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Là où on ne les attend pas [Alec]

 :: Autour du monde :: Grande Bretagne :: — Angleterre
Lun 15 Jan 2024 - 21:46
1er février 2017



L’agitation du hall d’accueil était toujours la même, à toute heure de la journée, et présentait de manière générale les patients les plus improbables. S’ils arrivaient en un seul morceau et capables de respirer par leurs propres moyens, ils étaient considérés chanceux et la majorité attendait sur les chaises de la salle d’attente bondée, au milieu du bruit, avant d’être vu par un premier médicomage. Ce dernier les prenait en charge ou décidait de les transférer dans les autres services, si la situation le demandait. Je ne descendais au rez-de-chaussée que lorsqu’on appelait l’avis du Service des Pathologies des sortilèges sur une affaire trop épineuse pour être jugée par les médicomages d’accueil. Si la sphère bleutée du quatrième étage clignotait, c’était qu’on demandait notre expertise et qu’il fallait alors emprunter les ascenseurs de Sainte Mangouste pour se frayer un chemin jusqu’aux salles de soin du rez-de-chaussée.
« C’est ton tour Kimura… » avait grommelé mon collègue.
Penchée sur le bureau de ce que tout le monde aurait appelé « La salle où le temps s’accélère » si cela n’avait pas été trop long, je lâchai ma plume et abandonnai mon dossier. J’avais l’impression de m’être assise à peine vingt secondes auparavant alors qu’en regardant ma montre, ce devait faire un quart d’heure que j’y étais. La salle-où-le-temps-s’accélère avait encore fait opérer sa magie : à peine assis, déjà debout ! Le temps filait et nous n’avions jamais assez de minutes pour remplir nos dossiers jusqu’au bout. Sur une chaise, Arrington avait croisé les bras sur sa poitrine et avait posé ses pieds sur un bout de table dans l’espoir de rentabiliser les cinq prochaines minutes dans une micro-sieste – à coup sûr, il n’aurait le temps que de contempler l’idée. Il s’était exprimé sans ouvrir les yeux, le menton si bas qu’il touchait presque le revers de sa blouse. Je secouai la tête en le regardant et me levai, attachant mes cheveux en une queue de cheval haute. D’ordinaire, j’aurais lancé une remarque taquine sur le fait qu’il se faisait vieux ou qu’il était trop fragile pour descendre à l’accueil, mais mon humeur n’était pas à la légèreté. Je maugréai seulement un « C’est toujours mon tour. » avant de sortir de la salle-où-le-temps-s’accélère (vous voyez, c’est trop long).
Je me saisis de mon petit carnet, d’une minuscule plume enchantée qui n’avait pas besoin d’être trempée dans l’encre, et me dirigeai vers l’ascenseur. J’y entrai, seule, et dès que les portes se refermèrent, je sentis mon visage s’affaisser. Je n’avais plus à contenir une expression aimable, bien que réservée, et chaque opportunité d’être seule me permettait d’enlever le masque pour quelques secondes. C’est fou comme les vieilles habitudes reviennent vite. Je déglutis, mes paupières se fermant brièvement.
« Et...Margo ?
– Partie.
– Où ça ?
– Aux dernières nouvelles, aux Etats-Unis où elle continuera à œuvrer pour la cause.
– … vous vous êtes dit au revoir au moins? (Silence.) Oh, Sana...
– C’est mieux comme ça. »

La voix de Kezabel résonnait encore en moi et comme pour la chasser, je me frottai bêtement l’oreille, me grattai l’arrière du crâne. C’était pire qu’une démangeaison qu’on tentait d’ignorer. Non pas mes conversations avec ma sœur, mais tout échange qui impliquait Margo. J’avais tenté plusieurs fois de couper court, de dévier le sujet mais elle me connaissait trop et mes petites illusions ne fonctionnaient plus aussi bien sur elle.
« Arrête de faire ça…
– Faire quoi ?
– Faire semblant que ça n’existe pas. Et ne plus jamais en parler. »

Pourtant, c’était ce dont j’avais besoin depuis un peu plus d’un mois. Ne pas en parler, faire comme si de rien était. Tristement l’impression qu’on avait retiré d’un coup sec le tapis sous mes pieds et que je tentais maladroitement de prétendre n’avoir jamais été déséquilibrée. C’était ridicule, je le savais, mais j’avais besoin de me convaincre que je pouvais scinder ces états émotionnels pour continuer à avancer. Un seul manque à la fois.

Les portes s’ouvrirent sur le rez-de-chaussée et je sortis sans faire attention à l’agitation familière du hall. Je passai au comptoir d’accueil et on m’indiqua la salle de soin où j’étais attendue. J’allai voir le patient, l’examinai, discutai avec le médicomage d’accueil et puis… et puis tout se ressemblait, patients, services, collègues, heures. Depuis un bout de temps, tout n’était qu’une succession des mêmes choses dans cet hôpital, qu’une répétition qui m’apparaissait de plus en plus atroce et de moins en moins intéressante. Bien avant ma rupture avec Margo, j’avais perdu la curiosité et la patience que j’avais connues autrefois en portant cette blouse. Durant mes longues journées de formation à Paris, j’étais toujours la dernière à partir, la première à arriver, celle que tous les autres détestaient parce que j’en voulais toujours plus. Tant de choses à prouver à l’époque…Mais maintenant, à qui devais-je prouver ma valeur et ma réussite ? Quel regard chercher pour se sentir légitime à exister ?
« Myriam, c’est bon tu peux faire transférer le patient en salle 8 au quatrième étage, tiens, dis-je à l’infirmière d’accueil en lui tendant le formulaire rempli.
– Allez, un patient pour la 4, un patient pour la 4, s’amusa-t-elle. »
Je souris et rangeai ma plume dans la poche de ma blouse verte, avec mon carnet, et traversai à nouveau le hall pour me diriger vers l’ascenseur. Distraite, je faillis me prendre une femme aux cheveux hirsutes formant un nid au-dessus de sa tête : des oiseaux semblaient y vivre et j’entendis distinctement leurs piaillements, en plus de saisir d’un seul coup l’odeur de poulailler qu’ils dégageaient. Les sens attaqués, je m’éloignai rapidement et me glissai dans la cage d’ascenseur vide. Enfin seule ! Les portes se refermèrent. Je sortis mon carnet et commençai à faire une liste de courses pour plus tard. Les sourcils froncés, l’air concentré, le bruit des portes s’ouvrant au premier étage me sortit de mes réflexions, et je relevai le nez de mon carnet.

Je crus faire une descente d’organes.

Devant moi, Alec se tenait aux côtés d’un autre homme et nos regards se heurtèrent de plein fouet. Plus que le choc et la surprise, il y avait la peur soudaine d’être face à face dans un espace public où nos deux silhouettes ne pouvaient et ne devaient jamais être associées. Je plaquai mon carnet contre ma poitrine et tentai de rester impassible, composant mon visage d’un mélange de politesse et de froideur. Mais ni Alec, ni moi n’étions dupes : d’un seul regard dans les brèves secondes avant qu’il n’entre dans l’ascenseur, j’eus l’impression que des centaines de conversations venaient de se produire entre nous. J’éprouvai un magma d’émotions contradictoires, à la fois heureuse de voir ces traits familiers et ahurie de me retrouver bientôt coincée dans un ascenseur en sa présence. Mais de tout ce que je ressentais à cet instant, une seule chose prit le dessus quand mon regard croisa celui de l’homme à ses côtés. La peur.

Car ce regard, je le connaissais sans le connaître.

Deux prunelles d’un bleu d’acier passèrent sur moi comme l’ombre d’une épée aiguisée avant de décider que je n’étais rien d’autre qu’un point dans le paysage, un meuble au fond d’une pièce, aussi inintéressant qu’inutile. Juste une présence, moins importante qu’un chien.
Plus âgé mais pas moins imposant que son neveu, Jethro Rivers se tenait droit, vêtu d’un costume impeccable, les plis aussi tranchants et stricts que les traits de son visage. Je ne pensais pas être autant perturbée en le voyant pour la première fois ; peut-être était-ce en grande partie parce que ces prunelles m’étaient familières mais que je ne retrouvais rien d’autre de Logan en lui. Ni le nez, le front, la forme de la mâchoire ou même la ligne sévère des sourcils. Rien, à part la couleur de ces orbes glacés. D’autres auraient pu dire qu’ils étaient tout aussi effrayants l’un que l’autre, mais j’étais trop proche de Logan désormais pour me rappeler ce que j’avais ressenti en le voyant pour la première fois.

Cet homme dont j’avais entendu parler maintes fois à la Garde, et dont la société sorcière connaissait bien la position, devint si réel dans l’encadrement de ces portes que j’en retins mon souffle. Toutes mes pensées venaient d’être balayées par sa présence, et celle d’Alec, et ne formaient désormais qu’un flux partant dans toutes les directions, loin de ma conscience et de ma raison. Je ne sentais que la sourde panique affluant brutalement dans mes veines, et ce ne fut que lorsqu’ils entrèrent dans l’ascenseur et me tournèrent le dos que je repris une inspiration discrète.

Oh, Logan, si tu me voyais dans cette situation...

Allez Sanae, ressaisis-toi. Réfléchis, c’est une occasion inespérée. Elle ne se reproduira pas.

Cramponnée à mon carnet et à ma plume, je m’enfonçai dans le fond de l’ascenseur, sentant mon dos contre la paroi, et m’intimai au calme. Avais-je un jour pensé me retrouver si près du père de Logan ? À quelques centimètres de lui, dans un espace clos qu’il aurait pu transformer en fusée direction l’Enfer en un seul geste… ? Droite comme un poteau, les épaules si crispées qu’elles me faisaient mal, je ne disposai que de quelques secondes… quelques secondes avant que les portes ne s’ouvrent à nouveau pour l’étage qu’ils rejoindraient. Vite, Sanae, vite.

Rapidement, je notai quelques mots sur mon carnet et détachai le plus discrètement possible le morceau de papier pour le plier en tout petit.


4ème étage
couloir gauche
troisième porte
frappe 2 coups


Je ne m’avançai pas, pas besoin. Je serrai le papier dans ma main et, les yeux rivés sur la nuque du Père Rivers, j’approchai mes doigts de la main d’Alec. De dos, je ne voyais de lui que ses épaules carrées sous sa veste et la tension de sa nuque alors qu’il regardait droit devant lui sans rien dire. Son bras pendait à son flanc, sa main légèrement crispée, et je sentis presque de l’électricité quand la mienne la toucha. Je glissai le papier entre ses doigts et fermai son poing, l’enserrant très fort, comme s’il allait disparaître ou qu’il fallait s’assurer qu’il ait bien été là. Ce geste, c’était tout ce que mon soulagement et ma joie pouvaient se permettre pour le moment. Cela n’avait pris qu’une fraction de temps, une infime faille dans l’espace, et bientôt, les portes s’ouvrirent à nouveau et les deux hommes s’en allèrent comme ils étaient venus, en silence. Et moi, je tentai de capter un regard d’Alec et j’étais finalement rassurée qu’il n’en prenne pas le risque.

