En famille [Adonis & Armis]

Manoir des Moore,
Angleterre,

“Père, vous vouliez me voir ?”

Le bureau est situé derrière une série de portes en bois massif. L’endroit est méticuleusement rangé et les lourdes bibliothèques arborent une série de livres sur le monde magique. Anthony Moore, le patriarche, a toujours été un homme plein de connaissances, jouant son rôle tapis dans l’ombre. De sa lourde et imposante silhouette, je le vois esquisser un geste pour refermer la porte de loin d’un coup du sort. Devant lui, le bureau est enseveli de dossier, certains sont encore ouverts et d’autres classés dans des piles qui tiennent uniquement grâce à la magie. D’ailleurs, il congédie une pile qui se transporte d’elle-même vers un placard pour se ranger tout naturellement.

Petit, ce bureau me paraissait inaccessible, imposant et froid. Plus je grandis, plus y être me confère une sensation particulière de pouvoir. “Entre Armis. J’ai appris pour ton recrutement, comment se passe ton intégration ?”

Les choses sont énoncées en demi-teinte et je ne relève que d’un sourcil le fait qu’il ait appris, j’ignore comment, que j’ai intégré les rangs des Supérieurs. En fait, rien de très surprenant à cela, au vu de ces relations. Mon père a toujours été un homme sur le côté mais qui aime fréquenter l’élite et surtout la plupart des familles sangs-purs. Pour ce qui est des Supérieurs, il est presque certain que bien que beaucoup le taisent, les soirées qu’il organise ne sont pas uniquement pour le bon plaisir de tous. Ce sont des alliances fortes, qu’il entretient au profil d’années de travail.

Sans en avoir été invité, je m’assois sur l’un des lourds fauteuils de la pièce. Il est dans un cuir très délicat et brillant, grinçant légèrement quand on s’assoit dessus. Son regard paternel mais surtout autoritaire se pose sur moi, semblant m’évaluer plus que d’éprouver un plaisir pour me revoir. Le travail est davantage apprécié que les réunions familiales et même si ce dîner ce soir en est l’occasion, il aime, comme pour le reste, mettre en place les pions de l’échiquier en avant.

Pas vraiment fébrile, sans doute en raison des années à se disputer sur le sujet, je plonge mes yeux dans les siens lentement. “L'intégration se passe bien. Vous savez mes ambitions, vous savez aussi que je suis loyal et vous m’avez entraîné à être soldat toute ma vie. Ce n’est pas une surprise pour vous.”

Sans doute audacieux, le ton soulève au moins les sourcils d’Anthony qui m’observe avec une grimace de réprobation. Il n’est pas d’accord avec mon envie de m’impliquer chez les Supérieurs. Surtout, il n’est pas d’accord pour qui je travaille, un homme d’une nouvelle génération. Mon père est un homme de régularité qui trouve dans les anciens systèmes une forme de conservation qu’il apprécie. Pour lui, le général Blackthorn est un traître et voir son fils travailler directement pour lui est une honte familiale qu’il a du mal à accepter.

“Ta soeur et ton beau-frère arrivent ce soir. J’aimerais que ce…sujet soit écarté. Tu fais tes choix, tu connais mes opinions mais je t’interdis de gâcher ce repas. J’aimerais te rappeler que tes choix ont des conséquences sur la famille.”

Le ton, plus fort ne laisse aucun doute sur la menace proliférer. ll est contre et, cela me surprend encore de savoir qu’il n’a pas encore tout fait, à coup de pots de vin, pour faire en sorte que je ne sois pas recruté. Il en aurait peut-être le pouvoir ?

Quoique cette conversation promettait, le bruit dans le hall principal du manoir nous fait tourner la tête. J’ajoute, un peu sarcastique même si ces dires ont un regard agacé de mon père : “Oui père, rien de trop intime. Je suis sur qu’on va bien s’amuser.”

Loin de moi l’idée de décevoir mon père mais son côté vieille école me déplaît. Pire, le fait qu’il soit quelqu’un qui donne des conseils dans un système pour lequel il ne s’implique que dans ses idées, jamais pour le reste m’agace. Après plusieurs discussions houleuses, le problème reste en suspens : lui pense que la Cause se travail uniquement dans l’ombre, moi, qui pense que tout le système est a changé. En interne.
Les enjeux sont trop importants et, nous ne sommes pas capables de nous mettre d”accord.

Sans rien dire, je le vois se relever pour sortir de la pièce. Ce soir, le dîner a été préparé et mon frère, que je n’a pas si hâte de revoir, ma soeur et son mari seront présents. Avec ma mère, une tante, deux oncles et mes grands-parents. Un petit comité quand on pense à l’extension que la famille Moore a un peu partout.

Il me faut une seconde de plus pour reprendre contenance et quitté cette discussion pour rejoindre le hall principal. Dedans, mon frère semble encore plus enclin à la discorde. Il avance, un sourire amusé sur les lèvres pour me prendre dans ses bras. La tension qui anime mes épaules ne le met même pas en alerte. Se détachant, un coup sur mon épaule il dit juste :

“Ravi petit frère, tu te souviens que nous sommes ta famille ! Ah tiens, petite soeur arrive.”
Un clin d’oeil alors qu’il part accueillir notre soeur. Silas est un homme en dehors du moule, un électron libre qui a toujours donné du fil à retordre à ma famille. Il n’est en rien en accord avec la philosophie de la maison et même s’il s’y plie, il passe la plupart du temps à mener un défis au sein de la famille. Bien que l'aîné, il n’a jamais accepté de s’engager dans la politique, préférant discréditer parfois même le gouvernement.

