Family Business - Aiden

Ses membres tremblaient alors qu’Alec reprenait consistance sur le sol de sa chambre. Les muscles tendus à s’en rompre et cette putain d’impression de se noyer dans son angoisse. Il aurait aimé vomir ses larmes, brûler ses faiblesses, déchirer cette petite chose qui réapparaissait. Cette merde là, poreuse à tous ces drames. Ce petit môme percé de toute part, bouffé par cette sensation de n’être qu’un incapable, infoutu de faire autre chose que de décevoir tout le monde, à commencer par lui-même. Inutile, jusqu’à ne pas savoir survivre seul, jusqu’à ne pas savoir simplement évoluer, ou être. A vrai dire, il ne savait pas vraiment ce qu’il ressentait. Tout s’embrouillait en lui dans une vague bien trop violente pour qu’il ne sache la réprimer.

« Par Merlin Alec qu'est-ce qu'il s'est passé ? »

Reviens à la réalité Alec. Ton père est loin. Ses poings aussi.

Non il ne l’est pas. Il ne l‘est plus. Il ne l’a jamais été.
Comme s’il n’était qu’une ombre abjecte à tourner autour de toi tel un vautour. Toujours là pour exploiter tes faiblesses. Pauvre petite chose qui a pensé que tout pourrait changer maintenant. Tu crois quoi ? Qu’il n’a plus d’emprise sur toi ? Cet homme coule dans tes veines Alec. Il se voit dans tes yeux, s’entends dans ta voix. Il hurle à travers ta rage et chacun de tes coups de poings ne fait que résonner de ses éclats de rire. Tu n’es qu’une putain de poupée, manipulée à sa guise, désarticulée dès qu’il hausse la voix. De qui Isaac avait peur ? De toi ? Ou de ton sang ?

« Je vais m'approcher Alec. »

Il avait tressailli en la sentant s’approcher. Auprès de n’importe qui, il aurait sans doute été violent, aurait explosé pour l’envoyer contre le mur, lâchant sur elle les chiens d’une rage incontrôlée. Mais pas sur elle. Les griffes du contrôle s’étaient refermées avant même qu’il n’arrive à l’intellectualiser.

« Qui t'a fait ça Alec, parle-moi s'il te plait. J'vois bien qu'il y a un truc qui va pas depuis quelques jours, alors parle-moi. »

Ses paroles faisaient doucement un chemin jusqu’à son esprit, forçant ses blessures, amadouant le feu de sa rage.

« C'est... ton père ou Isaac ? »
« Mon père. Isaac tremble dan sa chambre comme une fillette apeurée. »

Comme toi tu veux dire ?
La ferme.

Quand le destin jongle avec les bourreaux, les victimes frémissent et préparent leur riposte.

Inspirant un grand coup, mâchoires serrées et respiration sifflante, Alec s’était redressé, jetant un œil sur ses manches trempées de sang. L’enfant battu ravalait les grimaces. L’adulte rejetait la douleur des os trop souvent brisés. Le mari agissait par instinct.

« Il était en bas quand je suis rentré. La bonne nouvelle, c’est que Janie lui a échappé, sinon, il ne serait pas dans une rage pareille. »

L’anglaise aurait du s’en douter, rien ne dure par les temps qui courent… Pas même les instants de calme, surtout pas les instants de calme ! En voyant débarquer Alec dans un état pareil, la belle n’avait pu que voir son sang se glacer et se figer dans ses veines. Alors elle avait mis les formes, pris des gants pour ne pas le faire s’emballer plus encore, au risque de se retrouver projetée contre un mur dans le meilleur des cas. Mais ses craintes profondes étaient restées au stade embryonnaire, tuées dans l’œuf par ce petit je-ne-sais-quoi qui les liait depuis toujours sans qu’elle ne sache pourquoi.

« Mon père. Isaac tremble dan sa chambre comme une fillette apeurée. »

Deux informations, pas l’une pour rattraper l’autre de son point de vue… Peut-être parce qu’elle aurait préféré qu’Isaac en soit la cause, plutôt que le paternel Rivers. Pourtant elle aurait du le savoir qu’il ne laisserait pas tomber et qu’il irait échanger deux ou trois petites attentions avec son ex fiancé, mais la jubilation de le savoir recroquevillé dans un coin terrorisé par d’éventuelles représailles n’avait pas suffit à apaiser son esprit. Le père d’Alec représentant une menace bien trop grande.

