[Event 04.04.16] - Huit-clos - Sanae

 Elle sentait son esprit se calmer, noyé dans la frustration, se rétractant sur lui-même tandis que son corps s’apaisait à mesure que les secondes passaient, piqué au vif pourtant par l’extase non atteinte. Le prix à payer. Pour ne pas le faire s’effondrer au sol, pour ne pas le blesser si profondément qu’il en aurait gardé les séquelles, ou se serait éteint brutalement sous la violence de l’intrusion. Le lieu, les circonstances aidant, elle avait du enfermer son esprit, retenir sa magie mais pour ça, son extase avait été emprisonnée violemment, s’était enterrée dans le tourbillon interne de son être. Le plaisir l’avait néanmoins englouti tout entière, avait cramé sa peau, avait fait frémir son corps. Il n’avait pas eu conscience de passer si près de la douleur, si près d’une fin rapide et atroce. Et c’était tant mieux. Le secret était préservé. Les siens aussi, à lui.

Alors que faire maintenant qu’ils étaient passés à l’acte et qu’ils ne savaient toujours pas quand ils pourraient sortir, partir chacun de leur côté ? Dans sa menue expérience, elle n’avait pas eu le temps de lire le chapitre « Discuter avec son coup d’un soir après l’acte : comment éviter le malaise des ascenseurs bloqués. ». Des suggestions ?

« En temps normal j't'aurai bien proposé quelque chose à boire ou à manger, mais je crois que là à part bouffer nos mains, ça serait compliqué.»Il s’était assis à côté d’elle après rhabillage complet. Elle sourit, amusée, amenant sa main à ses dents pour faire sembler de la croquer. « Hm. Nan. Pas terrible. »

Heureusement, il restait leur humour.

« Du coup, tu voudrais parler de quoi ? Non, par ce que le karaoké toi qui a l'air de bien aimer chanter c'est mort aussi. Les possibilités sont donc fort réduites.»Il lui adressa un large sourire et elle le lui rendit, un léger rire franchissant ses lèvres alors qu’elle jouait avec son téléphone, entre ses mains. « Je note que tu recules devant mes talents de chanteuse. C’est moche. » Une pause. Un instant de réflexion. « J’ai un jeu de cartes dans mon sac...J’peux toujours te donner quelques défaites humiliantes. »

Il fallait toujours avoir un jeu de cartes dans son sac.
Justement, parce que parfois c’était la seule manière de supporter une situation inattendue. Une manière surtout de s’occuper l’esprit et de ne pas subir le silence étrange qui aurait pu s’installer directement, si ce n’était pour leur sens de l’humour qui fusait n’importe où, n’importe quand. Un truc de soignant ? Probablement. L’humour sauvait bien plus qu’on ne le croyait.

« J'espère juste que ça va revenir et que ce n'est que dans l'immeuble. Je trouve ça un poil long pour une simple panne d'immeuble.»Elle soupira. « J’crois que ça a merdé quelque part là. Genre, merdé grave. »

Une panne générale ? Est-ce que c’était seulement l’immeuble ou toute la ville, le quartier ? Qui avait débranché la machine ? Combien de temps avant d’être débloqués ? Combien de temps à attendre avant de retrouver l’air libre de la nuit, ou la chaleur de son appartement ? Ses plans avaient été entravés mais elle savait déjà qu’elle aurait besoin de se défouler, de prendre l’air, de marcher. Et si toute la ville était plongée dans le noir ? Oh, elle s’imaginait déjà se balader dans les rues, au milieu du chaos qui s’apaiserait après le retour des lumières...sensation grisante. La pensée lui traversa l’esprit avant qu’elle ne revienne à la réalité. En attendant, ils étaient toujours coincés.

« Je suppose que toi aussi tu ne captes toujours rien ?»

Il avait pris son téléphone et elle regarda l’écran. Gestes miroirs. Elle laissa retomber sa tête contre la paroi de l’ascenseur. « Non. Rien. J’crois qu’on est là pour un moment. »

Elle soupira et se redressa d’un seul coup, cherchant son sac par terre et en sortant un jeu de cartes, se mettant en tailleur face à lui, dégageant un espace entre leurs jambes.

« Bon, on va pas s’regarder dans le blanc des yeux. On joue. Ça nous occupera. Il est temps de prendre ta raclée. »

Un large sourire éclatant en sa direction avant de battre les cartes entre ses doigts. Elle positionna son téléphone pour éclairer l’espace entre eux. Le temps passerait moins lentement s’ils jouaient, à défaut de jouer à d’autres jeux. Les cartes se succédèrent, les victoires et les défaites aussi, et le malaise s’en alla naturellement. La cage de l’ascenseur se remplit pour les heures à venir de rires, de protestations, et de blagues fusant dans l’engouement du jeu. L’esprit retranché, Sanae s’acharnait à se distraire, sachant déjà que plus tard, il faudrait rugir, il faudrait s’acharner, il faudrait se confronter au prix qu’elle avait payer. Et en regardant Naveen sourire, elle se dit que ce n’était qu’un sacrifice de plus pour le bien des autres. Elle s’était promis de ne plus le faire, de ne plus se restreindre tant mais il y avait des choses naturelles qui revenaient parfois, des choses qui valaient le coup de s’entraver, ne serait-ce qu’un instant, qu’une fois, pour retrouver un semblant d’humanité.

FIN DU TOPIC