Cela faisait à peine une semaine que Tycho s’était installé à Londres, et il regrettait déjà Amsterdam, ce qui était un exploit en soi. Le ciel avait été d’un gris perpétuellement lisse, au diapason de la façade de son immeuble miteux qui avait autrefois dû être d’un blanc immaculé. Quant à l’intérieur… Eh bien, il y passait le moins de temps possible, la compagnie des nuisibles et le camaïeu de moisissures qui maculait la plus grande proportion des murs lui étant plutôt désagréable. Il avait essayé quelques sortilèges de nettoyage, mais ses compétences en la matière étaient limitées – ou bien, et il commençait à l’envisager sincèrement, l’endroit avait-il été magiquement maudit par la crasse.
L’avantage, c’était que Tycho avait déjà ses habitudes au-dehors. Il commençait de mieux en mieux à se repérer dans Londres, et surtout, dans la British Library où il passait le plus clair de son temps. Il avait visité quelques endroits de la ville, pris quelques clichés histoire de dire, mais aucun n’était vraiment exploitable. D’énièmes photos de bâtiments vus et revus, des scènes de la vie parfaitement normales, rien d’extraordinaire. Tycho envisageait de se rendre dans les lieux un peu plus emblématiques de la vie sorcière pour y trouver des sujets un peu plus originaux, pour illustrer quelques articles des journaux néerlandais, rubrique étrangère.
Ce matin-là, Tycho se rendait une nouvelle fois dans son quartier général. Vêtu chichement d’un pull bien trop large pour lui et d’un pantalon anthracite pris au hasard de sa pile de vêtements propres, il passa l’accueil extérieur en saluant l’homme de garde. Comme toujours, il se demanda devant le gigantesque bâtiment en briques comment un édifice pouvait être aussi vaste et aussi moche : la faute de goût tenait de la multi-récidive. Comme un fantôme, il glissa en se faufilant entre la foule d’étudiants qui, à cette heure matinale, se bousculait pour se répandre dans les différents rayonnages. En pilotage automatique, dans un slalom digne des plus grands skieurs, il atteignit le troisième étage de l’aile Nord, suivit le trajet habituel au rayon philosophie et se saisit d’un vieux livre. Par acquit de conscience, il jeta un œil autour de lui pour vérifier qu’il était bien seul. Évidemment, personne ne venait jamais dans un rayonnage traitant d’ontologie et d’épistémologie.
Alors que Tycho récitait le poème à voix basse, le passage vers la partie sorcière de la British Library s’ouvrit à lui. Il se glissa dans l’embrasure, qui se referma derrière lui dans un léger cliquètement. Et il se retrouva dans un silence de cathédrale, loin du bruissement confus des centaines de Moldus qui s’entassaient de l’autre côté. Ses pas résonnant sur les dalles de pierre anciennes, il salua la jeune sorcière qui se tenait à l’accueil d’un hochement de tête, sa langue comme d’habitude mystérieusement dépourvue de substance dès lors qu’une femme ayant le mérite d’être vivante lui lançait un simple regard poli. Et Tycho traça sa route, continuant son exploration interrompue la veille.
La bibliothèque des sorciers de Londres était un véritable dédale, au-delà même de ce à quoi il s’était attendu : à côté, même celle de l’institut de Beauxbâtons faisait bien pâle figure. Bien entendu, au vu de la nature de ce qu’il cherchait, il se voyait vraiment mal demander à l’accueil où se trouvait la section traitant de l’animation des cadavres, si tant est qu’elle existait en libre accès, ce dont Tycho doutait fortement. Alors, il avait commencé par trouver les rayonnages ayant trait à différentes sciences occultes, avant de se tourner vers les enchantements liés à l’âme. Quelques informations, çà et là, lui avaient paru pertinentes jusqu’ici, mais rien de probant. La veille, cependant, Tycho avait vu une mention aux Inferi dans un ouvrage nommé Petit Traité de la Dangerosité des Forces Nécrotiques, par un auteur du 18ème siècle, William B. O’Donovan. A l’époque, visiblement, ces créatures étaient déjà utilisées, parfois même comme serviteurs au quotidien. O’Donovan décrivait comment, en 1547, Archibald Harbourg, petit seigneur du comté d’Ickham, s’était retrouvé réduit en charpie par ses propres esclaves animés, qu’il avait hérités de son père aux pouvoirs supérieurs aux siens. Tycho avait noté la notion de transmission et d’hérédité, mais c’était tout. L’excitation de la découverte avait été de courte durée, mais avait au moins eu le mérite de relancer son enthousiasme.
Tycho se dirigea cette fois vers une aile plus lointaine de la bibliothèque : sur une pancarte, il y était indiqué « Animancie et Occultisme ». C’était prometteur. Sur les rayonnages, des titres attirèrent son attention : Manipulation des Âmes et Préservation des Corps, par Gareth Edmonds ; De la Finitude à l’Éternité, par Derreck Lee ; ou encore, Voyage au pays des Morts, par Paul Finnesby. Des ouvrages qui pouvaient autant être un tas de sornettes, un puits sans fond de légendes infondées, qu’une mine d’or de connaissances. Alors qu’il se saisissait des trois grimoires pour les emmener dans un bureau et les étudier, son regard fut cependant attiré par un piédestal, situé au fond du rayonnage. Laissé là, trônant parfaitement en évidence, il y avait un autre livre, qui se révéla s’appeler La Magie Noire, sauveuse de vies. Il n’y avait pas d’auteur. La couverture était d’un noir profond, le titre gravé en lettres d’or. Un titre certes racoleur, mais après tout, pourquoi pas ? Tycho tendit la main et se saisit de l’ouvrage.
Qui s’ouvrit.
Qui le happa.
Tycho tomba sur un sol dur et froid. Ouvrit les yeux, et fut ébloui. Tout autour de lui, il ne vit que du blanc. Puis, il vit à ses pieds des marques au sol. Il marchait sur… de l’encre ? De la pointe du pied, il tâta les dalles dessinées. Elles étaient bien palpables. Comme autant de coups de pinceau noir, elles s’étendaient en un long couloir, se dessinant au fur et à mesure que son regard portait au loin. Autour de lui, des murs de pierre se formèrent de la même façon. Derrière lui, un cul-de-sac. Tycho regarda ses mains : lui, était parfaitement normal.
- C’est quoi cette merde…, murmura-t-il.
Aussitôt, tout autour de lui, les mots prononcés s’inscrivirent à l’encre noire sur les murs, le sol et le plafond, en une multitude d’exemplaires. Ils se détachèrent les uns des autres, se mirent à danser et serpenter chacun dans son coin, à se perdre au loin dans le couloir infini. L’écriture était soignée, mais empreinte d’une hâte malsaine. Le cœur battant à tout rompre, Tycho s’avança vers l’un des murs qu’il toucha. La pierre était aussi froide et palpable que le sol. Les mots, eux, semblaient faits de volutes de fumée lorsque l’on s’en approchait avant qu’ils ne s’enfuient. Il se retrouva partagé entre une peur panique et une exaltation. Comment tout cela était-il possible ? Où était-il ? Comment était-il arrivé là ? Surtout, quelle était cette magie ?