Là, seule dans l’ascenseur qui remontait déjà au quatrième étage, je laissai échapper un souffle trop longtemps retenu, vidant mes poumons de toute l’oppression qu’ils venaient de subir. Putain. Putain. Putain. Voilà tout ce qui me traversa l’esprit...ça, et le fait que mon coeur ne cesserait plus de faire des bonds.

Je sortis, rejoignant mes collègues et après avoir averti qu’un patient arriverait du rez-de-chaussée, je trouvai rapidement une excuse pour m’isoler. Mal à l’estomac, besoin d’une pause, pas le temps d’expliquer plus. Ça se passait de commentaires et on me regarda m’en aller vers le couloir de gauche avec une légère inquiétude. Je ralentis le pas à la deuxième porte, celles des toilettes, mais après avoir jeté un regard en arrière pour m’assurer qu’il n’y avait personne, je fonçai vers la troisième porte. C’était un petit cagibi où les agents d’entretien gardaient leurs outils et où on avait entassé des boîtes vides, une collection de bouchons de fioles que personne n’avait pris le temps de jeter, et de vieilles décorations de Noël qui étaient trop moches pour être accrochées. A priori, ce n’était pas l’heure du passage des agents d’entretien et il n’y avait pas de raison que quelqu’un d’autre se précipite ici. Dès qu’Alec serait là – s’il venait – je jetterais un sortilège pour dissuader quiconque d’entrer.

Alors j’attendis… j’attendis, je pense, un bon quart d’heure, sans bouger, faisant les mille pas dans un espace trop petit pour en contenir seulement cinq sur la largeur. Au-dessus de ma tête, de petites boules de lumière rebondissaient, stagnaient dans l’air, et voletaient pour m’éclairer faiblement. Un ongle coincé entre mes dents, je me grignotais en attendant d’entendre les fameux deux coups, m’arrêtant de bouger et de respirer dès que des pas se faisaient entendre dans le couloir. Et puis, comme un shot d’adrénaline, les pas se rapprochèrent de la porte, s’arrêtèrent avant que deux coups soient portés sur le bois au vernis usé. J’eus une seconde de latence, la respiration hachée et l’esprit en ébullition. Enfin, j’ouvris la porte, le reconnut, et attrapai d’une poigne ferme son bras pour le tirer à l’intérieur avant de nous enfermer dans le cagibi. Je jetai le sortilège et sans y penser, sans même échanger un seul mot ou réfléchir plus avant, je me précipitai vers lui et l’enserrai dans mes bras.
Il était plus grand que moi, bien sûr, mais je me hissai pour que ma tête s’échappe au-dessus de son épaule. Mes mains accrochaient le tissu de sa veste, dans son dos, alors qu’un soupir de soulagement prenait enfin sa liberté.

« Bon sang de Rivers...toujours là où on ne les attend pas. » soufflai-je, avec un sourire amusé.
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Dim 28 Jan 2024 - 14:25

 1er février 2017


- Sortez.

Trois quarantenaires, un officié assermenté, un capitaine expérimenté, une brigadière assez solide pour faire céder le plus glaçant des tarés en face à face lors d’un interrogatoire… et tous se levèrent en s’excusant - de quoi ? - pour sortir de la pièce. Le regard planté vers son bureau, Alec, 24 ans, se surprend à cesser de respirer un instant. Les doigts se crispent sur le bureau autant que sur le tissu de son jean. Il songe une seconde à la veste en cuir qui repose sur l’arrière de sa chaise en lieu et place d’une cape ou d’un manteau de sorcier. Il pense malgré lui à la montre que porte sa main gauche et qui pourrait indiquer si Kezabel a besoin d’aide ou non. Il tente, aussi, d’oublier le roulement des muscles sous ses vêtements, déjà prêts à encaisser un coup qui ne viendra sans doute pas.
Il se déteste pour ça. Et en relevant le regard, Alec sait à l’air rogue de son boss qu’il n’est pas le seul.

Jethro Rivers ne se justifie pas, ne remercie pas, ne bouge pas. Il attend en statue à l’entrée de la petite pièce de la Brigade de Protection des Familles ; que tout le monde soit sorti, que son neveu se retourne, que le monde entier lui tombe à genou. Mais si la brigade sort effectivement, son dernier membre ne se retourne pas, et l’univers ne met pas encore le genou au sol face au ministre de l’économie. Alors ce dernier s’avance et au son sec de ses talons, Alec devine l’agacement.

- Je me suis souvent demandé ce qui pouvait pousser un jeune homme jouissant de toutes les portes ouvertes, à atterrir dans le plus reculé des bureaux miteux de son paternel…
- Le café. J’ai un kink sur les jus de chaussette.

Avec un temps de retard, le jeune Rivers redresse le regard vers le plus âge qui contourne les bureaux de Sun et Sherrod pour se positionner face à lui. Dès que les prunelles claires se percutent, le ministre lâche un souffle amusé, bien trop sec pour être joyeux, et soutenu par ce regard de glace qui a toujours angoissé son neveu. Une onde y passe. De l’incompréhension peut être - kink n’est pas un terme usuel de l’aristocratie sorcière ; à tors - mais il n’admettrait pas d’être ignare sur quelque sujet que ce soit.

- Je n’ai jamais su le déterminer. Si tu étais idiot… ou malin.

La plupart du temps, quand deux membres d’une famille se croisent, ils se saluent si ce n’est chaleureusement, du moins poliment ; songerait Alec s’il ne se battait pas avec ses propres limites. Non, lui songe qu’avec un sortilège, Jethro est capable de s’en prendre à son esprit. Il songe à ces secrets qu’il cache. Il songe à ce job auquel il tient. Il songe aux alliances politiques, aux prises de positions de la famille, aux amis et aux disparus. A sa sœur. Pas le temps de penser que dans une autre vie, avoir peur du père de son frère ne devrait pas être acceptable. Mais puisqu’on apprend aux gens de cette famille à assumer leurs postures, Alec laisse son dos retrouver le dossier de sa chaise et pose les phalanges d’un poing fermé sur l’arrête de son bureau.

- ça fait beaucoup de phrases en trente secondes pour me pousser à réagir plutôt que de dire bonjour, mon oncle..

Le souffle se change en sourire, plus franc cette fois.

- Malin peut être…
Sans doute pas..
- Que me vaut l’honneur ? Je bosse là.
- Je vois ça. Pas que tu n’ai jamais été très investi dans quoi que ce soit pourtant.
Pas de sourire, pas d’insolence. Bien sûr Alec pourrait se justifier par le fait de ne vouloir entrer dans ce jeu-là, mais la vérité c’est qu’il a toujours décelé chez son père la peur de ce que son frère pourrait faire. S’il joue de la provocation pour manier Leeroy, Alec sait d’instinct qu’essayer la même manœuvre avec Jethro est la pire des idées qu’il soit. Le premier, il en connaît les limites. Mais Jethro ? Le père de Logan est une énigme. Une figure.
- On peut arrêter ça ? Un souffle lui échappe et vide sa cage thoracique. Les piques et les balles perdues ? T’es à priori pas là pour prendre le thé et tes journées ne sont pas plus extensibles que les miennes. Donc va au but.
Un sourire serré apparaît sur les lèvres de son oncle. Pincé. Dur. Froid. Et le frisson qui lui passe sous la peau à voir cette expression n’augure rien de bon.
- Suis-moi. J’ai des choses à te montrer.

Et lorsque Jethro se détourne et quitte la pièce, Alec ne peut ignorer le battement erratique qui frappe ses côtes et pulse à ses tempes.

Vingt-quatre ans.

Putain de mafioso…

Ça l’accompagne. Lorsqu’il atteint le hall central et croise le regard de son chef qui ne pipe mot et le laisse s’éloigner malgré son regard insistant. Lorsqu’il suit Jethro aux ouvertures de cheminettes, entre dans l’une d’elle à la suite de son oncle sous ses ordres et retient une grimace lorsque celui-ci plante dans son épaule trois doigts apparemment conçus pour faire sauter la tête de l’humérus hors de l’omoplate.
Le bourdonnement à ses oreilles le suit ensuite ; toujours. Une fois les crépitements des flammes vertes engloutis par le brouhaha de St-Mangouste. Les tintements de l’accueil passé, les couloirs parcourus, les portes de l’ascenseur refermées, les nouveaux couloirs, les portes de chambres, les voiles de brancards, les feuilles de soin épinglées.

C’est là ; lorsqu’une porte se referme sur eux.

Alec aurait alors pu penser à sa première visite ici. Un soir, à ses sept ans. Pas tout à fait certain d’avoir compris ce que Janie avait avalé ni le rapport avec les frères de Logan, il s’était retrouvé là, à attendre le cul vissé sur l’un des bancs extérieurs, entre un brancard libre et un autre, avec ces grands draps qui le recouvraient. Un lit à genre de baldaquin blanc, comme certains de ceux qu’on retrouve à l’infirmerie de Poudlard. Il pourrait se revoir passer la fibre entre ses doigts, échappée de ce tissu qui lui tombait sur les cuisses chaque fois que le malade à la tête de requin croisé avec un lama - souvenirs d’enfant ou vérité ? Allez savoir - en repoussait le drapé et le lui renvoyait sur la jambe.
Il aurait pu.

Mais les poings plantés dans ses poches, Alec ne peut dégager le regard du corps étendu sous le drap de coton. Là encore, il pourrait bien des choses. Il pourrait regarder au travers, fixer l’armoire de fioles sous clef à la gauche du lit, ou les fleurs posés sur le rebord des grandes fenêtres de pierre aux mêmes allures gothiques que celles de Pouldard. Il pourrait noter le petit empilement de vêtements sur une chaise en osier, recouvert de longs poils roux évoquant la probabilité que l’homme alité ait un fléreur. Ou le rouleau de parchemin en équilibre sur le dessus du lit, prêt à se déplier en présence d’un soignant, mais vierge pour n’importe qui d’autre.
La petite table et la seconde chaise.
Le petit verre d’eau, à peine entamé.
La boite de chocolats.
La petite sculpture de verre aux vagues allures de chat ; sans doute une tentative de métamorphose pas tout à fait aboutie.
Le livre, abandonné sur le siège, en tente, les pages pliées, la tranche cassée.
Le paquet de mouchoirs.

