par un ordre militaire qui s’était propagé dans tout l’appartement. Tout brillait, était affreusement parallèle, bien rangé, propre. Quand quelques jours avant l’appel de Kezabel, tout était déversé aux quatre coins de l’appartement, jeté dans des cartons, trié sans aucune organisation, désormais il n’y avait plus de traces d’aucun déménagement. Elle avait soigneusement nettoyé sa chambre et celle de Logan, vidé son armoire des vêtements qu’elle mettait le plus souvent, refait son lit avec la maniaquerie d’un Colonel de l’armée, pris tout ce qui leur serait utile dans la salle de bains et dans la cuisine - tranchant qu’ils n’auraient besoin que de quelques assiettes, couverts et plats puisqu’ils ne comptaient pas recevoir des invités - et après avoir fait les courses, le tout avait été placé dans des sacs et des cartons qui tenaient alors par un sortilège en un seul contenant qu’elle avait réduit à la taille d’une sacoche. Une succession d’actions qui se déroula dans un tourbillon d’énergie fulgurant et qui, au contraire de ce qui tempêtait à l’intérieur de la sorcière, ne laissa derrière que des meubles propres, dépoussiérés, un canapé vidé de tout ce qui l’avait recouvert, un tapis aspiré, une baignoire récurée, et une cuisine immaculée. De même, la chambre autrefois occupée par Logan n’avait plus aucune trace de sa présence et celle de Sanae ressemblait à une photo d’un airbnb très vendeur.

Autrement dit, il ne restait plus rien à éponger dans l’appartement. Tout était parfaitement rangé. Il ne restait qu’eux.

Elle avait espéré que ce déménagement se ferait à deux, qu’il serait l’occasion de partager des moments où il aurait fallu d’avantage célébrer un renouveau, un tournant où ils étaient une équipe se préparant à établir son camp autre part, main dans la main. Mais depuis une semaine, Sanae s’était transformée en un tourbillon inarrêtable. Elle ne se posait pas, ne discutait pas. La tergiversation et la patience s’étaient faites reléguées dans un coin et il n’était plus resté qu’une efficacité compulsive. Parce que ça, elle pouvait le contrôler. Elle pouvait en faire ce qu’elle voulait, l’organiser de la façon dont elle le souhaitait. Elle ne se posait pas la question de savoir si c’était la bonne décision, elle le faisait, c’était tout. Pas même le temps de s’arrêter pour demander à Logan si ça lui allait, pour lui donner les informations qu’il aurait fallu partager avec lui. Des phrases courtes, des bribes de conversations qui ne restaient qu’en surface. Elle avait repoussé toutes les interrogations, les sujets à aborder pour se tourner seulement vers l’action. Elle n’était pas même sûre d’avoir respirer convenablement, d’avoir vraiment dormi, de s’être posée devant le miroir plus d’une seconde. D’ailleurs, elle n’avait pas tant vu son appartement ces derniers temps. Sanae avait jonglé entre la maison Hasting, son travail, l’hôpital pour rendre visite à Niall, et les cartons de déménagement. Il ne lui semblait pas s’être assise à côté de Logan, ni d’avoir partagé un minuit avec lui. Son esprit était un flot ininterrompu de listes de choses à faire scandées à la va-vite et qui étaient aussitôt rayées dans l’empressement de l’action. Tout s’était enchaîné à une vitesse presque absurde. Elle n’avait même pas pu passer du temps avec Margo, s’était contentée de lui téléphoner entre deux minutes où elle n’était pas aux côtés de Kezabel avant d’enfin venir la voir, la veille au soir. Après le départ de Kezabel, Sanae s’était imaginée relâcher la pression et s’effondrer ; elle avait visualisé ce moment dans les bras de Margo, s’était dit que s’il fallait paraître faible, éreintée et brisée, sans doute cela devait se faire avec elle plutôt qu’avec quiconque. Margo l’avait attendue, s’était rendue libre pour elle. Mais c’était Sanae qui n’avait pu se délivrer de sa fébrilité : elle n’avait pas pu lâcher prise, ne se souvenait même pas s’être posée plus de cinq minutes sur le canapé de la sorcière blonde. Elle aurait même voulu fuir son toucher, le repousser à plus tard, oui, plus tard quand elle pourrait...quand elle serait capable de s’effondrer. Honteusement, Sanae s’était demandée s’il n’y avait pas une bière dans un coin du frigo, une vodka oubliée dans une pièce. Elle s’en serait foutu si l’alcool avait été chaud, vieux, dans une bouteille déjà entamée et probablement bue au goulot par plusieurs personnes. Bien sûr, la sorcière avait tout fait pour dissimuler ce vers quoi tout son organisme la dirigeait. De même que cette agitation voulait se dilapider dans un faux optimisme qui passait ses lèvres. Le Centre était merveilleux. Le personnel, exemplaire. En quelques semaines, Kezabel serait sur pieds. Tout irait bien. Elle avait beaucoup parlé mais jamais de ce qu’elle ressentait. Jamais de ce qu’elle pensait vraiment. Margo n’était pas dupe, elle le savait. Mais enfin, elle ne lui avait rien dit, n’avait pas tenté de percer à jour son attitude. Il fallait laisser faire. Il fallait que l’ouragan interne se calme, qu’il s’apaise, qu’il s’écrase quelque part au large. Et puis, même si on avait essayé de la calmer, cela aurait été peine perdue. Ce soir-là, elle ne dormit pas dans les bras de son amante, elle ne dormit pas du tout d’ailleurs. Bien après le coucher de Logan, elle demeura dans le salon à empaqueter et à nettoyer.

Elle n’avait pas envie de réfléchir. Pas envie de fermer les yeux. Pas envie de s’asseoir. Pas envie de discuter. Quand bien même Kezabel était dans son Centre, Sanae ne s’arrêtait toujours pas. Elle ne savait pas comment faire, ni si elle y survivrait. Ce déménagement était la seule chose qui en cet instant la faisait tenir dans une continuité qui absorbait toutes ses pensées. Si bien qu’elle n’avait pas anticipé ce qu’elle ressentirait en partant d’ici.

Les clés du Cottage dans une main, le cygne dans une poche et le téléphone dans l’autre, la sorcière sortit de sa chambre pour rejoindre le salon. Au milieu de la pièce, la sacoche ensorcelée était au sol et attendait d’être transportée. Sanae jeta un regard analytique autour d’elle : elle cochait silencieusement les cases de ses listes pour s’assurer que tout était fait, tout avait été pensé, que rien ne serait oublié. C’était idiot. Il lui aurait suffit de revenir plus tard si un oubli survenait. Mais non, elle listait, rayait, cochait, écrivait dans son esprit ce qui restait à faire. Deux jours avant, elle avait rejoint un membre de la Garde dans le jardin du Cottage pour récupérer les clés. On lui avait proposé de visiter les lieux, elle avait décliné. Pas le temps. Pas maintenant. Elle n’avait pas été prête à pénétrer dans ce nouveau chez eux, comme le découvrir seule et à cet instant-là aurait été absurde. Il n’était pas encore temps. Mais l’heure se rapprochait.

Elle mit plusieurs minutes, un doigt près de sa bouche, le regard étréci, à remarquer à nouveau la silhouette de Logan dans son fauteuil. Il attendait. Les bouteilles de whisky avaient été mises dans son sac à lui, faisant maintenant partie de la sacoche. Elle croisa son regard et eut comme un sursaut.

« Okay. Tout est bon. On peut y aller. » dit-elle, les mots s’enchaînant rapidement.

Elle prit sa veste sur le dossier d’une chaise, l’enfila en continuant à analyser les lieux.

« T’as pris toutes tes affaires ? Ah, oui, tout est dans le sac. »

Elle faisait les questions et les réponses, sans même prêter attention aux réactions du sorcier. Entre ses lèvres, elle murmurait des « Les clés ? », « Le téléphone ? », « J’ai fermé l’entrée ? » et se répondait en même temps. Elle se plaça au centre de la pièce et prit la sacoche, tournant sur elle-même pour tout vérifier. Un bruit sourd se répercuta au plafond. Mrs Gattleman. La sorcière releva la tête avant de poser son regard sur Logan.

« Elle, elle va pas nous manquer. »

Sanae secoua la tête et dans son champ de vision, la cible avec les fléchettes plantées dedans lui apparut. D’un pas rapide, elle alla la décrocher et la prit sous le bras. « On sait jamais si on s’emmerde. » Elle revint à sa place et soupira en donnant un dernier regard à la pièce.

Mais cette fois-ci, quelque chose s’immisça en elle. La réalisation brutale qu’ils ne seraient plus là, dans cet appartement, tous les deux ; qu’ils allaient ailleurs, vers quelque chose d’encore inconnu, et qu’il n’y avait pas de retour en arrière. Elle réalisa, surtout, qu’ils laissaient un peu derrière eux l’endroit qui avait vu naître bien des choses. Son coeur s’étreignit et elle demeura muette pendant quelques instants. Quand enfin, elle regarda Logan à nouveau, elle esquissa un pauvre sourire qui ne découvrit pas ses dents. « Bon...ben, on est prêts. » dit-elle plus doucement.

Elle lui tendit la main.
Et ils transplanèrent.




Autour d’eux, un jardin aux hautes haies se matérialisa. Ce fut presque étrange de sentir ses chaussures une terre plus molle. L’herbe était d’un vert profond et des arbres fruitiers avaient été plantés, ci et là, dans le jardin ; elle ne distingua pas ce qui s’étendait au-delà des haies tant elles étaient hautes. Elle n’y avait pas fait attention la dernière fois, trop pressée, mais tout semblait paisible, verdoyant, coupé du monde. Elle fut soudainement dérangée. Face à eux, une petite bâtisse aux vieilles pierres grises se dressait. Des plantes grimpaient sur la façade et frôlaient les volets blancs ouverts. C’était un ancien cottage un peu éloigné du village de Bibury, dans le Gloucestershire. Un coin paumé où tout semblait très bucolique d’après ce qu’on lui avait dit. Personne ne viendrait les chercher là. Elle se fit la réflexion que d’ailleurs, personne n’imaginerait Logan Rivers dans un tel lieu où les trois quarts de la population devait être à deux doigts de terminer en maison de retraite.

La cible sous le bras et la sacoche dans la main, Sanae resta quelques secondes à regarder le cottage. Un large porche donnait sur l’entrée secondaire de la bâtisse. Une vieille chaise à bascule avait été laissée là. « Au moins, on a un jardin. » lâcha-t-elle. Elle l’avait demandé. Quitte à être reculé du monde, autant profiter un peu de l’extérieur. L’idée lui parut un peu idiote en cet instant. Elle visualisait mal Logan s’étendre dans l’herbe.

Elle sortit les clés et s’avança la première vers le porche. Elle remonta les petits escaliers et vint ouvrir la porte qui grinça affreusement avant qu’elle ne se glisse à l’intérieur. Le cottage sentait le renfermé et tout était plongé dans la pénombre. Un long couloir les attendait et elle le traversa jusqu’à passer devant plusieurs portes et un escalier. Elle ne distinguait pas grand-chose, peu de lumière filtrait à travers les rideaux. Quand elle arriva dans la pièce principale, elle déposa les affaires par terre et chercha l’interrupteur. La lumière vint les éblouir et révéla la large pièce.

Il fallait avouer que Sanae avait nourri de grands espoirs concernant ce nouveau chez eux. Elle avait imaginé deux belles chambres, côte à côte, un salon chaleureux, une cuisine simple mais tout à fait charmante, une table à manger où ils auraient pu partager leurs repas, des tapis moelleux, une belle salle de bains, peut-être même un petit bureau ou un petit salon où ils auraient pu lire à la lumière d’une lampe ou de quelques bougies. Elle avait beaucoup fantasmé cet espace où, dans son esprit, ils se seraient insérés comme deux colocataires parfaitement satisfaits d’y être sans que personne ne vienne les déranger. Un cocon, une bulle, entre des murs qui garderaient leur secret. Alors, c’était avec une brutalité inouïe que la sorcière sentit le bruit de son imagination se décrocher et s’écraser par terre, pourri et plein de vers. Ce fut l’effet d’une douche froide.

Une inspiration resta bloquée dans sa poitrine alors qu’elle s’éloignait du mur où elle avait trouvé l’interrupteur. Elle ne pouvait pas même jeter un regard vers Logan, trop occupée à prendre la mesure de ce qui l’entourait. Sans doute que si elle n’avait pas tant imaginé ce lieu, la sorcière aurait trouvé le recul nécessaire pour trouver de quoi la satisfaire. Or, tout ce qui lui sautait aux yeux était la laideur de cette pièce. Les tapisseries qui, d’un mur à l’autre, n’avaient rien à voir entre elles, étaient incroyablement moches et s’était gondolées par endroit ; les quelques tapis présents étaient fins, horriblement colorés, et poussiéreux ; les canapés et fauteuils semblaient trop vieux, affaissés ; un poêle à bois demeurait, abandonné et sale, dans un coin ; des tableaux de paysages anglais auraient pu déclencher chez quiconque une profonde dépression ; et il résultait de la décoration la forte impression qu’une grand-mère y avait habité pendant des années. Cela avait probablement été le cas, à en juger par les napperons blancs sur les meubles et les petites tables en bois.

Un silence bruyant était retombé sur les deux colocataires.

Sanae affichait une expression figée, les lèvres pincées dans une moue dégoûtée, et plus les secondes passaient, plus ses yeux s’ouvraient grands. Enfin, l’inspiration bloquée dans sa poitrine finit par être repoussée hors de ses poumons.

« Je vais dire ce qu’on pense tous les deux : c’est immonde. »
déclara-t-elle.

Ce n’était si immonde, à vrai dire. Malgré la décoration vieillotte, la poussière et l’odeur de renfermé, le cottage aurait pu avec un peu de soin être chaleureux et plaisant. Un effort avait été fait dans la cuisine et l’espace salle à manger qui communiquait directement avec le salon. La cuisine avait été refaite et une belle table en bois clair avait été disposée en-dessous d’un beau lustre en bois. Dans le salon, une grande bibliothèque présentait bien des ouvrages et au milieu des canapés, il y avait une jolie table basse dans un bois sombre. Mais Sanae était trop obnubilée par ce qui aurait pu être pour voir le potentiel du lieu. Un soupir de désespoir et d’indignation la traversa.

Ses mains allèrent sur ses hanches et elle grogna.

« On aurait du demander les Bahamas. »
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Sanae M. Kimura
Jana au Sapon
Sanae M. Kimura
Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Mar 12 Avr 2022 - 18:45
Ce qu’elle l’énervait quand elle était comme ça. Corsetée dans ses angoisses, Sanae n’était pas là. Du moins pas réellement là. Elle allait et venait non comme un zombie mais comme une tempête. La tornade blanche dans toute sa splendeur, à compenser son foutoir intérieur par une propreté militaire qui l’angoissait profondément. Peut-être cela faisait-il ressortir les décors toujours parfaitement ordonnés de son enfance, Logan n’en savait rien ; qu’importe d’ailleurs : cette ambiance lui pesait. Observateur mutique, il l’observait aller et venir, semblait ne capturer d’elle que les brides d’une existence qu’elle ne lui accordait plus. Le grésillement de son esprit capté au loin, l’odeur de son parfum, l’impression volatile de sa présence dans les lieux. Cette fois, pas de chaussures au centre de la pièce pour briser l’impression générale de perfection. Logan ne prenait pas de place, l’ombre restait ombre, à observer son dos ou ses paupières plissées. Sanae avait beaucoup à gérer et il lui semblait que s’il brisait ne serait-ce qu’un peu de l’ordre parfaitement établi qu’elle s’acharnait à instaurer, il la ferait s’effondrer comme un château de cartes. Planté là à l’observer, Logan n’investissait plus rien. Ni la volonté de l’aider dans ses affaires, ni dans le déménagement, ni même dans l’idée de ce futur lieu qui était censé être le leur. Déconnecté, il ne se sentait appartenir à aucune de ces entreprises, l’observant seulement se débattre comme elle pouvait, figure froide du contrôle, s’interrogeant sur ce qu’il était, lui aussi, quand il fallait prendre en charge les autres sans se démonter. Une jambe sur la seconde, l’homme sentait qu’il n’avait ni sa place ni son rôle là-dedans, qu’elle se démenait contre des choses qui lui échappaient totalement. L’aspect ménager de ses démons lui passait au dessus, tout comme la gestion d’affaires qui n’étaient pas les siennes. Sanae avait étalé puis trié, rangé, enlevé et empaqueté toute sa vie. Des monceaux de souvenirs et de morceaux d’existences qui ne lui appartenaient pas. Il n’était rien, lui, ici. N’était que l’ombre sur le fauteuil. Cet empilement de petites parcelles d’elle le lui rappelaient à chaque instant. D’autant plus souligné par son acharnement à s’occuper de sa sœur comme si elle était la seule personne de la famille ou de son entourage à pouvoir s’en charger. Du reste peut-être était-ce le cas. Peut-être qu’à tout contrôler, aussi, elle limitait l’impression d’être une sombre merde l’ayant laissée s’enfoncer. Se doutait-il ? Logan ne disait rien, laissait faire, s’interrogeait de sa propre place dans cette histoire, spectateur mutique d’une déchéance qu’il connaissait pourtant. Déconnecté, s’il s’y était inscrit quelques semaines plus tôt, l’ancien directeur se laissait de nouveau glisser dans un état de détachement fataliste. Les gens allaient et venaient sur les rives de la réalité comme lui-même s’y échouait parfois, jamais vraiment accroché comme une vague qui courrait sur le sable avant de se retirer. Dans le fond, peut-être Sanae constituait-elle sa meilleure accroche à ce monde, détournant son attention de lui, il se mettait de nouveau en retrait. Beaucoup trop pour une seule personne. Beaucoup trop surtout que jusque là, lorsqu’il la sentait perdre pied, Logan était là, dans le fond de la pièce et dans les ombres, sillonnant les ruelles sombres derrière elle pour la rattraper au passage si jamais elle s’effondrait. Mais là ? Là son contrôle prenait trop de place, instaurant une barrière glaciale entre eux qu’il ne savait comment franchir. La colère, donc, sourdait en arrière plan de ses propres murailles. Contre elle. Contre lui. Contre ces promesses qu’ils se faisaient à mi-voix et qu’ils trahissaient l’instant suivant. Fatigué, sans doute, de ces efforts qui ne servaient à rien. Régulièrement, Logan aurait aimé prendre Maxence et le planter face à ce satané silence, ne comprenant qu’à peine qu’il gouttait simplement à ses propres travers, proprement incapable de trouver que dire ou faire pour l’arracher de ses montagnes russes qui embourbaient ses pensées de listes de tâches à effectuer sans jamais s’en détourner.

Que se passerait-il si Kezabel y passait réellement, dans son centre ou ailleurs ? Que deviendrait-elle ? L’angoisse sourde, Logan ne savait ni la nommer ni s’en défaire, ni la gérer. Maxence, lui, sans doute, aurait trouvé quoi dire. Ismaelle. L’arrêter, la bloquer, l’apaiser. Stopper le mouvement continu de sa folle course. Mais lui attendait habituellement la chute, car s’il savait s’imposer dans bien des situations, celle, humaine, dans laquelle il aurait dû savoir quoi dire ou faire pour rassurer l’autre et lui apporter son aide, ça n’était pas son fort. Sans doute Logan aurait-il aimé mais finalement, face à ce train lancé à pleine vitesse qu’était devenue Sanae, il n’y avait qu’une colère conne de ne savoir se placer autre part qu’à côté des rails. S’il devait la percuter un jour pour l’éloigner d’un précipice, il le ferait. Mais en attendant, Logan observait de loin, agacé de n’être considéré comme une part de quoi que ce soit dans tout ce bordel qui logeait sa tête.

Lorsqu’elle le pensait parti se coucher, Sanae ne ralentissait pas, incapable, sans doute, de noter qu’il n’y avait dans sa chambre que le vacarme du silence de l’absence. Logan, chaque soir, s’esquivait. Impossible, de toute manière, de dormir quand elle fourmillait comme elle le faisait. Son stress, il le bouffait sans l’évoquer, chaque geste plaqué en lui comme une gifle, chaque détournement de regard, une agression, chaque silence, un coup de couteau dans ses nerfs. Alors Logan s’éloignait. Une nuit, avant que Kezabel ne rejoigne le centre, il s’y était rendu, avait tourné autour de la baraque, noté les protections, vérifié, testé, noté les ressemblances avec l’appartement dans lequel il avait vécu ces derniers temps ou la maison qui, avant ça, l’avait accueilli.

Une autre, il avait rejoint les rives aux couleurs vives de la Nouvelle Calédonie. Tout lui semblait toujours irréel ici, comme s’il n’avait lui-même rien à foutre dans un endroit aussi chatoyant que celui-là. Elle en revanche, s’y adaptait parfaitement. Un sourire pincé, il la vit rire, le bras d’un grand type autour de ses épaules, avant de rejoindre la silhouette d’un homme qu’il avait autrefois considéré comme étant un ami. Un homme dont il était responsable de l’état. Son frère. Ici pourtant, Jake semblait retrouver des couleurs, mieux connecté au monde venu l’entourer. Libre des souvenirs que Logan lui avait repris, il paraissait reformer des parcelles de lui sous le regard bienveillant de sa sœur. Les autres frangins n’avaient pas tardé à débarquer. Ceux contre qui il s’était opposé durant toute son enfance, des luttes parfois violentes opposant les hommes profondément en colère les uns contre les autres. Et elle, au centre. Dont les putains d’éclats de rire lui brisaient le cœur. Ce soir-là, Logan avait composé un numéro jusque là laissé de côté. Perché en haut des dunes, loin de tout ça, observant sans les voir les scintillements d’un monde trop idyllique pour véritablement exister, il appela. Et raccrocha.

Une autre nuit, Logan Rivers, désigné par un patronyme complet qui ne semblait plus vraiment caractériser un homme mais autre chose, avait atteint des rivages plus familiers. Lui qui avait tant voulu devenir légende s’était hissé au rang de cet autre qu’il ne saurait décrire. Dans le silence de la banlieue assoupie, il était arrivé en ces lieux où jamais on n’avait souhaité autre chose pour lui que le néant. Les mains le long du corps, ombre dans les ténèbres, il avait rejoint un manoir vide mais surveillé. Un homme, cette nuit-là, était tombé. Puis un second. La volonté capricieuse de faire peur à un ennemi qui, autrefois, avait insisté pour se dire son ami. Mais Johan n’était pas là et personne ne l’avait songé assez fou pour arriver jusqu’ici. Plus un Walters, donc, dans ces hauts murs. Avait-il réussi à se débarrasser des deux dans un jeu de ricochet effréné ? L’idée était plaisante. L’idée, surtout, appelait à la survie de son cousin, l’envie de passer ces portes-là, de plonger dans ses yeux, de connaître sa posture, sa tenue, l’ampleur des dégâts dans son âme.

Il aurait fallu y songer avant. Lui aurait dit Janie. Mais avaient-ils jamais songé à communiquer, eux aussi ?

Là ; on l’attendait. Là, il n’irait pas.

D’autres protections, pourtant, sautèrent cette nuit-là, révélant sans doute ce qui au creux de ses neurones, résonnait bien plus qu’il ne l’admettait. Le sort de dissimulation faisait onduler le monde au travers de son épiderme mais Logan n’y prêtait aucune attention. Les yeux portés sur les façades claires du manoir Rivers, les tuiles d’ardoise du toit étiré en de nombreux pics, réunis en tours ou en belvédère. Au bout de chaque avancée du toit, une pointe élancée de métal soulignait la courbure de la charpente. La nuit avancée ne permettait aucune lumière dans le manoir, seulement les quelques éclats lumineux des elfes s’agitant en cuisine ou dans les différentes pièces qu’il leur fallait nettoyer avant le réveil des propriétaires. En silence, Logan se laissa couler le long des allées, longeant les haies ou les hauts arbres, se glissant dans les ombres avec une lenteur étudiée. A l’est, le bâtiment était prolongé sur l’avant d’un bloc dépourvu de toit que des arabesques de pierre protégeaient. Au dessus, une seconde terrasse allégeait le paysage. Et bien plus haut, la petite lucarne par laquelle il avait vu le monde si longtemps. En bas du bâtiment, les fenêtres étaient hautes et larges, alignées pour laisser entrer le plus de lumière dans ces salles qu’il savait être des pièces de réception. Là haut, l’ouverture lui semblait ressembler à de simples meurtrières. Que dire de sa propre vision étriquée du monde quand c’était là-haut qu’il avait grandit ? L’arbre qui jouxtait la maison dans son enfance avait disparu à l’instant même où on l’avait surpris tenter de prendre le large. Sortir par la lucarne, s’accrocher aux interstices au dessus du toit, planter ses ongles dans les joints et les restes de nids, pivoter, se stabiliser, sauter sur l’arbre pour ensuite passer de branches en branches et descendre sur la première terrasse. L’idée semblait moins bonne du haut de son âge adulte mais à l’époque, l’enfant avait trouvé ça faisable. Il s’était brisé jambe et poignet.
L’arbre avait été coupé et Logan avait mis des années avant d’envisager de recommencer. Puis, finalement, c’était par la grande porte qu’il avait décidé de s’échapper, droit et fier, sans plus baisser la tête ou laisser les ombres l’engloutir. Sous son genou, l’ancien résident du grenier sentait encore pulser la douleur quand, à la réception, il avait senti sa jambe céder sur la pierre. Le son mat du crâne qui était venu cogner, l’angle étrange de son bras sous lui. Et l’impression que dans sa gorge, le hurlement de l’enfant déclenchait une tempête sans véritablement oser desserrer les mâchoires. Qu’importe, c’est le son de la chute qu’ils avaient entendus en dessous. Interrompant la réception mondaine.

Dans son dos, un bruissement fit crisser quelques feuilles, découvrant dans l’ombre des feuillages la silhouette ramassé du molosse de la famille. Combien de grognements préventifs et de morsures effectives ? L’animal, pourtant, n’aboya ni ne gronda à observer l’exact endroit où Logan se trouvait. Plus jamais il n’avait tenté quoi que ce soit après qu’il l’ait lacéré, des années plus tôt. Le vieil animal, donc, sembla échanger un regard avec lui avant de s’en aller. Le premier, ici, à avoir compris le message. La neutralité diplomatique la plus paroxystique. Comme quoi les bêtes s’entendaient plus vite que les Hommes.

Logan ne comprit pas ce qui l’amenait ici. Il ne vit que l’immensité froide d’un domaine qui n’avait jamais été le sien. Des lieux pour lesquels il s’était battu, pourtant, pour y trouver sa place sans que jamais celle-ci ne lui soit réellement accordée. Concédée, certes. Accordée, certainement pas.

Les paroles de Maeve résonnaient dans ses pensées quand, en silence, il fini par se détourner des hautes fenêtres, des briques de grès et des longues allées de gravier autant que de leurs parterres de fleurs. Comment pourrait-il s’impliquer dans l’idée même d’un déménagement quand il n’avait jamais appris ce que voulait dire « être chez soi » ? Pourtant Sanae insistait, à grand renforts de « on », de « nous » et de « tous les deux ». Mais tout sonnait creux.

« Okay. Tout est bon. On peut y aller. »

Un battement de paupières et Logan raccrochait au présent, se rendant compte qu’il n’avait pas entendu le silence qui précédait l’inspiration. Comme on enclenche une mitraillette, le cliquetis avant le feu. Le ton de la femme se fit vif, haché, pressé. Mais ce cliquetis n’était pas neutre, il l’avait vu sans vraiment le percevoir immédiatement : comme un sursaut face à sa présence. Comme si elle venait seulement de se rappeler du but de la procédure.

« T’as pris toutes tes affaires ? Ah, oui, tout est dans le sac. »

Si d’affaire elle parlait des quelques fringues amassées ci et là et des bouteilles qui prenait comparativement plus d’espace : oui, il avait pris toutes ses affaires. Elle l’avait fait, pour être honnête. Sans vraiment bouger de là, Logan la regardait faire, papillonnant ici et là à éviter son regard, à analyser chaque centimètre carré de l’espace comme s’il pouvait cacher des choses qui n’étaient pas là avant. Qu’elle pouvait avoir oublié quoi que ce soit dans l’atmosphère désolée des lieux balayés de toute trace de vie. Angoissante, cette pureté. La mitraillette, étouffée par la politesse de ses lèvres, continuait pourtant de tirer, listant tout ce qu’elle avait pu oublier ou supposer omettre. Quel intérêt ? Le bail de l’appartement ne lui serait pas retiré dans le mois, et qu’importe, d’ailleurs, puisqu’elle garderait cette adresse pour l’administratif. Logan taisait d’ailleurs ses pensées muettes : laisser les lieux imprégnés de vie aurait été plus pertinent, empêchant qui que ce soit de songer que, peut-être, elle vivait ailleurs. Avec quelqu’un. Un « quelqu’un » que la moitié du pays recherchait. L’idée semblait presque absurde à la concevoir ainsi.

« Elle, elle va pas nous manquer. » La voisine. Retour dans ses prunelles, déjà avorté pour balayer la pièce de nouveau. Levant légèrement les sourcils d’un air de dépit, il la vit s’ébrouer de nouveau pour aller chercher la cible qui, accrochée au mur, avait été le premier objet auquel une partie de lui s’était attachée émotionnellement. Une cible. Amusant non ? « On sait jamais si on s’emmerde. »
C’est toi qui m’emmerde là. Il y a moyen de redescendre un peu côté hyperactivité ?

Pourtant, lorsqu’elle revint à sa place, Logan sentit une chose se fissurer. Un rien que d’autres n’auraient pas vu, comme une réponse pourtant, à sa pensée acide. Se levant doucement, l’ancien directeur vint la rejoindre sans un mot, posant les pas les uns après les autres, calmes au creux de son silence soudain. La mitraillette avait cessé, laissant le silence de quelque chose de dur, de lourd, que l’humain, seul, sait reconnaître. Logan entendait sans vraiment comprendre. Imaginant les souvenirs qu’elle délaissait ici, se supposant l’intrus qui la poussait à changer de lieu de vie sans que, sans cela, elle n’ait eu envie de le faire. Ses prunelles d’encre, pourtant, trouvèrent les siennes et un pauvre sourire vint tirer ses lèvres. « Bon...ben, on est prêts. » Bien hésitante, la mitraillette, soudainement.

Que se passerait-il quand elle aurait fini de courir ?
Qui était-il devenu, quand il avait été forcé à l’immobilisme ? Comment y survivre ? Logan n’avait toujours pas la solution. Sans doute est-ce finalement plus simple de connaître sa place quand on vous la placarde à la gueule. Douloureux, donc, d’accepter de laisser filer la bataille.

Elle lui tendit la main. Il y posa la sienne à plat.
D’un craquement sec, les deux colocataires disparurent.

Même pour lui qui ne se sentait pas plus concerné que ça, le changement se fit brutal.  Le silence de la campagne le saisi brutalement, comme désépaissi des légers grésillements que le monde moldu imposait sans cesse par l’utilisation incessante de leurs nombreux appareils ménagers ou connectés. Là tout semblait mou, doux, lisse. Sous ses semelles, la mousse de la pelouse s’enfonça comme un coussin tandis que son regard se posait alentours. Etrange d’être en extérieur, de jour. C’était sans doute ce qui le marquait le plus. Comme l’impression de faire une visite pour une habitation qui ne serait pas la sienne. Pourtant Logan avait voulu, vraiment, s’engager là-dedans. Il avait voulu aider à ranger, aurait aimé l’entendre lui raconter des choses, mettre un peu de lui, peut-être, dans ce transfert d’affaires qui ne lui appartenaient pas. Sérieusement, qui n’a que de l’alcool à passer d’un lieu à l’autre ? Et quel était celui-ci d’ailleurs ? Les pupilles étrécies par la luminosité pourtant rendue pâle par le temps que les nuages rendaient blanc se posait sur le jardin de hautes haies, les petites bâtisses de pierre beiges. Isolé, celui-ci semblait uni, du bas jusqu’aux tuiles, la couleur était sensiblement la même, seulement tranchée par le vert vif de la verdure alentours.

« Ok. Bucolique. » Ils nous ont pris pour des grabataires tes potes ?
« Au moins, on a un jardin. »

Les yeux posés sur le porche, Sanae semblait chercher à décrypter les lieux comme si elle avait cessé de lister ce qu’elle pourrait oublier pour ce qui pourrait lui manquer. Suivant son regard, Logan le laissait aller aux fenêtres courtes, à la chaise à bascule, aux tuiles qui, ici et là, lui semblaient prêtes à tomber. Pas de propreté lisse ici, pas d’intérieur impeccable. Tout était rugueux, brut, minéral. Sanae décolla plus vite que lui, rejoignant le porche dont elle gravissait les quelques marches pour monter sur la petite terrasse de bois vieillis. Les rainures étaient crasseuses, lâchant un son mat, presque mou à chacun de ses pas.  Lui posa de nouveau le regard autour de lui, au travers du feuillage épais, devinant les petites ruelles qui serpentaient dans la campagne au gré des vallonnements de la topographie locale.

Le grincement de la porte le rappelait aux mouvements de Sanae, sentant presque son dépit geindre en même temps que les vieux gonds. Déjà la médicomage s’enfonçait dans la vieille bâtisse dont il devinait l’odeur d’ici avant même de l’avoir arpentée. Tout à fait l’image qu’il se faisait des lieux où les petits gens devaient vivre dans l’imaginaire de sa famille. Un instant, Logan resta là, à observer le trou béant de la porte ouverte. Un temps d’hésitation avant de se décider, à son tour, à monter les quelques marches avant de passer l’embouchure pour laisser l’humidité et le renfermé lui mordre les sens. Les volets étaient fermés depuis un moment sans doute, empêchant la lumière de pénétrer à l’intérieur des lourds murs de pierre et il lui fallu un instant avant de se faire à la pénombre. Dans l’entrée, dos au soleil extérieur, Logan songea sans un mot à la cellule qui avait été la sienne pendant six mois de sa vie. Huit, si on comptait le temps d’emprisonnement des années précédentes. Dans sa poitrine, son cœur se crasha contre ses côtes, pulsant la douleur dans ses doigts, crispant ses muscles. La magie crépita naturellement autour de lui, prête à fuser comme une réponse réflexe et immédiate. Mais Logan la rejoint, passant les différentes portes qui s’alignaient à ses côtés sans n’en ouvrir qu’une par curiosité. Une buanderie.

Logan passait à peine le seuil que son amie appuya finalement sur l’interrupteur, la luminosité soudaine lui sautant aux rétines dans un grondement râleur. Logan n’avait rien imaginé, rien fantasmé, rien espéré. Rien de plus qu’une certaine connivence dans l’emménagement. A vrai dire sans doute était-ce le premier lieu où on lui avait réservé une place, qui était pensée de cette manière. Ainsi la déception de ne l’avoir vécu comme telle le rendait distant, lointain.

A l’entrée de la pièce, il l’observait, elle, sembler se prendre un mur quant à la découverte des lieux. Quant à lui… s’imaginait-il vivre ici ? Pas une seconde. D’ailleurs Logan avait un mal de chien à s’imaginer s’inscrire où que ce soit, comme si son quotidien ne pouvait être fait de cette normalité à laquelle Sanae s’acharnait à le raccrocher. Son lieu de vie, c’était Poudlard. La seule réelle maison qu’il ait jamais eue. Le bureau du directeur, seul endroit dans lequel il semblait s’inscrire naturellement. Pourtant l’appartement de Sanae commençait à lui convenir, comme s’il lui fallait finalement le quitter pour se rendre compte qu’il l’appréciait. Alors ici ? Les lieux lui semblaient ressembler à un cloaque humide.

Sans doute quelques jeunes avaient-ils tenté d’en faire quelque chose de correct un jour. Faire tomber des cloisons, instaurer des meubles plus récents. Un espace de vie plus ouvert. Pourtant il lui semblait que le travail s’était arrêté en cours de route, abandonnant au mur semble-il trois visions très différentes de ce que les mots « tenture moche de grands-mères » devaient signifier. Tout à fait ce qu’il y avait dans son grenier, cela dit en passant. Ces tentures de tissu qu’il s’amusait à arracher les unes après les autres, finissant par découvrir sous les multiples épaisseurs des articles de journaux aux photographies évocatrices d’un autre temps.

Le regard posé sur l’un des tableaux dépeignant une campagne fouettée par la pluie, Logan se dit que, définitivement, le silence ici était assourdissant.

« Je vais dire ce qu’on pense tous les deux : c’est immonde. » « On. Nous. Tous les deux. »

Un sourire, pourtant, fit son esquisse sur ses lèvres. A trouver son regard, Logan la vit le détourner, les traits tirés, butée, plantée sur le côté de cette salle comme un arbitre prêt à déclamer l’arrêt de la partie après avoir manqué de se prendre un souaffle.
Les sourcils froncés, elle fini par lâcher un soupir profond, plantant sur ses hanches les mains vives de l’indignation.

Et ça ; tout simplement ça, fut la première chose qui eut un sens à ses yeux. L’esquisse devint franche, tordant ses lèvres d’un sourire vrai où le souffle amusé d’un rire perçait même.

« On aurait du demander les Bahamas. »
« Toi t’as passé trop de temps dans les neurones d’Alec… »

Trois références aux Bahamas dans les dernières visites qu’il avait pu faire. Il fallait dire que l’image était tentante. Quoi qu’encore une fois, Logan voyait bien mieux son cousin ou Sanae dans un tel décor que lui-même.

« On pouvait ? » Demander les Bahamas.
Un sourire en coin ironique sur les lèvres.

Se résignant enfin à lâcher l’entrée de la pièce, Logan rejoint la première fenêtre qui se présentait à lui, forçant un moment sur le battant pour en ouvrir les deux pans avant de déloger les persiennes qu’il ouvrit pour laisser entrer la lumière et l’air anglais. Projetée devant lui, la magie grésilla sur la surface plane et transparente des sorts accumulés. Personne ne voyait réellement qui vivait ici.

En se retournant, il ne pu s’empêcher d’observer du coin de l’œil les tapisseries qui gondolaient au contact des fenêtres anciennes. Trop d’humidité ici sans doute, par moments.

Se projeter ? Logan n’en était pas plus capable que Sanae.

Laissant son dos se laisser tomber à moitié entre le mur et l’espace de la fenêtre, il tourna le regard vers elle, l’observant en silence comme pour chercher à déterminer ce qu’elle avait dans le crâne. Ce qu’il ne cherchait pas, pourtant, la tension du manque crispant ses muscles.  

« L’avantage c’est qu’ici, on peut éventuellement tout fracasser pour repartir sur des bases saines. » En lâchant un léger souffle amusé face au dépit de son amie, Logan baissa le regard avant de le poser de nouveau sur la tapisserie.

« Si…. » … tu veux repartir dans ton appartement, je comprendrais.
Une réflexion morte dans l’œuf.

Il attrapa la tapisserie de deux doigts valides et tira dessus, en arrachant un lambeau. « Un coup de peinture blanche et ça fera moins mouroir. » ça ressemblera  un peu plus à chez toi.
Sans vraiment s’en rendre compte, Logan à son tour, se refermait dans le listing rassurant de ce qui pouvait être fait.
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Mer 27 Avr 2022 - 22:52








Rien ne ressemblait à ce qu’elle avait pu imaginer.
Elle ne s’était pas attendue à la perfection, ni même à de la propreté mais à regarder l’ensemble baigner dans son jus, Sanae avait l’impression d’être entrée par effraction chez une octogénaire en fin de vie. Elle ne voyait autour d’elle rien qui puisse devenir un chez eux. Cet espace, elle l’avait trop fantasmé, trop imaginé dans sa tête pour que le réel puisse lui convenir. Elle s’était raccrochée à cette image avec bien trop de force, une bouée dans une marre de glaise trop épaisse à naviguer. Elle voulait aimer cet endroit, y voir la bulle dont ils avaient au fond besoin, mais elle n’éprouvait en cet instant qu’une déception brutale. Là, face à la large pièce qui traversait le rez-de-chaussée dans toute sa largueur, elle découvrait un salon au papier peint défraîchi, aux canapés poussiéreux et usés, aux meubles recouverts de napperons blancs ; et à l’autre bout, une cuisine-salle-à-manger où l’on voyait une tentative de modernisation non aboutie, avec une longue table de bois sur laquelle un vieux vase présentait un faux bouquet de fleurs, une faïence d’un vert d’eau qui tranchait avec les encadrements en bois des placards vitrés.

La sacoche qui contenait toutes leurs affaires était depuis un moment retombée au sol alors que Sanae portait ses mains à ses hanches, un choc indigné se plaquant sur ses traits. Chaque détail de la pièce lui sautait aux yeux. Les tentures tombantes aux murs laissaient voir des journaux inanimés dont les couleurs n’étaient plus, l’humidité les ayant faites déteindre. Tout semblait venu d’un autre temps malgré les petites touches plus modernes qui se fondaient étrangement dans la décoration. Un silence était tombé, fracassant, dans la pièce. Et puis, entre eux, un moment de flottement suivi de quelques mots qui venaient exprimer ce qu’ils ressentaient. La laideur des lieux les sciait sur place.

Les sourcils froncés, la commissure de ses lèvres légèrement retroussée, Sanae observait ce qui l’entourait avec un mélange de dégoût et de déception cuisante. Elle pivotait sur elle-même et ses traits se crispaient davantage à chaque centimètre. Trop occupée à dégringoler du haut de son imagination, elle ne remarqua pas le sourire de Logan. Un soupir lui échappa lourdement.

« On aurait du demander les Bahamas. » Elle se tourna légèrement vers lui, glissant un regard qui n’était pas destiné à s’arrêter sur lui mais qui, en captant l’amusement sur ses lèvres, ne put que le faire. C’était presque avec surprise qu’elle redécouvrait l’esquisse de son sourire.
« Toi t’as passé trop de temps dans les neurones d’Alec… »
Un souffle amusé lui vint à elle aussi, comme une brise un peu fraîche qui soufflait avec douceur sur ses lèvres. Son esprit était embrouillé de tant de choses qu’elle avait du en piocher quelques unes qui passaient, appartenant à d’autres avant elle. Penser à Alec restait douloureux. Elle ne s’y arrêta pas.
« On pouvait ? » dit-il, l’ironie au bord des lèvres.
Elle fit une moue désolée.
« Faut pas rêver. » Elle secoua la tête, son regard allant sur les meubles qui les entouraient. « De toute façon, on aurait cuit. » L’image de leurs silhouettes en plein soleil des Bahamas, sur une plage, lui apparut tentante mais absurde.

Le sorcier amorça le premier mouvement dans la pièce et se dirigea vers une des fenêtres. Il dut forcer sur les battants pour les décoincer et les ouvrir. Une bouffée de poussières se dégagea dans l’air, y flottant dans les rayons de lumière qui entrèrent quand Logan rabattit les persiennes sur les côtés. La nouvelle luminosité n’offrait pas une meilleure vision de l’ensemble ; au contraire, elle révélait davantage les motifs des tapisseries et l’état des murs. La brise souleva la couche de crasse et de poussière qui s’était accumulée. Comme encouragée par les mouvements du sorcier, Sanae fit quelques pas dans la pièce, les mains toujours sur les hanches. Elle quittait lentement une indignation certaine pour une volonté de tout révolutionner dans le cottage, notant déjà ce qu’il faudrait jeter ou garder. Alors qu’elle passait devant les commodes anciennes et les tableaux aux murs, soulevant parfois un coin de tapisserie ou de tenture avec mille grimaces sur le visage, Logan l’observait sans qu’elle n’y fasse attention. Il s’était posé contre le rebord de la fenêtre, le dos tourné au paysage anglais qui étalait ses vieilles maisons aux volets rouges et ses collines verdoyantes.

« L’avantage c’est qu’ici, on peut éventuellement tout fracasser pour repartir sur des bases saines. » La sorcière se retourna, une moue toujours collée sur les lèvres, ne le regardant qu’en passant avant de fixer son regard sur les poutres au plafond. Y avait-il jamais eu de bases saines dans cette maison ? En 1780 peut-être.
« Me tente pas... » grogna-t-elle, les dents serrées. Elle s’imaginait déjà fracasser les murs à coup de massue. Elle s’approcha du canapé en cuir marron qui était déchiré sur un coin et délavé là où des fesses s’étaient probablement trop posées et son pied buta dans une petite pile de livres par terre. Elle en envoya un plus loin du bout de sa chaussure.