« Il était en bas quand je suis rentré. La bonne nouvelle, c’est que Janie lui a échappé, sinon, il ne serait pas dans une rage pareille. »

Soupire de soulagement, même si elle se doutait que la jeune Rivers avait tout compris pour passer entre les mailles du filet paternel.

« Qu’est-ce qu’il te voulait ? »

Derrière cette question, des tonnes d’interrogation, mais surtout les prémices d’une culpabilité car elle sentait que tout ça était lié à leur union surprise.

« Laisse-moi t’aider, j’ai besoin de voir l’étendue des dégâts avant de faire quoi que ce soit… »

La blonde insiste un peu, s’impose presque, histoire de lui faire comprendre qu’elle ne lâchera pas l’affaire de ci-tôt. Elle ne cache pas la grimace qui déforme les traits de son visage. C’est moche, et contrairement à lui, il n’y a aucune colère face à ce désastre, juste de la peine et une envie de tout faire disparaitre. Elle le laisse agir, pendant qu’elle fait venir le nécessaire d’un coup de baguette, puis l’invite à se poser pour qu’elle puisse agir sans encombre.

« Répond-moi Alec, qu’est-ce que te voulait ton père ?! Est-ce que… c’est ma faute ? »

Bien sûr que ça l’est, et ça rend la situation encore plus merdique ! Les premiers sortilèges prononcés, la jeune femme avait pu voir les stigmates s’estomper en partie avant de soupirer.

« Alec, tu sais que j’te serais éternellement reconnaissante pour ce que tu as fait pour moi, mais si c’est pour te retrouver dans des états pareils, j’suis pas certaine que le jeu en vaille la chandelle. »

Oh non elle ne regrette en rien ce mariage, bien au contraire, mais si c’était pour le retrouver dans cet état régulièrement, le sacrifice était sûrement trop important.

Est-ce qu’il avait prévu de parler d’Isaac à Mack ? Absolument pas. Ça lui avait totalement échappé. Mais, oui, bien sûr qu’il lui avait rendu une petite visite. Non, il ne pouvait pas laisser ce type s’en sortir avec ce qu’il avait fait. Ça n’avait jamais été une option et si Isaac avait réellement pensé qu’en fuyant le mariage sans un mot, il ne verrait plus jamais ces deux familles de malheur, il avait été particulièrement idiot. Et si Alec avait pensé que sa famille le laisserait tranquille après ce qu’il avait fait, il l’était tout autant.

« Qu’est-ce qu’il te voulait ? »

Reprendre le contrôle. A vrai dire, c’était surtout ça qu’il voulait. Et son fils n’avait qu’une envie : fermer les yeux et tout oublier.

« Laisse-moi t’aider, j’ai besoin de voir l’étendue des dégâts avant de faire quoi que ce soit… »

Il aurait dû résister, s’énerver, pleurer, hurler. A vrai dire, Alec avait envie de tout ça, loin sous la surface. Mais à la place, c’était une putain de lassitude, un épuisement total qui formait une carapace autour de tout ça, muselant ses réels sentiments qui ne demandaient qu’à exploser. Alors il s’était levé, se débarrassant de tout ce qui couvrait ses blessures. Malgré les effets de la magie qui avait déjà fait disparaitre bien des marques, le jeune homme savait que plus le temps passait, plus ça se voyait, que ce corps avait encaissé bien plus qu’il n’en était capable. Comme son propriétaire d’ailleurs. Alors il s’était laissé tomber sur le lit, fixant d’un air morne l’énorme plaie dans son bras en partie soignée déjà. Par lui au début. Puis par Caitlyn. Il ne restait qu’une grosse marque rouge, douloureuse. Ils n’avaient pas terminé le travail. Tout comme pour ses côtes.

« Répond-moi Alec, qu’est-ce que te voulait ton père ?! Est-ce que… c’est ma faute ? »

Son regard s’était posé une seconde sur Mack avait de se perdre de nouveau.

« Alec, tu sais que j’te serais éternellement reconnaissante pour ce que tu as fait pour moi, mais si c’est pour te retrouver dans des états pareils, j’suis pas certaine que le jeu en vaille la chandelle. »

Mâchoires serrées. Nausée profonde.
Et tu crois que je peux faire quoi ? Quel autre choix existe-t-il ?