Avançant à mon tour, j’enlace ma soeur et salut lentement mon beau frère que j’ai déjà vu plusieurs fois mais pour qui je n’ai pas spécialement d’atomes crochus. Quoiqu’il en soit, ce soit, il est question de famille et surtout de tenir sa langue. Ce que Silas ne semble pas prêt à faire.

“Bonsoir, vous avez fait bon voyage ?”

Je pose la question à mon beau-frère, gardant cette attitude guindée exigée.

Les Moore avaient cordialement invité la famille Devonshire à leur manoir pour une soirée de retrouvailles. Cette invitation avait redonné le sourire à Evelyn qui semblait avoir retrouvé sa bonne humeur. Ce n’était pas plus mal puisque Elliot était beaucoup plus calme. Il y avait une connexion entre sa femme et son fils qu’Adonis ne pourrait jamais avoir. La grossesse avait certainement été un plus, mais il y avait autre chose: leur relation semblait fusionnelle et elle continuerait certainement de fleurir au fur et à mesure qu’Elliot prendrait de l’âge. Evelyn était une mère dévouée: aucun doute là-dessus. Elle chérissait son fils, s’occupait de lui comme si il était la prunelle de ses yeux, veillait à ce qu’il ne manque de rien et surtout, l’aimait plus que tout. Il ne suffisait que d’un regard pour comprendre toute l’affection qu’elle lui portait. On pourrait être porté à croire qu’Adonis aurait été jaloux, peut-être même envieux de cette connexion et pourtant… Il faut dire qu’il ne faisait aucun effort envers sa progéniture. Il ne passait pas de temps avec lui, ne s’intéressait pas à ses progrès, ne lui parlait pas, ne jouait pas avec lui, bref, il avait tout du père absent sans forcément l’être. Il n’était qu’une ombre dans la maison, une présence inconnue. La seule chose dont bénéficiait son fils de sa part était le soutien financier. À contre-coeur, Adonis participait à l’achat de  nourriture, de vêtements et autres objets nécessaires à la survie et au bien-être du bambin, donnant l’impression que son fils lui dérobait des gallions qui lui permettent d’acheter de nouveaux complets. Était-il un mauvais paternel? Réponse courte: non. Son père avait également été absent durant son enfance, préférant veiller à la réputation de la famille et à la préservation du sang qu’à passer du temps avec ses mioches: il avait les priorités au bon endroit. Sa mère avait été plus présente, mais la vraie connexion était avec sa sœur. Cette relation était difficile à expliquer, mais Madison était sans aucun doute sa personne préférée et celle avec qui il s’entendait le mieux. Adonis avait toujours eu un profond respect pour son père, un certain amour pour sa mère, mais pour Maddie, c’était complètement différent.

Chez les Moore, Adonis n’était pas tout à fait un inconnu, mais pas un habitué non plus. Il ne les évitait pas forcément, mais ne lançait pas beaucoup de bouteilles à la mer. Ces dernières années, il avait eu des horaires chargées et avait parfois décliné certaines invitations afin de finaliser certains rapports, compléter des leçons ou bien simplement pour souffler un peu. Les études désormais derrière lui, il pouvait se permettre de reprendre une certaine vie sociale, histoire de garder une certaine réputation. Surtout auprès de la belle-famille: les relations étaient importantes. Là-dessus, son paternel avait été très clair. Il comptait bien faire honneur à sa propre famille.

C’est pourquoi, en préparation à cette soirée, après avoir méticuleusement choisi ses vêtements, Adonis s’était enfermé dans la salle de bain. C’était son moment préféré. Sa détente. Son petit refuge loin des gazouillis d’Elliot et des rires d’Evelyn. Il en profitait pour prendre une longue douche chaude, laissant couler l’eau durant de nombreuses minutes avant de finalement s’activer. Prendre soin de lui était presque comme une religion. Un rituel qu’Adonis n’avait jamais cessé de faire. Il passa beaucoup trop de temps dans le miroir à s’admirer dans son costume d’Adam. Il s’était toujours considéré chanceux. La nature et sa bonne génétique l’avaient gâté en termes d’apparence physique. Il sorti finalement de la salle de bain deux heures plus tard, prêt à affronter la soirée en compagnie des Moore.

Si l’excitation était au rendez-vous pour Evelyn, Adonis s’assurait de garder son air sérieux. Pour une des rares fois, c’était lui qui tenait Elliot dans ses bras. Les frères Moore s’étaient empressés de venir les accueillir. Evelyn et Silas se saluaient déjà, visiblement très heureux de pouvoir se retrouver.

“Bonsoir, vous avez fait bon voyage ?”

À la vue de son oncle, Elliot s’activa légèrement dans les bras de son père.

- Bonsoir. Oui merci.

Adonis offrit un sourire poli à Armis.

- Nous avions très hâte de venir vous voir. Merci pour l’invitation, c’est vraiment gentil.

Il se doutait bien qu’Armis n’était pas l’initiateur, mais si le message passait c’était le plus important.

- Tu aimerais le prendre?

Sans une once d’hésitation, il lui tendit Elliot qui tendait déjà les bras vers Armis. Tout pour se débarrasser de ce petit morveux.

- Je pense qu’il s’est bien ennuyé de son oncle.

Sori poli de circonstance, le bel Adonis semble surtout tenir une position bien stricte. Les convenances sociales et familiales…Il faut admettre que ce n’est pas la famille Moore qui est la plus chaleureuse. La présence de mon père se fait sentir dans mon dos, observant la scène avec un simple hochement de tête pour dire bonjour à son genre. Ma mère quand à elle est plus douce, moins récalcitrante, approchant pour déjà admirer mon neveu se tortiller dans les bras de son père.

