« Far from home. » | Julian & Caitlyn

Brixton, Londres, Royaume Uni

Le déménagement était passé. Miss Blunt l'avait prévenue de son départ quelques semaines plus tôt, avait tout de même attendu que sa sous-locataire trouve un nouveau logement avant de remettre les clefs à la régie. Caitlyn n'en avait pas vraiment parlé autour d'elle. Takuma savait, bien sûr, et n'avait pas insisté pour qu'elle emménage à l'étage au-dessus de la boutique, comprenant bien les motifs qui la poussaient à s'éloigner du centre. Jake ne lui avait pas non plus proposé son appartement, qu'il quittait pour retourner en Australie, conscient qu'elle ne pouvait pas se permettre un 2 pièces. Le studio qu'elle avait trouvé était meublé d'un lit, d'une table de cuisine avec quatre chaises, d'une commode et d'une étagère. Unique mais large fenêtre donnant sur une cour intérieure, coin cuisine avec deux plaques et un vieux four, salle de bains avec baignoire petit format, ce n'était pas le luxe mais Caitlyn n'avait pas besoin de plus.

Plus loin du centre sans pour autant être en banlieue, le quartier n'était pas des plus propres ni des plus tranquilles. Caitlyn y trouvait son compte, personne ne s'intéressant à la fille du cinquième qui partait avant l'aube et rentrait la nuit tombée. Elle s'était forcée à emménager sans avoir recours à la Magie, le dimanche soir, en vain, n'ayant croisé personne alors qu'elle montait les escaliers avec ses deux sacs dans chaque main. Depuis que les Sorciers avaient commencé à être la cible d'attaques en pleine rue, elle faisait exprès de rejoindre les pendulaires dans les transports, se fondant dans la masse, se créant une routine. Métro-boulot-dodo et personne ne serait tenté de suspecter quoi que ce soit. S'approprier l'espace public, celui-là même où la crainte et la méfiance prenaient leurs aises, suivies de près par la haine.

Dire qu'elle n'avait pas la peur au ventre à chaque fois qu'elle ouvrait la porte aux infos aurait été mentir. Elle avait acheté une petite radio dans une boutique en face du Vaudelune, l'allumait parfois le matin en se préparant, reprenant la pourtant si mauvaise habitude de ses parents. Non, enfant, Caitlyn n'avait jamais aimé déjeuner en écoutant le grésillement des ondes à travers les enceintes. Aujourd'hui, elle le faisait assidument. Quand bien même elle avait le coeur lourd en quittant la maison. Et parce qu'elle voulait un jour avoir à nouveau le coeur léger. Alors elle l'emportait avec elle au travail, l'allumait parfois à midi. Elle se sentait comme à l'époque, à Poudlard, quand elle avait compris qu'attendre les mains dans les poches que les choses aillent mieux d'elles-mêmes ne suffisait pas.

Pour autant, elle ne s'attendait pas à être témoin d'une agression de si tôt. Ni à être si démunie. Les cris étaient parvenus à son ouïe depuis une ruelle parallèle à l'axe principal sur lequel elle se trouvait, elle avait bifurqué sans réfléchir, mais elle avait beau être empathique, impulsive, et entrainée, elle resta interdite à la vue des assaillants rouant de coups la victime à terre. Tiraillée entre le besoin de mettre fin à la violence et surtout l'injustice perpétrée devant ses yeux, et l'instinct de préservation aussi bien de soi-même que des siens, elle ne sentit pas l'odeur familière derrière elle, s'apprêtant enfin à sortir de sa torpeur. Mais déjà, les silhouettes en cagoules se retournaient, et, comprenant qu'ils n'étaient plus seuls, prenaient la fuite, abandonnant le corps recroquevillé sur le trottoir.

La honte reviendrait plus tard. La colère, aussi. Sans plus attendre, Caitlyn s'élança vers la scène du crime et s'agenouilla auprès du jeune homme qui déjà tentait de se rasseoir en gémissant, détaillant son visage maquillé sous le sang et la boue, attentive au moindre signe d'alarme.

"Doucement, doucement, attends, laisse moi t'aider."

Elle parvint à l'adosser contre le mur, soulagée de voir qu'il se laissait le temps de souffler. Prenant seulement alors conscience de cette odeur connue à proximité.

~Jeudi 17 novembre – Début d’après-midi~

D’où lui était venu cette soudaine passion pour la cuisine ? Julian aurait été bien incapable de le dire, pire encore, elle n’était même pas certaine que cela allait durer plus qu’une journée mais c’était là. Après une discussion avec un collègue lors d’un de ses services, elle avait senti l’envie pressante de se confronter à de nouvelles saveurs. Alors après une matinée à servir des cafés et avec un gobelet rempli d’un délicieux allongé, elle avait décidé de profiter d’un peu de temps libre pour aller faire quelques emplettes. Son collègue, Jonas, lui avait fait une liste de produits qu’elle devait à tout prix tester et quelques magasins de référence. Son besoin d’aller faire immédiatement des courses aurait pu faire croire à une envie de femme enceinte mais qu’on se rassure, son absence de relations intimes de ces dernières semaines ne laissait aucun doute sur la question. Parfait.