« Si…. » commença-t-il.
Elle soupira. « Si j’avais le droit, je cramerai tout ouais. »

Sanae ne le regardait pas, ne s’arrêtait que très peu sur sa silhouette toujours près de la fenêtre. Elle évoluait dans la pièce, demeurait obnubilée par les lieux quand pourtant, l’objet même de leur présence à tous les deux était tout près, ayant débuté une phrase qu’il ne finirait jamais et dont elle ne se douta pas de la teneur. Elle était à mille lieux de penser qu’il doutait de sa volonté à être ici, qu’il y avait en lui toujours la possibilité qu’elle puisse revenir en arrière et changer d’avis. Ce qui s’était transformé par une réaction épidermique aux circonstances en un besoin de contrôle, n’avait été à la base qu’une profonde envie de leur donner un foyer. Une bulle. Un endroit qu’ils pourraient appeler « maison ». Il avait sans doute été habitué à mieux : un grand manoir de sang-pur où tout était luxueux, bien agencé, et voilà qu’il se retrouvait dans un taudis dont elle ne supportait pas la vision. Elle aurait aimé leur offrir ça, lui offrir ça...un bel endroit où vivre, où pour une fois il serait toujours le bienvenu, où il aurait toujours une place.

Un bruit de déchirement la fit se retourner vers lui. Il avait arraché un bout de tapisserie et elle fit quelques pas vers lui.

« Un coup de peinture blanche et ça fera moins mouroir. »
« Ça ne fera pas de mal, c’est sûr... » Elle s’approcha jusqu’à tirer elle aussi sur un bout de tapisserie avant de relever le visage vers lui, l’air grave et dégoûté « J’suis quasi sûr que des gens sont morts ici. A tous les coups, on a trois fantômes... » Une courte pause. « ...des termites. »... « Et un chat errant quelque part. » Elle soupira, au bord du gémissement plaintif, et poussa légèrement Logan pour se pencher à la fenêtre, les mains appuyées sur le rebord. Le paysage lui apparaissait morne à travers le sortilège qui ondulait, presque invisible, autour du cottage. Rien n’aurait pu trouver grâce à ses yeux en cet instant. « C’est pas c’que j’imaginais... » murmura-t-elle, contemplant quelques secondes le devant du cottage où fleurissaient des amandiers devant des haies qui donnaient sur une rue déserte.

Rien n’était à la hauteur de ce qu’elle imaginait.
Rien.
Ni les lieux, ni les circonstances, ni elle-même…

L’image de Kezabel traversa ses pensées comme une comète noire aux reflets sanguinolents. Sa sœur regardait-elle le paysage par le prisme de la déception, elle aussi ? La vie était-elle plus décevante et laide pour elle que cette vieille maison ? Les traits de la sorcière se refermèrent et elle déglutit, se détournant vivement de la fenêtre. « Bon ! Ça sert à rien de se lamenter. » Elle se détacha de Logan et alla dans la cuisine, revenant rapidement en secouant la tête. « N’y va pas. C’est pire. »

Ils procédèrent à une visite du cottage qui confirma le peu d’informations qu’ils avaient sur les gens qui y avaient vécu. Ils étaient définitivement vieux et ils souffraient d’un manque de goût déroutant qui n’avait pu être rattrapé par ceux qui les avaient suivi dans l’habitat – peut-être leurs héritiers ? Les draps recouvrant le lit de la chambre du bas étaient si vieux que les motifs ne devaient plus exister, une bonne nouvelle pour tous ; les rideaux étaient en velours avec des franges ignobles ; la salle de bains présentait une douche toute petite au carrelage d’une couleur qui ne s’était pas décidée entre le rose et le brun ; la buanderie était fonctionnelle – une bonne chose – mais présentait un électroménager qui datait, et le placard qui servait de garde-manger baignait dans une poussière plus épaisse que celle des livres qui reposaient encore sur les étagères qui faisaient face aux escaliers. Quand ils montèrent, faisant craquer les marches en bois, ils découvrirent une deuxième salle de bains qui, elle, semblait avoir été retapée : une baignoire – autre point qui sembla  ravir Sanae – avait été installée dans un style un peu baroque avec des pieds en cuivre ; et des rangements plus modernes avec un lavabo neuf rehaussaient le niveau de la maison. Il y avait même un petit bureau avec d’anciens meubles qui avaient été repeints et vernis, un fauteuil confortable et une bibliothèque. Et puis, le grand point d’interrogation qui demeurait dans l’esprit de la sorcière, les chambres : deux portes se faisaient face et donnaient sur deux larges pièces dont il fut difficile de déterminer ce qui avait été changé. L’hypothèse était que les moyens avaient manqué et que ceux qui avaient opéré les quelques rénovations n’avaient pu aller jusqu’au bout. La première chambre sentait le renfermé et ils durent ouvrir la fenêtre aux persiennes à la peinture écaillée pour y voir plus clair ; un grand lit aux contours et à la tête de lit en bois sombre trônait au centre d’un grand mur tapissé dans des teintes brunes aux motifs floraux et juste en face, une immense tenture qui fut sur le coup, indescriptible. Le terme immonde n’aurait pu retranscrire l’effet qu’elle produit. Sanae demeura un moment plantée devant dans une incompréhension palpable qui se transforma rapidement en sentiment de malaise. Une scène semblait avoir été reproduite sur tissu : une biche se présentait sur une broche au-dessus d’un feu et une troupe de villageois l’entourait, tous représentés dans des tenues anciennes avec des visages plus dérangeants les uns que les autres. Certains se regardaient et d’autres donnaient l’impression de les regarder, eux, dans un regard bien trop franc. La tenture était retenue par des clous au mur.

Une grimace sur le visage, Sanae plissa les lèvres. Il y eut un instant de silence avant qu’elle ne déclare : « Hors de question.»

Elle partit à grandes enjambées dans le couloir, le traversant pour ouvrir la deuxième porte. Dernière chambre. Dernière chance. Pas mieux. La pièce était un peu plus petite que la première mais n’était pas moins horrible, dans un style pourtant complètement différent. Des couleurs plus vives, un vert clair, des teintes de jaunes, et des tableaux de gens qu’elle n’aurait jamais voulu rencontrer tellement leurs têtes étaient affligeantes et perturbantes. De larges poutres ressortaient du plafond et devaient présenter leur lot d’araignées, passant au-dessus du lit dans une invitation à se pendre. Le lit était à baldaquin en bois aux rideaux du même velours qu’au rez-de-chaussée et par terre, des tapis atroces recouvraient le vieux parquet. Un large miroir ne donnait plus aucun reflet tant il était sale. Face à la mine des gens sur les tableaux, Sanae rebroussa rapidement chemin, manquant de se cogner à Logan qui entrait. Elle lui bloqua le passage.

« Qu’est-ce que tu fais dans ma chambre ? »
dit-elle, une main sur l’encadrement.




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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Ven 13 Mai 2022 - 21:41
Il ne comprenait pas ; vraiment. Logan ne projetait aucun besoin réel dans ce déménagement, ne supposait pas d’une possible bulle et encore moins d’une forme de sécurité et d’intimité. Pourtant ça comptait. Ça comptait réellement pourtant mais il n’avait ni les codes pour réellement le comprendre ni même l’appréhender.  Il n’était ni à l’aise avec l’idée de projeter une vie commune ni même avec celle d’apprécier la précédente. Débarquer chez elle s’était fait d’une manière assez naturelle, dans un but assez évident de l’emmerder, initialement ; cachant clairement la sombre vérité : elle était le seul lien vers le retour à la vie. Ou plus exactement le seul qu’il admette à peu près. Logan avait apprécié la maison sur la plage, il s’était agit du type d’endroit parfait pour se remettre. Mais il s’agissait aussi le lieu qui cristallisait chaque cauchemars, chaque perte de la réalité, chaque dissociation. Il y avait là-bas des ombres qu’il ne souhaitait à personne et que la présence de Sanae, dans l’appartement de Londres, avait en grande partie balayé. Il y avait là une réaction d’égo, jamais il n’aurait laissé apparaître ce qui n’allait pas ; pas en direct, pas sans en contrôler une part non négligeable. Ce simple fait montrait qu’il remontait la pente car l’abandon qui avait eu lieu en France ne lui ressemblait pas. L’appartement avait été une ancre. Pas qu’il soit toujours resté connecté à la réalité, pas qu’il n’ait pas eu de moments difficiles, pas qu’il aille bien. Pourtant il y avait là une forme de naturel qu’il avait apprécié. Et ce malgré les conflits, la difficulté de ne pas se sentir à l’aise dans l’espace d’une autre ou de la voir empiéter sur le sien. Pas simple d’apprendre à vivre à deux, surtout pour quelqu’un qui n’était pas certain d’avoir appris à vivre tout court.

Poudlard lui plaisait bien pour ça, surtout une fois devenu directeur. Logan disparaissait sous le poids des responsabilités et du poste occupé. Pas une seconde il n’était pas le responsable des lieux, pas une seconde il pouvait être un autre homme que celui qui siégeait dans cette tour. Ce bureau, dans le fond, lui manquait. Que disait d’ailleurs de lui le fait que l’endroit qui lui avait donc le mieux correspondu s’avérait être le vestige d’autres hommes dans lequel il n’avait apporté aucune touche, à peine quelques effets personnels ?
Sanae, lorsqu’elle n’était pas elle-même dans une dynamique d’isolement, le forçait à raccrocher à l’homme et non à l’autre. Loin d’être agréable, il reconnaissait cependant en silence qu’il y avait là quelque chose d’important. Quelque chose qu’il ne s’était pas assez permis et qui l’angoissait en vérité. Et qui lui avait valu la perte d’Aileen, sans doute.

Alors oui, cette maison était importante. Car le choix l’était. Celui de ne pas se quitter, de débarquer ici. Il y avait quelque chose de sérieux, de solennel même dans ces mains qu’ils avaient liés après son réveil. Quelque chose de réel, d’assumé. Mal, sans doute, mais tout de même. Pourtant rien ne semblait aller. Une forme de déception s’était mise à le ronger sans qu’il n’en comprenne véritablement l’origine. Il y avait de la colère, même, dans ce dépit. Cette fois, c’était lui qui prenait sur lui, étrangement apaisé par la contrariété évidente de Sanae. Déconvenue, elle restait plantée face à cette pièce aux murs vieillis comme si le monde venait de lui tomber sur les épaules. La douche froide. La désillusion amère. Et en lui, bien au contraire, une douce chaleur. Il avait bien fallu ça pour qu’elle pose le regard sur lui, semble enfin capter sa présence et échange véritablement. La tension existant bien sous sa chair baissa alors d’un cran, comme si ce sourire commun avait le pouvoir de lier de nouveau quelque chose entre eux alors même qu’elle en semblait bien incapable depuis des jours. Incapable ou peu intéressée, va savoir. Logan savait comment elle fonctionnait, bien sûr, c’était sans doute d’ailleurs ce qui l’empêchait de partir d’agacement. Mais savoir est différent d’intégrer, comprendre ou accepter.

Tout comme, sans doute, Alec entendait la nécessité de ses actes sans les accepter. L’idée passa à son évocation, rapidement noyée dans les limbes de ses abysses.

L’humour, donc, empruntant comme souvent son ton à d’autres, comme s’il apprenait lui-même jours après jours comment interagir. L’humain était malhabile sous l’arrogance du monstre.

« Faut pas rêver. »  Qu’iraient-ils faire aux Bahamas de toute façon ? Autant Alec s’y intégrait effectivement bien, autant il était plus aisé de l’insérer, lui, dans un décors de bibliothèque en Islande plutôt que sur une plage de l’ancienne colonie anglaise. « De toute façon, on aurait cuit. » De nouveau, un sourire en coin, larguant au passage un souffle chargé d’un rire à peine formé. Voilà que leurs pensées se rejoignaient de nouveau sans se consulter.

Se consulter. Se connecter. Combien de temps avaient-ils passé de nouveau sans se lier ? Cette situation l’agaçait, le fatiguait. Comme s’ils passaient leur temps à souffler le chaud et le froid. Fallait-il que l’un s’avance pour que l’autre recule et inversement ? N’étaient ils que les saloperies de boules de métal suspendues qui existaient dans le bureau de l’ancien directeur ? Celles qui cognaient l’une sur l’autre, se propulsant sans cesse au loin avant de revenir et d’éjecter la prochaine, à l’opposé de la file. Liés, oui, mais désaxés, crashés l’un sur l’autre ; heurtés, impactés. Repoussés.

Ce sourire en coin, un brin moqueur, un brin las et détaché cachait ces sales pensées, le regard posé sur celle qui enclenchait la première et investissait les lieux. Elle passait ici et là, longeait les murs, inspectait le canapé, soulevait les tentures comme si quelque part sous la vieille couche de poussière et de désuétude elle pouvait découvrir un quelque chose de mieux. Une faille vers un meilleur angle de vue, une amélioration quelconque de ce qui la sciait manifestement de déception. Passer de son grand appartement à cette bicoque avait de quoi déstabiliser, c’était certain. Lui tentait, une nouvelle fois, un pas vers elle. Un pas vers une opinion moins sombre concernant ce lieu de vie qui enfermait déjà une part de colère. Pas envie. Ni de ça ni de la manière dont ça se déroulait. Tout cramer, donc ? L’idée était tentante.

« Me tente pas... »

Un souffle amusé, toujours posé contre le chambranle de la fenêtre ouverte. Auprès du vieux canapé  brun et délavé, Sanae balançait un coup de dépit dans la pile de livres qui traînait là comme toutes les autres merdes éparpillées un peu partout. Le son des livres chutant sur le parquet terne lui fit l’effet d’un coup grinçant sur les cordes d’un violon mal accordé. Les regards de Sanae ne semblaient presque tomber sur lui que par hasard, comme si elle découvrait qu’il se trouvait là lui aussi et qu’elle n’était pas seule à affronter le changement. Mais malgré tout, c’était sa merde, Logan n’était rien d’autre ici qu’un spectateur marinant son fond de colère de ne savoir comment s’investir. S’incruster dans ces lieux lui semblait une idée avortée. Il ne se voyait pas plus ici qu’ailleurs et l’attitude de Sanae n’aidait pas. A vrai dire, il lui sembla que cette pile de livres balancée au bas du sol lui ressemblait un peu. Qu’il était responsable de ça, de cette colère ancrée et de son mal-être. Mais à ce qu’il avortait, la réponse fut toute autre. Bien loin de ses propres réflexions.

« Si j’avais le droit, je cramerai tout ouais. »

Sans commenter, Logan traçait un demi-sourire, amusé par le parallèle qu’il tirait entre la maison de la plage, l’envie évidente de tout flamber qu’il contenait de sortilèges tissés autour d’elle comme une chape protectrice, la maison qu’il avait lui-même cramé lorsqu’elle avait chuté.. et finalement celle-là. Un demi-sourire, rien de plus. Qu’importe de toute manière, elle ne le regardait pas. Nouvelle tentative, donc, sans doute la dernière dont il serait capable avant d’envoyer chier ces espoirs à la con dont il ne savait que faire. La frustration lui battait l’échine et pinçait ses nerfs. Un gamin incapable de gérer ses privations. Et le refus d’être ainsi, colérique, blessé, grinçant. Par moment Logan n’était pas tout à fait certain que cette attitude là venait véritablement de lui et non d’autres esprits.
Le refus de laisser à l’autre ce pouvoir-là le cadrait, lui imposant cette posture au sourire pincé qui lui ressemblait bien plus, l’observant de loin jusqu’à ce qu’elle décide à cesser son manège. Aussi calme que la poussière qui scintillait dans l’air terne et saturé d’humidité.

Il avait fallu qu’il arrache la tenture pour qu’elle réagisse finalement. La destruction les liait souvent, il fallait l’admettre. Son regard piqué d’agacement et de dépit se posa sur lui et Sanae interrompit sa ronde de découverte pour le rejoindre. Sous ses pas, le plancher craqua. La maison elle-même refusait peut-être l’arrivée de ces nouveaux intrus.

« Ça ne fera pas de mal, c’est sûr... »  Elle vint tirer la tapisserie, les sourcils froncés comme une gamine agacée d’une potion qui refuserait de fonctionner, puis releva son regard grave vers lui.  J’suis quasi sûr que des gens sont morts ici. A tous les coups, on a trois fantômes... » Au moins ça lui rappellerait Poudlard. « ...des termites. » ça aussi. L’ancien directeur ayant tant pris en charge le château qu’il lui semblait toujours en être le maître des lieux. Et il existait toujours là-bas des foutus insectes pour en bouffer les murs. Et les valeurs aussi, sans doute ; une chose qui ne le dérangeait pas tant à l’époque mais qui commençait à le gêner. « Et un chat errant quelque part. » Comme Poudlard, donc, tout à fait. Lui durant son adolescence. On est bons.

Se faisant repousser légèrement, Logan ne se décala qu’à peine, la laissant se planter devant la fenêtre ouverte à laquelle il faisait toujours dos pour contempler l’extérieur de son regard morne. Lui l’observa un instant en silence jusqu’à ce que ces mots ne sortent.  « C’est pas c’que j’imaginais... » « J’ai vu. » A son tour son regard la lâcha pour retrouver l’intérieur de cette pièce qu’il ne voyait pas véritablement en réalité. Tout y était sombre, crasseux, vieux. Ce qu’il y avait d’amusant, c’est qu’elle s’inquiétait du type de manoirs dans lequel il avait pu vivre, ne semblant pas se rendre compte qu’en réalité… ces lieux correspondaient finalement plus à son véritable lieu de vie qu’au reste du manoir Rivers. Sans véritablement songer à quoi que ce soit, Logan laissait son esprit dériver sur les lieux, du vieux vase dont l’épaisse couche de poussière rendait opaque l’entrée de la lumière à l’horloge au lourd balancier et à la peinture écaillée.

 « Bon ! Ça sert à rien de se lamenter. » il fut presque surpris de ce soudain revirement d’énergie, bouffé d’une colère qu’il ne comprenait pas réellement. Ou qu’il craignait de comprendre. Était-ce pour ça qu’elle évitait le contact ? Plutôt que bouffée par les plaies infligées par la situation ?

Sans un mouvement, les bras croisés sur sa poitrine, il l’observa en silence faire un aller retour dans la cuisine, en revenant avec l’air toujours placardé de déception. « N’y va pas. C’est pire. »
« Comme toutes les cuisines moldues... » A quand la possibilité de retrouver un elfe de maison, sérieusement ?! Pas qu’il ait jamais fait beaucoup de cuisine chez Sanae me direz vous. A raison.

Suivant le mouvement après un temps de latence, Logan l’accompagna dans sa découverte des lieux. Les pièces s’enchaînaient, accompagnées du grincement qui deviendrait probablement familier du parquet gondolé. Rien ne semblait détrôné la découverte suivante, comme s’ils ne pouvaient aller que de déconvenues en déconvenues. Tien n’allait ici. Et bien que détaché, au fil des pièces, le regard de Logan se para à son tour d’un froncement net des sourcils, planté devant chaque porte sans vraiment rentrer au centre de l’espace, un air perplexe tatoué sur le visage.

« Hors de question.» Il en était là lui aussi. Une grimace interdite suspendue sur les traits. Les lèvres tordues dans un air de dépit, Logan observait la tapisserie qui faisait détaler Sanae. Déjà que les formes de visage sur la tenture du couloir en bas le laissaient sceptique mais là, le malaise venait d’atteindre un nouveau stade. Qu’est-ce qui n’allait pas avec ces types ? Les moulures, les statuettes de chiens de chasse et d’animaux en tout genre trônant sur les meubles, les rideaux sortis des pires idées du siècle dernier, tout ça était déjà à mourir mais cette fois, ils touchaient le fond.
Un moment Logan resta bloqué dans sa moue dégoûtée, à se demander comment quelqu’un, un jour, s’était dit que non seulement ce serait une bonne idée de créer cette horreur… mais que quelqu’un d’autre avait eu l’idée saugrenue d’accrocher ça dans sa chambre.


Où il
Dormait !

Non, ça n’était peut être pas assez clair, l’horreur méritait d’être soulignée, pardonnez du peu.

Son regard vint se poser sur les draps recouverts d’un plastique transparent que le temps avait rendu blanchâtre, Logan accrocha un instant des motifs similaires à ceux des tissus tendus du bas. Comme des formes de volutes qui évoquaient des visages là aussi. Comme les types de la tentures, ils semblaient le dévisager en silence et il ne put qu’accentuer sa grimace. Dans un regard en arrière, il fini par pivoter et faire demi-tour, refusant de réellement rentrer où que ce soit, étrangement mal à l’aise dans ces lieux inconnus. Difficile de se dire qu’ils étaient censés vivre ici désormais. Et pourtant il en avait fait des auberges et des lieux vieillots durant ses nombreuses pérégrinations adolescentes et post-adolescentes. Mais là… le niveau n’avait rien d’égalable. Surtout pour une habitation qui était censée les accueillir pour les… pour l’avenir. Proche ou lointain, la projection lui semblait de toute manière impossible.

Demi-tour, donc. Comme poussé d’un besoin de dégager au loin de ces types qui faisaient griller une biche à la broche, de ces draps immondes et de l’odeur sure de renfermé. La grimace s’était changée en une autre, presque adolescente. L’air dépité et blasé du type que le monde réussi encore à décevoir sans qu’il ne comprenne comment cet exploit était possible. Du jeune qui regarderait les autres l’air de leur dire « vous voyez, je vous avait dit que ça serait pourri », qu’importe le sujet ou la situation.

Si Sanae avait disparu dans la seconde chambre, il n’eut pas le temps d’y entrer qu’elle en sortait déjà, tout autant repoussée qu’il l’était par le magnétisme inverse des lieux sordides. Manquant de se l’emplafonner, elle le sorti de son apathie mentale, enclenchant dans ses muscles non un sursaut mais une tension d’anticipation d’un choc qui ne vint pas. Ou plutôt, si, au travers de ses yeux posés sur la pièce derrière elle. Une pièce qu’il ne verrait pas en entier d’ailleurs puisque Sanae lui barrait la route, un bras collé sur l’embrasure de la porte, recevant de sa part un regard interrogateur.

« Qu’est-ce que tu fais dans ma chambre ? » 
« Ah donc tu me laisses la biche au martyr… et tu prends le lit de princesse façon LaLaurie.. Hm, ça a une certaine cohérente.. » Delphine LaLaurie, la sorcière aux massacres multiples qui avait tracé sa légende jusque chez les moldus, bien inconscients de l’ampleur réelle de ses agissements. « Je parierai sur une vengeance de tes grands copains... » Voire de ta nana, d’ailleurs. « Montre moi l’ampleur des dégâts ! » La seconde suivante il la chopait d’un bras, prêt à la soulever et la mettre sur son épaule pour avancer… conscient qu’il volerait sans doute à l’instant dans une prise qu’il ne comprendrait pas, profondément agacé par cette supériorité physique et technique évidente entre eux concernant le combat rapproché.
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M. Logan Rivers
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Lun 30 Mai 2022 - 22:04

Elle aurait du savoir, mieux que personne, la facilité avec laquelle l’esprit occultait parfois ce qu’il ne pouvait gérer. Là, partout autour des images qui la reliaient à Kezabel, Sanae s’était construite des angles morts qui l’empêchaient de voir. Voir la déception et la colère onduler sous la surface, le ressentiment creuser l’espace. Logan était dans son angle mort. Elle ne distinguait de lui qu’une forme floue à laquelle son esprit ne pouvait se lier. Incapable de s’approcher assez près pour partager avec lui, la sorcière évoluait dans son périmètre sans jamais établir de véritable contact. Si elle avait été consciente de ce qui se jouait, elle aurait ressenti le manque, l’absence, la tension qui gonflait entre eux. Mais il y avait dans son esprit des violons désaccordés, des notes grinçantes, un incessant tambour qui évoquaient un brouhaha plus épais qu’un brouillard. Elle s’y noyait sans jamais retourner à la surface, apprenant à bouger pour oublier qu’elle manquait d’oxygène.

Se concentrer sur autre chose était devenu un besoin vital. Elle en oubliait tout le reste, accaparée par les préparatifs et le déménagement. Oublier. Oui, c’était ce qu’elle désirait plus que tout. Oublier que Kezabel était seule dans ce Centre, sans eux ; oublier les torts qui s’amoncelaient sur elle quand la culpabilité s’établissait en maîtresse infernale sur ses nerfs ; oublier l’incertitude des prochaines semaines et l’incapacité à faire disparaître les nœuds qui prenaient d’assaut son estomac. Ça la rendait malade, si profondément malade. A chaque sourire qu’elle pouvait faire, à chaque possibilité de joie, Sanae sentait la lame tranchante du remord. Comment pouvait-elle sourire quand Kezabel était encore en proie au tourment ? Quel droit avait-elle de respirer normalement, de dormir paisiblement ? Elle ne s’en laissait aucun. Comme s’il avait fallu souffrir de son côté aussi pour se laver de ses erreurs, de ses manquements, Sanae ne combattait même pas sa culpabilité. Elle n’essayait pas. Elle entretenait ce qui la prenait à la gorge et faisait passer le temps plus vite jusqu’à ce que quelque chose vienne l’en délivrer. Elle ne cherchait pas à briser ni la tension permanente de ses muscles, ni le brouhaha de son esprit. S’il fallait qu’une chose éclate en elle et libère cette boule d’émotions coincée dans sa gorge, ce serait une force extérieure, un chaos qui viendrait percuter le sien et la surprendrait. Elle l’évitait, par-dessus tout.

Alors, puisque l’homme qui se tenait à ses côtés avait souvent fait éclater les cages de sa conscience, elle l’évitait...Lui. L’injustice était crasse mais Sanae n’avait pas tout à fait conscience de cette distance qu’elle leur imposait. L’instinct avait pris depuis un moment le dessus.

C’était avec une grande détermination qu’elle s’impliquait dans leur emménagement. Elle aurait aimé ne rien laisser au hasard mais l’état du Cottage les prit tous les deux par surprise. Un instant alors, la vive déception occupa ses pensées. Penchée à la fenêtre, le regard sur l’extérieur tandis que Logan se positionnait à l’exact inverse, Sanae laissa échapper quelques mots, plus honnêtes. Rien n’était tel qu’elle l’avait imaginé. Ce constat aurait pu s’étendre à chaque état de sa vie. Les prunelles d’acier du sorcier se posèrent sur elle avant de se détourner.

« J’ai vu. »dit-il simplement.

Oui, il voyait. C’était bien la raison de cette distance.

Elle s’était rapidement éloignée, passant à autre chose sans s’attarder sur ce qui menaçait de poindre en elle. Sanae n’eut pas de regard vers Logan, ne lui demanda pas, lui, ce qu’il voudrait faire. Son esprit déjà fusait autre part, et elle commençait l’exploration de la maison. En quelques secondes, elle entra et sortit de la cuisine, le pas rapide, secouant la tête. Non seulement le plan de travail vert bleu était immonde mais tout semblait recouvert de poussière et d’une fine couche de gras ; tout était encore dans son jus, à proprement parler. Elle rejoignit vite le couloir alors que Logan l’observait de la fenêtre, les bras croisés sur la poitrine.

« Comme toutes les cuisines moldues... » fit-il valoir.
Elle ne s’arrêta pas sur sa réflexion et partit à la recherche d’un minuscule signe de rédemption pour ce Cottage qui était censé devenir le leur. Rien au rez-de-chaussée ne lui parut agréable à l’oeil. A chaque pièce se découvrait un mauvais goût plus ignoble qu’auparavant et ils ne tardèrent pas tous deux à grimper l’escalier qui grinçait jusqu’au premier étage. Après la salle de bains – seule pièce où aucun dégoût notable ne fut exprimé -, la première chambre les laissa interdit. Postés devant la tenture accrochée au mur faisant face au lit, Sanae et Logan restèrent silencieux un moment. Leurs prunelles allaient et venaient sur l’étrange représentation : une biche sur une broche entourée de villageois tous plus effrayants les uns que les autres. La scène avait de quoi donner des frissons et le fait qu’elle se trouve dans une chambre aurait interloqué n’importe qui.

Le pas pressé et l’exclamation d’un refus absolu face à la décoration eurent de quoi faire sourire. Elle se précipita dans la deuxième chambre pour trouver non pas un soulagement mais une toute autre disposition : les couleurs plus vives et le mobilier n’étaient pas moins vilains, les tableaux étaient destinés à être décrochés immédiatement, mais moins, il n’y avait pas cette horrible tenture au mur. En attendant les pas du sorcier approcher, Sanae se retourna et se campa à l’entrée de la chambre, se heurtant à la silhouette de Logan. Une main sur l’encadrement et l’autre sur la hanche, elle leva un sourcil.

« Qu’est-ce que tu fais dans ma chambre ? » fit-elle.
Le « ma » chambre n’aurait jamais pu être plus souligné.
« Ah donc tu me laisses la biche au martyr… et tu prends le lit de princesse façon LaLaurie.. Hm, ça a une certaine cohérente.. »  Ses lèvres frémirent et se pincèrent. Il fallait avouer que le lit à baldaquin en bois était ancien et les rideaux aussi lourds qu’un tapis. Elle était à peu près sûre que toute la construction de bois grincerait à chaque fois qu’elle se retournerait. La référence l’amusa néanmoins. LaLaurie, vraiment ? « Je parierai sur une vengeance de tes grands copains... » Elle leva les yeux au ciel. « Tu vois le mal partout. » La paranoïa du sorcier concernant la Garde commençait à la fatiguer mais elle n’en dit rien. Ils n’y étaient pour rien dans la laideur des lieux. « Montre moi l’ampleur des dégâts ! »

Elle s’était attendue à ce qu’il la pousse pour entrer de force dans la chambre mais Logan voyait les choses autrement. Il se saisit de son bras et fit un mouvement vers sa hanche. La tension de ses muscles, la position de son corps prenant presque un élan ne laissaient pas de doute : il comptait bien la soulever comme un sac de pomme de terre qui dérangeait dans le passage. Dans un réflexe, Sanae dégagea immédiatement son bras, retournant celui du sorcier, et s’appuyant sur son épaule pour sauter, elle enroula ses jambes autour de lui pour le propulser, avec elle, par terre. Elle ne lui fit pas vraiment mal mais leurs corps retombèrent lourdement sur le parquet. Le son se répercuta entre les murs de la chambre. Sanae s’appuya de tout son poids sur ses jambes, ses mains venant bloquer les bras de Logan. Elle avait ramené ses bras ensemble, les tordant légèrement sur le côté pour l’immobiliser. Le surplombant, un sourire aux lèvres, Sanae fit un bruit de bouche très agaçant « Ttttt » menaça-t-elle. « Dis que c’est ma chambre. Maaaaa chambre. Allez, c’est pas difficile. Et ça t’apprendra à essayer de me soulever. » L’insolence n’aurait pu être plus marquée dans les prunelles du sorcier. Elle entendit un grognement entre ses dents avant qu’il ne réplique pas une tentative de … était-ce une sorte d’ébauche de clef de bras ? Elle écarta son corps en arrière et leurs bras ressemblèrent quelques secondes à des tentacules emmêlées qui se livraient un conflit étrange. Elle ne s’était pas attendue à ce qu’il réponde pas une action physique, mais plutôt par la magie qu’il employait si naturellement d’ordinaire. Cela eut de quoi la surprendre et un sourire amusé trôna sur ses lèvres avant qu’il ne soit remplacé par un air plus féroce. Elle reprit le contrôle, appuyant sa prise sur ses jambes et le haut de son corps sur ses bras qui tenaient fermement les siens immobiles.

Les cheveux noirs de la sorcière retombaient autour de son visage et les pointes venaient agacer celui du sorcier. Il lui fit un sourire piquant, les lèvres légèrement pincées. Sanae, elle, lui offrait un sourire victorieux. Ce dernier ne dura pas longtemps et ses yeux s’étrécirent légèrement.

« Depuis quand t’essaies de répliquer physiquement toi ? Pas de sort ? »
Elle leva un sourcil. « Pas de grincement d’os, de vague d’électricité ? Tu te fais vieux c’est ça ? » Elle fit une grimace compatissante. « C’est la tenture, hein ? La biche t’a fait de la peine ? » fit-elle, moqueuse.

L’espace d’un instant, elle en oublia les tensions internes qui engendraient le silence et la distance. Il lui sembla respirer un peu mieux pendant quelques secondes.

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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Lun 13 Juin 2022 - 20:18
Comment visualisait-il la suite ? L’avenir, le lieu dans lequel il s’établirait ? Jamais Logan n’avait vraiment projeté quoi que ce soit mais si ça avait été le cas, c’était sans doute l’une de ces grandes bâtisses austères qui lui serait apparue. Un grand manoir, à l’image de celui de son géniteur. De hauts murs aux larges briques, du granite clair ou sombre, des tournelles élancées peut être, un toit plat pour former une terrasse, quelque part au Sud de la bâtisse. Non pour faire des soirées, cette fois, mais sans doute par une forme de revanche. Aucun os brisé à venir. Il y aurait sans doute un grand jardin, de hautes falaises, les sifflements du vent. Pourquoi une si grande baraque pour lui seul, lui qui n’y inviterait jamais personne ? Que faire de l’espace ou de l’panache d’une haute fonction au ministère s’il n’en voulait pas ? Jamais il n’avait vraiment visualisé grand-chose, pour être honnête mais Directeur de Poudlard, ça, ça lui parlait. Mais le reste ? Peut être aurait-il dû prendre davantage sur lui lorsqu’il avait entamé la formation d’Auror aux côtés de Dorofei. Soldat, général, commandant. Voilà ce qui aurait eu un sens. Être enseignant lui manquait, une prise de conscience qui était arrivée sur le tard, alors même qu’il s’en plaignait sans cesse à l’époque. Diriger lui manquait. Voilà ce qu’il projetait : la fonction et non le reste. Ce reste qui était seul à demeurer. Ce « reste » dans lequel il lui fallait s’inscrire au travers d’un lieu, de relations, d’une humanité avec laquelle il n’était pas à l’aise. Si tous se servaient de lui, alors qui était-il quand il n’y avait plus l’aspect « fonctionnel » du lien mais bien sobrement relationnel ? C’était là tout ce qui se jouait avec Sanae. Son travail l’avait liée à lui sans qu’il n’en accepte ni la présence ni le rôle. C’était sa propre posture qu’il avait ensuite été prêt à valider. Celle du monstre, du catalyseur, de l’impulsion vers le chaos. La morsure de l’humanité était pourtant là, jamais vraiment loin. Dans quelques gestes, quelques regards, quelques pensées. La volonté de ne pas faire mal, de s’arrêter ensuite, de partager une nuit, de suivre l’autre, d’être une chape de protection dans l’ombre. Et puis le pas en avant, l’immobilité tranquille sur une plage, à éponger le poison sans la tirer vers sa propre destruction.

La suite, Logan s’y situait bien plus mal. Le quotidien était difficile, les échanges, peu naturels, l’affection, râpeuse. Et pourtant affreusement essentielle. Il se rendait compte que lorsqu’elle cessait ses efforts, l’espace se formait entre eux, immédiat. Comme s’ils étaient tirés en arrière tout autant qu’ils cherchaient le contact visuel. Un clignement de paupière et les voilà propulsés loin de l’autre. Et Logan le savait pas faire. Ne voulait pas faire. Trop dur, trop loin de ses conceptions, trop d’inconnues et d’impressions sales que d’être celui qui tente et se foire. Alors il restait en bordure, en périphérie d’une vie qui ne le concernait finalement pas tant que ça. A l’observer se débattre comme elle le faisait, Logan se savait qu’en faire, qu’en dire, qu’en penser. La colère était là. Elle se foutait bien des tourments et du risque de perte. Jalouse, elle se sentait flouée et répondait par la jalousie maladive. Piquée d’injustice, elle devenait orage, grondait dans ses veines et jalonnait ses regards, toute prête à s’écraser sur les landes de leur éloignement. Pourtant Logan tenait, tant par conscience de la situation que par connaissance de son amie. Mais aussi par refus d’être le suiveur, de lui laisser ce pouvoir-là sur lui.

L’idée le rendrait dingue ; d’être celui qui tentait, à la merci de ce que l’autre désirait bien lui accorder ou non et cette distance soudaine après leurs échanges semblait-il très sincères lui sciait les nerfs. Leur relation était ainsi, en dent de scie. En accordéon plutôt. A s’approcher, comme s’ils étaient prêts à se promettre toute la bienveillance de l’univers pour se détourner l’instant suivant. Un sacré foutage de gueule, pour résumer. Toute l’hypocrisie des relations humaines rassemblées dans la leur.

Et pourtant il n’y arrivait pas. Lui en vouloir, la rayer sans considération, évacuer ce qui empoisonnait son âme comme un problème. Il ne pouvait pas. Parce qu’il savait parfaitement pourquoi Sanae réagissait ainsi. Parce qu’il la voyait se débattre avec la culpabilité, qu’il imaginait parfaitement qu’il y avait dans la situation des angoisses qu’il ne pouvait comprendre.
Qu’il pouvait comprendre.
Qu’il bouffait lui-même en silence jour après jour.

Savoir que l’autre en proie aux tourments, mariner sa propre culpabilité, ses propres impuissances, Logan savait ce que c’était. Il éloignait l’évidence de sa conscience, gardait sa contenance habituelle, ne laissait rien transparaître. Mais ce gosse, il l’aimait. Ce gosse n’en était pas un d’ailleurs. Il était arrogant, pouvait être capricieux, emporté, bien trop sûr de lui, bien trop mou envers les autres et surtout profondément suicidaire. Mais il était aussi solide, droit, fiable. Il avait la faiblesse de croire en les autres mais en tirait une forme de sérénité rageuse que Logan ne comprenait pas. Ce gosse était aussi l’adulte qu’il ne savait être, apprenant à chaque plongée dans son esprit ce que c’était que d’aimer en douceur, sans reculer, sans se dissimuler. Il n’avait pas toujours été ainsi mais avait fait ce dont lui, était incapable. Alors il savait parfaitement dans quelle position Logan l’avait mis. Isolé, meurtris. La résistance comme seule voie. La dureté était le seul moyen de tenir, il était le mieux placé pour le savoir. Le mieux placé, aussi, pour savoir ce qu’il pouvait vivre en cet instant. Pour connaître la violence des coups et du désespoir, le désir de l’abandon, l’irrépressible injustice de la solitude. Six mois. Il avait tenu six mois. Combien de temps le gosse tiendrait en enfer ? Combien de temps Kezabel tiendrait avant de se hisser vers le haut ou de s’asphyxier ?

Ils auraient dû se comprendre. Ils auraient dû partager.
Ils ne savaient pas faire.

Pourquoi, alors, réagir ainsi, s’il refusait de faire des efforts ? Pourquoi ne pas simplement lui passer devant ? Pourquoi ne pas marquer la distance à son tour lorsqu’elle lui interdisait l’entrée dans sa chambre ? Parce qu’il y avait un gosse en lui qui entendait parfaitement que là aussi, en face, il y avait une ouverture. Car derrière ses râleries bougonnes, il y avait l’envie de la retrouver, que la recherche de contact suintait sous la surface.

Et contact il y avait eu. Brutal et vif, immédiat. A peine esquissait-il le mouvement pour la saisir qu’il volait sans comprendre ce qu’il lui arrivait. Le cerveau mal façonné pour comprendre ce type de mouvements, Logan n’intégrait qu’une chose : le sol dur sous ses reins, le dos qui claque, les cuisses enchâssées sous celles de Sanae qui le saisissait déjà. Bien sûr, il avait tenté de lui échapper de roulements de poignets, enroulant les siens pour tenter de reprendre le contrôle. Bien sûr, l’instant suivant, il était bloqué malgré tout. Et bien sûr, tout ça le faisait chier.

Autant que le regard vif, droit dans ses prunelles, de Sanae le gonflait de quelque chose de brutalement joyeux. Ce sourire mordant allégeait sa poitrine. « Ttttt » D’où tu tutut ?!  « Dis que c’est ma chambre. Maaaaa chambre. Allez, c’est pas difficile. Et ça t’apprendra à essayer de me soulever. »  Un demi-sourire pour toute réponse, digne d’un Alec, se dit-il. Un grognement passa sous sourire vorace tout en tentant de se dégager. Tentative infructueuse de mettre en application des choses à la fois trop vieilles pour un corps trop profondément modifié et trop peu utilisées au fil des années. Pendant un instant seulement, l’os de son avant bras jouant contre le sien, il fini par se dégager, leurs bras s’entremêlant jusqu’à ce qu’elle reprenne le contrôle et ne l’assoie de nouveau sur lui, un sourire féroce sur les lèvres. Logan n’était pas bon au corps à corps. Ou plus exactement, il pouvait l’être face à quelqu’un qui ne serait pas entraîné mais pour peu que l’adversaire ne soit pas le premier péquin du coin croisé dans la rue sans travail sérieux, non, Logan ne faisait pas le poids. Et ça le faisait profondément chier de se faire ainsi dominer par elle malgré sa conscience acérée de l’expertise dont elle faisait preuve. Question d’égo mal placé. Un truc qui l’avait tout autant agacé avec Maeve et qui pourtant, aujourd’hui, cachait un ressenti plus chaleureux. L’impression de retrouver quelque chose.

Pas pour autant que ces cheveux lui retombant sur le visage ne le crispaient pas. D’un souffle, il les écarta pour une fraction de seconde avant qu’ils ne reprennent leur place sous le regard acéré de la jeune femme. Sourire piquant, grimace râleuse. Elle répondit d’un sourire victorieux.

« Depuis quand t’essaies de répliquer physiquement toi ? Pas de sort ? » Bonne question. Une réflexion qui le saisi d’un pincement droit dans les reins sans qu’il ne sache vraiment pourquoi elle le piquait ainsi. « Pas de grincement d’os, de vague d’électricité ? Tu te fais vieux c’est ça ? » Exact. Salement exact. Pourquoi accepter de se faire mettre à taire quand il pouvait l’immobiliser, faire mal, la dominer dans l’envie douceâtre de la faire ployer ? La réponse était là, évidente et physique. Corps contre corps, penchée sur lui jusqu’à ce que même ses cheveux ne s’affalent contre sa joue, retombent au creux de son cou. Fléchie vers lui comme une amante. Le regard planté dans le sien, surtout, droit comme une lance au travers de ses pupilles. Soudainement il n’y avait plus entre eux aucun espace pour la fuite. Elle lui adressa une grimace compatissante, joueuse au possible. Un instant, ça lui sembla appartenir à une sorte de normalité étrange et retrouvée. « C’est la tenture, hein ? La biche t’a fait de la peine ? » « Je ne voudrais pas te voir dans le même état surtout... » Il y avait quelque chose de vorace, d’inassouvi dans ses prunelles autant que dans la mimique qui tordit un instant les traits de son visage, fendant ses lèvres d’un sourire carnassier.

De part et d’autres de son visage, les cheveux de Sanae cessèrent un instant de faire un rideau les isolant du monde, repoussés d’un souffle d’air avant de retomber mollement. « Après si ça te manque tant que ça, je peux faire de toi une biche effarouchée... »Le long des bras de la jeune femme, un changement de température, une inflexion électrique dans l’atmosphère. Logan s’était rapproché d’un rien, le regard en hallebarde balancé dans le sien. Il ne projetait pas l’esprit mais le désir était clair : l’isoler avec lui, la garder et la retenir dans le jeu violent qui était souvent le leur. De chamailleries, ils glissaient vers une lutte qui leur appartenait.
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M. Logan Rivers
Lun 20 Juin 2022 - 14:12



La distance n’existait que dans quelques petits centimètres où l’attente siégeait, impatiente d’être anéantie. Elle aurait aimé s’abandonner à ce sentiment qui survenait entre les mailles d’une profonde tristesse et d’un chaos insupportable. Il faisait jaillir quelque chose de familier, de réconfortant dans cette présence tout près qu’elle pouvait sentir sous ses doigts. Ils s’étaient encore éloignés, oui. Mais cette fois-ci, ce n’était pas sa faute à lui. Peut-être n’était-ce pas vraiment sa faute à elle non plus, mais elle n’échappait pas à la culpabilité qui emportait chacune de ses pensées. Elle savait qu’elle avait forcé la distance, qu’elle s’était enrayée dans ses propres mécanismes et qu’une fois la machine lancée, elle n’avait jamais idée de comment l’arrêter sans se faire du mal. Elle était d’ailleurs tant propulsée sur la pente glissante de ses restrictions qu’elle n’avait pas eu le temps de se pencher sur ça, sur lui, à proprement dit.

Mais là, l’ayant entraîné dans une prise qu’il tenta de rompre par principe, son corps se mouvant pour se défaire de l’entrave et perdant dans un sourire féroce, Sanae ne réalisa pas tout de suite à quel point cela lui avait manqué. Les yeux plongés dans les siens, se baignant à nouveau dans les eaux froides de ses prunelles, elle eut la sensation d’être poussée vers lui, prête à basculer dans la proximité qu’ils partageaient souvent mais qui, depuis un temps, faisait grandement défaut. L’insolence et la provocation lui étaient venues comme de vieilles amies la guidant vers lui, toujours présentes quand il fallait dissimuler le besoin infernal de fusionner avec l’autre par la seule manière qu’ils connaissaient ensemble. Piquer l’autre pour obtenir une réaction, un élan. Jouer avec un feu qu’ils apprivoisaient avec plaisir. Pousser, pousser, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de distance, plus d’autre manière d’être à deux qu’en faisant un. Une seule charge d’énergie et de besoin, plongée dans une volonté si profonde de dissiper la solitude et de s’abreuver de l’autre qu’il n’existait plus rien autour. L’euphorie germait déjà dans son ventre, pleine d’étincelles.