Et cet homme dont le bras reste en l’air, rongé jusqu’à l’os. Pas de muscles, des tendons aussi secs que du parchemin. De la peau fine et transparente subsiste par endroit, facilement identifiable par les délimitations rougeâtres qu’il devine gagner de l’espace s’il les regarde longuement.
Ce temps de contemplation pourrait être infini tant Alec se sent hors de son corps lorsque son regard quitte enfin la chaire rongée. Il le redresse et celui de Jethro le chope au vol. Le frisson, aussi habituel qu’attendu, peine à venir. C’est souvent ainsi. Il serait incapable d’exprimer les besoins du corps, l’odeur acide qui flotte pourtant sans doute dans la pièce ou de déterminer si l’air est froid ou chaud.
Ces orbes glaciales qui le fixent… Trop bleues. Un instant, ça l’étonne, comme s’il s’attendait à une autre teinte.

Que dirait-il, s’il communiquait véritablement ? Cet homme qui tire bien des ficelles du pays. Exprimerait-il de la haine, du mépris, des menaces ? Lui dirait-il qu’il a grandit, à faire ainsi face à ce blessé sans se détourner ? Comprendrait-il qu’en vérité, son neveu dissocie ? A-t-il seulement idée de ce que c’est de se protéger ? Oui. Sans doute. Après tout, pour l’un comme pour l’autre, l’homme en face est un inconnu.

- Les idéalistes sont des gens dangereux. Ce sont des ignorants qui pensent tout savoir mieux que tout le monde sans prendre en compte la moitié des réalités.
Ecrasé par l’impression d’avoir cessé de respirer, Alec se force autant qu’il se force à répondre.
- - C’est ce que tu me reproches ? D’être un idéaliste benêt ?
Ses lèvres demeurent statiques, comme sa mâchoire, son front, sa posture. Seuls ses yeux se plissent d’un rien.
- Tu sais qui c’est ?
- Tu vas m’le dire non ?
L’envie de lui décocher une droite vient et passe, remplacée par une vague glacée lorsque l’autre prononce, sans émotion, quatre mots.
- L’amant de Felicia Malone.
Il perd son souffle mais ne bouge pas. L’homme en face de lui, à la mâchoire carrée malgré les quelques contusions qu’il devine, sa lèvre épaisse à la Stalone, son nez enfoncé : ce n’est pas celui à qui il a fourni des faux papiers pour lui permettre de fuir avec son nouveau né. Qui qu’il soit, il n’est pas Kulick. Donc quoi que pense son oncle sur son compte, il se trompe.
- Il a été repéré par des soignants, ici-même, à fricoter avec Mme.Malone.
- Et je suppose que si tu me dis ça c’est parce que ça corrobore pas mal de théories que j’ai pu avancer ? Les fameuses qu’il ne faudrait pas avoir… mais qui resteront entre nous, bien sûr..
Un sourire. Putain ce qu’il fait flipper ce sourire. Le même que Logan aux encablures d’un débordement violent.
- Je n’ai pas envie de rentrer en guerre contre toi Alec ; loin d’être prêt à s’arrêter, Jethro tique et se crispe lorsque son neveu lui coupe la parole, le regard droit, la parole rauque.
- Parfait. Ne rentrons pas en guerre alors. Si le but c’est de me mettre face à la conséquence de mes actes : c’est bon, je l’ai, j’ai compris. C’est quoi le propos ? “Arrête de fouiller la merde” ? J’me suis déjà couché.. Si c’était pas le cas, j’aurais déjà coffré le mari. Ça va faire deux mois que l’affaire est bouclée. Donc si toute ta mise en scène c’est pour m’apprendre à être un gentil chien bien dressé : félicitation, c’est déjà le cas. Je ferme ma gueule, je baisse les yeux et je suis les ordres. ça vibre dans sa poitrine, ça pulse d’une force violente qui appelle à tout renverser dans cette pièce, à commencer par ce pauvre type, victime collatérale ou second amant, qu’importe. Il n’est pas sang pur, ça, Alec s’en doute sans mal. Je suis les ordres d’Oliveira, je suis tes ordres, ceux de ton cher frangin et ceux de mes tarés de chiens de garde. Tu veux plus c’est ça ? Tu veux qu’j’le fasse avec le sourire ? Y compte pas trop. Mais j’le fais, c’est déjà pas mal. On peut y aller maintenant ?

Ces mots lui ronge la gorge à l’acide quelques temps plus tard. Premier étage. Ses hauts murs de pierre, les rayons de lumière qui percent et éclairent les affiches aux murs. Quidditch, balais, potions, conseils, exposition botanique et rencontres inter-pays. Le quotidien et la propagande qui se tiennent la main quand les soignants courent dans tous les sens et que les patients s’interrogent - ou non - de la manière dont ils seront traités. Peut être n’est-ce pas le cas. Peut être ne se rendent-ils pas compte de ce qui se dit dans le pays. Si c’est le cas, ça ne tiendra pas, tout le monde se regarde sans cesse du coin de l’œil, à l’image de son oncle qui, en pleine conversation avec l’un de ses sbires, jette un regard par dessus son épaule, droit sur lui. Un claquement de doigt paraphe la conversation et il fait signe à l’autre de partir allez savoir où. Menacer quelqu’un d’autre, peut être. Signer quelques contrats. Négocier certaines lignes. Apporter des pots-de-vin.
S’il y a bien une chose qu’Alec a toujours intégré à propos de sa famille, c’est que les gens satisfaits sont bien plus faciles à manier. Ainsi son père menace, son oncle serre des mains, et l’ensemble versent de la tune. Et eux… aiment avoir la main-mise sur les autres. Ils aiment remporter les batailles, détenir le monopole, renverser l’adversaire.

- Approche, Alec.

Il inspire, baisse le regard un instant, le relève et rejoint son oncle. Difficile de le percevoir de l’extérieur, impossible même, mais lui le sait : son oncle est moins tendu. Cette aura électrique qui gèle chacune des inspirations de ses interlocuteurs a disparu. Il se calme. Il a ce qu’il veut. Pas que quoi que ce soit ne soit gagné, bien sûr, mais qu’importe l’acide, Alec se sait remporter la partie. Alors il le suit au pas, le regard droit devant, écoute quand l’autre lui évoque certaines situations du pays, au ad fine, ni l’un ni l’autre ne parlent vraiment. Le jeu de pouvoir est tout autre.

Et à marcher ainsi à ses côtés, l’héritier Rivers se donne l’impression d’être un bon chien qui marche au pas et le suit jusqu’à l’ascenseur.

S’il n’avait pas serré les dents et géré sa posture, sa rage, ses regards ; s’il n’avait pas été dans un contrôle intégral de lui-même, aurait-il davantage réagi ? Peut-être. Sans doute même.
Il est des gens que l’on ne remet pas, sortis de leur cadre formel ou informel, dénués de leur blouse ou instrument de travail, extraits d’un contexte. Croiser leurs traits nous fait l’effet de quelqu’un de connu sans jamais pouvoir mettre le doigt qui ils sont vraiment. Elle aurait pu être de ceux là si seulement son cœur n’était pas parti en rafale dans sa poitrine. Pas une fraction de seconde d’incompréhension ; ce visage, Alec se le prend de pleine face et manque un instant de cesser de respirer pour retenir ce que le choc pourrait lui arracher. Un cri, un mouvement de recul, un regard envoyé vers son oncle, un bruit, une déglutition suspecte, une exclamation ou un souffle. Ou juste l’un de ces claquements de gorge étrange qui surviennent parfois sous le coup d’une surprise. Mais il est dans un contrôle si ferme que la seule chose qui passe, c’est la fermeture immédiate de son esprit. Un réflexe idiot : Sanae aurait pu y entrer - pas qu’elle ne le puisse pas, même les verrous activés - pour lui faire passer un message, d’une manière ou d’une autre. Mais l’idée n’apparaît pas sur le moment. Elle s’efface au profit du besoin immédiat et instantané de faire face sans lui coller une cible en plein front.
Ne pas ciller, débloquer sa respiration, ne pas hésiter, ne pas rester centré sur elle. Les ordres sont clairs dans sa tête, si violemment impérieux qu’ils recouvrent jusqu’à la moindre émotion de ce qu’il pourrait ressentir pour elle. La gestion de l’immédiat l’emporte. Et pourtant ces deux orbes sombres que constituent ses prunelles, Alec pourrait s’y plonger, là, pendant cette fraction de seconde pour en faire une éternité. Ce sera le seul échange, il s’en doute. D’une certaine manière, il se sent même en faute de la surprendre ici, d’en apprendre plus sur elle.
Une fraction de seconde. Rien de plus. Déjà ils s’avancent et Alec se doit de lâcher son regard. Elle non plus n’a pas bougé. Maîtresse d’elle-même, sans doute la plus dangereuse des deux puisque soumise au regard de Jethro, il n’a pu distinguer chez elle qu’une tension légère, un sursaut discret qu’il est aisé d’associer à n’importe quoi d’autre. Et la dilatation des pupilles, détail si subtile que quiconque n’ayant pas eu l’habitude de s’y plonger des heures durant n’en verrait sans doute pas le quart des informations qu’il a vu.

Mais les a-t-il bien vues ? N’était-elle pas en colère, angoissée, déçue, soulagée ? Trop de questions tandis qu’il se retourne et se place dos à elle. Naturellement, le jeune homme aurait pu se laisser retomber sur le mur du fond, à côté d’elle, de sorte à pouvoir jeter un coup d’œil à son carnet si elle voulait y laisser un message ou faire quelque chose d’aussi bête que juste lui asséner un petit coup d’épaule ou juste mettre leurs bras en contact. Il y pense, sans cesse, à cette bêtise d’enfant qu’il sait chercher le moindre contact humain pour se rassurer.
Se contenter de rester là, muet à côté de son oncle, lui coûte. Cela leur coûte à tous les deux sans doute. Il se surprend seulement à laisser sa main hors de sa poche, comme s’il pouvait bêtement la tendre en arrière avant de sortir de l’ascenseur pour ne plus jamais la croiser.

Ça aurait pu. Mais s’il entend quelques froissements de papiers en arrière, c’est la chaleur d’une main qui lui happe la conscience une seconde. Un roulement de tambour sous les côtes, un pic de chaleur dans tous le corps, une contraction qu’il retient et l’attention qui part droit sur les infimes mouvements que pourrait avoir son oncle à sa gauche.
Lorsqu’elle lui serre le poing, sa gorge se noue et son ventre se tord. Bien sûr, il a conscience de ce papier laissé contre sa paume, dont le froissement lui semble toner aussi fort qu’un bruit de journal alors même que Jethro reste stoïque. L’illusion de la peur.

Garder le contrôle s’impose pourtant Alec sent l’un de ses doigts accompagner le départ de la paume de Sanae, geste furtif qui lui tord les tripes alors même qu’elle reprend sans doute sa position en silence et que les portes s’ouvrent.

Voilà. C’était tout.

