Un mauvais jour - OS

Septembre 2016

Au travers de la fenêtre, la silhouette d’un homme se détachait. Le cadre de son propre battant et celui de l’immeuble d’en face empêchaient Oliver de distinguer qui se penchait sur lui mais il ne lui fut pas difficile de comprendre que le voisin s’occupait des couches de son enfant et qu’une personne se tenait à ses côtés. Lèvres pincées, le journaliste s’était arrêté depuis un moment. Sous ses doigts s’étendait différentes photographies qu’il sélectionnait pour les faire pendre et les sélectionner. Derrière lui, le matériel vidéo était sorti - il avait réalisé dans la journée quelques shorts pour présenter de nouvelles œuvres, teaser un article et faire une story sport. Bref, il faisait de son mieux pour maintenir la barque autant que possible. A la fois pour éviter de paraître trop suspect aux yeux des uns… et pour renflouer son compte en banque salement affecté par les affaires récentes. Pourtant à cet instant, seuls les mouvements du couple d’en face captaient son attention.

Un an et demi. C’est à la fois tout et rien, un an et demi. Assez pour détruire une vie et en créer une nouvelle. Assez pour tout remanier, tout bouleverser, pour que plus rien n’ait de rien et que pourtant, on cherche à avancer. Déglutissant difficilement, Oliver se décida à laisser là ses photographies. Il avait dans le fond du crâne un homme qu’il avait profondément aimé avant même de se l’avouer, et un enfant qu’il ne voyait plus. Tant de vies qu’il avait frôlées sans jamais les voir se réaliser. Non, lui était seul dans cet appartement trop grand à ne plus ouvrir la chambre de son fils de peur de rester bloqué devant le seuil sans réussir à s’en détacher. Là à gérer une carrière qui n’était pas la sienne, une paternité qu’il ressentait comme un manque depuis que son enfant était loin, et une culpabilité dont il ne savait que faire. Là à se sentir écrasé par un monde invisible, des menaces intangibles et la peur de devenir ce qu’il craignait quotidiennement. Là à attendre que sa porte ne s’ouvre de nouveau et que des hommes débarquent pour prendre ses souvenirs ou sa raison. Nombreuses étaient les preuves de ce qu’il encourait comme l’immense majorité des gens “normaux”. Et pourtant le fait était qu’il pouvait basculer du mauvais côté. L’avait-il déjà fait ? Et Liam ? L’avait-il fait ? Comment Charlie réagirait si elle savait quelle ligne il avait déjà franchie ? Sans doute disparaîtrait-elle. Sans doute aurait-elle déjà dû disparaître loin de lui et de ses codes moraux aléatoires.

Sous sa peau, les muscles de ses mâchoires roulèrent et Oliver comprit qu’il retenait sa respiration depuis un moment. De l’autre côté de la rue, le père grimaçait joyeusement et qu’importe la distance, Oliver aurait pu deviner l’éclat dans ses prunelles.

Combien de temps, alors, avant qu’il ne disparaisse lui-même de la surface de la Terre ?

Un soupir s’échoua hors de ses lèvres et le journaliste fit demi-tour. Jogging, t-shirt, chaussures de running. Déjà, il sortait pour se vider l’esprit ; direction les quais, puis la salle.

C’était un mauvais jour. Rien qu’un mauvais jour.
Tout le monde en a.
Demain, ça passerait.