Ces chemins qui nous éloignent - Warren

8 Mai 2017

Il ne serait pas contre être lycanthrope lui aussi. De cette manière, Takuma pourrait encore sentir l’odeur de Caitlyn flotter dans la petite boutique.

- Drama Queen j’te jure…

S’il siffle entre ses dents, l’herboriste n’en a pourtant pas besoin. Personne dans la boutique. Des caisses ouvertes sur lesquelles il se concentre pour tenter de shunter son esprit. D’ordinaire le garçon aurait passé ses nerfs avec de la musique, ses doigts volant sur les cordes de métal pour apaiser son être à fleur de peau. Mais pour cela, encore aurait-il fallu que sa guitare n’ait pas été cassée en deux. Réflexion idiote, puisqu’il suffit de la rafistoler. Non, la vérité, c’est que cette fracture est restée en lui. Elle l’abîme comme la démission de Caitlyn l’abîme. Elle bouscule son besoin de la retrouver près de lui. Or cette guitare, c’est avec elle qu’il l’a acheté. Avec elle qu’il a repris la musique. Avec elle qu’il réapprend à avoir pied. La barrière est dans sa tête bien sûr, et c’est lui-même qui s’esquinte.
Il n’empêche : il s’esquinte malgré tout. L’enchaînement est difficile à encaisser et ses mains sont moites sur le bois humide d’une des caisses de stockage qu’il défait devant le comptoir. La pancarte sur la porte de la boutique indique “fermé” ; personne à déranger, donc, avec son rangement. Personne, à vrai dire, puisque le ton est monté entre lui et le dernier client, un peu brusque dans son approche. Un manque de sommeil, de patience. Un manque bien plus abyssal que ça. Un manque que la petite sonnette au dessus de la porte d’entrée lui tinte sous la peau à chaque nouveau client.

C’est dans ta tête.. Songe-t-il.

Et bien sûr que c’est dans sa tête. Mais c’est là, une graine profondément plantée de réflexions dangereuses qui reviennent par vagues et lui exigent un calme qu’il n’a pas.

T’aurais pu réagir, si t’étais pas un gosse terrifié incapable de dépasser sa peur de l’avenir.
Rien qu’un shoot, et t’aurais ce courage. Tu l’as toujours eu. Tu l’avais avant. Il suffit d’un rien…
T’aurais même pu suivre Léon. Éviter d’être profondément con en contactant Enzo. T’es pas toi, là. T’es pas toi, sobre.
Tu fais que des conneries de toute manière.
T’as besoin de calme. T’as besoin d’aller mieux. Pitié je veux arrêter de ressentir ça, fait ce qu’il faut pour ne plus ressentir ça.

Lorsque Takuma repose le couvercle de bois, c’est pour sortir plusieurs boites de la caisse. Une première avec des bonites séchées, une autre remplie de menthe poivrée et de son essence en fiole auquel il ajoute les quelques pipettes en verre d’élixir de Barufio. Puis une troisième de têtes de coquelicots et de reishi. Et enfin, une quatrième pour faire le plein d’Amanthertia. Le tout sans cessé de respirer en quatre temps. Inspirer, bloquer, relâcher, bloquer, inspirer, bloquer, relâcher, bloquer, inspirer, bloquer…
Vérifier la contenance, l’intégrité des fioles, les moisissures possibles, la dégradation des feuilles.
Lister. Cadrer. Diviser les tâches en sous-tâches. Ne pas réfléchir au-delà.
Mais s’il savait ne pas passer d’une pensée à une autre, Takuma n’aurait pas eu les problèmes qu’il a toujours eu. Ainsi se déroule l’arborescence en étoile de ses réflexions.
Naveen et les Inquisiteurs dans un coin. Les emmerdes de certains de ses contacts lycans dans un autre. Les affrontements récents. Défaire les protections autour de l’amanthertia, les ranger sur les étagères.. Le psychopathe abattu. Enzo et les choses qu’il ne dit pas, pourtant bien plus apaisé depuis son retour. Bien aligner les fioles. Léon et ses silences. Jordane et ses coups. Rassembler les végétaux avec leurs homologues, dans les petits tiroirs d’apothicaire en bois d’une des étagères. Caitlyn, son besoin de présence et le teint blafard qui était le sien quand ce salopard posait les mains sur elle. Dakota, retour brusque de ses propres traumas dans le flux inconstant de ses introspections. Ranger la moitié des bonites, envoyer le reste dans une grande bassine pour réhydrater la chair en vue de la prochaine fournée de potions à préparer. Les tâches en retard depuis le départ de Caitlyn, le manque de temps pour soi, la peur qu’elle soit livrée à elle-même et ne développe de sombres pensées. Hailey, la vampire à qui il a fini par fournir le bouquin qu’elle lui avait demandé. La manière dont elle le regardait, capable sans doute de percevoir ce creux dans ses veines qui fait pulser chacune des branches de l’étoile de ses pensées. Reste la dernière caisse. Avec l’essence de menthe poivrée et l’élixir de Barrufio.  
Les tremblements dans ses mains. Le type qui le plaque, la gueule contre le comptoir. Le manque d’air. L’immobilité.

Un tintement derrière lui lui dynamite le cœur.
Les muscles se contractent.
La caisse lui échappe.
Les pipettes d’élixir s’éclatent au sol, accompagnées des fioles d’essence.

- Merde !

Une douce odeur de menthe poivrée se répand dans la boutique, entre Takuma et le nouvel arrivant.
En se retournant, c’est Warren qu’il découvre.

- Salut. Tu veux quoi ?

Sous ses côtes, la mitraillette du myocarde lui hache le souffle.
En se penchant pour ramasser une fiole encore intacte de menthe poivrée, celle-ci ne reste pas encore ses doigts tremblants. Et s’éclate à son tour sur les tommettes de la boutique.

- P’tain.. Un genou au sol, Takuma pose son coude sur le second pour fermer un poing tremblant sur son front. Respirer. Se reprendre. Tu m’as fait peur. Et c’est bien là tout le problème.

8 Mai 2017

Les jours passaient et se ressemblaient plus ou moins. La routine en quelque sorte. Oui, les jours passaient mais sa colère enfouie grondait toujours depuis l’épisode dans la boutique de Takuma. Il se demandait comment allait Caitlyn – et Taku- mais n’osait pas contacter la première via son téléphone. Peut-être que c’était trop tôt. Il n’en savait strictement rien. Ni comment agir, ni s’il devait aller leur parler ou juste ne plus se montrer. Qu’est-ce qui était le mieux pour eux ? Le moins dangereux ? Les trois abrutis avaient certainement déjà oublié cet épisode et étaient sur de nouvelles missions. Qu’est-ce qui se passe dans ces dernières ? Quelque part, il préférait l’ignorer même s’il se doutait de la réponse, il ne pouvait pas être au four et au moulin, il ne pouvait pas intervenir pour arrêter ces connards finis. Surtout un. Celui qui avait fait le plus de mal à Caitlyn. Il avait songé un moment le suivre, lui donner une belle leçon mais… c’était certainement trop dangereux. Trop frais… et pourtant qu’est-ce que ça ferait du bien au monde de se débarrasser d’une merde pareille. T’es vraiment en train de songer à le dégommer lui aussi ? Oui. Lui, comme beaucoup d’autres Supérieurs. Un rêve qui était encore loin de pouvoir se réaliser, mais il avait encore bon nombre d’années devant lui pour pouvoir agir de l’intérieur. Il ne voulait pas se faire remarquer, il voulait continuer de s’intégrer par ce qu’il n’y avait que comme ça qu’il pourrait agir au mieux pour ses camarades, pour tenter de changer les choses.

Et si tu n’étais pas venu avec eux, comment-ce que ça se serait terminé ? Quelque part, il y avait une grosse part de culpabilité de ce qui s’était passé la semaine précédente. Il sen voulait de ne pas pouvoir agir plus. Il s’en voulait et se demandait s’il n’avait pas dégradé encore plus la situation alors qu’il avait voulu aider ses amis. Certes, s’il n’avait pas été là le magasin aurait peut-être mis plus à sac… mais après ? Ils ne le sauraient jamais. Inspirant un bon coup, il avait fini par se décider à aller faire un tour dans le coin au moins pour vérifier que tout était ok et que ses collègues n’avaient pas fait des siennes par exemple. Lorsqu’il arriva sur place la pancarte fermée, il lui froncer les sourcils. Il avait commencé à rebrousser chemin, mais finalement revint sur ses pas, se tenant face à la porte. C’était une visite d’amis à amis, ce n’était pas pour acheter quelque chose…. Et puis ce « fermé » n’était pas normal. Dégage de là, envoie leur un message, Tveit, ils ont peut-être juste besoin de temps et surtout pas de voir ta sale gueule. Nouvelle hésitation, mais il préférait avoir la réponse d’yeux à yeux, il serait moins facile de mentir, il pourrait mieux cerner la situation et il souhaitait aussi pouvoir faire des vraies excuses en face en face, c’était quand même plus personnel. Malgré tout, il se disait que c’était peut-être mal venu lorsqu’il posa sa main sur la poigné, l’abaissé pour voir que la porte n’était pas fermée à clef.