Bien prompt à s’en débarrasser, il me le tend et je réceptionne la charge en souriant, le lançant en l’air légèrement pour lui arracher un léger sourire. Le rire cristallin du bambin érode quelque peu l’ambiance élitiste de cette réunion familiale même si, surprise, ma mère me gourmande d’un :

“Voyons Armis ! “

La réprimande est légère, ce qui fait tout de même lever les yeux à Silas qui se désintéresse de son neveu pour simplement entrer avec notre sœur dans les lieux. La dernière visite remonte aux fêtes de fin d’années, ils étaient même venus dormir quelques jours au manoir pou l’occasion. Des fêtes en grande pompe, mon père s’était alors amusé à donner des séances de politique dans le cabinet privé avec d’autres hommes. Il avait alors invité mon beau-frère à nous joindre. S’il l’ignore peut être, dans la langue du grand Anthony Moore, c’est une façon d’appeler son gendre “fils” en le présentant à tous ces amis si importants. C’est l'élever au rang social qu’il mérite, une forme de confiance. Mieux, c’est prouver en quelque sorte qu’il a, pour lui aussi, des ambitions politiques. Probablement là où son ainé, Silas n’en a jamais eu.

“Allons-y, tu vas voir, ils ont prévu à manger pour tenir une invasion.”

Lentement, je lève les sourcils pour signaler que je ne ment presque pas et embarque mon neveu dans mes bras. Ce dernier, les yeux grands ouverts semble contempler l’entrée du manoir, attiré sans doute par les éléments du décor. Le lieu est soigneusement décoré, des bouquet de fleurs reposent près d’un escalier principal. La sobriété de ce soir éteint les exctrenticités des fêtes de fin d’années. Toujours très friand de fêtes grandioses, ils utilisent tout un florilège de sorts pour décorer l’espace, si bien qu’il est presque rare de voir les lieux dans le véritable apparence.

En prolongeant le hall d’entrée, sur la porte de droite se présente un salon et plus loin, la salle de banquet. La grande table est déjà dressée de beaucoup de plats. De la viande, du poisson, des tourtes magiques plutôt bonne, rien ne manque, ce n’est probablement les sourires.

Prenant place, j’assois mon neveu sur mes genou amusé, le chatouillant légèrement tandis que ce geste, est déjà trop audacieux a yeux de mon père, lançant un regard désapprobateur. Il ne me dira rien cependant, préférant mon réel amour pour ce petit bonhomme plutôt qu le désintérêt total de mon frère.

Ma soeur a pris place près de mon frère, sans doute avec l’envie de rattraper un peu le temps perdu. Bien qu’ils ne soient pas entièrement proches, probablement en raison des années, ils entretiennent une meilleure entente que lui et moi. Elle a toujours été plus proche de moi, sans doute car, elle comme moi, nous nous sommes pliés aux rigidités de notre éducation.

“Alors le boulot ?”

Je pose la question me tournant vers Adonis alors que je me sers à manger, faisant grignoter un tout petit morceau de mie de pain au bambin sur moi. Une chaise l’attend plus loin et je pourrais peut-être manger un petit morceau.

“On travaille dans les même services mais on s’est toujours pas croisé, c’est fou. Parfois j’ouvre l’oeil, un jour peut être.”

Ce n’était pas toujours facile les relations. Surtout pas lorsque l’on s'imposait un peu malgré nous dans la famille de quelqu’un d’autre. Son mariage avec Evelyne était arrangé comme la grande majorité des unions de sang pur. Lorsqu’ils avaient scellé leurs vœux, les Moore et les Devonshire n’étaient désormais qu’une grande et belle famille. Adonis s’était rapidement aperçu que la façon de faire chez les Moore était assez similaire aux leurs. Pas trop de dépaysement. Malgré tout, il avait toujours fait attention à comment il se présentait à la famille de son épouse. Il voulait toujours faire attention à ce qu’il disait et faisait. Il s’assurait également d’être toujours présentable car les apparences étaient importantes. Dans la demeure de ses hôtes, il était droit et prêt à tout pour faire honneur à son nom.

Adonis affichait un sourire tandis qu’il observait Armis lancer Elliot dans les airs sous les réprimandes de la mère Moore. Son beau-frère avait visiblement un instinct paternel beaucoup plus élevé que le sien. Il n’était pas du tout jaloux, au contraire. S’il pouvait laisser le morveux derrière lui, il le ferait sans une once d’hésitation.

“Allons-y, tu vas voir, ils ont prévu à manger pour tenir une invasion.”
- Ça tombe bien, je meurs de faim.

Bien évidemment, il avait préféré passer du temps à se pavaner dans le miroir plutôt que de s’installer à la table. Il fallait avoir les priorités aux bonnes places. Adonis suivit Armis à travers l’énorme demeure familiale. Les Moore avaient certainement beaucoup de gallions. Il était toujours impressionné par l'immensité du manoir et la manière dont l’endroit était présenté. Les pièces étaient vastes et décorées avec goût et soin. Adonis adorait l’atmosphère et il rêvait de posséder un jour un foyer aussi grandiose. Sa maison était bien, mais pas assez grande à son goût. Si son avenir se dessinait comme il le souhaitait, il pourrait sans doute s’offrir un paradis de marbre dans quelques années. Il pourrait s’enfermer dans sa tour d’ivoire, laissant Evelyne et Elliot dans leurs quartiers respectifs. Un véritable havre de paix et de silence. Le bonheur absolu.