- Je m’appelle Tycho van den Berg, dit-il d’une voix qu’il voulait assurée.
Comme auparavant, les mots glissèrent le long du sol et des murs, formés lettres par lettres, comme si d’innombrables gouttes d’encre se réunissaient pour répéter ce qu’il disait. Tycho tenta de se jeter sur l’un des mots, mais chaque fois qu’il voulait s’en saisir, l’encre se rétractait, fuyait, ou disparaissait.
- S’il y a quelqu’un, répondez-moi !, ordonna-t-il.
C’était sans doute stupide, mais peu importait, il fallait bien tenter. Encore une fois, les mots prirent vie autour de lui. Cette fois, comme pour se moquer de lui, ils serpentèrent entre ses jambes avant de s’envoler jusqu’au plafond et voyager entre les murs. Il devait bien y avoir… quelque chose, une entité, pour communiquer ? S’il y avait des mots, c’était pour communiquer, pas vrai ? Tycho se sentit impuissant face à son incompréhension. Il n’eut pas le loisir de se poser plus de questions, et encore moins d’y répondre. Derrière lui, un choc : il se retourna et sursauta en voyant une autre personne de chair et d’os qui venait de tomber, de la même manière que lui. D’instinct, il sortit sa baguette et la pointa sur la silhouette.
- Ne bougez pas !, intima-t-il.
Les mots se formèrent de nouveau autour de lui, comme une tornade d’encre qui s’envola et, taquine, les entoura bientôt en volutes noires et inquiétantes.
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Sam 12 Oct 2024 - 14:20
Dialogue en italique = Dialogue non Anglais
Faits comme des rats de bibliothèque
Vendredi 12 Mai 2017 British Library, London, Angleterre
Les livres avaient toujours été pour Linnea une source d'évasion. À travers ses derniers, elle visitait déjà le monde alors qu'elle était coincée entre les murs de la demeure Anker lors de son enfance. Mais ils étaient aussi une source de savoir inépuisable. Oh, bien sûr, les livres dont elle avait accès étaient tous en lien avec la magie, mais avec les années et la complicité de son ami d'enfance, elle avait aussi découvert les livres moldu et tout un autre monde. Monde secret aux yeux de ses paires, mais fascinant au sien. Le temps s'était encore écoulé, mais les livres étaient restés ses fidèles compagnons alors qu'elle s'occupait de l'éducation de son fils et s'occupait à apprendre de nouvelles langues. Avec ces dernières allaient aussi de nouvelle histoire et de nouvelle culture. Lin se plaisait à lire sur tous les sujets et si la place était limitée chez elle pour accueillir tout se savoir, il y avait heureusement une bibliothèque à Londres qui était très bien fournie. Que ce soit coté magique ou moldu.
Il n'était donc pas surprenant, de la voir aujourd'hui encore déambuler entre les rangées de la bibliothèque. Il faut dire qu'ici, elle commençait à connaître un peu tout le monde et aussi à être connu par tout le monde, tellement elle y avait passé du temps. Temps qui était encore plus important depuis la mort de Waramunt. Les minutes qu'elle passait ici étaient du temps en moins dans la demeure vide qu'ils avaient partagé -l'autre perspective était de passer ce temps au ministère… Les livres étaient de bien meilleure compagnie que certains de ses collègues.-. C'était donc d'un signe de la tête que la femme en tailleur saluer les employés qu'elle était amenée à croiser alors qu'elle passait devant les différentes étagères pleines de livre.
Le silence était une des autres caractéristiques de ce lieu et elle s'était habituée. Ainsi, lorsqu'elle entendit le bruit, manifeste de la chute d'un objet sur le sol, elle s’étonnait et s'arrêtait dans sa marche. Après une réflexion, elle se dirigeait vers la droite, là où semblait être l'origine du bruit. La Norvégienne passait à côté de la pancarte "Animancie et Occultisme" sans y faire attention. Ce fut au détour d'un rayonnage qu'elle remarquait le livre qui était au sol, seul. Un froncement de sourcils marquait son visage alors qu'elle s'avançait vers ce dernier. Placé devant le livre, elle se demandait comment elle avait pu entendre la chute de ce dernier tandis qu'elle repensait à la distance qu'elle venait de parcourir. Était-ce vraiment lui qu'elle avait entendu tomber ? Le son, n'avait-il pas était amplifié ? Mais pourquoi quelqu'un ferait ça ? Et pourquoi le livre était au sol ? Celui qui l'avait fait tomber ne devrait-il pas l'avoir ramassé ? Les livres méritaient un meilleur traitement. Envahie par toutes ses questions, elle prenait le temps de regarder autour d'elle, mais non, il ne semblait y avoir personne. Ce fut alors avec naturel qu'elle s’accroupit pour ramasser le savoir qui se trouvait au sol.
Elle ne pourrait pas vraiment décrire ce qui s'était passé, mais au moment de touché le livre, elle s'était senti chuté, comme si le point de gravité qui tenait son corps en équilibre accroupi sur ses deux jambes avait soudainement changé. Elle basculait en avant. Surprise, elle se rattrapait avec sa main livre et c'est ainsi qu'elle se retrouvait étalée sur le côté et aveuglé par une lumière. Son sens du toucher lui revient avec celui de la vue. La main qui devait tenir le livre était vide, l'autre était plaqué conte un sol froids et dure. Une voix lui parvient, mais son cerveau était encore trop confus pour comprendre le sens des mots. Il était pour le moment, concentrer sur le fait de démêler toutes les informations qui lui parvenaient. L'éblouissement prenait fin alors qu'elle tentait de se relever un minima. Assis au sol, yeux posés sur ce dernier, elle avait l'impression d'être sur une feuille de papier. En-tout-cas, visuellement, mais le contact de sa main sur ce dernier lui donnait davantage l'impression d'être sûr du béton. Son cerveau s’embrouillait une nouvelle fois. Elle relevait les yeux et pouvait distinguer très clairement le mur fait aussi de papier, à vrai dire visuellement -si c'était comme le sol, il ne devait pas l'être-. Sur ce dernier, des motifs étaient dessinés par de l'encre… Oui, un dessin noir qui semblait l’œuvre d'un coup de plume sur le papier. Il n'y avait que quelques secondes qu'elle était là, mais son jugement lui disait déjà de porter la main à la baguette qui était à sa taille.