Le seul souci dans toute cette histoire, c’était que Julian avait oublié de charger son téléphone, comme quoi elle n’avait pas encore tous les réflexes de moldus et que par conséquent, elle était privé d’un outil essentiel : son GPS. Sans ce dernier, Julian était complètement paumée dans les rues d’un quartier qu’elle ne connaissait absolument pas. A plusieurs reprises, elle avait envisagé de demander son chemin à l’un des nombreux passants mais, étrangement, elle n’était pas parvenue à aller au bout de sa démarche. Comme si quelque chose qu’elle ne saurait expliquer l’empêchait de mener à bien sa mission première. Alors elle errait, de rue en rue, son café toujours à la main bien que le niveau dans le gobelet commençait sérieusement à diminuer. Depuis son retour du Canada, elle aimait toujours autant marcher bien que les rues de Londres n’étaient pas aussi charmantes que les paysages canadiens. Pourtant, le simple fait de laisser son corps mener la danse, de mettre un pas devant l’autre et de laisser ses pensées vagabonder autant que ses jambes lui procurait une certaine tranquillité. Alors tant pis pour ses courses et ses envies de nourriture exotique, elle allait marcher un peu. Encore un peu. Et tant pis si elle devait le faire sans aucune autre dose de caféine : son gobelet trônait désormais dans une poubelle de rue et Julian avait glissé ses mains dans ses poches non sans avoir glissé auparavant sa capuche sur sa tête. Non pas qu’elle avait particulièrement froid mais il fallait bien admettre que l’air du moins de novembre pouvait s’avérer plutôt mordant.

Mais alors que Julian déambulait dans les rues, toujours absolument ignorante sur l’endroit où elle se trouvait réellement, des bruits dissonants l’arrêtèrent. Instinctivement, ses pas ralentirent sans pour autant qu’elle ne puisse se détourner. L’instinct du voyeur, peut-être. Son rythme cardiaque s’était clairement accéléré mais pourtant, Julian demeura soigneusement dans l’ombre et ses pas étaient plus lents. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre d’où venait le bruit qu’elle avait entendu. Un peu plus loin, une forme à terre qui semblait être le corps d’un jeune homme était en train de se faire rouer de coups par des personnes dissimulées sous des cagoules. Julian s’avança mais demeura encore et toujours dans l’ombre, à l’abri des regards. Avant qu’elle ne pense à intervenir, son regard se détourna de l’agression pour se poser sur une silhouette non loin d’elle. Elle n’était visiblement pas la seule à l’avoir remarquer puisque les agresseurs tournèrent la tête dans leur direction et filèrent sans demander leur reste. La silhouette devant elle se mit alors en action et se dirigea vers le jeune homme qui venait de se faire tabasser. Julian elle, ne savait plus réellement sur qui porter son corps. Son cœur s’était une fois encore emballé mais pas du tout pour les mêmes raisons. Respirer. Et fuir ?

« On devrait appeler des secours, il a pris plusieurs coups à la tête et dans les côtes ça pourrait être mauvais. »

Elle n’en avait été incapable. Une part d’elle-même lui avait intimé de tourner les talons, de fuir, parce que le jeune homme était déjà entre les mains de quelqu’un, parce que la silhouette qui se tenait non loin de lui réveillait en elle des émotions contradictoires et des souvenirs profondément douloureux. Pourtant… Pourtant, malgré tout ça, elle s’était avancée et se tenait désormais debout, juste derrière Caitlyn. Sa voix avait été plus basse qu’elle ne l’aurait voulu mais au moins, pas tremblante, ce qui était déjà ça. Julian s’approcha alors plus franchement et vint s’agenouiller à côté des deux autres.

« J’ai plus de batterie sur mon téléphone et toi ? »

Son regard ne s’attarda que quelques secondes sur le jeune homme qui avait été violemment agressé. Ses connaissances dans le domaine médicale était bien trop limitées pour qu’elle sache quoi faire réellement alors il lui paraissait évident qu’appeler de l’aide et attendre sagement en le surveillant était la meilleure chose à faire. Sa surveillance n’était pourtant pas aussi accrue qu’elle l’aurait voulu. Son regard tournait indéniablement vers Caitlyn. Parce qu’elle faisait partie des fantômes de Poudlard. Parce qu’elle faisait partie de ceux qui ne pouvaient que lui renvoyer l’image de Jeroen en plein visage. Alors, comme pour chasser les images qui risquaient de l’assaillir, elle se força à se tourner vers le type blessé. Le faire parler ne pouvait qu’être productif.

« Tu sais qui t’a fait ça ? »

C'était un jeune homme, à peine plus âgé qu'elle, probablement étudiant à en juger d'après le contenu de son sac déversé par terre. Sous le sang et la boue, du fond de teint pâle contrastait avec des traits de crayon noir. Son maquillage ne plaisait manifestement pas à tout le monde. Caitlyn était toujours choquée de voir qu'il existait des gens capables d'une telle violence à l'encontre de la différence. Car c'était de ça qu'il s'agissait, d'un acte de discrimination. Son coeur battant déjà la chamade jusque dans sa gorge, la rage n'était pas loin mais c'étaient encore le souci et la compassion qui tordaient les traits de son visage alors que le jeune homme se redressait en gémissant. L'odeur de l'hémoglobine n'était pas pour aider, réveillant en elle des affects autrement plus sombres, et elle serra les mâchoires, sourcils froncés.