Plus ils s'approchaient de la salle de banquet, plus les délicieux parfums gastronomiques emplissaient les narines d’Adonis. Bientôt, la vue de ces plats disposés sur la table fit gronder son estomac. La nourriture avait certainement été préparée par des elfes de maison qui avaient dû bosser une bonne partie de la journée pour s’assurer de répondre à la demande de leurs maîtres. Absolument tout attirait son regard, mais il ne fit aucun geste pour prendre une bouchée. Il se contenta de rester poli et prit place à côté d’Armis qui continuait d’amuser Elliot. Evelyne s’installa près de son autre frère, ce qui le rassurait. Il n’avait pas envie de l’avoir dans les pattes toute la soirée.

“Alors le boulot ?”

Adonis observa son beau-frère tandis qu’il se servait déjà.

“On travaille dans les même services mais on s’est toujours pas croisé, c’est fou. Parfois j’ouvre l’oeil, un jour peut être.”

Il eut un nouveau sourire.

- Peut-être qu’on finira par se croiser. Le ministère est tellement grand, ça prend une carte pour ne pas s’y perdre. J’ouvre l'œil aussi.

Imitant Armis, il prit un morceau de pain avant de le déposer dans la soucoupe devant lui. Il s’empara ensuite du beurre avant d’en mettre généreusement dessus. Au diable les calories. Il irait faire du sport plus tard.

- Le boulot se passe bien. Je me trouve plus souvent à l’extérieur du ministère ces temps-ci. C’est probablement la raison pour laquelle on ne se croise jamais. Je dois me rendre sur le terrain pour réparer les pots cassés et il y en a pas mal. Soit les sorciers ne font pas assez attention ou les moldus font exprès de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment… Reste à savoir pourquoi les sorciers se trouvent dans le monde moldu à la base. C’est quelque chose que je ne comprendrai jamais.

Il haussa les épaules avant de prendre une bonne bouchée de pain. Celle-ci était très satisfaisante. Le pain était savoureux, encore tout chaud. Il avala le tout avant de poursuivre.

- J’ai entendu dire que tu nous as rejoint.

Armis comprendrait.

- Bienvenue. Bien content que tu sois là. Tu as un talent indispensable et on a besoin de sorcier comme toi.

Il lui offrit une tape amicale dans le dos avant de lui serrer chaleureusement l’épaule. Les paroles semblaient être en l’air, mais elles ne l’étaient pas. Toute aide était la bienvenue chez les supérieurs.

- Comment se passe ton intégration?

A la table, la place de choix de mon père montre à quel point la posture du maitre de famille est importante. A côté, ma mère, discutant tranquillement avec lui et ma soeur sans doute heureux de les revoir. La dernière fois que j’étais à cette table, tout était un peu différent dans ma vie. Je venais d’intégrer un nouveau service au ministère, sous le joug des influences de mon père. L’endroit n’était pas nouveau, mais le département des créatures magiques n’a jamais été mon domaine de prédilection.
Bien que l’intégration se soit faite en raison de mon nom, elle a aussi été faite parce que j’ai toujours été un employé intègre doué, et d’autant plus en sortilège, ce qui semble être une compétence primordiale en présence des esprits et fantômes.

Ce qui était différent, c’était aussi que je n’avais pas revu Pawel Szlarski et que je n’enquêtais pas sur ses récents agissements. Il y à de grands chances pour que mon beau-frère en soit au courant, même si je n’aborderais pas le sujet de moi-même. Autant éviter de mettre dans la panade le polonais, qui récemment, s’amuse à empiler les cadavres et se faire filmer par des moldus. Entre autre…et s’il ne mérite pas vraiment mon aide, quelque chose d’indicible me pousse malgré tout, encore et encore à prendre sa défense. Peut être car cet homme a été un jour mon égal, un sorcier puissant que j’ai affronté ici même dans la cave. J’aurais aimé voir l’homme qu’il deviendrait si sa vie n’avait pas pris ce tournant : fier, riche, puissant, emprunt des mêmes valeurs que ma famille. Honorant la lignée de sang-pur.

Tout est différent. Et en même temps, plus tellement. Le temps, immuable offre néanmoins quelques nouveautés qui ne semblent pas passer inaperçus pour Adonis. Le plat est entamé, une coupe de vin devant moi, je bois tranquillement, écoutant attentivement ce que me dit mon beau-frère.

“Tes missions ne sont pas trop difficiles ? J’aimerais bien changer de service à vrai dire être plus dans l’action comme toi. Le département des créatures magiques, par moment c’est monotone. Disons que les esprits sont moins…dangereux, quoique ça dépend sans doute. C’est qui tes collègues ? Peut être que je vais reconnaitre quelques noms.”

En réalité, c’est peu probable. Les départements communiquent peu, éloignés même dans les locaux du Ministère. Autant dire que pour se voir, à part échanger de service et dépanner, c’est peu probable que les sorciers et sorcières se mélangent.

“Tu as bien entendu.”

Un sourire, de façade, contemplant un instant Adonis. Un homme plutôt beau, ignorant probablement que je préfère les hommes. La pensée me traverse fugacement l’esprit. En réalité, être reconnu pour cette intégration fait du bien. Elle a été ce pour quoi, pendant des mois je me suis disputé avec mon père. Loin de voir d’un mauvais oeil l’intégration chez les Supérieurs, il préfèrerait que je reste au Ministère et que je ne fasse pas trop de vague.
Alors, dans mon entourage, personne ne semble vraiment en vanter la réussite, bien qu’elle soit importante.

“A vrai dire, c’était pas évident. J’ai passé deux entretiens, et surtout, j’ai dû prouver mes capacités face à tous les sorciers capables de me tuer. C’était un entrainement mais, c’était intensif.”

Un petit silence, mon neveu bouge sur mes genoux et je m’occupe de le faire manger lentement, tout en piochant un bout de pain. A côté, Silas semble ne rien rater de la conversation, observant Adonis presque amèrement. Il ne l’apprécie pas, et de tout les Moore, mon frère est probablement celui qui aime le moins l’implication qu’on a auprès des Supérieurs.
Il aimerait retourner sa veste, s’il pouvait.