« J’ai prit une décision qui implique la famille entière. Sans le consulter. J’ai affronté ma mère. Pas lui. C’est pas ta faute, c’est la mienne. Parce que j’ai été lâche et que j’ai voulu éviter… exactement ça. Je savais ce qui allait se passer mais j’ai pas eu le courage de passer par lui. Et encore moins d’attendre qu’il se décide. »

Ça n’était pas négligeable vu la situation.

« C’est plus simple de manipuler ma mère que mon père… sauf qu’en faisant ça, j’ai sapé son autorité. J’ai prit sa place. Et il a fait ce que n’importe quel alpha aurait fait : il m’a remit à ma place. »

Une nouvelle fois.

Parce que concrètement, ça n’allait pas plus loin. D’autant qu’Alec avait fait exactement ce qu’il voulait qu’il fasse, et il le savait parfaitement. Ça le rendait d’ailleurs encore plus dingue de savoir qu’il n’était sans doute que le pantin de sa famille.

Pour le coup, et ce même s’il n’enviait pas du tout la position de Logan, il était bien le seul à avoir réussi à aller à contre courant.

« Quelque chose me dit que c’était pas exactement ce à quoi ils s’attendaient en m’enfermant à Poudlard. »

Que leur nom soit associé à tout ça. A la résistance contre des valeurs qu’ils partageaient pourtant.

La blonde avait hésité, l’espace d’un instant à s’imposer à lui. Consciente qu’il désirait sûrement rester seul au des circonstances. Pourtant elle n’avait pu se résigner à accepter un quelconque refus venant de lui. Elle avait cette chance, d’avoir assez d’impact et de pouvoir sur lui pour adoucir son âme en pagaille. Mackensie avait cru qu’elle finirait par perdre ce privilège, pourtant il demeurait capable de refouler ses pires travers face à elle. Comme s’il s’était toujours autorisé à baisser un peu la garde en sa compagnie et ça la rendait à la fois dingue et reconnaissante. Son mari avait fini par obéir, défaisant les haillons pour montrer les plaies encore présentes et laissant deviner les douleurs des coups encaissés par un père qu’elle savait bien trop violent pour l’avoir vu à l’œuvre trop souvent. Ça la rongeait de culpabilité de le voir dans cet état et une part d’elle se détestait profondément quoiqu’il puisse dire ou justement ne pas dire en restant silencieux. Fuyant son regard, l’anglaise avait attrapé sa baguette pour faire venir à elle de quoi nettoyer les plaies avant de pouvoir faire mieux magiquement parlant. Elle aurait du laisser sa place à Takuma, mais son instinct lui hurlait qu’Alec n’était pas prêt à se laisser approcher par le nippon, même avec la plus grande des bienveillances.

« J’ai pris une décision qui implique la famille entière. Sans le consulter. J’ai affronté ma mère. Pas lui. C’est pas ta faute, c’est la mienne. Parce que j’ai été lâche et que j’ai voulu éviter… exactement ça. Je savais ce qui allait se passer mais j’ai pas eu le courage de passer par lui. Et encore moins d’attendre qu’il se décide. »
« T’aurais pas remis les pieds là-bas si t’y avais pas été contraint Alec. »

Elle l’écoute, tout en agissant sur sa personne pour faire taire les douleurs du mieux qu’elle peut. Elle aurait voulu se taire, mais les mots étaient sortis sans qu’elle ne puisse les retenir.

« C’est plus simple de manipuler ma mère que mon père… sauf qu’en faisant ça, j’ai sapé son autorité. J’ai pris sa place. Et il a fait ce que n’importe quel alpha aurait fait : il m’a remis à ma place. »

Ça la faisait toujours autant tiquer ce genre de comportement venant d’un parent, d’autant plus à présent que son père avait tenté de l’enfermer dans un mariage où elle aurait sûrement perdu la vie dans le meilleur des cas, dépérie drastiquement dans le pire ! Pour une histoire de mœurs qu’elle ne cautionnait plus et n’avait finalement jamais cautionné. Ca n’enlevait en rien ce sentiment amer qui la grignotait quand elle avait du mal à voir la lumière du jour.

« Quelque chose me dit que c’était pas exactement ce à quoi ils s’attendaient en m’enfermant à Poudlard. »
« Quelque chose me dit que rien ne sera jamais à la hauteur aux yeux de cet enfoiré imbu de sa personne… et tu sais quoi ?! C’est sûrement la meilleure chose qui puisse t’arriver ! »

Ne pas avoir à essayer de le rendre fier.