Merci, chef

Une seconde ou deux de contact avant de disparaître de nouveau l’un pour l’autre. Ça, c’est dans la théorie. Mais si Alec fourre de nouveau ses poings dans ses poches, c’est cette fois pour passer le pouce sur ce petit bout de papier déchiré.
Jeter un regard en arrière est tentant. Impérieux même. Mais si Alec attend que son oncle initie le mouvement, il n’en profite pas pour se permettre un temps de retard et un regard en arrière. Embrayer le pas, regarder devant, garder son air fermé, ne rien laisser paraître. Ignorer la torsion atroce qui lui prend les tripes et serre sa gorge. Et cette envie de chialer qui sort de nulle part et ne peut pas être permise.

En avant, soldat.

Alors en marchant, il gonfle sa cage thoracique en silence et repousse ce qui doit l’être pour s’accrocher au concret : l’oncle, le papier, l’envie de le regarder, et l’impossibilité évidente de le sortir en plein milieu du couloir en faisant mine de refaire son lacet. Les idées de merde, on se les carre où je pense et on utilise sa cervelle. Celle qui boue de milles émotions qu’elle peine à gérer. Celle-là même.

Derrière, à quelques dizaines de pas, les portes se referment et emportent une seconde ses réflexions pour cogner sous ses côtes.
Bien sûr il pourrait simplement avancer, suivre son oncle et jouer ce petit jeu du pied de décalage, celui qu’il lui concède pour rassurer son égo et lui assurer qu’il est à l’écoute. Docile. Bien sûr. Laisser ce papier où il est et simplement avancer.

Je ne suis pas Warren. J’ai ni respect ni servitude envers ma famille. Les mots du passé en écho ne cessent d’aller et venir depuis leur contact.

Il lui faut dix bonne minutes avant d’oser passer le pas. Le temps de quelques conversations qui attirent son attention et assombrissent le regard de Jethro lorsqu’il le surprend à écouter avec un peu trop de ferveur. S’il se décide, c’est une fois seuls, assuré que chaque contacts de son oncle soit affairé à l’une ou l’autre des tâches que le ministre leur assigne sans se procupper de son neveu.

- Tu m’y amènes ? Sa voix sonne un brin rauque lorsqu’Alec s’adresse au ministre de l’économie qui lui jette un regard étonné, comme s’il se rappelait soudainement de sa présence.
- Où ça ?
- Je doute que tu ais le temps de te déplacer juste pour m’filer une leçon. Donc t’es là pour autre chose. Un contrat. Un coup de pression peut-être… le regard pèse avec l’éclat du cristal. C’est toi qui dit qu’il est important d’être à la hauteur de sa famille. C’est peut être le moment de me filer le manuel, t’en penses quoi ?
Move risqué.
D’autant plus risqué que le tranchant des prunelles Rivers l’étudient un moment quand son oncle s’arrête pour lui faire face avant de reprendre la marche sans un mot.
- Okay. Réponse claire et argumentée… Ecoute je te demande juste… Coupé dans l’élan.
- Fais moi de l’air. On se retrouve dans ce couloir d’ici une demi-heure.

Et lorsque Jethro se détourne de lui, il porte dans son regard un air sombre où l’accusation joue aussi haut que la suspicion.

- On fera ça quand je l’aurai décidé.

Les derniers mots portés par le bruit de ses talons.
Et Alec reste seul, planté dans le couloir, sans aucun sbire autour de lui, ni regard d’acier.

Résister à l’envie de filer droit dans un coin pour se planquer et lire le papier lui semble plus douloureux que de tenter de manipuler son oncle ; pour autant, l’héritier Rivers lâche un soupir sec et se laisse retomber contre l’un des murs. Il fait mine de sortir son portable, comme le sale gosse qu’il est, de se souvenir l’avoir abandonné car en présence de lieux fréquentés par les sorciers - donc usage interdit - de soupirer de nouveau, lever les yeux au ciel et faire passer quelques minutes en déambulant dans les couloirs sans but. A passer près de toilettes, Alec en profite, passe une porte, puis une deuxième - celle d’une cabine - pour sortir son papier et le lire.

4ème étage
couloir gauche
troisième porte
frappe 2 coups


De nouveau, ça tambourine dans sa poitrine, gonfle sa gorge et pique ses yeux. Et de nouveau, il résiste à l’envie d’y céder, de peur de ne réussir à s’en extraire.
Chasse d’eau. Boulette de papier avalée. Porte de la cabine. Porte des toilettes. Couloir. Escaliers. Quatrième étage. Couloir de gauche. Troisième porte.

Hésitation.
Regards alentours.

Deux coups.

Et une latence qui dure une éternité. Finalement la porte s’ouvre et Alec n’a pas le temps de la voir tant l’adrénaline lui pulse dans les veines et obscurcit son regard. L’instant suivant, il est agrippé à l’intérieur : le second, la porte se referme ; le troisième, elle y lance un sortilège. Et au quatrième, ses pupilles se font à l’obscurité et distingue son visage.
Quant au cinquième… ça ne dure pas plus de quelques battements de cœur erratiques bien sûr, mais le temps se distord, tout à la fois trop rapide et trop lent de sorte à lui donner l’espace de supposer, un instant, de ce qu’elle pourrait lui dire. Lui effacer la mémoire, peut être, pour ne pas qu’il fasse de gaffe une fois sorti d’ici. L’engueuler, ne serait-ce que pour avoir vu Kezabel plusieurs mois plus tôt, au détour d’une ruelle. Le temps de lui dire au revoir. Se dire déçue ou tester ses réflexes. Le… prendre dans ses bras.

Son corps le percute presque quand elle referme ses bras autour de lui et lâche un soupir de soulagement. Un coup, qu’il prend droit en plein plexus et tord son visage d’une émotion qui lui échappe autour qu’il se la concède et son souffle sort, haché, soulagé et rauque d’être ainsi pris aux tripes par leurs retrouvailles.

« Bon sang de Rivers...toujours là où on ne les attend pas. »

Un rire lui soulève la cage thoracique quand ses yeux s’embuent et que son souffle prend le même ton amusé que le sien. Sans doute aurait-il pu la lâcher, trouver quelque trait d’humour à lui sortir pour rendre moins solennel le moment, mais ses bras se referment sur elle et il l’étreint sans lâcher autre chose que ce rire aussi ému que nerveux, amusé et anxieux.
Ses doigts se crispent sur la blouse, un souffle se perd sur son épaule, son crâne se pose un instant sur le sien sans que le moindre mot ne lui vienne. Rien ne sonne très vrai à part ces bras qui se serrent l’un l’autre.

- Une médicomage à St-Mangouste, tu fais dans le fantasque toi… “Fantasque”, plutôt qu’ “original”, tout simplement. Un écart aussi révélateur que sa voix qui tremble un peu lorsqu’il l’écarte en douceur pour poser le regard sur elle. Un sourire passe, affecté. Pas qu’il s’en cache d’ailleurs ; lorsque les masques tombent, ils tombent. Une manière d’être plus solide quand il faut les remettre. J’ai quinze minutes, grand max. Il est parti jouer aux mafieux avec je sais pas qui…

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Dim 25 Fév 2024 - 17:10
Là où on ne les attend pas [Alec] Fd3509d2261310b18b6df0315cb6042626417fbb


En avant soldat...
À un jour peut-être…


Huit mois que nous avions prononcés ces mots en guise d’au revoir. Huit mois à se demander si ce « un jour » se manifesterait avant que l’un de nous soit dans la tombe. Huit mois, surtout, à espérer qu’il soit entier et qu’il ne se perde pas quelque part de l’autre côté. Et je réalisai, en cet instant suspendu où je le tenais dans mes bras, qu’il m’avait manquée et que le voile trouble devant mes yeux marquait le discret débordement de ma tristesse. Je n’osai pas respirer trop fort, ni penser plus que de raison au déchirement dans ma poitrine. Des larmes pleines de pudeur bordaient mes cils. J’avais la peur déraisonnable qu’il les voit, qu’il les sente couler sur son épaule où mon menton reposait. Serait-ce une si mauvaise chose qu’il les remarque ? Une petite voix en moi me chuchota qu’il savait déjà que je n’étais pas en pierre, que tout impérieuse que j’avais été face à lui, entourée de mystère, il avait vu la femme en moi, l’avait tenue entre ses mains, y avait senti la peau et non le marbre. Il n’y avait rien à craindre à lui montrer la place qu’il avait et l’absence qu’il laissait. Avais-je, surtout, la force de cacher ça ?

On se serrait fort, sans doute trop, et je ne savais pas si on avait vraiment l’intention de se lâcher. Mes doigts se crispèrent sur sa veste, froissèrent le tissu, s’agrippèrent. Je ne l’avais eu qu’en souvenirs pendant ces huit longs mois, à ne pas savoir si je lui avais donné assez pour survivre, si Logan avait fait le bon choix en me le confiant. Aujourd’hui, il était de chaire et d’os contre moi, plus réel qu’il ne l’avait jamais été, et je pensais déjà au moment où je le laisserai partir. Cette étreinte était un trop plein de tout, à la fois douce, belle, triste et amère ; je m’y perdais en ayant l’idiotie de me raccrocher à lui, mais il sombrait également dans le soulagement de nos retrouvailles. Qu’était cet instant pour lui ? Une pause dans le chaos de sa nouvelle existence ? Un rappel de son passé ? Une oasis dans le désert ? Et quelle incidence aurait notre moment volé sous le nez de l’ennemi, pour lui ? J’espérais qu’il lui donnerait de la force avant de se jeter à nouveau dans la mêlée, que se remémorer qu’après tout ça – si un jour il y avait un après – il y aurait ceux qui attendaient son retour depuis longtemps. Oui, j’espérais que le souvenir des gens qui croyaient en lui serait ravivé quand le temps nous rattraperait et que nous devrons nous quitter.

Et pour moi ? Quelle répercussion aurait cette étreinte ? Ne venait-elle pas de réveiller un manque et une inquiétude que j’avais tenté d’enterrer en moi ? Ne rendait-elle pas plus cruel l’acte même de l’avoir poussé avec conviction vers l’Enfer ? Serait-ce alors comme l’y renvoyer une deuxième fois ?

Je ne voulais pas y penser. Je ne voulais que profiter de l’opportunité indécente que nous avions.

« Bon sang de Rivers...toujours là où on ne les attend pas. » soufflai-je, amusée.

Oui, toujours précisément là où on ne les attendait pas, et même là où on ne devrait pas les attendre. Comme un pied de nez à l’univers, une insolence puérile, ils venaient sans cesse surprendre l’autre et montrer qu’il n’y avait aucune route toute tracée pour eux. Et finalement, il n’y avait pas de plus surprenant endroit où les trouver que dans la tendresse, là où le fer de leurs armes s’abaissait lentement pour agripper leur humanité.

