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Mateo [OS]

 :: Autour du monde :: Europe :: — France
Sam 6 Avr 2024 - 14:54
Fin Janvier 2017 – Paris, Parc des Buttes de Chaumont


Mes doigts tapotent contre le gobelet chaud. Je suis là depuis dix minutes, mais je m’impatiente déjà, mon regard perdu au loin sur les toits des immeubles de Montmartre. On voit presque tout du haut du temple de Sibylle, au sommet de la falaise du parc des Buttes de Chaumont : du lac artificiel, à la petite forêt noire, en passant par les pavillons de restauration et les kiosques à musique. Je n’ai pas choisi cet endroit par hasard. Lorsque j’étais étudiante à Paris, je venais souvent ici pour faire le vide, voir au-delà de la vision obstruée par mes propres barreaux, et au fond, j’espère que ce lieu aura le même effet sur moi qu’il avait eu autrefois. Un besoin de clarté, de vide. Mais surtout, un besoin de voir ma sœur.

Assise sur le rebord en pierre, par-devant la balustrade, une de mes jambes pend le long du mur circulaire tandis que l’autre est ramenée vers mon buste, mon coude sur mon genou. Trop souvent, je tourne la tête de droite à gauche, regarde par-dessus mon épaule pour tenter d’apercevoir Kezabel arriver mais j’ai décidé depuis quelques minutes d’arrêter de la guetter, trouvant mon attitude ridicule. Dans tous les cas, j’ai placé un sortilège qui dissuaderait les moldus de s’aventurer jusqu’ici, alors au moindre bruit de pas, je saurais que c’est elle. Je dois me faire violence pour ne pas tourner la tête ou tendre l’oreille de manière obsessionnelle. Suis-je donc si effrayée de me laisser surprendre ?

Je secoue la tête en portant le gobelet à mes lèvres et alors que le café chaud me réchauffe un peu, je grimace brusquement. Mes doigts se portent à ma joue et à la commissure de ma lèvre : la peau est toujours un peu gonflée, même si l’hématome n’est plus qu’une étendue jaunâtre grâce à l’onguent qui a accéléré le processus de guérison, et si la fissure sur ma bouche a disparu, ma gencive, elle, continue de me faire souffrir. Depuis quelque temps, je me suis remise au combat. Ma rupture avec Margo avait soudainement dégagé du temps pour d’autres coups que ceux du coeur, et j’étais retournée au fight club clandestin, caché dans la cave du restaurant dans lequel je m’étais faite remarquer des mois auparavant. Le propriétaire m’a reconnue sans problème, et apparemment quand on aligne quatre cents balles sur la table, on devient très vite digne de confiance. Je crois qu’au fond, c’est surtout qu’il a compris que j’en avais besoin.

Là-bas, il n’y a pas d’entraînements, pas de simulation. Juste des gens qui se battent sans s’inquiéter de faire mal. Juste des coups donnés et des coups reçus. Personne n’a à connaître l’autre, et tout le monde s’en fiche. J’y vais, je me bats, je repars. Et ça, à chaque fois. C’est simple, ça ne demande pas d’explication. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour survivre à tout ça : le départ de Margo, mes recherches sur le carnet, l’absence de Kezabel, et mon travail qui me retient à l’hôpital. Je dépose toutes mes frustrations dans cette cave humide, sur ce pauvre ring qui sent la sueur et qui est tâché de sang, autour d’une dizaine d’hommes et de femmes qui eux aussi, en ont marre de ne pas avancer ou de le faire dans la mauvaise direction. Et pendant dix minutes, je laisse ma rage exploser au bout de mes poings en sentant que c’est dans ces dix minutes là que je suis au coeur de moi-même, dans l’essence même de mon existence.

Même si, le lendemain, j’ai la gueule de travers.