« On devrait appeler des secours, il a pris plusieurs coups à la tête et dans les côtes ça pourrait être mauvais. »

La voix derrière elle la tira de ses pensées et elle se retourna pour se retrouver nez à nez avec une jeune femme qui ne ressemblait pas du tout à celle qu'elle s'attendait à voir. Aucun doute, pourtant, entre son accent et son parfum, il ne pouvait s'agir que de Julian. Julian sans ses cheveux roux et avec des lunettes en plus. Julian avec une aura bien différente de celle qu'elle lui connaissait, surtout. L'espace d'un instant, Caitlyn oublia tout le reste et se laissa happer par les émotions que faisait naitre en elle la vue de son ancienne camarade. Comme lorsqu'elle avait croisé Riley au Chemin de Traverse, le souvenir de Poudlard s'imposa à son esprit et l'emplit d'une certaine nostalgie. C'était à se demander s'ils n'auraient pas mieux fait de rester enfermés derrière les murs de l'école devenue prison.

« J’ai plus de batterie sur mon téléphone et toi ? »

Machinalement, sa main avait plongé dans sa poche pour en sortir son portable et le dévérouiller à la vue de Julian. Il lui fallut bien quelques fractions de seconde pour saisir la portée des paroles de son ainée. Alors elle composa le 911, et attendit en silence, ne sachant pas quoi dire. Déjà, Julian se tournait vers le blessé et lui demandait qui lui avait fait ça.

« Je sais pas, ils avaient des cagoules. J'ai pas reconnu leurs voix. »

Son haleine ferrique la cueillit là où elle s'y attendait le moins et il lui sembla presque sentir Louve se ruer sur le jeune homme, cognant contre sa cage thoracique. Elle eut un mouvement de recul, lèvres pincées, poings fermés, retenant son souffle alors qu'une voix masculine résonnait à son oreille.

« Allo ? Vous êtes là ? Vous m'entendez ? Vous avez besoin d'aide ? »

Elle déglutit.

« Oui. Oui je suis là, je... On est avec un mec qui vient de se faire tabasser dans la rue, il... saigne du nez et de la bouche, et il a mal au ventre, il a réussi à s'asseoir mais il arrive pas à se lever. »

Dire qu'elle avait géré des situations bien plus graves, soigné des plaies plus profondes... Pourtant, dans cette situation, Caitlyn se sentait démunie et particulièrement inutile. Privée de sa baguette, en proie à ses sens, elle perdait ses moyens et ne parvenait que difficilement à garder la face. Il fallait qu'elle se ressaisisse.

« Où vous situez-vous ?
- Brixton.
- Ok, bougez pas, on arrive. »

Elle hôcha la tête, puis raccrocha et glissa le téléphone dans sa poche.

« Ils arrivent. »

Répéta-t-elle. Elle resta quelques secondes ainsi, comme figée, rassemblant son courage, reprenant le contrôle. Faisant abstraction de l'odeur enivrante du sang qui saturait ses récepteurs olfactifs, se focalisant sur son coeur qui se contractait à intervalles réguliers, son souffle tanquille.

« Je m'attendais pas à te recroiser ici. »

Julian aurait pensé être la seule à se sentir mal à l’aise suite à cette rencontre inattendue. Elle n’avait pas de Caitlyn l’image d’une jeune femme qui se laissait facilement envahir par ses émotions, sans doute à tort, mais pire elle ne pensait pas une seule seconde que la revoir pouvait agiter quoi que ce soit en elle. Pourtant, elle était bien placée pour savoir que parfois, il n’y avait pas besoin de croiser quelqu’un de très proche pour que le passé ressurgisse. Eux, les anciens de Poudlard, seraient toujours liés d’une façon ou d’une autre et ne pourraient pas se croiser comme si tout cela n’était rien. Pourtant, il y avait entre ces deux demoiselles qui ne s’étaient que peu parlé pendant leur scolarité, un autre lien qui pouvait aussi amener un grand trouble. Mais tout ça, Julian n’avait été capable de l’envisager que de son point de vue à elle. Elle remarqua cependant rapidement que Caitlyn agissait de manière étrange. Elle avait pourtant dégainé son téléphone comme l’ancienne rousse le lui avait conseillé pour joindre les secours mais pour le reste… La jeune femme semblait ailleurs. Le regard de Julian était éternellement attiré par elle, elle dû donc se faire violence pour se concentrer au moins quelques secondes sur la personne qui avait occasionné cette rencontre inattendue.

« Ok… T’en fais pas, c’est pas le plus important pour l’instant. T’as pas de difficultés pour respirer assis comme ça ? Non. Ok alors on reste comme ça et on attend tranquillement. Moi, c’est Ju’. »

C’était sans doute idiot mais elle ne s’était pas sentie capable de donner son prénom en entier, comme si cela avait la moindre importance. Mais elle ne pouvait pas non plus laisser ce pauvre gars sans aucun signe de sympathie alors qu’il venait de se faire passer à tabac. D’autant que son ancienne camarade, bien qu’ayant rempli sa mission de contacter les secours comme il le fallait, ne semblait pas non plus disposée à jouer la gentille infirmière. Julian en était presque surprise à vrai dire, encore une fois, elle avait conservé de Caitlyn une image de sauveuse à tout vent mais les gens changent et sans doute n’avait-elle pas tous les éléments en main. Toujours était-il que son ancienne camarade de classe se contenta de déclarer machinalement que les secours arrivaient. Il y avait quelque chose dans son regard que Julian n’était pas certaine de comprendre mais en tout cas, il y avait un trouble, ça, elle n’avait aucun doute dessus. La voix de l’ancienne Serdaigle se fit cependant de nouveau entendre et cette fois, Julian ne put retenir un rire sec.