« Une médicomage à St-Mangouste, tu fais dans le fantasque toi… » Un rire éclata au fond de ma gorge et il transforma mes larmes en perles de joie. Une seconde, à peine, juste le temps que la tristesse vacille. Sa voix le rendit plus concret encore, son humour aussi, et nous nous écartâmes légèrement pour nous regarder. Si j’étais gênée de l’émotion qui m’étreignait alors, je fus rassurée de voir la même sur son visage, de l’entendre dans ses mots. Contrairement à lui, j’étais précisément là où ma fonction m’obligeait à être. Nos sourires se répondirent, teintés de peine. « J’ai quinze minutes, grand max. Il est parti jouer aux mafieux avec je sais pas qui… »

La présence de Jethro Rivers me revint en mémoire comme un électrochoc et j’acquiesçai, avant de prendre une inspiration décidée, mes mains posées sur les bras d’Alec. Mon regard l’analysa de la tête aux pieds. «De toute évidence, tu es entier et des cornes n’ont toujours pas poussées sur ta tête alors je vais m’avancer et dire que tu sembles en bonne voie. » J’eus un bref sourire, vite balayé par toutes les questions qui me venaient sans que je n’arrive pas y mettre de l’ordre. Comment le traitaient-ils ? Se méfiaient-ils toujours de lui ? Avait-il passé les phases de tests ? Comment allait-il, lui, au milieu de tout ça ? A quel degré d’horreur se confrontait-il chaque jour ? L’émotion barrait ma logique, m’empêchait de réfléchir convenablement. J’avais beau savoir gérer des situations plus critiques, plus dangereuses, j’étais bouleversée par sa présence. « Tu tiens le coup ? » Sans doute la question la plus stupide que j’aurais pu poser, dans la même teneur qu’un Comment tu te sens ? étant donné les circonstances, mais j’avais besoin de savoir s’il se trouvait au bord du précipice ou s’il avait encore de quoi tenir. « Tu as besoin de quelque chose ? Est-ce qu’ils ont découvert quoi que ce soit dans ton esprit ? Est-ce que Mackenzie est toujours à tes côtés ?». Je m’interrompis, le souffle un peu court alors que mes mains serraient davantage ses bras. Les sourcils froncés, je cherchai sur le visage d’Alec un signe de réponse, un trouble associé à autre chose que nos retrouvailles. J’aurais pu entrer dans son esprit, prendre toutes les réponses que j’attendais, m’emparer de ces huit mois à ne rien savoir d’un seul geste mental…mais j’avais peur d’y voir ce que je redoutais tant. La souffrance, la solitude, la violence… J’étais trop sûre de l’envergure de ma culpabilité si je venais à être spectatrice des conséquences de mes actes. Des actes dont la responsabilité n’était pas seulement la mienne, bien sûr, mais qui m’incombaient néanmoins en partie.

Un instant, je me rendis compte du ton pressé et de ma poigne sur lui. Je baissai les yeux, lâchant un soupir avant d’encadrer son visage de mes mains. Du bout des doigts seulement, je frôlai ses traits tendus, mon regard ancré dans le sien. « On s’est inquiété pour toi, tu sais. » On s’inquiète toujours. On, oui. Peut-être que plus tard, l’absurdité de ces mots me viendrait : on s’est inquiété pour toi… comme si ce « on » était des parents sans nouvelles, une famille qui se rongeait les sangs, en attente du retour d’un fils prodigue. Mais je n’y pensais pas vraiment… j’avais en tête quelqu’un dans un cottage loin de Londres. Quelqu’un qui croyait que couper tout lien avec son cousin était la solution de sa survie quand pourtant j’étais persuadée que c’était la force de leur affection qui était capable de sauver. Alors je devais le dire ce « on », pour qu’il sache qu’il avait toujours de l’importance pour Lui, comme il en avait pour moi.


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Sanae M. Kimura
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Jeu 29 Fév 2024 - 23:51

 1er février 2017


Il n’est que digues et barrières. Un monceaux de masques qu’il ne fait que repositionner chaque jour. Pas au réveil. Pas comme un costume qu’il faudrait revêtir. Non. Il se couche avec, dort avec, vit avec. A chaque instant, on pourrait le surprendre, voir au travers du linceul de ses mensonges. Tout devait donc tenir en place et ce, depuis bien des mois. Pourtant Alec le sait, il est des moments où rien n’est vraiment bien ajusté. Dès qu’il croise le regard de ses proches, quand la fêlure s’élargit. Que se passerait-il si les deux mondes s’entrechoquaient ? Par moment la question l’angoisse.
Mais quand ça arrive… Alors il garde le regard droit, force sa respiration à la régularité. Tient.
Mais dès lors que les portes de l’enfer se referment et que les bras d’une amie s’enroulent autour de lui, la fêlure devient gouffre et les tremblements secouent son être. Il aimerait tenir le coup, ne pas avoir l’air de ce mec si près de craquer. Et pourtant ce qui s’ouvre en lui ressemble à un trou noir dans lequel il pourrait s’engouffrer sans y prendre gare. Se recroqueviller dans des bras alliés et simplement laisser couler les larmes comme un enfant maltraité.
Mais s’il était honnête, il saurait que l’adulte pleure plus souvent que l’enfant d’hier. L’adulte bat des paupières, d’ailleurs, pour chasser l’humidité qui demeure malgré tout, sourde à sa pudeur.
Il pourrait la lâcher. Elle pourrait en faire de même. Mais les rires sonnent étranglés et les doigts se crispent. Sur le cuir pour l’une. La blouse de coton pour l’autre. C’est l’humour qui les rattrape, comme toujours, pour tenter de masquer ce qui est pourtant criant. L’humour qui soulève les poitrines alors que les yeux rougis se rencontrent et que les sourires se teintent de gêne. Pourtant ce regard qui l’a si souvent percé, ainsi gonflé d’émotion, le chope droit sous le plexus. Pas qu’il n’ait jamais douté de son humanité… Pas qu’il n’ait jamais compris l’attachement… Mais ce qu’il comprend consciemment ne porte pas toujours jusqu’au cœur et celui-ci s’étreint de voir ce qu’il n’ose espérer.

«De toute évidence, tu es entier et des cornes n’ont toujours pas poussées sur ta tête alors je vais m’avancer et dire que tu sembles en bonne voie. »  
Le rire se tord, les traits en font autant.
- A peine quelques bosses.. Chacun se raccroche à ce qu’il peut et masque le reste sous quelques souffles amusés ou des sourires dont la façade pourrait bien vite s’effriter. Celui de Sanae, d’ailleurs, est bref, balayé par le sérieux de la situation qu’il devine sans mal derrière les questions qu’elle lui enchaîne. « Tu tiens le coup ? » Non. « Tu as besoin de quelque chose ? Fuir. Est-ce qu’ils ont découvert quoi que ce soit dans ton esprit ? Pas encore. Est-ce que Mackenzie est toujours à tes côtés ?». Majoritairement.

Chacune de ses réponses mentales lui serrent la poitrine tandis que Sanae serre plus fort ses bras sans envisager apparemment de le laisser s’éloigner de plus de quelques centimètres. Ça l’empêche, lui, de quémander pour ce contact qu’il appelle de toute son âme. Un toucher, n’importe lequel, juste pour s’assurer qu’elle est bien là. Pour traverser la sensation de glace qui le prend par moment. D’y poser une paume. Qu’elle serre, donc. Qu’elle presse ses bras. Qu’elle lui en fasse mal, même ! Qu’il reparte avec la preuve physique de sa présence.
Mais elle lâche ses bras et Alec se rend compte qu’il n’a pas répondu. A peine a-t-il hoché du menton sans vraiment savoir à quoi il acquiesce. C’est un soupir qui accompagne le regard bas de la médicomage. Il aurait pu y penser, d’ailleurs. Une médicomage. Ça semble évident, finalement… Mais pour l’heure, Alec songe confusément qu’elle pourrait bien avoir interprété cet acquiescement mutique de la mauvaise manière..
Un bourdonnement indistinct lui répond lorsqu’il tente de se refaire l’enchaînement de questions. Pas qu’il ait véritablement oublié, simplement les émotions prennent le dessus et l’empêchent d’y voir tout à fait clair.

Et si Sanae lâche ses bras, c’est pour venir effleurer son visage de quelques doigts froids qui l’encadrent en douceur. Et ce regard… qui prend tout l’espace. Un instant, il la voit entrer en lui. L’encre de ses yeux pour prendre tout son univers et soulever les brumes de son esprit pour en extraire les réponses qu’elle recherche. Rien qu’un instant. Car sa voix le prend de cours et ses mots le transpercent d’un sentiment trop longtemps ignoré.

« On s’est inquiété pour toi, tu sais. »

Le souffle se coupe quand sa gorge gonfle. Comme pour retenir ce qui déborde soudainement. Le sourire se tord. Quelque part du côté des côtes de Sanae, Alec sent ses doigts se crisper. Ce ne sont plus des fêlures ; c’est un cratère. Et il serre plus fort ses mâchoires l’une sur l’autre pour les empêcher de trembler. Inspirer, détourner le regard un instant, déglutir. Une larme s’échappe. Grimacer.
L’adulte pleure plus que l’enfant.
A l’enfant, on n’a jamais dit s’être inquiété pour lui.

Expirer, recommencer le cycle.

Le nom de Logan ne vient pas immédiatement dans ce que contient ce “on”. Il peine à apparaître, comme s’il n’y avait aucune logique à l’inclure. Il est trop important, sans doute, d’y trouver un coupable.

- ça va. Ils ‘ont rien. Et j’ai demandé à Mack de pas venir, mais elle m’attendait devant le portail des Rivers quand ils m’ont… rendu à eux. Comme un chien qu’on trimballe d’un endroit à l’autre et ont on tire la muselière un moment avant de la retirer pour lui faire comprendre que de toute manière, il n’a plus de crocs pour mordre.
Et “eux”. Comme s’il ne s’agissait pas de sa propre famille. “Eux”, pour se dissocier surtout. Mettre à distance ceux qui sont ses ennemis. Ne pas s’inclure. Jamais. C’est une horreur qui lui saute à la gorge chaque fois que Warren la commet. Ce “on” qui sera à jamais “eux” sur sa propre langue.
- Elle… craque. Première fois qu’il l’exprime véritablement. Rien d’étonnant à ce que ce soit devant Sanae. Mais j’ai fait plier mon paternel, on déménage en fin de mois. Une inspiration. ça ira mieux à partir de là. Parler lui permet de retrouver le contrôle sur ses émotions, d’affirmer un sourire pincé, comme s’il s’agissait là de la plus grande des preuves de foi. Ils m’font pas confiance. A raison. Mais j’ai obtenu un poste de flic au Ministère. J’ai dû signer un contrat avec une tarée qui m’empêche de faire quoi que ce soit contre eux, et m’oblige à faire c’qu’elle veut. Mais elle a pas pointé sa gueule depuis plus d’un mois alors.. J’sais pas. Elle s’est peut être fait fumée quelque part.
Ça devrait transpirer d’espoir. C’est la peur pourtant qu’il entend dans sa voix. Comme si l’absence avait le pouvoir de la prendre plus présente encore.