« Je ne voudrais pas te voir dans le même état surtout... »

Cette mer d’acier devenait vorace. Elle la sentait prête à fondre, à trancher l’espace qui les séparait, et dans ce sourire avide, elle y reconnut alors sa propre envie. Elle fut si dévorante en cette seconde qu’elle ne put en réfréner le flux. L’amusement venait piquer ses lèvres face à la provocation qui lui répondait.

« Oh, comme c’est aimable...si délicat... » siffla-t-elle.

Elle leva un sourcil moqueur et un souffle d’air vint soulever ses cheveux noirs avant qu’ils ne retombent de chaque côté de son visage, titillant de nouveau la mâchoire et le cou du sorcier.

« Après si ça te manque tant que ça, je peux faire de toi une biche effarouchée... »

Une remarque rêche et amusée aurait été prête à vibrer sur sa langue s’il n’avait pas fait ce geste invisible. Le long de ses bras, soulevant les poils et faisant frémir la peau, une onde de chaleur électrique la parcourut. Elle la sentait même dans l’air autour d’eux, se saturant de plus en plus. Et dans ce regard qu’il lui lançait, elle connaissait la pointe qui voulait s’ancrer dans le sien. Il ne projeta pas son esprit, c’était pire : il laissait s’écouler le moment juste avant, lançait l’appel auquel elle ne résistait jamais longtemps et qu’elle accueillait d’ordinaire avec une joie aussi vorace que la sienne. Il suggérait, surtout, la sensation qui viendrait, comme l’on pouvait titiller l’imagination et rappeler à l’autre des sensations connues qui n’enviaient rien au fantasme. L’appel en lui-même suffisait à faire trembler ses murs. Et l’envie de jouer faisait grandir l’euphorie qui se préparait à s’étendre. Effarouchée ? Elle ne l’avait jamais été avec lui. Mais ô comme il avait raison : ça lui manquait terriblement. Ce petit goût de danger, cette douleur délicieuse, cette violence pleine de caprices qui demandait toujours une réponse, Sanae se rendit compte qu’elle n’y avait plus touché depuis trop longtemps. Elle sentit la brèche étendre sa peau, fissurer ses murs, et libérer tout à la fois le chagrin de s’en être privée et l’impatience de le retrouver. Son esprit frôla le sien, griffa ses bordures sans pouvoir s’en empêcher. Des frissons attaquaient ses bras, son dos. Sur les mains du sorcier, la prise se défaisait, ne tenait plus la fermeté du barrage.  Juste cette sensation...et la sorcière comprit qu’il avait énoncé une vérité dont il n’avait peut-être pas même conscience. Elle avait peur. Elle était effarouchée. Là, en cet instant, elle savait que si elle s’abandonnait à cette proximité, tout sortirait d’elle. Ce sur quoi elle avait tant serré les dents menaçait de prendre forme à l’extérieur, et ce ne serait pas seulement de la rage, pas seulement de la violence, mais surtout une tristesse trop profonde pour la laisser s’exprimer. Elle se dégoûtait de penser que la libération de sa culpabilité entraînerait un sentiment de plénitude, de plaisir intense. Pendant ce temps-là, Kezabel souffrait toujours. Kezabel était toujours abandonnée. Kezabel avait toujours envie de mourir. Et elle, que voulait-elle faire ? Se laisser aller à la décharge de toutes ses émotions, à la fusion qui la remplissait toujours de joie. Elle ne méritait ni de se libérer de ça, ni de ressentir un quelconque sentiment de plaisir alors tout était noir et empoisonnée chez celle qu’elle aurait du protéger.

Son esprit se retira avec une si grande douleur que ses traits se crispèrent d’un seul coup. Son visage s’abaissa et son front effleura la mâchoire de Logan. C’était un déchirement.

« Oui, ça me manque... »
murmura-t-elle contre lui, le front plissé, loin de son regard. Ses mains froissèrent le tissu de son haut. « Mais je peux pas...je peux pas... » Elle le relâcha.

C’était sa punition.
Et dans le même temps, elle le punissait lui aussi avec une profonde injustice qui ne lui échappait pas mais qu’elle ne pouvait résoudre.

Elle déglutit et se redressa, se hâtant de se relever. Ses prunelles demeurèrent hors des siennes et le regret imprima chacun de ses pas. Elle s’éloigna de lui, le ventre noué et l’âme désespérée.




La première nuit au Cottage fut désastreuse.
Ils ne s’étaient presque pas parlés et chacun vaquait à ses occupations. Sanae s’était acharnée à jeter les vieilles coupures de journaux, les nappes pleines de poussière, les casseroles rouillées et les rideaux infectes. Tout ce qui était trop vieux, usé ou simplement laid disparut dans le jardin dans un amas d’objets et de tissus qui ressembla bien vite à une déchetterie. A la fin de la journée, les pièces eurent au moins le mérite d’être propres et débarrassées de l’odeur de renfermé. Un parfum de lavande circulait dans le Cottage dont toutes les fenêtres et les portes étaient ouvertes. Une brise allait et venait à travers les couloirs. La maison respirait un peu mieux mais pas ses nouveaux habitants. Quand tout fut nettoyé ou jeté, il ne resta plus que le strict minimum et quelques petits objets que Sanae ne s’était pas décidée à éradiquer . Elle disposa dans les chambres les draps, coussins et couvertures qu’elle avait ramenés de l’appartement ; la salle de bains se remplit de leurs affaires et elle mit au sol des tapis de bains épais ; et en bas, la table basse présentait un verre de whisky et une bouteille, juste à côté d’un fauteuil en cuir qui était en état d’être gardé et qui convenait parfaitement à Logan. Dans la cuisine, tous les placards étaient immaculés et le frigo avait été placé au seul endroit où il pouvait l’être, rempli de toutes les provisions que Sanae avait anticipé ; la table à manger fut décorée d’un vase vide et de quelques livres qu’elle se promit de disposer le lendemain. Ce n’était pas parfait mais en une journée, c’était tout ce que la sorcière pouvait faire. Si la grande majorité de la crasse et de la poussière avaient disparu, Sanae ne réussit pas à dissiper le mal être qu’elle sentait grossir en elle.

A chaque fois que Logan approchait, qu’il passait dans la même pièce, ou qu’elle l’entendait au détour d’un couloir, tout son corps se crispait et son esprit s’époumonait dans le vide. Le manque et la frustration crissaient en elle. Plus encore, il n’y avait pas de mot assez fort pour exprimer à quel point elle s’en voulait. Car cette distance, entre eux, n’existait que parce qu’elle l’entretenait avec horreur. Alors n’en pouvant plus, et lorsqu’il fut monté dans sa chambre, Sanae demeura quelques instants sur le perron du jardin et sortit un fond de bouteille de son sac. Une, deux, trois gorgées. Elle s’accrocha pendant une heure à la bouteille. Et quand elle remonta, elle passa devant la chambre de Logan, abattue et désolée. Un silence grinçant s’était emparé du Cottage. Elle savait déjà qu’elle ne dormirait pas.



13 juillet 2016



Dès qu’elle ouvrit les yeux, les fracas de la veille lui revinrent en mémoire.
Elle se redressa dans son lit à baldaquin et passa une main dans ses cheveux. Une légère sueur perlait son front malgré la fenêtre ouverte. Ses muscles se réveillèrent difficilement, marqués par la fureur d’hier. Elle était rentrée au milieu de la nuit, atterrissant dans le jardin plongé dans la fraîcheur de l’obscurité, et elle s’était glissée dans le Cottage avant de s’échouer sur son lit. Pour la première fois depuis des jours, le sommeil était venu vite et profondément. Elle eut alors l’impression de se tirer des tréfonds d’un coma, s’agrippant au présent pour s’extirper du tourbillon qui avait saturé son esprit. Elle glissa ses jambes sur le rebord du lit et s’y assit, ses mains encadrant son visage. Ses doigts s’engouffrèrent dans ses cheveux et elle étouffa un grognement. Elle portait toujours les vêtements de la veille. Des brins d’herbe et des tâches de terre recouvraient son pantalon et avaient sali les draps. Elle se leva, vague et engourdie, et réunit les couvertures pour les mettre en boule et les jeter au sol. Ses vêtements suivirent et bientôt, l’eau de la douche s’écoula sur sa peau. Elle resta un moment les cheveux collés au visage et la tête sous le jet d’eau.

Son esprit et sa vie ressemblaient à un bordel sans nom qu’elle avait laissé débordé pendant des semaines. Elle n’avait plus envie de se réveiller ainsi et de constater de mots épouvantables qu’elle aurait dits hier ou de gestes regrettables qu’elle aurait eus. Pire encore, elle s’était réhabituée à boire en cachette et maintenant que Margo le savait, ce fait devenait bien plus réel. Si la honte lui serrait le ventre, elle savait pourtant pertinemment qu’il faudrait reprendre la lente agonie d’une restriction ferme. Elle ne savait pas si elle y arriverait et à vrai dire, la peur de n’être plus capable de prendre la décision d’arrêter lui foutait la trouille. Que deviendrait-elle si elle continuait ainsi ? Il fallait se rendre à l’évidence qu’il n’y aurait rien à faire de plus pour sa sœur et que se retenir de respirer ou s’auto-détruire durant son absence ne servirait à rien, n’aiderait personne. Elle avait jusqu’à la sortie de Kezabel pour se reprendre en mains, pour reprendre le chemin qu’elle s’était fixée. Et cela commençait par réparer ses erreurs et ses manquements.

Il y avait une chose dans cette maison qu’il fallait apaiser.

Elle sortit de la douche et s’habilla, enfilant une jupe et un débardeur. A travers les carreaux, le soleil tapait déjà et l’air se réchauffait peu à peu. Ce n’était pas la même chaleur qu’à Marseille ou à Paris mais l’été s’était installé sans aucun doute. Elle envoya un message à Margo pour lui dire qu’elle était chez elle et que tout allait bien. Elle savait que la soirée d’hier n’entacherait pas leur relation mais elle avait détesté exploser ainsi devant elle. Il y avait pourtant quelque chose d’inévitable là-dedans ; si cela ne s’était pas produit maintenant, ça aurait été un autre jour, un autre drame, une autre fureur. Les larmes versées la veille avaient ressemblé à du sang. Elle en avait toujours le goût sur la langue.

Pieds nus, Sanae descendit au rez-de-chaussée. Les marches grincèrent sous ses pas et elle entendit la télévision dans le salon. Les cheveux encore humides, elle se glissa dans la pièce et posa les yeux sur Logan. Dans son fauteuil, il semblait concentré sur les images sans pour autant les voir. Il faisait souvent ça. Elle n’osa pas lui dire bonjour. Quelque chose de fébrile la prenait à être dans la même pièce que lui. Voilà ce qu’il fallait réparer. Vite. Le silence entre eux, la distance insupportable et l’incapacité à partager quoi que ce soit, si ce n’est de l’air trop saturé. Tout ça devait changer. Ils retombaient toujours dans les mêmes schémas, les mêmes erreurs, les mêmes réflexes. Il n’y avait pas plus désespérant qu’être piégés par soi-même.

Elle rejoignit la cuisine et se servit un bol de céréales. Depuis combien de temps ne s’étaient-ils pas retrouvés ? Combien de jours avaient passé sans qu’ils n’aient un moment à eux ? Un vrai moment. Elle baissa les yeux sur son bol, le tenant entre ses mains derrière le plan de travail. Son regard dessinait les contours de sa silhouette avec une peine qu’elle n’aurait su décrire. Elle leur avait enlevé une étape très précieuse, avait gâché un instant qui n’aurait du être qu’à eux. Il y avait trop de choses qui lui faisaient honte et trop de choses qu’elle ne savait dire à voix haute. Mais lentement, elle alla s’asseoir par terre sur le nouveau tapis qu’elle avait acheté le matin précédent. Le bol fut posé sur la table basse et les jambes en tailleur, Sanae se mit non loin du sorcier. Pour un peu, elle eut l’impression qu’ils étaient retournés à la maison sur la plage. Et à chaque bouchée, elle pensa à ce qu’elle pourrait lui dire. Chaque seconde semblait être celle où elle prendrait la parole, où elle engagerait la conversation. Elle se défila à chaque fois. Et s’il lui disait qu’au vu des circonstances, il valait mieux qu’elle le laisse ici seul, que cette colocation n’avait plus de sens, qu’il en avait marre des promesses en l’air ? Il aurait eu le droit. Elle était pourtant toujours sincère qu’elle prenait une décision, quand elle donnait sa parole, mais elle se battait tant avec elle-même et les autres qu’elle sentait toujours des barrages se dresser entre ce qu’elle voulait accomplir et l’état réel des choses.

Elle voulait être ici, avec lui.
Elle voulait arrêter de boire.
Elle voulait partager et le voir faire de même.

Combien d’incapacités viendraient contrecarrer ces plans ? Combien d’excuses viendraient absoudre leurs erreurs avant qu’il n’y ait plus de pardon ? Cette pensée l’effrayait. Alors elle ne dit rien, finit son petit-déjeuner et resta quelques minutes, terriblement consciente qu’il était juste à côté, avant de se lever.

Elle s’occupa toute la journée et continua à redonner un peu de vie à ce Cottage. Tous leurs vêtements furent lavés dans cette vieille machine qu’il lui tardait de changer. Elle les étendit dans le jardin en tirant des cordes d’un arbre à un autre. Ils déjeunèrent en silence. A vrai dire, tout n’était que silence. Il résonnait dans ses oreilles de plus en plus fort. Ce n’était pas le silence paisible qu’on pouvait partager avec quelqu’un. Celui-ci était intolérable et pleins de cris qui ne passaient pas leurs lèvres. Le manque la grignotait de l’intérieur, faisait circuler l’acide dans ses veines. Sans pouvoir s’en empêcher, Sanae divaguait souvent vers toutes les fois où elle avait senti son esprit sur le sien, et les rares où elle avait réussi à entrer. Une boule dans la gorge et une tension dans les épaules accompagnaient chaque souvenir.

Il arriva un moment où elle ne put plus le supporter.
L’après-midi se terminait et elle avait empilé des vêtements pour les porter à l’étage. Elle déposa les siens sur son lit avant de prendre la toute petite pile de Logan. D’un pas hésitant, elle s’approcha de la porte entrebâillée de sa chambre et toqua. Elle l’ouvrit un peu plus grand.

« Hey… J’ai tes vêtements. » dit-elle en croisant son regard. Elle les mit sur la surface d’un vieux meuble. La chambre n’avait pas beaucoup changé depuis leur arrivée. Sanae avait laissé Logan s’en charger puisque c’était la sienne. La tenture était toujours au mur mais elle présentait de nouvelles déchirures par endroits. Il était en colère. Elle s’en était doutée. Sanae se mordit la lèvre et posa une main sur la pile de vêtements. « Il faudrait t’en acheter des nouveaux. Tu ne peux pas continuer avec deux t-shirts et deux pantalons... » Surtout, elle ne pouvait pas les laver tous les jours ; le peu d’affaires qu’il avait étaient en mauvais état et malgré les quelques fois où elle avait raccommodé avec un sortilège, tout ça finirait par être complètement délavé et difforme. Elle déglutit et tenta un sourire un peu crispé. La sorcière joignit ses mains devant elle, ses pieds nus foulant le parquet de la pièce, et ses prunelles se posèrent sur les visages étranges sur le tissu. « Elle est toujours là. Tu vas la garder finalement ? » Elle se tourna vers lui. « Je peux t’aider à l’enlever si tu veux. » Il n'avait pas besoin d'aide pour le faire, c'était certain. Mais elle ne savait plus comment lui parler, ni comment lui tendre sa main après l'avoir repoussé deux jours plus tôt.
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Sam 9 Juil 2022 - 1:21
« Pourquoi ne pas m’avoir laissé là-bas, avec elle ? » Logan ne savait plus exactement ce qu’il s’était passé ce jour là. Mais il savait que tout avait commencé là, par cette si banale et simple petite question d’enfant. La légitime interrogation d’un môme que tous ramenaient sans cesse à sa condition de lignage et dont la bâtardise était un poids à porter sans relâche. Il n’entendait plus ni la réponse à cette question ni l’image de la réaction de son géniteur ou de sa femme. Seuls restaient les expressions des frères. Les deux jumeaux avaient écrasé un rire, leur cadet les avait regardé avant de les imiter. Une pâle copie des plus grands, toujours en attente de validation. Et le dernier n’existait pas encore. Etait-il fier, Jethro, de n’engendrer que des garçons ? De beaux jeunes gens aux yeux bleus, intelligents et forts. Blonds ou châtain tout au plus. Des gosses qu’à l’époque, Logan avait sans doute préféré fixer plutôt que de croiser le regard du paternel et de sa froide réaction.

Des flashs de la suite demeuraient. Une grande main refermée sur son petit bras, le grondement d’une voix aussi sourde que le tonnerre, la menace d’une baguette, quelques éclats lumineux une fois isolés loin de la famille. Aucune de son regard, Logan l’évitait encore à cette époque, tentant maladroitement de disparaître de la vue de tous. C’était là sans doute son premier pas vers la décadence. Vers un refus brutal d’être l’enfant châtié et une acceptation rauque de son rôle de paria. Mais à ce moment, le petit aspirait encore à être ignoré, pensant encore qu’il avait une chance d’apaiser chacun s’il se comportait bien. Qu’importe l’ignorance, de toute manière, la réponse avait été vive et immédiate. L’enfant était ingrat, injuste, bien l’engeance de sa mère, le fruit de l’opprobre. Ce n’était pas les paroles de son père mais bien celle de sa femme. Lui avait vécu l’humiliation avec force et y avait répondu de même, encouragé par les mots empoisonné de celle qui lui avait donné la majorité de ses fils.

Ce dont il se souvenait n’était pas très clair, pour ne pas dire atrocement brumeux. L’adulte savait qu’il y avait eu de la douleur, de la peur et une envie dévorante de fuir. Qu’il avait voulu crier mais que rien n’était sorti. Puis qu’il s’était demandé au travers du danger s’il y en avait eu d’autres, des bâtards qui ne seraient pas lui. Qui auraient grandit ailleurs. Il les avait haït ce jour-là avec toute la force qu’un petit garçon pouvait avoir.

Lorsqu’il avait été amené au grenier, il n’avait rien dit, rien fait, soulagé d’être débarrassé autant de la présence parentale que de la fraternelle. Logan les revoyait encore, s’amasser en douce derrière les jambes de son père en contre jour dans l’encadrement de la porte. Il revoyait le plus grand de tous les chasser d’un regard lorsqu’il su que leur géniteur allait les voir. Malgré tout ils n’avaient perdu aucune miette de la dérouillée qu’avait pris leur bâtard de plus jeune frère.
Il entendait toujours le grincement de la porte, en revoyait le jour, sentait toujours l’odeur des lieux. La même qu’ici.

Il entendait cette nuit encore le bruit cacardant et roulant de la goule. Il trouvait encore l’image tenace de l’animal décharné dont les sons secs d’allers et retours dans le fond du grenier avait alerté la présence. L’enfant était resté là, à reculer dos à la porte avant de se déplacer jusqu’au un mur adjacent pour ne pas donner de cartes à ses frères. Aucune faiblesse, aucune crainte, aucune larme n’était acceptable, qu’importe son jeune âge. Pas même la preuve de deux pieds sous le jour de la porte d’un gosse qui souhaiterait sortir. Alors il était resté là, les prunelles écarquillées à fixer le fond du grenier. C’était un labyrinthe là-dedans. Un labyrinthe agrandit par les capacités magiques. Les caisses et les vieux meubles s’agençaient avec un ordre qui leur était propre. Ci et là des draps étaient tendus sur les uns ou les autres ou abandonnés au sol. Lui qui avait vécu dans un manoir toujours si parfaitement rangé et où jamais une poussière ne subsistait était soudainement mis face à l’atmosphère saturé d’un grenier mal aéré et si peu ordonné. Pourquoi le faire quand d’un simple sort, il était possible d’attirer un objet ou de faire bouger un meuble pour en identifier la localisation, après tout ?
Mais la poussière et lui n’étaient pas les seuls habitants des lieux. Ça craquetait dans le fond. A droite, quelque chose tomba. Puis à gauche. Sous son regard mal habitué à l’obscurité, les particules en suspension s’agitèrent au travers des rayons filtrant au travers des quelques lucarnes ajourées clôturées ici et là. Elles avaient beau être nombreuses – au nombre de cinq, avait-il fini par savoir – elles étaient tant dispersées dans le sous-bassement que leur maigre lueur était vite rattrapée par l’ombre des meubles entreposés là.

Des bruits de pas fuyants lui avaient fait tourné la tête d’un côté et de l’autre et il lui restait encore dans les veines la brutalité de la panique galopant jusqu’au bout de ses orteils. Quelque chose était là. Quelque chose qui chuintait et raclait le sol. Quelque chose qu’il était persuadé d’avoir déjà entendu durant la nuit, lui qui dormait dans les étages.
Sans doute un autre enfant aurait su que jamais son père ne lui aurait fait mal. Mais Logan savait que c’était faux. La peine sillonnait toujours ses membres malingres et apathiques. Immobiles. Si foutrement immobiles face à la menace grandissante. Lorsque la bête hurla, il se figea en une statue de sel et hoqueta un gémissement d’angoisse.

Allongé dos sur le matelas, le regard braqué au plafond, Logan ne trouvait pas moyen de dormir et laissait aller son esprit. Il y avait dans les profondeurs de ses abysses des souvenirs enfouis qui remontaient à la surface comme du bois flotté. Lèvres pincées, il voguait dans le passé pour se défaire de son emprunte sur le présent. La petite poitrine soulevée par à-coups étaient encore là, sous la protection rude de ses cotes d’adulte. L’enfant avait pleuré ce jour-là, réfugié dans une malle au fond élargi. C’était là qu’il s’était caché durant de nombreuses nuits. Petite chose qu’il était. Petit être fragile persuadé que les crocs du monstre se refermeraient sur lui.
D’un geste, Logan fini par s’asseoir, lâchant un souffle rauque sur les draps propres droit sortis de l’appartement de Sanae. L’image des griffures sur le cuir de la malle lui revenait en mémoire. Celle de ses mains tremblante aussi. De longs doigts fins d’enfant. A présent ceux qui repoussaient les draps étaient rugueux et noués. L’amputation semblait leur avoir laissé l’aspect de vieux troncs bouffés par la gale végétale. L’homme détourna le regard et fini par se lever pour ouvrir la fenêtre. Le monde était calme là-dehors. Si éloigné des souvenirs que l’odeur de renfermé agitait dans ses pensées.

Il s’accouda en silence, l’encadrement de la fenêtre traçant dans sa chair deux lignes parallèles. Dehors, la haie bruissait doucement, le jardin rongé de mauvaises herbes s’agitait sous la houle de la brise nocturne. En se penchant, il aurait pu voir la forêt attenante à l’arrière de la maison. Un gosse aurait craint ces profondeurs sombres et les craquements qui y bruissait. Les gosses craignent les monstres tapis dans les fourrés. Il avait été de ces gnards là. A présent il appartenait à la seconde catégorie.

Logan se revoyait aller et venir dans le manoir comme s’il ne tremblait pas, là-haut, dès qu’on l’y amenait. Comme s’il ne restait pas des nuits entières les yeux grands ouverts à écouter l’animal crachoter ses plaintes sur les lattes du parquet grinçant à son passage. Comme s’il n’était pas rien d’autre qu’un môme effrayé. A mesure des jours, il avait vu le regard de ses frères changer. Et il avait compris.
C’était lui qui possédait le pouvoir. L’aptitude à résister à la peur. Celle de prendre la situation et d’en faire une arme.

L’adulte baissa le front, ferma les paupières, inspira l’air froid de la nuit. Il se revoyait sortir de là, armé d’un ridicule chandelier donc il sentait encore le métal sous ses doigts. Pas de lumière, bien sûr, il voyait mieux sans. Des nuits durant, il y était allé pas à pas, l’ouverture de son refuge béante pour y plonger de nouveau dès qu’il le pourrait. Tout gamin a peur des goules. Beaucoup ignorent qu’elles les craignent tout autant. Lui-même avait mis quelques semaines à le comprendre. Durant celles-là, il l’avait vue apparaître plusieurs fois, son corps décharné ramassé sur lui même, éclairé par l’arrière des lueurs des lucarnes. Les premières fois, à chaque fois qu’elle hurlait, il en faisait de même, le cri à peine retenu entre ses mains ou ses dents serrées et partait se réfugier dans sa malle magique. Chaque fois qu’il répondait trop fort, des projectiles percutaient la surface de sa cachette fermée avec brutalité. Parfois, elle venait gratter le cuir. D’autres, seul le silence gobait l’agitation passée.

L’air frais fini par apaiser son corps en feu et Logan vint retrouver le lit qui serait dorénavant le sien, s’y laissant couler sans refermer la fenêtre.

A l’époque, il avait fallu quelques jours de plus avant qu’on lui apporte un petit matelas qu’il n’avait pas utilisé immédiatement, comprenant avec horreur que cette attention signait la pérennité de sa situation. L’enfant avait alors pris son courage à deux mains et avait appris à évoluer dans le grenier sombre. Assez pour comprendre quels étaient les lieux favoris du monstre, capter sa logique, les signaux qu’il envoyait. Se mouvant dans les ombres, il s’était adapté pour l’esquiver, rester à distance et atteindre semaines après semaines les différentes lucarnes pour en arracher volets, carton ou planches de bois et faire entrer la lumière. Tout avait été plus simple à partir de là. Le monstre bien mal nommé et celui en devenir avaient appris à cohabiter. La goule lui avait donné de l’espace et ne s’était jamais véritablement approchée. Lui avait fini par prendre se créer un repère et y installer le matelas. D’années en années, le grenier avait été la meilleure des choses que cette maison lui ait offert. Il avait appris à user de la goule pour inquiéter ses frères et asseoir une nouvelle image qui lui collerait ensuite à la peau. Celle de l’animal. De la bête à l’aise dans les ombres, inquiétante créature qui n’avait d’humaine que l’apparence.
Il avait même trouvé dans le grenier de vieux livres, quelques perles de lecture et le goût de l’exploration sordide. Les sous-pentes étaient en communication sur tout le domaine et comme tout enfant, Logan s’était pris d’une passion de la découverte. Les petits moldus jouent à parcourir jungles et forêts de lianes, tombeaux et vieux temples. Lui en avait fait de même de l’océan grisâtre des combles du manoir Rivers.

Le battement des paupières de l’adulte se fit lourd au fil de ses pérégrinations mentales. Dehors, le soleil perçait doucement les ténèbres de la nuit quand il se mit à naviguer entre le sommeil et l’éveil. Là où la veille, l’acide de la colère polluait sa gorge, des idées plus douces s’insinuaient à présent. Peut-être était-ce là une bonne réponse à apporter au chagrin d’une petite fille esseulée dans un orphelinat à se considérer comme un monstre et à espérer qu’il y ait quelqu’un, un jour, pour partager son langage. Peut être pourrait-il confier ces sombres histoires d’enfant à l’ombre des cerisiers et des érables qui bordaient le temple encore vide dans son esprit. Peut-être.

Sans ces quelques mots, cette possibilité n’existerait pas. Pas plus que le calme trompeur qui coulait sur lui comme de la colle sur un vieux meuble.

« Oui, ça me manque... Mais je peux pas...je peux pas... »

Du temps, lui avait-il demandé bien des semaines plus tôt. Du temps, exigeait-elle à présent.

Le sommeil avait fini par l’emporter, laissant la nouvelle maison avare de sa présence durant toute la matinée suivante.

-

Durant toute la matinée, Logan l’avait observée faire de loin. A la voir se démener comme elle le faisait, il revoyait en silence l’enfant d’hier traîner son foutu matelas au travers du grenier pour l’installer dans ce qui était devenu son petit coin à lui. Un amas chaotique de meubles entassés. Il fallait passer au travers d’une armoire ouverte pour entrer dans ce qui ressemblait plus à une grotte qu’à un espace réellement aménagé. Enfin, c’était un trou qu’il avait formé. A la porte de l’adolescent, les lieux s’étaient métamorphosés et lui ressemblaient. Propres, espacés, bien aménagés. Il était passé d’un trou à un palace. Comme si ce cloaque pouvait devenir palace. Personne ne montait jamais là-haut et seule la goule lui tenait alors compagnie. Peu à peu, elle avait cédé l’espace.
Sanae esquivait sa présence autant que son regard. Aujourd’hui, c’était elle qui se rétractait pour être oubliée. A chaque fois qu’il entrait dans une pièce, elle s’en évaporait dans une crispation qu’elle supposait peut être subtile mais qu’il percevait pourtant. Un temps, il eu l’impression de revoir la goule. Furieuse et hurlante par moment, qui faisait tant mine de l’attaquer quand il était petit alors qu’au fil des années, il n’avait finalement rien compté de véritablement notable. Sournoise et volatile à d’autres. Distante, elle avait fini par ne poser les yeux sur lui que lorsqu’il ne la regardait pas.
Durant la journée qui avait suivi, Logan s’était refait le fil. Le désir de joindre de nouveau leurs esprits. L’étincelle crépitant dans l’âtre noir des prunelles posées sur lui. La douloureuse esquive. Les quelques mots crispés. Et la distance martelée ensuite. Non qu’il comprenne mais ces pauvres syllabes lâchées avec toute la retenue du monde, Logan les avaient entendus. Alors il n’avait pas poussé.

A présent, la tornade blanche avait remplacé sa colocataire et lorsqu’au réveil, il avait posé les yeux sur le fauteuil vieilli, la bouteille et le verre de whisky, Logan avait lâché un souffle amusé.

Tu essayes. Tu le fais à ta manière.

Et sans trop savoir quelle pouvait être sa manière à lui, il lui avait simplement laissé de l’espace pour aller et venir dans les pièces cernées du passé sans avoir à gérer sans cesse l’imminente possibilité de le croiser.
Au loin, il la vit accumuler le merdier de la baraque comme un animal agglutine la terre en dehors de son terrier. Et sans un mot, il avait pris la relève, d’une pièce à l’autre, loin d’elle. Le reste. L’emménagement, le ménage, la mise en place, il en était resté loin.

Le soir, l’ombre qu’il était devenue avait fini par disparaître à l’étage. Dans cette chambre qu’il avait vidée durant la journée et dont les tentures restaient à le fixer de leurs couleurs passées. Foutue biche. Lorsqu’il avait entendu la porte d’entrée claquer, Logan s’en était pourtant désintéressé, joignant discrètement ce qui deviendrait sans doute une bibliothèque ou un bureau à l’avenir.

Le dos calé contre le battant toujours ouvert de la fenêtre, il était resté sans un mot ni un geste. Impossible de la voir d’ici mais il la devinait s’asseoir sur les marches puisqu’elle ne passait pas devant son champ de vision. Le bruit ne tarda pas. Une bouteille qu’on débouche.

Ses paupières se fermèrent une seconde tandis qu’il pinçait les lèvres un instant, laissant son crâne rejoindre en douceur le chambranle de métal.

Comment une alcoolique pourrait-elle refaire surface en vivant avec son semblable ?

Cette fois, Logan ne s’imposa pas. Il ne la suivi ni n’imposa la parole ou son simple regard. Assis sur son lit, il l’entendit rentrer, partir, revenir. Les prunelles d’acier braquées sur la tentures, il avait vogué entre l’inquiétude, le passé, et le silence angoissant de la vieille bicoque. Par moment, ces murs grinçant appelaient en lui de vieux démons et à d’autres, au contraire, ils lui semblaient étrangement familier.

-

Là où il avait été calme toute la journée, la colère perça finalement de nouveau. Les prunelles sombres portées sur la tentures, il ne su pas pourquoi la timbales sourdes de la rage se mirent à tinter. Pourtant à l’instant où Sanae quitta les lieux, les fracas s’insinuèrent sans ménagement. Ils prirent le premier appuis possible, si insignifiant soit-il. Assis au fond de son lit, le dos calé contre le mur, Logan avait porté son regard sur son avant bras pour que le feu ne s’allume brusquement. En cet instant, les marques noirâtres laissées par le serpent de flammes et grimpant jusqu’à son épaule pour ensuite courir sur son dos et son torse lui attiraient le regard. Droit vers les cicatrices en étoile de ses paumes et les moignons tordus de ses phalanges coupées. Un peu plus tôt, il avait eu l’idée sans doute idiote d’arracher la tapisserie sans user de magie. Impossible. Ses doigts n’en avaient plus la force, incapable de se coller l’un à l’autre avec assez de puissance pour permettre une telle simple action.
L’acier dans les yeux, il était resté là à reporter la plaie ouverte de son corps faiblard sur la tapisserie immonde qui le narguait dans la pénombre. Durant des heures, Logan avait ravalé la colère, cherchant à canaliser le flux jusqu’au coin détaché de la tenture Arracher. Reprendre. Rarement y était-il parvenu.

Les premiers sorts qu’il avait maîtrisé étaient défensifs. La fuite d’abord, usée d’instinct l’attaque ensuite.
Un souffle sec lâché de ses narines.
Il passait le cap des sortilèges complexes voire dangereux comme le transplanage sans réussir à distance des sort bien plus basiques. L’idée l’agaçait brutalement. Un arbre cachant la tempête.

Lorsque Sanae était rentrée, Logan, main levée comme pour se guider de la même manière qu’il l’eut fait d’une baguette, immobilisa son geste, un lambeau de tenture en suspension dans l’air. Son regard bifurqua à gauche, lâchant pour la première fois de la nuit son objectif. En silence, il s’arrêta, laissant retomber le morceau de tissu.
Durant un moment encore, l’homme avait fixé la porte close comme s’il était apte à la percer ; elle et la suivante, pour savoir dans quel état se trouvait Sanae.
Ensuite seulement, il consentit à s’endormir.

Lorsqu’il se leva, Sanae dormait encore – l’espérait-il – et il eut un temps seul à déambuler dans cet espace qui ne lui appartenait pas. D’un geste de talon, il déplaça la table basse de quelques centimètres avant de errer dans les lieux. Quelques bouts de fromage avalés du bout des lèvres, le dos sur le plan de travail, l’air sombre dans les prunelles. Une nouvelle fois, tout ici était définitivement moldu mais une chose finalement lui plaisait dans cette cabane paumée dans le trou du cul du monde où les habitants tombaient en poussière à chaque pet : elle était très exactement parfaitement perdue au centre de nulle part. Finalement, ça lui rappelait assez Poudlard. Voir même ce petit espace qu’il s’était aménagé durant l’enfance. Les vieux meubles, le renfermé, l’existence sans doute encore inconnue de bestioles en tout genre grouillant dans les murs.

Logan eut envie d’une clope. Au lieu de ça, il fit le tour des changements apportés par la médicomage en s’interrogeant sur sa volonté ou non d’y participer. Sans rien trouver à changer ou à redire, il s’assit devant la télévision, seul objet qui lui donnait l’occasion de quitter terre sans sembler au bord du suicide. N’était-ce pas là ce que faisaient tous les moldus ? Mais son esprit vagabondait bien loin des questions séparait son monde de celui des sans magie.

Où était passé ce môme haut comme trois pommes qui avait poussé une satanée armoire sur toute la longueur de la longue pièce principale à la force de ses muscles atrophiés sans sembler tant s’inquiéter de l’ombre qui l’observait, finalement plus curieuse qu’effrayante ?

Le réveil de Sanae l’arracha à ses réflexions sourdes. Chaque pas qu’elle fit lui sembla à la fois hésitant et affirmé. Sans bouger d’avantage que d’un clignement de paupière, il l’entendit s’arrêter sur l’une de marches avant de rejoindre la cuisine, y trifouiller il ne sut quoi puis de venir s’asseoir près de lui. Tentative ? Il n’y songea même pas. Était-ce le moment de lui préciser que cette odeur de lavande entêtante ne parvenait pas réellement à couvrir l’odeur accumulée jusque dans les murs pendant des années ? Il se tu. Elle aussi. Quoi dire d’autre quand il savait sa seule présence apte à la crisper ? A un instant seulement pourtant, Logan desserra les mâchoires. Lorsque ses lèvres se décollèrent l’une de l’autre, Sanae se leva.

A aucun instant il n’eut levé le regard de l’écran.

-

« Hey… J’ai tes vêtements. » Le cul vissé sur son lit à fixer la tenture. Un bras sur sa jambe droite, légèrement repliée. La seconde allongée mollement sur le matelas. L’immobilité lui donnait par moment l’impression d’être de retour dans ses geôles et pourtant, Logan ne savait pas comment s’extraire de cette sensation nocive. S’il agissait, il marchait sur des œufs. S’il demeurait statique, les murs se refermaient sur lui. Dans un battement lent de paupières, l’homme s’arracha à ses pensées pour poser le regard sur Sanae qui, dans l’encadrement de la porte, avait toqué et se trouvait à présent face à lui, ses vêtements effectivement dans les bras.

On reproduit une scène de famille. Sauf que ni toi ni moi n’en avons.

« Il faudrait t’en acheter des nouveaux. Tu ne peux pas continuer avec deux t-shirts et deux pantalons... »  Un sourire en coin, mauvais, fut sa seule réponse. Elle avait dans les mains les lambeaux de ce qui lui restait de sa vie d’avant, marqués par le sang et l’humidité sale des égouts que lui avaient semblé être ses geôles. Pourquoi alors s’accrocher à de telles guenilles ?

Devant lui, la commode n’avait pas bougé de place, seuls les animaux de ferraille avaient disparu. La fenêtre était ouverte et les quelques lambeaux arrachés de la tenture oscillaient doucement dans la brise chaude de la fin d’après midi. S’il se concentrait, Logan pouvait y sentir les relents d’humus et de sève, un détail immédiatement apprécié. A ses côtés, Sanae fit quelques pas sur le parquet, ses pieds nus adoucirent les grincements qu’il provoquait lui-même lorsqu’il n’y prenait pas gare. La chambre était nue. Eux-seuls lui donnaient les couleurs de l’ordinaire. Bien ternes pour l’heure.

« Elle est toujours là. Tu vas la garder finalement ? »  De nouveau, la jeune femme se retourna vers lui et Logan ne suivi pas, le regard obstinément braqué sur l’ensemble de courbes étranges qui dessinaient en volutes des visages dans la tapisserie. Non loin, la biche embrochée les dévisageaient, accompagnée des chasseurs aux visages grimaçant. Le tissu avait sans doute joué au fil des ans, grossissant encore le trait de l’étrangeté.  « Je peux t’aider à l’enlever si tu veux. »  Dans une tentative désespérée et un peu abusive de renouer finalement le contact ou par mesquinerie en relation avec mes mains abîmées ?
 « Elle m’est assez familière. » Passant de l’une à l’autre – Sanae, la biche. La biche, Sanae – Logan ne précisa pas si une telle réflexion engageait une réflexion sur le souvenir pernicieux d’avoir été un jour à la place du pauvre animal supplicié ou à celle de ses bourreaux.

« Mais assez utile finalement. » L’une des volutes semblant esquisser un visage rougit et une odeur de roussit emplis l’espace un instant. Le suivant, la menace du feu était déjà endiguée. Voilà ce qu’il faisait depuis un moment ; comme dans sa geôle, Logan mesurait, apprenait, façonnait sa magie. « J’attendrai un petit moment avant de la changer. » Histoire de voir.

Le ton rauque de sa voix fini par s’éteindre comme une flamme sous la pluie et Logan posa de nouveau réellement les yeux sur sa colocataire.

« C’est le mieux que tu as trouvé ? » Des fringues et une tenture, pour venir me parler. « Ok. On peut parler peinture et shopping, si tu veux. » Le visage légèrement penché, Logan sentait ses paroles plus agressives qu’elles ne l’auraient dû dans leur cynisme. L’assentiment lui sembla davantage teinté d’une bousculade brusque que d’une véritable validation.

C’était le cas. Simplement il aurait préféré que sa voix enraillée de n’avoir parlé depuis deux jours transmette l’intention autrement.
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Dim 10 Juil 2022 - 23:46
Qu’aurait-elle dit s’il avait été celui qui avait rejeté l’autre ? Qu’aurait-elle fait ?
L’idée même l’effrayait. Elle était habituée au silence, à la distance pleine de non-dits, mais jamais il ne l’avait rejetée physiquement alors que l’esprit appelait le sien. Elle, elle l’avait fait. Et les pauvres mots qu’elle lui avait offert lui semblaient si dérisoires, si risibles qu’elle ne se doutait pas qu’ils avaient apaisé quoi que ce soit. Au contraire, depuis ce moment-là, Sanae imaginait le sorcier plongé dans une rancoeur atroce. Une rancoeur qui l’effrayait. Comment aurait-elle alors pu affronter son regard et y lire l’animosité qu’elle y imaginait ? Plus les jours avaient passé, plus Sanae avait repoussé le moment d’y faire face. Elle fuyait désormais non pas la proximité mais la haine qu’elle guettait en lui. Pour ne rien arranger, elle s’était éclipsée la veille et elle redoutait que cela ait nourri sa colère. Peut-être s’était-il douté qu’elle était allée retrouver Margo. Peut-être s’était-il senti plus rejeté encore en imaginant quelqu’un d’autre plus apte à soulager ses peines. Il n’y avait personne pour la soulager à vrai dire. Personne pour apaiser véritablement les tourments qui marquaient l’intérieur de ses chairs. Seule l’explosion, la violence et l’expression féroce de sa douleur savait la calmer, la shooter plus exactement. C’était presque comme une drogue au final. Une sorte d’étrange addiction qui se trouvait sur la liste depuis plus longtemps que les autres. Oui, à bien y réfléchir, le débordement était aussi inévitable qu’il était douloureux et salvateur. Un moment aux multiples facettes, désignant à la fois l’effondrement de tout et le soulagement. Le calme après la tempête, voilà ce que son organisme recherchait profondément. Et cette fois-ci, c’était face à Margo qu’elle avait explosé, tirant un trait sur toute dignité et entrant dans un aspect de leur relation que Sanae n’avait pas désiré. Celui où elle était plus que dévoilée dans ses moindres défauts, ses pires traits, son visage le plus déformé. Si elle n’avait senti aucun dégoût de la part de la sorcière, elle s’était pourtant elle-même dégoûtée. Elle s’en voulait alors d’autant plus que d’ordinaire, c’était auprès du sorcier qu’elle laissait son rez-de-marrée s’épancher. Est-ce qu’il lui en voudrait ? Cela n’avait pas été prémédité, oh non. Les circonstances avaient fait flanché toutes ses barrières.

Et à présent, elle devait recoller les fragments de ce qu’elle avait brisé. Le lien ne se faisait plus. Une connexion défaillante, coupée par la distance, mise en sourdine pour un temps qui semblait infini. Elle aurait voulu déchirer ce gouffre entre eux, le réduire à néant et revenir dans la bulle qui était la leur. Mais sa maladresse et ses craintes venaient contrecarrer ses plans. De toute la journée, elle ne sut comment lui parler ou comment l’approcher. Elle laissa, ci et là, des signes de sa volonté mais aucun d’eux ne fit le reste du chemin. L’espace qui les séparait s’était trop longtemps installé. Alors, en entrant dans sa chambre, Sanae eut l’impression de se jeter à proprement à l’eau. Ou plutôt, dans le vide sans savoir si elle serait rattrapée. Il aurait pu décider qu’elle méritait d’être punie pour la façon dont elle l’avait repoussé et qu’il serait l’architecte de leurs retrouvailles. Quelques vêtements ne pouvaient établir un pont entre eux, elle le savait. C’était une pauvre excuse qu’elle avait trouvé pour venir à lui. Si pauvre qu’elle balaya vite le sujet, une fois face à lui.

Son regard s’était porté sur la tenture. Les nouvelles déchirures lui semblèrent une confirmation claire de sa colère. L’état du vieux tissu faisait peine : des lignes roussies allaient entre les silhouettes des étranges villageois ou englobaient leurs visages en leur donnant un air plus effrayant encore ; quelques volutes de fumée s’échappaient des brûlures récentes et certains filaments de tissu crépitaient toujours. Lui en voulait-il avec autant de force ? Avait-il imaginé son visage en brûlant ceux des autres ? Avait-il déchiré les pans de la tenture comme s’il s’agissait de ce qui les reliait ?

Assis sur son lit, une jambe repliée et son bras sur son genou, le sorcier semblait accaparé par la tenture. Il releva le regard vers elle quand elle entra mais reporta bien vite son attention vers la scène de la biche. Définitivement, Sanae eut l’impression que c’était elle, la biche. Elle aurait détesté cette vulnérabilité en d’autres circonstances mais en cet instant, elle la considéra comme la conséquence de ses propres manquements. Elle ne rebroussa pas chemin, s’avança un peu plus sur la parquet grinçant de la chambre, soulignant que le sorcier devrait s’acheter de nouveaux vêtements. Un sourire mauvais lui répondit sans que les deux prunelles d’acier qu’elle cherchait tant ne se posent sur elle.