Relevé sur ses deux pieds, baguette a la main, elle faisait face à un homme qui dénotait dans le décor et qui pointait sa baguette sur elle. Dénotait, parce qu'il était en couleur, mais surtout, car il ressemblait bien à un réel être humain dans ce monde qui semblait fait de papier et d'encre. « Où sommes-nous ? » Question légitime, même si elle ne savait pas encore si l'homme qui se tenait face à elle serait plutôt un allié ou un ennemi. Oui, il avait une baguette pointée vers elle, mais si elle était honnête avec elle-même, elle aurait fait de même si elle n'avait pas été prise eau piège en première. Alors, elle se contentait de serrer encore plus la sienne pour contenir sa frustration tout en attendant la réponse de celui qui la tenait en joue. Ceci avait été dans un premier temps, puisqu’à l'instant où elle avait parlé, ses mots s'étaient dessinés dans le décor, comme écrit par une plume magique et à présent, elle les regardait s'éloigner d'elle. C'était donc mué d'un réflexe qu'elle levait sa baguette devant elle et suivait les lettres qui la fuyaient.
Quelques mètres plus loin, le couloir de papier tournait et a son détour, elle y percevait son fils… Ou plutôt, le dessin encré de ce dernier. Linnea s’arrêtait net dans son élan, surprise par cette vison. « Edvin ? » Ce n'était pas son fils, elle le savait, c'était un dessin de ce dernier, l'information était évidente, puisqu'il était en noir et blanc. Pourtant, elle avait bien l’impression d'avoir Edvin devant elle alors qu'il était à Mighty Adler pour l'année scolaire. Les yeux de la mère détaillèrent les détails du dessin jusqu’à percevoir différents fils qui semblaient maintenir les mains, les jambes et la tête du dessin en mouvement. Suivant ses derniers, elle découvrait qu'ils étaient tous raccrochait à une croix de pantin qui était elle-même dans une main qu'elle ne connaissait que trop bien. Il ne lui fallait que quelques secondes en plus pour percevoir le visage de son propre père en prolongation du bras. « Non, je ne te le laisserais pas. » Les paroles avaient été prononcées en norvégien alors qu'elle tentait de s’élancer vers son fils, mais ses propres pieds étaient retenus par une chaîne de papier et d'encre, mais donc le froid autour de ses chevilles lui donnait l'impression d'être fait de fer. « Non ! » Reportant les yeux vers le dessin de son fils, elle le voyait s'animer à la commande de son père. Elle levait sa baguette à l'intention de ce dernier avant de se reprendre, ce n'était qu'un dessin. Ce n'était pas réel. C'était juste un cauchemar qui prenait forme.
Linnea repartie en arrière, les chaînes autour de ses chevilles s’effacèrent d'elle-même. Baguette devant elle, elle se retrouvait rapidement devant l'homme qui l'avait accueillie de sa propre baguette quelques seconds plus tôt. Cette fois, elle aussi le tenait en joue. « Ok, je ne sais pas qui tu es, mais j'espère que ceci n'est pas ton œuvre, parce que je n'apprécie pas du tout ce jeu. » Le ton de la voix était tranchant et imprimé de colère. Quant à son visage, il était fermé et l'on pouvait voir dans ses yeux l'éclat de la colère qui ne demandait qu'à trouver un coupable pour éclater. Heureusement pour l'individu en face d'elle, la Norvégienne avait suffisamment de jugeote pour comprendre qu'il était certainement pris au piège comme elle, mais ceci n'enlevait pas la possibilité qu'il pouvait être le maître de ses lieux et qu'il voulait simplement se jouer d'elle.
Ft Tycho Van Den Berg
(c) LADY BANANAS
Linnea I. Falkenrath
Linnea I. Falkenrath
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Linnea I. Falkenrath
Sam 12 Oct 2024 - 14:20
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Jeu 17 Oct 2024 - 20:03
Il y eut un instant de tension. La nouvelle arrivante avait le poing serré, la mine déterminée, mais aussi le regard perdu. Alors qu’elle demandait où ils se trouvaient, elle sembla découvrir l’enchantement des mots, comme Tycho peu de temps avant elle. Le jeune homme fronça les sourcils. Son comportement était exactement le même que le sien à son arrivée. Elle ne semblait être ni une illusion, ni une ennemie, du moins pour l’instant. La tenant toujours en joue au cas où, Tycho l’observa s’éloigner de quelques pas en suivant les mots qu’elle avait prononcés. Plus loin, le couloir dessinait un coude et s’étendait au fur et à mesure de son avancée.
Mais elle sembla s’arrêter ensuite net. C’était une vision étrange : la tension s’évapora, se transforma en chaos, tandis que la silhouette de cette femme semblait comme pétrifiée sur place. Elle se mit à parler, dans une langue que Tycho ne reconnut pas, d’une voix à la fois tranchante et implorante, comme si l’écho d’un sanglot s’était mêlé à l’injonction. Les mots qui se formèrent n’étaient plus dans une écriture cursive et élégante, mais tourbillonnaient furieusement en majuscules écorchées autour d’elle. Entre les lignes d’encre, la femme s’agita, leva sa baguette en direction du couloir que Tycho ne voyait pas, la baissa de nouveau, comme clouée sur place. Tycho resta parfaitement immobile, s’attendant à tout moment à devoir se défendre. Il se rendit compte qu’il était en apnée lorsqu’elle se redirigea vers lui d’un pas décidé. Le comportement était réellement déconcertant, et il ne savait lui-même plus trop pourquoi il tenait encore en joue cette personne. Était-elle folle ? Y avait-il au détour de ce couloir quelconque maléfice ? La tension remonta subitement d’un cran lorsqu’elle leva sa baguette à son tour en direction de Tycho.
- Ok, je ne sais pas qui tu es, mais j'espère que ceci n'est pas ton œuvre, parce que je n'apprécie pas du tout ce jeu.
Elle était en colère. Pas de ces colères d'éclats destructeurs, mais quelque chose de plus sombre, plus profond. Une colère latente, bien plus inquiétante que si elle s'était mise à hurler. A présent, c'était Tycho qui était en joue, tandis que les mots de sa nouvelle compagne d'infortune glissaient dans sa direction, comme si l'encre elle-même voulait l'enserrer dans son étreinte pour l'étouffer. Il leva les mains devant lui en signe d'apaisement. Il aurait bien aimé que tout ceci soit son œuvre, car cela devait nécessiter des connaissances hors du commun en magie, et un réseau d'enchantements complexes sur le livre. Mais il n'en laissa rien paraitre. Il n'avait aucune envie de se battre contre cette femme ; et, pour peu qu'elle ait participé une fois à un duel dans sa vie, c'était déjà plus que l'expérience du jeune homme en la matière, ce qui lui conférait un désavantage certain.
- J'imagine que tu es arrivée ici de la même manière que moi, énonça-t-il d'une voix qui se voulait assurée et apaisante. Désolé pour l'accueil, je sais pas vraiment ce qu'il se passe…
Il regarda de nouveau autour de lui, comme pour montrer qu'il voulait chercher une solution à cette énigme.
- On est… dans un livre ? Littéralement dedans ? T'es arrivée com...
Tycho s'interrompit soudain. Il avait entendu un bruit indistinct au loin. Comme un fourmillement, qui venait d'au-delà du couloir… Non, ça venait d'en-dessous. Comment était-ce possible ? Le fourmillement s'intensifia, comme un roulement de millions de petits cliquètements.