De nouveau une inspiration, profonde. Ils ont rien. Déjà dit. Besoin de le réaffirmer.
Rien. Et certainement pas lui.
Sa tête part brièvement de droite à gauche, comme pour s’extraire d’une pensée qui n’a pas sa place.

- Ca va toi  ? Vous ? Kezabel.



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Lun 11 Mar 2024 - 18:47
« À peine quelques bosses... »
Il ressemblait à ces enfants qui se sont fait battre et qui sourient malgré tout, jetant un « tout va bien » qui sonnait faux. Quelques bosses, oui… vraiment pas grand-chose. On avait beau se raccrocher à l’humour comme à une branche, il ne nous sauvait pas de ce qui étreignait nos gorges. La branche était trop frêle, prête à craquer. Et elle craquait quand les questions débordèrent de mes lèvres. Malgré mon besoin de savoir comment tout se déroulait de son côté, je redoutais les réponses avec plus de crainte que des coups de massue. Chaque information avait le pouvoir de me fendre en deux, de hanter mes heures, et de scier mes nerfs à coup de culpabilité. Je trouvais peu de réconfort dans le fait que je n’avais pas été décisionnaire dans ce plan. Certes, je n’avais été qu’un pion pour assurer une issue favorable, j’avais joué mon rôle comme on me l’avait demandé et mon implication n’avait rien changé aux directives, du moins pas concernant la marche à suivre pour Alec, mais comment être soulagée de n’avoir pas empêché cela ? Comment se réjouir de ne pas avoir trouvé une alternative pour le sauver de vivre entouré de monstres ? Car ils étaient bien des monstres, et Alec n’avait pas sa place parmi eux ; il avait beau avoir été élevé dans ce milieu, les prédateurs qui y vivaient n’avaient rien de commun avec lui. J’aurais aimé l’en préserver, l’éloigner des dangers et des traumatismes de son enfance, mais le plan de Logan était aussi rigide qu’il l’était lui. Et aucune illumination divine ne nous avait frappés avant d’envoyer Alec là-bas. La seule chose que j’avais pu changer était l’issue à laquelle s’était condamné Logan jusque-là. Voilà la seule victoire que j’avais dans tout ça…

Le jeune sorcier que j’avais entre mes mains, aussi fébrile et ému que moi, était condamné à évoluer dans un monde de requins où la moindre faiblesse pouvait être fatale. J’aurais préféré que nous restions stoïques, enfermés dans nos rôles, car nous aurions pu nous convaincre de n’avoir aucune fragilité, d’être insensibles au manque, de ne pas ressentir l’attachement ; deux soldats sans émotion, forts et fiers, capables de garder l’oeil fixe sur la ligne d’arrivée. Mais sans doute étions-nous des âmes trop sensibles qui éprouvaient avec trop d’intensité pour nous retenir… alors mes doigts tremblaient un peu en encadrant son visage et ses yeux brillaient comme des diamants sous la lumière quand son sourire se tordit.

On s’inquiète tous les jours.
Parce que tous les jours, on pense à toi.


« Ça va. Ils ‘ont rien. Et j’ai demandé à Mack de pas venir, mais elle m’attendait devant le portail des Rivers quand ils m’ont… rendu à eux. » [Rendu à eux… les mots me firent presque frissonner. Le soulagement de savoir Mack à ses côtés était amer, je savais que l’inquiétude devait grignoter le sorcier à la savoir si près du danger, mais il lui fallait une alliée, une présence rassurante et bienfaitrice là où il était – là où nous n’étions pas. « Elle… craque. Mais j’ai fait plier mon paternel, on déménage en fin de mois.  ça ira mieux à partir de là. Ils m’font pas confiance. A raison. » Un bref soulagement vint apaiser mes nerfs à vif à l’idée de le savoir hors de cette maison. « Mais j’ai obtenu un poste de flic au Ministère. J’ai dû signer un contrat avec une tarée qui m’empêche de faire quoi que ce soit contre eux, et m’oblige à faire c’qu’elle veut. Mais elle a pas pointé sa gueule depuis plus d’un mois alors.. J’sais pas. Elle s’est peut être fait fumée quelque part. »
Je haussai un sourcil. « Je vois... » dis-je d’une voix tendue.
Qui était cette tarée dont il parlait ? Avais-je, surtout, vraiment envie de savoir ce qu’elle lui faisait faire ? Si elle était partie ou avait péri quelque part, c’était une crainte de moins à avoir. Pourtant, je percevais chez Alec une inquiétude plus tenace. Alors que les informations atteignaient ma conscience au fur et à mesure, soulevant d’autant plus de questions, il prit une inspiration avant de dire à nouveau « Ils ont rien. ». Et ces quelques mots, répétés avec insistance comme pour les rendre plus réels, me remuèrent plus que je ne l’aurais voulu. J’ancrai mon regard dans le sien, m’y accrochant comme si cela pouvait l’aider à se stabiliser, mais il tourna brièvement la tête de droite à gauche pour chasser une idée. Je fronce les sourcils mais je n’ai pas le temps de poser des questions.

« Ça va toi ? Vous ? »
Mon coeur manqua un battement. Je savais qu’il voulait certainement savoir comment allait Kezabel, et l’idée de lui mentir ne m’enchantait guère… Mais pourquoi lui dire qu’elle avait jonglé avec la mort, respiré son odeur, rêvé même de lui appartenir ? Comment lui raconter les souffrances de son amie quand il ne pouvait ni la voir, ni lui parler ?

Toute vulnérable que j’étais à l’intérieur, je sentis pousser en moi la force de le préserver. Il fallait lui donner du courage et du réconfort, pas d’autres inquiétudes. Je souris en posant mes mains sur ses épaules.

« Ne t’en fais pas pour nous. Tout va bien de notre côté. » lui assurai-je. « Et tout continuera d’aller bien tant que tu continues comme tu le fais… Je sais que tu peux te débrouiller mais attention Alec, un poste au Ministère va t’apporter d’autres problèmes à gérer. Ne relâche pas ta vigilance. » Je pris une inspiration et laissai retomber mes mains. « Maintenant, dis-moi … est-ce qu’ils continuent à entrer dans ton esprit ? Est-ce qu’il y a une faille quelque part ? ... Est-ce que tu peux en parler?»
Il avait parlé d'un contrat l'empêchant de s'en prendre aux Supérieurs mais dans quelle mesure ce contrat le limitait-il?

J’eus une hésitation.
A de nombreuses reprises, j’avais débattu avec moi-même : si l’occasion se présentait, devais-je entrer dans son esprit pour prendre la mesure de son état, voir ce qu’il s’était produit, glaner des informations, et m’assurer que ce plan fonctionnerait encore longtemps ? Devais-je prendre le risque d’affirmer une présence mentale quand il avait fait tant d’efforts pour la cacher ? Devais-je, surtout, le laisser repartir avec le souvenir de ce moment entre nous, au fond d’un placard ? Cette dernière pensée me dégoûtait autant qu’elle résonnait sans cesse en moi. Si j’avais eu un peu moins de coeur et si j’avais respecté la distance dont j’aurais eu besoin entre lui et moi, je l’aurais fait sans scrupules. J’aurais effacé Kezabel et moi-même, mais je savais combien notre présence tout au fond de lui était peut-être ce qui participait à le faire tenir. C’était un pari risqué, ça l’avait toujours été, et je constatai en cet instant que j’étais prête à jouer les mêmes cartes à nouveau. Mais je n’étais toujours pas décidée sur ma première question, alors je m’en remettais à lui.

« Tu as quelque chose à me montrer ? Quelque chose que tu veux que je voie ? »

Dans un monde où on le soumettait à des tourments quotidiens et à un libre-arbitre limité, je voulais lui laisser le choix. Au fond, les horreurs qu’il aurait à partager ne seraient que le juste retour de ce que Logan et moi avions fait. Ce ne serait que justice d’y être également soumis, de souffrir avec lui, de voir, entendre et ressentir ce qu’il avait vécu. Pourquoi aurions-nous le droit de rester à distance, là où on ne pouvait observer les souffrances de celui que nous avions envoyé en première ligne ?
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Mar 19 Mar 2024 - 22:44

 1er février 2017


A peine quelques bosses… Le cynisme apparaît, immédiatement pris en traître par la fulgurance des émotions qui reprennent le dessus et s’échappent sans qu’il n’en accepte véritablement la fuite. Une faiblesse qui devrait l’inquiéter. Qu’elle devrait noter et lui reprocher. Mais ses propres doigts tremblent d’un rien sur la peau de son visage. L’encre de ses prunelles brille et se dilate tout le coup d’un affect qu’il ne peut ignorer cette fois. Elle n’est qu’une inconnue. Elle ne devrait être qu’une inconnue. Placée sur sa route pour quelques mois à peine. Là pour se charger d’un rôle précis, à un moment donné, sans autre ambition que de lui fournir quelques aptitudes. Trafiquante d’armes aux portes de l’enfer.
Comment a-t-il pu s’attacher ainsi ? Cette question n’a plus lieu d’être sous le miroitement de l’obsidienne. Jamais Alec n’a perdu de vue l’impression tenace de s’accrocher à elle, à ses capacités et ses promesses mutiques. Mais quand les tremblements de l’inquiétude s’imposent, il ne peut ignorer cette part d’affect qui les rejoint dans un silence pudique. Jamais Alec ne la connaîtra. Malgré tout, ce sont ses vides qui parlent.
Le changement de son attitude. Les critiques qui camouflent les compliments et l’inquiétude. Les regards. Les échanges silencieux sur le perron. La présence, insoutenable, au creux de ses pires souvenirs. Sa persévérance butée. La facilité des corps à se trouver, puis oublier. La distance. Le respect.
La confiance.

Pas si courant.
Loin d’être évident, surtout, quand on le connaît véritablement comme elle le connaît. Alors même qu’elle connaît ses faiblesses, ses erreurs, ses errances.
Là aussi, bien des choses à comprendre de l’autre dans la simple notion d’acceptation. Pas qu’Alec cherche spécifiquement à projeter quoi que ce soit. Leur relation a toujours été ainsi, déséquilibrée. Basée sur une confiance absurde, un abandon total, un lâcher prise anxiogène. Elle aurait pu appartenir à l’ennemi. Avoir été la faille dans le roc qu’a toujours semblé être Logan. Être le point de rupture, la bascule qui les amènerait tous dans la tombe.
Elle est le salut. Un salut atroce aux relents acides où la sensation d’avancer avec une laisse autour du cou est tenace. Mais le salut malgré tout.

Là encore, ses vides parlent.
Peu auraient agit ainsi. Et peu auraient réussi.

« Ne t’en fais pas pour nous. Tout va bien de notre côté. »

Peu, également, se seraient tus ainsi.

