Le chant de la sirène [Dorofei]

Vers quoi est-ce qu'il tendait ? Est-ce qu'il faisait vraiment le bon choix ? Il n'en était pas certain, mais au final est-ce que ça avait réellement une importance ? Est-ce qu'il ne pouvait pas juste agir par instinct, jouer un petit peu avec elle ? Quel mal est-ce qu'il y aurait ? Aucun vu qu'ils étaient deux adultes consentants, vu qu'ils savaient ce que c'était, le plus étrange aux yeux des autres, ça serait juste peut-être le fait le pourquoi du comment, en plein combat, en pleine violence. Pour quel genre de personnes est-ce qu'ils passeraient alors ? Il n'en savait rien. Absolument rien, mais il s'en fichait aussi un petit peu. Déjà, par ce qu'il fallait que quelqu'un les surprenne, mais aussi par ce qu'il faudrait que quelqu'un ose émettre le moindre commentaire qui risquait de le mettre de mauvais poil. On savait qu'il était gentil, mais il ne fallait pas non plus le chercher pour autant.
Alors va Dorofei, libère-toi pour une fois. Laisse-toi aller, même si tu es marié à un probable fantôme, même si ce n'est pas bien. Qu'est-ce que dirait Prune si elle était toujours en vie, toujours en état de réfléchir proprement ? Est-ce qu'elle lui donnerait le feu vert, ou est-ce qu'elle le condamnerait ? Si elle était si omnisciente, elle saurait à quel point il l'avait cherché mais que ça n'avait rien donné. L'Espoir, ça faisait depuis longtemps qu'il n'était plus là, bien avant que Johann lui dise qu'elle était en fait soi-disante vivante. Morte, c'est comme il le devait la considérer dans tous les cas.. ; mais entre ce qu'il voulait, sa fidélité malgré sa « mort » et la réalité il y avait tout un monde dans lequel il ne savait plus trop se situer.

Mais l'heure des questions était terminée. C'est tout naturellement qu'il l'avait donc embrassé. Est-ce qu'il avait une idée derrière la tête ? Oh oui, même plusieurs, mais chaque chose en son temps. C'était là tout le savoir, la complexité. Savoir tout compartimenter, savoir attendre. Patienter. Elle s'accrocha à son épaule d'une main tenant toujours la baguette. Est-ce qu'elle avait peur qu'il l'attaque ? Est-ce qu'il était assez fourbe pour que ce soit une stratégie ? Ca, elle le saurait en temps et en heures, rapidement son autre main lui avait pris la taille et elle avait fini par lâcher sa baguette tandis que leurs deux corps étaient presque collés. Il passa lentement sa main dans les cheveux de la jeune femme, profitant de cette sensation « nouvelle », ou plutôt ancienne qu'il n'avait pas ressenti depuis trop longtemps. Chaque seconde qui passait ravivait des souvenirs, des sensations qu'il s'était efforcé de maintenir dans un coin de son crâne pour que tout ne soit pas plus compliqué avec la disparition de sa femme.

Bientôt, il avait fini contre un mur, mais peu importait le bruit qu'ils pouvaient faire, peu importait le reste ; lentement sa main était passée dans le dos de la jeune femme, s'arrêtant avec plus d'insistance sur les parties non couvertes par un vêtement.
Se maîtriser. Il devait absolument ne pas se laisser submerger par les émotions, les sensations, par l'envie dévorante qui le prenait de plus en plus. Et pourtant, lui aussi n'avait plus qu'une envie, qu'il n'y ait plus ces centimètres qui les sépare et encore moins les couches de vêtements ; et c'est ainsi qu'il eut fini par retirer le haut, il allait commencer à enlever celui de la jeune femme, mais se rappela d'une petite chose. Simple. Mais primordiale. Il dut se faire violence pendant quelques instant pour agir comme il le fallait. Pour finir la leçon. En quelques instants il avait saisi un objet dans une ses poches pour en donner un petit coup au flanc de la jeune femme, pas très fort pour pas la blesser, mais assez pour qu'elle le sente, il lui souffla ensuite à l'oreille, doucement.  « Si ça avait été un couteau, ou une autre arme, tu aurais pu y passer. Je n'ai jamais dit que le combat était fini.» Il laissa passer quelques secondes de silence, plus amusé qu'autre chose avant de reprendre  « Alors, là, l’entraînement est terminé.» Autrement dit, on peut continuer là où on en était ; pas besoin qu'il lui dise qu'elle ne devait pas baisser sa garde en plein entraînement. Elle le retiendrait plus facilement comme ça vu l'égo qu'elle semblait avoir. Cette petite mise au point de faite, ils pouvaient à présent continuer là où ils s'en étaient arrêtés.  «On devrait peut-être au moins retourner jusqu'à la salle et s'y enfermer. » Moins risqué. Le tout dit en glissant lentement son doigt le long de son bras, remontant doucement vers son cou, puis vers sa poitrine. Là, promis, ce n'était plus un piège. La fin de l’entraînement le signifiait clairement.