- Tu entends ça ?
Tycho baissa les yeux. D'abord, il ne vit que le sol blanc aux dalles d'encre. Mais bien vite, il observa un changement : c'était comme une nuée au loin, un grand nuage noir qui se déplaçait à grande vitesse, s'épaississait à vue d'œil, se rapprochait du sol. Comme un banc de poissons prêt à sauter de la surface, le nuage d'encre s'élevait toujours plus, flottant inexorablement dans sa direction. Tycho plissa les yeux pour tenter de mieux voir. Alors il distingua ce qui constituait ce nuage. Ce n'était pas de la vapeur, pas non plus des poissons. C'était des araignées. Et, s'il pouvait les distinguer, c'est qu'elles étaient soit grosses, soit proches, soit… les deux. Il réfléchit à toute vitesse. Était-ce des illusions comme les mots qui se formaient lorsqu'ils parlaient ? Ou bien, étaient-elles réelles, et donc, dangereuses ? Il réfléchissait sans doute trop, ses instincts de survie lui hurlaient de courir, le plus loin possible. Où ? Peu importait, mais il ne fallait pas rester là. Non pas qu'il avait habituellement peur des araignées, mais là, c'était différent. Avant même qu'il n'ait pu esquisser un geste, la réalité le poussa à le faire : un craquement sonore retentit, comme une feuille de papier déchirée de bout en bout, et le couloir se mit à vibrer. Au pied du mur où il avait atterri, se dessinait une faille. Les dalles de papier semblaient brûlées à l'endroit du trou, mais surtout, la faille s'étendait de plus en plus, dans la direction de Tycho et de la nouvelle arrivante. Alors, comme une vision de cauchemar, une multitude de petites araignées se déversèrent par l'ouverture nouvellement créée. Elles grouillaient et s'agitaient dans leur direction. Tycho recula d'un pas. Puis, alors que le sol commençait à craquer sous ses pieds, il tourna les talons et se mit à courir. Courir, comme si sa vie en dépendait - et sans doute était-ce le cas - et sans se retourner. Le cliquetis sonore des pattes d'araignée le pourchassait, inlassablement. Il tourna au coin du couloir, traversant ce décor infini de papier et d'encre. Il ne réfléchissait ni à l'itinéraire pris, ni à cette femme qu'il avait laissée derrière lui. A chaque embranchement, il prenait une direction au hasard et s'engouffrait dans l'inconnu.
Lorsqu'il s'arrêta, le souffle coupé par l'effort, un douloureux point de côté lui vrillant le flanc, il ne savait pas depuis combien de temps le bruit grouillant des araignées s'était coupé. Il risqua un coup d'œil en arrière : rien. Pas la trace d'un seul arachnide, ni d'une aspérité sur le sol immaculé. Pas même l'écho de pattes martelant le sol. Il les avait semées. Epuisé, il s'adossa contre le mur, fermant les yeux un instant en se laissant glisser pour reprendre sa respiration. Il l'avait échappée belle. Peut-être. Ou alors, il avait imaginé tout cela, il ne savait pas trop. Mais ces araignées paraissaient si réelles, si… incarnées. Il avait eu l'intuition, l'impression sincère qu'il en serait mort.
Alors qu'il reprenait ses esprits, il se souvint soudainement qu'il était accompagné auparavant, et ressentit un pincement de culpabilité. Il avait laissé cette femme derrière lui, sans rien dire, sans rien faire. Peut-être n'aurait-il pu rien faire pour elle. Mais peut-être l'avait-elle suivi dans sa course, ou l'avait-elle perdu ? Peut-être que les araignées l'avaient ciblée, elle, et qu'elle courait encore quelque part dans ce dédale infernal ? Auquel cas, cela lui avait peut-être sauvé la vie, mais au prix de la sienne. Dans le doute, il tenta quand même d'appeler, de la voix la plus forte qu'il pouvait malgré son essoufflement.
- Tu es encore là…?
De nouveau, les mots se formèrent autour de lui. Et se mirent à bouger, serpenter sur les murs pour se perdre dans le labyrinthe. Comme s'ils lui indiquaient une direction. C'était du moins l'impression qu'ils donnaient.
- J'arrive ?, dit-il à moitié pour se convaincre.
Cette fois, il regarda où allaient les mots. Et il se mit à les suivre, marchant prudemment dans ce labyrinthe d’encre, s’attendant à chaque tournant à retomber sur la femme, et redoutant tout à la fois de découvrir bien pire.
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Dim 20 Oct 2024 - 22:47
Dialogue en italique = Dialogue non Anglais
Faits comme des rats de bibliothèque
Vendredi 12 Mai 2017 British Library, London, Angleterre
De la colère, de l'angoisse, de la crainte, beaucoup de choses de mélangé dans la tête de la sorcière alors qu'elle menaçait de sa baguette l'homme qui lui faisait face. Il n'y était peut-être pour rien, c’était un point qu'elle savait possible, mais il était là et elle avait été touchée en son cœur. Son cauchemar, sa pire crainte avait pris forme sous ses yeux, et même si elle ne semblait faite que de papier et d'entre, ça lui avait semblé réel, bien trop réel. Et puis même, comment ceci avait eu lieu. Avait-il accès à son esprit ? À ses secrets ? … L'horreur la prenait en son antre alors que l’inconnu levait les mains en signe d'apaisement. C'était à peine si elle le voyait au milieu de l'encre qui tourbillonnait autour de lui, mais elle finit par le distinguer. Certainement, était-ce lié au fait qu'il avait parlé, la touchant ainsi d'un autre moyen, réveillant ses oreilles qui étaient moins fixées sur l'objet probable de sa colère. Le tutoiement l'étonnait dans un premier temps, puis, elle se souvient qu'elle avait commencé… En outre, y avait-il de quoi faire bonne figure ? Elle l'écoutait alors parler. Ils étaient dans un livre, vraiment ? Était-ce possible ? Elle réfléchissait l'espace d'un instant, puis se souvenait d'avoir ramassé un livre avant d'arriver ici. Il était vrai aussi que les murs ressemblaient à du papier et que l'encre était aussi noire que celui qui composait généralement les livres. Mais que feraient-ils dans un livre ? Et pourquoi ? Et comment un tel pouvait traîner ainsi ? Comment sortir de là ? Plein de question, sans réponse alors que l'homme face à elle l'interrogeait sur son arrivée avant de s’interrompre pour lui demander si elle entendait, elle aussi.