La cloche tinta mais ce qui le fit sursauter ce fut le bruit que fit l’objet qui tomba des mains de Takuma. Légère grimace, il eut tellement honte qu’il eut envie de faire marche arrière directement. Mauvaise idée. On rebrousse chemin moove. Mais c’était trop tard. Quelque part, il se sentait déjà un peu rassuré de voir que son camarade était en vie, et ne semblait pas avoir de blessures physiques, du moins dans ce qu’il pouvait voir. Salut. Tu veux quoi ? Il ouvrit la bouche et ne sut pas trop quoi répondre ou plutôt si, mais il trouvait cette phrase si pathétique et inappropriée qu’elle avait presque du mal à sortir de sa bouche. Silence donc pendant quelques instants jusqu’à ce que Takuma se baisse pour ramasser une fiole et qu’elle s’éclate elle aussi au sol. Il retroussa un peu le nez mais se rapprocha de lui rapidement pour l’aider et se baissa sans oser sortir sa baguette
pour l’aider à ramasser les dégâts tandis que l’autre garçon reprenait la parole P’tain.. Tu m’as fait peur. Et vu son état actuel ce n’était pas une « simple peur. Warren hésita quelques instants et posa sa main sur l’épaule de son camarade avant de chercher une chaise des yeux, de se relever pour l’apporter au plus près de Takuma. « Je vais nettoyer si ça te convient, pose toi quelques instants.» il laissa passer quelques secondes, perturbé par la réaction de l’ex Serdaigle, il se passa nerveusement une main dans les cheveux et finalement débita « Je suis venu voir comment vous… alliez. Prendre de vos nouvelles et vérifier qu’ils n’étaient pas revenus vous faire chier.» Et même s’ils étaient revenus, qu’est-ce qu’il pourrait faire ? Pas grand-chose si ce n’est entretenir la flamme de sa haine. Mais il pouvait quand même trouver une vengeance. « M’excuser. Aussi… pour ce… qui s’est passé.» il claqua nerveusement sa langue sur son palais mais regardait Taku le plus dans les yeux possibles pour lui montrer qu’il était sincère. « Quand j’ai entendu qu’ils venaient vous voir, j’ai paniqué pour votre sécurité et  j’ai réussi à me faire intégrer de dernière minute, pas eu le temps de vous prévenir… et … j’voulais pas qu’il vous arrive quelque chose.» la belle affaire, n’est-ce pas ? ca lui fait une belle jambe à Takuma. Il hésita de nouveau, se disant que c’était peut-être aussi mal venu, mais il tenta quand même « Et si… heu enfin t’es dans la merde à cause des dégâts matériels causés, j’peux te rembourser sans souci.» Par ce que tenir des petites boutiques comme cela, les fins de mois pouvaient être compliquées… et c’était la moindre des choses qu’il pouvait faire. Et il tenait-là, toujours penaud, ne sachant pas bien comment réagir en plus.

C’est injuste. Injuste de lui en vouloir à lui. Injuste de se retrouver face à un ami dans une situation pareille. Injuste de n’avoir rien fait, ni avant, ni pendant, ni après. Injuste que ce soit elle, sur toutes les personnes existant dans cette foutue ville. Qu’ils lui demandent sa carte à elle très spécifiquement. De sorte à s’en prendre justement à celle dont le nom n’a jamais été inscrit dans un quelconque registre. Celle qui serait très exactement la pire à interroger au vu des secrets qu’elle cache. Injuste que ce soit sa boutique. Pour sa gueule. Avec un camarade de leur maison.
Comme si l’ensemble était spécialement agencé pour faire mal.
En soit ; une bien belle brochette de lamentations inutiles et bien peu productives qui lui sciaient pourtant les côtes et remuaient une incapacité confondante à faire quoi que ce soit qui puisse ne serait-ce qu’améliorer la situation.

Non. Il est resté si inutile qu’il aurait pu être inerte que ça n’aurait rien changé.

En redressant le regard, Takuma arrondi les yeux en découvrant Warren lui apporter une chaise. Là, seulement, lui parviennent quelques évidences. Les lumières éteintes dans la boutique pour ne pas attirer l’attention. Les vitres teintées d’un sort. Ses mains tremblantes et la pulpe légèrement entaillée par le verre des fioles d’où perlent quelques gouttes de sang. Quant au ton dont il a usé, à sa nervosité évidente et à son incapacité à trouver quoi que ce soit à dire à celui avec qui il se souvient avoir partagé de nombreux verres à Poudlard et en dehors… de ça, Takuma ne sait que faire.

« Je vais nettoyer si ça te convient, pose toi quelques instants.» Un regard interrogatif se pose sur Warren lorsqu’il se saisi du dossier de la chaise que le jeune homme lui tend. Derrière lui, son imagination retrace le chemin des mains de ce chien sur le corps de Caitlyn. Takuma ferme les yeux. Son ancien compagnon de chambrée reprend. « Je suis venu voir comment vous… alliez. Au top. Prendre de vos nouvelles et vérifier qu’ils n’étaient pas revenus vous faire chier.» Dans un soupir, Takuma se laisse tomber sur la chaise où il se force à inspirer profondément. Expirer. Tracer au sol mentalement les symboles de son prénom, vieille habitude issue de son enfance, quand il tentait de se calmer après un coup de panique dans la rue. Ou avant, bien avant, lorsque sa mère lui apprenait une technique pour “se contenir” et “rester tranquille” en cours et ailleurs. « M’excuser. Aussi… pour ce… qui s’est passé.»
- Ca va, Warren. Siffle-t-il, s’étonnant lui-même de sa dureté, avant de laisser tomber les éclats de potion brisée au sol.
Lorsqu’il redresse le regard, son ami y a planté le sien et l’oblige à faire face à toute la sincérité qu’il y met. Comme on peindrait un tableau de trop de couleurs pour en souligner les contrastes.
« Quand j’ai entendu qu’ils venaient vous voir, j’ai paniqué pour votre sécurité et j’ai réussi à me faire intégrer de dernière minute, pas eu le temps de vous prévenir… et … j’voulais pas qu’il vous arrive quelque chose.» Lorsque Takuma se rend compte gratter nerveusement l’intérieur de son coude, il se redresse d’un bloc, attrape une poubelle et balance les bris de verres en entendant Warren continuer. « Et si… heu enfin t’es dans la merde à cause des dégâts matériels causés, j’peux te rembourser sans souci.»
En arrière plan, dans ses pensées, les derniers jours passés avec Caitlyn se détachent en ombres chinoises. Ses demandes, pressées, que le corps seul exprime et que ses yeux lagunes lui interdisent de lui refuser. L’agacement soudain, le manque de sommeil aussi, mais le besoin d’être en contact, toujours. Leurs corps enlacés durant la nuit, et celle d’après, eux qui ne dorment jamais une semaine complète l’un avec l’autre ne se sont pas lâchés. Ses bras autour d’elle, à regarder la télé, ou somnoler avant qu’enfin, elle ne lui donne sa fatale conclusion : la démission. A ce moment, Takuma lui avait répondu en hochant du menton, le nez contre sa nuque et son souffle sur sa peau. “C’est mieux.” Avait-il commenté, sous-estimant de très loin le manque de la voir au quotidien. Durant une semaine, alors ; métro boulot dodo, de quoi sembler accro à sa présence, son parfum, la texture de sa peau. Une semaine aussi à la laisser venir sans jamais trop savoir s’il fait bien de répondre à ses demandes. Une semaine, à la sentir se tendre un peu plus chaque fois qu’il semble hésiter. Fait-il mal ? Trop ou pas assez ? Une semaine à guetter un mal être qui refuse de trouver la voie pour s’exprimer.

Et lui parle de dégâts matériels et de remboursements.

Le pire dans cette idée, c’est qu’effectivement, les quelques potions brisées lui coûtent cher et que les revenus de la boutique à peine remise sur son axe ne passent jamais tout à fait assez le seuil du positif.

- J’ai pas envie de ta charité Warren. D’un geste, il se saisi de sa baguette et envoie quelques sorts. Une serpillière descend de l’étage pour passer au sol. Le verre pilé crisse sur la pierre. Je sais que t’as fait au mieux. Toute salive semble pourtant avoir quitté sa bouche tant le ton lui semble râpeux.