Elle se mit à fixer la tenture, le ventre noué et l’esprit en ébullition. Les autres fois où ils s’étaient déconnectés l’un de l’autre avaient toujours trouvé résolution dans un affrontement bien à eux ; à chaque fois, ils avaient fini par se retrouver ainsi, dans quelques secousses et quelques remontrances qui avaient fait éclater le silence pesant. Mais aujourd’hui, elle ne se voyait pas le provoquer pour se rapprocher de lui. Alors elle fit quelques pas vers la tenture, observant les contours de la biche et les ronds roussis qui avaient percé le tissu. Par la fenêtre, la légère brise venait à la fois faire ballotter les pans déchirés de la tenture et ceux de la longue jupe de la sorcière. Dans le jour déclinant de cette fin d’après-midi, l’ombre de la sorcière s’étendait sur le plancher jusque dans le couloir, étirée et presque difforme. Quand Sanae se retourna vers Logan, elle ne put croiser son regard. Garderait-il cette étrange scène de chasse ou comptait-il s’en séparer ? Elle lui proposa même de le faire ensemble. Une tentative maladroite qu’elle ne sut pas s’il comprit.

Elle se détourna et trouva refuge sur les silhouettes des arbres qui occupaient l’arrière-plan de la biche au bûcher.

« Elle m’est assez familière. » dit-il. La sorcière n’osa pas se retourner. Dos à lui, elle l’imaginait, lui, au centre d’un feu sur lequel les autres voulaient qu’il soit supplicié. Elle chassa l’image de son esprit. « Mais assez utile finalement. » Utile ? Pour passer sa rage dessus, il était clair que oui. Une volute de fumée s’éleva plus abondamment alors qu’un visage rougissait avant de s’éteindre. Il faisait cela de là où il était, elle le savait. Aucunement besoin pour lui de lever une baguette ou de s’approcher plus avant. Elle sentait sa magie comme un nuage invisible tout autour,  discret mais bien présent, contrôlé par l’apprentissage qu’il faisait par lui-même. « J’attendrai un petit moment avant de la changer. » Elle acquiesça sans se retourner. Prise par ses pensées et la présence familière mais électrisante de sa magie dans la pièce, Sanae fit glisser quelques doigts sur la tenture. Son index dessina les contours brûlés d’un visage, continua la route d’une déchirure, y trouvant encore la chaleur du feu, la violence du geste. Elle n’avait pas peur de sa brutalité. Au contraire, elle aurait préféré qu’il crie, qu’il s’époumone, plutôt que de le sentir retranché derrière sa forteresse, à ne laisser échapper que quelques paroles rauques. Mais du moins, il lui parlait et c’était déjà tout ce qu’elle pouvait espérer.

Tout ? Non. En toute honnêteté, elle désirait bien plus.

« C’est le mieux que tu as trouvé ? » Lui dit-il. Elle se retourna et appuya son dos contre la tenture, glissant ses mains dans son dos. « Ok. On peut parler peinture et shopping, si tu veux. » Sa voix était rugueuse, presque agressive, mais Sanae ne détourna pas les yeux. Elle avait l’habitude d’entendre ces sonorités venant de lui mais elle n’aurait su dire en ce moment s’il s’agissait de colère ou de sa maladresse. Elle pinça les lèvres. « Pitié, non. On n’irait pas bien loin. » Elle laissa passer un moment de silence. « Je ne savais plus quoi trouver, c’est vrai….J’ai hésité à mettre mes chaussures devant ta porte cela dit. » fit-elle, un sourire timide se dessinant en coin. Elle s’humecta les lèvres. « J’ai un peu disjoncté. Je nous ai gâché notre emménagement alors que tu n’étais déjà pas très emballé. » Ses mains quittèrent son dos et un soupir vint alourdir ses épaules. « Ça aurait pu mieux se passer. » Elle se mordit la lèvre et détourna les yeux. Par-delà la fenêtre ouverte, des collines verdoyantes se trouvaient baignées dans une lumière orangée. Un rayon du soleil couchant traversait la pièce et venait tracer un chemin lumineux sur la silhouette de la sorcière, contrastant avec l’émeraude de sa jupe et la clarté de sa peau. « C’était pas ta faute. C’était juste moi et mes….millions de mauvaises pensées. » Il les connaissait ces pensées. Son esprit avait assez parcouru le sien pour en connaître la teneur. Lui-même devait être en proie à des pensées nocives l’empêchant d’agir pour son bien.

Son visage se tourna vers lui et ses deux saphirs noirs fixèrent son acier. Merlin, ce que ce regard lui avait manqué.

« Tu m’en veux, n’est-ce pas ? » souffla-t-elle, ses mains retrouvant l’espace entre la tenture et son dos. « Tu veux faire un bûcher dans le jardin et me donner le rôle de la biche ? Ca te ferait du bien? » Elle plaisantait mais à vrai dire, cela aurait été moins terrifiant que cette conversation. Elle butait toujours en touche quand il fallait lui dire qu’elle s’excusait, qu’elle voulait retourner en arrière et que par-dessus tout, la distance entre eux avait créé un gouffre au fond d’elle. Quelque chose manquait. Quelque chose s’écriait en silence de ne pas être comblé. Un peu comme l’espace qui les séparait dans la pièce. Elle contre un mur, et lui contre un autre. Tout à fait à l’opposé et pourtant, parfaitement fixés sur l’autre. Et aucune idée de comment franchir ce fossé.



Mais jamais trop loin de l'autre...
Nous serions maudits
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Jeu 21 Juil 2022 - 17:30
Donner une chance à l’autre. Encore et encore. Croire en lui. Croire en la relation. Croire en soi, aussi sans doute. Croire. Espérer. Tant de concepts qui n’étaient pas les siens. Logan revoyait avec dépit la conversation entre Sanae et Alec, le rejet cynique avec lequel il parlait de beaux idéaux et d’espoirs, lui qui n’en avait jamais été pétri. Car les Rivers ne savaient que faire de l’espoir. Ils étaient bâtis sur autre chose. Savaient que l’« autre » n’est jamais à la hauteur. Qu’il est utile et dérisoire. Ils étaient forgés sur le fait que la vie est injuste et que les autres le sont d’autant plus. Qu’ils ne seraient jamais autres chose qu’un rôle à jouer, qu’une casquette à porter. Ils pouvaient en changer, pouvaient les cumuler, mais jamais véritablement s’en défaire. Alors quel était son rôle pour elle ? La cadrer, la pousser à se révéler, la protéger d’elle-même également. Et elle ? Sa seule présence lui interdisait de céder à l’appel du néant. Il y avait là un statut immense dont elle n’avait sans doute pas conscience. Alors si elle ne trouvait plus chez lui le rôle qui était le sien, si elle le trouvait ailleurs… pourquoi rester ?
Sanae le repoussait, demandait un temps qu’il lui accordait ; disparaissait, prenait l’espace dont elle avait besoin. Mais était-ce pour revenir ou était-ce synonyme de la fin de ce qui s’était tissé ? Pire, jouerait-elle ainsi régulièrement ? Devrait-il accepter à terme d’être à la disposition de l’autre quand elle l’aurait décidé ? Avait-il seulement une véritable place dans tout ce bordel ? Bien sûr, elle l’affirmait sans cesse, mais dans les faits, Logan n’en était pas si certain et se sentait autant comme un imposteur qu’un opportun.
L’impression d’être ainsi à disposition de l’autre lui pesait. Pourtant planté sur le lit vieillot recouvert de draps modernes, seul dans cette chambre affreuse aux tapisseries déchirées, il ne savait comment s’en extraire. Que faire d’autre ? Comment faire autrement, surtout. Il bouffait cette sensation immonde d’être en attente, à la merci émotionnel d’un autre. La dernière fois qu’il avait ressentit ça, c’était lorsqu’il était encore naïvement à espérer qu’il pourrait peut être avoir une place dans cette famille qui le rejetait atrocement. Lorsqu’il avait encore la candeur d’espérer quelque chose de son père, de chercher ses regards et ses attentions, d’en attendre une validation quelconque. Alors bien sûr, Logan n’y songeait pas. Mais la colère de l’adulte n’était autre que celle de l’enfant. Celle d’une frustration ultime d’une reconnaissance jamais acquise, d’une place jamais résolue.

Car celle qu’il avait prise n’était celle qu’il avait désirée. Mais la seconde avait brûlée sur le bûché des évidences.

Lorsqu’elle était entrée, après avoir espéré longtemps qu’elle daigne enfin lui adresser la parole, Logan avait finalement souhaité qu’elle parte. Cette fois, c’était lui qui n’avait plus envie. Lui qui se refermait, lui qui s’interrogeait. Lui qui marinait la douleur d’être résumé à tout ce qu’il se reprochait déjà depuis les premiers remous de son pouvoir. Qui souffrait que la contrepartie pour laquelle il avait accepté ce statut lui soit finalement arrachée par celle en qui avait décidé de se fier. Elle l’agaçait donc, à tourner ainsi autour du pot, à ramener ses fringues en se prenant pour la fée du logis, à tournicoter par les gestes comme elle le faisait par les mots plutôt que d’entrer dans le dur d’un conflit qui finirait sans doute par éclater. La colère est sans doute mal conseillère, mais elle est surtout souvent issue des situation peu confortables. Et ça l’était. Sa retenue, son calme, son recul à répondre à l’agression par la rage, rien de tout ça n’était confortable car il ne connaissait et ne reconnaissait rien de tout ça. Et certainement pas de sa part.

Alors même s’il s’était cru calme et mesuré, même s’il avait pensé ne pas être dans le ressentiment mais l’inquiétude, même s’il avait songé comprendre et avoir la patience de la laisser venir, à présent le lancinement latent de la colère rendait son ton rugueux, ses regards tranchants. Ce n’était pas son intention pourtant. Par sa question, l’ancien directeur avait pour objectif d’ouvrir la discussion mais ce qui en ressortait tenait plus au cynisme cinglant qu’à l’ouverture de débat.

Ainsi l’homme l’observait, aller et venir, effleurer les marques évidentes de ses tests de la nuit, s’y adosser malgré la chaleur que le tissu émettait ça et là. Il fallu ces mots pour qu’elle pose le regard dans le sien. Pas un remous, pas une vague et pourtant elle était là cette fois. La volonté de parler s’était affirmée à l’image de sa présence dans la pièce, entre lui et l’expression de ses tourments. A se demander si Sanae cherchait à faire barrière ou à l’empêcher de trouver une échappatoire à ce qu’elle avait finalement décidé pour eux : la discussion devait se faire. Là, maintenant et tout de suite. Et oui, ça l’agaçait. Très injustement, ça l’agaçait.

Lorsqu’elle pinça les lèvres, une brise légère entra une nouvelle fois, faisant aussi bien voleter les lambeaux de la teinture que les pans souples de sa jupe.

« Pitié, non. On n’irait pas bien loin. »  Effectivement, il se voyait mal s’engluer dans ce type de propos. Sans un mouvement, Logan la laissa venir, mu par l’affection plus que par le reste de ses émotions, c’est en silence qu’il fini par décrocher un léger rire lorsque furent évoquées les chaussures qu’il avait pu laisse traîner. Sa manière à lui d’imposer sa présence sans jamais vraiment le faire. Ok, il admettait qu’ils n’étaient ni l’un ni l’autre très doué pour ces choses là et qu’il fallait bien se l’accorder. Après tout n’avaient-ils pas conclus ce deal bien simple : apprendre à fonctionner ensemble. Avancer en respectant à la fois son rythme et celui de l’autre pour forger cette relation qu’eux seuls pouvaient nommer et qui n’appartenait à personne d’autre. Par cette évocation, elle lui rappelait ce qui existait alors, apaisant un peu la lave qui suintait sous sa poitrine. « J’ai un peu disjoncté. » Le rappel à la nostalgie puis l’aveu des fautes. «  Je nous ai gâché notre emménagement alors que tu n’étais déjà pas très emballé. » Et la prise en considération de l’émotion d’autrui. Merde, c’est que Wargrave aurait fini par l’écrire, son satané bouquin ?!

« « Ça aurait pu mieux se passer. »
« Effectivement. » Acide. Injuste. Il en avait conscience. De quoi, peut être, faire taire l’autre.

Un instant, Logan suivit son regard. A l’extérieur, une peinture se tissait de clair obscure, baignant les collines de couleurs chaudes, oranges et pourpres, donnant à la verdure une teinte presque bleutée ou violine, contrastant par endroit et ramenant dans la petite chambre la chaleur qu’il lui manquait. Elle s’étalait ainsi par touches de pinceau jusque sur la peau pâle de la sorcière et s’égarait sur les nuances de jade de ses tissus.

« C’était pas ta faute. C’était juste moi et mes….millions de mauvaises pensées. » Était-ce égoïste de vouloir les partager, ces pensées, plutôt que d’avoir à les deviner ? Malsain, cette envie de tout savoir, tout comprendre, tout puiser plutôt que d’avoir à percevoir le monde et les gens au travers de sens qui lui semblaient profondément fades face à ce dont ils étaient tous deux capables ? Injuste, ça l’était, de le souhaiter alors même qu’il lui refusait tout accès de son côté. Comme s’il pouvait exorciser les choses en parcourant son esprit. Les tensions, les doutes, les incompréhensions. Les « mauvaises pensées ». Peut être était-ce ça. Il trouvait dans son esprit des réponses à caractère humain qu’il n’avait pas ailleurs. Mais surtout une présence qui, autrement, lui était refusée. Pourquoi rester seule avec ces pensées-là ? Question idiote. Car ces pensées étaient les siennes et qu’autant elle avait toute légitimité à vouloir les garder pour elle… autant il lui était tout autant normal de refuser l’exorcisme, justement. Puisqu’il paraît qu’il est important de dire les choses pour s’en défaire, pour travailler, pour les maturer et leur arracher leur emprise, il en est de même avec la légilimencie. Une incursion reviendrait à une discussion. Or il est des démons dont on ne veut se séparer. Dont on connaît trop bien la morsure pour vouloir s’en défaire. Dont on aime, peut être, la douleur.

Logan baissa un instant le regard sur ses mains, pinça les lèvres, détourna les yeux et revint sur Sanae qui reprit la parole.

« Tu m’en veux, n’est-ce pas ? »

Elle lui fit tout à la fois penser à une mère qui interroge son enfant qu’à une gamine qui attend de se faire gronder. Les mains dans son dos, le menton bas pour le regarder, la jupe longue évoquaient chez lui l’enfant. Mais le regard fixe et la question frontale appelaient au monde adulte et au courage d’affronter l’autre.

« Tu veux faire un bûcher dans le jardin et me donner le rôle de la biche ? Ca te ferait du bien? »

L’idée était tout aussi amusante qu’absurde. Il y avait, surtout là dedans tant l’image d’une reddition que d’un châtiment. Mais il y avait surtout une proximité. Les flammes auraient instauré entre eux moins de distance que celle de l’atmosphère saturée de la pièce. Elle lui semblait si éloignée, en miroir à l’opposée de l’espace, si loin et à la fois plantée dans son regard comme il l’était dans le sien. Et pourtant aucun pont, aucune élancée, aucun contact. Juste l’interrogation sincère et l’humour tenace pour se protéger d’une réponse évidente.

« Oui. » Oui je t’en veux, pas oui ça me ferait du bien de te cramer sur un bûcher dans le jardin.

Logan ignorait l’humour, passant dessus comme de l’huile sur un lac.

Il y eut entre eux un regard lourd, long, pesé d’un silence de plomb durant lequel il ne lui sembla pas s’éloigner mais bien au contraire la trouver. Ça n’avait pas de sens mais c’était ainsi. Le regard planté dans le sien, sans détour ni hésitations, l’aveu de la colère, tranchant et froid, l’absence de fuite, bien des détails brusques mais humains qui lui donnaient l’impression de renouer d’une manière tout à la fois anormale et palpable.

« Ces pensées, elles en sont où ? »

Sa voix s’était radoucie d'un ton.
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M. Logan Rivers
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Mar 2 Aoû 2022 - 20:21
Il ne bougeait pas, seul son regard allait et venait sur elle, la tenture, la fenêtre. Faisait-elle partie d’un décor trop incertain, dépareillé ? Etait-elle à l’image de cette tenture dont il se débarrasserait une fois ses expériences terminées ? Une fois, surtout, qu’il aurait compris qu’elle représentait toujours la même scène, les mêmes défauts, les mêmes incapacités. Elle avait beau se dire qu’il était lui-même similaire, coincé dans des mécanismes inextricables, cela ne dissipait jamais les mauvaises pensées. Leurs esprits demeuraient loin et c’était bien le nœud du problème. La rancoeur s’était installée dans l’espace qui les séparait. Une distance pleine de tension, de mutisme et d’angoisse. Un peu comme l’air saturé qui s’étirait entre eux, invisible mais bien présent. Le léger rire qu’elle obtint au fil des mots ne la trompait pas ; la colère était tapis dans l’ombre, fourmillait sous la peau, et rendait le manque plus difficile encore. Allait-il lui en vouloir longtemps ? A quel point surtout, nourrissait-il sa rage ?

 « Oui. »
Un seul mot, tranchant, traversa la pièce pour l’atteindre. Elle l’avait senti dans son regard avant même qu’il ne le prononce. La colère avait suinté en un seul son, trois lettres bien ordinaires mais qui en cet instant soulevaient quelque chose en elle. Un sentiment à plusieurs têtes. Elles parlèrent toutes en même temps. Là, en son sein, elle sentit la pique la transpercer ; le oui lui arrivait à la fois comme un son buté, un refus d’aller plus loin, que comme un aveu qui s’ouvrait enfin à elle. L’absence de sourire, même cynique, la déstabilisa presque. L’humour s’évapora à l’instant même où elle l’avait fait apparaître. Cela avait été sa perche, sa façon de les mener en terrain connu pourtant, et la main de Logan ne s’y était pas accrochée. Il n’avait fait apparaître qu’un mur d’apparence infranchissable. Un oui qui résumait les conséquences de ses fautes. Mais, dans le tumulte de ce que Sanae ressentait, il y avait aussi du soulagement. Ce mur, maintenant apparu, pouvait être franchi. Elle y était habituée après tout, à grimper, à planter des pics dans la palissade de givre pour ne serait-ce qu’apercevoir au-delà. Il exprimait sa colère, prudemment, les lèvres déjà scellées après l’aveu, mais au moins elle savait alors ce qu’il fallait faire. Il était en colère et ça, non seulement elle s’y était préparée mais elle pouvait le comprendre. Ça, elle pouvait le gérer.

Leurs regards s’ancrèrent en silence. Lourds, incisifs, s’entremêlant sans jamais que leurs esprits ne s’étirent, ils se trouvaient malgré la distance. Il n’y avait pas d’hésitation dans cet échange muet. Elle affronterait cette rancoeur, s’y attellerait jusqu’à la détruire, s’acharnerait à la diluer, pour qu’enfin entre eux apparaisse à nouveau les liens tangibles et fusionnels qui étaient les leurs. Un frisson la parcourut face à l’intensité de ce regard. Ces deux orbes froides et claires se plantaient en elle et son esprit gronda en l’appelant, restreint par la prudence. Elle aurait voulu sentir les éclairs de cette colère, en entendre les battements sourds. Le voilà le frisson inavouable. L’envie que quelque chose éclate, se libère, les entraîne. Elle voulait retrouver l’effusion de leur lien, le chaos de leur retrouvailles. Le retrouver, lui, tout simplement. Par un châtiment, des aveux, du bruit. Peu importait la manière, tant que ce n’était pas du silence et le manque.

« Ces pensées, elles en sont où ? »

La voix du sorcier s’était étrangement radoucie.
Sentait-il lui aussi leur lien vibrer et la distance se réduire ?

Sanae pinça les lèvres et appuya l’arrière de son crâne contre la tenture encore chaude.

« Elles m’ont éclaté au visage, comme d’habitude. »
Au pire moment, de la pire manière, devant quelqu’un qu’elle n’avait pas voulu avoir en témoin de ça. Mais enfin, elles étaient sous contrôle désormais, ces pensées. Douloureuses, toujours présentes, mais plus gérables. Elle aurait aimé lui dire qu’elle n’avait pas vraiment voulu les lui cacher, que certaines choses étaient trop honteuses pour être partagées sans crainte, mais les mots ne vinrent pas. Il y avait dans sa poitrine un tambour qui martelait. Tout ce à quoi elle pensait était à quel point cette distance entre eux était épuisante. Son corps voulait amorcer un mouvement vers lui, espérant que sa question n’était qu’une façon de savoir si elle était prête à les partager ces pensées, ou si la distance s’imposait toujours. Et dans l’immobilité dans laquelle il était, dans la façon qu’il avait de ne pas laisser éclater sa colère, elle trouvait une punition bien plus dure que n’importe quelle insulte ou remontrance. Il la forçait à sauter dans le vide, à faire des pieds et des mains pour l’approcher, trouver une façon de l’atteindre lui. Savoir que son esprit était juste là, si proche, la tourmentait. Il suffisait d’un geste, d’un élan, mais lequel ? Comment ? Quels mots ? Quel positionnement ?

Cela avait semblé si facile, si fluide quand ils découvraient alors le cottage et que leurs corps s’étaient écroulés violemment sur le sol. En cet instant, elle avait plutôt l’impression de ramper jusqu’à cette sensation, jusqu’au moment où enfin son esprit sentirait le sien. Le manque avait depuis longtemps dépassé la fierté, il fallait maintenant qu’il fasse taire l’angoisse.

En silence, le regard lourdement porté sur le sien, Sanae se décolla de la tenture et s’avança vers lui. Le dos appuyé contre le mur, un genou replié et une jambe allongée, Logan semblait trôner sur ce vieux lit aux contours de bois. A l’image de sa position, la distance entre eux semblait pavée d’obstacles avant de le rejoindre. Le coeur battant, l’esprit impatient, Sanae souleva le tissu de sa jupe et planta ses genoux dans le matelas, reposant ses fesses sur ses mollets, ses mains allant sur ses cuisses. Le lit grinça. Face à lui, le dos droit, le regard franc, elle n’allait pas plus loin mais l’appel était lancé.

« A quel point tu es en colère ? »
Le ton était presque brutal. Déterminée à réduire à néant la distance, Sanae ne comptait pas reculer. Elle lui jetait une invitation, à crier, à s’époumoner, à faire rugir sa rage, à sévir, à se libérer de la rancoeur qu’il éprouvait envers elle. « Parce que ça ne me met fait pas peur de la voir ta rage, ni de l’entendre. A vrai dire, je la préfère ainsi. » Bruyante. Visible. Pourvu qu’elle bouillonne, qu’elle s’échappe, qu’elle prenne forme dans l’atmosphère, qu’elle brûle, qu’elle rougeoie. Et là, dans l’éclat des deux saphirs noirs qui le regardaient sans détours, il naissait un éclair de défi, une excitation familière, un désir toujours incandescent. L’appel faisait vrombir tous les tambours du monde. A cet instant seulement, l’esprit de la sorcière s’étira jusqu’au sorcier, vint griffer les hautes murailles, englober l’immensité de la forteresse, comme une large main refermant ses doigts pour déclencher quelque chose, une réaction. Elle n’étendit pas ses propres mains vers lui, ne le toucha pas. L’euphorie était encore plus grisante dans le moment qui précédait le contact.

Viens. Viens me retrouver. Dans la rage, dans la violence, ou dans le seul désir de se lier.
C’était ce que son esprit lui soufflait, ce que ses pensées s’écriaient.
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Sanae M. Kimura
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Mer 10 Aoû 2022 - 15:45
Il ne bougeait pas, ne se précipitait pas vers elle comme un chiot hagard, ne tombait pas une nouvelle fois dans le piège d’un moment partagé. Pourtant Logan voyait bien que le moment était arrivé. La distance abolie, venait à présent le temps des retrouvailles. Mais les gens sont ainsi. Ils vont et viennent à leur guise, jouent et mentent, s’approchent et s’éloignent comme les vagues sur le sable mais sans rythme spécifique. Leurs marrées sont chaotiques, leurs choix, anecdotiques. Ils hésitent, passent des caps, reculent, se trompent, abandonnent. Ni plus ni loin que lui-même. Mais avoir conscience d’une telle chose n’était en rien comparable à la vivre. Il y avait dans le comportement de Sanae quelque chose de profondément douloureux. Et dans cette peine, un drame inconcevable. S’il aimait, c’était bien sûr à reculons. Mais donner sa chance à l’autre, essayer, se planter, insister, donner de l’espace, être là ouvert et bienveillant à son retour sans aucune remise en question ni rage profonde ?!

Logan aurait aimé ne pas être en colère. Il aurait voulu agir autrement. Pas être le type avec davantage de patience. Non. Mais il aurait aimé ne pas ressentir une telle émotion. Cette chose induite par le comportement de l’autre qui impliquait, par essence, qu’il n’était pas insensible à cette distance qui n’était pas la sienne.

C’était là pourtant, ça crachait d’injustice et de frustration… mais surtout ça s’apaisait vite. Un regard, une attention, une réelle connexion et il en ressentait un apaisement puissant. Chose d’autant plus rageante, donc.

« Elles m’ont éclaté au visage, comme d’habitude. » 

Il eut un sourire. Pas réellement de la compassion, pas même de l’amusement. Seulement une chose plus douce, tout à la fois tendre et tendue. Logan savait que ça s’était fait hors d’ici. Nul doute qu’il ait pu s’agir de la nuit où il l’avait vu attaquer de nouveau une bouteille avant de disparaître jusqu’à ce que la nuit soit bien entamée. Margo, sans doute. Il l’espérait. Non. Si. La contradiction lui fracturait par moment l’esprit tant l’inquiétude à son égard pouvait affronter l’impression que sa propre place ici n’était rien d’autre qu’usurpation crasse. S’il ne servait pas même à ce type de moments, quel était son rôle ? Quelle était son utilité ? Sans doute ces questions-là auraient-elle remporté la partie s’il n’y avait pas l’ombre du drame à planer au dessus de la nuque de la sorcière. Sanae aurait pu ne plus exister aujourd’hui que pour les vers et les insectes. Cette évidence et la fulgurance de l’angoisse dans sa chair avait re-battu les cartes, l’amenant à plus de souplesse et de patience, plus d’attention aussi sans doute. Mais voilà, les ignorer ne faisait que rendre les choses plus difficiles encore. Alors si à sa manière, l’homme engageait une communication, le recul s’était pourtant planté entre eux en barricade solide et épaisse. Immobile, le regard planté dans le sien, il ne l’appelait ni ne la rejetait pas. Il demeurait, comme il l’avait toujours fait, ancré face à elle sans la moindre trace de fuite mais sans pour autant marquer la moindre volonté de faire ce foutu pas de lui-même.

Logan notait ses regards, ses postures, la lourdeur de leur contact visuel tout autant que la lassitude avec laquelle son crâne touchait la tenture grillée. Pas un mouvement de son côté, pas même lorsqu’elle esquissa le sien, décollant d’abord son bassin puis ses épaules jusqu’à engager le mouvement et réduire la distance. Sanae ne le rejoint pas totalement, se contentant de presser ses tibias contre le rebord du lit jusqu’à ce que ses genoux ne touchent le matelas et que ses pieds quittent le sol. Le vieux sommier grinça. Droite, elle plia alors les jambes pour se poser sur ses mollets. Notant la posture, Logan songea au seiza, posture classique dans la culture japonaise qu’on trouvait codifiée jusque dans les arts martiaux. Il aurait parié que la pulpe de son pouce touchait l’ongle du second mais ne fit aucun commentaire. Ses prunelles flambaient. Voilà une chose qui l’intéressait davantage que l’usage ou non de traditions millénaires auxquelles il n’avait qu’un accès lacunaire.

« A quel point tu es en colère ? »  Pas le sujet. Telle avait été sa première pensée. Et pourtant ces mots crachés avec brutalité l’appelaient, répondant à cet amas de frustration crispé dans son être. « Parce que ça ne me fait pas peur de la voir ta rage, ni de l’entendre. A vrai dire, je la préfère ainsi. »  Bien sûr qu’elle la préférait ainsi, elle qui avait tout fait pour le sortir de son mutisme. Chaque fois qu’il agissait ainsi, avait-elle l’impression de régresser ? La colère explosive répondait, elle, à la manière dont ils s’étaient trouvés, l’entraînant à exprimer ce qui ruait, à libérer le monstre trop longtemps enchaîné, à déchaîner la tempête plutôt que de la garder sous clef. Alors oui, bien sûr, elle le préférait ainsi. Là où n’importe qui le fuirait, elle le désirait. Pourtant jamais la rage explosive, immodérée, dévastatrice ne l’avait saisie face à elle. Jamais elle ne l’avait réellement dévorée depuis des années, à vrai dire, tant il se gardait sous contrôle depuis une éternité. Mais il sourit, car il y avait entre deux cet attrait commun que d’autres jugeraient infâmes. Et car par ces mots-là elle signait la volonté immédiate de rompre le silence et la distance. Une porte d’entrée qui l’avait pas tardé à être ouverte.

Le défit s’était changé en déluge. L’instant suivant, son esprit se projetait contre le sien, englobant son être sans que leurs corps ne bougent jamais. On leur avait tant parlé de douleur, de danger, de monstruosité. Et pourtant cette sensation enclenchait un plaisir qu’aucun de ces idiots ne pourrait jamais imaginer. Ça diffusait partout dans son organisme comme des orbes brutales d’une exaltation brûlante. Le manque explosait là, dans ses nerfs à l’instant même où il était comblé.

Le sourire se fit vorace, à l’image des pulsations dans ses veines. Enfin. Voilà tout ce qui existait. Ce « Enfin » qui exprimait l’impression palpitante d’une normalité retrouvée, d’un « tout » comblé, d’une évidence réanimée. Sanae fut projetée sur le mur d’en face à l’instant même où l’esprit étiré de Logan répondit à son contact.

Sans la violenter, l’impact fut malgré tout abrupt, frappant d’une onde l’esprit de la jeune femme. Alors immobilisée, comme épinglée au mur, Logan se redressa doucement, la joignant de chaque pas lent. A chacun d’eux, son esprit s’étendait un peu plus, croissant dans tout espace jusqu’à s’entremêler au sien à l’instant où il fut à sa portée. Dans sa poitrine, le myocarde exalté battait la symphonie d’un contact retrouvé.

Il n’y eut aucun contact physique lorsqu’il se pencha sur elle, sa main frappant le mur à la droite de son visage, à plat contre la tenture. Seul l’esprit qui, balancé par vagues frénétiques, léchait le sien comme les vagues lèchent la grève d’un port en pleine tempête.

« Ne joue pas avec moi Sanae. »

La voix comme le tonnerre, grondait dans la pièce. Sa magie maintenait son torse contre le mur comme des mains enserrées dans sa chair tandis que la morsure de l’esprit se refermait avec délectation sur elle.
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Mer 31 Aoû 2022 - 0:45
Le son des glaives et des armures se faisait entendre par-delà les silences. Pour les autres, l’appel de la violence sonnerait celui de la confrontation, de la discorde brusque où l’un d’eux serrait abattu. Mais pour eux, ces êtres faits d’un chaos qui s’exprimait même dans l’affection, cet appel n’était nul autre que celui des retrouvailles. Ils ne s’étaient pourtant pas quittés, ne s’étaient pas éloignés à l’autre bout de la planète pour ne se retrouver que quelques mois plus tard. Leurs corps avaient été présents, près de l’autre, quand leurs esprits, eux, s’étaient gardés de toute rencontre. Voilà où résidait le manque, la souffrance et la colère : dans l’évitement douloureux de leurs esprits, dans les incapacités et les non-dits qui les écartelaient. Il y avait une dure vérité dans le mouvement incessant qu’ils faisaient l’un vers l’autre, loin de l’autre. Face aux difficultés, ils replongeaient instantanément dans une solitude ignoble qu’ils détestaient pourtant. Une réponse vers laquelle ils s’étaient toujours tournés, introduits dans le monde par l’abandon et la désillusion. Meurtris, ils devenaient alors incapables de joindre la main de l’autre et de se saisir des armes incroyables dont ils disposaient à deux. Dès lors que Sanae s’en rendait compte, la culpabilité venait souffler un vent amer. Elle le goûtait sur sa langue, juste au bout, cette petite amertume de n’avoir pas su contrer ses propres démons, de n’avoir pu suivre ce que sa raison tentait de lui inculquer ; et puis, surtout, de l’avoir laissé seul, lui, dans l’obscurité de celui qu’on met de côté.

Elle connaissait trop la douleur de l’ignoré pour ne pas accueillir la colère du sorcier à bras ouverts. Pire même, elle la provoquait, tentait de la déloger de son rocher pour qu’enfin retombe quelques morceaux qui puissent désencombrer ce tout si compact. Et déjà, alors qu’elle s’agenouillait sur ce lit, Sanae sentait la roche vibrer et des prunelles d’acier se darder sur elle. Il y avait un visage dans cette pierre, un visage taillé dans la dureté mais dont chaque ligne tranchante, chaque sillon lui parlait bien plus que la rondeur lisse des autres. Les yeux alors devenaient la seule entrée possible, l’unique moyen de donner un peu de mouvement à la roche. Quelque chose ondulait sous la surface et si elle avait tendu la main, elle l’aurait senti sous ses doigts. Pourtant, elle ne bougea pas, demeura immobile à l’instar de lui. Ce fut son esprit qui s’aventura au-delà du silence et du reproche glacial. Il vint percuter les contours de la forteresse, l’englober, la faire vibrer un peu plus à son contact. Et en elle, l’euphorie se préparait à devenir monstrueusement grande, large, infinie.

Nul autre n’aurait pu comprendre cette sensation.
Nul autre n’aurait pu parler ce langage.

Il s’inscrivait dans leurs chairs, suivait le court brutal du sang qui sillonnait leurs veines. Chaque parcelle de leur organisme attendait cet instant où leurs esprits enfin aller se délier pour rencontrer l’autre. Plus fort qu’une main enlacée, qu’un corps accolé, que des sourires qui se répondaient. Ce geste n’existait pas dans la normalité, il n’avait véritablement de sens que pour les gens comme eux. C’était une des raisons pour lesquelles ils ne pouvaient s’en passer. Le plaisir que cette rencontre provoquait ne trouvait de traduction nul part. Ils n’auraient jamais pu expliquer ce que cela leur procurait. Tout ce que Sanae savait, c’était que la vie lui avait offert une seconde chance d’avoir dans son existence quelqu’un de similaire, quelqu’un qui comprenait sans explication les maux que ce don engendrait. N’était-ce pas une aberration de sous-exploiter cette connexion ? Absurde. Voilà le mot qui lui venait quand elle voyait ce que parfois ils en faisaient. Eux, si malhabiles, si peureux face à la nouveauté, ne pouvaient s’empêcher de jouer au balancement constant, à l’éloignement douloureux et aux retrouvailles explosives. Peut-être, un jour, n’auraient-ils plus besoin de ça pour être à deux.

Mais en l’instant, la roche lui souriait, vorace.
Enfin, oui. Enfin, ils se trouvaient sur la même fréquence, sur la même ligne bosselée.

La réponse à son appel se fit brutale. Là où le manque et la colère explosaient, la magie déployait ses ailes de dragon et vint projeter le corps de la sorcière contre la tenture poussiéreuse et brûlée. Son dos se heurta au mur et des mèches de cheveux furent propulsées contre ses joues. Le souffle coupé, une grimace avide de plus sur le visage, Sanae trancha de son regard l’espace qui les séparait. Peu à peu, Logan s’avançait, le pas lent et assuré, vers elle. L’esprit du sorcier s’était projeté contre le sien avec violence et grandissait tout autour. Il gagnait du terrain, dans le domaine de l’invisible comme du tangible. Elle ne put faire aucun mouvement, ses bras ne se décollaient pas du mur. Seule sa tête put se relever à mesure que Logan avançait. Elle ne pouvait lâcher des yeux les deux orbes au magma glacé qui se plongeaient en elle. Et alors qu’il se glissait face à elle, son esprit vint s’entrelacer au sien et tout en elle se contracta, s’époumona de la joie de la retrouver. Là, l’euphorie se faisait grisante, explosive. Des étincelles zébraient les prunelles sombres de la sorcière.

Sanae eut l’impression que son propre esprit s’éveillait contre le sien, comme une flamme réanimée sur laquelle il venait de souffler. Plaquée contre le mur, ses cheveux noirs se confondant avec les couleurs sombres de la tenture, la sorcière sentait la puissance de la magie enserrer ses bras et tenir immobile son buste. Ce n’était pas une bulle de savon qui menaçait d’exploser mais une tension électrique qui exerçait une pression étourdissante. Elle la sentait jusque dans ses orteils nus sur le vieux parquet, jusque dans la pulpe de ses doigts. Sa peau se tendait, son ventre se creusait, et dans son esprit, le tumulte était assourdissant.

Son esprit rugissait, à l’instar de son coeur qui cognait à en rompre les barrières de sa poitrine. Le regard fixe, les dents mordant l’intérieur de ses joues, Sanae arrivait à peine à contenir l’excitation grandissante. Ce n’était pas seulement le plaisir de sentir son esprit s’entremêler au sien, mais aussi la joie de savoir que quelque chose se remettait en place, que ce lien n’était pas mort dans l’amertume de la distance.

La main du sorcier heurta brutalement le mur fit sursauter son myocarde. Un éclat joueur passa dans ses yeux.

« Ne joue pas avec moi Sanae. »

S’il ne la touchait pas encore physiquement, elle eut pourtant l’impression qu’il le fit. Il la touchait avec son esprit, avec sa magie, avec sa voix puissante qui résonna dans la pièce, rugueuse. Elle gronda jusque dans sa cage thoracique et vint faire frémir son ventre.

Son menton se releva légèrement pour mieux offrir les portes de ses yeux. Grandes ouvertes, elles l’exhortaient à naviguer en elle, à y demeurer longtemps, à retrouver les couloirs et les secrets qu’elles abritaient. Logan mordait son esprit, l’empoignait, venait et se retirait dans des salves puissantes qu’elle tentait de retenir à chaque fois comme l’on essaie de retenir les vagues qui léchaient le sable. « Je ne joue pas. » Sa voix ne grondait pas, au contraire, elle se faisait fine, comme un souffle chargé d’une détermination presque tranchante et d’un calme que seul le soulagement lui octroyait. « C’est toi qui joue avec une tenture au lieu de te libérer de ta rage. Tu me pousse à lâcher prise mais tu ne t’accordes aucun répit. » La notion de répit s’éloignait d’une idée de quiétude et trouvait de nouvelles racines dans l’évasion brusque de la fureur. Le genre de répit, donc, que seuls les chaotiques comprenaient. « C’est l’occasion pourtant. » Les vagues de son esprits glissèrent sur les tentacules. Et quelques mots résonnèrent dans son esprit.

Tu es comme moi.

Si similaires, mais en des temps opposés. Les mêmes chemins parfois pris à l’envers.

Mon autre.

Et quel plaisir de le retrouver, quelle sublime sensation d’avoir cet esprit entremêlé au sien. Même sans le toucher, sans agripper ce corps pour rapprocher ce visage aux prunelles assassines qui venaient la dévorer de l’intérieur. Il n’y avait pas de meurtre plus doux que celui de la distance.

« Montre-moi. »  Après tout, cette colère était un peu la sienne aussi. Elle la visait, la prenait pour cible. Elle la partageait dans la frustration terrible de leurs propres manquements. « Ou je viendrai la chercher. » Son regard se fit plus profond et déjà, les vagues se firent trombes marines. Tornades de sel, tentant d’emprisonner les langues de son esprit et de les entraîner dans le mouvement brutal des souvenirs, des pensées, des désirs et des manques. Toutes les émotions se mélangeaient sans laisser de place au vide. Elles allaient bien trop vite, dans tous les sens, se croisaient, s’acharnaient, créaient des tourbillons qui s’entrechoquaient et le prenait, lui, au passage.

Un sourire fin se dessina sur les lèvres de la sorcière.
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Lun 5 Sep 2022 - 18:18
Que pourrions-nous faire de nos existences sous l’ombre de l’indifférence. Qui pourrait-on être ? Que pourrions-nous vive ?

Il est des colères légitimes, abruptes et brûlantes et des colères larvées, sourdes et froides. Mais il existe aussi des rages blessées, irrationnelles, dévorantes. Des plaies profondes qu’on a beau balayer d’un revers de main et dont la douleur lancinante ne cesse de pulser au moindre effleurement. Logan savait que ça ne le concernait pas, il savait que cette histoire ne lui appartenait pas, que Sanae avait à faire face à des angoisses qui, jamais, ne seraient les siennes. C’était sa famille, ses angoisses, ses responsabilités. Lui n’était rien, ni par rapport à ça ni même par rapport à elle. Pas tant qu’elle ne lui accorderait aucune présence. L’idée était simple, s’insinuant comme un poison au fil du temps : il n’appartenait pas à ce monde. Qu’elle parte avec Margo ou se renferme dans la douleur de perdre sa sœur, il n’y avait pas sa place. Si dans les premiers temps l’homme s’était contenu, raisonné, avait craint pour elle, était resté dans l’ombre à distance respectable pour pouvoir intervenir si besoin sans pour autant empiéter sur son espace… c’était à présent que la colère remontait comme de la bile dans son œsophage. Elle refluait comme l’eau contre les écluses, le piquait injustement à l’idée que l’autre puisse seulement revenir ainsi et balayer le moment. Elle roulait, surtout, de se savoir si profondément illégitime. Elle lui raclait les nerfs comme on aiguise une lame. Comment en vouloir à l’autre de se comporter de la manière exacte avec laquelle il agissait également ?

Pourtant la tension existait bien dans ses muscles, pulsée par celle de Sanae qui se tendait sous l’impact, se crispait sous la violence du sortilège autant que de son approche. Ça flambait davantage sous l’emprise de son regard, appelait le retour à une normalité qui le mordait plus encore. En manque, voilà ce qu’il était. Et l’appel de l’affrontement grésillait sur ses nerfs comme l’eau dans le feu. Au delà de ça, c’était l’éclat de l’encre qui le sciait tout entier. La certitude qu’elle l’appelait avec autant de fougue que ce qui battait à ses tempes. Mais la colère, elle, voulait salir ça. Elle refusait de se contenter de si peu, de se plier aux désirs de l’autre, de ployer à chaque fois qu’on l’invoquerait. D’être une simple réponse. Un simple outil pour l’autre, qu’on sort et qu’on remise.

La colère demandait à être nourrie, tout autant que le vide appelait à être comblé.

Chacun de ses tressaillement lui battait sous la peau, chaque frisson, chaque crispation était pour lui l’eau pour un assoiffé. Elle se tendait, souriait, exultait même de la violence sourde instaurée entre eux. Celle-ci prit de l’ampleur à chaque souffle, comme la cadence du métronome d’un orchestre. A chaque battement de cœur une tension nouvelle se forgeait. C’était là la distance qui s’émoussait, les souffles qui se mêlaient, les esprits qui palpitaient d’une envie commune.

Chaque parcelle de cette intensité lui sautait à la gorge. Du regard de sa colocataire au sursaut dans sa poitrine jusqu’aux muscles de son cou tendus d’où il voyait palpiter la carotide. Quelques mèches égarées sur la joue, coincées au coin des lèvres parfirent la scène, lui donnant une tonalité brute, un caractère instable. Qu’il aimait cette électricité sourde qui tonnait entre eux, traçant un chemin qu’ils ne franchissaient par d’eux mêmes. Elle était le pont. Le lien. Une colère venue résonner en échos comme on ferait sonner les percutions dans un corps pour que l’autre y réponde en canon.

Il avait beau sentir une part de lui-même se crisper à l’idée d’un contact l’autre l’appelait de toute son âme, l’esprit mordant et relâchant tour à tour sa prise, ivre de la sensation de la sentir tenter de le rattraper.

Le rattraper. Avait-il jamais sentit une telle sensation ? Tous se crispaient, se tordaient, se révulsaient à son contact mais elle…

« Je ne joue pas. »  Elle susurrait. Sa voix comme un appel, un son dans le lointain, une caresse suave et déterminée. La poigne d’un désir prêt à érafler l’idée même cachée derrière une telle menace. Car oui, ces mots qu’il avait prononcé sonnaient en menace et non en demande, mais entre eux, tout prenait un tour différent, une colorimétrie particulière. La colère, le besoin, la complicité, la blessure, l’inquiétude ; tout était mêlé dans un appel brusque et partagé. « C’est toi qui joue avec une tenture au lieu de te libérer de ta rage. Tu me pousse à lâcher prise mais tu ne t’accordes aucun répit. » Le répit. Une chose étrange entre ses lèvres, un appel au chaos, une mélodie discordante, aberrante, presque un chant de sirènes dans les oreilles d’un homme qui se savait « trop ». Pour tout. Pour tous. Y compris pour elle. C’était là ce qu’elle appelait à présent ? Il y avait dans cette demande la certitude brûlante qu’elle ferait mouche et c’était justement cette évidence qui la rendait plus cruelle encore. Lâcher ? Vraiment ? Il détruirait cette baraque et ses fondations. Sans compter ce qu’elle subirait au passage.
 « C’est l’occasion pourtant. » 
La tentation était là, avide. Une tentation qui sonnait surtout comme un moyen de détourner la colère, de lui donner un autre texture, de la rediriger. Mais l’espace entre eux, si avidement comblé ne l’était pas tout à fait. L’exaltation de la sentir s’emmêler à lui pulsait toujours d’un manque, d’une frustration.