Derrière moi, j’entends le crissement des cailloux sous des chaussures et je souris, ignorant la douleur. Je me relève, une main sur la rambarde, et l’enjambe prudemment avant de rejoindre Kezabel. Elle a changé, même en un mois et demi. Ses cheveux sont coupés court, en carré, soulignant l’ovale de son visage bien dessiné, et leur teinte est plus foncée ; c’est certainement grâce au milieu dans lequel elle évolue aujourd’hui que ses vêtements la rendent à la fois élégante et décontractée. Cette nouvelle apparence et ces nouvelles habitudes renforcent sa fausse identité. Son sourire illumine même ses yeux, et si elle n’a pas encore retrouvé tout son poids, elle a pourtant meilleure mine.
« Salut Ptite Tête.
– Salut McTyson, rétorque-t-elle. J’espère que l’autre est plus moche que toi.
– Tout le monde est plus moche que moi. »
Elle me rejoint et nous nous enlaçons. C’est bon de se retrouver.
Pendant une heure, nous discutons de tout et de rien. Je lui raconte que je suis passée voir son père, sans lui donner le motif de ma visite, que mon travail me pèse et que j’aimerais m’en échapper, que la vie continue… Et elle, elle me confie ses difficultés, ses envies, ses projets dans cette renaissance qui est la sienne. Nous évitons les sujets qui fâchent, les questions trop sensibles, sauf une… Margo. Kezabel demande comme elle le fait toujours pour mesurer la température, voir si je ne suis pas au bord du précipice, mais je lui réponds toujours la même chose.
« Il faut bien avancer, pas vrai ? dis-je en sirotant mon café.
Ça ne t'enlève pas le droit de traverser une tempête avec tout ce que ça implique. » dit Kezabel face à mon ton désinvolte. Elle cherche mon regard mais je fixe les toits de Montmartre en me disant que toute ma vie est une tempête et que ce serait bien que ça cesse. « Tu as le droit d'être triste, en colère. C'est un peu comme un deuil après tout. »
Un souffle amusé m’échappe et j’ai l’impression d’avoir de la bile dans la gorge. Un deuil. Tiens donc... Je me tourne vers elle et lui offre davantage une grimace qu’un sourire.« Je crois que je suis pas très douée pour les deuils. »

Ça n’a jamais été aussi vrai.
La rupture avec Margo a déjà été une épreuve, mais tout s’est dégradé depuis l’annonce de son départ aux États-Unis. J’ai beau dire qu’au moins, ça règle la question de si on allait se croiser dans les couloirs du quartier général ou ailleurs, le fait est que la distance qui nous sépare désormais me rend malade. Ça me râpe la peau et l’âme, me laisse une absence froide dans le cou, comme un souffle qu’on ne sent plus mais qui dresse toujours les poils sur la nuque. C’est là, mais ce n’est plus là. Margo n’existe plus que dans ma tête, et à quelques milliers de kilomètres par-delà l’océan Atlantique.
Et j’en ai marre de son souvenir sur ma peau, de l’écho de sa voix et du besoin de la toucher quand je me réveille la nuit. Il faudrait que je me pince à chaque fois que je pense à elle, que je me morde, que je me fasse mal. Juste pour la chasser de là, lui barrer la route, faire comprendre à mon esprit qu’il doit arrêter de se la remémorer. Sauf que toutes ces techniques-là sont des pichenettes qui ne fonctionneraient pas alors j’ai décidé d’essayer autre chose.

Je me dis qu’un jour, j’oublierai son odeur et son corps, mais que pour ça, il faut faire quelques efforts, s’y atteler sérieusement.

Tous les lundi soir, j’ai pris l’habitude de passer par le restaurant où les combats ont lieu entre 19h et 23h. Comme c’est le seul jour de fermeture, le lieu est désert au rez-de-chaussée, mise à part la fille du patron, Andrea, qui reste le nez plongé dans des livres de compte derrière le bar. Elle s’occupe des entrées, sans en avoir l’air, et d’un mouvement de menton, indique la porte qui donne sur la cave. Cet escalier étroit et sombre m’est maintenant familier, et je ne fais plus attention aux posters de femmes à moitié nues qui couvrent le mur de gauche. En bas, tout sent l’humidité et la sueur. Le patron, que tout le monde appelle Papa Ours, est stricte : il ne permet aucun alcool ou tabac dans la cave, et il est préférable qu’il n’y ait pas d’attroupement devant le restaurant fermé. On passe par la porte des cuisines et si on quitte la cave, on quitte le restaurant. Pour un club clandestin, ce sont des règles étranges où le combat est plus important que le reste. Papa Ours ne laisserait personne se battre dans un état second, pas plus qu’il ne laisserait entrer un ivrogne ou un drogué. D’une certaine manière, il y a une forme de discipline qui empêche tout le monde de partir dans tous les sens. Et ça me plaît assez. Ou peut-être que c’est simplement familier.