Il n’était pas certain, au fond, que ce soit une vraie bonne idée de venir ici. Il pouvait empirer une situation déjà compliquée, mais il avait quand même besoin de savoir si ses amis avaient besoin de quelque chose, si les autres n’étaient pas revenus. Comment est-ce qu’ils s’en remettaient – surtout Caitlyn-. Il savait qu’il n’était pas le plus doué dans ce genre de discussion, mais il voulait quand même essayer d’être là, de faire quelque chose pour eux.  Il faut aussi bien avouer qu’il ne s’était pas attendu à ce que Takuma sursaute autant et se fasse quelques dégâts. Il se sentit encore plus mal et ne savait pas comment agir. Peut-être qu’il avait besoin de se poser un peu et c’est pour cela qu’il avait saisi une chaise. Il avait vite enchainé avec les raisons de sa visite… et la réponse n’était pas forcément celle escomptée, ou plutôt le ton utilisé. Ce petit sifflement dur Ca va, Warren Il n’en était pas certain, mais il ne ferait aucun commentaire là-dessus. Il avait mal au cœur de voir Takuma dans cet état et s’en voulait, même s’il ne voyait bien ce qu’il aurait pu faire de plus. Warren avait tenté de ne pas prendre cela trop pour lui, il pouvait même comprendre que l’autre homme lui en veuille même si cela lui faisait du mal.  Il se sentit d’un coup de nouveau si fatigué et si las, mais il se reprit presque aussitôt. Il avait d’autres choses à lui dire, le résultat ne fut guère plus probant, Takuma ne causait toujours pas beaucoup et se grattait nerveusement l’intérieur du coude, avant de se redresser d’un coup pour choper une poubelle. Warren essayait tant bien que mal de continuer et finir son propos, quand même un peu déstabilisé par la situation.

Il y eut certainement un silence qui lui sembla durer des heures. Ce genre de moment où on se demande si l’autre va prendre la parole ou pas. S’il va nous claquer la gueule ou se mettre à pleurer. Alors il l’observait, sans plus oser rien ajouter. Et enfin J’ai pas envie de ta charité Warren.Ah. Oui, ça pouvait être vu comme ça en effet… mais il voyait plus ça comme un coup de pouce à un ami, pas de la charité. La barrière était peut-être fine ceci dit. Il inspira un nouveau coup, essayant encore une fois de ne pas trop le prendre pour lui, mais cette fois-ci, il accusait quand même un peu plus le coup. C’est à peine s’il vit Takuma jeter un sort pour nettoyer le merdier tant il essayait de trouver une réplique adaptée, et son camarade avait bientôt renchérit Je sais que t’as fait au mieux. Oui, il savait peut-être, mais le ton ne laissait pas présager cela. Est-ce qu’il y avait une forme de reproche là-dessous ? Possible. Mais il aurait préféré un tacle plus franc. Tveit se pinça quelques instants l’arrête du nez, avant de se passer une main dans les cheveux ne sachant absolument pas comment est-ce qu’il pouvait répliquer. Beaucoup de choses lui traversaient l’esprit mais il ne savait pas laquelle serait la meilleure. Alors finalement, il acquiesça doucement et changea de tactique « Ok. J’peux te faire une grosse commande dans ce cas-là ?» De quelle potion ? Il n’en savait foutrement rien, mais la charité ne serait plus là vu qu’il y aurait un échange de travail, n’est-ce pas ? il n’était pas certain non plus que ce soit le meilleur moyen de communiquer avec Takuma, mais vu la froideur de son camarade -  qu’il comprenait-, il ne savait plus trop sur quel pied danser. « Tu es fermé, je suppose que personne ne risque d’entrer ? Tu peux donc m’hurler dessus et cracher ta haine, personne ne le saura. Le verra.» il planta son regard dans le sien. Peut-être qu’il avait besoin d’un exutoire, alors c’est ce qu’il essayait de lui offrir sans être toujours certain que ce soit également qu’il choisissait la bonne voie.

« Ok. J’peux te faire une grosse commande dans ce cas-là ?»  

La douceur de son ton le rend mielleux. Affable. Foutrement trop courtois pour ce qu’ils sont censés être. Beaucoup trop, surtout, par opposition à l’égide de la domination distillée par ses petits potes la fois précédente. Alors Takuma a beau savoir qu’il tenait un rôle, beau s’accrocher à ses inquiétudes et ses manières atrocement distinguées et amènes lui rappelant brutalement qu’ils n’appartiennent pas au même monde. Non, lui appartient à celui dans lequel quand une merde a été commise, il suffit de sortir le chéquier pour faire amande honorable. C’était déjà le cas avec Sovahnn. Je t’ai fait un enfant ? Vas-y prend ma tune et m’en parle plus. Mes collègues ont flingué ta boutique et agressé ta copine ? Allez, quelques mornilles et c’est réglé !
Baguette à la main, Takuma fait s’envoler les morceaux de verre et les assemble en petit tas sur le comptoir. Il se souvient de ces moments où un simple billet constituait le graal absolu. Pire, comprend-t-il, en se voyant gratter de nouveau l’intérieur de son coude, il sait ce que pourrait représenter l’argent dont parle Warren. Ce qu’une part de lui convoite en vérité plus que tout le reste. Un truc qui ferait taire chacun des fourmillements étoilés de ses pensées en tesson de bouteilles.

« Tu es fermé, je suppose que personne ne risque d’entrer ? D’un regard, Takuma répond sans passer le cap de verbaliser ses dires. Personne, oui, sauf lui qui se fout bien de la pancarte “Fermés” car en bon ami, il sait que la porte lui sera toujours ouverte. Ou bien est-ce simplement car il possède un statut qui les ouvre toutes, toujours, qu’importe ce qu’en pense le propriétaire ? Tu peux donc m’hurler dessus et cracher ta haine, personne ne le saura. Le verra.»  
- Mais quel grand seigneur ! le sifflement lui échappe. Ça, le soupir agacé qui gonfle sa gorge et fait trembler ses bras. Ça, la foutue envie de se planter une putain d’aiguille dans les veines. Et l’implosion atroce qui l’ouvre en deux au souvenir du regard de Caitlyn avant, pendant et après l’agression. Sa manière de faire comme si tout allait bien, de chercher son contact et de sembler vouloir le rassurer lui. Voire même s’en vouloir POUR lui. Et puisque la trajectoire de derniers bris de verre se trouve déviée et que ces derniers tombent en arrière du comptoir, Takuma comprend une leçon que les jeunes sorciers doivent sans doute apprendre au même moment que le “les ciseaux la pointe en bas !” des moldus : éviter de faire voler des bouts de verres quand on ne se maîtrise pas parfaitement. Et comment je ferais ça ? Toujours cette voix sifflante, lorsqu’il pose sa baguette sur le comptoir et qu’elle claque le bois. A l’exact endroit où le chef de Warren l’examinait quelques jours plus tôt. Là où il aurait pu tomber sur un sort interdit et l’envoyer droit à Azkaban.

Takuma enchaîne, sans laisser à Warren la possibilité de répliquer. Ou s’il le fait, le japonais le coupe net.

- Elle est belle ta putain de position ! Tu veux quoi, que j’te gueule dessus ? Et pour quelle raison ? T’es le parangon de justice qui nous a sorti de la merde et tu viens là à cheval entre ta posture de chevalier blanc qui vient voir si on n’a pas besoin d’aide et celle de martyr de la cause qui espère qu’on te cogne dessus ?! C’est quoi le projet ? Passer ta culpabilité sous la table sous forme de chèque ?! Injuste. Profondément injuste. “J’ai même pas le droit d’être en colère ! Si t’avais pas été là, ils l’auraient coffrée et moi avec ! Alors pourquoi hausse-t-il le ton ?
Parce qu’à Poudlard, ces connards, Takuma pouvait leur faire payer. D’une manière d’enfant, semblant très innocente. Mais malgré tout, tous avaient une forme de prise sur ceux qui vivaient avec eux et faisaient peser la chape de leur tyrannie sur le quotidien de tous les résidents. A présent tout leur échappe.
Hier, ils jouaient à domicile. A présent quand les types débarquent, ils les mettent simplement en joue, prennent ce qu’ils veulent. Et repartent.
- Tu sais quoi ? Tient vas-y ! Ça coûte combien à ton avis les dommages et intérêts ? Un shoot putain, rien qu’un shoot. Voilà ce que hurlent ses nerfs à fleur de peau. Personne ne le verra. Personne ne saura.  Ses mouvements sont électriques lorsqu’il traverse la pièce de quelques enjambées. Et revient pour foutre dans les bras de Warren une bolée de sisymbre. “ ça c’est pour ses mains sur ses hanches.” Chope la plus cher des potions et lui en colle trois dans les mains “ça les cuisses.” Puis quelques brindilles de Bois de Grapcorne, ressource immensément chère pour des animaux soumis à un braconnage incessant. ça c’est son souffle sur sa peau. Un regard noir. Plus ? Moins ? Ça chiffre à combien les traumas ? La dernier fiole qu’il lui cale dans les mains lui échappe et, dans un réflexe, Takuma la rattrape, la colère dans les veines comme un arc électrique venue tendre son corps entier.