À ces mots, Linnea se concentrait sur son ouï et oui, elle entendait. Ça semblait venir des murs, non, du col peut-être. Comme elle n'avait pas quitté des yeux son interlocuteur, elle remarquait qu'il baissait les yeux et observait au loin. La femme faisait alors le choix de baisser sa baguette et de venir se placer au côté de l'homme pour faire face à ce qui se passait dans son dos. Serait-ce un retour de son cauchemar ? Non, l'audio ne correspondait pas. Et comme pour lui répondre, une nuée de points d'encre au loin se formait et se rapprochait d'elle. La Norvégienne relevée la baguette qu'elle avait alors baissé dans son mouvement précédent. L'instinct la poussait à reculer d'un pas, puis de deux en même temps que la nuait se rapprochait. Elle était à présent plus en retrait que l'homme, mais semblait plus sur les gardes que lui. La nuée continuait de progresser, rapidement, beaucoup trop rapidement pour qu'elle puisse compenser par de simples pas en arrière. Rapidement, les points noirs prenaient forme, rapidement l'encre devenait nette et des pattes se dessinèrent autour d'un corps central et ceci, pour chaque point. La brune n’eut pas besoin de compter pour savoir leur nombre, cela se posait comme une évidence. Huit. Elle faisait un pas de plus en arrière. Les arachnides se rapprochaient, toujours plus vite ou peut-être au même rythme, mais maintenant qu'elles étaient plus près, Lin avait l'impression que ça s’accélérait. De plus, dans un déchirement de papier, d'autres bestioles venaient s'ajouter au compte en traversant le sol. Près, beaucoup trop près. « Immobulus ! » Lançait la sorcière alors que son compagnon d'infortune prenait les jambes à son cou, avant d'en faire de même. Les araignées étaient trop nombreuses, le sort n'avait pas pu toutes les arrêter et pour celle ou ça avait fonctionné, se serait limité dans le temps. Elle le savait, mais ça lui donnait tout de même un peu de temps, celui de mettre un maximum de distance entre elle et les créatures. De plus, le temps que celle de devant était immobilisé, la Norvégienne espérait que ça ralentirait celle de derrière.
Au moment même de courir, elle avait perdu l'homme de vue et en même temps, elle ne cherchait pas vraiment. Mettre de la distance, c'était sa priorité, avant qu'eux ne soient plus entravés. Ça finirait par disparaître, comme les chaînes à ses pieds, ceci n'était qu'un jeu pour quelqu'un. Quelqu'un qui devait s'amuser de la peur que les autres pouvaient ressentir. Il fallait certainement être fous pour s'amuser d'un pareil labyrinthe. Fou… Labyrinthe… Ça lui parlait. Ça faisait combien de temps qu'elle courait. Son souffle commençait à se faire court, elle s'autorisait alors un regard en arrière. Rien. Elle retient son souffle, pour mieux écouter. Les battements de son cœur raisonnaient à ses oreilles, mais il lui semblait ne rien percevoir de plus. Elle respirait de nouveau, attendait anxieusement, baguette de nouveau levée devant elle. Toujours rien. Était-ce fini ? Pour les arachnides ? Qu'est-ce que ce serait à présent ? Elle n'était pas pressée de le découvrir. Posant les mains sur ses genoux, elle prenait le temps de respirer, celui de retrouver une constance dans le mouvement de ses poumons, un rythme plus lent, proche de celui qu'ils avaient au quotidien. Il lui fallut quelques secondes, une minute sûr, deux peut-être. Ce n'était pas encore l'idéel, mais ça irait, elle ne pouvait rester planter là, mais que devait-elle faire ?
Relevant la tête, elle regardait autour d'elle. Des murs de papier, toujours, un labyrinthe de couloirs, encore… Labyrinthe… L'article dans la Gazette sur l'homme qui s'était échappé de Ste Mangouste. « Ce n'est pas vrai… » Linnea laissait échapper un soupir d'exaspération alors que ses monts en norvégien s'encraient sur les murs avant de partir vers les hauteurs. Quelques secondes, plus tard, une question lui passait devant les yeux. « Tu es encore là…? » Était-ce adressé à elle ? Qui lui parlait ? L’inconnu ? Ou le fou qui avait créé ses lieux ? Logiquement, si le créateur les savait là, il devait savoir où il était. Donc il était vraisemblablement plus raisonnable qu'il s'agisse de l'homme qu'elle avait croisé avant les bestioles. Tout en réfléchissant, ses pas prenaient la direction d’où les mots étaient venus. Baguette tendue devant elle, elle avançait.
« J'arrive ? » Étaient les prochains mots qui glissaient sur le mur vers elle. « Moi aussi. » Ces paroles partir dans l'autre sens. Le rejoignait-il ? Certainement. « Je me suis souvenu de quelque chose. Un article dans la gazette, du début du mois. » Tant qu'à suivre les mots, autant qu'ils soient utiles. « Un homme s'est échappé de Sainte Mangouste, il a pour antécédent d'avoir enfermé une femme dans une malle ensorcelée où il avait créé un labyrinthe… » Elle parlait lentement, volontairement, pour que les mots traînent et qu'elle puisse les suivre sans trop de problèmes. « Ça ne te rappelle pas quelqu… » Au détour d'un couloir, elle manquait de heurter l’inconnu. Cette fois, elle descendait sa baguette la changeait de main, puis reprenait la parole. « Moi, c'est Linnea et je pense que l'on devrait travailler ensemble. » Ça ne lui plaisait pas, mais elle devait admettre qu'ils seraient probablement plus fort ensemble que seul, chacun de leur côté. Alors qu'il échangeait, le mur de papier près d'eux se divisait et se transformait dans un pliage d’origami en des roseaux. Si l'on excluait, pendant un temps, le contexte, il était possible d'admirer la performance, car même le plus défaitiste des sorciers ne pourrait que reconnaître la complicité de l'exercice.
Derrière les roseaux de papier se profiler un lac d'encre. Ou alors, l'eau était aussi foncée que l'encre, mais au vu des décors précédents, Linnea était persuadé qu'il s'agissait véritablement d'encre. Tout autour, d'autres plantes de papier se tenait pour habiller la structure. Tous, en pliage d'origami, tous avec des formes qui rappelaient la flore qu'on pouvait trouver autour d'un lac, il y avait même des nénuphars qui étaient posés sur ce dernier. Non, vraiment, la Norvégienne admirait la technique, mais elle n'aimait tout de même pas l'idée d'être dans un piège aux mains d'un aliéné. « Demi-tour ? » Proposait-elle. C'était elle-même qui avait proposé de travailler ensemble, donc elle se devait d'attendre une approbation avant d'agir. Surtout que là, ils avaient le temps. Ou tout du moins, ils semblaient l'avoir. Alors autant partir le temps que l'encre du lac ne laissait pas place à d'autres créations.