“Merci, au moins je connais quelques têtes dans les rangs. Espérons que ça fasse un peu la différence. J’espère. Même si…notre récente victoire est plutôt agréable. Est-ce que ma soeur sait, pour toi ?”

Ce n’était pas une mauvaise chose qu’Armis ait rejoint les rangs du ministère. Plus la présence des sangs purs se faisait sentir et plus ils avaient de pouvoir pour faire pencher les choses. Bien sûr il y aurait toujours les extrémistes, celles et ceux qui se battent pour les droits des bâtards et des autres êtres dépourvus de magie, mais avec un peu de patience et beaucoup d’acharnement, les choses pourraient bouger. Adonis en était persuadé. Chaque geste, chaque individu, chaque initiative comptait. Rome n'avait  pas été construite en un jour. La pureté du sang non plus.

Ce n’était pas non plus une mauvaise chose que son beau-frère fasse désormais partie de la grande équipe des Supérieurs. Adonis n’était pas très familier avec ses talents magiques, mais les Moore était une famille puissante qui n’avait rien à prouver. Le père Devonshire n’avait pas acoquiner son fils avec la première venue. Il avait choisi Evelyne avec soins, s’assurant de faire un choix logique pour la lignée à venir. Adonis en était parfaitement conscient. Cependant, le fait de savoir qu’Armis pouvait errer librement dans les corridors du quartier général ne lui faisait pas particulièrement plaisir. Sa relation avec Alcyone restait somme toute assez secrète et ce lieu était régulièrement utilisé pour leurs rencontres intimes. Pour le moment, ils ne s’étaient jamais fait surprendre. Ils prenaient leurs précautions, mais ils ne pouvaient pas rester à l'abri des regards indiscrets. Evelyne ne savait pas qu’il entretenait une relation extra conjugale et même s’il savait que cette découverte ne changerait rien à leur relation, il voulait garder un bon contact avec les Moore. Incluant Armis. Encore plus maintenant qu’il était officiellement l’un des leurs. Se fait surprendre par le frère de sa femme était la dernière chose qu’il avait envie.

“Tes missions ne sont pas trop difficiles ? J’aimerais bien changer de service à vrai dire être plus dans l’action comme toi. Le département des créatures magiques, par moment c’est monotone. Disons que les esprits sont moins…dangereux, quoique ça dépend sans doute. C’est qui tes collègues ? Peut être que je vais reconnaitre quelques noms.”

Un sourire étira les lèvres d’Adonis. En effet, il n’y avait rien de plus satisfaisant que de modifier la mémoire des moldus.

- Je commence à être expérimenté donc j’ai parfois le droit d’être sur des missions un peu plus compliquées, mais c’est bien dosé. Le département est assez bien structuré pour que tu commences avec des situations plus banales et plus tu prends de l’assurance, plus les missions seront plus complexes. En plus, tu as le bonus de travailler avec des experts pour la maîtrise de l’Oubliettes, qui est un avantage assez précieux.

Il lui fit un clin d'œil sous-entendu.

- Je travaille surtout avec Robert Black et Sasha Jones. Je peux peut-être voir ce que je peux faire de mon côté pour te faire changer de département. Je ne peux rien te promettre parce que même pour moi ça été assez compliqué d’y faire mon entrée, mais on peut bien s'entraider entre famille.

En toute honnêteté, Adonis aimerait bien pouvoir être sur le terrain avec Armis. Pour mieux voir ses réactions lors de situations particulières et mieux l’étudier de manière générale puisqu’au final, il ne le connaissait pas vraiment. Il était curieux d’en apprendre plus sur lui.

“Tu as bien entendu. A vrai dire, c’était pas évident. J’ai passé deux entretiens, et surtout, j’ai dû prouver mes capacités face à tous les sorciers capables de me tuer. C’était un entrainement mais, c’était intensif.”

Il se souvenait aussi de ce par quoi il avait dû passer pour pouvoir rejoindre les rangs. Il n’y avait pas de double mesure chez les Supérieurs. Le sang et le nom de famille y étaient pour beaucoup, mais il fallait faire ses preuves et pas qu’à moitié. Ils voulaient s’assurer d’avoir la crème de la crème et il fallait prouver sa dédication à la cause. C’était presque une secte.

Tandis qu’Armis s’occupait d’Elliot, Adonis mordit dans son morceau de pain. Il sentait un regard sur lui, mais il l’ignora. Evelyne lui avait raconté qu’au sein de la famille Moore, les opinions étaient divergentes pour les Supérieurs. Surtout pour son frère Silas qui n’appréciait pas leur implication. Adonis se fichait bien de ce qu’il pouvait penser. Chaque individu était libre de faire ce qu’il voulait tant qu’on ne venait pas lui mettre des bâtons dans les roues.

“Merci, au moins je connais quelques têtes dans les rangs. Espérons que ça fasse un peu la différence. J’espère. Même si…notre récente victoire est plutôt agréable. Est-ce que ma soeur sait, pour toi ?”
- Oui. C’est mieux comme ça. La sincérité aide beaucoup notre relation.

Sans aucun doute le plus gros mensonge qu’il pouvait dire. Evelyne était bien au courant de son statut chez les Supérieurs et de son occupation, mais elle ignorait beaucoup de choses. Il ne lui disait pas tout, bien évidemment, puisque si l’ennemi venait attaquer le nid familial, il ne voulait pas risquer des fuites. De plus, elle n’avait aucune idée du nombre de femmes avec qui il avait eu des relations extra-conjugales depuis leur mariage. Alcyone était bien entendu à la tête de la liste, mais il y en avait beaucoup d’autres aussi. Pourquoi se priver? Il était bel homme avec beaucoup de charme et de succès. Un véritable aimant pour toutes les femmes en quête de frissons.