Et plutôt que de lui coller son poing droit dans la face, balance la fiole aux reflets bordeaux, qui explose en une gerbe sur le mur du fond, entre les étagères. “Et même ça, ça fait de moi une putain de sous-merde de te le reprocher parce que tu es le seul connard à être intervenu !”

De toute la tirade, à aucun moment Takuma n’a vraiment repris sa respiration ou laissé Warren en placer une.

Il essayait, sans trop savoir où aller réellement. Il essayait par ce qu’il voulait vraiment aider Takuma. Il n’y avait pas d’arrière-pensée et il ne voyait pas pourquoi (ne comprenait pas) pourquoi est-ce qu’il ne pouvait pas lui filer un peu d’argent si cela pouvait le dépanner, lui donner un coup de pouce. Il avait donc tenté en essayant de lui faire « gagner de l’argent » avec son travail et pas juste ce que l’autre appelait de la charité, là encore, il pensait bien faire. Tout comme, lorsqu’il lui proposé de lui gueuler dessus. Ça ne pouvait que lui faire du bien de se soulager de certains des poids qui devaient à présents le ronger. Mais Warren oubliait certainement qu’il n’avait absolument pas la même façon de penser que beaucoup de gens, que son éducation faisait qu’il était trop dans la retenue, ici peut-être trop pragmatique et pas assez dans l’empathie, il ne se rendait pas compte qu’il était à coté de la plaque, et que ce n’était pas la bonne approche avec Takuma – peut-être que cela aura pu fonctionner avec quelqu’un d’autres-.

- Mais quel grand seigneur ! Il fronça un peu les sourcils, mais ne dit rien, préférant le laisser continuer pour mieux comprendre pourquoi est-ce qu’il avait commencé de la sorte. Et comment je ferais ça ? un instant Warren se sentit perdu, il observait l’autre sorcier sans un mot ; et enfin tout sembla faire sens lorsque l’autre enchaina Elle est belle ta putain de position ! Tu veux quoi, que j’te gueule dessus ? Et pour quelle raison ? T’es le parangon de justice qui nous a sorti de la merde et tu viens là à cheval entre ta posture de chevalier blanc qui vient voir si on n’a pas besoin d’aide et celle de martyr de la cause qui espère qu’on te cogne dessus ?! C’est quoi le projet ? Passer ta culpabilité sous la table sous forme de chèque ?! Haussement d’un sourcil. Okay ; Il ne s’était pas attendu à ça, mais après tout pourquoi pas. Il notait tout dans un coin de sa tête, essayant de faire abstraction de la blessure qu’il pouvait ressentir. Il l’avait cherché après tout. Il essayait néanmoins comment est-ce qu’il arrivait à de telles phrases avec ce qu’il avait dit. Il ne s’était jamais pensé, ou même pensé, comme un chevalier blanc ou autre.  Il aidait juste des amis. Point. D’un bout à l’autre… Mais forcément, Takuma n’était pas lui, et ne pouvait pas deviner ce qu’il ressentait, ou avait pu ressentir. Il inspira un bon coup et continua d’encaisser avec la suite. “J’ai même pas le droit d’être en colère ! Si t’avais pas été là, ils l’auraient coffrée et moi avec ! Là encore, il ne comprenait pas le raisonnement. Bien sûr que si, il avait le droit d’être en colère. La situation était injuste et dégueulasse. Il était normal d’être en colère, contre ses collègues et même contre lui. Et c’est là qu’il se dit, qu’il tenait peut-être le fond du « problème ».  Dans le « en colère contre lui », le lui n’étai pas Warren, mais Taku. Peut-être qu’il s’en voulait. Cette fois, Tveit voulu réagir mais il en eut pas le temps, l’autre garçon coupa court à son cheminement de pensée, parlant  à présent de dommages et intérêts avant de lui coller dans les bras et mains des choses de sa boutique…. Tout en  parlant de ce qu’avait fait Caitlyn. Il en eut la nausée. Il s’était redressé. Il était tendu. “Et même ça, ça fait de moi une putain de sous-merde de te le reprocher parce que tu es le seul connard à être intervenu !” Et soudain, il balança une des fioles contre un mur. Avec précaution, Warren posa tout ce qu’il avait dans les mains « Tu ne pouvais rien faire Takuma, c’était déjà risqué pour moi, mais pour toi c’était sûrement un aller direct au Ministère. Pour vous deux.» Pas sûr de ça, il se serait certainement plus pris une déverrouillée, mais il préférait aller dans ce sens là. Il n’était toujours pas certain que ce soit ce que l’autre garçon voulait entendre. Il essayait de calmer une partie de lui qui avait envie de répliquer. La partie blessée et piquée au vif. Nouvelle inspiration et il posa une main sur son épaule « Le projet c’est juste de voir comment vous alliez et de vous aider. Ni plus ni moins.» tenta-t-il. La voix arrivait à être douce, mais un trémolo, pouvait laisser présager qu’il gardait quelque chose en lui. « Et tu as le droit d’être en colère. Contre eux. Même contre moi. Tu as le droit, c’est même tout à fait légitime et ce qu’il y a de plus normal, par ce que ce qui s’est passé est … dégueulasse. Anormal.» ce n'était pas comme pour lui "donner une autorisation", mais plus pour lui faire comprendre que son ressenti était valide et qu'il n'avait pas à le rejeter de cette manière. Il planta un regard dans les yeux de son ami et souffla. « Je pourrais te proposer de te filer leur adresse, je sais que ça te ferait probablement plus de bien que de l’argent, ou autre, si tu veux te venger ou du moins avoir cette … opportunité si tu le souhaites. Mais ça t’apportait aussi beaucoup de problèmes, et je ne voudrais pas que tu finisses à Azkaban. Ou pire.» Silence. « Par contre, un jour la roue tournera, et ce jour-là ils ne l’emporteront pas au  Paradis.»Une promesse quelque part. Une détermination et une rage dans son regard. Il n’était toujours pas certain que ce soit le bon discours à avoir, mais il n’en avait pas d’autres en tête, lui montrer qu’il avait songé à venir avec autre chose de du fric lui semblait une bonne idée, mais c’était peut-être un énorme tort. « Et désolé, ce n’était pas … mon intention de sous-entendre ça… pour l’argent. Je… peut-être que tu as raison, que je culpabilise, que je me dis que j’aurais pu faire plus. C’est vrai. Mais si je n’avais pas été là et j’aurais appris ce qui s’était passé je t’aurais proposé de t’aider. Par ce que j’m’en tape du fric. Ce qui m’importe ce sont mes potes et leur avenir. Ta boutique te tient à cœur. C'est toi tout craché...» Pour ça aussi, qu’il avait pris quelques risques. Possible que c’était en trop tout ça, mais il espérait que Takuma comprendrait. Il l’espérait vraiment.

Tout un monde de frustration dans les grondements échappés de sa gorge. Un monde qui part en éclat avec les brisures de la fiole balancée contre le mur. Inspirer profondément ne déloge pas cette sensation de trop plein infernal, et pincer l’arrête de son nez ne l’empêche pas de souffler sèchement pour tenter d’évacuer ce qui ne part pas. Pire encore, lorsqu’il rouvre les paupières, voir Warren tout poser précautionneusement l’agace davantage. Un parallèle cyniquement ironique quant à la casse réalisée par ses potes de la dernière fois.
- Vas-y fait gaffe, on sait jamais ça pourrait se péter… Rien de plus qu’un marmonnement que Warren n’entends pas forcément. Ou qu’il décide d’ignorer.
- « Tu ne pouvais rien faire Takuma, c’était déjà risqué pour moi, mais pour toi c’était sûrement un aller direct au Ministère. Pour vous deux.»
- Je sais ça.
Il se revoit, face au père de Dakota, maintenir ce dernier en retrait et refuser de céder du terrain tout autant que le blesser. Il se revoit assommer Jordane pour ne pas qu’elle s’en prenne à lui. Et rassurer Dakota. Il se revoit dans la rue, puis à Poudlard, toutes ces fois où il a fallu agir et prendre des décisions. Ça ne semblait pas si compliqué que ça. Etait-ce lui qui manquait de conscience du danger, ou devient-il parfaitement incapable de faire ce qu’il faut ?
Alec lui répéterait qu’il n’a jamais su.
Aussi connement que ça.