Le lundi soir, il y a beaucoup de monde, majoritairement les mêmes personnes. Marvin, Gale et Trevor sont trois grands dadets, presque aussi grands que le patron, qui s’occupent de calmer les esprits et de vérifier que tout le monde est réglo. Quand j’entre, ils me fouillent pour vérifier que je ne porte aucune arme sur moi, micro, ou autre connerie dangereuse pour le club ; je dépose mon téléphone dans un casier fermé que Trevor garde précieusement, et je vais saluer le patron. Au début, j’ai cru qu’ils étaient une sorte de mafia, un gang à petite échelle, mais j’ai appris au fil des dernières semaines que Papa Ours était un ancien militaire viré pour ses trop nombreux débordements. Problèmes de colère, comme pour beaucoup de personnes ici. La thérapie, ça m’a pas réussi, alors j’ai trouvé la solution moi-même, qu’il dit toujours. Se battre dans la cave de son restaurant est apparemment ladite solution.

Et je ne vais pas m’en plaindre.
En arrivant, on signe tous un document avec une clause de confidentialité très détaillée. Ça coûterait très cher de dénoncer qui que ce soit. Et puis, en regardant dans cette cave bondée, on s’aperçoit vite que personne n’ira voir les flics : j’en compte au moins trois ici, dont un commissaire d’une cinquantaine d’années qui s’esclaffe avec Trevor et Gale. Le patron n’est pas bête, il sait comment se protéger.
Le plus jeune des flics s’appelle Mateo. Je me bats souvent avec lui, parce qu’on fait à peu près la même taille. Pour un homme, il n’est pas très grand, mais il est aussi trapu que ces chiens nerveux et musclés dont la mâchoire vous priverait d’une main entière d’une seule bouchée. S’il ne ressemble pas à un bodybuilder, ses bras font quand même trois fois les miens et ses tablettes de chocolat sont tellement bien dessinées que les sillons sont plus profonds que les fissures des murs. Quand je lui ai fait remarquer, il a ri et m’a donné une tape dans le dos qui a failli me déplacer l’omoplate. T’es marrante, toi. Vingt minutes après, on s’affrontait sur le ring. Mateo a une force colossale, c’est indéniable, mais comme tous les corps musclés, il est lourd et donc plus lent. Ce n’est jamais facile de se battre contre plus fort que soi physiquement, bien que ce soit un défi que j’apprécie, alors j’use de mes techniques habituelles avec lui : frapper à des endroits précis, le fatiguer en étant plus mobile et vive que lui, repérer les mouvements répétitifs chez lui, les faiblesses dans la garde, et tout exploiter. Je me prends de vilains coups face à lui, sens mes côtes souffrir sous ses attaques ; ma joue se colore de nouvelles teintes, ma bouche saigne, et je tente d’ignorer la douleur dans mes poings. Pourtant, mon esprit n’est jamais aussi tranquille que dans ces moments-là. Je ne pense pas à Margo, pas à mon père, pas au carnet, à mon étrange relation avec Logan, à la Garde, à mon boulot, à Kezabel… tout ça n’existe pas. Je ne suis que sensations, plongée intégralement dans une adrénaline pleine d’euphorie, à sentir mon corps vivre plus intensément. Toute ma colère et ma frustration se détachent pour exister à l’extérieur de moi, et je suis prise d’une légèreté incroyable.

Lorsqu’on se bat ensemble, Mateo et moi nous retrouvons toujours dehors et faisons un bout de chemin. Il a presque trente-cinq ans, et il en a passé déjà dix dans un uniforme de policier qui aujourd’hui est devenu un poids trop lourd à porter. Il ne me parlera qu’une seule fois de son sentiment d’impuissance face aux criminels relâchés, aux peines de prison trop courtes, à l’image compliquée associée à son insigne, mais dans sa façon de plonger ses mains dans ses poches et de jeter son regard dans le vide, je sens en lui la même chose qui m’agite. La sensation détestable d’être emprisonné dans une vie qui ne nous convient plus. Je ne dis rien, parce qu’à la fameuse question Et toi, tu fais quoi ? J’ai répondu que j’étais au chômage, que j’avais bossé dans les arts martiaux en France, dans un club, et que maintenant que j’étais ici, je ne savais plus trop quoi faire. Je ne peux pas lui dire que je suis médecin, il aurait tôt fait de vérifier avec ses moyens si c’était vrai, et puis, je crois qu’au moment où je réponds, je fantasme la liberté de ne rien faire. Je suis quelqu’un qui se cherche. Et lui aussi, sans doute, rêve d’un autre lui sans uniforme.