Venir quand elle en était prête. Se retirer quand elle ne l’était plus. Attendre bien gentiment dans les ombres que son heure arrive. Attendre qu’elle s’ouvre, qu’elle parle, qu’elle l’autorise.

C’est l’occasion, pourtant.

L’esprit devenait langues, tentacules et chardons brûlants. Il se mouvait de toute part, grandissait et pressait de s’abattre.

L’occasion de se retrouver. Mais jusqu’à quand ? Qu’appelles-tu de cette colère, qu’entends-tu de cette rage ? La veux-tu vraiment ou la forceras-tu à s’évaporer le moment venu ? Quelle considération à lui accorder ? Réelle, complète, ou seulement des miettes éparpillées dans le vent de tes besoins immédiats ?

« Montre-moi. »  Et par Morgane ce qu’il le voulait ! « Ou je viendrai la chercher. » Les émotions devinrent éléments, engloutissant l’esprit et l’âme qui s’y mêlaient, se disloquaient pour se former ailleurs, emportant des parcelles de ces secousses ailleurs comme pour la prélever, s’y mêler, s’y fondre sans véritablement le faire.

« Et pourquoi je te l’accorderai ?! Viens.. ou repars. Mais arrête de faire semblant. » Sa voix gronda d’une onde brutale répandue jusque dans leurs esprits. Mêlé d’émotions qui n’étaient plus les siennes, il se gorgeait de ça, se laissait imprégner de ses sentiments d’impuissance, de culpabilité, d’abandon, d’angoisse tout autant qu’il les mêlait aux siens, encore sous cape. Son esprit se faisait multiple dans la tempête comme s’il cherchait à étreindre les vagues, à s’étirer tant et si fort qu’il saurait faire l'impossible, l'étreindre dans son explosion même, s'y mêler tout entier pour ressentir ce qu'elle lui offrait. S’étendre sans jamais se déverser, sans jamais laisser à l’autre l’accès à son propre chaos. « Prends. » Une nouvelle déferlante, un nouveau sursaut le regard dans le sien comme des milliers de grêlons.  « Viens la chercher. » Prouve ce que tu veux, fait le pas, cesse de jouer les mi-mesures, explose et entonne mais ne fait plus demi-tour. Livres-toi. Livres-toi cette fois.

Une rage exaltée. Un appel ultime devenu défi, désir, amarrage.
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M. Logan Rivers
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Dim 18 Sep 2022 - 23:30
Deux étendues claires et glacées la fixaient avec, en leur centre, un rond d’encre noire déposé là par la pointe d’un pinceau. Il s’élargissait ou diminuait sous le flot d’émotions et de magie qui s’échappait du sorcier et en s’y plongeant si ardemment, Sanae eut l’impression que ce petit rond noir avait à lui seul le pouvoir de l’aspirer tout entière. Ce ne devait pas être si terrible d’être aspirée dans les confins d’un autre et de n’être plus rien de tangible. Ainsi, on ne sentait plus la peine, on n’éprouvait plus de honte, on ne sentait plus la douleur d’être soi. C’était étrangement ce qu’il se passait lorsqu’ils fusionnaient brutalement l’un dans l’autre. Dans le déferlement, Sanae n’éprouvait pas le chagrin comme elle l’éprouvait d’ordinaire ; elle le laissait voguer et s’épancher tout autour et en lui jusqu’à ce qu’il ne lui appartienne plus seulement à elle. Ses émotions sortaient de son corps et elle avait l’étrange impression d’être plus légère. Elle n’était plus un poids, un rocher trop ancré dans le sol mais une effluve, une vague sans forme, une bourrasque libre et déchaînée. Mais pour cela, il fallait accepter que l’autre voit, que l’autre sente, que l’autre comprenne. Elle n’avait pas peur de son jugement mais de son propre reflet et de l’évaporation temporaire de ces émotions si tyranniquement retenues en elle. C’était dur de les lâcher et de leur donner la permission d’exister pour guérir d’être un jour apparues.

Dans cet espace qui était le leur, si restreint dans le physique mais si vaste dans l’invisible, il n’existait pas de mensonge. Pour celui ou celle qui partageait ses pensées et ses souvenirs, il n’y avait que peu de lieux où se cacher de la vérité et encore moins pour la cacher à l’autre. Et comme cette vérité était laide… C’était de ça dont elle avait honte, de la laideur de ses maux, et par-dessus tout de sa culpabilité. Elle ne faisait qu’enfler à chaque blessure de l’âme et il arrivait un moment où même ses propres pensées avaient honte d’exister. Elle avait pourtant tenté de les faire taire, de les soudoyer par quelque distraction frivole ou par le contrôle constant de tout ce qui l’entourait. Il fallait toujours se racheter, amonceler des efforts infâmes pour tenter de faire pencher la balance, et au final, rien n’y faisait : elle se trouvait toujours coupable, de tout et de rien à la fois. De faire et ne pas faire. De dire et de ne pas dire. Elle n’était jamais gagnante et rien en elle ne semblait savoir comment se défaire de cet engrenage infernal. Il n’y avait qu’à les regarder tous deux pour comprendre : ne savait-elle pas qu’il valait mieux partager ? Qu’il fallait être deux et non qu’un seul pour que ce lien ne se transforme pas en un poison mortel ? N’avait-elle rien appris, rien enduré qui puisse lui donner quelque leçon ? Pourquoi fallait-il toujours qu’ils s’éloignent pour se percuter à nouveau dans la colère ? Pourquoi craindre l’échange et lui donner toujours la couleur du conflit ?

On aurait pu dire qu’ils étaient ainsi, qu’ils ne savaient pas, qu’ils étaient mauvais élèves.
Mais c’était un raccourci qu’ils auraient détesté.

Ils savaient, au fond, ce qu’ils faisaient et leur colère peut-être venait également du fait qu’ils ne pouvaient s’extraire de leurs peurs enracinées et grandir ensemble. Évoluer, ensemble. Apprendre. C’était d’autant plus frustrant qu’ils essayaient bien souvent de le faire. Mais malgré les efforts pour se préserver l’un l’autre de ce que renfermait leurs pointes d’encre, ils échouaient sans cesse et se retrouvaient à nouveau confrontés à une rage et un manque impitoyables. Ces deux-là les rattrapaient toujours. Vindicatives émotions. Elles cherchaient bien la vengeance oui. Une vengeance qui demandait une réparation brutale. Sanae se demanda si c’était pour cette raison qu’elle était ainsi immobilisée contre la tenture. Si, finalement, il ne la privait pas de contact pour souligner le manque qu’elle lui avait imposé et la pousser, dos au mur, à user de cet esprit qui s’était trop contenu. Ou si, peut-être, il voulait la voir briser son immobilité pour mesurer sa volonté à le retrouver.

Cette pensée bourdonnait au fond de son esprit mais ne perçait pas.
La sorcière s’était élancée sur les murs de la forteresse mais ce n’était que pour craquer l’allumette et attendre le départ de feu. Elle lançait l’huile et observait le brasier prendre. Pire, elle voulait souffler sur les braises et se gorger des crépitements. Elle voulait qu’il lance sa rage comme on lâche des chiens affamés ; au fond, un brin de lâcheté accompagnait ses actions. Ce n’était jamais facile de venir chercher l’autre, de montrer à quel point le manque l’avait torturée, à quel point surtout cette proximité était essentielle. Elle avait souvent tenté de dissiper l’étendue de ce manque et la préciosité que représentait ces moments, de peur de déclencher le soudain recul du sorcier. Mais après l’avoir repoussé et s’être tenue à distance, il semblait que le moment d’assumer ses propres actes et ses propres envies était arrivé. Son appel ne prit pas ; elle ne pourrait avoir la main sur cet échange, pas de la façon dont elle l’avait espéré. Non, il n’était effectivement pas question de comment le sorcier voulait montrer sa rage ou de la manière dont il la contenait en partie. Il était question de s’y confronter pour l’apaiser.

« Et pourquoi je te l’accorderai ?! Viens.. ou repars. Mais arrête de faire semblant. » Les mots résonnèrent jusque dans son crâne, graves et puissants. Leurs esprits liés s’agitaient et déferlaient. Une bataille se jouait dans l’invisible, faite de tentacules et de trombes marines. Un kraken se battant avec une mer survoltée. Sa réplique était bien plus douloureuse pour elle qu’il n’y paraissait. De ses mots elle comprenait qu’il avait souffert de ses allées et venues, des séparations comme des silences entre eux, des barrières empêchant tout contact. Elle l’avait laissé seul et il demandait, comme tant d’autres, du vrai. Une sincérité. Une honnêteté, même dans le laid. Seulement quand elle lui donnerait, il pourrait lui accorder du vrai à son tour. Sa rage, véritable et sans détour. Elle aurait du savoir qu’il fonctionnait ainsi. Qui voulait partager ses émotions avec quelqu’un qui repartirait aussitôt ?
Les trombes marines se teintaient de pourpre. C’était la douleur qu’elle devinait chez lui qui réveillait la sienne. « Prends. » Les tentacules de son esprit enserraient les tornades de ses émotions, prenaient les images pour les encercler, s’y mêler en suivant leurs mouvements. Une nouvelle déferlante éclata dans les glaciers de ses prunelles et le rond noir se dilata davantage.  « Viens la chercher. »

Viens me chercher, entendit-elle plutôt.

Si Sanae n’avait plus vraiment conscience de l’extérieur, il se rappelait pourtant à elle dans des bourrasques de plus en plus fortes. Les battants de la fenêtre se heurtaient l’un à l’autre avant de rejoindre le mur avec fracas. Les rideaux étaient furieux, ballottés en tous sens. Plantée contre le mur, la sorcière sentait chacun de ses muscles se tendre. Sa peau s’échauffait dans le désir puissant de se laisser aller, de lâcher la crispation de son corps pour n’être qu’une vague à son tour. Une vague qui voulait s’abattre sur le seul rocher qui pouvait en supporter la force. Là, au milieu des eaux, ce rocher qui était toujours présent dans son esprit, immuable. Comment aurait-il pu douter de  la place qu’il occupait ? Il y avait une raison pour laquelle elle revenait toujours à lui. Elle pouvait bien s’étirer pour atteindre d’autres rivages, pour s’écouler sous les rayons du soleil et s’échouer plus loin, mais elle revenait toujours, toujours vers lui. Et elle le gardait sans cesse en vue, comme on guette un phare sur la pointe rocheuse d’une côte.
Elle s’était absentée trop longtemps et il fallait revenir à lui désormais.
Il n’était plus question d’avoir honte de la laideur de ses émotions. L’explosion de la veille avait rempli son office : la confronter à leur existence et l’accepter. Il fallait maintenant les partager et en le faisant, rétablir l’ordre entre ces murs.

Alors comme des vagues qui venaient de loin, prenant l’élan de tous les courants du sud et du nord, passant par-dessus les détroits et les îles sur son chemin, elle vint brutalement jusqu’à lui. Un éclat perça ses prunelles sombres et ses poumons se chargèrent soudain alors qu’elle se trouvait submergée. Ses mains agrippèrent la tenture, le tissu se tendit dans son dos. Quelques mèches de ses cheveux voletaient, aussi bien que ceux du sorcier, et ses joues se rosirent légèrement dans le déploiement de ses vastes étendues. Une armée de trombes marines déferlèrent sur le sorcier. Sans vouloir le noyer, elle se faisait grande, déployait ses eaux comme des rideaux immenses et incurvés qui voulaient prendre tout l’espace. A leur surface, c’était des centaines de couleurs qui apparaissaient, des voix, des visages et toute cette eau salée contenait les souvenirs des semaines passées, la douleur du corps au réveil de sa longue torpeur, la frustration de ne pas avoir retrouvé sa mémoire, le sentiment de décalage dans chaque moment qui se voulait heureux, ses incapacités à parler et à lâcher prise, sa brutale réalisation qu’elle avait fermé les yeux sur la détresse de sa sœur, et l’impuissance tachetée de culpabilité qui donnait à ces vagues leur goût de sang et leur couleur sombre. Mais au milieu de tout ça, le désir brûlant de le retrouver lui. La souffrance de ne pas y arriver, le désespoir dans la distance. Si les vagues étaient hautes, c’était par la volonté de tout engloutir, de tout englober, de tout prendre de lui sans vouloir lui faire mal mais pour le recouvrir d’elle. C’était le besoin de lui faire sentir qu’elle était là et qu’elle ne repartirait pas. Elle venait le chercher avec des bataillons entiers qui venaient effleurer le ciel d’encre. Large, large, haute, si haute. Elle grossissait de seconde en seconde, de salve en salve. L’eau prenait en son sein les tentacules puissantes de son esprit, les enrobait en elle pour les emprisonner et les faire siennes.

Ses mains flambaient de l’attraper, lui, ce corps qui était toujours trop loin, trop distant. Toujours immobilisée contre la tenture encore chaude, Sanae décolla ses poignets et se saisit brusquement des vêtements du sorcier pour le tirer jusqu’à elle. Son esprit forçait avec une férocité nouvelle et les vagues se resserraient sur son esprit. Elle ne savait pas ce qu’il se passerait quand elle s’abattrait de toute sa hauteur sur lui mais elle savait quand cela se produirait.

Le souffle court, le coeur affolé, Sanae ne voulait pas lâcher les pans de ses vêtements. Elle sentait la chaleur de son corps de plus en plus proche, et le manque lui apparut plus nu et plus cru encore qu’auparavant. C’était le manque qui était laid, ignoble, répugnant. Un véritable bourreau qui pourtant naissait toujours d’une envie pure, d’un besoin si humain qu’on ne pouvait penser qu’il savait se transformer en un million de lames. Ce fut le désespoir de sentir ce manque exister encore entre eux qui éveilla une nouvelle force en elle. L’énergie de l’affamé. Ses bras se décollèrent de la tenture et elle saisit la nuque du sorcier avant de prendre ses lèvres. Ses deux mains ancrées sur sa peau, elle le goûtait à nouveau après trop de temps à imaginer le geste. Cette collision annonçait la fusion, le retour à leur normalité à eux. Un nouveau souffle. Un air sans doute irrespirable pour d’autres mais qui pour eux, était devenu indispensable. Un gémissement érailla sa gorge alors que ses mains glissaient dans son dos, ses bras s’enroulant autour de ses épaules pour le coller à elle, ne laisser aucun espace entre eux. Elle prenait, autant le corps que l’esprit. Elle voulait tout de lui, sa rage, sa peine, son manque, son désir. Tout ce qui serait à sa portée serait pris dans son tourbillon.

Et elle avait eu raison : à l’instant même où leurs lèvres s’étaient scellées, les rideaux d’eaux salée avaient été parcouru d’un grognement féroce et avaient commencé à s’abattre comme un raz-de-marée dont elle n’avait plus le contrôle. Une main qui venait des océans de son esprit s’abattait sur lui pour presser la moindre émotion, la moindre sensation hors de lui et par là, s’infiltrer comme une onde dévastatrice.

De si près, les yeux grands ouverts, Sanae ne voyait que ce rond d’encre entouré d’une mer glacée mais qui, elle, lui apparaissait flamboyante. Elle s’y plongeait plus entière que jamais avec la seule volonté de l’attraper tout entier à son tour, de le ramener jusqu’à elle comme son corps contre le sien.

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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Mar 11 Oct 2022 - 9:38
Légitime ou pas, la colère crépitait dans ses rétines. Elle tendait les muscles de son dos, inondait ses veines, griffait ses nerfs. Cette colère n’était qu’un poison sinuant en lui comme le serpent l’avait fait avant elle. Elle était arrivée à retardement, après tant de journées à la refuser, à accepter la distance, à mettre en avant d’autres sentiments que les siens, à faire confiance. A rationaliser. Comme un raz-de-marée qui se foutait bien des conventions. Une échappée faite de bascule à force de distance. S’il n’avait cessé de partager ses pensées et ses émotions sans doute Logan aurait su garder ce cap qu’il avait tenté de lui offrir. Cette bienveillance encore bien malhabile qu’il ne savait trop comment mettre en place. Mais à présent défait d’elle depuis des semaines, le mal avait pris la place et les angoisses s’étaient de nouveau insinuées entre eux porteuse d’un poison : l’incompréhension. Elle était le givre sur lequel ils dérapaient sans cesse. Comment ne pas se laisser engloutir par la sensation d’être insignifiant lorsque l’autre ne vous accorde qu’une place infime ? Le problème leur était commun, la raison tout autant. C’était ainsi, un cycle bien aberrant quand pourtant ils semblaient résoudre le conflit pour retomber aussi sec directement dedans. N’y avait-il qu’ainsi qu’ils savaient se retrouver, recréer le lien, refaire les ponts qui entre eux écopaient vents et marrées ? Ne savait-il accepter l’échec et l’erreur quand on les lui présentait avec humilité et déférence ? Ne pouvait-il réagir que par la crainte et l’ambition, engoncé dans un refus rigide dont la place semblait à jamais acquise ? En quoi accepter et pardonner devenait-il céder et s’écraser dans le prisme de sa réalité ? Logan avait beau savoir, comprendre, sentir que quelque chose en lui n’appartenait plus à la logique, qu’il s’écartait des décisions prises plusieurs jours plus tôt, qu’il en oubliait l’acceptation et l’empathie pourtant acquise de quelques mots … ça grondait malgré tout.

Un orage, c’est un conflit entre deux masses d’air. L’air chaud et humide se condense et l’eau se forme en altitude, là où la température chute drastiquement. L’eau devient glace, monte et grossit avant de gagner tant en masse qu’elle retombe. Les cristaux s’entrechoquent alors les uns aux autres et ces impacts forment l’électricité qui engendre la foudre. Ses pensées étaient ces cristaux. Ses émotions entrechoquées les unes aux autres au cœur d’un conflit où ils soufflaient l’un l’autre le chaud et le froid. La bonne volonté de Sanae comme une surprise après la glaçante distance. Les tentatives d’approches de Logan avant l’essai de lui laisser plus d’espace, de respecter ses manques et ses erreurs. Et puis de s’isoler, à son tour. Le chaud, le froid, les pensées contradictoires, les attentes impuissantes et la frustration grandissante avaient construit au fil du temps un cyclone en son sein que la foudre, prestement, avait colonisé.
Mais les cumulus de son esprit n’existaient pas seuls, ils répondaient à d’autres et ensembles, les ouragans se joignirent dans un tourbillons cataclysmique centré autour d’un point névralgique : deux paires de pupilles noires comme de l’encre agrippées les unes aux autres. Mais ils n’étaient pas secoués par les vents. Ces vents fouettaient leurs veines d’un souffle nouveau, déliaient leurs diaphragmes, soulevaient la crasse accumulée. Ils étaient leur porte de sortie, leurs appels à l’aide, leurs mains tendues. Dans la colère se liait l’affection, dans les arcs de foudre se nouaient les retrouvailles.

Sanae se tendait, les muscles roulèrent sous sa peau, ses doigts se crispèrent sur la tenture, les volets claquèrent aux fenêtres et quelque part dans la chambre, un cliquettement cristallin s’installa. Mais rien n’aurait su retranscrire la déferlante qu’elle fit gonfler autour de lui. Son esprit se dilata, pris l’espace et engloba le sien. Les tempêtes se mêlèrent, entrelacées l’une des autres et surplombées de cette chape aquifère que son esprit devint soudainement. Si Logan aimait cribler l’autre de son esprit avant de s’y déverser, Sanae devint une enveloppe autour de lui. Puissante et grandissante, la masse de sa conscience se fit vague et le recouvrit comme l’océan englobe un surfeur dans un rouleau bouillonnant d’eau salée. Elle était mousson, nappe épaisse d’eau salé, son esprit absorbait la lumière pour l’enclaver tout à fait.

Tout son corps se raidit plus encore, ses muscles durcis sous l’effort se contractèrent encore jusqu’à s’arracher brutalement à la tenture qui semblait la retenir comme un aimant. Comme encore harponnées en arrière, ses mains volèrent pourtant jusqu’à lui, agrippant ses vêtements pour l’empaumer et le placarder contre son corps. Corps et esprits pulsèrent, la hauteur des trombes d’eau de sa conscience se raccourcit, larguant sur lui un ruissellement d’émotions et de souvenirs emmêlés. Logan ne les saisissait pas réellement, leur sens n’était pas individuel, il était multitude et impatience. Là où la nappe de son esprit aurait été oppressante pour n’importe qui, elle devint pourtant réconfort au creux de ses rétines. Elle faisait naufrage de tout son être contre le sien, l’encerclait de son âme, l’isolait de tout autre chose et il n’y avait rien qu’il ait souhaité plus ardemment sans même se l’avouer. Au centre de la masse, son esprit pulsait, bouillait, se changeait de brumes comme un fumigène rappelant la masse de fumée d’ocre rouge enclose dans un rappeltout.
Les ongles de Sanae ripèrent contre sa chair comme un crampon dans la montagne et brusquement, elle se détacha totalement, arrachée à la tenture, défaite du sort qui l’y liait, Sanae projeta sur lui l’intégralité de son être. De sa nuque à ses lèvres pour lier les corps jusqu’aux trombes d’eau d’un sel amer qui se déversèrent sur lui, le déferlement se fit tonnerre dans son organisme. Elle emplit tout l’espace et ruissela sur chaque pierre, chaque grain de sable, chaque interstice de la vieille muraille. Une main toujours à plat sur le mur les stabilisaient mais le reste de leurs corps et de leurs âmes se joint d’un mouvement féroce. Contre ses lèvres, il y eut un grondement assouvis et brusquement les tensions de la nuit n’existèrent plus véritablement. Seule régna l’euphorie de se retrouver. Sans s’ouvrir, le minerai de la forteresse l’accueillait pourtant et si aucun souvenir ne filtra, dans l’eau ruissela la boue de ses émotions. Diluée et offert, elle se brouilla, coula d’argile et de cristaux jusqu’à se fondre parfaitement à celles qui n’étaient siennes.

On aurait pu croire qu’il fallait bien des heures pour combler le vide et pallier l’absence.
Un battement de cœur suffit pourtant.

***

Courant Aout

Un genou au sol, le second plié devant lui, le plat du coude reposant sur sa cuisse et les doigts de la main droite enroulés autour d’un verre de Whisky, Logan faisait glisser les cartons des vinyles du bout tordu de son annulaire gauche. Les sourcils froncés, les lèvres pincées dans le silence de la grande maison, l’ancien directeur laissait courir son attention sur chacun des disques bien rangés dans un meuble très récemment acheté qui jurait parfaitement dans le salon encore marqué par l’immonde et vieille décoration des anciens propriétaires. Autrement dit : la tornade Sanaé n’était pas encore tout à fait passée par là. Sans vraiment prêter attention aux plaies de ses mains qui, enfin, avaient repris une allure plus saine. En se laissant retomber dans le lourd fauteuil de cuir, Logan délaissait totalement les pots de peinture alignés à sa gauche auprès de la cheminée pour se centrer sur les disques dont il fit passer les pochettes les unes après les autres entre ses mains. Dans le silence du cottage, l’ancien directeur laissa son esprit déterrer les souvenirs emmagasinés. Ceux de son père d’abord, la figure angoissante mais terriblement puissante dans ce bureau aux murs rouges, immanquablement mutique à son approche, ne levant jamais les yeux vers lui.

Laissant son regard se perdre sur une pochette dont il ne connaissait ni l’artiste ni le style et n’avait jamais ne serait-ce que manipulé un tel objet, Logan entendait pourtant les sons de violoncelle qui engluaient d’autres souvenirs que les siens. Un autre père, d’autres silences, une figure aussi similaire qu’elle en était éloignée. Ainsi les notes se mirent à devenir symphonie fantôme à ses oreilles, glissant dans son esprit comme un bateau dans les flots. Sur la pochette, des symboles qu’il devinait japonais, dans son esprit, la mélodie s’échappa d’un autre continent, bouillant la frontière entre ses souvenirs et ceux qui auraient dû lui rester étrangers.

Peut-on trouver les sentiers de l’avenir dans ceux du passé ? Les contours d’une femme que les opaques secrets d’un père engloutirait à jamais ?
Qui être, lorsqu’on est l’ombre de l’autre et qu’on se refuse sans cesse à prendre l’espace proposé ? D’un regard en arrière, Logan jetait un œil aux chaussures balancées en bordel juste à côté de celles de Sanae et dans un souffle sec, il finit par se lever.

Derrière les murs défraîchis se déroulait une vie, un monde. Des gens qui allaient et venaient, méritaient de vivre ou de mourir, gravitaient ou non autour d’une existence qui ne lui appartenait plus tout à fait.
Dans un souffle, Logan sorti le disque qui frotta contre le carton, faisant vibrer les nerfs à vif des moignons sans qu’il ne semble réagir. La douleur restait, revenait ou repartait sans qu’il n’en comprenne véritablement la logique. Bientôt le disque rejoint la plateforme et sans réellement y réfléchir, ayant vu Sanae faire quelques fois, Logan fit glisser le patin jusque sur le disque. Puis penché sur le côté, les lèvres retroussées, il y eut un temps de flottement avant qu’il ne réussisse à mettre l’appareil en marche, heureux que Kimura ne soit pas là pour voir ça.

Enfin, des notes plus orientales prirent l’espace et durant un temps, Logan resta là, debout à projeter dans les souvenirs d’une autre des racines qui n’étaient pas vraiment les siennes. A mesure du temps et des entremêlements de leurs esprits les souvenirs qu’il puisait en elle s’ancraient davantage dans les méandres du sien. Pour d’autres, lorsqu’il retirait émotions et souvenirs de leur conscience, Logan n’en restait imprégné que quelques jours véritablement. La mémoire gardait des traces plus ou moins vives mais se défaisait de ce qui touchait aux sens. Avec elle pourtant, à raviver sans cesse  ressentis et réminiscences, c’était d’elle dont il se chargeait un peu plus jour après jours. Une sorte de fusion résistant malgré la distance qui perdurait dans le temps et ignorait l’espace qui les séparait. De nouveau, l’accès qu’elle lui donnait permettait d’ancrer en lui une part de son âme, comme un mirage dans les cavernes de sa conscience morcelée. Ainsi le regard vide face à la surface noire du disque devenue lisse par un effet d’optique, Logan songeait au lien qui faisait de son père un fantôme à garder en elle au fil des ans. La mort même ne suffisait pas à maintenir une distance suffisante pour le tenir éloigné. Pour lui dont la vie avait construit des murs infranchissables autour de son être, cette sensation qui traînait parfois dans ses propres méandres était un concept étrange qu’il ne pouvait transposer à aucun autre. Retrouver Sanae, c’était se lier d’une manière qui n’avait pas d’égal, trouver en elle la face d’une pièce qu’on n’aurait pas deviné, l’ombre en arrière de la sienne. Quelque part en lui, la signature de son passage demeurait implantée. Celle de cet homme taciturne qui avait rythmé son enfance creusait à son tour une place étrange. Le spectre d’un père qui n’était pas le sien, d’un regard qu’il n’avait jamais croisé ou de rictus dont il n’avait jamais été la cible. Un homme qui le renvoyait par moments au sien et à d’autres, à son propre reflet dans le miroir. Logan n’était pas idiot et la ressemblance il la traçait sans qu’on n’ait besoin de la lui pointer du doigt.

Les deux mains à plat sur le meuble laqué de teinture grise, ersatz d’une modernité qui semblait pour l’heure grotesque dans cet amas de vieilleries, Logan se laissa absorbé par cette musique d’une autre vie, à rechercher au fond des vestiges de souvenirs les pensées, les regards, les sourires, les crispations des sens d’une enfant dont il connaissait mieux les prunelles de l’adulte que celles de n’importe qui d’autre. Pourquoi cherchait-il ainsi toujours les réponses d’un passé qui ne serait jamais le sien ? Pourquoi s’égarer ainsi dans les allées de l’orphelinat, à croiser les yeux malfaisants d’un monde entier qui ne lui appartenait pas ? La colère pourtant griffait ses veines à y songer. Comme s’il y était, là-bas, avec elle, à son tour. Comme si entre les murailles de ses pensées pouvait se griffonner un univers où la solitude laissait place à autre chose et où se retraçaient les épreuves du passé. Les siennes.
Devant son regard, le patin arriva au centre du vinyle et la musique arrivée au bout du chemin s’éteint dans un chuintement étrange. Les mains à plat ne bougèrent pas, seul un moignon tapota sur la surface lisse. Le dos arrondit au dessus de l’appareil roula un instant avant qu’il ne se redresse. Sous ses prunelles d’acier, Sanae s’entraînait au sabre, à l’arc ou au boken. Ses épaules lui étaient douloureuses, ses doigts cloqués et ses genoux écorchés.
Qu’est-ce ? De porter en soi les traces d’un autre ?
Et pourtant d’autres il en charriait bien davantage dans les méandres de la forteresse souterraine. Les grottes qui sillonnaient la rocaille étaient chargées de souffles, de cris ou de rires étranglés. Là se trouvait sa propre histoire autant que celle d’autrui. Là, les archives de sa famille. Là, le dernier regard d’une cousine qui portait sur son petit frère un sourire d’une fierté malhabile, mauvais masque de ses angoisses, de sa culpabilité et de sa rancœur. Ici, les larmes d’un garçon qui devinrent aride au fil des ans. On y trouvait même les loupés d’un cœur étranger dans la poitrine d’une amie, la nuit sanglante d’un jeune orphelin à la chair percée de crocs ou la recherche d’identité d’une femme dont les pouvoirs s’ancraient dans son opiniâtreté solitaire. Combien d’histoires devenues contes dans les méandres de son esprit ? Il aurait pu creuser, déterrer ceux qui étaient passés, retrouver les fracas de la guerre d’un soldat devenu thérapeute, disséquer les faiblesse de chaque ennemis passés aux lames de son regard. Chercher les alliés, défaire les rivaux. Mais c’était vers son histoire à elle que se dirigeaient ses excavations. Vers les rives d’un pays d’archipels et de criques, de montagnes et de grattes-ciels. Un pays qui jamais ne serait le sien mais dont il grappillait parfois des images dans l’esprit de celle qui partageait son quotidien et bien plus que ça. Quelle était la probabilité que la seule autre personne partageant les mêmes origines et la même monstruosité partage la nationalité d’une mère dont il ne connaîtrait même pas le prénom ? Lui dont le visage avait à jamais été synonyme de dissociation à la famille trouvait en cette trahison une attache nouvelle et étrange.
Cette seule pensée fit rouler dans sa poitrine un tremblement soudain.

Logan se redressa, relança le disque en songeant à cet homme qui, un jour, avait passé le haut portail de fer de l’orphelinat et avait tendu la main à celle que jamais on ne regardait autrement que de haut. Celui qui s’enfermait dans son bureau et dont les paroles étaient aussi sages qu’avares. Aussi exigeantes que contraignantes. Pinçant des lèvres, il se détourna d’un geste, attrapa son verre d’un autre et monta à l’étage. La musique reprit tandis qu’il avait déjà parcouru la moitié des marches.

Dans la bibliothèque, seul le fauteuil trônait, central dans un amoncellement de cartons et de meubles usés.

Pas tout à fait terminé, le fauteuil prenait pourtant des airs plus nobles, moins décrépit. Il était toujours là, le môme du grenier à défaire ses boutons et remonter ses manches avant de repousser de ses petits bras les meubles qui faisaient ses barricades, déblayer la poussière, casser les planches pour faire entrer la lumière. Il se tenait toujours face à la goule, serrait les dents et imposait son espace. Toujours là, à coudre du cuir sur un vieux matelas. Ce môme qu’il s’était juré de ne plus être.

Logan porta à ses lèvres le liquide brun pour en prendre quelques gorgées avant de le poser sur un guéridon qui, citons Sanae « pouvait donner quelque chose ». De deux doigts crépitant de magie, Logan défit les boutons de sa chemise à ses poignets pour la remonter jusqu’au haut de ses avants-bras. Comme toujours depuis des mois, les gestes mal assurés étaient compensés par des sorts devenus de plus en plus précis sous ses doigts. Malgré tout sur son bras gauche, les plis formés par le tissu étaient bien mis, rappel de l’enseignant qui, hier, portait ainsi ses chemises. La droite en revanche ne ressemblait à rien, le tissu était ramené comme il le pouvait, stigmate d’une main gauche davantage abîmée dont la mobilité était salement altérée.

Dégainant la baguette qu’il portait toujours sur lui sans pour autant s’en servir si régulièrement, Logan estima les lieux, les meubles ; les murs surtout. Une tenture était tendue sur un mur tandis qu’un papier peint ayant sans doute dû représenter quelque chose de champêtre fut un temps mais apparaissant à présent comme … quelque chose. Entre des griffes de monstres et des blés fauchés en sale état, le tout d’un vert grisâtre peu engageant. Mais ce n’était pas ce qui l’intéressait pour l’heure.

D’un geste, Logan ouvrit la fenêtre et poussa les meubles comme il le faisait à chaque début de cours. Le bois du planché chuinta sous les mouvements mais rapidement, ce fut le tissu qui se prit à implorer.
En arrière de la tapisserie, le mur était à nu. Logan pouvait bien n’avoir aucune notion de maçonnerie, il se souvenait parfaitement des zones du grenier nues et celles qui avaient été couvertes, mieux encore de celles qu’un sort isolait de l’extérieur… et de celles pour lesquelles le sort était altéré.
L’après-midi était donc passé ainsi, à défricher la tapisserie, en retirer chaque lambeau, balayer chaque attache avant de défaire les dernières traces de colle et de journaux. Un instant, Logan frissonna face aux photographies avant de réaliser qu’elles étaient toutes immobiles et qu’aucun témoin gênant ne se trouvait implanté dans l’encre de ces vieilleries. Lorsque Sanae était arrivée, les  fragments de journaux avaient rejoints les meubles, accumulés dans un coin de la pièce et Logan s’était mis à amélioré l’état des pierres en arrière. Ainsi de jours en jours, il avait réhabilité les pierres, découvrant un jour au dessus de l’épaule de Sanae un tuto sur son téléphone pour il ne savait trop quelle rénovation. Il lui avait fallu plusieurs autres jours pour trouver comment faire pour en trouver à son tour et découvrir le monde du bricolage numérique. Et quelques uns, donc, pour mêler techniques moldues aux transpositions magiques. Enfin, à chaque temps mort, l’ancien enseignant avait travaillé sur un tissage de sortilèges tout au long du mur donnant sur l’extérieur. Ainsi chaque nuit rendit les pierres moins froides jusqu’à ce qu’une douce chaleur ne s’en dégage et que Logan s’en décide satisfait. Il n’évoqua évidemment pas le fait qu’en son absence, plusieurs pierres s’étaient brutalement effritées sous un sort moins bien maîtrisé ni qu’il avait craint de la voir rentrer fourbue de sa nuit auprès de la Garde pour découvrir une maison effondrée. Il ne dit rien de spécifique d’ailleurs. Ni là-dessus, ni sur le vinyle découvert en œuvre en bas, la musique emplissant les lieux tandis qu’il travaillait à l’étage. Pas même sur le fait qu’à mêler leurs esprits, Logan la sentait par moment plus insistante, cherchant à atteindre sa psychée pourtant hors de portée. Pour l’heure et sans doute pour bien des semaines, Logan n’en dirait rien, balayant cette considération de son esprit.

Pour l’heure, il se centrait sur un détail sans doute bien mineur que d’autres auraient trouvé plus accessible qu’il ne le ressentait. La question était pourtant bien triviale : C’est quoi pour toi, « chez toi » ? Une question qui lui ceignait les pensées depuis bien longtemps. A voir comme Sanae projetait des idées dans chacun des lieux commun, lui posant par moments des questions auxquelles il ne voyait aucun intérêt, Logan était surtout perturbé par une évidence : Il n’avait aucune idée de ce qu’un logement devait contenir pour lui correspondre. La couleur des murs, le style du mobilier, le type de décoration ? Comme s’il n’avait jamais été voué à s’ancrer dans le moindre quotidien, Logan était celui qu’on remisait quelque part ou qui imposait sa conquête de nouveaux espaces sans vraiment savoir quoi en foutre une fois l’objectif atteint. Une fois là, il remplissait sa mission, voilà tout. Alors à chaque fois que Sanae évoquait ce qui semblait aller de soi pour elle, Logan en était systématiquement déconcerté. Que répondre ? Ainsi des sujets larges, il en était venu pas à pas à quelque chose de plus restreint : un bureau. Celui de Poudlard qu’il avait occupé pendant plus d’un an était resté celui de l’ancien directeur, réhabilitant ce qui était là dans son adolescence pour invisibiliser la présence de Walters avant sa chute. Mais ce qu’il avait fait n’avait été que remettre en avant les traces d’un homme qu’il avait admiré et qui n’était plus là pour faire son travail. Un homme qu’il avait peut être essayé de copier à sa manière, s’en éloignant dès qu’il ne s’agissait plus d’éducation mais de guerre. Il n’empêchait qu’un bureau, ça restait plus aisé à visualiser qu’une maison.
Alors pourquoi pas ce mur de briques apparentes, puisqu’il existait sous la tenture immonde ? Un bureau en bois accolé, et autour, des murs peints de gris ou de brun. Pourquoi pas du vert ? Un vert sombre et profond qui rappellerait la forêt en arrière de la maison. Et un canapé d’angle en cuir, quelque chose qui rappelle le fameux fauteuil qui scellait depuis bien des mois le point de bascule de leur histoire commune. Et une grande bibliothèque accolée aux murs peints, comme celle qu’il y avait dans le bureau du patriarche Rivers et, fait amusant, également dans celui de Masashiro.

Lorsque Sanae entra, Logan était dans son fauteuil, celui qu’il essayait de réhabiliter, avec ses tiges de métal pointant hors du tissu ici et là sur les pieds et son assise dure qu’il serait opportun de rembourrer de mousse. Une cheville sur le genou, l’éternel verre de pur feu dans la main, en équilibre sur sa cuisse, Logan fixait le mur de brique qui n’exhalait plus le froid des nuits parfois marqué malgré la belle saison encore florissante. Des sorts qu’il étendrait sur toute la maison, à commencer par la chambre de Sanae, dès qu’il aurait la certitude de n’avoir fait aucune erreur.

« Hm ? » Fut finalement sa seule manière de l’accueillir, ni distante ni agressive, seulement plongé dans ses pensées.  
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Mar 18 Oct 2022 - 18:31
27 août 2016


Sanae déambulait dans les rayons du supermarché, poussant son cadis sans véritablement voir les étalages de produits sous la lumière blafarde des néons. Le son de la caisse scannant les articles se mêlait au fond de musique du magasin. Il était tôt et peu de personnes se glissaient comme elle dans les allées, fantômes d’une consommation ordinaire ennuyeuse. Sans y penser, elle attrapa des petits muffins anglais et de la pâte à tartiner. Ils rejoignirent les paquets de riz, les légumes et les six jus de fruits sur lesquels elle se vengeait, à défaut de boire autre chose.
Passer de son travail, à la Garde, puis à la normalité d’un supermarché lui faisait toujours drôle. Elle avait l’impression de ne pas faire partie de ce décor, d’y être comme un éléphant au beau milieu du Ministère. Pourtant, quand elle était petite, Sanae avait l’habitude d’aller au marché de Marseille. Avec son père, ils avaient souvent arpenté la grande place sous les rayons chauds du soleil du Sud, passant les stands de produits frais, au milieu d’une effervescence pleine de voix et d’odeurs. Intimidée, elle s’était d’abord accrochée à son panier avant de finalement y aller seule quand son père n’était pas là. Aujourd’hui, elle était seule, à nouveau, mais sous les néons froids et dans un mélange de bips sonores, de vieille chanson anglaise et de l’odeur du désinfectant qui venait d’être passé sur le sol. Le décalage était brutal, semblant appartenir à un rêve sinistre, presque sale.

Elle reprit les mêmes choses que la dernière fois, y ajouta seulement des pommes pour faire une tarte. Cela lui prenait des fois. Perdue dans ses pensées, elle s’était souvenue d’avoir un jour entendu qu’il n’y avait rien de plus heureux qu’une tarte sur la table de son foyer. C’était mécaniquement qu’elle avait associé ses pensées à son geste, jetant les pommes dans son cadis en se demandant d’où provenait cet écho de souvenir. Son téléphone vibra dans sa poche et entre deux paquets de pommes de terre, elle décrocha. La voix de Margo la ramena à la réalité. La sorcière était à l’étranger, à suivre les défilés et autres rendez-vous de sa patronne, probablement entourée de top models à longueur de journée. Elles s’appelaient parfois à des heures improbables, décalées par les kilomètres qui les séparaient mais déterminées à ne jamais lâcher ce cordon de voix qui les reliait. Elles discutèrent jusqu’à ce que Margo soit obligée de retourner à son travail. Les bips de la caisse remplacèrent le ton enjoué de Margo.

Les bras accoudés à la barre de son cadis, Sanae se laissait glisser, les pieds à moitié perchés sur l’encadrement des roues, regardant vaguement les rayons. Sur sa gauche, celui des alcools s’étendait comme un chemin alternatif, une voie offerte à ses yeux. Ils s’y accrochèrent en un instant. Elle s’arrêta net, ses talons touchant terre. L’alignement de bouteilles de bières, de vodkas, de whisky bon marché, de vins et de mélanges de cocktails déjà fait lui sauta aux yeux. Elle fut incapable de bouger pendant de longues minutes. Ses pieds s’étaient cloués dans le sol, ses mains accrochées fermement au cadis. Le regard fixe, la sorcière sentait cette poussée en avant, ce mouvement de pulsion l’appeler. Si elle prenait seulement une bière à l’unité, ce ne serait pas un drame. Ce serait même moins pire qu’un verre de vin. Et puis si elle calait le manque avec une seule bière...ou deux...elle pourrait peut-être tenir une semaine.

Et si elle croisait quelqu’un qu’elle connaissait ?
Et si Logan voyait les cannettes ?

Elle dirait que ce serait pour cuisiner. A ce compte-là, pensa-t-elle, autant prendre du rhum et faire des crêpes. Elle pourrait siffler quelques gorgées quand elle voudrait avec ce qu’il resterait.

Il verrait clair dans son jeu.
Mieux valait ne rien dire. Elle emporterait le sac de courses dans le garde manger ; là-bas, elle trouverait une petite cachette. Son esprit négociait, trouvait des stratagèmes, se rassurait. Mais ce ne serait jamais qu’une ou deux bières. Elle les emporta. La bouteille de rhum aussi.


Quand elle rentra au Cottage, la matinée se terminait. Elle avait fait un détour par l’appartement à Westminster, pour les apparences. Dans le jardin, une brise chaude et légère balayait les arbres et faisait frissonner les herbes hautes. Le bruit de Londres avait laissé place au calme du comté du Gloucestershire. Sanae préférait la vue des forêts et collines entourant le village de Bibury à celle des immeubles et des rues bondées de la capitale. Elle aimait avoir ce petit jardin où séchait du linge. Logan n’y allait que rarement. Hormis les fois où ils s’asseyaient sur le perron de bois à chaque minuit où ils étaient ensemble, il n’avait cure de ce jardin. Elle n’en avait pas été vraiment surprise, simplement contrariée. Elle avait voulu croire que la possibilité qu’il puisse profiter de l’air libre lui ferait du bien après tant de temps enfermé. Au lieu de ça, il disparaissait elle ne savait où dans un crac sonore. Celui de la veille avait résonné pendant des heures. Elle se souvenait avoir frappé longtemps la porte de la salle de bains avant de l’entendre. Au moment où elle était entrée, Logan avait disparu.

Elle n’avait pas dormi jusqu’à son retour. Allongée entre ses draps, une jambe repliée, Sanae avait veillé sur les ombres nocturnes en tentant d’imaginer où il était et pourquoi son départ avait été si hâtif. L’angoisse avait enserré son ventre pendant des heures. Elle s’était remémorée encore et encore ce silence derrière la porte, cette longue attente de réponse, la frayeur qui s’était brusquement immiscée en elle, et enfin, pire que le fracas du monde, le déchirement de l’air dans son départ. Elle avait cru...cru un instant qu’il décidait de s’en aller d’une autre manière. Et pendant une partie de la nuit, elle n’avait pas été sûre de s’être trompée. Avait-il été appelé ailleurs ? A quoi tentait-il d’échapper ?