« J’aurais pas dit mieux. »

Le jeune homme qui venait de se faire passer à tabac regarda alors alternativement les deux jeunes femmes.

« Mais… Vous vous connaissez ?

- On était au lycée ensemble, le monde est petit. »

Julian avait répondu du tac au tac, heureusement, passer du temps dans le monde moldu lui avait donné quelques réflexes notamment sur la manière dont il fallait parler de ses années de scolarité. Le jeune homme semblait en tout cas satisfait de cette réponse et marmonna quelque chose au sujet du côté amusant des circonstances mais Julian devait bien admettre qu’elle ne l’écoutait qu’à moitié. Bien sûr, elle gardait un œil sur lui et notamment sur le rythme régulier auquel se soulevait sa poitrine, pour le reste… Julian avait beau vouloir fuir, ressentir une certaine terreur face à ce qui se profilait devant elle, elle n’arrivait pas à décrocher son regard de Caitlyn. Encore et encore elle ne pensait qu’à une chose, elle ne se souvenait que d’une chose : le lien que la jeune femme entretenait à l’époque de Poudlard avec Jeroen. Et cette simple information, prenait toute la place dans son esprit, descendait le long de sa gorge et lui enserrait ensuite la poitrine avec une puissance insoupçonnée.

« Et tu fais quoi depuis… Depuis qu’on a quitté le lycée ? »

La gorge de Julian devenait râpeuse et, aussi ignoble que cela puisse paraître, elle avait juste envie que le pauvre malheureux disparaisse. C’était con mais sa présence rendait la conversation complexe et en même temps, s’il n’avait pas été là, Julian aurait-elle osé poser des questions plus frontales ? Elle n’en était pas certaine mais, mauvaise foi oblige, en cet instant, le jeune homme était le réceptacle de sa frustration. D’autant que ce dernier, ressentant sans doute le besoin de se concentrer sur autre chose que sur ses côtes douloureuses, se montrait plus qu’intéressé par l’échange entre les deux jeunes femmes. Une histoire plus légère à raconter que son agression sans doute.

Non, Caitlyn n'était pas dans une bonne disposition pour jouer la gentille infirmière comme ça avait si souvent été le cas par le passé. Assaillie tantôt par ses sens tantôt par ses souvenirs, elle luttait pour garder la face et assurer le strict minimum qu'exigeait la situation. Veiller le blessé, appeler les secours. Elle sentait sur elle le regard de Julian, devinait ses sourcils froncés, son incompréhension à la voir si inadéquate, gauche, et surtout si différente. Pas qu'elles ne connaissaient très bien, mais tout de même un mininum.

« On était au lycée ensemble, le monde est petit.
- Oui, en Ecosse. Faut croire que tous les chemins mènent à... Londres. »

Tentative d'humour. Ni l'une ni l'autre n'avaient l'air ni l'accent Ecossais, mais le jeune émo ne releva pas, se contentant de faire une remarque bateau pour conclure, comprenant qu'il était la troisième roue du char, voué à tenir la chandelle. Ne comptant pas se retirer de la discussion pour autant, ne le pouvant pas de toute façon, mais ne cachant pas son intérêt.

« Et tu fais quoi depuis… Depuis qu’on a quitté le lycée ?
- Heu, bah, rien de très spécial, j'essaye de trouver ma place dans le monde des adultes... Et toi ? »

En réalité, malgré le malaise qu'elle ressentait et laissait transparaitre malgré elle, Caitlyn n'aurait rien contre l'idée de rattrapper le temps perdu avec Julian, ça lui aurait même fait plaisir à vrai dire. Tout comme elle n'aurait pas éprouvé autant de difficultés à soigner les blessures de l'inconnu qui s'était fait tabasser devant elle, en d'autres circonstances. Mais les deux ensemble, c'était trop lui demander, trop d'émotions, elle ne savait pas sur quel pied danser et en perdait ses moyens.

Au point qu'elle fut particulièrement soulagée d'entendre au loin la sirène de l'ambulance, se gardant bien d'en montrer quoi que ce soit jusqu'à ce que Julian la perçoive à son tour. Elle la laissa rassurer le blessé de l'arrivée imminente des secours, son coeur se serrant alors qu'elle réalisait à quel point elle avait échoué, le soulagement se muant en déception puis dégoût. La Pleine Lune avait beau être passée, elle se sentait aussi lunatique que dans les jours qui la précédaient. À moins que ce ne soit en lien avec d'autres hormones.

« Madame, on aurait besoin... est-ce que ça va ?
- Oui oui.
- On aurait besoin de votre témoignage. »

Elle acquiesça, retenant un soupir. Bras croisés, elle raconta brièvement sa version des faits, répondit à leurs questions, puis détourna le regard à défaut de ne pouvoir détourner l'attention alors que les officiers de police passaient à Julian. Quand enfin elles eurent le droit de quitter la scène du crime, elle s'assura que son ainée lui emboitait le pas, consciente qu'elle aurait eu beaucoup de mal à s'empêcher de suivre la trace des agresseurs si ça n'avait pas été le cas, et s'en alla sans demander son reste.