Un sourire flotte, durant quelques secondes, sur les lèvres du garçon. Bien sûr. Là est toute l’absurdité de leur relation. Il pourrait y avoir les pires horreurs qu’elle ne les lui balanceraient pas, trop consciente de son impuissance. Oserait-il lui dire ? Cette inquiétude brutale qui l’a pris lors de sa dernière rencontre avec Kezabel ? Cette impression tenace qui lui est resté sur la peau, de lui avoir dit au revoir pour la dernière fois, non sans savoir s’il cette sensation poisseuse annonçait sa propre mort ou celle de son amie..
Oserait-il lui dire, avec quelle violence il en veut à Logan de l’avoir mis dans cette posture ? Avec quelle brutalité il se sent par moment sur la corde raide et prêt à lâcher pour se laisser tomber dans le vide plutôt que d’envisager le moindre pas supplémentaire ?

« Et tout continuera d’aller bien tant que tu continues comme tu le fais… Je sais que tu peux te débrouiller mais attention Alec, un poste au Ministère va t’apporter d’autres problèmes à gérer. Ne relâche pas ta vigilance. »

Toujours ce sourire. Celui qui déforme ses traits et supporte l’émotion de la revoir. Celui qui tente comme il peut de masquer le collier de ronces qui lui barre la gorge à l’entendre verbaliser les limites de sa décisions.
Les problèmes qu’elle évoque, Alec les gère déjà. Faire évacuer du pays un père et son fils, cacher une information de plus et faire face tous les jours à ses collègues et ses supérieurs, conscient de l’étendue des secrets dissimuler et des dangers inhérents à ses propres failles… n’est pas la meilleure idée qui soit et à faire la réaction immédiate de Sanae, Alec sait qu’elle désapprouverait.
À cette évidence, ses poumons lui donnent l’impression d’être enfermés dans une cage osseuse bien trop petite. Mais Alec le sait, pour chacune de ses décisions, il est seul. Et devra les porter sans faillir. C’est dans le contrat.
« Maintenant, dis-moi … est-ce qu’ils continuent à entrer dans ton esprit ? Est-ce qu’il y a une faille quelque part ? ... Est-ce que tu peux en parler?» Une faille… comme celle de se comprendre prêt à laisser une vampire lui arracher la carotide avec le soulagement immense de pouvoir lâcher la partie ?
Un instant, Alec suit du regard les mains qui s’échappent loin de ses joues pour retomber de part et d’autre des flans de Sanae.
Ou une faille… comme celles que d’autres pourraient exploiter, loin de ses propres liens.
En silence, il remonte le regard vers le sien. L’abyme appelle l’abyme…
Jamais le sorcier n’a osé imaginer cette rencontre. La possibilité d’une entrevue lui est restée loin de ses pensées, étouffée par la conscience acerbe de ne pouvoir se perdre en espoirs vains. Mais une fois encore, comme le mentor qu’elle est devenue, Sanae se rappelle à sa conscience comme porteuse de possibilités. Peut être même n’en a-t-elle pas conscience. Sans doute n’est-elle pas la mieux placée pour charrier de l’espoir comme lui charrie les corps. C’est pourtant cette dissonance qui fait d’elle la personne idéale pour percer son cynisme naturel.

Pourtant Alec en est encore à s’interroger du sens de sa question quand elle enchaîne, après avoir buté un instant.

« Tu as quelque chose à me montrer ? Quelque chose que tu veux que je voie ? »

Les ronces, toujours, roulent dans son œsophage tandis qu’il dégluti. S’il s’était jamais pris à imaginer le moment, jamais il n’aurait imaginé cette simple décision : lui laisser le choix. Alors un souffle passe, entre le rire étranglé et le soupir nerveux. Lui rendre la décision a quelque chose de douloureux, étonnement. C’est parfois plus simple de se laisser porter que de nager à contre courant. Qu’importe le tranchant des rochers rencontrés en chemin.

L’inspiration lui racle la gorge tandis qu’Alec lève les yeux au ciel, bloque l’air comme pour rappeler à son corps qu’il respire encore, et souffle finalement. Pas un souffle contenu ou las, mais dur. Sec. Qui tombe entre eux comme une brique.

Trop de question et trop de choses auxquelles il voudrait échapper. Mais l’heure n’est pas tant à la fuite.
Elle ne l’a jamais été.

- C’est calme ces derniers temps. Ils m’ont emmerdé au début, mais j’ai eu qu’un rappel. Le legimen est certain de m’avoir poncé à vif.” Les mots sortent sans qu’il les analyse et ce n’est qu’à les entendre qu’Alec les comprend d’une justesse tranchante. Poncé à vif. Comme s’il ne l’avait pas été… “Enfin il m’en a donné l’impression. ‘Ne jamais douter de l’arrogance des fils de pute…” Un trait commun à la majorité des sangs purs. Lui y compris.
Ni de leur arrogance, ni de leurs complexes…
Blackblood lui donne l’effet du type incapable de se remettre en question. Avouer qu’il s’est planté serait inimaginable. Un bon point pour lui.
Et une tendance sur laquelle repose nombre de ses paris.

- C’est moins le cas de l’autre tarée. Mais elle me sait docile… Manque-t-il d’ajouter, incapable de verbaliser une vérité si atroce. Véritable pourtant, malgré ses bravades bien futiles.

Alors de nouveau, Alec inspire, bloque, lâche.
- Je sais, pour le job au Ministère. Mais j’suis dans une petite brigade, dont les autres enflures se foutent. Ils me veulent loin de leurs affaires et inversement, au moins un point sur lequel on s’entend. Et pour le reste… Ils n’ont pas laissé de faille. J’ai l’interdiction signée de divulguer quoi que ce soit. Aucun nom, aucune activité. Plus précisément, je ne peux énoncer sciemment aucun nom, affaire ou combines. Elle a même pensé à ce que je ne puisse pas les écrire.

Et son regard se plante dans le sien, sans en dire plus. Factuel.
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Dim 21 Avr 2024 - 13:52
J’avais l’impression d’observer une plaie à vif, la peau éraflée et ouverte présentant des tissus tuméfiés sur lesquels on devait sûrement verser du sel tous les jours. Ça me brûlait de le toucher, de le regarder, de sentir sa détresse et sa fragilité ; c’était sûrement la raison qui m’empêchait de glisser mon esprit vers le sien. J’étais déjà trop sensible à lui, conséquence des nombreuses heures passées dans sa tête, et la moindre expression sur son visage, la moindre ombre dans son regard, avait le pouvoir de m’érafler de l’intérieur. Trop attachée, trop impliquée. Je comprenais seulement maintenant que même s’il n’était jamais entré dans mon esprit, il y avait fait sa place et y demeurait malgré son absence. J’aurais pourtant dû le savoir, c’était ainsi que ça avait commencé avec Logan : j’avais un jour été Alec, plongée dans l’ignorance de la conscience de l’autre, incapable de savoir ce qui restait en l’autre lorsqu’il prenait tant de moi. J’avais eu peur à l’époque d’être plus impactée par la présence de Logan dans mon esprit que lui ne l’était d’entrer dans le mien, et si une part de moi savait très bien que l’impact était partagé, cette réalisation se faisait plus brutale en cet instant.

Bien sûr qu’on gardait des morceaux des autres en soi… qu’on le veuille ou non ; à plus forte raison lorsque les visites mentales se faisaient aussi profondes et répétées que celles entreprises sur Alec. Et au-delà de tout ça, il y avait un lien étrange tissé entre deux personnes qui souffraient et se débattaient avec leurs démons. Même sans connaître les miens, Alec voyait sûrement des parties de moi trop évidentes pour les cacher. C’était l’affection qui en cet instant m’empêchait d’envahir son esprit pour prendre toute information, même inutile, et d’avoir une vision d’ensemble de la situation. Logan me reprocherait sûrement ce sentimentalisme, et je savais l’importance de mettre parfois les sentiments de côté. Mais comment prendre ce qui ne m’appartenait pas quand déjà toute la vie d’Alec semblait être dans les mains d’autres que lui ? On lui avait pris très jeune ce contrôle sur lui-même, volé son innocence, écrasé ses rêves, jusqu’à ce qu’un vent de révolte ne se soulève ; aujourd’hui, ce vent l’avait ramené en arrière, dans les bras des monstres de son enfance où il n’avait presque le choix de rien, où ses faits et gestes étaient scrutés. Assez de mains et d’yeux sur lui pour l’enfermer et le contrôler… Je ne désirais pas en faire partie, même pour le protéger.

Pourtant, en lui laissant le choix, j’ai l’impression de lui infliger une épreuve de plus. Un rire étranglé dans sa gorge, un soupir plein de nervosité… et puis ce souffle qui se bloque, ces yeux qui se lèvent vers le plafond de ce petit placard hors du temps. Était-il en train de prendre une décision ? Avait-il peur de faire le mauvais choix ? Qu’y avait-il dans sa tête qu’il ne voulait pas que je vois ?

« C’est calme ces derniers temps. Ils m’ont emmerdé au début, mais j’ai eu qu’un rappel. Le legimen est certain de m’avoir poncé à vif. Enfin il m’en a donné l’impression. Ne jamais douter de l’arrogance des fils de pute… » Cette fois-ci, c’était à mon tour de bloquer ma respiration pour la relâcher lentement, mes mains venant trouver mes hanches pour s’y agripper. Le légimen...comme ça me démangeait de savoir qui il était, mais même en entrant dans l’esprit d’Alec, je n’aurais pu avoir la réponse : son identité devait avoir été dissimulée. J’acquiesçai aux derniers mots d’Alec. Son arrogance jouait en notre faveur. « C’est moins le cas de l’autre tarée. » L’autre tarée…Je frémis. Mon imagination me fournit des images bien trop vives et je secouai la tête pour m’en débarrasser.

Je devais me rappeler qu’il faudrait le laisser repartir dans quelques courtes minutes. Le laisser y retourner.

« Je sais, pour le job au Ministère. Mais j’suis dans une petite brigade, dont les autres enflures se foutent. Ils me veulent loin de leurs affaires et inversement, au moins un point sur lequel on s’entend. Et pour le reste… Ils n’ont pas laissé de faille. J’ai l’interdiction signée de divulguer quoi que ce soit. Aucun nom, aucune activité. Plus précisément, je ne peux énoncer sciemment aucun nom, affaire ou combines. Elle a même pensé à ce que je ne puisse pas les écrire. »

Les sourcils froncés, je le fixai sans bouger, l’esprit en ébullition.
« Je vois... » soufflai-je, distraite par d’autres pensées.