- N’hésite pas à me faire signe quand tu es au quartier général. Je pourrais te présenter les hommes avec qui je travaille régulièrement. Je pense que tu t’entendrais bien avec mon partenaire principal, Cody. C’est un bâtard, mais qui n’est pas né dans la bonne famille. Ce mec a beaucoup d’ambitions et il a prouvé à maintes reprises qu’il avait sa place parmi nous.

Il en avait fallu beaucoup à Adonis pour que Cody réussisse à le convaincre. Il était certainement l’exception à la règle. Il possédait de précieux talents qui étaient bien mis à contribution au sein des Supérieurs.

- Tu occupes quelle position en ce moment?

Intégrer les rangs des Supérieurs a toujours été un objectif à long terme. Le genre d’envie qui est naît d’années à discuter avec mon père, plutôt enclin à la passivité, malgré son réseau de connaissances plutôt impressionnante. Des discussions à prendre part, à distance, de la politique magique et de ses aboutissants. Parler de valeurs, de transmissions, de la défaite d’observer un peuple sous l’oppression car il a peur de ses idées, de qui il est. Comment peut-on se construire ? Si la valeur même de qui on est est cachée ? Taboue ? Comment peut-on espérer transmettre à nos enfants la confiance en soi, qu’ils s’estiment quand ils regardent une mascarade opérer chaque jour ?
Cette intégration est la consécration de nombreuses années à espérer, qu’un jour, la Cause soit non plus un idéal mais quelque chose qui se mette en place, qui se génère et qui modifie, en partie le monde.

Pour se faire cependant, il a bien fallu intégrer les rangs, en commençant par un recrutement pas très agréable. Le premier contact a été difficile, avec un homme irascible, qui ne montre pas vraiment ce qu’il ressent. Qu’a-t-il pensé de moi cet avocat ? A-t-il vu un soldat avec des compétences ? Une personne qu’on peut sacrifier ? Du potentiel ? Un risque ? Quoiqu’il soit devenu de cette opinion, elle m’a menée tout droit dans le bureau du général Blackthorn, bataillant sur des questions que je n’avais pas envisager. Du moins, pas dans cette mesure.
Est-ce que ça a un réel intérêt de savoir que l’homme que j’aime a disparu ? Que j’aime des hommes ? Il est probable que cette information est déjà un élément discréditant aux yeux de beaucoup de Supérieurs dont l’éducation est conservatrice.
A cela, l’ennemi peut utiliser n’importe quelle information pour pouvoir gagner un avantage, même léger. Ce ne sont pas des questions uniquement indiscrètes, elles sont aussi là pour que le général s’arme en vu d’une éventuelle utilisation. Politique ou, en bataille.

“Maitriser l’oubliette c’est un avantage c’est sur. Je travaille avec des esprits mais, souvent avec des esprits qui se sont révélés à des moldus. Autant dire que parfois, il faut les oubliette pour être sûr que la situation ne…dégringole pas.”

Lentement, je m’occupe de remplir mon assiette et mange lentement, écoutant Adonis parler travail. A côté, Silas semble faire mine de discuter avec notre sœur, écoutant brièvement notre échange. C’est un homme particulier, qui a des positions à la limite du tolérable dans une famille qui l’a pourtant éduqué comme un sorcier sang-pur. Son regard dérive vers nous et je lui renvoie un regard, un peu agacé, l’invitant à rester poli. La politique n’est pas un sujet d’entente et à vrai dire, depuis plusieurs années, nos relations sont conflictuelles et modulables en fonction de nos humeurs respectives. D’une nature très patiente, froide, distante, Silas en est tout l’inverse. C’est un homme impulsif, exubérant, attachant mais qui offre ses sentiments sans garder un élément pour lui. Le genre d’homme à réceptionner ma sœur, la faire virevolter dans ses bras en riant aux éclats. Le genre de personne à venir dans une soirée mondaine et dire très fort qu’il manque de “mixité” sans craindre les répercussions.

Pour autant, il n’a jamais montré beaucoup d’animosité envers notre beau-frère. Sans doute prudent pour éviter de se mettre notre soeur à dos, voir pire, notre père. Quel intérêt y aurat-il pour lui ? Ce qui l’intéresse avant tout, c’est d’être assuré de ne pas devoir s’investir politiquement. En somme, de rester un électron libre.

“Tu peux toujours essayer de demander. Je pense que…à faire mes preuves, mon supérieur aura sûrement envie de me faire changer de service et utiliser mes services d’une façon plus…intéressante. Disons que, maintenant que j’ai rejoint la Cause, je peux servir vraiment à quelque chose.”

Eliott sur mes genoux bouge et je fais un signe à Evelyne de venir le récupérer, ce qu’elle s’empresse de faire, laissant le loisir à Silas de baragouiner à l’enfant avec un sourire affectif. Il ferait un bon père, mon frère. Le genre d’homme vivant, qui aime rire aux éclats.

“Je penserais à te faire un signe oui, ça pourrait être sympa de rencontrer du monde. Nous sommes une famille.”

Au-delà de cela, même si le lien familial est à prendre au sérieux, ils sont collègues, coéquipiers d’une idée et d’une mission. C’est quelque chose qui rapproche au- delà des mots : une mission, un but commun pour le bien de tous. En quelques secondes, Armis jette un regard dans celui d’Adonis, de la connivence, de la solidarité, une forme de camaraderie qu’il retrouve uniquement avec ses pairs.