« J’aurai préféré que tu ne recroises jamais leur route tu sais… »

Un nouveau sortilège pour faire disparaitre une autre marque. Et puis la jeune femme avait soupiré en regardant son ami.

« Tu penses qu’il va te laisser tranquille ? Ou alors il attend quelque chose de toi ? »

Autre qu’être un Rivers docile et bien rangé derrière les idées familiales. Avec un linge humide, elle avait approché son visage pour faire disparaitre le sang, sa main le maintenant vers elle pour qu’il ne puisse pas fuir son regard.

« Il t’a pas loupé… Qui t’as soigné au fait ? »

Parce qu’elle n’était pas dupe, quelqu’un était passé par là avant elle. Ce quelqu’un sachant user d’une baguette.

« J’devrais demander à Takuma de t’examiner, tes côtes sont dans un état lamentable et j’suis pas sûre de vouloir arranger ça sans savoir si t’as rien de plus grave. »

Non, Alec n’était pas prêt à se laisser approcher par qui que ce soit. Il avait même réellement failli frapper Caitlyn quand elle s’était approchée de lui et, sincèrement, en cet instant, il aurait aimé qu’elle soit là en face de lui plutôt que Mack. Parce qu’il l’aurait sans doute fait et que dans son esprit embrouillé, ça semblait étrangement satisfaisant. Cela dit, cogner Takuma aurait été infiniment plus agréable. Déjà parce qu’il ne l’appréciait pas plus que ça, avec ses airs étrangement parfait malgré son physique moins bon enfant. Et puis parce qu’un espèce de sexisme lui faisait penser qu’il pouvait sans doute plus facilement encaisser. Et parce qu’il l’avait déjà fait. Que de bonnes raisons, amenez moi Takuma.

« T’aurais pas remis les pieds là-bas si t’y avais pas été contraint Alec. »
« C’est vrai. »

La confirmation avait claqué dans l’air. Oui, il y était allé pour elle. Elle et Janie étaient sans doute les seules raisons qui puissent le faire y retourner. Voir sa mère, uniquement. Il n’était pas prêt à affronter son père ou son oncle et ça le foutait dans une rage dingue. Comme s’il s’agissait là d’un aveu total de faiblesse.

Pauvre petit garçon apeuré que tu es.

« Quelque chose me dit que rien ne sera jamais à la hauteur aux yeux de cet enfoiré imbu de sa personne… et tu sais quoi ?! C’est sûrement la meilleure chose qui puisse t’arriver ! »

Petit sourire en partie mauvais, en partie agacé, en partie étrangement soulagé. Il avait pourtant toujours été en recherche de l’admiration de sa famille. Il avait tout donné pendant toute son enfance. Mais rien n’avait jamais suffit. Alors il avait tout rejeté en bloc. Quelque part, s’ils lui avaient donné ce qu’il cherchait, peut-être ne serait-il pas dans le même camp à l’heure actuelle.

« J’aurai préféré que tu ne recroises jamais leur route tu sais… »

Cette fois, il sentit les flots de larmes monter de nouveau dans sa gorge. Cette putain d’impression de vouloir vomir sa rage, ses larmes, ses peines sans que ça puisse sortir le prenait comme un boa étoufferait sa proie.

« Tu penses qu’il va te laisser tranquille ? Ou alors il attend quelque chose de toi ? »

Ravale tout ça Alec. Ravale cette merde. Bien au fond.

« J’en sais rien. »

Sa voix vibrait bizarrement.

« Enfin si. Non, il me lâchera pas comme ça. Mais je ne sais pas pourquoi. J’sais pas ce qu’il me veut. J’espérais connement que je pourrais juste… tu sais ; juste plus être un Rivers. »

…

« T’as choisi une belle famille de merde, tu le sais ça ? Fallait dire non ma cocotte ! »

Ce fut une tentative d’humour franchement acerbe. Pas qu’il regrette qu’elle ait dit oui, mais à vrai dire, à l’heure actuelle, jetant un coup d’œil à sa famille et à là où il en était… il n’était pas certain d’être tout à fait rassuré de la savoir porter son nom.

« Il t’a pas loupé… Qui t’as soigné au fait ? »
« J’ai croisé Caitlyn en cours de route. »

Et Aïden, mais ça n’était sans doute pas intéressant à préciser puisque la question concernant ses soins et qu’il refusait de s’approcher de nouveau d’une baguette. Il n’avait pas non plus précisé qu’il avait commencé le boulot. Elle savait qu’il avait à présent quelques années de pratique. Ça ne semblait pas important de remuer le couteau dans la plaie.