La paume de Warren se referme sur son épaule et le rappelle au présent. L’électrise, aussi, par sa douceur.
« Le projet c’est juste de voir comment vous alliez et de vous aider. Ni plus ni moins.»
- Fort aimable.
Sa douceur s’abat sur lui comme s’abattrait une chape de plomb. Humiliante, à sa manière.
« Et tu as le droit d’être en colère. Exactement ce qu’on dirait à un gosse. En est-il là, vraiment ? A devoir se faire apprendre la vie ? Des leçons de vies et de la tune refilée par celui qui n’en a jamais manqué. Parfait. Contre eux. Même contre moi. Tu as le droit, c’est même tout à fait légitime et ce qu’il y a de plus normal, par ce que ce qui s’est passé est … dégueulasse. Anormal.»
- Bien vu.
Comme s’il ne le savait pas, ça !
Et lorsque Warren plante son regard dans le sien, Takuma n’a qu’une envie, c’est de lui en coller une. Le tout souligné par l’amère conscience de se comporter comme un con fini.
Warren souffle.
Lui retient sa respiration.
« Je pourrais te proposer de te filer leur adresse, je sais que ça te ferait probablement plus de bien que de l’argent, ou autre, si tu veux te venger ou du moins avoir cette … opportunité si tu le souhaites. Mais ça t’apportait aussi beaucoup de problèmes, et je ne voudrais pas que tu finisses à Azkaban. Ou pire.»
Et roule les yeux vers le ciel.
« Par contre, un jour la roue tournera, et ce jour-là ils ne l’emporteront pas au Paradis.»
Avant de les ramener dans ceux de son camarade de chambrée.
« Et désolé, ce n’était pas … mon intention de sous-entendre ça… pour l’argent. Je… peut-être que tu as raison, que je culpabilise, que je me dis que j’aurais pu faire plus. C’est vrai. Mais si je n’avais pas été là et j’aurais appris ce qui s’était passé je t’aurais proposé de t’aider. Par ce que j’m’en tape du fric. Ce qui m’importe ce sont mes potes et leur avenir. Ta boutique te tient à cœur. C'est toi tout craché...»
- Ah ouais ? C’est moi tout craché ? C’est là dessus qu’il préfère rebondir, pour s’éloigner de son “j’m’en tape du fric” qui, à ses yeux, sonne comme particulièrement rabaissant. Non seulement sa boutique vivote comme elle le peut, mais il a réussit en fuyant un an plus tôt, à foutre dans le rouge des comptes qu’il avait pourtant lui-même contribué à remonter. Cait s’étant barrée, c’est à lui re remonter la barre seul, et il aurait bien besoin du vieux fou pour lui donner quelques tips.
Ou de la tune d’un mec qui chie littéralement dessus pour éviter de faire des vagues. En quoi ça me ressemble dis-moi ? A aucun moment son regard n’a cessé d’irradier l’éclat tranché qui s’y est logé.
Pas plus que Takuma n’a cessé de jouer nerveusement de ses doigts sur la surface trop longue de ses ongles.

Il essayait de le rassurer, mais visiblement s’y prenait mal, comme d’habitude. Il ne savait pas quels mots Takuma avaient besoin d’entendre ou ceux, au contraire, à proscrire, alors il essayait. Il voulait vraiment bien faire, mais plus il parlait, plus il avait l’impression de se prendre un couteau dans le bide « fort aimable », « bien vu ». C’était tout ce que son interlocuteur semblait disposer à dire. Et il ramait et savait de moins en moins quoi faire. Quelque part, peut-être qu’il aurait préféré une vraie engueulade, par ce qu’il savait beaucoup mieux réagir à cela. Il vivait beaucoup plus mal de ses petites piques vicieuses – mais méritées- que de vraies brimades. Malgré l’amertume, la douleur et la lassitude, il continuait d’essayer ne comprenant absolument pas qu’il était encore et toujours en train de fausse route, qu’il s’enfonçait plus qu’autre chose alors qu’il pensait bien faire. L’enfer est pavé de bonnes intentions parait-il, il était actuellement descendu bien bas dans ce bourbier.

- Ah ouais ? C’est moi tout craché ? Boulette. Il sentait bien qu’il avait fait une énorme bourde là mais ne comprenait pas bien pourquoi. Cette boutique lui ressemblait quelque part, il avait fait quelque chose qui lui ressemblait en adéquation avec lui, quelque chose de d’assez doux et chaleureux. Il ne pouvait pas vraiment l’expliquer mais c’est cette impression qu’il avait dans cette boutique. En quoi ça me ressemble dis-moi ? il ouvrit la bouche, la réponse il l’avait pourtant en tête, mais il n’était plus bien sûr qu’il fallait qu’il dise ça.  Takuma semblait sur les nerfs et il ne pouvait pas  s’empêcher de regarder ses doigts qui tapotait sur ses ongles.

Silence de quelques instants. Long. Lourd, presque quelque chose de râpeux – comme la voix de son camarade lorsqu’il lui répondait-. Il inspira un bon coup, regardant malgré tout le regard de braise (de colère ?- ; Il devait dire quelque chose, et il se dit que vu la situation autant dire la vérité et pas tenter de trop contenir les choses. Il était déjà dans la merde, autant assumer jusqu’au bout. « Par ce qu’on se sent bien ici. Tu as fais de ce lieu quelque chose de chaleureux… de cosy. J’sais pas, difficile d’expliquer, un peu quand tu rentres dans une librairie où te sens direct bien, dans ton milieu.» Il haussa les épaules « Et c’est ta ‘patte’ qui fait ça.» Il doutait que ça arrange son cas mais tant pis au final. Il haussa les épaules avant de souffler « Enfin voilà quoi.» Il aurait voulu que son ton soit plus détaché, mais il sentait bien qu’il devait être plus blessé et sur a défensive qu’il ne l’aurait voulu.

Il inspira alors un bon coup. Changer de sujet ? Pas sûr que ce soit la solution. Lui demander ce qu’il attendait de lui ? Tveit n’était pas certain qu’il supporterait une réponse du genre « que tu dégages » ou que « tu disparaisses de ma vue »… D’un autre côté, juste se taire et courber l’échine ne lui ressemblait pas non plus et ne ferait pas forcément avancer les choses. Takuma était en colère, et quoiqu’il dise, ça serait certainement mal pris. Casse-toi alors du con. mais non, il s’entendit dire « Qu’est-ce que je suis censé dire ou faire, Takuma ?» Air las, quelque part un peu désespéré, en attente d’une réponse à cette question. «Je ne vais quand même pas te proposer une partie de carte ?! » Quoique. Au moins ça changerait totalement de sujet. Peut-être que c’était ça qu’il fallait mais il avait l’impression que ça serait encore plus minimiser ce qui s’était passé.

Il y a quelque chose d’humiliant dans la démarche. Un truc qui le prend au tripes et résonne d’une manière qui lui déplaît profondément. Une sonorité similaire à celle de ces types qui débarquent ici en pays conquis, le tout pour poser questions ou mains là où ils ne le devraient pas. Car tout leur appartient, des terres aux gens, puisqu’ils possèdent la légitimité de l’insigne, de l’argent ou du pouvoir. Ou, à propos des concernés ; les trois à la fois. Avec sa sirupeuse posture, Warren se présente en grand sauveur, et lui, depuis le caniveau où il rampe, n’a rien d’autre à faire que de tendre la main, d’arrondir le dos et d’adoucir sa voix.
Pire encore, son regard l’analyse. Il passe dans ses yeux, s’arrête sur sa gorge - sans doute tendue - et achève sa course sur ses doigts. Ceux qui tapotent en rythme ou font claquer un ongle sur le second.
Takuma passe ses paumes à plat sur son jean et les fourre dans ses poches.
Ça aussi, c’est pire. Plus suspect. D’autant plus que ses gestes sont saccadés, sa gorge sèche. Et ses mouvements, aussi vifs qu’imprécis.

L’herboriste, pour se redonner une contenance, reprend son rangement tandis que Warren poursuit.
Ses mains ne seront donc pas restées longtemps immobiles. Pas plus que lui.

« Par ce qu’on se sent bien ici. Tu as fais de ce lieu quelque chose de chaleureux… de cosy. J’sais pas, difficile d’expliquer, un peu quand tu rentres dans une librairie où te sens direct bien, dans ton milieu.»