Ce qui s’était passé avec Kezabel la hantait et la hanterait toujours. En conséquence, Sanae était sur le qui-vive en permanence. Le moindre air triste, humeur maussade ou envie de s’isoler l’alertait. Son angoisse allait au-delà de sa sœur. Elle glissait, se décalait sur tous les autres et malgré elle, Sanae avait établie une liste de potentiels départs. Elle les redoutait autant qu’elle était déterminée à les empêcher. Il fallait qu’elle soit attentive, méfiante même, insupportable sur les détails. Comme une peur d’enfant, une voix dans sa tête lui disait que sinon, ils disparaîtraient.

Évidemment, Logan venait tout de suite après Kezabel sur sa liste.

Elle ne savait pas s’il y pensait ou s’il y avait pensé un jour au fond d’un cachot froid, mais les traumatismes qu’il avaient subis étaient toujours là. Elle le savait sans qu’ils n’en aient jamais parlé. Si son état s’était nettement amélioré depuis leur première rencontre, Logan n’était cependant pas sorti d’affaire. Le serait-il un jour ? Parfois, elle le surprenait perdu dans ses pensées, assis ou debout, silencieux dans l’arrêt total de ses mouvements. Elle lisait sur son visage une expression d’absence, un désert d’émotions à la surface, presque une disparition sous ses yeux. Et cela l’effrayait toujours. Où allait-il ? Cette question lui venait souvent. Est-ce que tous les légimens étaient ainsi, perdus en eux-mêmes à sonder leur esprit pour s’extraire de la réalité ? Petite, Kezabel râlait que Sanae était trop « dans la lune » et qu’elle ne l’écoutait pas. C’était mignon, comme façon de voir. Être dans la lune. Ça donnait presque envie. Mais ce n’était pas ça. Ils n’étaient pas dans la lune. Il ne s’agissait pas d’une rêverie non plus.

A la fois maîtres, esclaves et prisonniers de leur esprit, ils s’absentaient dans le vide ou dans le trop plein, comme rappelés par les profondeurs vivaces de leur vie intérieure.

Logan avait-il été appelé par ses profondeurs ?

C’était son inquiétude. Elle avait peur des démons qu’il enfermait en lui et qui lui parlaient trop bien pour ne pas être convaincants. Ces moments d’absence étaient ses ennemis. Elle se savait impuissante face à eux qui lui dérobaient Logan trop souvent pour ne pas le remarquer.

Où vas-tu quand ils t’appellent ?
Est-ce que tu entends toujours ma voix ?

Est-ce qu’il se sentait ainsi quand elle était prise par ses propres démons ?
Impuissant.

La sorcière avait tourbillonné autour de ce mot pendant des heures avant qu’enfin, le son caractéristique de son retour ne vienne déchirer le silence du cottage. Elle avait laissé la porte de sa chambre ouverte pour tenter de l’apercevoir mais Logan avait transplané directement dans sa propre chambre. Elle s’était redressée dans son lit, avait passé sa main sur son front légèrement en sueur et ses cheveux en bataille, et puis, se levant doucement, elle était allée fermer sa porte en marquant un dernier regard sur celle de son colocataire.

Elle était persuadée qu’ils n’en parleraient pas.
D’ailleurs, c’était un peu pour ça qu’elle était sortie si tôt pour faire les courses. Elle savait qu’elle ne le croiserait pas en descendant déjeuner et qu’elle aurait alors le temps de réfléchir. Cela ne fonctionnait pas quand ils ne disaient rien. Et plus le temps avançait, plus Sanae se rendait compte que la liste des sujets qu’ils n’abordaient pas devenait de plus en plus longue. Ça aurait du être le contraire. Peut-être que cette liste s’allongeait car la sorcière y mettait toujours de nouvelles choses à mesure qu’elle apprenait à le connaître… Elle savait les sujets qu’il ne fallait jamais aborder et ceux qui, même si elle n’obtenait de réponse, ne déclencheraient pas la disparition ou la fureur instantanée du sorcier. Mais elle détestait cette interdiction qu’elle se posait : et s’il avait, au contraire, besoin de se confronter à ses questions ? Il l’étonnait parfois à être plus bavard que d’ordinaire ; pourquoi ne l’étonnerait-il pas en répondant, pour une fois, à ses curiosités ? Pénétrer dans un esprit et voir était une chose ; mais si elle demandait, tout simplement ? Demander s’il allait bien, pourquoi il était parti, où il était allé. Elle n’aurait peut-être pas de réponse.

Une autre question la taraudait depuis un moment. La proposition de la Garde était restée en suspend, il n’y avait jamais répondu. Elle ne savait même pas s’il y pensait, s’y réfléchissait vraiment à l’offre qu’on lui avait faite. Mais il fallait une réponse, une décision. De ça, elle se promit de lui en parler. Elle avait failli plusieurs fois lui tendre une perche. Tout comme elle tournait autour de son esprit sans jamais oser tenter un passage, Sanae approchait, indécise, d’une quelconque conversation à ce sujet. Jusque-là, elle avait toujours reculé. C’était pire que de vivre avec un animal sauvage. Elle avait l’impression de toujours arriver à pas feutrés vers lui. Du moins, jusqu’à ne plus en pouvoir et débarquer en trombe, énervée et frustrée. Elle ne voulait pas que ça se passe comme ça. Depuis leur dernière altercation, le cottage avait trouvé un équilibre et eux avec. C’était tout nouveau, tout frais, aussi fragile qu’un nourrisson.

Ils continuaient à construire l’espace de leur bulle. Ce n’était pas parfait mais elle aimait ça. Elle aimait ça bien plus qu’elle n’aurait pu l’avouer. Logan s’était attelé à rafraîchir et aménager le bureau de l’étage. Il passait des heures sur ce maudit fauteuil et elle l’entendait râler à travers le mur ou quand elle passait aux pieds des escaliers. Tout résonnait ici. Ils s’entendaient à longueur de journée. C’était rassurant, d’entendre l’autre. Au moins, elle savait qu’il était là. Le cottage prenait des airs moins calfeutrés, moins sombres. La lumière y entrait plus facilement et l’air circulait en faisait bouger les petits pans de tapisserie décollés. Elle n’avait pas eu le temps encore de tout enlever mais les pots de peinture attendaient déjà d’être utilisés. En revanche, la cuisine était étincelante et plutôt charmante : le vert cramoisi avait disparu, remplacé par un léger beige ; le carrelage usé et rose pâle au-dessus du plan de travail était devenu blanc et neuf, brillant sous les effets du soleil au matin ; le plan de travail lui-même avait été changé dans un bois plus chaud ; et les placards et étagères avaient pratiquement tous été repeints, les poignées changées. Des plantes, des ustensiles de cuisine accrochés au mur, et un tout nouveau frigo s’étaient ajoutés. Sur toute la longueur de la table en bois, à quelques mètres de la cuisine à demi-ouverte et que l’on voyait du salon, Sanae avait disposé un tissu qui allait du marron au beige et qui dessinait un chemin de table. Une large coupelle en bois clair était posée au centre, sur un dessous de plat. Elle poserait la tarte aux pommes juste ici.

Mais le salon, espace plus commun qu’une cuisine où Logan n’allait que peu, n’était pas terminé ; Sanae cherchait encore comment l’arranger. Elle attendait, surtout, de savoir ce qui plairait au sorcier. On ne pouvait pas dire qu’il l’aidait beaucoup. Souvent, elle lui montrait des photos, des couleurs, des canapés, des chaises, des tables, et tentait d’apercevoir une réaction positive ou négative sur son visage. Quand elle lui expliquait ce qu’elle désirerait faire, ils tombaient soit sur un accord immédiat, soit sur un désaccord qui finissait par des explications d’une heure sur la différence entre saumon et rose, ou sur l’intérêt d’avoir une dizaine de coussins. Elle en avait besoin, pour s’asseoir par terre ! Mais ces petites « disputes » lui plaisaient. Elles appartenaient à une normalité toujours un peu étrange bien que séduisante. Lui, il s’occupait du bureau. Elle avait bien compris qu’au-delà de ça, il ne prendrait pas les devants. C’était sa manière de s’impliquer, petit à petit. Et pour tout avouer, Sanae s’amusait à le voir se plonger dans la restauration de cette petite pièce qui lui servirait d’antre. Elle évitait de trop en sourire quand, alors qu’elle regardait une vidéo de réparation de meuble ou de DYI, elle le sentait présent derrière elle, à jeter un œil. Quand la vidéo faisait une transition, elle le voyait dans le reflet de son téléphone ou de son ordinateur ; elle se mordait très fort les lèvres pour ne pas rire.

C’était des moments doux, un peu surprenant.

Ils contrastaient avec les milliers de choses qui étaient rudes, décevantes, douloureuses et angoissantes au quotidien. La sorcière évitait de dresser cette liste-là. Entre le travail, les missions pour la Garde, le temps qu’elle passait à l’hôpital clandestin, les moments où elle partait voir Margo dans ville étrangère, les temps qu’elle passait aussi avec Kezabel, chez James ; et les entraînements qu’elle reprenait par grande nécessité de se vider la tête, Sanae avait plus que besoin de cette petite routine au cottage. Bien sûr, toutes ces choses lui plaisaient, elles n’étaient pas désagréables, au contraire. Son travail et les mission pour la Garde lui donnaient l’adrénaline qu’elle aimait tant, l’aide qu’elle donnait à l’hôpital clandestin aussi et elle pouvait passer du temps avec Max ; ses escapades pour voir Margo étaient des feux d’artifices qui s’arrêtaient avec regret et laissaient dans le ventre les étincelles du manque ; ses moments privilégiés avec Kezabel, bien que teintés d’inquiétude, lui faisaient du bien et lui donnaient l’impression que certaines choses reprenaient leur place ; quant aux entraînements, ils lui octroyaient l’euphorie de la violence, le déchaînement de son corps, et l’arrêt momentané de toute pensée. Tout cela lui était nécessaire et comblait un vide en elle. Mais ils représentaient le monde extérieur, cette vie qui allait trop vite, tout le temps, et était jonchée de difficultés, de dangers, d’angoisses. Au cottage, c’était sa vie intérieure qui se jouait, dans l’espace restreint de son intimité propre ; elle était avec elle-même, dans une bulle où Logan lui donnait la sécurité d’une porte de sortie, sans peur. Elle n’avait pas à y craindre le regard des autres car ces autres n’existaient pas ici. Elle ne devait pas non plus se soucier de répondre à leurs attentes, ou de ne pas les blesser en leur exposant ses différences. Ici, elle avait moins peur, autant des autres que d’elle-même.


Quand elle rentra au cottage, les courses furent vite rangées dans le garde-manger et dans le frigo. Elle cacha l’alcool derrière la place qu’elle avait attitrée à son matériel de médicomagie, bien derrière les petites potions, les accessoires, les manuels et les ingrédients. Vu que Logan ne se soignait jamais, elle s’était dit que ce serait une bonne cachette. Il fallait maintenant ne plus y penser. Ne.Plus.Y.Penser. Ce ne fut pas un problème car quand elle transplana dans le salon, Sanae fut distraite et interloquée par la musique qui s’élevait du tourne-disque. Quand elle eut rangé ses courses, elle revint rapidement vers l’endroit où toutes les pochettes de ses vinyles avaient été dérangées. Sur la plateforme tournante, un vieux disque de musique japonaise qui avait appartenu à son père défilait. Il n’y avait pas de paroles, simplement une mélodie discrète. Son passé se rappelait définitivement à elle ces derniers temps. C’était un des disques préférés de Masahiro. Il le mettait toujours le matin quand il lisait ses journaux en buvant son thé. Sanae, elle, n’en pouvait plus de ce disque. Elle ne savait pas pourquoi elle l’avait gardé. Mais enfin, cela faisait un moment qu’elle ne l’avait pas écouté. Son regard chercha la silhouette de Logan. Il devait être en haut.

C’était étrange, non ?
Elle ne l’avait jamais vu écouter de musique ou ne serait-ce que s’y intéresser. Le choix du disque était d’autant plus surprenant que Logan ne semblait pas avoir de lien particulier avec le Japon ; il n’en était pas curieux, n’avait jamais parlé de ses origines. Sanae se demandait si parfois il pensait à sa mère, s’il l’avait connue, s’il s’en souvenait. Pourquoi son père l’avait-il pris avec lui ? Où était sa mère ? Etait-elle morte ? Tant de questions auxquelles elle n’aurait peut-être jamais de réponses. Elle ne les avait pas trouvées dans l’esprit d’Alec. Elle monta les escaliers et déjà, en bas, le disque arrivait à sa fin.

La porte du bureau était ouverte. Logan était assis dans le fauteuil qu’il tentait tant bien que mal de réparer. Des tiges de fer en sortaient de part et d’autre, il n’avait pas l’air confortable. Pourtant, le sorcier y était installé comme à son habitude, une jambe repliée sur l’autre, un verre de whisky en équilibre et les yeux rivés sur le mur de briques. La pièce changeait petit à petit. Mais lui, dans cette position, assis dans un fauteuil de cuir, semblait immuable. Etait-il absent ?

« Hm ? » fit-il sans se tourner vers elle. Elle n’eut pas l’impression de le déranger, son ton n’était pas agressif. Sanae croisa les bras et s’appuya contre l’encadrement en bois de la porte.
« Tu t’intéresses à la musique maintenant ? Ou juste aux vieilleries? » dit-elle, amusée.
Elle s’avança avant qu’il ne réponde, s’approchant du fauteuil et touchant du bout de sa chaussure une des tiges qui en ressortaient. Elle se retint de dire qu’il serait mieux assis en bas et que ce fauteuil aurait du mal à retrouver sa jeunesse d’antan. Se hissant sur la surface du bureau, poussant les livres et autres objets qui le recouvraient, Sanae s’assit. Son regard se posa sur Logan. Elle l’analysait comme à la recherche de quelque chose de précis. Des plaies, des griffures, des bleus, du sang. Il n’avait rien. Etait-ce bon signe ? Elle croisa les mains sur ses cuisses, ses pieds dans le vide.
« Ça va ? » tenta-t-elle. Son pauvre sourire était lui-même gêné d’être là. La sorcière hésita. Si elle commençait par lui parler de la veille, elle n’aurait peut-être plus l’occasion de lui parler de la Garde. Il lui semblait qu’il fallait choisir pour obtenir au moins une réponse. « Tu es parti précipitamment hier soir... » Sa bouche avait choisi à sa place. L’inquiétude, sûrement, remportait la manche sur le reste. Mais elle s’était promis de parler de l’offre de la Garde, alors elle attendrait de voir sa réaction avant de demander. C’était toujours comme ça, elle quémandait des informations. Une seconde, elle se sentit en colère. Juste une seconde.
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Mar 25 Oct 2022 - 20:40
Lorsque Sanae était partie, Logan était resté un moment à la fenêtre. Il avait observé les ruelles, les vieilles pierres, les persiennes de bois. Son amie était partie voir Kezabel.

Et il ne savait que foutre de cette information. Encore une fois, et sans doute pour un bon moment.

Suite à l’attaque qu’avait subit Sanae, Logan avait vu bien des fumerolles sombres émaner de l’esprit de Kezabel. Il avait évoqué son prénom auprès de sa soeur, mais rien de plus. Rien de plus. D’accord Logan n’était pas le meilleur protecteur qui soit, certainement pas la personne la plus impliquée émotionnellement dans les troubles d’autrui mais il savait à quel point sa soeur comptait pour Sanae. De plus, quoi qu’elle en pense, Kezabel avait été son élève. Elle était de celles pour qui il s’était battu chaque jour lorsqu’il était enfermé. Du moins.. C’était parfois l’histoire qu’il préférait se raconter. La vérité c’était qu’il s’était battu pour lui-même, comme toujours. Malgré tout l’enseignant gardait la conscience qu’il était de son rôle de veiller sur eux, y compris si ça ne leur plaisait pas. Et pourtant il n’avait pas balayé sa propre existence de certains de leurs esprits, n’avait pas fait de pas en avant lorsque la jeune femme avait tenté de mettre fin à ses jours pas plus qu’il n’avait su que dire à Sanae. Il était resté désespérément muet. Déjà parce que son opinion ferait plus de mal que de bien. Il avait beau comprendre dans les profondeurs de sa chair les troubles par lesquels Kezabel était passée, la faiblesse d’un tel acte le révulsait.

Et pourtant Logan ne faisait pas mieux. Les mains crispées sur le rebord de la fenêtre, il frissonna sous la brise matinale. Rester là, à observer le monde sans le voir, se muer dans un silence assourdissant, débrancher de sa propre existence.. C’était sa manière à lui de lâcher prise. Sa façon de prendre des médicaments. Ensuite il avait songé à user de sa mort pour sauver son cousin.

“On trouvera un moyen” avait-elle dit. Malgré tout, si la mort n’était plus une porte, la vie ne lui en ouvrait pas davantage. Alors Logan restait là, simplement parce que le choix de la facilité n’était pas dans son ADN. Entre colère, inquiétude et amertume, l’homme ne savait que faire du cas Kezabel. Il savait que si elle lâchait, Sanae en ferait de même et lui avec. L’idée lui semblait bizarrement réconfortante. Et profondément insultante. Alors Logan se tenait loin de tout ça. Car à l’image des mots qu’il avait eu pour Hastings, en toute bonne foi… ce qui coulait en lui appelait bien plus souvent aux rivages putrides des enfers qu’à l’air salvateur de la surface.

***


Il ne l’aurait jamais exprimé s’il n’avait été seul. L’alcool roulait encore dans ses veines au réveil. La nuit lui avait mordu les nerfs mais quelle importance ? Sanae n’était pas là. Elle ne sentirait ni ne capterait les effluves de l’alcool. Il ne l’entraînerait pas avec elle : elle était avec Margo. Alors qu’importe. Une mauvaise nuit. Une mauvaise nuit ne faisait pas l’autre. Un mauvais jour ne ferait pas l’autre. Alors il balayait ça sans savoir véritablement vers où partait la poussière de ses insomnies.

Le monde ne tanguait pas, ne lui fracassait pas le crâne, ne pulsait pas dans ses tempes. Pour autant le bois sous la plante de ses pieds lui semblait ramolli, son corps un peu moins lourd. Le silence des lieux lui semblait ce matin-là d’un bon accueil lorsqu’il foula le carrelage de la cuisine. Les carreaux roses étaient encore là, les vieux meubles aussi. Sans vraiment y songer, il s’assit sur un des tabourets modernes ramenés par  Sanae qui juraient violemment avec le reste des lieux. D’un geste, Logan se pencha sur un magasine de décoration. Il y observa les photos. Les couleurs grises et blanches, les références, les plans de travail noir unis ou de marbre lustré. Les bars et les îlots centraux. Il nota l’habitude des moldus à casser les murs pour faire des grands espaces. A réutiliser des matériaux bruts comme de la pierre, des briques ou du bois. A cacher ou mettre en valeur l’électroménager dont il ne comprenait ni l’utilité ni le fonctionnement.
Fronçant des sourcils, Logan s’arrêta un instant sur le poêle à bois qu’il n’identifia pas immédiatement comme un reliquat de cheminée.

Et puis, lâcha un souffle sec, il fini par se tourner vers la vieille cuisine. Ses meubles de bois sombre, ses carreaux roses, le grand tétraèdre de métal qui surplombait les feux. D’ailleurs le feu sortait grâce à une bonbonne bleue branchée sous le plan de travail. Ça non plus, il n’avait jamais compris. Déjà que les plaques de verre chez Sanae le perturbaient mais ça…

Après tout, même quand il avait habité ici et là, avait voyagé, s’était établi un peu partout pour des besoins plus personnels… jamais il n’avait véritablement cherché à s’intégrer au monde moldu. A présent, cet univers s’imposait à lui et l’engloutissait tout entier. Après que le monde magique l’ait recraché.

Quelques heures plus tard, Sanae avait reçu un texto : "J'ai foutu en l'air ton garde manger moldu. Il faudra en racheter un."

Bien sûr ça allait à l’encontre de toute règle de sécurité. Et bien sûr ; c’était voulu.
Et il n’avait pas mieux compris comment le vieux frigo trouvé ici à leur arrivée fonctionnait.

***



Le roulement d’angoisse dans la gorge, les doigts crispés sur les draps. Présent et passés se mêlaient sans accepter une quelconque séparation franche. Paupières fermées, le souffle éteint dans sa poitrine, Logan laissait la brutale violence s’achever dans ses veines. Autour de lui, les sons de la maison étaient avalés par ceux de ses souvenirs. Ça grattait non loin de son oreille. Plus loin, quelqu’un hurlait. Ailleurs, il lui semblait percevoir la voix de Dorofei. Et puis, surtout, allait et venait le son lancinant d’un garde marchant dans les couloirs non loin des cachots. Chaque fois qu’une grille s’ouvrait, il semblait à Logan qu’elle était à l’opposé de ce qu’il attendait. Tantôt à droite, tantôt à gauche. Et chaque fois, un gémissement rance s’élevait. Alors lorsque les bruits se rapprochaient de sa geôle, il se sentait se tendre. Chaque fois, cette crispation éveillait le serpent de feu sous sa peau. Chaque fois il restait muet.

Mais cette putain de porte ne s’ouvrait pas.

Il en avait fini par espérer que le bourreau vienne. Ses lèvres s’étaient fendues à force d’attendre l’eau et de puiser celle des gouttes par le plafond lui offrait parfois. Sa peau tressaillait pourtant à chaque “plop” métallique, rendant insupportable le choc d’une goutte sur son épiderme. Par moment, il entendait, s’agrippait aux échanges, aux cris, aux suppliques. Et malgré tout, Logan en était venu à espérer que cette porte ne pivote dans ses gongs. Qu’elle s’ouvre. Qu’on lui fasse mal. Qu’on se moque, qu’on l’interroge, qu’on le teste ou qu’on l’humilie. Qu’importe tant qu’on l’arrachait à ses ténèbres. Alors il s’enfonçait plus profondément encore. Il creusait dans la surface de ses abysses, s’y écorchait l’âme de plonger plus loin encore, de se scinder, de s’oublier. Et les gouttes pour écorcher le corps que l’esprit n’entendait plus.

La gorge sèche, le front plissé d’une douleur fantôme, Logan était resté là. Les deux pieds plantés dans le vieux parquet, les doigts plantés dans ses cuisses. Ça pulsait si fort dans sa poitrine qu’il lui semblait que le reptile était de retour. Mais il n’était plus là-bas. Alors il suffisait d’attendre. De capter les sons, les textures, d’entendre les odeurs. Qu’importe si rien n’avait véritablement de sens.

Du monde il s’était coupé. Et puis, doucement, la sensation poisseuse de l’humidité sur sa peau avait laissé la place à celle de la sueur. Le contact des pierres sous ses pieds avait retrouvé la texture du parquet. Et le vide sous lui était devenu un matelas. A mesure des minutes ou des heures, les cris d’autrui s’étaient changés en respirations lentes d’une amie. Là, Logan s’était accroché. Alors le temps s’était étendu, dilaté, défait dans le réel. A un moment, il lui avait semblé entendre un bruit métallique. Ou peut être le tintement clair du verre qu’on cogne. Un frissonnement sale s’était répandu sur sa peau. Mais pour elle il ne pourrait pas être là. Pour lui, il n’y arrivait pas plus. Alors il s’était accroché à des sons qu’il ne percevait parfois plus tout à fait. Mêlés d’absurdes et d’horreur, ils s’étaient déliés dans le néant jusqu’à ce qu’enfin, à un moment indu, le bruit d’une porte qui claque ne frappe sa conscience. Elle avait juré et ce son s’était répercuté dans ses abîmes comme un caillou qu’on jette au fond d’un puis. Ce grognement agacé qu’on balance par peur de réveiller l’autre. Le bruit aurait tiré n’importe qui de son sommeil, aurait fait râler n’importe quel colocataire endormi. Lui, dans son immobilité de marbre, sourit pourtant.

Enfin, le monde retrouva une contenance plus tangible. L’odeur de renfermé glissa jusqu’à sa conscience, bientôt mêlée aux effluves de café. Allongeant ses doigts contre ses cuisses, Logan relâcha d’un coup son souffle, concentré sur les notes de pain grillé qu’il fini par attraper de la réalité. Doucement, sa bouche pâteuse revint avec les rainures du parquet sous la plante de ses pieds, les senteurs de poussière, la tapisserie en partie arrachée et roulée dans un coin et la sensation de l’air dans ses poumons.
Lorsqu’enfin, Logan se leva, enfila quelques affaires, il ne s’isola pas sous la douche. Bien au contraire. L’ancien directeur dévala l’escalier, ripa sur la dernière, esquiva le pot de peinture posé au coin des marches et passa dans le salon sans porter de regard au carrelage blanc stocké dans un coin pour remplacer l’horreur de la cuisine.

“ Si je résume bien, t’as fait toutes les activités du monde, mais par contre apprendre la discrétion ça a jamais été envisagé ?! ” La voix était rauque, le ton mordant, le sourire perçant. “ Passe-moi le café avant de râler. ”

Chacun des regards de Sanae fut ce matin-là une délivrance.

Sans savoir quel jour ils étaient, sans tout à fait avoir raccroché au monde, Logan s’était pourtant assis dans la cuisine en travaux, avait enroulé ses doigts blessés autour d’un mug, persuadé de ressentir la chaleur dans une chair pourtant absente. Et il avait mangé, parlé, ronchonné.


***


Par moment les lieux l’oppressaient. Il observait Sanae donner de son énergie pour en faire quelque chose, pour se l’approprier et malgré tout, ni l’ancien cottage ni sa version améliorée ne lui parlaient véritablement. Il était là, les mâchoires crispées à lui répondre de grognements inutiles tandis qu’elle évoquait une chose ou l’autre, incapable de s’y complaire ou d’y trouver un début de place. Sanae pourtant avait manifestement une vision; des idées. Pourquoi lui n’était jamais capable d’entrer dans un quotidien qui semblait pourtant inné pour tant de gens ? Pourquoi la perspective d’une tarte préparée lui semblait tout à la fois aussi absurde que la couleur d’un foutu plan de travail ?! Qu’est-ce qui déconnait si profondément pour qu’il bloque ainsi à la marge de la réalité des autres ? Il n’était pas ainsi avant.. Ou si ? Lorsqu’il était arrivé dans le bureau du directeur et qu’avec Ismaelle, ils avaient fait le tri des papiers et des affaires courantes, jamais il ne s’était dit qu’il lui faudrait changer la déco ou s’approprier l’endroit. Cette attitude datait donc. Et pourtant il ne lui avait jamais semblé être à ce point en décalage avec ce qui devait être une certaine forme de normalité.
Jusqu’ici il y avait toujours eu des urgences à gérer, du travail à accomplir, des taches à boucler. Il y avait toujours eu des choses derrière lesquelles se cacher. Et personne pour souligner les ruptures de son quotidien. Ses défaillances.

Se passant une main dans les cheveux, il en sentit chaque mèches se détacher sous ses doigts, observant du coin de l’œil Sanae travailler.

Les lèvres closes, Logan n’avait pas lâché un mot. Et puis, sans un bruit ni songer à prévenir, il s’était esquivé. Dans son dos, la jeune femme parlait sans se rendre compte de son départ. Verre à la main, Logan était sorti, s’asseyant un instant face à la forêt. Jamais il n’avait cherché à s’inclure dans un lieu car jamais il n’y avait été accueilli pour ce qu’il était. Il n’avait pas de rôle ici. Et cette situation était aussi pesante que nouvelle. Aussi étrange que libératrice. Mais cette dernière caractéristique, Logan ne la captait pas car elle existait encore dans une part de son existence à laquelle il n’était pas prêt à faire face.

Sa propre attitude l’agaçait. Ne savoir comment s’ancrer dans un lieu, dans un moment, dans une relation : comment exister quand on n’est pas capable de s’implanter par soi-même ? Comment en vouloir à qui que ce soit de ne le voir qu’au travers du prisme de l’utilité quand lui-même ne savait que faire de lui s’il s’agissait de simplement être soi ? Trop de question, trop de philosophie. Logan s’était levé, laissant le verre à peine entamé sur la vieille table piquetée de rouille qui avait sans doute vu bien trop d’hivers pluvieux.
Lèvres serrées, il était sorti de la propriété pour la première fois depuis son arrivée. Sous ses semelles, les branchages de la forêt attenante à la maison s’étaient mis à craquer. Durant de longues heures, l’homme était resté dans les bois. Lorsqu’il rentra, les pulsations de fatigue lui nouaient les muscles et sous le bras, le cylindre brun d’un tronçon de tronc d’arbre ballottait à chacun de ses pas. Les traits tendus, Logan se concentrait pour ne pas perdre la prise essentiellement magique. Il était entré sans faire de commentaire.
Contrairement à ce qu’il avait supposé, Sanae n’en fit pas non plus, centrant sa réponse à son attitude sur des gestes secs et le masque froid d’un silence agacé. Sans sembler le prendre pour lui, Logan referma la porte d’un geste, achevant de fermer la porte d’un mouvement de pivot, le talon accompagnant le battant. Sanae, enfarinée de poussière, les cheveux blanchis par les lourds travaux de la cuisine et la pose du plan de travail, eut alors un regard pour lui. Perplexe, les sourcils froncés, ses prunelles d’encre plantées sur le tronc, elle ne dit rien. Bien sûr, Logan eut conscience qu’il aurait dû exprimer quelque chose, lui donner les éléments dont elle avait clairement besoin. Il ne su pourtant que faire de ce silence entre eux. Coupable, oui, mais de quoi ?!

“ Je vais en faire… enfin je trouverai bien.” Affirma-t-il avait de monter à l’étage, son bout de tronc flottant devant lui.

C’était certes mal branlé son histoire mais il s’agissait en réalité de la première fois où Logan se décidait à réaliser quelque chose. Le premier pas vers la décision de s’ancrer dans cette maison qui n’était pas et ne serait jamais la sienne. Malgré lui et malgré toute la bonne volonté de Sanae, il n’était plus ni chez lui ni même chez elle. L’appartenance des lieux à la Garde lui pesait. Malgré tout, et au travers de son attitude antipathique et étrangement agressive, il y avait une bonne volonté derrière tout ça. Arrivé là-haut, il s’était posé dans la grande salle, avait dévisagé le fauteuil à peine travaillé.

Le rondin était resté bien des jours sur le côté de la pièce, tel quel. Et puis, un matin, il n’était plus ainsi. Dans le fond de la salle, l’écorce avait été pelée, le bois poncé, les sections affinées. Un autre jour, Sanae était passée, jetant un coup d’oeil au travers de la porte d’ordinaire fermée. Logan y était assis sur un tabouret, le rondin calé entre les jambes, un outil dans la main et des spasmes douloureux sur le visage. En silence, il avait creusé et poli chaque sillon, chaque rainure et chaque mamelon du bois. L’idée était d’en faire une de ces petites tables qu’on pose sur un côté d’une pièce. Un meuble “brut” dont le matériau est pourtant travaillé. Peut être y poserait-elle quelque chose. Vases, sculpture, coupelle pour poser ses clefs ou plante, qu’importe. L’idée… c’était de le mettre en bas. Parmi tous ces trucs dans lesquels il ne savait pas s’impliquer et ce, qu’importe le nombre de fois où Sanae lui posait la question de ses préférences.
Au fil du temps, cette simple table était devenue un défi pour lui. Des sorts, qui s’étaient enchaînés au début, n’était plus resté que le travail manuel rude d’un outil de métal dans les mains blessées d’un homme. Plusieurs fois, Logan avait lâché l’outil, tu sa douleur, tu sa rage, tu le mal-être de sentir le handicap sous sa chair. Pourtant, jour après jour, la petite table de bois brut s’était forgée.

Et puis, pendant des semaines, elle était restée dans un coin et Logan n’y avait plus fait allusion. Détournant la conversation à chaque instant, il avait cessé de travailler dessus. Pendant plusieurs jours, ses mains avaient tremblé seules. A chaque regard, il s’était éloigné jusqu’à ce que plus personne ne l’évoque.
Plus tard, il était passé sur le chantier du fauteuil sans plus de commentaire.



Lorsque Sanae était entrée dans la pièce ce jour-là, la musique de son père cessa d’emplir l’espace. Logan songea en silence qu’on aurait pu y voir là la volonté de son père de lui laisser un certain répit. Jusque là, il l’avait systématiquement relancé d’un sort balancé sans y songer. Cette fois-ci, Logan s’abstint, conscient du vide que la perte de son père avait laissé dans la vie de son amie. Le regard planté sur le mur d’en face, il observait en silence les briques apparentes du mur. Dans un coin, les écorces traînaient toujours. Et s’il s’en servait pour habiller une part d’un mur ? Un angle par exemple ? Comme si la forêt, remaniée par la main de l’homme, s’engageait en partie jusque chez… “eux”. Il avait vu cette idée dans l’un des cahiers d’inspiration de Sanae. Qu’il s’agisse de ça ou de la brique apparente, jamais Logan n’avait vu ça dans la moindre des bâtisses sangs purs. Ainsi il lui semblait avancer en plein brouillard. Aimait-il ? N’aimait-il pas ? Pourquoi n’avait-il jamais envisagé l’apparence du moindre lieu de vie ? Même gamin, malgré toute l’ambition qui lui bouffait les veines. Calquait-il ses projections sur les goûts d’un père qu’il exécrait pourtant ? Sans doute était-ce là la raison de son attrait soudain pour le père de Sanae. Dans ses silences s’ancrait des manques et des violences qu’il pensait balayer du dos de la main. Pourtant quelque chose ne semblait pas tout à fait coller. Ce qu’il n’avait jamais interroger trouvait une résonnante bizarre quand de l’esprit de Sanae, Logan se chargeait. Pourquoi ces différences entre eux ? Pourquoi était-elle en train de s’acharner quand lui, naturellement, se refusait à agir ? Ses émotions, ses souvenirs, ses doutes et ses forces, Rivers les connaissait tout comme il savait la solitude et la violence envers soi. Ils partageaient certaines expériences de vie, d’autres non et l’espace entre leurs ancrage dans l’instant l’interrogeait par moment.

« Tu t’intéresses à la musique maintenant ? Ou juste aux vieilleries? »  

Un demi-sourire en coin naquit sur ses lèvres, lui rappelant l’après-midi qu’il avait passé avec un boursoufflet chanteur le suivant à la trace pour lui chanter toutes les conneries possibles et imaginables. Une merde qu’Aileen avait enchanté pour le pister sans arrêt. Pourquoi ne pas avoir simplement fait imploser cette bestiole ?

“ Va savoir.. ;  je devrais peut être m’y mettre. ”

Une pointe acide perçait pourtant quelque part en lui sans savoir pourquoi.
Du coin de l’œil, il l’observa quitter l’encadrement de la porte en poussant du bout du pied l’une des tiges de métal qui dépassaient. Pour être honnête, Logan doutait de réussir à en faire quelque chose, mais il essaierait.
Un instant plus tard, Sanae s’était hissée sur la surface du bureau à sa gauche, libérant l’espace pour s’y logée, elle croisa les mains sur ses cuisses. Les pieds dans le vide, sa colocataire l’observait, l’analysait. Durant son existence, certains avaient agit discrètement, d’autres non. Rarement pour son bien. A cet instant, il lui sembla en être revenu à la maison en France, Sanae posée devant lui parfois en silence. Bien sûr, les raisons de ce comportement ne lui échappaient pas mais après tout, peut être n’avait-elle rien entendu ? Une réflexion bien sûr naïve mais après tout…
C’était sa pudeur qui parlait bien sûr. Car si aux informations l’histoire qui prévaudrait de cette nuit serait celle des deux cadavres supplémentaires à joncher les rives du Styx, Logan connaissait sa propre vérité. Il en avait lui-même parcouru les grèves toute la nuit durant. Celle-ci et bien d’autres. D’elle, il s’était extrait par la force et des teintes d’argent qu’avaient revêtus ses enfers, Logan avait peint le sang d’un autre. Elle, que retiendrait elle ? Le silence d’un homme dont les gestes s’étaient écrasés sur les murs de cette maison ?

Lui s’en souvenait à peine.

« Ça va ? » Elle hésitait, esquissait un sourire sans sembler réellement savoir vers où elle se dirigeait. Cette gêne le mettait tout autant mal à l’aise que le sujet qu’il devinait se profiler dans son esprit. Si ça allait ? Par moment Logan se rendait compte qu’il recommençait à moins manger, à perdre l’épaisseur musculaire difficilement retrouvée. Alors la faiblesse de son organisme le réveillait, le poussant à réagir. “Bien” ? “Bien” aurait été surestimer grandement son état. A vrai dire, il n’avait jamais été “bien” de son existence. Et surtout, personne ne lui avait jamais vraiment posé la question. « Tu es parti précipitamment hier soir... » Redressant le regard vers elle, Logan ne su que faire de cette affirmation. Effectivement, il s’était esquivé. Il avait fuit ses démons pour en trouver de bien réels. Ceux-là avaient vu leur existence brutalement écourtée. Sans doute aurait-il dû en sourire avidement. Après tout, le démon de nombre d’insomnies de ses ennemis… c’était lui. Le monstre du grenier. Celui qu’on enferme sans l’anéantir. Et pourtant planté là à savoir à quel point il tenait plus de la goule lamentable par instants que du monstre véritable, Logan ne pouvait que rejeter ce qui remuait ses sens. “Ça va ?” Une question bien banale pour beaucoup. Mais Sanae savait qu’avant le massacre, il y avait autre chose. Il y avait un être qui se débat, se traîne, se propulse hors du néant pour y échapper comme un gamin malmené. Une sensation nocive, poisseuse.

Logan détourna le regard pour le poser de nouveau sur le mur de briques. A droite, le tronc creusé, poncé, travaillé prenait la poussière. Il y avait dans son esprit bien des recoins où se couler.

“ Une affaire dont je devais m’occuper. ” La mort d’un homme ou la vie d’un bourreau, le destin d’une enfant hargneuse et naïve, voilà des “affaires” qui dans son prisme ne se classifiaient pas autrement.

“C'est pas mal ce que tu fais dans la cuisine. ça rend bien.” C’était sorti comme ça, sans qu’il ne sache s’il s’agissait d’une excuse pour détourner l’attention ou d’un moyen de placer là quelque chose qu’il voulait dire depuis longtemps sans savoir comment le faire.

Puis, il haussa des épaules sans sembler affecter par l’ensemble de ses pensées.

“La nuit d’un autre a été plus mauvaise que la mienne.” Ces mots lui avaient brûlé la langue.

Du coin de l’œil, il lécha son esprit sans en chercher les frontières. “Et toi ?” Ceux-là restèrent en sous-texte.
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Mer 2 Nov 2022 - 21:49
J’avais parfois l’impression de vivre avec un inconnu.
Cet homme qui vivait à mes côtés ne cessait de revêtir le masque du mystère, insaisissable ombre qui disparaissait avant de reparaître sans s’expliquer, sans jamais mettre de mots sur ce qui se jouait en lui. Il était tantôt l’étranger, tantôt la présence familière entremêlée à mon existence ; à la fois l’indéchiffrable et l’évidence. Deux extrêmes entre lesquels je jonglais sans pouvoir m’enlever la terrible sensation d’avoir fait cela toute ma vie. Je savais, bien sûr, ce qui devait être d’autant plus voyant de l’extérieur : Logan et mon père se ressemblaient. Beaucoup. Et la plupart du temps, je choisissais de l’ignorer. Je ne savais comment expliquer la peur qui me tenaillait le ventre à chaque similitude que je dressais entre eux mais elle était bien là, vive, et prétendre qu’elle n’existait pas m’aidait à l’endormir. Pour un temps, j’oubliais alors cette impression d’étrangeté, d’inconnu qui me séparait de Logan.

Plus le cottage prenait forme, plus nous arrivions à apprivoiser un nouveau quotidien. Il nous arrivait de nous disputer pendant une heure ou de ne pas nous parler du tout, n’échangeant que des regards ou des gestes devant la télévision ; parfois, une drôle d’énergie nous poussait à nous parler par hurlements d’un étage à l’autre sans jamais nous voir sourire mais en sachant pertinemment que c’était le cas. J’apprenais peu à peu ce qu’il aimait, ou ce qui l’irritait. Je ne remarquais alors pas tout de suite qu’il ouvrait toujours les fenêtres lorsque je cuisinais ; ou qu’il grimaçait et jetait des regards noirs vers moi quand j’ensorcelais la vaisselle et que le son des couverts et des assiettes se faisait trop fort ; de même, je m’irritais de le voir chauffer outre mesure tous les plats que je faisais. Il avait été particulièrement malheureux cet été face aux salades composées. Mais toutes ces choses, si petites et insignifiantes, devinrent rapidement ce qui distillait l’impression de vivre avec un inconnu. Je me mis sans le vouloir à retenir ses habitudes et à y implanter les miennes. Une vie singulière prenait forme entre nous et un quotidien naissait, chaotique.
Ce quotidien nous ressemblait. Instable, fragile, allant du silence à la cacophonie, du calme plat à la tempête. Comme nous. Nous. Ce mot était toujours étrange. Je savais que je l’acceptais mieux que Logan, que je le cherchais même en voulant éteindre le vide laissé en moi. Je m’y accrochais parfois trop fort et trop vite. Ce mot aurait sans doute mérité qu’on s’y arrête ensemble. Mais comment lui expliquer ? J’avais souvent l’impression d’avoir une longueur d’avance sur lui sur ces choses-là ; quand lui, était bien plus avancé, sur d’autres. Peut-être qu’un jour, je lui dirai que ce lien était ma seconde chance, la surprise que je ne croyais pas attendre, et que j’étais terrifiée de le laisser disparaître. C’était comme trouver une dernière allumette dans le noir. Inespérée petite chose que j’allumais et préservais des bourrasques en redoutant le moment où la flamme me brûlerait les doigts et s’éteindrait. Quant à lui, j’étais probablement son unique chance également de vivre un lien comme le nôtre. Je n’eus jamais la certitude qu’il le savait.

A vrai dire, il y avait des moments où j’étais persuadée qu’il s’en irait et que tous nos efforts seraient mis en pause jusqu’à son possible retour. A chaque étape que nous franchissions, j’imaginais son départ. Rapide, épidermique, silencieux. Il ne laisserait pas de mots, pas d’explications. Il s’évanouirait dans la nature et je serai laissée entre ces murs à me demander où il dormait, s’il mangeait, où il irait, et si un jour, il reviendrait. Si je n’avais pas si peur de la réponse, je me demanderais aussi si je lui manquais et si ce serait la raison de son retour. Dans les pires recoins de mon esprit, je me projetais dans cet abandon et j’en sentais immédiatement la déchirure ; je me surprenais alors à lui en vouloir dans le présent comme s’il était responsable de ce que mes peurs fermentaient en moi. La cruauté de ce scénario m’empêchait parfois de dormir. Et cela n’aidait en rien lorsqu’il décidait de véritablement disparaître pendant des heures sans jamais rien dire. Il l’avait pourtant parfois fait, laissant un petit mot, quelques syllabes synonymes de retour, mais il devenait impossible d’attendre ce geste de lui quand ses démons le poursuivaient. C’était ce que je croyais, du moins, sans en être sûre.

Tout n’était que théories. Je savais, pourtant, qu’en-dehors de mes ruminations malsaines, son affection m’apparaissait aussi nettement que les coupures de ses phalanges. Son envie de bien faire, ses efforts discrets et pudiques, sa façon de chercher mon regard, ou le simple fait qu’il était dans les parages même lorsque je me faisais changeante, me sautait au visage comme autant de preuves de notre lien. Je m’arrangeais pour passer autant de temps avec lui qu’avec d’autres, pour ne pas creuser la distance qui était parfois là ; je respectais le temps dont il avait besoin pour accepter ce que nous étions ensemble et pour livrer les secrets de ses pensées. Mais l’autre pendant de la patience était l’inaction totale et mortifère.

Si je ne décidais pas de nous faire avancer, nous n’avancions pas.
C’était un fait.

Je portais sur mes épaules tout le potentiel de notre relation. J’étais le moteur, bien malgré moi, de notre lien, et j’enclenchais bien souvent les grandes avancées. Je l’avais compris au fil du temps, quand dès que mon moteur s’éteignait, tout semblait s’écrouler entre nous. De ça, je ne lui en voulais pas. Il ne savait pas faire, n’avait ni la méthode, ni les codes. Alors, je me souvenais des paroles de Maxence et je tâchais de faire fonctionner notre équipe. Si j’étais le moteur, il était mon carburant, mon électricité. Peu importait de quoi j’étais faite, il m’aidait à nous faire avancer, à sa manière. J’avais besoin de savoir que j’existais pour lui, bien que je savais qu’il ne parlait jamais de moi à quiconque. L’idée me plaisait assez en vérité. J’étais son secret, il était le mien. Bien que Margo et Kezabel savaient que nous étions liés, leur incompréhension nous protégeait en quelque sorte de toute véritable intrusion. J’avais besoin, surtout, de ces moments privilégiés avec lui. Nos fusions, disparates dans le temps, me faisaient redoubler d’efforts et me donnaient de l’élan. Je nous croyais dans ces instants hors du réel, invincibles, immuables. Deux forces à la fois similaires et différentes. Complémentaires, peut-être. Je n’avouais pas qu’après l’effervescence de nos esprits en fusion, je faisais parfois semblant de m’endormir, trop épuisée par nos affrontements jouissifs pour regagner mon lit. Je voulais ces quelques minutes de plus, ce silence aux lourdes respirations, cette lente redescente, et la trace encore si vive et brûlante de son esprit dans le mien. Je gardais alors ma main sur son bras, ou mon dos contre son flanc, avide de ce contact qui donnait quelque chose de tangible à ce qui était d’ordinaire invisible. Je laissais traîner le moment, blessée de le voir se terminer.