« J’devrais demander à Takuma de t’examiner, tes côtes sont dans un état lamentable et j’suis pas sûre de vouloir arranger ça sans savoir si t’as rien de plus grave. »

Rejetant l’idée d’un revers de main, Alec n’avait pas manque de grimacer ouvertement, dédaignant la possibilité de laisser Takuma s’occuper de lui. Il cicatriserait, voilà tout.
A vrai dire, il valait sans doute mieux lui proposer cette option plus tard, quand il se serait calmé. Ou endormi. Ou drogué.

« Nan ça ira. C’est bon, j’vais bien. »

Réaction typique.

« C’est pas pire que d’autres fois. »

Il le reconnaissait déjà. C’était un bon point. Sans doute.

« T’as jamais envisagé l’idée que… tout ça, ça aurait pu être que de la manipulation ? Des miens, plus que des tiens. Voir même de ma famille sur la tienne. Je ne pensais pas ton père agir comme ça et ta mère m’a juste pas répondu, elle s’est complètement bloquée. Alors… »

Pourquoi sortait-il ça maintenant ? Il n’en savait rien, mais ça faisait un moment que cette hypothèse lui trottait dans la tête.

« C’est vrai. » Cette réalité ne lui avait pas échappé, la jolie blonde savait qu’il lui faudrait accepter cette évidence, et ça la blessait quoi qu’elle en dise. Le fait qu’il ait du renouer avec sa famille par sa faute la faisait culpabiliser plus que de raison. Il lui semblait qu’entre eux, un fossé s’était creusé, le genre de cap impossible à franchir et pourtant elle aurait voulu qu’il parle. Qu’il lui dise à quel point il détestait cette situation dans laquelle il se retrouvait par sa faute. Mais les reproches ne viendraient pas, pas aussi acerbes, même si le non verbal était plus parlant que tout le reste quand on savait le déchiffrer. « J’en sais rien. Enfin si. Non, il me lâchera pas comme ça. Mais je ne sais pas pourquoi. J’sais pas ce qu’il me veut. J’espérais connement que je pourrais juste… tu sais ; juste plus être un Rivers. » Silence « T’as choisi une belle famille de merde, tu le sais ça ? Fallait dire non ma cocotte ! »

« J’y ai songé, mais tu connais mon ambition et ma détermination sans faille… J’pouvais pas refuser si près du but ! »

Tentative toute aussi bancale de jouer les filles qui ça n’atteint pas, alors qu’à force de se l’entendre dire elle commençait sérieusement à se dire qu’elle aurait dû assumer et se sortir de ce mauvais pas sans l’y mêler. Alors elle préfère panser les blessures, au moins en surface, consciente qu’elle ne pourrait pas creuser plus loin pour l’instant. « J’ai croisé Caitlyn en cours de route. » Bien bien bien, et ça n’était pas la suite qui allait arranger les choses puisque c’est sans surprise qu’elle s’était pris un stop monumental. « Nan ça ira. C’est bon, j’vais bien. » Déni, mais rien de bien surprenant et qui ne puisse la braquer. « C’est pas pire que d’autres fois. »

« Ok comme tu veux, mais laisse-moi au moins te débarrasser de tout ça ! Et j’te laisse pas le choix ! »

De l’eau, une serviette et elle s’était évertuée à faire disparaitre les traces de sang ici et là avec la douceur qui la caractérisait depuis tant d’années. « T’as jamais envisagé l’idée que… tout ça, ça aurait pu être que de la manipulation ? Des miens, plus que des tiens. Voir même de ma famille sur la tienne. Je ne pensais pas ton père agir comme ça et ta mère m’a juste pas répondu, elle s’est complètement bloquée. Alors… » Pour être franche, cette simple supposition venait de la faire arrêter ce qu’elle était en train de faire. Regard posé dans le sien, l’idée ne l’avait même pas effleurée et pourtant si ça lui paraissait fou, ça avait au moins le mérite d’expliquer bien des choses. D’abord silencieuse, elle avait repris sa besogne faisant en sorte que l’eau se colore en rouge à mesure qu’elle nettoyait les plaies et finalement elle avait soupiré pas certaine de savoir quoi penser de cette insinuation.