Il emporte les caisses, les ouvre, range les fioles sur les étagères.

« Et c’est ta ‘patte’ qui fait ça.»

Il faut pousser certains bocaux, faire de la place, trouver une présentation adéquate pour rendre l’ensemble attractif. Ainsi il met les fioles aux volutes rouges sur l’avant, et les sacs emballés de papiers métalliques sur l’arrière. Les élytres de scarabée vendent moins de rêve.
Deuxième haussement d’épaules de suite derrière lui.

« Enfin voilà quoi.»
- Ouais. Voilà quoi.

Un sac, posé sur le côté, pour en extraire quelques branches et les suspendre près de l’étal.

« Qu’est-ce que je suis censé dire ou faire, Takuma ?»  
C’est toi qui vient ici, c’était ton job de savoir quoi dire ; manque-t-il de répondre. Mais à la place, l’ex Serdaigle se tait. Trop conscient peut être de la voix que prend Warren. Piqué pourtant de la fatigue qu’il exprime. Comme s’il se devait, en plus de tout, de prendre le rôle du connard de l’histoire.
«Je ne vais quand même pas te proposer une partie de carte ?! »
- ça s’rait une idée… Perché en équilibre sur le rebord ensorcelé d’un des étals, Takuma à bout de bras attache les branches les unes aux autres. Elles lui fouettent la joue, tandis qu’il enroule le filin de fer. Lui chatouillent la peau.
Puis après un dernier tour pour fixer le tout, le jeune homme se laisse retomber. C’est un marathon qu’il lui faut. Un truc pour évacuer. Quelque chose de physique qui le laisse à bout de course, assez épuisé pour ne plus avoir la force d’envisager les pires des décisions.
Un soupir lui échappe et, sans lâcher le trop plein de branchages, se pince l’arrête du nez.
- Tout ça c’est Lyn… Il s’arrête un instant en pinçant des lèvres avant de remettre les tiges dans le sac. Tout en nouant la fermeture, Takuma ajoute “C’était beaucoup en bordel, elle a réorganisé le tout, fait du tri, changé les étals et modifié la vitrine. Et en soulevant le ballot, l’emporte jusqu’à l’arrière boutique où il le dépose. Elle a posé sa démission. Aucun risque qu’ils la retrouvent ici. Pour cette dernière déclaration, Takuma lui a fait dos, achevant sa réflexion sans un regard. Non pour se fermer bien que ce puisse être vécu comme tel, mais pour échapper à son air affable.

- Une partie de cartes, donc ? Fait-il, donc, en se retournant. Si je te plume au poker, ça fait plus vicelard mais moins condescendant…

Il faut bien avouer qu’il n’avait plus de mots, qu’il ne savait plus trop ce qu’il pouvait dire ou pas. Il avait fini par essayer de tenter quelque chose ; mais pendant qu’il parlait, Takuma s’agitait, rangeait et au final Tveit n’était pas bien certain que l’autre l’écoutait réellement, alors qu’il lui avait posé une question avec laquelle il essayait de se dépêtrer. Il avait l’impression de devoir encore prendre des rames et que quoiqu’il dise ça n’irait jamais. Abandonne, t’as peut-être eu tort de venir ici. Par ce qu’il n’avait pas forcément agi au mieux même s’il ne comprenait pas bien ce qu’il avait fait de mal. Par ce que Takuma n’était pas non plus forcément prêt à revoir sa tronche. Par ce qu’il pouvait il y avoir plein de raison.

- Ouais. Voilà quoi.

Ouais, donc malgré ça, les choses ne semblaient pas vouloir s’améliorer son pote semblait totalement fermé à tous ses essais ; mais d’une façon qui restait quand même blessante depuis le début. Et il se sentait de plus en plus fatigué et las face à cela. Une nouvelle fois, il se dit qu’il ferait mieux de lui souhaiter une bonne après-midi et de se casser, quitte à revenir un autre jour pour tenter de voir si « le courant passait mieux ». Il continuait donc de l’observer s’agiter dans un sens, dans l’autre. Il avait envie de baisser les bras, mais quelque part Takuma méritait mieux qu’il abandonne à la première difficulté. Il ne comprenait pas ce dont son camarade avait besoin, alors quelque part c’est ce qui le poussa à reprendre la parole, à tenter de comprendre.

- ça s’rait une idée

La partie de carte. Warren haussa un sourcil un peu perplexe, il ne sentait même pas d’ironie dans la les paroles de l’autre garçon ce qui avait tendance à le désarçonner un peu, avant de se dire qu’au final, Takuma voulait peut-être juste une discussion « normale », ce qu’il n’avait vraiment envisagé, il faut bien l’avouer. Pourtant, ça semblait un peu logique, mais la honte qu’il ressentait envers tout ce qui s’était passé la dernière fois, ne lui avait pas forcément voir les choses de cette manière. Du coin de l’œil, il surveillait toujours l’autre garçon, baguette limite à la main au cas où il y ait une chute malencontreuse. Il n’osait même plus lui proposer de l’aide et il se sentait con, là, planté comme un piquet au milieu de la pièce, mais il n’avait pas envie de risquer que la situation se retourne de nouveau. C’était la première vraie phrase qu’il ne sentait pas sur la défense ou peu agressive.
Et voilà Takuma qui se pinçait l’arrête du nez avant de reprendre la parole, toujours lesté de ses branchages.

- Tout ça c’est Lyn… Warren opina un peu bêtement tout en continuant de regarder le manège de son ami avec sa mise en place ; A présent c’était ses doigts à lui qui jouaient du piano sur la jambe pour avoir l’impression de s’occuper les mains, pour éviter de proposer une nouvelle fois son aide. “C’était beaucoup en bordel, elle a réorganisé le tout, fait du tri, changé les étals et modifié la vitrine. Elle a posé sa démission. Aucun risque qu’ils la retrouvent ici.  Il poussa un bref soupir clairement de soulagement en sachant que Caitlyn au moins ne risquerait rien. Néanmoins, il ne pouvait pas s’empêcher de se poser la question pour Takuma : comment est-ce qu’il le vivait ? Est-ce qu’il pouvait gérer la boutique seul sans s’épuiser ? Ou bien encore, qu’est-ce qui se passerait si les autres connards revenaient dans le coin ? Il voyait bien le petit jeu de l’autre Serdaigle qui tentait d’éviter son regard ou sa gueule, au choix, si bien qu’il se disait que ce n’était pas forcément la meilleure des idées de lui poser ce genre de questions, de lui montrer son inquiétude qu’il prendrait sûrement pour autre chose. Il se gratta un peu la joue et se contenta donc d’un simple « T’as posé une annonce ou tu vas pouvoir te débrouiller seul ?» Plus soft, plus général, moins personnel en quelque sorte. Il verrait plus tard, s’il sentait que son interlocuteur se détendait en sa présence.

Et enfin, Takuma avait fini par se retourner tout en reprenant la parole Une partie de cartes, donc ? Si je te plume au poker, ça fait plus vicelard mais moins condescendant… Il ouvrit la bouche. Moins condescendant ? C’était donc pour ça, que l’autre tirait la gueule depuis tout à l’heure. Merde. C’était pas du tout ce qu’il avait voulu transmettre. Il se racla la gorge, empêchant un ‘’désolé’’ de franchir sa bouche. « Okay, ça roule. Rappelle juste moi vite fait les règles. T’as un jeu de cartes, ou faut qu’on trouve ça quelque part ? » il connaissait vaguement les règles et préférait un petit rappel. La question qui se posait maintenant, c’était « est-ce qu’il devait le laisser gagner »  ou pas. Il ne voulait pas le mettre plus dans la merde qu’il ne l’était pas, mais le laisser gagner, n’aiderait pas à renouer avec lui. Ca aussi, ça serait  certainement pris pour condescendant. Avec un peu de chance, il aurait un mauvais jeu et se prendrait une vraie branlée sans rien avoir à faire et sinon… et bien il  aviserait, tâcherait de gagner un peu, mais pas trop, que ça fasse pas trop suspect. De toure manière, il y avait de fortes chances que Takuma soit meilleur que lui à ce jeu-là ce qui résoudrait ce genre de problèmes. « On s’installe où ? T’veux que j’aille nous chercher de quoi boire ou manger, à côté le temps que tu prépares ?  C’est toujours mieux avec de quoi se substanter, non ? » Tout allait toujours mieux en bouffant mais surtout en buvant. Il avait une envie dévorante d’ailleurs de boire de tout son saoul.  C’était surtout pour rendre le tout plus convivial, un peu plus « normal », quelque chose qui aurait pu se rapprocher de ce qu’ils auraient pu faire en temps normal.