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Linnea I. Falkenrath
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Dim 17 Nov 2024 - 19:58
Tycho continuait de marcher prudemment dans le dédale, suivant le chemin laissé par les mots qu'il avait prononcés. Alors même qu'il allait se remettre à parler pour se guider, il observa de nouvelles lignes d'encre noire glisser dans sa direction. Elles formaient des mots. "Moi aussi". Le jeune homme s'en trouva à la fois émerveillé et inquiet. C'était vraiment un enchantement puissant qui avait été réalisé. Une prouesse. Mais surtout, si la magie les écoutait, qui d'autre pouvait les entendre ? Les voir ? Les… contrôler, en quelque sorte ? En tout cas, il était convaincu que ces mots venaient de la femme qu'il avait abandonnée derrière lui. Il était rassuré de la savoir encore vivante, d'un côté. Un poids de moins sur la conscience, mais peut-être un de plus sur les bras à venir. D'après le temps qu'avait mis la phrase à venir, et au vu de la vitesse de l'encre sur les murs, elle devait être… Pas loin. Environ. A vrai dire, Tycho n'en avait aucune foutue idée, tant les calculs lui donnaient mal à la tête de manière générale. Un fugace mais douloureux souvenir de tentative d'étude de l'arithmancie lui transperça l'esprit, et il le chassa d'un hochement de tête. Une nouvelle phrase suivit. "Je me suis souvenu de quelque chose. Un article dans la gazette, du début du mois." Une pause. Puis : "Un homme s'est échappé de Sainte Mangouste, il a pour antécédant d'avoir enfermé une femme dans une malle ensorcelée où il avait créé un labyrinthe…" Tycho lisait à toute allure, se focalisant presque plus sur l'encre que sur l'endroit où il mettait les pieds. Il ne savait pas qui c'était, mais elle avait l'air d'avoir pris goût aux messages muraux, et lui pondait un Tolstoï en direct. Cela dit, l'information n'en était pas moins inquiétante : d'une part, parce que Tycho était passé à côté de l'info alors même qu'il était censé travailler pour des journaux ; d'autre part, parce qu'effectivement, cette histoire ressemblait à s'y méprendre à la leur. Et Tycho avait beau en pas trop savoir ce dont il avait envie exactement dans la vie, il était à peu près certain de ne pas vouloir finir ses jours enfermés dans un livre peuplé d'illusions cauchemardesques.
La dernière phrase, Tycho l'entendit autant qu'il la vit : il faillit percuter sa compagne d'infortune au détour d'un couloir. Il était rassuré de ne plus être seul dans cette ambiance pesante, à vrai dire. Et surtout, elle avait l'air moins énervée, plus encline à discuter. Avant de, peut-être, le fracasser s'il ne choisissait pas bien ses mots, sans doute, mais c'était un bon début. Les araignées et sa fuite tout ce qu'il y avait d'anti-héroïque devaient l'avoir convaincue de son innocence, à défaut de son courage.
- Moi c'est Linnea et je pense que l'on devrait travailler ensemble.
Elle était directe, au moins. Une qualité que Tycho appréciait, même si son ton péremptoire avait quelque chose d'intimidant.
- Tycho. Et je suis d'accord. Il faut sortir d'ici.
A peine avait-il terminé sa phrase qu'il remarqua un nouveau changement autour de lui. Décidément, ça n'arrêtait jamais. Mais cette fois, il en fut émerveillé. Le mur s'était délité comme du papier, pour former, d'abord, un rideau de roseaux, derrière lequel s'étala ensuite un gigantesque lac d'encre noire, à perte de vue. Il était d'un calme olympien, parfaitement lisse, peuplé de quelques nénuphars épars. Le lieu était proprement féérique. Tycho s'approcha, comme hypnotisé.
- Demi-tour ? demanda Linnea, qui elle, ne semblait nullement impressionnée par le lieu.
Tycho ne répondit pas. Il regardait fixement l'étendue noire, comme si quelque chose pouvait s'y cacher. Elle n'était pas apparue par hasard, ça n'était pas possible : aussi tordu soit-il, tout avait un sens dans ce labyrinthe. Un sens qui leur échappait jusqu'à présent, mais qui, peut-être, pourrait être éclairci en regardant dans ce lac. Une barque apparaitrait-elle ? Ou un indice quelconque sur la manière dont ils pourraient se sortir de là ? Le jeune homme s'approcha de la surface de l'eau. Rien ne se produisit. Il avait simplement une envie irrésistible d'en toucher la surface. Il voulait savoir si elle était réelle, s'il sentirait l'eau d'encre couler entre ses doigts, où si c'était une illusion. Il avait besoin de se sentir présent dans ce monde qui semblait irréel. Sans point d'ancrage, il se sentirait vite devenir fou, et douter de tout ce qui l'entourait. Seule Linnea semblait physiquement incarnée - et elle était dans la même galère.
Le doigt de Tycho effleura la surface du lac d'encre, et frissonna. C'était… eh bien, mouillé. Ce n'était pas illusion, mais bien de l'eau. Lorsqu'il retira sa main, l'encre s'écoula sans la tâcher. Seule son apparence semblait tout droit sortie d'un livre ancien.
- C'est bon, c'est simplement… Un vrai lac, dit-il en se retournant vers Linnea.
Comme pour illustrer son propos, il plongea sa main sous la surface. L'eau était fraiche, mais d'une manière agréable. Tycho ne savait pas si c'était son imagination, mais elle semblait simplement un peu plus dense, un peu plus lourde, que de l'eau normale. Mais il n'eut pas le temps de s'attarder sur l'analyse. Il fut sans doute sauvé par un réflexe, un instinct inexplicable. Il retira sa main juste à temps alors qu'une autre émergeait du lac, prête à le saisir. Une main décharnée, aux contours crayonnés plus que dessinés à l'encre, presque vibrants d'une colère noire. Une main aussi blafarde que morte, et qui lui griffa le poignet au passage. Son sang était bien réel lorsqu'il coula dans le lac, tout comme la créature qui sortit, bientôt suivie d'autres similaires. Tycho les reconnut, comme une évidence, comme un clin d'œil moqueur du destin. Comme si son geôlier avait su.
Des Inferi.
Un bond en arrière, et Tycho se retrouva aux côtés de Linnea, baguette dressée. Mais contrairement aux araignées, il faisait face au danger. D'une part, parce qu'il savait comment les affronter. D'autre part, parce qu'il avait sa petite fierté, et qu'il ne pouvait décemment pas fuir deux fois en si peu de temps, pas vrai ? Et puis, surtout, il y avait sa curiosité, qui l'emportait sur tout, toujours. Y compris sur le bon sens. Mais ces créatures-là, il était à Londres pour les étudier, et on lui en offrait des spécimens sur un plateau. Peut-être irréels, peut-être pas : mais il n'y avait qu'un seul moyen de le découvrir.
- Incendio !