Ça ne dure pas longtemps, ce bout de chemin qu’on fait, mais j’aime bien ça. C’est simple et ça permet de laisser redescendre l’adrénaline avant de transplaner au cottage.
Mais un soir, je capte un regard qui s’attarde trop. J’ai la lèvre un peu en sang, gonflée, et ça, je le dois à sa putain de droite qui vous décalquerait la tapisserie des murs. On marche tous les deux sur le goudron humide en zigzagant pour éviter les flaques, discutant de tout et de rien sans vraiment se livrer, et puis en contournant une bouche d’égout, nos épaules se tamponnent et il me regarde. Ses prunelles vertes s’arrêtent sur ma bouche, et je le vois sourire.

« Quoi ? T’es fier de toi, c’est ça ?
– Je devrais pas, mais un peu. »
On ne dit pas ce genre de choses si on veut être politiquement correct, mais on aime bien parler librement durant ces quelques minutes de marche.
« Et pis, j’te signale que mon genou a failli faire un tour à 360 à cause de toi, reprend-il.
– Bien fait. Ça t’apprendra à garder la jambe droite. »
Il sourit en continuant à marcher, sans s’éloigner, et je sens dans cette proximité une tension qui n’était pas là avant. On arrive devant sa voiture ; moi, j’ai prétexté habiter pas loin et rentrer à pied. Chaque lundi soir, il insiste pour me ramener. Je dis toujours non.
« T’es sûre que tu veux pas ?
– C’est vraiment pas loin. J’aime bien marcher.
– Je dirais bien qu’il est tard et que c’est pas sûr pour toi, mais j’suis plutôt inquiet pour les autres…
– T’as bien raison. »
Il sort ses clés de sa poche mais son regard s’attarde. Une minute de flottement. Je n’ai aucune gêne à ancrer mes yeux dans les siens et une seconde, je laisse mon esprit flotter vers lui. Doucement, lentement, comme le bruissement des ailes d’un papillon. Je me pose sur lui, légère et invisible, et je sens ce que d’autres auraient pu voir autrement : du désir. Ah. Ça me surprend mais ne me déplaît pas. En fait, je ne sais pas quoi faire avec ça, alors je m’interroge. Est-ce que c’est prudent ? Est-ce que je ne devrais pas me tenir éloignée de tout être vivant qui ne soit ni mon colocataire, ni ma sœur ?
Mais surtout...est-ce que j’ai envie de lui, moi ? Il est beau, à sa manière. Ses cheveux assez courts, noirs, et lisses sont constamment repoussés en arrière, deux mèches voulant toujours barrer son front ; ses lèvres sont généreuses, il a une petite cicatrice sur l’arête du nez, et ses yeux sont d’un vert émeraude magnifique, c’est certain ; sans oublier son corps musclé, énergique, viril. Oui, je crois que c’est ça. Mateo a ce truc que certains hommes ont et qui n’est désirable que s’ils ne savent pas qu’ils l’ont : une virilité naturelle qui n’agresse pas mais qui donne envie.
Quelques secondes passent entre nous. Il ouvre la portière arrière de sa voiture, y jette son sac de sport, la referme et revint se poster devant moi.

« T’as quelqu’un ? » demande-t-il.

Mateo est direct, si lassé de tout qu’il ne s’embarrasse plus de rien. Et moi, je me fige à cette question. J’ai personne. Ces mots me feront sûrement rire plus tard mais pour l’instant, tout ce que je ressens c’est le vide laissé par Margo.