« T’as posé une annonce ou tu vas pouvoir te débrouiller seul ?»
- J’en suis pas là. On verra. Ni là de balayer ces images qu’il garde de leur collaboration. Celles qui remontent jusqu’à il y a quelques mois, où il s’est imaginé bien trop souvent craquer et l’embrasser sans préavis alors même qu’elle sortait avec Jake. Des fantasmes aux contextes récurrents et à l’espoir évident qu’elle accepte le baiser et ne rompe avec son mec. Des choses bêtes, donc, qui n’existent que dans sa tête mais qui fondent aussi la réalité de ce que l’avoir ici, avec lui au quotidien, signifiait. Et qui non seulement ont pris fin mais ont été gâchés par sa sous merde de collègue. Plus profond que ça, c’est une partie de la liberté de la jeune femme qui est amputée. Certes, elle aurait sans doute dû faire ce choix bien plus tôt et Takuma comprend le soulagement de Warren… mais il le révolte malgré tout. Elle ne devrait pas avoir à fuir. D’aucune manière que ce soit. Et si cette histoire devrait sans doute être une véritable douche froide quant à ce qui est de la notion même de révolte contre le gouvernement, cette simple réaction rappelle à lui des flammes qu’il n’imaginait pas exister. Non loin dans l’arrière boutique se trouvent les potions réalisées au black. Un stock qui permet chaque jour à des lycans laissés à la merci du gouvernement d’échapper à leur contrôle.
Qu’ils aillent se faire foutre sérieux ; son pote et tous les autres connards dans ce style qui se pensent tellement mieux que tous les autres…

« Okay, ça roule. Rappelle juste moi vite fait les règles. T’as un jeu de cartes, ou faut qu’on trouve ça quelque part ? »
Les règles ?
- Aucune idée ! Un petit rire fini par passer ses lèvres, soulevant sa cage thoracique d’un entrelacs d’émotions contradictoires.
« On s’installe où ? T’veux que j’aille nous chercher de quoi boire ou manger, à côté le temps que tu prépares ? C’est toujours mieux avec de quoi se substanter, non ? »
- Fais ça ; sustente, sustente… Je trouverai bien un paquet de cartes quelque part ici, le vieux devait avoir ça. Dans un des placards trié par Caitlyn, remis à neuf par Caitlyn et rangé par Caitlyn.
D’un geste vers la sortie, Takuma l’enjoint à aller chercher “de quoi se sustenter”, puisque Warren tient tant à porter la main au porte monnaie et, une fois que ce dernier a quitté la pièce, se retient de rejoindre la pièce cachée en arrière de la boutique. Signe atrocement nocif de manquer de confiance envers celui qu’il a pourtant considéré longtemps comme étant un ami. La dernière fois remonte à quand ? Des histoires concernant Alec et Sovahnn. Et Liyana. Une enfant dont Warren n’a jamais pris de nouvelles et pour qui il avait déjà à l’époque trouvé pour toute et unique solution que de sortir quelques gallions. Refusés, bien sûr, par la jeune femme. Après tout, si elle refuse ceux d’Enzo, ce n’est pas pour céder à la facilité ensuite. En grinçant des dents, il monte à l’étage, fouille les placards, envoie un texto à Caitlyn pour prendre de ses nouvelles et répondre à une bêtise qu’elle lui envoie, et redescend dans sa boutique dont il termine le rangement.

Lorsque Warren revient, le paquet de cartes attend tranquillement sur le comptoir, à côté de la guitare cassée et d’une caisse de petites fioles rougeâtres.
Adossé à l’un des tabourets, le musicien lui résume les règles, dont il se souvenait en vérité. Un ensemble de consignes qui l’accueillent avec une neutralité mordante.

- J’en suis pas là. On verra. Il acquiesça doucement, ne sachant pas bien ce qu’il pouvait ajouter en plus. Il comprenait qu’il lui fallait peut-être du temps, que ça devait être compliqué sans elle mais que c’était encore plus dur de la ‘’remplacer’’ dans le travail. A moins qu’il ne s’emballe et qu’au final c’est juste que son camarade pouvait quand même se débrouiller seul et qu’il n’avait pas envie d’avoir quelqu’un d’autre dans la boutique. S’il se posait la question, il préféra ne pas la prononcer à voix haute. Cela ne servirait à rien, si ce n’est, peut-être à rouvrir des plaies mal fermées et Tveit savait qu’il était déjà en une assez mauvaise posture pour ne pas en rajouter davantage. Il restait quand même quelque part soulagé qu’elle ne soit plus ici, cela lui éviterait de possibles répercutions, même si c’était horrible de penser comme ça et totalement anormal.

Alors comment est-ce qu’ils en étaient bientôt arrivés au jeu de cartes ? Warren pensait faire … pas vraiment une blague, mais quelque chose dans le genre, pour lui montrer qu’il ne savait plus quoi dire et visiblement ledit jeu de cartes était quelque chose qui plaisait à Takuma. Soit, alors ! Tveit était un peu perturbé par cela mais il tenta de le cacher et de retrouver un naturel certain, or avec les Supérieurs, il avait quand même une certaine expérience dans la chose, c’est donc ainsi qu’il continua la conversation comme si tout était normal. Lorsque l’autre lui fit qu’il ne savait pas qu’il avait un jeu de cartes et s’il connaissait les règles et qu’en plus il y eut un petit rire, Warren se sentit légèrement soulagé. Bien sûr, rien n’était réglé, mais … peut-être que certaines choses pourraient s’améliorer un peu. Il comprenait que Takuma puisse lui en vouloir à mort même s’il avait tout fait pour les aider ; son camarade n’était pas dans sa tête, ni dans tout ce qu’il essayait de faire tous les jours… il n’avait que son point de vue extérieur alors c’était certainement normal de réagir de la sorte. La lassitude était toujours présente et il restait quand même un peu blessé, mais ça n’était rien comparé ce qu’avait vécu Takuma et Caitlyn, alors il se tut sur cela aussi, et continua à débiter. Fais ça ; sustente, sustente… Je trouverai bien un paquet de cartes quelque part ici, le vieux devait avoir ça. Il lui fit un sourire et  sortit pour aller chercher de quoi manger dans le coin. Il fit plusieurs magasins histoire de trouver quelque chose qui ressembler à des chips à la sorcière, ainsi que plein d’autres petites choses à grignoter facilement sans souci. Pour finir, il alla prendre un « pack » de bierreaubeurre histoire qu’ils puissent aussi se désaltérer. Il espérait que ses choix plairaient à Takuma mais il n’en doutait pas, il le connaissait assez pour connaître ce genre de goût et en plus, c’était généralement des choses qui plaisaient à tout le monde. Il n’avait pas voulu prendre de risque ce coup-ci.

Lorsqu’il revint, il fut soulagé de pouvoir rentrer et de voir que Takuma n’avait pas barricadé les portes – ce qu’il aurait respecté-  et son ami l’attendait  avec les cartes sur le comptoir. Il posa tout à leur portée tandis que l’autre lui réexpliquait des règles dont il se rappelait ç peu près vaguement-. Le ton  de l’autre Serdaigle montrait bien que ce n’était toujours pas tout rose, qu’il lui en voulait ce qui lui donna une boule dans le ventre.   « Allez, j’suis prêt pour prendre une pâtée !» Et s’il perdit salement la première partie, il gagna de justesse la seconde. « On se fait la belle ? » demanda-t-il en prenant une nouvelle gorgée de bierreaubeurre. Il cherchait ce qu’il pouvait bien dire mais il ne savait pas quel sujet aborder alors le silence était certainement de mise. Takuma serait peut-être un peu plus éloquent à un moment donné en attendant, il sentait bien qu’il devait faire profil bas.

Le visage fermé de Lyn ne cesse de le parasiter. Qu’il accueille de nouveau Warren, l’amène à l’étage dans le petit salon de l’appartement du dessus - là où ils préparent toutes les potions et autres décoctions - porte quelque nourriture à sa bouche ou abatte la moindre carte. Il la revoit sur le canapé, après que les conversations se soient taries, bien après qu’elle ait affirmé aller bien. Le regard perdu au delà du film diffusé dans l’écran rectangulaire. Ses joues rendues rigides par la contraction de leurs muscles, la nuque trop droite et la gorge haute. Tout un monceau de refus de céder, quoi qu’elle soit sur un canapé, entourée de coussins et de plaids. Et de ses bras à lui, après y avoir confié tisane ou chocolat chaud. Un rituel installé ensuite de soirées en soirées sans jamais envisager de la laisser seule avec ces pensées, partagées ou non. Lorsque le japonais boit une gorgée de bierraubeure, il revoit la tension dans son cou lorsqu’il y posait ses lèvres la veille encore. Le frisson sur sa peau et sa manière de se presser un peu plus contre lui sans dire quoi que ce soit. Il s’imprègne des yeux rouges et brillants qu’elle alors qu’il remporte la première partie et croque sans conviction dans un petit chou aux panais et cardamone. Se souvient de leurs tremblements mutuels quand la bande de connards repartait de là.
A quel moment, au juste, ce mec a atteint la posture de tyran et lui celle d’un flan ?
Il grommelle, celui qui se sent comme un gosse face aux tempêtes de la vie, tout en perdant la seconde partie.
Incertain, surtout, de faire autre chose que de poser au hasard ses cartes.