« Désolée, j'ai pas trop géré. J'crois que j'étais pas prête. Merci d'être restée. »

Il y avait quelque chose de particulièrement cocasse dans la situation et, à vrai dire, une part de Julian avait même envie d’en rire. Si on prenait un peu de distance et qu’on observait la scène de l’extérieur, il y avait quelque chose de tout à fait singulier à voir ces deux jeunes femmes tenter de dominer leurs émotions et surtout, de nouer une conversation alors même qu’elles avaient conscience l’une comme l’autre de tout ce qui ne pouvait pas se dire. Exactement la même chose que lorsque l’on se répète de ne surtout pas penser à un éléphant et, qu’indéniablement, le pachyderme se dessine sous nos yeux. Oui, une part de l’ancienne Serpentard avait envie d’exploser de rire, de jouer du comique de la situation, preuve sans doute que la jeune femme qu’elle avait été n’était pas complètement morte et continuait à se débattre dans un coin de son esprit. Mais cette dernière n’était pas encore assez forte pour prendre le premier plan et Julian se contenta, comme Caitlyn, de se démêler avec tout ça. Bien sûr, le pauvre jeune homme qui venait de se faire tabasser était curieux d’autant que s’intéresser à l’histoire commune de ses deux aidantes devaient lui permettre de se concentrer sur autre chose que ses blessures et sa douleur. Simplement la curiosité parfois… C’est relou ! Julian afficha un mince sourire quand Caitlyn évoqua le fait que leur lycée se trouvait en écosse. Elle l’anglaise pure souche, même en revenant d’un an au Canada, ne pouvait cacher ses accentuations britanniques mais après tout, la haute société anglaise dont elle faisait partie, bien que du côté sorcier, avait cette fâcheuse tendance à envoyer ses gosses étudier un peu partout alors pourquoi pas. Un vieux pensionnat écossais aux règles strictes, c’était à peu près ça. En tout cas, il n’était pas simple de jongler avec la vérité et la question de Julian n’était au final pas tant un cadeau que ça. La réponse de Caitlyn était en l’occurrence bien trouvée.

« Je crois qu’on en est tous là… A chercher notre place. »

Il y avait une pointe de cynisme dans la réponse de Julian qu’elle n’était pas pu dissimuler et qui n’avait rien d’agressif en soit. C’était juste, ce goût un peu étrange et amer qu’elle ressentait au fond de sa gorge chaque fois qu’elle croisait un ancien de Poudlard et que son constat était globalement le même : ils galéraient, tous. Alors certes, certains étaient plus apaisés, plus avancés dans leur cheminement personnel mais quelle qu’ait pu être leur positionnement au cours de leur scolarité, tous nageaient désormais avec un sacré poids sur les épaules.
Heureusement pour tout le monde, parce que la situation risquait vite de devenir malaisante, les sirènes de secours finirent par se faire entendre. Julian adressa quelques mots au jeune homme toujours assis à même le sol et bientôt des ambulanciers prirent le relai. Ils étaient accompagnés de policiers qui visiblement avaient quelques question à poser. Leur présence crispa d’abord Julian mais bien vite elle réalisa qu’ils n’avaient rien à voir avec les autorités magiques qu’elle s’appliquait à fuir depuis son retour. Elle donna donc son témoignage de manière aussi fidèle que possible mais n’en fut pas moins soulagée de les voir débarrasser le plancher. Bientôt, un étrange calme s’installa dans la rue, contrastant nettement avec l’agitation qui y avait régné quelques minutes auparavant. Ca avait quelque chose d’apaisant et Julian poussa un long soupir. Instinctivement et sans trop savoir où elle allait, Julian avait emboîté le pas à Caitlyn dont la voix vint combler le bref silence qui s’était installé. Dans un geste désinvolte, l’ancienne Serpentarde haussa les épaules.

« J’étais pas spécialement à l’aise non plus, on fait ce qu’on peut. »

Julian fit quelques grands pas pour venir au niveau de Caitlyn, ses mains glissées dans ses poches. Une part d’elle aspirait au calme après toute cette agitation et n’avait qu’une envie : aller s’enfermer dans la chambre de son appartement et n’adresser la parole à personne pour quelques heures. Cependant, une autre partie, elle, ne pouvait laisser filer aussi finalement son ancienne camarade de classe. Elle n’était pas dupe, elle savait parfaitement ce qui la poussait à agir de la sorte mais n’avait pas réellement la volonté de résister à cette force, aussi mal placée pouvait-elle être.

« Mais c’est vrai qu’on t’a connue plus… Chevaleresque. N’y voit aucune offense ou jugement, je crois qu’on a tous pas mal changé et c’est pas forcément une mauvaise chose. »

Julian n’avait aucune intention d’être blessante bien qu’elle ait conscience de l’absence de douceur de ses propos. C’était sans doute ce fantôme entre elles qui l’empêchait d’être parfaitement bienveillante et de retenir mieux ses paroles.

« Alors maintenant qu’il n’y a plus d’oreilles moldues indiscrètes, tu deviens quoi ? »

Oui, une partie d’elle aurait voulu suivre la trace olfactive des agresseurs. Les retrouver, sans clair objectif autre que celui-ci à ce stade, mais consciente que ses intentions se préciseraient une fois à proximité. Guidées probablement non pas par l’envie de vengeance ou de riposte, mais plus par celle de comprendre, d’exposer le fond de leur pensée si tant était qu’il y en avait un, ou simplement de provoquer, de les confronter à l’injustice, la gratuité, et la fausseté de leurs actes… Aurait-elle osé ? Aurait-elle su se retenir ? La présence de Julian à ses côtés, aussi perturbante fut-elle quand il avait fallu s'occuper du blessé, s'avérait finalement très précieuse.