« Ca les rendrait moins coupables de ce qu’ils m’ont fait à tes yeux ?! »

C’était l’amertume qui avait parlé, celle qu’elle nourrissait en secret et qui la rendait un poil agressive sur le sujet peut-être.

« Même sous l’influence de tes parents, ils restaient libres de ne pas faire de moi un trophée qu’on exhibe et qu’on offre pour le prestige du nom. Mon père savait et il n’a rien fait quand je l’ai supplié. Ma mère n’a rien fait de plus lorsqu’elle m’a vue me plier de douleur mise à part détourner le regard. Il était prêt à me confier à Isaac, en toute connaissance de cause alors manipulation ou non, ça ne change rien… »

Les mots étaient peut-être durs, mais le feu couvait depuis sa libération. Ils avaient voulu faire d’elle une Rivers, elle finirait peut-être par leur faire ce plaisir un jour ! Et dans son élan de colère, ses gestes moins maitrisés, elle l’avait senti réagir sous sa main alors qu’elle continuait de nettoyer ce sang coagulé et séché.

« Excuse-moi, je t’ai fait mal ? »

« J’y ai songé, mais tu connais mon ambition et ma détermination sans faille… J’pouvais pas refuser si près du but ! »
« C’est évident. »

Un petit sourire sarcastique. Elle avait au moins la capacité de le faire rire – ou presque – et dans un moment pareil, c’était presque un exploit. A vrai dire, lorsqu’elle l’avait récupéré dans cet état quand il était enfant, Alec était souvent détaché, habitué à un tel traitement. Du moins, c’était une réaction commune chez lui. Comme d’accepter que c’était un état de fait totalement normal. Mais là, il avait eu des années loin de ses parents et de leur influence toxique. Certes, le traitement de Logan n’avait pas toujours été plus agréable, mais ce qu’il y avait derrière n’était pas si négatif. Là, Alec se rendait de nouveau compte de cette chape de mal-être que la simple présence de son père pouvait insuffler en lui. Comme un poison qui coulerait dans ses veines dès que son regard ou ses paroles se mettraient à dégouliner sur lui. Et ce choc, il n’en avait certainement pas besoin à l’heure actuelle.

« Ok comme tu veux, mais laisse-moi au moins te débarrasser de tout ça ! Et j’te laisse pas le choix ! »

Grognement d’assentiment. En effet, il n’avait pas le choix. Pourtant sa peau le brûlait et chaque contact le hérissait au plus haut point. Il aurait dû se détendre auprès de Mack pourtant. Mais la rage était toujours là en lui et ne demandait qu’à sortir. Or ça n’était pas possible. Alors il se concentrait sur autre chose, sentant sa peau tressauter à chaque contact.

« Ca les rendrait moins coupables de ce qu’ils m’ont fait à tes yeux ?! »
« Non. C’était pas mon propos. »

Il n’était pas tout à fait du genre à chercher des excuses à qui que ce soit, et certainement pas à des cons capables de vendre littéralement leur fille à un connard violent et égocentré. D’ailleurs, ça l’agaçait passablement qu’elle ait pu penser qu’il s’agissait là du sens de ses paroles. Alors, oui, il savait bien qu’il s’agissait là de la blessure. Qu’elle n’avait pas réellement pensé qu’il puisse insinuer ça mais qu’elle avait besoin de parler de ça. Mais à l’heure actuelle, ça l’agaçait quand même.

« Même sous l’influence de tes parents, ils restaient libres de ne pas faire de moi un trophée qu’on exhibe et qu’on offre pour le prestige du nom. Mon père savait et il n’a rien fait quand je l’ai supplié. Ma mère n’a rien fait de plus lorsqu’elle m’a vue me plier de douleur mise à part détourner le regard. Il était prêt à me confier à Isaac, en toute connaissance de cause alors manipulation ou non, ça ne change rien… »

Elle était montée en pression, appuyant un  peu plus sans faire attention à ce qu’elle faisait sur ses plaies. Alec s’était tendu, y joignant un mouvement de recul.

« Excuse-moi, je t’ai fait mal ? »
« Oui. »

Se redressant en inspirant à fond, Alec avait jeté un coup d’œil à la rue déserte, craignant presque d’y voir apparaître de nouveau son manipulateur de père.

« J'le répète : c’était pas mon propos. J’vais prendre une douche. »

Rester seul. Réellement, il en avait besoin. Avant d’exploser. Avant de dire ou faire des choses qu’il regretterait.