“Hum, je suis cadre du département des régulations des créatures magiques, des esprits surtout. C’est un boulot où j’enquête beaucoup mais à vrai dire j’aimerais bien que les missions s’élargissent. Que j’enquête et interviennent pour d’autres de types de situations, pour d’autres créatures ou personnes. Que ce soit un peu plus varié. Disons que ça commence à venir, récemment j’ai enquêté pour une situation avec des vampires. Je pense qu’on commence à me faire confiance, et j’essaie de faire de mon mieux.”

Un petit instant, mon père, Anthony Moore interpelle Adonis pour dire :

“Nous devrions prendre le temps de boire un verre ensemble après qu’en dites vous Adonis ?”

Le vouvoiement est de rigueur, au moins pour lui. Il le laisse tomber parfois, quand nos conversation s’emportant. Ces fameux verres sont surtout l’occasion de parler politique et Supérieurs loin des oreilles de ma mère et des autres. Eviter à Silas les interventions trop intempestives, même s’il est quand même convié. Il ne s’y rend jamais, sauf qu’en cas d’obligation, ou quand il a envie de semer le trouble. La question ne soufre pas vraiment de réponse négative mais mon père ajoute :

“Vous avez prévu de rester dormir ici je présume avec Evelyne ? Ce ne serait pas prudent de transplaner de nuit, on sait jamais et demain, j’ai prévu un repas avec quelques collègues, rien de très important mais…j’aurais aimé que vous soyez présents, toi et Armis.”

J’opine juste de la tête, continuant le repas.

Il ne s’attendait pas à passer un bon moment en compagnie des Moore. Ils avaient beaucoup d’argent, étaient sophistiqués, possédaient la meilleure nourriture en plus d’une demeure absolument remarquable. Adonis avait aussi grandi dans une famille aisée et n’avait jamais manqué de rien, du moins matériellement, mais l’ambiance n’était pas la même. Peut-être était-ce parce qu’ils n’étaient que 4 alors que les Moore avaient un manoir un peu plus rempli. Peut-être parce qu’il était un invité et non un membre à part entière. Quoi qu’il en soit, il était content d’être venu. Il profitait de tous les instants pour apprendre à mieux connaître son beau-frère et jusqu’à présent, il aimait ce qu’il entendait. Bien qu’il savait qu’il devrait désormais redoubler de prudence dans la forteresse des Supérieurs, il était heureux qu’il ait rejoint leur clan. Ils ne seraient jamais assez nombreux pour défendre la cause et Armis semblait être quelqu’un d’intelligent et de talentueux. Deux qualités bien prisées par Adonis.

Cette conversation ne semble pas passer inaperçue aux oreilles de tous. Bien qu’il soit occupé avec Evelyne, Adonis remarqua le regard de Silas qui parcourait la table. Difficile d’ignorer son point de vue qui était différent du reste de sa famille. Ça devrait engendrer énormément de conflits au sein du nid familial. Un problème qui, heureusement, n’existait pas chez les Devonshire. Il aurait été difficile de faire autrement avec un père aussi sévère et contrôlant sur les moindres faits et gestes et pensées de ses enfants. Chaque commentaire, chaque mot et chaque geste du patriarche avaient inculqué des valeurs et des façons de penser bien précises. Maddy était une sorcière moins vocale sur son opinion et ses actions, mais Adonis savait à quel point la cause était importante pour elle. Elle n’hésitait jamais à se réjouir lors d’une victoire des sang purs ou à exprimer son mécontentement lors des défaites. Quoi qu’il en soit, bien qu’il ne partageait pas Adonis s’efforçait d’offrir un sourire à Silas chaque fois qu’il regardait dans sa direction. Mi moqueur, mi invitant. Il avait terriblement envie qu’il se joigne à leur conversation, mais attendait sagement qu’il le fasse. Il finirait bien par craquer.

En attendant, il n’avait pas raté un mot qui s’échappait des lèvres d’Armis. Une famille, absolument. Adonis comptait bien tenir parole et aider son beau-frère du mieux qu’il le pouvait afin de lui assurer une bonne intégration. Il avait su se forger une bonne réputation au sein des Supérieurs et il comptait bien en faire profiter Armis.

“Hum, je suis cadre du département des régulations des créatures magiques, des esprits surtout. C’est un boulot où j’enquête beaucoup mais à vrai dire j’aimerais bien que les missions s’élargissent. Que j’enquête et interviennent pour d’autres de types de situations, pour d’autres créatures ou personnes. Que ce soit un peu plus varié. Disons que ça commence à venir, récemment j’ai enquêté pour une situation avec des vampires. Je pense qu’on commence à me faire confiance, et j’essaie de faire de mon mieux.”

Informations très pertinentes. Peut-être qu’à un certain moment, Adonis aurait besoin de certaines informations et il saurait vers qui se tourner. On n'avait jamais assez de bons contacts, surtout dans un monde où on pouvait difficilement accorder notre confiance. Il ouvrit la bouche, mais fut devancé par le père Moore qui l’interpella à l’autre bout de la tablée.

“Nous devrions prendre le temps de boire un verre ensemble après qu’en dites vous Adonis ?”

Adonis tourna la tête dans sa direction. Il n’était pas surpris de recevoir une telle invitation de sa part, se doutant que ce verre inclurait certainement des discussions fort intéressantes.

“Vous avez prévu de rester dormir ici je présume avec Evelyne ? Ce ne serait pas prudent de transplaner de nuit, on sait jamais et demain, j’ai prévu un repas avec quelques collègues, rien de très important mais…j’aurais aimé que vous soyez présents, toi et Armis.”