L'Inferius de tête s'embrasa lorsqu'une volute de flammes s'éleva de la baguette de Tycho pour le percuter de plein fouet. La créature s'effondra bientôt, dans un sifflement sinistre. A ses côtés, les autres avançaient comme une vague inexorable. Ils devaient être une dizaine, puis une vingtaine, à s'avancer, et d'autres encore semblaient émerger du lac d'encre. Jusqu'où cela pouvait-il aller ? Le jeune homme senti une bouffée d'angoisse l'envahir. Etait-il stupide ? Pourquoi avait-il fallu qu'il s'approche ? Et pourquoi tentait-il seulement de faire face à des forces qui le dépassaient ? Il n'était pas un guerrier, encore moins un héros, et pourtant il était là, baguette en main, à faire face à des Inferi. Changeant de stratégie dans la panique, Tycho matérialisa un mur de flammes au milieu du groupe afin d'empêcher leur progression et couvrir sa retraite. L'une des abominations fut touchée et tomba à son tour. Les autres s'écartèrent avec bien plus de vivacité que ne laissait imaginer leur démarche désarticulée. Surtout, son sort était étonnamment faible. Lorsqu'il s'exerçait à ce genre d'enchantements, les flammes étaient vivaces, voraces. La peur le paralysait, et il lui restait simplement assez de lucidité pour le réaliser, et alimenter sa panique. Il regarda ses mains : elles tremblaient, en spasmes incontrôlables. Son coeur ? Prêt à sauter de sa poitrine. Ses jambes ? Aux abonnées absentes. Auparavant, il n'avait jamais été confronté à de tels dangers. A présent, il savait : il était couard.
- Je te couvre, si tu veux courir, cours, je crois qu'ils en ont après moi, cria Tycho à Linnea, dans un élan d'héroïsme dans lequel il ne se reconnut pas vraiment.
Il espérait néanmoins que sa voix paraissait suffisamment assurée. Et, secrètement, que son alliée de circonstance l'aiderait quand même à repousser la horde sans l'abandonner, ou du moins, qu'elle l'aiderait à les ralentir pour fuir. Ou qu'elle le porterait, lui, parce qu'il n'était même pas sûr de pouvoir bouger. Surtout, Tycho priait intérieurement pour que rien ne se rajoute encore à leurs malheurs, car il ne savait pas vraiment combien de temps il pourrait encore tenir mentalement. Et il songea, tout en tentant de maintenir à distance la horde d'Inferi désorganisée, à cette femme qui s'était retrouvée séquestrée si longtemps par leur geôlier. Putain, ça s'annonçait mal.
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Mer 20 Nov 2024 - 23:17
Faits comme des rats de bibliothèque
Vendredi 12 Mai 2017 British Library, London, Angleterre
Linnea insensible a la beauté de la magie qui se passait sous leurs yeux ? Non, pas vraiment, elle en reconnaîtrait certainement la finesse et la beauté plus tard, mais le danger qu'ils avaient croisé jusqu’à maintenant lui disait de ne pas se laisser attendrir. À force d'évoluer chez les sangs-purs, la femme avait appris à s'émerveiller plus tard, lorsqu'il y aura moins de spectateur ou simplement, moins de danger à se montrer qui on était véritablement. À s'émerveiller de cette magie, la veuve Falkenrath aurait peur de ne pas percevoir un danger approchant. Chez les sangs-purs, -à commencer par sa propre famille-, s'émerveiller, c'était risquer de laisser transparaître un point faible, un désir que l'on pourrait utiliser contre soi… Donc, oui, Linnea pouvait paraître insensible et froide, mais ceci n'était que le résultat extérieur du calcul des enjeux qui se jouait dans sa tête. Et pourtant, l'homme ne le savait pas, mais la femme qu'il rencontrait actuellement était bien différente de celle qu'il aurait pu croiser pour la première fois à l'extérieur. Jamais, dehors, elle aurait tutoyé quelqu'un ou donné son prénom. Jamais, elle se serait associée aussi rapidement à un inconnu. Elle n'en restait pas moins méfiante, mais la situation faisait que le masque qu'elle portait en public n'était pas aussi important que d'ordinaire.
Ainsi, suite à un magnifique jeu de magie, les deux êtres se retrouvaient devant un lac aussi noir que l'encre. En thème avec la végétation en origamis qui l'entouraient. La sorcière, habitée par la précaution suggérait sans détours de partir des lieux, mais l'homme ne confirmait pas l'idée. Au contraire, il semblait plus attiré que jamais par le décor qui s'était installé sous leurs yeux. Dans l'absence de réponse de sa part, Linnea se contentait de tourner la tête vers lui pour l'observer tout en repassant sa baguette dans sa main maîtresse. Ainsi, elle pouvait l'observer, s'approcher, s'accroupir et rapprocher sa main de l'eau. Un envie de le stopper naissait dans son être. L'attraper, l'éloigner d'un éventuel danger. Lin n'était pas du genre courageuse, elle n'avait pas l'instinct de foncer vers l'inconnu, de se laisser porter par l'exploration. Elle était la plus sage, la plus réfléchie, elle étudiait avant d'agir, elle prenait le temps. Pourtant, elle devait avouer que ça lui manquait de foncer et de réfléchir après. Ça n'était jamais venu d'elle, mais lorsqu'elle était à l'école scandinave, lorsqu'elle partageait les aventures de son camarade de classe, quand son ami l’entraînait à sa suite, elle avait aimée ressentir cette adrénaline qui avait alors put parcourir son organisme. C'était un autre temps, un temps qui semblait bien loin, mais qui lui revenait en mémoire alors qu'elle observait l'homme plonger sa main dans l'eau tandis que son propre cœur raisonnait plus fort et plus rapidement dans sa poitrine. L'inquiétude du danger, l'inquiétude de ce que ce geste pouvait provoquer et finalement découvrir qu'il ne se passerait rien. Un soulagement parcourant son corps pendant que l'encre glissait comme de l'eau sur la main de Tycho. Un sourire léger apparaissait presque sur ses lèvres lorsque l'homme venait à déclarer qu'il ne s'agissait que d'un lac. « Très bien, j'ai noté le côté téméraire, je ne suis pas pour autant sereine. Tu ne voudrais pas reculer ? » Car oui, une fois la vague de soulagement passé, l'inquiétude qui accompagnait leur enfermement, la poussait une nouvelle fois à s'inquiéter d'éventuel changement et de nouveau, l'envie de l'éloigner de la rive la gagnait. Finalement, c'était de son propre chef qu'il viendrait la rejoindre.
De son propre chef, oui, mais pas à cause de la demande que lui avait formulée la sorcière brune. Lui, comme cette dernière avait eu un geste de recul lorsqu'une main décharnée était sortie de l'eau tout près de la sienne. Après le sursaut dont avait été pris, son corps, la femme levait sa baguette dans un réflexe de protection. Il ne fallut pas plus de quelques secondes avant que l'homme ne la rejoigne dans la même position. L'envie de se défendre, celui de fuir envahissait la Norvégienne, mais avant ça, elle devait savoir ce qu'elle devait fuir. La suite en dépendrait. Les contours crayonnés semblaient vibrer sous leurs yeux, donnant aux créatures un aspect des plus imprévisible. S'ils étaient faits de crayonnage, on reconnaissait tout de même la forme sombre des Inferi. Tel quel, ils étaient semblables à une illustration faite main levée dans un livre. Ils n'en restaient pas moins dangereux. Dans le même réflexe que son compagnon d'infortune, Linnea lançait un premier sort. « Incendio » L'effet voulu fut obtenue et les plus proches créatures tombèrent en perdant leur tête en premier. Le feu ne consumait que les créatures qui en étaient sensibles et ne semblaient se rependre sur ce décor de papier, confirmant ainsi le fait que l'effet livre qui les entourait n'était qu'une histoire d'illusion. Leur défense avait été efficace, mais elle était insuffisante. Si la femme maintenait encore un peu le sort de feu, l'homme changeait de stratégie pour monter un mur du même élément. Dans un accord silencieux, la sorcière se concentrait sur les créatures qui se trouvaient entre le mur et leur présence pour les mettre en sécurité. Heureusement pour elle, le mur avait été fait suffisamment près pour que le nombre de créatures soient gérables. Une fois chose faite, la Norvégienne portait ses yeux sur le mur qui paraissait faire son travail, même s'il manquait un peu de vitalité.