« J’étais pas spécialement à l’aise non plus, on fait ce qu’on peut. »

Elle hocha la tête, se répétant les mots de l’ancienne Slytherin pour essayer d’y croire, ou ne serait-ce que les entendre, en vain, l'esprit complètement ailleurs. Combien de fois les avait-elle prononcés, quand leurs amis communs doutaient, flanchaient, s'en voulaient de n'avoir pas agi comme ils auraient voulu ou dû ? L'image de Alec et de Jeroen ne la quittait pas depuis que l'odeur de Julian avait imprégné ses narines. Alec dont elle n'avait à nouveau plus de nouvelles depuis plusieurs semaines, Jeroen qui était resté planqué pendant des mois après avoir coupé les ponts. Oui, chacun faisait ce qu'il pouvait.

« Mais c’est vrai qu’on t’a connue plus… Chevaleresque. N’y voit aucune offense ou jugement, je crois qu’on a tous pas mal changé et c’est pas forcément une mauvaise chose. »

Elle eut un sourire amusé. Elle aurait pu prendre ces paroles comme une critique, sans doute l'étaient-elles, mais si Julian était incapable de faire preuve de plus de tact, Caitlyn n'arrivait de toute façon pas à y accorder réellement d'importance.

« Alors maintenant qu’il n’y a plus d’oreilles moldues indiscrètes, tu deviens quoi ? »

Malgré leurs pensées acaparées par les souvenirs, l'ainée tentait encore et toujours de rester dans le présent. Et Caitlyn ne savait pas quoi répondre. Depuis quand Julian s'intéressait-elle à la vie de sa cadette ? Sans doute depuis qu'elle-même avait changé, son aveu à mi-mots futile face à l'évidence qui sautait aux yeux de quiconque l'avait connue à Poudlard. Mais quand bien même la curiosité de Caitlyn ne manquait pas à l'appel, ce fantôme entre elles ne lui laissait le loisir de la satisfaire. Alors, n'y tenant plus, elle lâcha.

« Jeroen m'a écrit, ya genre deux semaines. »

Elle savait que c'était violent comme entrée en matière, qu'elle aurait sûrement dû amener le sujet autrement, mais elle était incapable de tourner autour du pot. Pas quand sentait que Julian rêvait d'en arriver à ce sujet.

« Il va bien. Je crois qu'on lui manque. »

Les doigts fébriles mais assurés, elle ouvrit la boite mail sur son téléphone, retrouvant les messages de son ami.

« Il m'a demandé de tes nouvelles. »

On parle souvent, de ces moments où le temps se suspend, où le monde semble arrêter de tourner. C’est un poncif, un truc martelé encore et encore pour donner plus d’intensité dramatique à n’importe quel moment de l’existence, un peu au-dessus de la normal. Julian n’était pas une grande adepte de la dramaturgie et tout cela lui semblait bien souvent surfait. Pour elle, les émotions du monde réel n’avaient rien à voir avec cette pseudo représentation. Pourtant, le monde autour d’elle n’avait eu besoin que de quelques secondes, que de quelques mots pour vaciller. Au début, elle était là, avec Caitlyn, à marcher dans les rues de la ville redevenues soudainement calmes après ce qu’elles venaient de voir. Elle faisait preuve de son manque de douceur caractéristique mais ne montrait aucune animosité envers celle qui au fond, n’avait jamais été son amie. Une concurrence non avouée entre elles ? Peut-être que Julian avait pu ressentir cela, ça n’aurait d’ailleurs rien de surprenant quand on savait la taille de son besoin de reconnaissance à l’époque. Mais qu’importe, il y avait une légère tension entre les deux jeunes femmes mais pas d’animosité non, une tension liée aux non-dits et au passé commun qui les unissaient. Simplement. Et puis, en quelques secondes, en quelques mots tout avait basculé. Julian avait senti son cœur rater un battement, au sens propre, si bien qu’elle avait dû s’arrêter de marcher. Sa tête s’était mise à tourner et une violente envie de vomie s’était emparée d’elle. Son visage était devenu blanc, livide, faisant passer son teint habituel pour une note légèrement hâlée. Ses yeux ne pouvaient quitter Cailtyn. Sa bouche d’abord d’où venaient de sortir des mots si violents puis ses mains qui cherchaient son téléphone et, sans doute des messages.

« Non. »

Un mot lâché dans un souffle, un simple murmure qui n’avait pas vraiment de destinataire. Après son raté, le cœur de Julian s’était soudainement mis à battre beaucoup plus vite, beaucoup trop vite. Elle pouvait sentir ses muscles se crisper alors que l’information essayait toujours d’atteindre son cerveau. Les émotions étaient contradictoires mais toutes aussi violentes. Caitlyn avait des nouvelles. C’était une éventualité qu’elle avait envisagée et qui l’avait poussée à suivre la jeune femme mais le fait que ça devienne réel, c’était bien différent. Puis, il y avait une colère, une jalousie sourde. Elles lui manquaient ? Non. Il n’avait pas le droit. Julian voulait être la seule qui lui manquait, cette envie hurlait au fond d’elle aussi injuste était-elle. Et puis, il y avait les mains de Caitlyn sur son téléphone et les messages qu’elle cherchait sans doute. Messages qui terrorisaient Julian. Parce que si elle les voyait, alors tout serait définitivement réel. Alors ce silence si long entre Jeroen et elle deviendrait absurde. Alors elle n’était pas certaine de tenir encore debout. Dans un geste un peu vif, Julian s’approcha de Caitlyn et posa sa main sur son téléphone, son regard planté dans le sien.