Si énoncer ou écrire des informations était proscrit, il n’y avait pas d’interdiction sur le partage de pensées, mais n’était-ce pas une divulgation comme une autre ? J’aurais aimé avoir ce contrat sous les yeux, être sûre qu’en entrant dans sa tête, je ne le mettrai pas en danger. Aussi, que pourrait-il apporter comme informations ? Ce qu’il savait devait très certainement déjà être su par la Garde ; ce qui était vraiment intéressant lui était dissimulé et je n’aurais de toute façon pas pu justifier des informations qu’il m’aurait données auprès de mes Généraux. Dans son esprit, il y avait en revanche toutes les atrocités infligées, les tests et les retrouvailles familiales par lesquelles il était passé. Il y avait le manque, le désespoir, la fatigue, la peur, la douleur. La solitude, aussi. Du moins, je l’imaginais.

Je jetai un œil à ma montre, le cœur au bord des lèvres.
« Il ne nous reste plus beaucoup de temps et je ne prendrai pas le risque de rentrer dans ton esprit, murmurai-je, alors écoute-moi Alec… Continue exactement comme tu le fais, reste loin de leurs affaires, ne leur donne pas de raison de te soupçonner de quoi que ce soit. Laisse-les penser ce qu’ils veulent de toi tant que c’est à ton avantage. Et méfie-toi de ceux qui se présentent comme des alliés, garde une réserve, ne les laisse pas rentrer plus loin qu’un premier cercle. » Ne faire vraiment confiance à personne. Être toujours sur ses gardes. Il le savait déjà mais j’avais besoin de le lui répéter. Je pris une inspiration, encadrai à nouveau son visage de mes mains et me hissai légèrement pour poser mon front contre son front. « Rappelle-toi d’une chose : nous ne t’aurions jamais laissé partir si nous ne pensions pas que tu étais capable de faire tout ça… » La gorge serrée par l’anticipation de ce qui allait suivre, je sentis ma voix devenir plus rauque, alors je chuchotai : « Je ne sais pas s’il y aura un après à tout ça, mais j’espère qu’un jour on se retrouvera tous. » Ma voix n’était qu’un filet fragile plein d’émotion que je tentais de maîtriser. Mes paupières s’étaient fermées un instant. Ce n’était pas lui que je souhaitais voir disparaître, mais ce moment de nos vies où tout semblait éclaté aux quatre coins du monde, soumis aux désirs des autres, hantés par des démons insurmontables. Ce chapitre-là, chaotique et imprévisible, comptait bien trop de pages et je voulais plus que tout passer au suivant, à cet après imaginaire où tout restait encore possible. En fermant les yeux, je fantasmai des retrouvailles, un retour au calme, une paix qu’aucun de nous n’avait jamais ressentie jusque-là. Il nous rejoindrait au cottage, un soir d’été où il ferait encore chaud, échangerait des piques avec son cousin, boirait à la défaite de nos ennemis communs, de la liberté, mais surtout de notre victoire… et je passerai des heures à lui raconter toutes mes histoires, nos histoires, à enfin lui dire qui je suis, puisque dans cet instant précieux et inespéré, je le saurai.

J’ouvris à nouveau les paupières sur ce monde où tout était flou et douloureux.
Il allait partir.
Le temps ne s’était pas arrêté pour nous.

Je ne pus lui dire de s’en aller à voix haute, tout juste capable de faire un mouvement de menton vers la porte. Il savait très bien ce qu’il fallait faire. Partir. Se séparer. Se manquer. Espérer se revoir.

Prier pour être en vie quand l’été des retrouvailles viendrait.



Tout dépend de ta réponse, mais à priori fini pour moi
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Lun 22 Avr 2024 - 13:05
Quelles barrières reste-t-il quant il s’agit de s’effondrer ? Qu’est-ce qui endigue encore le flux des émotions ? Alec sait que s’il cède, sortir d’ici, parcourir les couloirs et garder le pragmatisme qui le maintient à flot sera impossible. Si les larmes rattrapent la surface et que les séismes des profondeurs en viennent à ébranler sa réalité, alors il n’aura plus rien pour l’empêcher de céder. Comment, dès lors, retrouver le chemin qui le mène à son oncle. Observer cet homme dont il a profondément peur, et masquer l’étendue de ses sentiments martelés ? Comment tenir droit, quand le simple filet de vérité menace de fracasser tout l’édifice ?
Chaque parcelle de ce qu’est Sanae est un risque plus immense qu’il n’y semble. L’élan qui naît dans ses tripes de se presser contre elle comme un enfant réclame du soutien. La précarité de son regard. Cette fragilité rugueuse qu’il y trouve et dont le clair obscur lui parvient plus nettement à présent que les émotions en soulignent les contrastes. Le tremblement léger de ses mains quand elles lui encadrent le visage et lui hurlent en morse de ne plus s’en aller.
Elle est une fracture dans la muraille. Un vent de soutien, aussi, là où les pierres s’effritent immanquablement. Elle l’érode et le consolide tout à la fois. Comme la glace qui s’installe entre les pierres d’une vieille forteresse. L’eau s’infiltre, puis gonfle en cristallisant. Elle maintient la structure, fait partie intégrante des contreforts.
Puis au printemps, elle s’écoule. Et avec l’eau, partent les débris des briques et des joints. Les piliers perdent leur intégrité, les balcons s’effondrent, les colonnes se fendent.
Il en faut peu.

Pourtant c’est un souffle nécessaire qu’Alec prend à ses côtés. Conscient qu’il pourrait s’y perdre s’il se prenait à y rester trop longtemps. Elle dessine, par ses mots et sa présence, tout un univers qu’il pourrait bien vite oublier. Plus abrupte encore, Sanae y pose les mots. Rappelle leur existence, le soutien aveugle et sourd dont elle est porteuse alors même qu’il peine à croire en son propre cousin. De manière absurde, cette femme qu’il ne connaît en rien a obtenu sa confiance. A rebattu les cartes. Fourni les armes. Prouvé davantage en quelques mois que Logan ne l’a fait en toute une vie. Et pourtant au travers d’elle, c’est aussi à lui qu’il se rattache. Comme si à un moment ou à un autre, elle était devenue la voix d’un mutique et l’humanité d’un monstre.
Les quelques lucioles de magie allumées dans le petit placard illuminent son visage par intermittence et projettent sur le mur du fond deux ombres.
Et lui, enfant fragile parmi les ogres, voudrait se raccrocher à chacune d’elles.

Mais Sanae jette un œil sur sa montre et Alec comprend en un regard que le temps des adieux est déjà de retour. L’heure, alors, de l’inviter dans son esprit, de partager l’horreur, d’indiquer les visages, les mots, les noms qu’il a récolté jours après jours quand on lui en laissait l’occasion. Des parcelles de vérités. Des monceaux d’enfer. « Il ne nous reste plus beaucoup de temps et je ne prendrai pas le risque de rentrer dans ton esprit, Mais elle s’y refuse dans un murmure et le sol s’ouvre sous ses pieds. Pourquoi ? Une colère adolescente passe à contre-courant de ses nerfs à ses veines. Ce risque, Alec le prend jours après jours. Ce risque pourrait donner quelques clefs, quelques portes à défoncer. De ce risque aurait pu naître … quoi ? Quel fol espoir s’est-il insinué dans son âme à l’idée qu’elle y pénètre ? D’emporter une part de sa présence, quelques brides de sa force pour affronter souvenirs et avenir ? Ou plus naïf encore ? Qu’elle voit. Qu’elle transmette. Qu’il enclenche l’affrontement d’un monstre contre l’autre.
Qu’il y ait quelqu’un, quelque part, pour transpercer la bête et lui rendre sa liberté.

Avec un temps de retard, Alec raccroche au bourdonnement qui pulse sous ses tempes. … pas de raison de te soupçonner de quoi que ce soit. Laisse-les penser ce qu’ils veulent de toi tant que c’est à ton avantage. Et méfie-toi de ceux qui se présentent comme des alliés, garde une réserve, ne les laisse pas rentrer plus loin qu’un premier cercle. »   Un éclat de colère passe.
Assures-toi d’être l’enfoiré et l’idiot.
Contentes-toi des bribes d’humanité qu’il te reste et ne laisse personne d’autre approcher.
Et si ceux qui demeurent disparaissent ?
Sers les dents et tient le coup, seul.

Pourtant toute électrique qu’elle soit, sa colère se fracasse au geste de tendresse qu’elle lui impose. En se redressant contre lui pour poser son front sur le sien, elle dépose toute la douceur de ses certitudes sur l’infernal avenir qui l’attend. Il voudrait alors avoir la force de s’y opposer. Mais rien ne vient. « Rappelle-toi d’une chose : nous ne t’aurions jamais laissé partir si nous ne pensions pas que tu étais capable de faire tout ça… » Ou si, une chose. Une certitude fanée. S’il avait été légimen à son tour, Alec se serait déversé dans son âme. Il aurait pris son esprit, s’y serait caché, aurait envahi chaque parcelle de son être comme elle l’a fait tant de fois pour lui. Il l’aurait fait sans son accord, sans but ni classe. Il l’aurait fait pour se plonger dans quelqu’un d’autre, tout à fait, quitte à s’oublier au passage. Quitte à devenir Monstre à son tour.
Mais elle reprend, et chacun de ses mots fait flancher les muscles qui le portent encore. « Je ne sais pas s’il y aura un après à tout ça, mais j’espère qu’un jour on se retrouvera tous. » Un instant, Alec se sent enfant. Faible. Apeuré. Soumis aux tremblements fébriles d’une voix qui suinte d’émotions. Il ploie sous l’amour, appelle la solidarité, supplie l’artificialité de certitudes qui ne viennent plus.

Ses paupières se ferment et celles du garçon en font de même. Pour retenir la peine et l’angoisse, pour implorer des réponses qui ne viennent pas.
Alors si Sanae fantasme des retrouvailles, Alec n’y parvient pas. Il ne sent rien d’autre que la corde de nylon qui se resserre autour de sa gorge. Dans ses rêves, il n’y a déjà plus de perron, de rires et de vérités. Il n’y a que le goût des cendres et l’envie d’imaginer celui que tous craignaient dans son enfance, tomber sur le sourire de hyène d’Azalea. D’invoquer toute une armée, derrière les mystérieux contours de Sanae, venue faucher Blackblood et balayer Walters.

Mais lorsqu’il ouvre de nouveau les paupières et se contente de savourer le souffle rond de Sanae sur sa peau, Alec sait qu’il n’y aura que lui.

Ça a toujours été le deal.
Le contrat n’a pas changé.

Sa voix n’est qu’un éclat de verre, lorsqu’il l’entend résonner dans le petit espace.

- Espérons.

Et puisqu’il n’y a rien d’autre à dire, que les espoirs n’ont jamais été que des canifs confiés par Sanae, Alec dépose une paume sur son épaule et la repousse dans une douceur incertaine.

Espérons.

Armé de canifs et de larmes avortées, il franchit de nouveau le pallier de l’enfer.

- Sauf erreur, Topic Fini -
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Alec Kaleb Rivers
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