« Ils n’ont aucune excuse. Aucun d’eux. »

Cette dernière phrase n’était pas tout à fait correcte mais on repassera.

« Ah, et Yassen est mort. »

Ce fut la dernière avant de sortir de la pièce, de croiser Aileen qu’il envoya chier avant d’entrer dans la salle de bain où Takuma prenait lui-même une douche.

L’instant suivant, Takuma était nu en dehors de la salle de bain, celle-ci était fermée, et l’eau brûlante coulait sur les plaies du Rivers, lourd de douleurs.

« Putain il se passe quoi ? »

Pas pudique pour un sou, le nippon était resté bloqué là une seconde, face à la porte fermée, avant de se sécher d’un coup de baguette et d’aller chercher de nouvelles affaires, repoussant l’idée de cogner à la porte pour obtenir celles qui étaient d’ors et déjà enfermées avec Alec. L’état de son corps ne lui avait pas échappé et il comprenait que ça n’était sans doute pas le moment de l’emmerder.

La vapeur d’eau emplissait doucement la salle de bain tandis qu’une musique couvrait les coups donnés au carrelage de la douche. Paupières closes, il sembla une seconde à Alec qu’il n’arriverait plus à inspirer de nouveau un jour. Un hurlement muet coincé au fond de la gorge, il se laissa tomber sous le jet, fixant d’un œil morne l’eau qui balayait avec elle les dernières traces de la violence de son père.

« C’est évident. »

Bien sûr que ça l’est, autant en rire, même si le cœur n’y était pas toujours à l’heure actuelle. Dur de sortir de ce cercle vicieux dans lequel elle semblait patauger. Comme coincée dans cet étau qui l’oppressait au fil des jours. Isaac était loin pourtant, mais il lui semblait ressentir sa présence encore au moins dans son esprit ! Alors elle reportait son attention sur Alec, parce qu’elle savait le faire. S’occuper des autres pour éviter de trop penser à elle, une façon comme une autre de repousser les discussions. Ca ne lui plaisait pas, mais il faisait l’effort de la laisser le materner, alors qu’elle sortait un semblant d’amertume face à ses paroles.

« Non. C’était pas mon propos. »

Elle le sait, parfaitement même qu’il n’est pas en train de chercher à légitimer le comportement de ses parents, mais dans l’immédiat, les mots lui sont venus sans filtres. Elle ne veut pas les excuser, pas leur trouver de facteurs atténuants… Trop douloureux ! Elle savait qu’il n’avait pas cherché à minimiser les choses, mais elle ne pouvait pas l’entendre ça, pas maintenant, pas encore… Elle aurait sûrement du consulter un psy pour évacuer son mal être et tourner la page plus facilement. Ça l’affectait bien trop et à la réaction d’Alec, elle s’en était rendu compte alors elle s’était excusée dans la foulée arrêtant son geste face à son oui.

« J'le répète : c’était pas mon propos. J’vais prendre une douche. »

Elle était restée silencieuse, incapable d’aller dans son sens et de toute façon, la blonde savait que toute discussion serait pernicieuse dans ce climat de tension.

« Ils n’ont aucune excuse. Aucun d’eux. »

Et ça, ça lui fait du bien… Juste ces quelques mots en soutien à sa peine.

« Ah, et Yassen est mort. »

Coup de masse, comme si cette journée ne pouvait pas être pire encore. Il avait disparu sans même lui laisser le temps de réagir et elle n’avait même pas tenté de le retenir comprenant qu’à cet instant mieux valait qu’il soit seul. C’était la nudité de Takuma qui l’avait ramenée à la réalité. Détournant le regard gênée, elle s’était mise à rassembler ce qu’elle avait utilisé pour nettoyer les plaies d’Alec.

« Putain il se passe quoi ? »
« Son père lui a montré tout son amour… »

Et elle le sait que c’est grâce à ce mariage à la con qu’il l’a retrouvé lui et peut-être qu’il aura aussi mis la main sur Janie et ça la tuerait presque de savoir ce genre de chose. Elle n’avait rien dit de plus, secouée par cet enchevêtrement de nouvelles démoralisantes.

« Je sors prendre l’air. »

Elle n’irait pas loin, mais il lui fallait ce temps pour elle histoire de prendre sur elle, d’avaler les nouvelles et aider au mieux Alec.