« Arrête. »

La colère faisait trembler les traits de son visage. Pourtant Caitlyn n’y était pour rien, pourtant elle ne faisait qu’apporter les nouvelles qu’elle avait tant espéré. Jeroen était vivant. Jeroen ne l’avait pas oubliée. Mais alors quel était le sens de tout ça. Julian resta quelques secondes le regard planté dans celui de Caitlyn, la main toujours posé sur son téléphone, le lui en interdisant l’accès. Puis, aussi brusquement qu’elle s’était rapprochée, Julian s’éloigna de sa camarade de deux grands pas.

« Tant mieux pour vous si vous vous parlez. Et tant mieux s’il va bien. »

Julian avait participé sciemment au silence entre elle et Jeroen. Il y avait d’abord eu la nécessité liée à la situation, leur sécurité à tous les deux puis sa fuite à elle, son besoin irrépressible de disparaître pour mieux respirer. Et maintenant ? Maintenant elle savait qu’elle l’aimait toujours, qu’elle l’aimerait toujours mais soudain, cette envie de hurler, de le détester, de l’accabler pour tout… Julian se détourna alors de Caitlyn et se remit à marcher.

« T’auras qu’à lui dire que j’ai changé de couleur de cheveux. »

C’était aussi petit que futile. Aussi acerbe que mesquin. Julian avait honte de sa propre réaction, se détestait pour ça mais il était là, cet acide qui lui brûlait l’intérieur de l’estomac et de l’œsophage et elle n’arrivait pas à le faire disparaître alors elle tentait de le faire sortir comme si en asperger les autres pouvait la soulager d’une quelconque façon que ce soit.

Caitlyn n'aurait jamais imaginé qu'elle puisse susciter de la rivalité chez Julian. Chez qui que ce soit d'autre non plus, en réalité, mais en particulier pas Julian. Julian et son assurance, son aplomb, ne reculant devant rien ni personne. Julian et son audace, son culot, son caractère bien trempé, son brin de folie. Julian la farceuse, Julian la téméraire, Julian la rebelle. Quant à Jeroen, sa dévotion était telle, son amitié avec Caitlyn si dépourvue d'ambiguité, qu'il ne pouvait rester aucune place pour le doute et encore moins la jalousie. Alors non, Caitlyn n'avait jamais envisagé qu'il puisse y avoir une quelconque concurrence entre elles. À vrai dire, quand bien même deux de ses plus proches amis étaient aussi ceux de l'ancienne rousse, elles ne s'étaient jamais vraiment côtoyées, et si Caitlyn avait l'impression de bien connaître Julian, à force de la voir, ne serait-ce que de la savoir, en leur compagnie, ou même juste en l'apercevant dans les couloirs, il ne lui avait jamais semblé que son intérêt puisse être réciproque et avait toujours fait en sorte de retrouver les deux jeunes hommes à l'abri des regards.

Entre ça et son propre malaise, Caitlyn avait mis plusieurs secondes à réaliser ce qui était en train de se passer. Concentrée pour ne pas perdre sa contenance, elle avait entendu le coeur de Julian manquer un battement puis s'emballer, senti sa peau chauffer, vu sa mâchoire se crisper, mais c'était comme si les signaux n'atteignaient pas son esprit, trop occupé à garder le cap de ses pensées. Son refus, lâché dans un souffle, un simple murmure, s'était noyé dans la vague d'autres perceptions qui avaient submergé ses sens déjà saturés. Ce ne fut qu'en relevant la tête vers elle, prête à lui montrer le dernier e-mail de Jeroen, que la violence de ses émotions la frappa autant que l'évidence. Beaucoup trop tard, donc, pour les apaiser, ou ne serait-ce que les esquiver, déjà Julian venait à son contact, recouvrant l'écran de son téléphone d'un geste brusque, plantant des yeux féroces dans les siens.

« Arrête. »

Sa voix claqua dans l'air, son corps entier tremblait, fulminait, et Caitlyn sentit ses traits se durcir, son visage se fermer, par réflexe, presque malgré elle. Elle la voyait, la terreur dans son regard, derrière la rage, savait au fond d'elle-même qu'elle pouvait, devait, la comprendre, mais le refus de se faire agresser primait. Elle ne comptait pas se laisser traiter de la sorte gratuitement sans broncher. Un instinct de préservation, une volonté farouche de défendre son intégrité, physique mais pas seulement, une sorte de fierté, la poussant à retirer son téléphone de sous son joug avec hargne, à soutenir son regard avec force. Une partie d'elle aurait pu partir au quart de tour, une autre aurait pu lui offrir son aide ; tiraillée, elle resta immobile, retenant un grondement mauvais, résistant pour ne pas lui tendre une main. Jusqu'à ce que Julian ne s'éloigne d'un coup, comme effrayée par la proximité entre elles.