Quelque chose clochait. C’était dans l’air, dans les mouvements hésitants, dans le regard troublé. Elle qui aimait la connexion à l’autre, il lui semblait alors que le contact grésillait entre eux. Elle voyait son visage se crisper mais pas de désir…un conflit se jouait et se peignait sur ses traits. Ce n’était pas pour rien qu’elle n’avait pas repris le dessus, qu’elle n’était pas allée plus avant. Elle n’était pas sûre de lui, pas sûre que l’hésitation de ses gestes ne soit pas le signe annonciateur d’un recul. Elle se souvenait présentement très bien du malaise du sorcier quand elle avait débarqué, du rappel qu’il était marié comme s’il s’agissait de brandir un rempart avec le sexe féminin.
Oui, c’était bien un rempart. Un rempart qu’elle pensait le voir dépasser en cet instant, désireux peut-être de tourner la page, de s’accorder un peu de répit, un peu de liberté. Mais tout le monde n’était pas prêt à faire ce pas vertigineux. Quelque chose le maintenait en arrière, ancré sur un pilier qui ne bougeait pas, ou qu’il ne voulait pas voir bouger, et elle sentait la tension des muscles comme s’il tirait sur une corde le reliant à ce quelque chose...ou plutôt, à ce quelqu’un.

Alors, elle ne fut pas surprise de voir ses mains l’arrêter, de voir son corps reculer. Déjà, il s’excusait difficilement, gêné, troublé. « Arrête...d'solé. » Sanae ne fit plus aucun mouvement, dégageant lentement ses mains de lui, son regard le fixant sans reproche, sans jugement. Leurs corps se décollèrent et le sorcier attrapait déjà ses vêtements. Elle se redressa, le souffle court. « C'est pas contre toi. Je ne peux pas lui faire ça. » Un brin de tendresse s’empara de son regard alors qu’il se rhabillait. Appuyée sur ses bras, mains sur les tatamis, toujours nue, elle l’observait calmement. « Hey...c’est pas grave Cooper. Je sais que c’est pas contre moi. Et même si ça l’était... » Elle haussa les épaules. « ...ce serait pas grave. » Elle lui fit un sourire en coin et attrapa ses vêtements qu’elle enfila alors qu’il faisait de même. La sorcière se leva et s’approcha de lui, posant une main sur son épaule. Juste un geste pour lui assurer que tout allait bien. « La prochaine fois, on s’en tiendra au combat. »

Si la frustration mordait violemment sa peau, elle ne lui en voulait pas. Comment aurait-elle pu ? Ils portaient tous un deuil, quel qu’il soit. Le deuil d’une autre vie, le deuil d’une personne disparue, le deuil d’une relation… Il n’y avait rien à reprocher, rien à juger. Et vrai dire, elle admirait cet homme posté devant elle qui répondait à ses principes, se dédiait à ce en quoi il croyait et aux personnes qu’il aimait. Non, s’il y avait un sentiment à éprouver, c’était du respect et de la fierté qu’une telle personne l’ait embrassée. Elle lui fit un léger sourire, suivit d’un clin d’oeil. « On s’rétame la gueule pour de vrai quand tu veux Cooper. » Comme une manière de dire qu’ils pourraient retourner à leurs taquineries habituelles, comme une manière de dire que rien n’avait changé.

Elle le dépassait, reprenant sa baguette et avant de sortir, se retourna, une main sur l’encadrement de la porte qu’elle venait d’ouvrir. « J’espère que vous vous retrouverez. » dit-elle avec un hochement de tête. Et elle partit, s’éloignant de la salle d’entraînement, laissant derrière elle un épisode qui, elle le savait, la ferait davantage sourire que grimacer dans l’avenir. On ne pouvait pas réussir à tous les coups.