Et il se terminait toujours. Les contacts physiques se faisaient alors rares. Logan n’était pas tactile, n’aimait pas être proches des autres et bien que je respectais cela, j’avais l’impression dans cette distance de faire partie de ces autres. Le même sentiment amer me prenait quand il ne parlait pas, ne confiait rien.

Ma patience s’amenuisait.

Voilà pourquoi je montai les marches ce jour-là avec la ferme intention de lui parler. En le trouvant dans son fauteuil, vieille habitude qui me rassurait, je souris. Ce truc en cuir avait du mal à retrouver sa jeunesse d’antan, des fils de fer s’en échappaient. Logan allait-il finalement l’abandonner comme le tronc d’arbre qu’il avait travaillé pendant de longues journées ? Il était dans un coin, poncé, transformé en une petite table qui demandait encore un peu de travail. Le bois prenait la poussière. C’était dommage. Je m’étais réjouie de le voir investit dans quelque chose, même si son apparition, un tronc d’arbre sous le bras, m’avait laissée perplexe. Etant donné qu’il refusait le soin de ses mains, cela lui avait servi de rééducation pendant un temps. Je l’avais vu s’acharner sur le bois, ses mains tremblant sous l’effort. Aussi troublante que cette vision avait été, j’avais été rassurée de le voir continuer. Il avait besoin de ça, de quelque chose de simple et de manuel pour l’extraire de son esprit, ne serait-ce que quelques heures, lui qui sortait si rarement et demeurait trop statique encore.

Je m’avançai jusqu’au bureau et m’y perchai, les jambes dans le vide, alors que Logan regardait le mur de pierres devant lui. Ma remarque le fit sourire. C’était la première fois que je le surprenais en train d’écouter de la musique. Il ressemblait presque à une personne ordinaire quand il faisait ça.

« Va savoir...je devrais peut être m’y mettre. » dit-il.

Que ce soit aux vieilleries ou à la musique, il commençait déjà en réalité à s’intéresser, à aller vers des choses peu familières ou du moins, qu’il n’avait peut être pas expérimenté depuis un moment. Sa reprise de l’exercice physique en avait attesté quelques temps auparavant, mais jusque-là, toute activité était une impulsion qui ne durait guère sur le long terme. Je me risquai alors à lui poser une question qui parut, même à moi, étrange et absurde. Allait-il bien ? Qui allait bien dans ce pays de toute façon ? J’avais conscience que ma question devait lui paraître idiote ; on ne se la posait jamais. Je crois que c’est une erreur. On devrait se le demander parfois, et peut-être que la formulation était maladroite : j’aurais plutôt du lui dire « A quel point ça va mal ? ». A quel point souffrait-il ? Je voulais pouvoir faire quelque chose et éviter de l’imaginer pendu dans notre salle de bains. Oui, j’aurais aimé arrêter d’y penser, pour lui ou pour Kezabel, mais je n’y arrivais pas. Mon esprit me prenait en embuscade au moindre signe de souffrance de l’autre. Tout devenait alors synonyme de mort.

« Tu es parti précipitamment hier soir... »
dis-je alors. Cette fois-ci, son regard se redressa vers moi. Je ne sus quoi y lire. Le prenais-je de court ? Il devait bien se douter que je lui poserai la question un jour. Peut-être pas, à vrai dire, puisque nous évitions toujours ces sujets-là. Soudainement, c’était lui que je prenais en embuscade. Mais j’avais besoin de réponse.

Il détourna les yeux et l’acier rejoignit la brique. Je pinçai les lèvres, en mordit une.

« Une affaire dont je devais m’occuper. » dit-il simplement. Je levai un sourcil. Mais au fond, cette explication lacunaire lui ressemblait bien. De quelle affaire parlait-il ? S’agissait-il d’Alec ? J’espérais que si c’était le cas, il m’en parlerait. Avant que je n’ai eu le temps de répondre, il poursuivit. « C’est pas mal ce que tu fais dans la cuisine, ça rend bien. » J’eus comme un sursaut au fond du ventre. La surprise me prenait davantage que pour ses paroles précédentes. D’ordinaire, je n’arrivais jamais à savoir si les transformations du cottage lui plaisaient. Il ne commentait jamais, n’affichait que peu de réaction face aux travaux. C’était d’ailleurs souvent l’objet de nos disputes ces derniers temps. Alors ce commentaire sur la cuisine pouvait paraître futile mais j’en éprouvai immédiatement de la joie. Peut-être n’était-ce là qu’une façon de détourner la conversation mais je le voyais mal mentir sur ça. Si la cuisine lui avait déplu, il aurait tout aussi bien pu changer de sujet par une critique bien salée.

« Merci. » soufflai-je. La pudeur me prenait comme une vague balayait le sable.

Il haussa les épaules. Pendant quelques secondes, le silence emplit l’espace du bureau. Je gardai mon regard sur les contours de son visage tourné vers le mur de briques. Il me semblait que ses pensées l’envahissaient à nouveau. Enfin, il sembla revenir à ma première réflexion.

« La nuit d’un autre a été plus mauvaise que la mienne. »

Mes mains sur le rebord du bureau en bois s’agrippèrent un peu plus alors que je me repositionnai, m’avançant légèrement, par réflexe, comme si je me penchai vers lui. La nuit d’un autre ? Qui était cet autre ? Je compris, bien sûr, le sous-entendu. Il n’était pas subtile. Je regardai ses mains mais n’y vit aucune nouvelle trace de coups ou de sang. Que s’était-il donc passé la nuit dernière ? Les sourcils froncés, je me tendais en dressant des théories. Ce fut son regard perçant, lancé de biais, qui me fit relever les yeux vers lui. Son esprit lécha les contours du mien et je me détendis. Il faisait toujours cela quand il cherchait à savoir, à comprendre quelque chose en moi. Etait-ce sa version d’un ça va ? Je n’y pensais pas. Du moins, je ne voulais pas répondre. Je voulais parler de lui. Pas de moi.

« C’était ça ta mystérieuse affaire : des comptes à régler ? »
demandai-je, le front plissé. C’était une première. D’habitude, j’évitais toute question. Aujourd’hui, je n’avais pas le coeur à me taire. Etait-ce ce genre d’affaire dont il parlait ? Une vengeance ? Quelqu’un l’avait donc appelé hier soir, l’amenant à quitter la maison ? L’avait-on prévenu de la présence de cet autre qui avait semblait-il subi son courroux ? « J’imagine que tu ne comptes pas me mettre dans la confidence ? »




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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Jeu 10 Nov 2022 - 12:52
Entre fusion et solitude, les deux colocataires fonctionnaient en passant sans cesse d’un extrême à l’autre. Aucune zone grise alors qu’ils en étaient constitués. Le passage incessant d’un pôle au second, d’une binarité profondément stricte. Soit ils se mêlaient jusqu’à en perdre leur âme dans celle de l’autre, soit ils vivaient à distance. A chaque fois, il y avait ce temps de bascule. Ce regard, cette latence, ce moment suspendu pendant lequel l’un allait vers l’autre. Un détail suffisait pour changer le grain de l’atmosphère, pour faire souffler l’air différemment. Bientôt le chuchotement deviendrait tempête et les mots glissés dans les silences se changeraient en hurlements.
Qu’est-ce qui enclenchait la bascule ? Un tempo particulier ? Quelques pensées décisives ? Un besoin profond ? Qu’est-ce qui faisait qu’à un moment la distance était acceptable et qu’à l’autre elle devenait une offense invivable ?

Logan n’avait pas vu venir l’instant. Il avait bien senti certaines poussées dans son esprit, certaines latences lorsque Sanae et lui partageaient le contact. Comme si elle observait un peu mieux. A la manière d’une personne qui passerait chaque jour devant une peinture et s’arrêterait un jour persuadée d’y avoir vu quelque chose de différent mais sans jamais vraiment trouver où lui vient cette étrange impression. Le grain, peut être. Plus rugueux un jour, moins lisse. La manière d’accrocher la lumière. La texture ou les reliefs.

A l’observer aujourd’hui, captant les inflexions de sa voix et la manière dont elle amenait un sujet pourtant jamais abordé, Logan se plongeait dans cette impression étrange de l’observer à son tour comme on regarde une toile familière. Qu’est-ce qui était passé pour en changer les contours ? Logan savait, bien sûr. Pour autant les affrontements de la nuit restaient siens. Jamais rien ne tremblait hors des murailles. Jamais il ne laissait la marque de ses faiblesses réintégrer le monde réel. C’était là sa manière de garder un contrôle sur la violence avec laquelle ces souvenirs le noyaient par moment jusqu’à l’amener à confondre le réel du passé.

C’était ce qu’elle cherchait. Mais Logan l’ignorait.

Lui percevait la sensation de mise à nu. Une part de lui avait simplement espéré mettre un terme à ce qui s’était passé la veille. Laisser les cauchemars disparaître dans les ténèbres. Le combat était le sien, marqué d’épuisement et d’anciennes plaies. Un affrontement qu’il gardait au sein de ses murailles sans vouloir le partager. Admettre ses mauvaises passes, laisser percevoir chaque instant où il perdait le fil, laissait les ennemis s’infiltrer dans sa psychée jusqu’à le contraindre à la peur… c’était à lui. Une faiblesse qu’il n’acceptait pas de laisser prendre le pas sur le réel. Les crises étaient moins fréquentes, Logan avait appris à les gérer depuis longtemps, appris à laisser le moment passer, à ne pas se laisser entraîner par les dérives de son esprit. Il n’en avait jamais été vraiment victime, ne se laissait pas bouffer. Et pourtant elles existaient toujours. Lorsqu’il aurait passé le cap de l’année passée depuis sa libération, ses démons seraient-ils toujours là ? Lui qui riait au visage de  ses ennemis tentant chaque jour de le briser, de l’amener à parler, de faire céder les digues de son esprit … riraient-ils à leur tour de le savoir encore marqué par ses mois de détention ? Comprendre que leur impact avait été réel. “Qu’importe si tu sors, tu ne seras plus jamais le même” lui avait-on dit un jour. À ça, il avait sourit, les gencives en sang et l’oeil fou. Qu’importe oui.

Cet homme là n’était plus.

Alors qu’importe ce qui s’était passé la nuit précédente. Qu’importe les questions sous-jacentes, il était vivant, lui pas. On lui avait dit qu’il y aurait d’autres options que sa mort, alors il trouvait des chemins détournés. A sa manière, Logan restait debout, là où même son esprit voulait le ramener dans les geôles humides de sa déchéance. Voilà la seule chose à laquelle il cherchait à se raccrocher. La seule chose qui importait.
Ainsi ces questions lui semblaient simplement sans importance. A aucun moment Logan n’imagina ce qu’elles pouvaient dissimuler comme inquiétudes. A ses yeux elles n’étaient qu’une volonté de contrôle, un besoin de compréhension qui lui échappait, une forme d’intrusion même. Mais certainement pas de l’affect. Pourtant il aurait dû savoir, comprendre, connaître ce qui gonflait dans l’esprit de son amie. Il savait. Mais savoir n’est pas admettre. Savoir n’est pas concevoir. Et encore moins lutter contre les premières pensées.
Pour autant, là où il aurait pu agir en violence ou en rejet, Logan ne cherchait aujourd’hui aucun affrontement. Ses veines étaient gorgées de sang, il avait eu son dû, avait apaisé le mal qui grouillait en lui. Aujourd’hui était une autre journée, aujourd’hui n’était malmené d’aucun démon.

Bien au contraire, l’ancien directeur créait du lien là où il n’y en avait pas. Droit vers un homme qu’il ne connaissait qu’au travers du prisme de sa fille. Un homme dont il avait infiltré une part des souvenirs, des brides de mémoire, de fantômes d’émotions. Un homme qui lui semblait aussi familier qu’étranger. Ce père qui le rendait à la fois envieux et cynique, en colère et reconnaissant. Un homme dont il ne savait que faire mais dont l’existence même attisait sa curiosité. Dans le fond, Logan ne savait si la forme de tristesse qui s’était introduite en lui sans prendre gare appartenait à Sanae ou lui revenait. Celui qu’il avait d’abord perçu en geôlier de ce qu’aurait pu être une femme qu’il avait compris avant de l’estimer puis de l’aimer … semblait lui manquer. Pas comme on manque à un proche mais comme une opportunité loupée, une possibilité avortée. Il était l’un de ces tournants modestes et voilés. Ceux qu’on ne perçoit qu’une fois perdus de vue. Il aurait aimé le connaître, le décortiquer, l’affronter. Ainsi dans l’esprit de son amie, Logan se perdait parfois à la recherche de son passé, extrait trop vite pour redevenir marrée, incertain d’assumer cette curiosité qu’il voulait discrète. Lorsqu’elle la concernait elle, il n’y avait à ses yeux aucun problème à ça ; mais plus le temps passait, plus son intérêt sur ces liens se faisait tangible.

Or le moment n’était pas le bon.
Ainsi l’ancien directeur refusait de laisser ses propres intérêts venir heurter celle qu’il estimait trop pour la meurtrir. Il n’aurait de toute manière pas su formuler ses interrogations.

Esquissant un léger sourire aux remerciements timides de Sanae, Logan laissa l’instant se perdre, ne cherchant pas à insister. Avare de compliments, il lâchait aujourd’hui une vérité tant par sincérité que par une forme de manipulation. Ainsi n’éloignant pas réellement le sujet initial puisqu’il y revint rapidement, une part de lui espérait sans doute ne pas avoir besoin de s’y étendre. Comme si cette miette suffirait à combler un manque qu’il sentait sans vouloir l’admettre.

Pourtant au froncement de sourcils qui lui répondit, l’homme compris qu’il n’y couperait pas. Cette nuit ne se perdrait pas dans ses ombres.

« C’était ça ta mystérieuse affaire : des comptes à régler ? » Et pourquoi pas ? « J’imagine que tu ne comptes pas me mettre dans la confidence ? »

Pourquoi y serais-tu ? De quel droit t’imposer dans une existence qui n’est pas la tienne, de vouloir contrôler ce qui ne t’appartient pas, d’orienter ce qui n’est pas tien ? De quel droit tes nuits sabordées resteraient secrètes quant les miennes devraient périr en place publique  ?

En lâchant un petit soupir sec, Logan redressa seulement le visage, basculant son menton sur la gauche et plissant les paupières. Sanae avait toujours eut ce besoin profond et immuable de contrôler ce qui lui échappait. De mettre de l’ordre. Comme si une fois son environnement aligné, les anomalies en deviendraient soudainement aisément remédiables. Or Logan était et serait à jamais une foutue anomalie. Le genre qu’elle ne pourrait réparer aussi aisément qu’elle semblait en avoir envie.

“Tu me fais le sous-texte ?” Répondit-il seulement en pinçant les lèvres. Bien sûr, il aurait pu l’envoyer chier, se braquer, invectiver. Pourtant la dynamique qui se mettait en place au fil du temps l’amenait à essayer d’autres chemins. S’il comprenait bien souvent l’humain avant d’agir, certains mécanismes lui échappaient et seule la légilimencie lui permettait de découvrir ses fausses routes. De comprendre les sentiments sous-jacent, d’extraire la manipulation ou l’utilisation sous les faux semblants mais aussi de faire le chemin inverse. De comprendre l’émotion sous le contrôle.

Elle soupira ; Logan plissa le front ; se redressa ; il bascula légèrement en arrière sur le dossier du fauteuil qui grinça.

"Le sous-texte c'est que je suis toujours dans l'ombre.”Un souffle sec et amusé s’extrait sans qu’il ne lui coupe la parole. Elle, dans l’ombre ? Quand il n’avait pas le moindre début d’existence en dehors de ce qui existait ici, au sein de cette vieille baraque bouffée par les mites ? “ Je te demande pas de me confier de grands secrets Logan, mais tu es parti d'un seul coup sans me répondre alors que je tapais à la porte. D'habitude je dis trop rien, mais cette fois-ci je veux savoir."

Là où la colère s’était insinuée, elle fut soufflée brusquement lorsque Sanae évoqua ce qu’elle ne lui demandait pas. Un nouveau coup pour l’enterrer à l’entendre évoquer le fait qu’elle ait cogné à la porte la veille. L’avait-elle fait ? Tout lui semblait si confus, bardé d’ombres crépitantes, de souvenirs tronqués, de réalités déphasées. Seule la suite gagnait en clarté. L’air frais perçait des trous dans la brume ; puis la colère, la traque, le sang. Là la proie était devenue prédateur. Là seulement Logan avait retrouvé le contrôle sur les évènements.

Un moment il resta silencieux, le regard porté sur Sanae, partagé entre son rejet primal et la connaissance des émotions qu’il avait largement assez visité pour les deviner. C’était un fait, elle partageait tout ou presque et lui ne lui avait donné que quelques miettes. De son esprit elle connaissait quelques images, quelques scènes. Elle happait une part des émotions qu’il acceptait de laisser filtrer, noyées dans une puissance derrière laquelle l’homme se cachait bien autant que le monstre. Ces reproches n’étaient pas nouveaux. Pourtant la voix n’en était pas porteuse. Ou bien simplement évoluait-il différemment ? Qu’importe, ses sourcils se froncèrent, cherchant à capter ce qu’il y avait dans ces réflexions. Des blâmes, Logan en éprouvait une forme de colère brusque. Mais du manque….

L’esprit qui l’effleurait déjà l’enveloppa tout à fait. Il serpenta autour d’elle comme une demande d’autorisation pour capter ce qu’il existait véritablement en elle. Plutôt que de frapper par première intention, l’homme cherchait autre chose. Une vérité qu’il connaissait déjà car il la ressentait de la même manière. Le rejet, l’isolement, la peur de n’appartenir à rien de ce que vit l’autre. Est-ce qu’elle lui confierait un jour ce qu’il avait déjà compris sans la forcer à prononcer ces mots, sans chercher à déterrer ce que son esprit ne placardait pas à sa conscience ? Dirait-elle ce qu’elle cachait ici et là, évoquerait-elle vers qui elle se tournait pour parler de ça quand il en restait étranger, pourtant mêlé à son quotidien ? Parlerait-elle de ce qui manquait, des peurs qui la dévoraient, de ceux qu’elle aimait ?

En partie bien sûr. Mais voilà, il était là en bon maniaque qu’il était à vouloir avoir accès à ce qui lui manquait. Maxence lui avait dit un jour que ce qui provoque notre colère chez les autres en dit souvent plus sur nous que sur eux ; quelque chose du genre. Amusant de constater que ce qu’ils portaient de rancœur et de manque avait un échos systématique chez l’un et l’autre. Or si elle ne lui demandait pas de grands secrets, les salles du temple étaient vides et sans lumière, désertées tandis qu’il y avait inséré quelques fois des brides de souvenir avant de les effacer, s’esquivant à l’instant ou leurs esprits se rencontraient.

S’il ne donnait rien, comment prétendre à prendre ? Que leur relation manque d’échange équivalent, Logan pouvait l’admettre sur certains plans. Celui-ci en était un.
Alors il avait besoin de ça, d’attraper si ce n’était ses ressentis mais du moins de lier le contact. Sentir cette sensation, l’effleurer, la comprendre réelle. Communiquer de cette manière qu’eux seuls pouvaient comprendre.

Alors sans délier les lèvres, Logan fini par baisser le regard avant de se lever. De quelques pas lâches il rejoint le coin de la pièce, là où trop de matériaux et d’outils avaient été stockés. Sans être lourde, la démarche n’était pas badine. Ses bras ballaient, les épaules basses et les gestes lents. Sans poser tout à fait le genou à terre, Logan ramassa une brochure et lorsqu’il revint près d’elle, laissa tomber le journal londonien à plat sur le bureau. La photographie mouvante avait été couverte mais le titre était bien lisible “un mort chez les Rivers, aucun indice mais un suspect évident”. Quel meilleur moyen de retrouver un criminel que de traquer le visage de ceux qui se pencheront sur les articles le concernant ? Une technique dont son oncle avait déjà parlé en repas de famille ; pas que Logan y ait assisté mais les murs ont des oreilles.

Surtout ceux des grandes familles. Aux petits bâtards.

Logan n’y prêta pas un regard, seulement une pensée. Celle que même de ça il n’avait jamais fait référence. L’instant suivant ses prunelles retrouvaient l’encre de son autre, l’envahissant sans violence.
Il projetait, attrapait ses ressentis, les appelaient jusqu’à se faire tourbillon pour l’aspirer à lui. Plus une invitation qu’une véritable brusquerie, Logan se chargeait de sentiments de rejet et d’isolement qui n’étaient pas les siens mais résonnaient avec ce qu’il gardait sous silence. Dans le fond, il y avait dans le cyclone une main tendue comme on prendrait celle d’un enfant. Il la happait, l’emportait, l’attirait finalement à lui comme un danseur se saisit de la hanche de sa partenaire. La tempête se changeait alors en vertige et lorsque tout cessait, ils s’étaient échoués. L’un l’autre au bas des marches noyées de ténèbres. Pour l’heure, seul le sol était perceptible. Les grains roulaient sous les semelles, les dalles rugueuses accrochaient le pied. Et de marches en marches, ce qui semblait avoir cessé d’exister prit vit.

Peu à peu, la lumière perça les hauts feuillages et inonda la forêt d’un vert d’abord pastel puis de plus en plus sombre. Les troncs vertigineux tendus vers le ciel comme le seraient les mats d’un bateau encadraient l’escalier qui grimpait droit devant. De part et d’autre, de petites maisons des esprits bordaient le chemin, paisiblement perchées sur leur piédestal.
En haut de la côte, l’escalier de pierre laissa place à un sentier de terre sur lequel de larges dalles de bois amenait au temple Shintoïste. La voie des dieux. La part de spiritualité qui se centre sur le respect et la communion avec les esprits de la nature. Serait-ce injurieux de la part de quelqu’un qui n’avait jamais ni grandit ni eut accès à la moindre part de cette culture que de se sentir comme l’un d’eux. Non pas l’un des disciples, mais l’un des esprits. Un Yokaï, esprit de la nature, puissance brute, être impossible à cerner, tantôt synonyme de violence, tantôt simple force intangible. Parfois il lui semblait que le vampire qui portait ce nom et qui l’avait longtemps protégé lors des premiers interrogatoires qu’il avait pu subir… n’avait en vérité jamais existé. Celui qui l’avait rapproché d’Aileen en premier lieu, celui qui avait fait coulé le sang mais permis … d’être simplement autre chose. Autre chose pour quelqu’un.

Cette pensée coula en lui et dans les feuilles, quelque part autour, le vent se chargea de reflets. Impossibles à vraiment cerner, mués dans les branches existaient pourtant les premiers mots chargés d’un ton plus vibrant, les regards qui s’attardent, la peur, la rage, la vie. Des brides déchirées, impossibles à vraiment interpréter ni même à saisir. Des couleuvres qui vous échappent à peine avez-vous posé le regard sur elles. Dans le son mat des pas qui les rapprochaient des hauts murs rouges, un battement de cœur se distingua durant quelques secondes.

Des murs rouges et fins, qui pourraient bien vibrer sous le coup d’une bourrasque.

Le rouge fait au Japon référence à la carté. La complétion. Vous le saviez, vous ? Lui le sait.

Derrière eux, le torii indiquant l’entrée du sanctuaire disparaissait. Quelle avait été la sensation de la jeune femme la première fois qu’elle l’avait franchit accompagnée de son père ? Quelle était la sienne à présent ? Mais Logan refusait de voir, partageant l’instant tout autant qu’il s’en préservait.

L’énergie spirituelle. Le sang. Le feu. D’avantage d’émotions que d’idées véritables.

Lorsque les portes s’ouvrirent, elles l’attiraient mais il resta en arrière. De ces maux il ne s’en chargerait pas de nouveau.

Là-bas, les démons mordraient de nouveau. Là-bas, les gouttes d’eau écrasées sur les pierres humides résonneront de nouveau et empliront l’espace. La porte de la cellule grincerait de nouveau sans jamais s’ouvrir car on se jouerait de lui. On ne lui donnerait aucun repère, aucune habitude. Tout viendrait pour le prendre par surprise. La faim, la soif, la douleur et la folie jusqu’à ce que rien de tout ça ne prenne d’autre forme qu’une accoutumance malsaine. Elle n’aurait pas accès à grand chose car lui-même avant tant scindé ces moments, brisant son esprit de milles parcelles que le réel n’aurait plus de véritable impact. Alors il ne rentrerait pas. Il ne verrait pas l’homme que l’horreur réveille en sursaut la peau couverte de sueur, les chimères que l’esprit projette dans le néant, les douleurs immondes et pourtant fantômes, les échos du passé dans ses tympans. Elle le verrait assis sur le bord du lit jusqu’à reprendre le contrôle, capter le monde, le sol, ouvrir ses sens au réel. Elle le verrait maîtriser son enfer, lui interdire la gouverne de sa psychée, fermer la porte à la panique et au dégoût. Elle ne verrait pas un homme brisé mais distinguerait bien les doigts portés sur sa gorge prêts à l’étouffer. Et puis la douleur pulserait de nouveau dans sa chair, elle frapperait les murs et l’oxygène comme si rien d’autre n’existait que ça dans une geôle qui n’existait pourtant plus. Et ne le verrait pas sourciller. Elle entendrait les battements de coeur prendre le dessus jusqu’à ce que l’humidité laisse place à la normalité, que les gouttes cessent de suinter du plafond et de s’échouer sur sa peau dans une douleur absurde, que des murs cessent de pleurer des êtres dont elle ne verrait jamais le visage. Là, elle le verrait se lever, passer la porte de sa chambre, ouvrir celle de la salle de bain sans rien percevoir d’autre qu’une porte dont la couleur n’était pas la bonne. Puis l’eau, l’eau qui purifie l’âme, concentre les sens, appelle le présent. Tout serait embrouillé pourtant. Jusqu’à ce qu’il disparaisse. Jusqu’à ce que le souvenir change de décor. Jusqu’à ce que l’air glacial de Londres ne se plante dans sa chair sans qu’il ne soit certain que ça ait un véritable sens. Elle verrait l’homme, enfin. Jamais Hailey car la vampire n’avait pas sa place ici. Juste l’homme. Et à son visage se substituerait bien des sourires, bien des mots, bien des maux. Elle comprendrait, entendrait jusque dans son timbre celui d’un homme qu’elle n’avait pourtant jamais vraiment perçu dans les dérives d’un esprit qui ne serait jamais le sien. Car Logan ne donnerait pas accès aux instants où son corps s’était brisé de douleur, où il lui avait semblé le broyer comme il broierait un jour ces gens. Parce que ça lui appartenait, parce qu’il ne voulait pas qu’on le perçoive ainsi, parce qu’il avait peur, aussi, de l’impact d’un tel moment.

Et puis elle verrait cet homme tomber. La gueule en sang, le cou vermeil, les genoux au sol. Comme on prie un dieu de l’épargner. Mais il n’y avait cette nuit-là que deux bêtes. La première avait lancé la seconde sur cet être misérable.

Yokaï. Le monstre. L’esprit malfaisant. Le démon ou le spectre.

Logan décidait de retenir une part seulement de la définition. Celle qui avait amené l’autre à plier quand lui avait au fil de la nuit retrouvé ses esprit. Ainsi les rires du bourreau frapperaient un instant les murs, vite changés en glapissements humides jusqu’à ce que le vide ne se charge d’ocre. Et qu’il ne reste du bourreau et de la victime qu’un homme debout.

Le rouge, toujours.

Cet homme l’attendrait devant l’entrée du temple. Et dans son esprit comme dans la réalité, quelques mots s’échoueraient de ses lèvres.

“J’t’ai pas entendue toquer.”
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M. Logan Rivers
Lun 21 Nov 2022 - 23:39


Il y avait un temple déserté entre nous. Vide de substance. J’avais espéré que cet espace dédié à nos secrets serait investit par une soudaine envie de partage. L’idée semblait avoir été fugace du côté de Logan. Il avait créé en lui ce lieu pour me le donner, nous le dédier, et dans ce geste, il avait ouvert la porte des possibles, rétablit l’espoir de se lier au complet. Mais le temple était simplement devenu un désir abandonné, un espoir éteint. Je le sillonnais parfois dans une errance vertigineuse qui m’emmenait toujours vers une cruelle déception. Je n’en comprenais pas l’injustice. Etait-ce mes erreurs qui rendaient ce ventre stérile ? Etait-ce pour toutes les fois où je n’avais pas partagé avec lui, où j’avais laissé s’installer la distance ? Etais-je punie pour un quelconque manquement envers lui ? Si oui, la punition était au-delà du crime. Il ne pouvait pas savoir à quel point j’en souffrais.

Mais j’en avais déduis quelque chose d’important. S’il me voyait moi, il ne nous voyait pas, nous. Lui et moi. Cette notion lui demeurait étrangère car il ne voulait pas la comprendre, pas la voir. Ne voulait...ne pouvait…les deux se trouvaient si étroitement intriqués que je n’arrivais pas à les hiérarchiser. Le résultat était le même : il ne nous voyait pas comme un tout. Pourtant, j’étais sûre qu’il le ressentait ainsi lorsque nous fusionnions. Nous étions alors un ensemble, un seul corps, un seul flux de magie, un seul esprit embrouillé, un seul souffle, un seul désir. Un tout étrange et qui n’existait pas ailleurs mais qui existait, pour quelques minutes et quelques langueurs. L’instant fini,  il nous dissociait brutalement et nous existions chacun de notre côté. Il retournait à son déni et je plongeai dans la frustration muette d’être seulement moi. Je découvrais une autre forme de solitude.  Celle d’être avec ce qui me manquait depuis si longtemps et de ne pas y avoir accès. Cette solitude se confondait à celle qui me tordait de douleur chaque jour depuis l’absence de mon père.

Je résistais à l’envie de le secouer pour lui faire entendre raison. Il n’avait pas compris que j’étais son conte d’avertissement. Ma souffrance et mon deuil étaient le futur qu’il aurait s’il ne se réveillait pas de son entêtement. Un jour, je ne serai plus et il serait en proie aux mêmes questionnements, aux mêmes regrets, au même vide que moi, à imaginer un regard qui n’était plus, à chercher dans les fracas du monde une voix qui ne se ferait plus entendre, et à s’attacher à une empreinte qui ne serait jamais plus ravivée. Et si c’était lui qui partait en premier, je serai par deux fois achevée, par deux fois amputée. Peut-être était-ce pour cela qu’il refusait de voir et d’entendre.

Avec un peu plus de sagesse, j’aurais pu le laisser dans ce déni réconfortant. Mais je n’étais ni sage, ni vraiment patiente. Je tentais de l’être, pour lui. Il suffisait pourtant que l’angoisse se fasse trop forte pour me donner le sursaut, celui qui me poussait à le confronter, qui m’emmenait jusqu’à lui pour demander des réponses. Toujours des réponses.

Là, assis dans son fauteuil comme si sa peau s’y était cimentée, Logan tourna son visage vers moi. Sa tête était de côté, son regard droit dans le mien mais dans la légère plissure de ses paupières je crus distinguer une irritation lassée. Si je n’avais pas bien compris, son soupire sec me le confirma.  « Tu me fais le sous-texte ? » Il n’était plus temps de reculer. Je me redressai. « Le sous-texte, c’est que je suis toujours dans l’ombre. » dis-je dans une expiration. A nouveau un soupire sec. Il contenait toute son aigreur dans ce souffle rejeté brutalement. Il m’irrita plus efficacement que des ongles sur de l’ardoise. « Je te demande pas de me confier de grands secrets Logan, mais tu es parti d'un seul coup sans me répondre alors que je tapais à la porte. D'habitude je dis trop rien, mais cette fois-ci je veux savoir. » Il y eut un instant de silence qui se prolongea trop à mon goût. Car à l’intérieur de ce silence, c’était l’ignorance qui s’installait. Qu’y avait-il derrière son regard fixé sur moi ? Qu’est-ce qui se cachait derrière la surface froide et figée de son visage ?

J’accueillis avec soulagement son froncement de sourcils. Au moins, ça, je pouvais le lire. Le vide, en revanche, était une langue jamais traduite. Il ne comprenait pas, cherchait peut-être dans ses propres réflexions, lui aussi, des réponses. Alors, comme toujours lorsque nous n’arrivions pas à nous comprendre, il étendit son esprit au mien. Et je respirai un peu mieux. Il m’enveloppa, rôda autour de moi pour me demander une autorisation qu’il avait déjà. Mais enfin, il demandait, et je savais que c’était quelque chose de précieux. Je le laissai faire, ce terrain était déjà conquis depuis longtemps.

Logan finit par détourner les yeux, laissant son regard retomber par terre, avant de se lever et de faire quelques pas. Dans le coin de la pièce, parmi des outils et des matériaux, il prit une gazette que je n’avais pas remarquée. Je le regardai faire sans rien dire, le coeur suspendu. Ses gestes étaient lents, trop lents. J’aurais presque voulu lui prendre ce journal des mains pour assouvir ma curiosité. Il revint vers moi et jeta la gazette sur le bureau. Du bout des doigts, je la tournai dans le bon sens. La photographie avait été dissimulée mais le gros titre, en gras, m’apparut pleinement. « Un mort chez les Rivers, aucun indice mais un suspect évident. » Quelque chose s’agita en moi. Je relevai le regard et le sien m’attendait déjà. Les sourcils levés, la surprise sur mes traits, je cherchai dans ses prunelles une confirmation. Etait-ce ça ? Etait-ce la raison pour laquelle il était sorti hier soir ? Je ne faisais pas attention à la date, je n’avais vu que le titre, et je reliai logiquement son geste à mes questions. Qui avait-il tué ? Un membre de sa famille ? Non, le titre aurait été différent. Qui, alors ?

Je délaissa mes questions. Car déjà, son esprit happait le mien. Plus, il m’attrapait au vol, se chargeait de ce qui était moi et m’emportait avec lui. En lui. Une autre sorte de sursaut me prit. Je sentis le bois du bureau plus fortement entre mes mains. Je le serrai. Autour de moi, la pièce n’existait déjà plus. Nous n’étions plus au cottage, nous n’étions plus en Angleterre. Nous n’étions même plus dans le présent. Je m’engouffrai dans son esprit et pendant un instant, je n’eus plus aucun repère. Peu à peu, les sensations me parvinrent. Le cailloux sous mes chaussures, la brise dans les feuillages, les odeurs de la nature, le chant d’une forêt dense et verdoyante. Il y avait quelque chose de familier en ce lieu.

Je mis quelques secondes à comprendre. Nous y étions. Le temple s’offrait à nouveau dans quelques échos de souvenirs que j’avais transmis à Logan. Sa reproduction n’était pas exacte, bien sûr. J’avais alors dix ans lorsque je découvrais ce lieu qui m’avait émerveillée. Je ne l’avais jamais oublié. Et en cet instant, je retrouvai les mêmes effluves, les mêmes sensations que dans le passé. Les arbres m’apparurent, grands et élancés, parmi les buissons d’un vert pastel. Le long escalier de pierres anciennes et par endroits brisées par le temps, se présentait dans un chemin qui sinuait à travers la forêt. Chaque palier lui faisait prendre plus de hauteur. De chaque côté, le long des marches, des piédestaux portaient leurs petites maisons des esprits. Leurs toits étaient recouverts de mousse et de feuilles, mais à l’intérieur, les figurines étaient toujours là, gardant et protégeant les lieux. Une tradition qui subsistait. Je me souvenais que mon père et moi en avions construite une, un jour, en France. Notre activité hebdomadaire. Elle avait été détruite dans une de mes crises phénoménales.

Je ne voyais plus que l’escalier de pierres. Il grimpait haut et menait au temple sacré dont j’apercevais le mokoshi, ce toit évasé qui donnait une avancée autour du temple. Mon père ne s’était jamais trouvé dans les croyances moldues qui s’étendaient au Japon, ni dans celles, plus sorcières, qui donnaient d’autres interprétations. Mais tout attaché aux traditions et aux histoires de son pays natal, il me racontait souvent les légendes japonaises. Je n’y croyais pas plus que lui mais j’avais aimé ces instants et ces rêveries partagées. Je ne savais pas ce que Logan y voyait, ce qu’il en pensait, mais j’étais presque sûre qu’il ne s’y trouvait pas non plus.

J’oubliais presque que nous étions dans son esprit. Mais là, tout autour dans les feuillages, un vent chargé d’émotions me le rappela. Je ne pus en discerner la nature mais je sus que cela venait de lui, était lui. C’était son empreinte, son identité, son histoire qui colorait les lieux. Je le sentais à la vibration dans l’air, aux frissons que cela me déclenchait. J’étais entourée de lui mais je n’arrivais pas à voir, ni à entendre. Tout ce que je savais, c’était que nous nous rapprochions de l’intérieur du temple et que nous faisions le chemin ensemble. Je crus entendre son coeur à mes tempes, non, au sein même de mon crâne. Quelques pulsations. Un pouls se distinguait sur les hauts murs rouges. Le torii était derrière nous. Sa peinture rouge était légèrement écaillée mais elle demeurait vive. Nous avions passé la porte délimitant le profane du sacré. Soudainement, c’était mon coeur qui s’affolait, ma poitrine qui se serrait. J’osai à peine respirer. Un souffle trop brusque aurait peut-être dissipé l’instant.

Et plus nous avancions, plus le rouge des murs du temple apparaissait aussi vivement qu’un soleil flamboyant. Quand dans d’autres cultures, le rouge était symbole de la passion, du désir, mais surtout de la colère et du sang qui s’en versait, au Japon, sa signification était autre. C’était la clarté,  la guérison, la protection contre les mauvais esprits. Voilà pourquoi les temples s’en paraient.

Logan sembla m’abandonner.
Il n’entrerait pas dans ses propres souvenirs. Mais je ne faisais pas demi-tour, je ne m’arrêtai pas. J’avais peur de ce que j’allais découvrir mais ma volonté était de fer.

Je ne reculerai pas.

Mais je compris pourquoi il le fit.

Ironique qu’au sein même de l’image d’un temple sacré, là où les maux restaient à la porte, Logan avait choisi d’y placer tous les siens. Une cacophonie insupportable se jouait. Toutes les émotions et les sensations me prirent à la gorge. L’entremêlement de souvenirs était tel que rien n’avait de sens à part la souffrance, le désespoir et la peur. Ils se confondaient et je sus que ces souvenirs-là étaient fragmentés, décousus, embrouillés par son esprit. Le traumatisme était encore si vif...si...vivant. C’était un serpent de feu s’agitant en lui, à l’image même du sortilège qu’il avait subi. Cet esprit était aussi enflammé que ce corps au supplice. Tout abondait en des salves de douleur atroces. Elles dominaient tout, couvraient même les paroles et les visages. J’étais alors aveuglée par sa souffrance, celle d’hier et celle d’aujourd’hui, celle de son enfermement qui se poursuivait jusque dans ses cauchemars, éveillés ou non. De ce cachot, il n’était jamais vraiment sorti. Mes doutes sur son état se transformaient en vérité absolue, plus terrible encore que dans mon imagination.

Je m’accrochai davantage au bureau.
Il était mon seul ancrage.

Mais dans ce temple, j’étais noyée de Lui. Lui et ses hallucinations, lui et ses angoisses, lui et les réminiscences de ses jours transformés en éternité sur le sol humide et froid de sa geôle. Submergée de ses douleurs lancinantes, de ses deuils, de ses peurs. Et elles étaient nombreuses. Elles parasitaient tout, se mêlant de façon si désordonnée qu’il était évident qu’elles s’appelaient entre elles sans cesse. Peur. Peur de la douleur qui irradiait sans jamais s’éteindre, peur de ne plus exister pour personne, peur de la faiblesse du corps comme de l’esprit, peur d’affronter la chute, la sienne et celle des autres, peur d’être en vie encore demain, peur de ne plus l’être en une seconde, peur des mots qui pourraient condamner les quelques êtres aimés. Peur de tout. J’en eus la nausée. Cette tourmente me donnait le tournis car je touchai le coeur même d’une plaie à vif. Je sus alors, plus sûrement que jamais, pourquoi il refusait de se guérir lorsque son sang coulait. Ces blessures là n’avaient pas d’importance quand celle, intacte et  flamboyante, de ses traumatismes pulsait encore en lui. Jusque dans le présent… Ce présent où les démons de ses cauchemars l’attiraient en arrière, éliminaient tout espoir de guérison, toute sensation de plaisir. Il avait fait ce que n’importe quel torturé aurait fait, soumis si longtemps à la douleur. Il y avait trouvé quelque chose, un plaisir malsain dans la violence et l’horreur, une folie meurtrière qui refluait en lui quand la plaie vibrait trop fort. Il avait survécu de la seule manière possible, en abandonnant tout trait humain et en revêtant le masque du monstre. Celui qu’on lui tendait chaque jour, celui qu’arborait ses bourreaux. Ainsi, une fois la nuit tombée, en proie aux gouttes d’eau suintant sur sa peau, aux voix étouffées de ses geôliers, il prenait leur place. Les contours de notre salle de bains se détachèrent du flot incertain de ses souvenirs. Une porte claqua dans mes nerfs, puis le son de l’eau s’écoulant plus distinctement. Je n’entendis pas ma propre voix ni les coups sur la porte. J’étais absente de ce souvenir. Et lui aussi, d’une certaine manière. Je le distinguai davantage dans les images qui affluèrent. Les rues de Londres. Tout était flou mais j’entendais son timbre de voix, rauque, dur, froid. Ce n’était pas la voix que je lui connaissais mais c’était la sienne. Et la peur que j’avais perçue en lui se révéla sur le visage d’un autre homme. Un homme qui tombait à genoux, qui tombait...tout court. Et le plaisir perçait la surface, celui de la destruction, de la douleur transmise à un autre corps, à un autre esprit.

J’avais l’impression que le monde se construisait et se déconstruisait à chaque souffle. Des rires rebondirent sur les murs du temple et résonnèrent jusque dans ma poitrine. Ils étaient aussi fort que les sons graves d’une basse trop près de moi. J’en ressentais les vibrations, jusqu’à ce qu’ils se transforment en glapissements et que ma vision soit brouillée d’ocre.

Je clignai des yeux.
Je le retrouvai, dans son esprit et dans la réalité. Peu importait. Il était là et j’étais là.

 « J’t’ai pas entendue toquer. »

Ces mots me parurent absurdes en cet instant. Ils détonnaient avec tout ce que je venais de ressentir, de voir, d’entendre. Ils n’avaient plus d’importance.

Je laissai mon visage retomber. J’aurais aimé rester un moment de plus aux abords de notre temple mais je ne tenais plus. Je comptai mes respirations et peut-être un peu les siennes aussi. Je luttai contre les larmes, contre l’envie et le besoin de le toucher, d’apposer ne serait-ce qu’une main sur ce corps mutilé. J’étais pourtant habituée à la souffrance, celle des autres et la mienne, mais la sienne à lui rendait chaque parcelle de mon être sensible au moindre souffle d’air. Je ne pensais même plus à cet homme qui tombait dans son souvenir ou au gros titre de la gazette sur le bureau. Je ne pensais pas non plus à mon angoisse d’hier soir. Je ne pensais qu’à lui et je pleurais intérieurement celui qu’il avait été, celui qu’il ne serait jamais, et l’homme qui souffrait face à moi.

Mes yeux se chargèrent de larmes que je n’osais pas laisser couler. Ma tête était si basse que mon front reposa un instant contre son bras. J’étais meurtrie par ce qu’il avait subi et je n’arrivai pas à repousser ces émotions-là. J’aurais aimé garder la tête haute et le chagrin muet. Je ne voulais pas qu’il pense que j’étais trop frêle pour supporter ça, qu’il ne pouvait pas partager avec moi cette souffrance sourde en lui. Mais ma gorge était gonflée de sanglots et ma poitrine aussi comprimée que sous des pierres. Et je ne pouvais pas l’enlacer comme j’aurais enlacé n’importe qui.

Ma main se leva pourtant en réflexe mais j’effleurai à peine son t-shirt.

« J’avais juste...peur que tu ne rentres pas. » soufflai-je. Ma voix rauque me fit honte. Je contemplai l’idée de ne jamais relever mon visage vers lui. Je fermai les paupières et je suivis sa respiration. « Je préférerai t’accompagner plutôt que de t’attendre ici. » fis-je, comme s’il s’agissait d’une plaisanterie. Mais ce n’en était pas une. Je n’avais jamais été aussi sincère.