La traductrice tournait alors ses yeux vers son compère et notait ses tremblements. Peut-être pas si téméraire que ça finalement. L'idée lui traversait l'esprit aussi rapidement que le fait qu'elle allait devoir prendre le relais. Car Linnea, la sorcière fragile et effacée, pouvait faire preuve d'un aplomb dont rare se douterait. À être entraîné dans les couloirs de l'école en dehors des horaires autorisés par son meilleur ami, elle avait gagné certains réflexes de réaction, ne pouvant se permettre de se faire prendre. Elles avaient été rares ces escapades, mais elle n'en avait pas été moins risquée pour autant. Pas pour les lieux, ils restaient dans l'enceinte de l'établissement, mais ce qu'elle pourrait révéler. Cette amitié qui était son secret à elle, celui qu'elle gardait loin de sa famille et de leur jugement. S'ils se faisaient prendre, alors la nouvelle parviendrait au sien et les conséquences pouvaient être lourdes, pour elle, comme pour lui. Alors même si c'était lui qui l’entraînait tout en lui promettant de la protéger, elle en faisait de même, mais elle ne le protégeait pas des mêmes personnes. Des années plus tard, ce serait son mari qui lui apprendrait à se défendre contre un danger. Il n'avait rien d'un auror, elle ne partait pas pour en devenir, mais Mighty Adler -l'école de sorcellerie Allemande ou Waramunt avait étudié- avait été plus formateur en défense que Hekseri Akademiet -école scandinave où avait étudié Linnea-. La femme ne pouvait prétendre à être une excellente combattante, mais cet entraînement avec son défunt époux lui avait permis d’acquérir une certaine stabilité face à la peur qui pourrait l'atteindre. Élément qu'elle avait souhaité atteindre pour être en mesure de protéger son fils dans le cas où l'on s'en prendrait à eux et que Waramunt ne serait pas là pour les défendre. Ainsi, lorsqu'elle entendait les nobles paroles de Tycho -car oui, l'on pouvait les qualifier ainsi-, elle fit le choix de faire autrement.
« On va courir ensemble. » Car ils s'étaient accordés pour travailler conjointement et puis même si elle pouvait paraître froide, elle se souciait tout de même des autres. Elle pouvait être méfiante, elle rejetait tout le monde à cause de ça, mais elle ne condamnait pas tout le monde pour autant. Ce n’était pas parce qu'elle n'avait confiance en personne qu'elle les considérait tous comme nocif. Tout ce temps que lui accordait ce mur, elle en avait profité pour rassembler les mots dans son esprit et à présent, elle les soufflait tout en faisant un tourbillon avec sa baguette. Ainsi, une tornade de feu se matérialisait et s’élançait vers les créatures faites de crayonnage. Sans plus attendre, la sorcière attrapait le bras dont la main tenait la baguette de son partenaire de galère, lui intiment ainsi de stopper son sortilège avant qu'elle ne l’entraîne dans une nouvelle course. Maintenant le poignet de Tycho sans ménagement, elle le forçait à le suivre dans le dédale de couloirs qui s'offrait à eux à l'opposé des créatures. Laissant le lac derrière eux, ils avançaient, mettant une nouvelle fois un maximum de distance entre eux et leur poursuivant. Lorsqu'une porte se présentait dans son champ de vison, la sorcière n'hésitait pas, quoiqu'il pouvait y avoir derrière, ça pourrait difficilement être pire. En-tout-cas, elle l'espérait. Elle actionnait la poignée qui répondait à son action et poussait Tycho à l'intérieur de la pièce autant qu'elle s'y précipitait. Claquant la porte, elle s'assurait de la verrouiller à l'aide d'un sort avant de se glisser sur cette dernière. Assise au sol, elle fermait un instant les yeux, tenter de ralentir les battements de son cœur ainsi que sa respiration. Ils n'avaient pas couru longtemps, puisqu'ils avaient pris la première porte, mais elle avait pourtant l'impression d'être plus épuisée que jamais.
Quelques secondes passèrent ainsi, peut-être même une minute. Le silence régnait, c'était aussi effrayant que rassurant. Les créatures, avaient-elles renoncé ? Où avaient-elles simplement disparu, à l'image des araignées qui avaient envahi les couloirs avant elles ? Elle n'en savait rien et elle n'irait pas vérifier pour le moment. Au bout d'un moment, Linnea finie tout de même par rouvrir les yeux pour les poser sur son compagnon d'infortune. « Comment tu vas ? » Demandait-elle dans un premier temps et ça n'était pas juste une politesse. Était-il blessé ? Arrivait-il à faire face à tout ce bordel ? Pouvait-elle compter sur lui pour l'aider à sortir d'ici ? Oui, la question était aussi altruiste qu’égoïste, mais plus le temps avancé, plus elle était persuadée qu'ils seraient plus fort ensemble. « Tu viens d’où ? » La question sortait de nulle part, mais une fois encore, elle n'avait pas de temps à perdre. « Ton accent » Prenait-elle le temps de préciser. « Ton anglais est bon, mais il est marqué par un accent, tout comme le mien, même si les années l'ont atténué. » Accent qui était encore plus ressorti alors qu'il lui disait de courir. « Je ne demande pas seulement dans le but de faire la conversation. » Par cette dernière phrase, elle espérait le convaincre de l’intérêt qu'elle avait derrière cette question. Intérêt qu'elle ne voulait pas encore énoncer à voix haute, car elle ne voulait pas être entendue. Parce qu'il était là le problème. Ils étaient enfermés dans un piège et leur geôlier devait les surveiller, voir, même les écouter et elle voudrait lui compliquer la tache. Or, si l'homme avait un Anglais taché d'un tel accent, c'était qu'il parlait une autre langue. La traductrice ne connaissait pas toutes les langues, mais avec un peu de chance, ils auraient cette autre langue en commun. Ce n'était pas gagné d'avance, mais ne pas le tenter, c'était peut-être passé à côté d'une chance de mettre des bâtons dans le rouage du système… Ou pas.
Ft Tycho Van Den Berg
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Linnea I. Falkenrath
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