« On se fait la belle ? »
- Y’en a pas mal qui veulent se faire la belle manifestement ouais… Marmonne-t-il en claquant sa langue sur son palais alors qu’il récupère les cartes distribuées pour les assembler entre ses mains et les distribuer de nouveau. Abîmées, elles volent pourtant entre ses paumes comme s’il avait fait croupier toute sa vie. De vieux restes d’une vie qui lui semblerait impalpable si elle ne lui avait pas laissé de trop grandes marques. Celles qui le poussent à se gratter l’intérieur du coude depuis le début de la partie. Accroupi en seiza devant la table basse, face à un Warren posé sur le canapé, Takuma profite de l’ombre du meuble pour jouer une discrétion dont il n’a aucune conscience. Rompu à la discipline par trop d’années à dealer avec ses propres démons. C’est ça ton quotidien ?… Enchaîne-t-il sans regarder celui à qui il claquait l’épaule en guise de salutations il n’y a pas si longtemps que ça. Et qui lui semble à présent bien trop ressembler à un Alec en puissance. … rabattre les gens à défaut des cartes, dissimuler ta manche et attendre avant de faire tapis ? Sous ses yeux, les cartes volent en deux paquets et s’il récupère sa main, ramène avec un temps de latence le regard vers celui qu’il décrivait sans mal comme étant son ami. Celui contre qui il éprouve autant de colère que de gratitude sans jamais vraiment réussir à trancher sur l’une ou l’autre de ces émotions. Elles-mêmes noyées dans un élan de jalousie manifeste. Sans lui, ils auraient peut être fini à Azkaban depuis longtemps tous deux. Mais rien n’y fait, impossible pour Takuma de se défaire des gestes qu’il a eu, du ton qu’il a porté. Du fait que lui n’ait rien fait. Comment tu gères ça ? Le regard n’est pas moins flou lorsqu’il engage la nouvelle partie.

- Y’en a pas mal qui veulent se faire la belle manifestement ouais… Warren haussa un sourcil un peu perplexe, essayant de comprendre ce qu’il voulait dire exactement par là. De qui est-ce qu’il pouvait bien parler ? De lui ? Est-ce qu’il n’y pensait pas, de temps en temps, de se barrer loin de tout ? Dire non, serait mentir. Bien sûr qu’il y pensait et puis, il se rappelait de quoi sa famille serait capable, que sa vie ne serait qu’une fuite, que s’il partait seul il ne reverrait jamais son fils ; que s’il emmenait Nick avec lui, il ne pourrait jamais lui apporter une vraie sécurité. Il avait, quelque part, une peur viscérale, de sa famille, de ce dont ils étaient capables. Il savait ce qui était déjà arrivé en cas de trahison, tout ce qu’ils avaient mis en place. « Hmhm.» se contenta-t-il de répliquer ; Plus simple d’être évasif. «Tu le fais super bien, tu m’apprendras ? » A servir les cartes comme ça bien entendu. Il essayait de rouvrir une porte, de laisser un petit espace. Mais au fond pourquoi est-ce qu’il se battait ? Il n’était plus quelqu’un de vraiment fréquentable alors pourquoi infliger ça à ses amis ? Par ce que tu tiens à eux. Par ce que tu en as déjà trop perdus pour baisser les bras pour ceux qui restent … peut-être. Juste une hypothèse Sa conscience semblait vouloir remuer un peu trop le couteau dans la plaie.

C’est ça ton quotidien ?… Crispation de tout son être, il s’entendit même déglutir difficilement. Il chercha de la main une bierraubeurre qui trainait et en bu quelques gorgées. Pas assez pour réussir à être bourré. A fuir. A oublier. A être assez lâche. rabattre les gens à défaut des cartes, dissimuler ta manche et attendre avant de faire tapis ? Qu’est-ce qu’il pouvait bien répondre à cela ? Il lui fit un sourire las, sincère. Ce n’était pas le moment de craquer et pourtant. L’idée qu’ils auraient pu faire encore plus de mal à Caitlyn, tuer Takuma, l’envoyer à Azkaban lui donnait la gerbe. L’idée de faire parti de ce groupe, même s’il ne partageait pas leur façon de voir les choses, qu’il essayait de faire au mieux pour être juste, et surtout s’il le pouvait pour aider ses amis… n'était pas simple. Il ouvrit la bouche mais la referma quasi aussitôt. Quelques instants, il ferma les yeux.  Touché Coulé. Takuma avait le droit à de vraies explications, même s’il ne le comprendrait pas. Comment tu gères ça ? Bile dans la bouche. Cœur serré. « Le tout, c’est de ne pas trop se regarder dans le miroir.» souffla-t-il d’un ton qui se voulait un peu humoristique mais c’était raté, le sous-entendu était beaucoup trop ancré en lui. Il avait bien du mal à se regarder en face. Cette question et il se sentait à bout. Depuis trop longtemps. Il releva les yeux vers Takuma et son camarade devait juste y voir une profonde tristesse. « Comme je peux.» Simple réalité. « J’voulais pas.» Il se tut. Soupira. Est-ce que Takuma savait qu’il faisait partie des Supérieurs ? Probablement. « Au départ, c’était juste un boulot, j’en faisais un peu qu’à ma tête.» Autrement dit, il emmerdait la hiérarchie (un peu), comme il avait pu le faire à Poudlard du temps des Supérieurs, rien de bien nouveau. « Ma famille a saisi l’occasion  de… après les attentats au Ministère, j’étais blessé, ils… pour faire soft… ils ont fait en sorte que je retourne droit dans les rangs. Si j’étais sage, mes amis ne seraient pas ennuyés. Notamment Kezabel. Cassie ou Matthew. En première ligne. Je ne veux pas qu’il leur arrive malheur à cause de moi. J’ai plié, lamentablement.» Deux filles qu’il avait fréquenté et pas du meilleur sang et un moldu. « Mais ça concernait tous mes autres amis aussi. Nick allait naitre dans un mois ou deux et… j’ne voulais qu’il risque de vivre dans sans moi. Elevé par ma famille avec tout ce que ça impliquait.» Il se gratta la joue. « Alors, ils me tiennent. Et j’obéis sagement. Je tiens comme je peux avec ces malades. Voilà, un peu pour le contexte, en rapide et simplifié…» L’image de la fausse Keza, de tout ce sang lui revint en tête, il en eut presque un haut le cœur. « Par ce que je suis lâche. Par ce que j’ai peur. Dure réalité. Implacable. Il pensait chaque mot qu’il avait prononcé. Il se haïssait. Il se vomissait pour cela. Pour être aussi faible. Pour ne pas avoir su trouver de bonne solution. Pour en pas avoir fait un bon choix. Pour plein de raisons qui doivent t’échapper… mais l’avantage c’est que dès que je peux, j’aide des amis, même si je ne m’en souviens pas toujours. Ca et mon fils, ce sont les choses qui me font tenir.»  Silence. « Alors, je joue avec toutes ces règles comme je peux.» pour en revenir à sa métaphore sur le jeu de cartes. Silence. Nouvelle déglutition « Je suis désolé Taku. Pour tout ce qui s’est passé. Je n’ai aucune excuse.» Boule dans la gorge. Arrêt de la parole.  « Aucune excuse » pour ce qui s’était passé dans la boutique, mais aussi pour faire de boulot, suivre ces ordres, ces missions. Aucune excuse. Tout ce qu’il avait dit avait juste eu besoin de sortir, que tout soit dans un contexte plus réel, plus compréhensible. Non, il ne recherchait pas la pitié, ni même la compréhension.

Encore un foutu silence, plus long de quelques seconde. Il inspira. Prit sur lui avant d'ouvrir de nouveau la bouche. Voix plus grave, presque rocailleuse sous l'émotion « Je suis à l’intérieur Taku.» Rien de plus, mais la flamme de haine qui animait ses yeux devait en dire long sur ce qu’il pensait, sur ce qu’il avait envie de faire.