Son premier réflexe aurait été de dire non, mais il avait appris avec le temps à réfléchir avant de s’exprimer. Les apparences et les relations étaient trop importantes L’espace d’un instant, ses iris se posèrent sur Evelyne qui semblait avoir entendu son prénom. Il comprit qu’elle avait également saisi l’opportunité, hochant doucement la tête. Il attrapa une coupe de vin qui traînait devant lui avant de la lever dans la direction du père Moore.

- Je me joindrai à vous avec plaisir. Et en effet avec le petit, nous ne voulions pas prendre de risque, mais vous nous avez devancé. Merci pour votre bienveillance.

Il observa Armis qui s’attaquait de nouveau à son repas. Adonis eut un sourire.

- Merci pour l’invitation, c’est très généreux de votre part. J’y serai.

Il pris une gorgée de vin à la santé de l’homme avant de déposer la coupe. Encore une occasion de se faire valoir et d’en apprendre davantage sur la famille Moore. Il n’allait pas cracher sur cette opportunité.

Imitant Armis, Adonis commença le repas à son tour avec un sourire.

- Tu as de la chance que ton père veuille t’inclure autant dans ses relations et dans ses rencontres. Le mien fait jouer les siennes, mais j’ai toujours dû faire mes preuves sur tous les points, incluant me présenter aux autres. “ Ça renforce le caractère. ” Pffff.

Il eut un petit rire avant de secouer la tête. Il voyait bien la tronche de son père, répétant ses mots qui étaient presque devenus son slogan.

- As-tu une idée de la raison derrière ce repas entre collègues?

Le repas débute à peine et les méandres des dissensions au sein de ma famille sont déjà d’une évidence capitale. Campé sur sa chaise, le regard courtisan la conversation que j’ai avec mon beau frère, Silas, semble n’attendre qu’une brève invitation pour s’y inviter. Qu’on le désire dans la conversation, ou non d’ailleurs. Plus le temps évolue, plus son esprit se fait vindicatif, parfois revanchard. Peut être que les affres d’une relation fraternelle renforce ce côté de mésentente, ou qu’en grandissant, les opinions qui nous forge en tant qu’hommes nous éloignent. Il est autant différent de moi que je le suis de lui : deux êtres, qui cohabitent ensemble dans un univers pour lequel ils n’ont pas la même opinion.
Pourtant, malgré ces oppositions, notre relation n’en est pas qu’aggravée, unis, d’un lien indéfectible, comme deux personnes qui s’aiment. A un moment donné j’en suis sur, il saisira l’opportunité pour s’infiltrer.

Le regard porté sur l’échange avec mon père, je souris en coin à la question d’Adonis, le regard rivé sur le vin qui m’est servit, pensif. L’invitation a été acceptée avec forte, comme un homme qui est habitué depuis des années aux conventions sociales. Après tout, il vient d’un monde similaire à la famille Moore, et refuser une invitation explicite en plein repas dominicale serait un affront qu’il ne peut pas se permettre.

Le vin est d’une couleur foncée, riche et profond. Récupérant la coupe, j’inspire l’odeur une seconde avant d’y tremper les lèvres, charmé par les notes fruitées et de légère amertume. Un apprentissage que j’ai adoré suivre, bien plus raffiné que beaucoup d’autres alcools à mon goût.

“Hum…bonne question. Te pavanner devant ses connaissances j’imagine. Il tente d’établir un contrat un peu tacite avec un dénommé Johnsons, un homme plus âgé que lui, qui bossait à l’époque au Ministère américain. Il aimerait établir des connexions. Il n’y travaille plus mais la famille est puissante là-bas et il est de passage.”

Rien de bien dramatique, mais suffisant. Invité son beau-fils c’est aussi présenté un schéma familial solide, classique, bien amené. Un beau-fils, une fille mariée, un petit fils né, quelques uns bientôt en route. Distillé des pensées le fait que moi, je ne le suis pas encore, sans doute. Je me garde de le préciser. A la place, je fais un signe au serveur de remplir la coupe d’Adonis, et ajoute :

“Goûte, tu vas aimer. Je serais heureux d’avoir un allié au Ministère. Je pens eque ça peut être profitable l’un à l’autre, j’espère du moins. Vous n’aviez pas prévu de rester ce soir, n’est-ce pas ? Vous n’aviez pas de bagage.”

Un sourire dans la voix, comme pour se moquer, de manière un peu moqueuse de la situation. Rien de méchant, je regade Silas qui semble me dévisager, observant mon sourire et le prenant sans doute pour une provocation supplémentaire. Peut être qu’elle l’est un peu.

“Mon père me joint à ses relations car il sait que je suis docile, j’obéis. Il aimerait que je sois plus comme toi, en réalité. Marié à une femme. Pourquoi le tien ne t’implique pas ? Je ne l’ai pas rencontré encore, il me semble.”

Le repas entammé, j’observe mon père discute ravec ma soeur et ma mère lentement, dans un climat paisible. Ce genre d’évènements est plutôt rare, ma présence encore plus depuis la disparition de l’homme que j’aime. Les mois ont été compliqués, les années aussi, les choses qui nous unissait se sont étiolées. Ma soeur a fini par se marier, mon frère déserté les opinions familiales et seul restait mon père et moi, parfois dans son bureau pour discuter politique. Les repas de famille se faisaient un peu plus rares.

Après quelques minutes, Silas s’est finalement détourné de la conversation avec notre soeur pour se mêler à la mienne, fixant un moment Adonis pour dire :

“Alors de quoi parlez vous ?”

L’attitude est outrageante, pour n’importe qui avec un peu de manières à table. Les coudes à table, la tête dans l’une de ses mains, l’attitude nonchalante, un peu petit peu lassée et de concupiscence sur le visage.