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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Jeu 24 Nov 2022 - 14:12
Jamais il n’aurait imaginé lâcher une telle part d’intimité. C’était venu sur un coup de tête qu’il pensait réfléchi, mais un coup de tête malgré tout. Secrets et manipulations lui avaient permis de survivre durant toute son existence. Aurait-il été éliminé, plus jeune, s’il n’avait pas appris à garder ce contrôle sur autrui ? A engendrer la peur, la méfiance, la distance ? Aurait-il seulement atteint la majorité s’il avait été transparent ? S’il avait eu la faiblesse de faire confiance à autrui ? Alors bien sûr, l’homme se savait distant, secret. Il comprenait la peine de son amie lorsqu’il la captait dans son âme et pourtant rien n’était fait depuis. Sans doute oui, dans une forme de punition malvenue. Une excuse, surtout, pour repousser ce moment auquel il s’était engagé. Et s’il montrait ça, ou ça, ou encore ça, que percevrait-elle de lui ? Qu’attraperait-elle de ces fois où il s’était construit une image sur la peine des autres, où il avait laisser filer ceux qui tentaient de se rapprocher de lui, où il avait brisé et déchiqueté ces existences qui lui avaient fait l’affront d’exister ? Bien des mois après leur première rencontre, il s’était chargé de lui prouver comme il n’avait rien de la figure de résistance que certains peignaient de lui. Des atours du monstre, il s’était revêtu. Pourtant c’était bien l’homme qui s’était allongé près d’elle ce jour-là. Au fil du temps, l’animal était celui qui semblait avoir pris la place de l’imaginaire commun au sein de la Garde. Elle, pourtant, creusait jour après jour vers l’humain qui, parfois, tremblait trop fort sous les coups.

Par moment, Logan se sentait à nu. C’était tout à la fois illusoire et étrange compte tenu des hautes murailles demeurant fermées à toutes visites. Bien sûr, il l’y avait attirée quelques fois, lui avait proposé quelques brides de son âme. Mais l’impression ne venait pas de là. C’était de la propre mise à nue de Sanae qu’elle se tissait. Peut-être ne lui appartenait-elle pas, peut être n’était-elle qu’un reflet d’une sensation plus général qu’il ne savait comment aborder. Malgré tout, au fur et à mesure des semaines puis des mois, Sanae captait de lui un homme dont il doutait parfois de l’existence. Un homme qu’il ne voulait regarder en face au risque d’en percevoir les faiblesses ou la peur. Un homme dont il n’était pas certain de la survie ni de l’intérêt. Il n’avait jamais cessé de voir les autres au travers d’un prisme de critiques acerbes qu’il craignait sans doute se voir adresser de la part de la seule personne apte à le voir dans son intégralité. Alors pourquoi l’amener droit dans la gueule béante de son enfer ? De tout ce qu’il aurait pu lui apporter comme lambeaux de son être, pourquoi avait-il fallu qu’il lui offre ça ? Il aurait été aisé d’estimer qu’il cherchait à la tester ou à faire taire ses demandes. Pourtant au travers de la réponse très factuelle à sa question se trouvait le désir réel de partager quelque chose de fort, de violent et de désespérément intime. Une chose dans laquelle il n’était pour une fois pas la charogne de l’histoire. Dans laquelle ses faiblesses se placardaient dans sa conscience, révélant de lui une peur atroce qu’il aurait souhaité garder silencieuse tant Logan refusait de l’admettre… mais aussi une réalité : il était en vie. Aussi insupportables que soient ces pensées et leur atteinte dans son quotidien, Logan y avait survécu. Il les portait dans son âme à chaque seconde, les laissaient parfois l’envahir mais à la fin, malgré tout, il était debout. Et l’un de ses bourreaux avait trouvé la mort.

Et puis, peut-être… peut être que l’incessant tourment trouverait une fin si quelqu’un d’autre s’y insinuait.

Ce n’était pas conscient, ça ne le serait jamais. Le bâtard des Rivers ne serait jamais du genre à arriver sur le seuil de la porte de sa colocataire comme un enfant apeuré cherchant douceur et apaisement lorsque l’horreur s’abattrait de nouveau sur lui. Jamais le môme de cinq ans qu’il avait été n’aurait envisagé une telle réaction envers qui que ce soit vivant dans le manoir qui l’accueillait, alors l’adulte n’y songeait pas non plus. Et pourtant partager ainsi son bagne pouvait receler une ouverture. Maigre, mais existante.

Ainsi non, Logan n’avait pas franchis les portes de son enfer. Il y avait laissé Sanae seule, ballottée dans les tréfonds de ses tourments. Sans doute existait-il même une joie malsaine à voir l’autre flancher et se fendiller face à la brutalité de la tempête. Une cruauté plus aisée à saisir que l’enthousiasme étrange et mêlé de pudeur que d’avancer à ses côtés dans sa propre conscience. Un honneur absurde qu’il ne saisissait pas tout à fait mais qu’il éprouvait malgré tout.

Ça le secouait. D’une manière qu’il n’aurait su définir. Parce qu’il avait beau morceler les parts de ses souvenirs, faisant de son âme une mosaïque étrange, l’homme ne pouvait ignorer tout à fait ce qui existait malgré tout en lui. Les émotions se partageaient et s’il ne les captaient que lointainement, elles étaient malgré tout présentes. Jusqu’à ce que le contact ne se rompe et que Sanae se se torde en avant. Loin de la violence du cachot, elle en portait pourtant les stigmates.
Logan sentait son cœur frapper plus fort sa cage thoracique, martelé par l’impression étrange qu’il ne s’agissait pas de sa propre colère, de ses douleurs internes mais bien de celles d’une amie venant d’affronter une parcelle de l’enfer qu’il s’était juré de garder pour lui. Pas un mot, pas un geste, seul le corps qui demeure à ses côtés, le regard qui se baisse et caresse en silence les mèches courtes à l’équilibre précaire qui glissent le long de sa nuque. Et puis se relève, regarde ailleurs. Logan tentait de chasser ce trop plein qui lui ceignait les côtes sans savoir en démêler les origines diverses. Non, il ne la voulait pas souffrir de ce qu’il avait vécu, pas plus qu’il ne cherchait à l’accabler davantage. L’ancien directeur la savait déjà bien assez éprouvée par la situation de Kezabel et ne cherchait en aucun cas à en rajouter une couche. Serait-ce monstrueux, pourtant, d’aimer partager cette horreur ?
Son front contre son bras pour seul contact, ne cherchant pas à l’attirer contre lui, incapable de savoir quelle conduite tenir, il restait pourtant attaché à ce faible toucher. Un point de communication étrange pour eux. Les regards séparés mais le partage pourtant bien réel. Un effleurement le long de son torse, là où le serpent avait laissé des marques aux allures de tatouage alambiqués, le fit frissonner. Pourtant c’est la suite qui lui noua la gorge. « J’avais juste...peur que tu ne rentres pas. » Sans un mot, comme lorsqu’on prend un coup, Logan serra les mâchoires et leva le regard. Il ne su pas ce qui le frappa le plus ; la signification de ces mots ou le ton avec lequel ils étaient prononcés. Ni l’un ni l’autre ne bougea et eux qui exigeaient tant le regard de l’autre en furent sans doute autant soulagé l’un que l’autre. « Je préférerai t’accompagner plutôt que de t’attendre ici. » Un rire court, soufflé par ses narines, prit naissance sous ses côtes. De ces rires qui n’ont rien de très joyeux ou moqueur. Ceux qui servent seulement de réceptacle au trop-plein. Dont on ne sait que faire, mais qui viennent malgré tout. En silence, Logan songea à ces mots qu’il avait prononcé quelques mois plus tôt lorsqu’il contenait toute l’impuissance d’une grande sœur en détresse au cœur d’une maison délabrée. Un mot, une décision et il l’aurait suivie sur les sentiers d’un massacre insensé. Pourtant c’était vers Kezabel qu’il l’avait ramenée ce jour-là. Sur le chemin de la raison, auprès d’une famille qu’il lui jalousait pourtant, droit vers un monde qu’il ne pourrait partager. Plutôt que de mourir à ses côtés. Étrange possibilité que de ne pas mourir seul.

D’un geste sans doute maladroit mais emprunt de douceur, Logan posa sa main gauche, la plus abîmée, sur la droite de la jeune femme, toujours accrochée au rebord du bureau qu’elle serrait durement depuis l’Enfer. Un instant, il la serra de ses membres blessés. Trop faible pour le geste qu’il cherchait à produire, mais la magie ne compensait pas son manque de mobilité. “Personne n’a jamais eu peur que je ne rentres pas.” Une vérité étrange à évoquer. Sans doute n’était-elle pas tout à fait juste d’ailleurs. Peut être Ismaelle avait-elle eu peur pour lui un jour. Aileen également, sans doute. Quant aux autres, il en doutait. Et même elles…
Un souffle s’échoua sur les mèches d’encre, les délogeant de leur équilibre précaire jusqu’à ce qu’elles tombent de part et d’autre du visage de la légimen. Ce détail rappela à Logan le présent, l’amenant à noter qu’il s’était penché sur elle. D’un rien, mais le geste était réel. Tout autant que le roulement rauque de sa voix dans la pièce silencieuse.

“Il y a certaines choses que je dois affronter seul.” Il savait, bien sûr, que cette réponse ne lui plairait pas. “Quant aux autres…” Légèrement penché en avant, son corps appuya le contact bien maigre d’un front sur son bras ou d’une main effleurant son haut. Ses lèvres s’entrouvrirent, se fermèrent. Il secoua le menton en douceur, pinça ses joues. “.. J’en sais rien. Je refuse de t’emmener dans mon chaos et de risquer ta vie.” Ces mots s’échouèrent sur sa nuque. “T’es pas dans l’ombre Sanae. C’est moi qui le suis.” Des mots lourds de sens qui se vérifiaient chaque jour dans son quotidien. “T’as beaucoup à gérer, et j’arrange pas les choses je le sais. Je ne cherche pas à te tenir éloignée… je vois juste pas ce qui peut avoir de l’intérêt là-dedans qui ne soit pas.. Calamiteux.”
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M. Logan Rivers
Mar 6 Déc 2022 - 23:19
Parfois, il y avait des instants de grâce.
Je ne savais jamais les prédire. Ils arrivaient par surprise et au moment où ils se dévoilaient, je me demandais alors par où le vent avait tourné. Ces instants-là ne connaissaient pas de temporalité. Je savais que plus tard, j’y repenserai, je les invoquerai lorsqu’ils se feraient trop rares et la vie, trop difficile. Ils n’appartiendraient ni au passé, ni au présent ; ils demeureraient, intacts dans leur pleine intensité, et je me faisais toujours la promesse de les garder précieusement. C’était un de ces instants.

Là, le front appuyé contre le bras de Logan, je me perdais quelques secondes dans l’entre-deux qui séparait les souvenirs du présent. Son t-shirt un peu rêche, car pas de trop nombreuses fois lavé, sentait le bois, le whisky et un peu de la lessive aux fleurs de cerisiers que j’utilisais. Il portait son odeur et celle, bien particulière, du cottage. Je ne savais pas pourquoi je le remarquais. J’avais sans doute besoin de me raccrocher à tout ce qui me paraissait réel et concret, comme la chaleur de Logan à travers le tissu ou ses battements de coeur, trop rapides, que je sentais dans la pulsation de son corps. Ce corps était vivant mais je me demandais bien comment. C’était idiot. J’avais lu son dossier, à l’époque où il était hospitalisé à la Garde ; j’avais été là après la mort de la médicomage qui avait subit son réveil ; je m’étais tenue près de lui pendant des mois avant qu’il ne daigne parler.  J’avais été moi-même sa soignante, bien que je rechignais à user du terme au vue du peu de soins que j’avais pu lui prodiguer. J’avais su, sans voir, sans entendre, sans véritablement savoir, ce qu’il avait traversé. Comment aurais-je pu comprendre sans images et sans mots ?

Aujourd’hui, il m’offrait un peu de lui. Beaucoup de lui, à vrai dire. Il m’offrait sûrement ce que j’avais le plus demandé au cours de ces derniers mois. Pas seulement des clés mais des sensations pour le comprendre. La légimencie avait cela de beau : on se partageait soi-même et on atteignait ainsi une compréhension qui aurait été sinon hors de portée. Je me représentais alors plus justement, plus viscéralement, sa souffrance et l’étendue de son traumatisme. Je soupçonnais pourtant qu’il en ait gardé bien d’autres et que ceux-là, je n’y aurais pas accès avant longtemps. Mais je devais cesser de faire des pronostics ; je n’avais pas prévu ce moment et lui non plus. Nous étions tous deux imprévisibles mais le lien qui nous reliait l’était d’autant plus.

Nous évitions le regard de l’autre et je gardai les paupières fermement closes, luttant contre les larmes. J’écoutai nos respirations, tentai de calmer la mienne. J’avais l’impression d’être entrée dans son Enfer et d’en être revenue changée. Mais qu’allais-je faire de ça ? Qu’allais-je faire de ses peurs, à lui ? Devais-je m’incliner face à ses traumatismes et le laisser les affronter jour après jour, ou allais-je trouver un moyen de l’aider ? Etait-ce ce qu’il souhaitait ? J’en doutais. Peut-être que c’était comme tout avec la légimencie : le simple fait de partager pouvait soulager car nous savions alors que quelqu’un d’autre savait le tourment qui était le nôtre. Mais dans son cas, dans l’insupportabilité de ses souffrances, comment rester sans rien faire ? N’avais-je rien appris de l’acte de Kezabel ? J’ouvris un instant les yeux et je ne distinguai que du flou. Une larme s’échappa pour rouler sur ma joue et chuter. J’observai vaguement ma tristesse sur le parquet.

Il fallait parfois reconnaître son impuissance. Je détestais ce sentiment.

Nous n’avions rien dit depuis de longues secondes mais je ne m’inquiétai pas ; il n’avait pas bougé, ne s’était pas reculé. Lui aussi, peut-être, avait besoin d’un instant pour reprendre contenance. Je déglutis, consciente qu’il fallait dire quelque chose. Les mots dévalèrent mes lèvres sans que je n’y réfléchisse. Nous étions déjà dans une fragilité qui mettait à mal notre pudeur, alors nous n’en étions plus à ça.

Je ne mentais pas, ni n’enrobais la réalité, quand je disais avoir peur qu’il ne rentre pas. Mais c’était sans doute plus complexe que ça : il n’y avait pas seulement ses absences physiques, il y avait aussi celles qui l’emportaient vers les souvenirs dont il avait empli le temple. Ces absences me terrifiaient bien plus que les premières car c’était bien un lieu où je ne pouvais le poursuivre. L’idée qu’il puisse être ramené en arrière sans cesse m’enserrait la poitrine. J’aurais voulu l’emporter loin de cette douleur et de la voix de ses geôliers. C’était sans doute ce qui motiva mes paroles. Oui, j’aurais préféré qu’il m’emmène avec lui, dans le présent ou dans le passé, peu importait. Mais je voulais ma chance d’être à ses côtés pour confronter ses démons, être au moins une présence à laquelle se rattacher.

Il y eut un instant de silence. Le souffle presque rieur de Logan avait animé son corps une seconde. J’en avais sentis le mouvement. Et puis, voilà que sa main se posait sur la mienne, accrochée au bureau. L’instant de grâce, dans toute sa splendeur. Il y avait de la tendresse dans son geste. Je n’en étais pas vraiment surprise, malgré toute la violence dont nous étions capable, ensemble ou séparément, il y avait toujours eu cette tendresse entre nous. Ses petites apparitions étaient toujours précieuses, secrètes. Elle nous appartenait. Avec pudeur, je repensais à ma première fois. Elle pouvait paraître étrange, trop violente pour certains, inexplicable même, mais moi, je savais que de toutes les histoires de première fois que j’avais pu entendre ou voir à travers les autres, la mienne était unique. Elle avait signé le début de ma propre vie, une vie qui ne concernait que moi, qui n’était pas pour plaire aux autres ou pour satisfaire un idéal ; elle était inconstante et compliqué, mais je l’avais saisie à ce moment-là, au moment où nous avions fusionné, où je m’étais éveillée, où j’avais osé. J’avais repris mon souffle contre lui, et je m’y étais endormie. Le tout premier instant de grâce, juste entre nous. Notre libération, notre renaissance. Déjà, si tôt, il y avait eu de la tendresse.

Et j’étais heureuse qu’elle n’ait pas disparu. L’émotion ne me quittait pas en sentant sa main abîmée sur la mienne. Ses doigts enserrèrent les miens autant qu’ils le pouvaient. Malgré le geste tendre, cela me rappela à quel point cet homme était abîmé. Je refermai les paupières en tentant de ne pas me demander si nous allions guérir un jour de nos blessures, s’il arriverait un moment où tous deux installés sur le perron d’une maison, nous repenserions à nos démons d’avant. « Personne n’a jamais eu peur que je ne rentres pas. » dit-il. Près de ma tête, ses mots ressemblaient à une confidence, un aveu brisé. Son souffle vint disperser mes cheveux et ils retombèrent de chaque côté de son visage baissé. Je fronçai les sourcils. Quelque chose me compressait la poitrine à nouveau.

J’ai peur, tout le temps… voulus-je lui dire.

Je ne croyais pourtant pas que personne n’ait jamais tremblé pour lui à l’idée qu’il ne revienne pas. Je pensais en premier à Alec, mais j’étais sûre qu’il y en avait d’autres ; Dorofei, Aileen, Maxence peut-être aussi...et sûrement bien des noms dont j’ignorais l’existence et qui avaient été reliés à lui un jour. Peut-être étais-je la première à le dire, ou qu’il s’agissait de la première fois où il réalisait que quelqu’un pouvait s’inquiéter de sa disparition…

Je n’osai pas bouger ma main pour entrelacer mes doigts aux siens. J’eus peur que cela le ravise. Mais j’étais terriblement consciente de la proximité dans laquelle nous étions. Il s’était davantage penché vers moi, et je savais son visage proche du sommet de mon crâne. Son souffle chaud ne cessait de faire vaciller quelques petits cheveux. Etrange comme nous ne pouvions nous empêcher de recréer sans cesse une bulle, de plus en plus restreinte.

« Il y a certaines choses que je dois affronter seul. » Mon front s’appuya plus fort contre son bras, comme si je luttais contre cette affirmation. Pourtant, il avait raison. Je le savais. Mon visage se plissa, j’agrippai le bureau plus fermement sous sa main qui me recouvrait. Sa voix rauque pulsait en moi. « Quant aux autres… » J’eus l’impression que son corps s’était avancé de quelques millimètres. Mon autre main restait presque en suspend, toujours à effleurer le tissu de son haut, mais j’appuyai malgré moi la pulpe de mes doigts contre lui. Il hésita, secoua certainement sa tête car le mouvement me fit bouger légèrement avec lui.  « .. J’en sais rien. Je refuse de t’emmener dans mon chaos et de risquer ta vie. » Je ressentis son souffle jusque sur ma nuque et cette fois-ci, c’était moi qui frissonnai.  « T’es pas dans l’ombre Sanae. C’est moi qui le suis. T’as beaucoup à gérer, et j’arrange pas les choses je le sais. Je ne cherche pas à te tenir éloignée… je vois juste pas ce qui peut avoir de l’intérêt là-dedans qui ne soit pas.. Calamiteux. »

Une petite voix me souffle qu’il y avait une grande part de vérité dans ce qu’il disait mais j’étais contrariée, bornée, désireuse de pas le laisser. Je me sentais, surtout, comme une enfant qu’il voulait protéger. Si mes yeux étaient encore un peu rouges et humides, ils n’étaient plus emplis de larmes. Je relevai le visage vers lui, presque à regret mais avec la ferme intention de me faire entendre. C’était un caprice du coeur qui ne voulait pas être ignoré. Assise sur un bureau, je devais relever un peu la tête pour croiser son regard. Ma main se posa complètement sur son haut.

« Laisse moi décider de comment risquer ma vie et pour qui. »
Mes yeux affrontaient l’acier des siens et je ne sus quoi y lire, à part le fracas des tourments qu’il m’avait montrés, toujours présents. « Tu ne vois pas d’intérêt à partager ça avec moi, mais j’en vois des tas. C’est justement parce que c’est calamiteux que tu dois m’y emmener. » J’eus l’impression de supplier mais à vrai dire, cela n’avait pas pas d’importance. « Je ne veux pas que tu m’écartes de ça parce que tu crois que c’est trop pour moi. » Je baissai le regard une seconde avant de revenir à lui. « Tu n’es pas un problème de plus à gérer Logan...au contraire... » J’ouvris la bouche mais rien ne sortit. Ma gorge s’étrécit. Comment lui expliquer que parfois ce qui m’aidait à tenir résidait dans le simple réconfort de rentrer auprès d’un semblable ? Comment lui dire que j’avais un temps cru que cette sensation n’existerait plus jamais ? J’humectai mes lèvres. Je ne savais comment exprimer ça, et je n’étais pas sûre qu’il comprendrait, alors l’idée fut abandonnée dans le silence. Le regard baissé, je laissai ma main glisser mais quand elle retomba sur ma cuisse, je triturai la bord de son t-shirt. « Si tu penses que tu dois affronter ça tout seul, bien…je ne peux pas t’obliger, mais...si tu pouvais garder en mémoire que je peux être là... » Je relevai les yeux vers lui, cherchai à accrocher son regard. « ...et que j’attends, à la maison, que tu rentres, j’imagine que ce serait déjà bien. »

Ma maladresse me dépitait. Je ne trouvais dans mes mots que l’ombre de ce que j’aurais voulu dire. C’était presque le même sentiment que lorsque je n’arrivais pas à retranscrire le sens premier d’une phrase d’une langue à l’autre. La frustration s’était emparée de moi. J’eus l’impression d’avoir gâcher l’instant, que j’aurais mieux fait de ne rien dire et de rester accoler un peu plus longtemps à lui. Mais je n’aurais jamais pu exprimer tout ce qu’il aurait fallu dire.

Tu n’es pas un problème de plus, tu es en partie ce qui me fait tenir. Tu es la raison pour laquelle je ne m’écroule pas seule dans mon ancien appartement, à ne pas savoir que faire de mon esprit, entourée seulement par d’autres qui ne sauront jamais l’ampleur de ce poids.


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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Mer 7 Déc 2022 - 3:04
D’aucune manière il ne s’était attendu à confier ces parcelles de lui. De ces mains tendues, ces partages insoutenables qui lui manquaient lorsqu’il en était privé, Logan ne savait se défaire. Et pourtant s’exposer ainsi n’était pas dans ses habitudes. Tout s’était tant retourné contre lui qu’il n’imaginait pas offrir ainsi ce dont il était constitué. Ces myriades de caves et d’embranchements qui faisaient de son âme une termitière. Qu’il savait pourtant, comme elle était faite. Combien de démons activerait-il chez elle si elle savait ceux qui se terraient dans ses ténèbres ? Elle qui craignait son départ ou ses jugements, quelles seraient ses peurs s’il livraient la violence acerbe qui forçait les digues de son esprit ? Tant de creux, de trous, d’espaces à combler. Mais tant d’acide sous cette peau d’argile. Tant à briser, mais combien à déverser ? Dans son âme se trouvaient ères et démons. Violence et honte. Il savait pourtant à quel point Sanae pouvait se livrer. La jugeait-il ? Dans un sens, oui. Il l’admirait. Il y avait dans cette acceptation une forme de sincérité qu’il ne connaissait pas et dont il mesurait petit à petit l’ampleur. A l’origine, Logan prenait ça comme un dû. Une manière de lui prouver qu’il pouvait avoir confiance en ce qu’elle était, ce qu’elle disait. L’aspect pratique, technique même l’emportait sur le reste. Sans doute le monstre s’attachait-il à ces détails, mais l’humanité avait prit sa place entre eux et la confiance s’était installée pour balayer ce premier aspect qui avait accroché sa conscience. Dorénavant, une part bien plus triviale le frappait. Quand il avait accès à son esprit sans presque de limites, lui ne donnait rien. Et chaque miette le mettait dans cet état, brutalement à nu, conscient de toute la fragilité de sa psychée.
Combien d’hommes avait-il pu briser ? Combien de mots tranchants, de points cardinaux pour foutre en l’air l’équilibre de ceux qui l’avaient côtoyés ? Logan avait manipulé, blessé, jeté. D’elle il savait tout. Tout et le pire. Or le pire n’avait jamais été dans sa tête à elle mais bien dans la sienne. Instinctivement, il cherchait ce qui pouvait servir. C’était là sa manière de faire la plus froide et consciente. Un besoin malsain de contrôler l’autre. La raison sans doute pour laquelle il crissait chaque fois que Sanae ou un autre tentait de le modeler à sa façon. Car il était le pire des marionnettiste, du moins à ses yeux. Voilà bien une chose qu’Alec lui avait reproché tant de fois. Alec, Aileen. Maxence. Ismaelle. Maeve.

Maeve.

La prise de conscience se situait quelque part entre ces cinq petites lettres et sans doute était-ce de celles-ci qu’était né l’intérêt réel pour cette relation que Sanae entretenait avec son père. S’ils partageaient leur psyché, le contrôle n’avait pas pour autant été exclus de leur relation. Pas plus que l’aveuglement. Comment donc aboutir à un équilibre véritable ? L’instinct n’avait rien à voir là dedans, et ils ne pouvaient ni l’un ni l’autre se targuer d’être exempt de réflexes malsains. Et pourtant elle lui donnait accès à tout. Peut être s’attendait-il à chaque instant à ce qu’elle fasse marche arrière. Qu’elle réalise le danger, qu’elle coupe brusquement les ponts. Elle avait vécu avec son père. Avait grandit à la fois dans le manque et le besoin, avait cherché son approbation, s’était forgée à son image, au travers du prisme de ses exigences, avait souffert de cette forme de carcan qu’il lui imposait volontairement ou non. Un arbre qui pousse dans un environnement contraint se voit prendre des formes spécifique. Soumis aux vents, il sera couché, tordu, courbé. Qu’importe si la bourrasque cesse, il ploie. Et ne pourra se relever. Ce père qui lui manquait tant, celui à qui il ressemblait lui-même tellement. Celui qui la broyait de sa distance. Il était son cyclone. Son oxygène et son carcan. Pouvait-il souffler à son tour ? La contraindre. Ou plus exactement, pourrait-elle le faire s’il lui en donnait davantage ? Dans quelle mesure était-il prêt à accepter de se plier davantage à des choses qu’il ne connaissait pas, qui ne lui appartenaient pas, qui ne lui correspondaient peut être pas ? Sanae régissait sa vie, qu’elle le veuille ou non, c’était ainsi. Jusqu’à chaque battement de cœur qui le maintenait sur une route qu’il n’avait pas choisie mais qu’elle avait ouvert malgré tout. Dans quelle proportions voulait-il être là ? De quelle manière souhaitait-il changer ? A avoir vu l’esprit de Kezabel, une question était venue et vibrant dans le silence de son chaos : Quelle était la part de ces décisions qui lui revenaient, et quelle était celle d’une autre entité ? Ni Sanae, ni la Garde, ni le destin, ni le propre corset de contraintes dans lequel lui même s’était forgé. Un monstre d’une autre forme, d’une autre engeance. Celui qu’il ne devait qu’à lui. Celui que Sanae avait contemplé aujourd’hui. Du moins une parcelle d’un chuintement de son ombre. Qu’il songe à d’autres ou à lui-même, Logan nommait ça “la faiblesse”.

En des termes plus humains : quand la mort semble être un chemin accueillant et acceptable. Dans quelle mesure est-on capable de forger ses propres choix quant à son avenir ?

Alec était une excuse bien pratique que Sanae avait balayé sans y prendre gare. Sans excuse, point de salut. Et Logan ne songerait jamais autrement qu’au travers du simple mot “combattre”. Qu’importe la violence ou le contexte. Pourtant voilà bien quelque chose qui l’interrogeait. Dans quelle mesure avait-il choisi ce quotidien. Et dans quelle mesure était-ce un mal de laisser l’autre choisir ?

Pourtant cette idée sonnait comme un cataclysme chez lui. Donner à l’autre la possibilité d’appuyer sur ses fragilités. D’offrir ses failles et ses faiblesses. Il semblait évident qu’il cachait derrière ses grands discours l’incapacité à faire confiance à l’autre.

Car lui se savait capable de briser l’éphémère pour en tirer le néant.

Et pourtant… pourtant quand il avait fallu choisir Kezabel et non lui, c’était vers sa sœur qu’il l’avait envoyée. Quand il avait été face à Margo, Logan avait abdiqué. Quand il plongeait dans son esprit, il était des parts d’elle qu’il laissait de côté, sans doute car celles-ci lui semblaient trop intimes. Trop précieuses pour être ainsi souillées.

Elle n’avait jamais demandé à ce qu’il s’ouvre entièrement. Pourtant la peur de la transparence vibrait bel et bien. Et derrière elle, il y avait ce moment. Ce silence qui les unissaient pourtant profondément. Ces peaux qui se joignent là où les esprits tremblent encore. Il n’aurait su définir cet instant. D’ailleurs il n’aurait voulu le faire pour rien au monde. Pas plus qu’il ne posait les mots sur d’autres de ses gestes. Mais avoués à demi-mots, ils brillaient plus fort encore dans la pénombre de leur pudeur. Si lumineux même qu’il en distinguait chaque emprunte. Les souffles qui se creusent, sa peau qui trouve la pulpe de ses doigts. Ces derniers qui se serrent un peu plus sur le rebord de la table. Tous possédaient une valeur qu’ils taisaient si fort qu’elle en devenait vacarme. Ils soulignèrent l’affection, avant de rehausser la colère.

Logan la sentit avant qu’elle ne prenne véritablement place. Ni agressive, ni véhémente, cette colère là n’avait rien de patibulaire. Pourtant il la vit vibrer. La colère de l’affection. Celle qui amènerait n’importe qui sur le champ de bataille tant qu’il y trouverait quelqu’un à défendre.

Voilà dont le basculement. Le vertige qu’on effleure du bout des lèvres.

Ça y est. Elle le fixe. Il y a dans ses yeux cette détermination sourde qu’il connaît trop. C’est celle qui pousse aux erreurs. Qui sonne le glas. Qui crève les cœurs. Elle pue l’amour cette colère. Alors elle pue la mort. Elle n’est pas celle qui pulsait dans l’encre lorsque Kezabel semblait perdue mais elle en a le même timbre à ses yeux. Logan ne dit rien donc. Il n’y a rien à dire, rien à faire quand ces yeux-là vous fixent ainsi. Il suffit de contempler l’avenir et de serrer les dents.
« Laisse moi décider de comment risquer ma vie et pour qui. » Le silence toujours, serre jusqu’à ses côtes. C’est qu’il a beau draper son univers de douloureux mensonges, ces mots-là il les connaît. Ils réveillent d’autres plaintes, d’autres appels aux armes. Il y a des gens, derrière ce silence, qui finalement ont eut peur qu’il ne rentre pas. Des gens qui lui ont demandé de ne pas décider pour eux. De les laisser faire le choix de se battre ou d’aimer. Qui ont refusé qu’il pense mieux savoir où situer les limites des dangers qu’il érige autour de lui. Des gens qui s’y sont embrochés.

« Tu ne vois pas d’intérêt à partager ça avec moi, mais j’en vois des tas. C’est justement parce que c’est calamiteux que tu dois m’y emmener. » Oh comme ils sont fougueux, ces ordres qu’elle qualifie de suppliques. Que se devait-il de faire, donc ?
C’est vrai, ça crisse dans ses nerfs. La simple injonction lui frappe la conscience avec la violence putride de n’être plus ni tout à fait lui-même, ni tout à fait capable. Pourtant il se tait. A quoi sert de battre la colère, si ce n’est pour la changer en ouragan ? Ils en connaissent tous deux les abysses, savent s’y trouver et s’y noyer. Mais aujourd’hui souffre de l’écoute. Car si l’un sent bouillonner la réponse immédiate, la seconde l’a déjà énoncée. “Laisse moi décider de comment risquer ma vie, et pour qui.” Il lui sembla à l’instant que c’était exactement ce qu’il faisait ici, chaque jour. Il risquait sa vie. Pas dans le sens premier du terme, pas dans celui qu’il connaissait bien. Il risquait seulement une autre vie. Celle qui ne lui appartenait pas, qui prenait naissance entre eux. Alors il ne dit rien car là était une récurrence entre eux : ils souffraient des mêmes maux si fort qu’ils en étaient incapables de les entendre.
Doucement, ses épaules reculent sans que son visage ne le fasse. Il la fixe, étudie les remous de l’encre, devine ceux de l’acier. Ça frappe comme des glaives mais l’ensemble reste muet.
Et Sanae baisse les yeux, calme le fracas du fer puis revient dans la mêlée. Mais l’onde a changé dans les abysses de son regard. Alors Logan écoute, encore. La surface boue mais s’affaisse malgré tout. Ses lèvres se pincent à peine, ses joues se creusent. Car ce qu’il entend c’est le mal. Qu’il fait. Qu’ils provoquent. Qui les attends. Qu’elle accepte. Qu’elle revendique même. Et derrière l’acier de glace se trouve d’autres mots prononcés en d’autres temps. De ceux qui vous déclarent un amour sincère et piégeux et se terminent dans le chaos d’une rupture.

« Tu n’es pas un problème de plus à gérer Logan...au contraire... » Si son cœur s’apaise, il n’en a pas moins mal. Elle non plus d’ailleurs. Ses lèvres s’ouvrent, se ferment ; les mots lui manquent, se trouvent et lui échappent. Elle hésite, reconstitue sa pensée, essaye encore et se ravise. Pas besoin d’être en elle cette fois pour savoir ce qui racle et renâcle. Pas qu’il en comprenne le sens, mais la forme lui pète à la gueule. C’est ainsi et ça le bouffe de l’intérieur. Ce qui la ronge le dévore. Mais ce qu’elle tempête le martèle. Seraient-ils tous deux marteau et enclume, destinés à se percuter jusqu’à se creuser. Les sillons se formeront alors jusqu’à la rupture franche. D’un ou des deux. Auront-ils eu seulement quelque chose à forger ensemble ou se blesseront-ils seulement ?

« Si tu penses que tu dois affronter ça tout seul, bien…je ne peux pas t’obliger, mais...si tu pouvais garder en mémoire que je peux être là... » Elle lève le regard finalement, tente de prendre le sien, mais de colère il n’y a plus aucune forme. Alors elle s’y dépose. Vaincue par une force qui n’apprendra pas de ses erreurs. L’un de ces monstres aux formes indécises qui choisissent pour nous des voies mal acquises. « ...et que j’attends, à la maison, que tu rentres, j’imagine que ce serait déjà bien. »

Logan n’a pas véritablement bougé. Son regard est fixe, ses lèvres fines, les muscles roulent sous sa peau. Lentement, son bassin part en arrière et ses épaules roulent sous le tissu. Il se met alors à son exacte hauteur, se penche un peu, comme un enseignant sur le bureau d’un élève. Mais les bras qui l’encadrent n’ont pas vocation à la guider, ni même à la restreindre. Si sa main avait dû s’esquiver, elle l’aurait d’ailleurs sans doute fait. Ici elle reste, brûlante contre sa peau. Pressée même, d’une force de plus ; comme s’ils pouvaient trouver un moyen pour se rejoindre hors des lois de l’univers.

“Ces mots-là ne sont pas les bons.” Peut être que lui même ne comprends pas tout à fait la manière dont ceux-là sonnent entre eux. Mais il ne la lâche pas, d’aucune manière. “C’est pas ce que tu voulais me dire.” Parfois on devrait peut être faire ça. Entendre au delà. Quand les mots et les pensées s’embrouillent. Que rien n’arrive comme on veut. “Quels sont ces ‘tas d’intérêts’ qui valent que tu risques ta vie pour moi ? Dis moi quel est ce foutu prix qui a assez d’importance pour que je mise l’existence d’une personne de plus ?” Ses doigts se resserrent, pressent la chair, serrent sa main. Mais ils écrasent surtout sa poitrine. Ceux de l’angoisse grondent quelque part. Ils ont pris naissance dans un autre esprit que le sien mais c’est bien par ses lèvres que passe cette peur. “C’est quoi l'intérêt, si toi non plus tu rentres pas ?” Ca grondait dans sa gorge ; mais ça souffle à peine à présent.

Ils sont tant à ne pas être revenus.
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Dim 11 Déc 2022 - 23:28

Je le regardai et je pensai au vide au fond de moi.
Nos regards étaient si intriqués qu’il n’aurait pas pu le louper. Ce vide avait donné naissance à cette salve de colère qui me remontait dans la gorge. Ce n’était pas contre Logan qu’elle était adressée mais contre la simple possibilité de le perdre. Lui, nous, ça. Dans ses yeux, il y avait la même peur, la même rage, et j’eus l’impression que le vide que je portais en moi le regardait, lui. Je devais représenter bien des peurs à ses yeux. J’étais terriblement consciente d’être étroitement liée à son humanité désormais, de l’avoir vue de si près qu’il n’était plus possible, ni pour moi, ni pour lui, d’en ignorer la présence. Nous étions passés en quelques mois d’inconnus à intimement liés. Si intimes à vrai dire qu’il n’y avait que peu d’espace pour les secrets. Quand vous avions besoin de dissimuler des choses, cela se faisait au fond de nos esprits ou par une distance profonde et brutale qui nous heurtait tant chacun. J’avais accédé aujourd’hui à une part de lui qu’il ne montrait jamais. Et je n’aurais su dire si c’était parce qu’il en avait honte ou parce qu’il en avait peur. Les deux, peut-être.

La vérité, c’était que lorsque deux esprits étaient si liés, si familiers, bien choses se transmettaient. Nous n’étions pas toujours conscients d’où nous venaient ces petites intuitions sur l’autre, d’où avaient germé certaines pensées, ou certaines peurs, mais au fond, nous savions sûrement tous deux que tout ça venait de la part de l’autre que nous transportions avec nous. J’avais eu peu de lui en substance, peu de souvenirs et de partage, mais quand il venait à moi, l’empreinte de son esprit se mêlait à la mienne et ses émotions déteignaient parfois. Je n’attrapais que des ombres de lui, des ombres de ce qu’il avait peut-être été, de ce qu’il ressentait, de ce qu’il voulait. Je jouais avec les contours de ces ombres, tentant de les deviner. Je me pressais sur les murs de sa forteresse et j’écoutais la respiration derrière, l’ondulation de la pierre. Et j’en sentais la froideur ou la chaleur brûlante. Il était un mystère que j’apprenais de jour en jour.

Mais alors que je me rapprochais un peu plus à chaque fois, notre lien s’épaississait, se forgeait dans un alliage nouveau. Il y naissait la joie, la sécurité, l’affection, la confiance, mais aussi la peur terrible et inévitable de sentir ce lien se briser un jour. Je savais déjà qu’aucune dispute, qu’aucune trahison ne pourrait véritablement casser ça. Il n’y avait que la mort pour le faire, la sienne, la mienne, ou les deux. Nous avions créé une chose dont la fin nous terrifiait parfois si fort qu’elle nous prenait à la gorge. En cet instant, l’idée qu’il puisse se laisser aller à ses démons m’angoissait, renforçait l’inquiétude qu’il n’avait peut-être pas tout à fait envie de vivre. J’avais besoin qu’il ait cette envie, qu’il aille de l’avant, qu’il reprenne goût à sa propre existence. Mon regard se faisait plus clair sur ses douleurs passées et présentes. Il ne pensait pas au futur, j’en étais persuadée. Et c’était ce qui m’étreignait le coeur, quand moi je me trouvais par trop de fois rappelée de ce qui pouvait advenir.

Je faisais alors l’erreur de croire qu’il laisserait passer ça, qu’il ne fouillerait pas dans mes mots pour y déterrer des paroles avortées.
Logan me fixait sans détours. Son corps se recula pour mieux avancer, se pencher vers moi en encadrant mon corps de ses deux bras. Sa main sur la mienne resta là. Je trouvais dans ce contact son évidente volonté d’insister. Je tressaillis au fond de moi.

“Ces mots-là ne sont pas les bons.” Je n’osai plus bouger, ni même déglutir. Mes sourcils se froncèrent légèrement mais je ne pouvais me soustraire à son regard. “C’est pas ce que tu voulais me dire.” J’aurais aimé le supplier de ne pas aller plus loin, de ne pas poser de questions. Aucun de nous n’était prêt pour cette conversation. Et elle faisait remonter en moi des douleurs dont je ne savais pas parler.   “Quels sont ces ‘tas d’intérêts’ qui valent que tu risques ta vie pour moi ? Dis moi quel est ce foutu prix qui a assez d’importance pour que je mise l’existence d’une personne de plus ?” Ses doigts sur ma main s’ancrèrent plus fort, comme si sa chair voulait parler à la mienne.   “C’est quoi l'intérêt, si toi non plus tu rentres pas ?”

C’est justement ça, l’intérêt.

Il devait y avoir de la peur dans mes yeux. Une peur si ancrée que j’avais bien du mal à la contenir dans mes veines. Je la sentais m’inonder, me presser la poitrine, me tenailler de toutes parts. J’eus envie de lui hurler qu’il ne comprenait pas, qu’il posait des questions dont les réponses n’arrangeraient rien à cette histoire. Mais bien au-delà de la peur, il y avait une tristesse sans fond. La mienne, mais la sienne aussi. Parce que je comprenais dans ses mots et dans le ton viscéral qu’il employait qu’il avait la même peur, et qu’elle se fondait dans les mêmes constats que les miens. Nous étions dans l’incapacité de nous perdre. Et nous luttions contre l’idée même de la mort. Un débat absurde, insensé. Nous mourrions un jour, mais nous nous disputions la place du premier qui partirait.

« Tu poses des questions dont tu ne veux pas entendre la réponse. »
soufflai-je. Il y avait une douceur qui mêlait tendresse et tristesse dans ma voix. Elle m’apparut aussi clair que le jour. Je l’observai alors, mon regard passant sur ses traits, comme si jour cette mâchoire saillante, ses yeux d’acier, ses sourcils froncés et noirs, cette bouche bien dessinée, et ce nez si droit viendraient à disparaître et que je les regarderai penchée au-dessus d’un cercueil ouvert. Je vins poser quelques doigts sur sa joue. Je sentis mes yeux se rougirent et je laissais remonter ma main en déglutissant douloureusement. Une seconde, je baissais les yeux avant de les relever. J'abdiquai.

« Tu ne sais pas ce que c’est, Logan. Tu es venu de nombreuses fois dans mon esprit mais ça, c’est quelque chose qui t’échapperas toujours. » Je murmurais plus que je ne parlais, la gorge nouée et la poitrine étroite. J’avais mal aux muscles de mon visage tant la douleur les crispait. « Je ne connaissais pas le combat de mon père, je n’ai pas pu voir le danger venir. Je ne savais rien de son implication. Et je n’ai pas pu être à ses côtés. Je n’ai pas pu me préparer. Il n’y a pas de deuil comme celui-là. » Je plissai les lèvres, peu sûre en vérité de ce qui sortirait de ma bouche. « Je ne veux pas revivre ça. Je ne peux pas revivre ça. » Les mots me brûlaient la gorge. Ils étaient comme des pierres tranchantes et lourdes. Je pressai ma main sur la mienne. « Mais toi et moi, on s’est liés et je ne voudrais pour rien au monde effacer ça, mais tu ne peux pas me demander d’attendre aveuglément que le danger vienne à toi que tu viennes à lui, sans être là, sans avoir une part dans tout ça, sans … avoir au moins la chance de m’assurer de ton retour. » A ma droite, sa main recouvrait la mienne. A ma gauche, je recouvrais la sienne. Un équilibre étrange. J’inspirai. « L’intérêt, c’est que si toi tu ne rentres pas, moi non plus je ne rentres pas. L’intérêt, ce serait de survivre à deux. » De se battre pour ce qui faisait du mal à l'un. Parce que ce qui lui faisait du mal à lui, me faisait du mal à moi. Nos peurs, nos douleurs, nos joies étaient comprises dans le lien qui unissait nos deux esprits, et par conséquences, nos vies. « Je ne veux pas que tu sois dans mon ombre, et je ne veux pas être dans la tienne non plus. Dans le meilleur scénario, nous pourrions combattre ensemble, être plus forts à deux, et rentrer, ici, chez nous, ensemble. Mais je ne suis même pas sûre que tu sois seulement un peu attaché à ta propre vie, et je ne peux pas t’obliger à aller de l’avant. C’est ça, qui me fait peur, Logan. » Toutes ces choses qu’il venait de me montrer, j’avais peur qu’elles l’éloignent, que leurs voix soient plus fortes que la mienne. C’était sûrement le cas, elles se faisaient mieux entendre. « J’ai peur qu’entre ton refus de ne serait-ce qu’intégrer la Garde comme formateur et tout ce que tu peux faire en secret qui te mette en danger, il n’y aucune place pour le futur. »

Et ce futur, il me concernait plus directement que je n’aimais y penser.




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Sanae M. Kimura
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