Je secoue la tête. « Non. »

On se regarde en silence pendant un lourd moment. Je crois qu’on réfléchit tous les deux, ou peut-être qu’il attend que je prenne la décision. Mais je décide de ne pas décider pour l’instant et lance :

« Peut-être qu’on devrait s’entraîner ensemble un jour. »

Il sourit.

« Vendu.»



C’est comme ça qu’on se retrouve la semaine d’après, dans la salle de sport déserte de son cousin, à 22h. J’ai eu quelques jours pour réfléchir, peser le pour et le contre, m’éternisant en interrogations existentielles. Une part de moi veut effacer à tout jamais le toucher de Margo, faire couler sur ma peau une couche assez épaisse pour ne plus jamais sentir la sensation fantôme de ses doigts, mais surtout me prouver que je suis capable de désirer un autre corps que le sien. Une autre part de moi a surtout envie de sortir du bourbier dans lequel je me suis mise depuis la rupture. Les bouteilles s’accumulent en cachette et leur existence me dégoûte ; j’ai envie de trouver un autre moyen de survivre, une autre façon de me noyer. Alors pourquoi pas ça ? Pourquoi ne pas se noyer chez l’autre ? Pourquoi ne pas se glisser dans l’adrénaline de la violence, comme je l’avais toujours fait ? C’est sans doute pour ça que j’ai repris les combats et les entraînements, pour ça que je deviens plus sèche et plus rude avec les autres. Je n’ai pas envie de tisser des liens, j’ai envie d’affrontement.

Mateo porte un débardeur noir qui laisse apparaître ses épaules et ses bras musclés. Sa peau est luisante sous les lumières de la salle de sport. Je remarque de plus en plus ces choses-là, et je sens que lui aussi. Son regard effleure mon corps, pèse un instant sur mes lèvres, ma nuque, mon ventre découvert, les formes de mes hanches, le rebond de mes cuisses. J’ai beau être légimen et comprendre la puissance d’un regard, ce genre-là me surprend à chaque fois : en posant ses prunelles sur moi, Mateo donne vie à mon corps et lui rend de son pouvoir. C’est triste d’avoir besoin de l’autre pour se sentir désirable.

Pendant une demi-heure, on s’entraîne sans se faire vraiment mal, juste en se montrant quelques techniques pour rester affûtés, car un corps est une arme redoutable qu’il faut entretenir. Mateo a appris à se battre durant ses nombreuses formations et en pratiquant la boxe avec son cousin depuis deux ans ; pourtant, ses mouvements sont ceux d’un homme qui a surtout appris dans la rue. Quand il se concentre, il peut faire des dégâts mais dès qu’il perd le fil, ses coups deviennent désordonnés et peu efficaces. Alors, je lui apprends quelques astuces, lui montre pourquoi il ne peut pas compter seulement sur sa force, et finalement, nous finissons au sol pour pratiquer un peu la lutte. Il n’en a jamais fait et il tente plus que tout de ne jamais être entraîné au sol par son adversaire. Ça lui servira peut-être dans son travail, un jour où il sera dans une situation critique.

Sur le sol, la main de Mateo tape trois fois alors que je le retiens dans une prise qui fait trembler mes muscles tant j’ai besoin de forcer pour le coincer. Au troisième coup, je le lâche avec soulagement et ses bras se laissent tomber de chaque côté de son corps. Je le surplombe et sa respiration hachée vient disperser quelques mèches qui se sont échappées de ma queue de cheval. On se sourit en partageant cette même sensation d’apaisement qui suit un affrontement ; nos corps se sont débarrassés de quelque chose de lourd, de tendu, et une vague de bien-être nous envahit.
« Je pensais pas que t’étais pire à l’horizontale qu’à la verticale, s’amuse-t-il.
— C’est la première fois qu’on me dit ça. »
Il comprend à retardement et son rire se met à résonner dans la salle déserte. Pourtant, une légère crispation passe sur son visage comme une ombre. Avec le temps, j’ai appris à repérer la gêne occasionnée par une pensée soudaine, la culpabilité d’une pulsion muette, ou l’amusement d’une moquerie qui ne sera jamais dite à voix haute. On peut lire un regard comme l’expression d’un visage, il suffit simplement d’être attentif, et celui de Mateo est un livre ouvert. S’il n’était pas déjà en nage, il aurait rougi.

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Sanae M. Kimura
Jana au Sapon
Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
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