« Tant mieux pour vous si vous vous parlez. Et tant mieux s’il va bien. »

Toujours sans bouger, Caitlyn plissa les paupières, sans quitter son ainée des yeux, l'observant alors que celle-ci semblait également partagée, déchirée, ne parvenant ni ne cherchant manifestement pas à cacher son ressentiment, pas moins sincère pour autant, à contre-coeur. Et alors que sa propre colère s'estompait, l'ancienne Ravenclaw commençait à comprendre ce qui se passait. À entrevoir les contours d'une blessure si profonde et si douloureuse que la peine s'était transformée en haine, la déception en culpabilité. Elle s'était fait avoir par son air détaché, son apparente stabilité, et l'impression qu'elle était non seulement prête à parler de son ex mais que c'était la raison pour laquelle elle lui avait emboîté le pas. Mais aussi soudainement qu'elle l'avait confrontée, Julian prenait la fuite, s'éloignant d'un pas vif.

« T’auras qu’à lui dire que j’ai changé de couleur de cheveux. »

Une fois de plus, Caitlyn avait un temps de retard, comme sonnée. Elle fronça les sourcils alors que le dédain de Julian la prenait aux tripes, déglutit. Elle ne pouvait pas la laisser partir ainsi.

« Julian ! Attends. »

Au pas de course, elle la rattrappa, s'aventura à poser une main sur son épaule quand bien même elle savait qu'elle-même n'aurait pas apprécié qu'on la touche. L'enleva aussitôt, donc. Les yeux à nouveau pris en otage par ceux de l'ancienne rousse, elle ouvrit la bouche pour parler, bloqua, ne sachant pas par où commencer... puis se lança.

« Je savais pas... Enfin, je pensais pas... Argh. Je suis désolée, voulais pas te faire du mal. »

Une partie d'elle estimait qu'elle n'avait pas à s'excuser, mais elle se força à mettre son orgueil de côté. Quand bien même elle n'était pas responsable de la souffrance de sa camarade et qu'elle en avait fait les frais de façon injustifiée, elle en avait été le déclencheur et devait désormais faire preuve d'humilité si elle voulait désamorcer les choses.

« C'est vrai qu'on m'a connue plus chevaleresque. »

Tentative d'humour. Mais si Caitlyn avait perdu en tact, son empathie ne l'avait pas quittée, et sa curiosité non plus.

« Qu'est ce qui s'est passé au juste ? Pourquoi t'as changé de couleur de cheveux ? »

Après tout, c'était souvent sa curiosité qui lui avait permis de venir en aide à ceux qui n'en menaient pas large.

A cet instant, Julian aurait tout donné pour ne pas avoir pris cette rue ce matin-là, pour ne pas avoir croisé Caitlyn et pour ne pas s’être retrouvée dans cette situation qui, en plus de faire naître en elle une multitude de sentiments contradictoires, titillait sa fierté. Oui, son orgueil était blessé par ses propres réactions, par le visage qu’elle offrait à son ancienne camarade de classe. Elle se montrait rarement autant à nue, toujours dans le contrôle, Julian détestait se faire déborder par ses émotions et encore plus en public. Alors, oui, à ce moment précis, cette situation la rendait folle et elle aurait aimé ne pas à avoir eu à la vivre. Pourtant, il était certain que ce sentiment ne durerait pas. Il était certain qu’au fond d’elle, Julian serait heureuse d’avoir pu avoir des nouvelles, aussi indirectes soient-elles de Jeroen. De se dire qu’il était là quelque part et que, peut-être, parfois, ils pensaient en même temps l’un à l’autre. Cette idée ferait alors naître une terrible chaleur en elle qui la soulagerait de toute cette colère. Mais pour ça il fallait une respiration, un temps de recul qui ne s’était pas encore présenté.

Alors Julian marchait, d’un pas vif, sans savoir vers où ni vers quoi, n’ayant conscience que de ce qu’elle essayait de mettre derrière elle. Elle entendit la voix de Caitlyn, lui intimant de l’attendre. Pourtant, une connexion refusa de se faire et les pas de Julian ne s’arrêtèrent que lorsqu’elle sentit une main sur son épaule. Ce geste aurait pu la faire vriller pourtant, la jeune femme conserva un minimum d’objectivité. Caitlyn ne faisait rien d’autre que la forcer à ne pas fuir. Alors Julian s’arrêta et se tourna vers elle, ne parvenait sans doute pas à cacher la colère encore vibrante dans ses yeux.

« Je savais pas... Enfin, je pensais pas... Argh. Je suis désolée, voulais pas te faire du mal. »

Julian se concentra de toutes ses forces pour ne pas laisser le rire cynique qui se pointait dans sa gorge s’exprimait. Respirer, ravaler cette rage qui n’était certainement pas destinée à Caitlyn. Avoir un minimum conscience des émotions des autres. Ju’ resta silencieuse non parce qu’elle n’avait rien à dire mais parce qu’elle craignait d’être dépassée par sa propre réponse. Qu’elle soit trop acide, trop mesquine. Respirer. D’autant que son ancienne camarade faisait de on mieux pour apaiser la situation, tentant même une pointe d’humour et d’autodérision. Un bon point. Julian continuait de se concentrer sur sa respiration, apaisant la tension dans ses épaules. Caitlyn elle reprenait déjà la parole, visiblement bien décidée à ne pas laisser la situation comme ça. Julian lâcha alors un long soupir.

« T’es peut-être moins chevaleresque en apparence mais visiblement tu ne changes pas, toujours le besoin d’aider les autres, même quand ils t’envoient chier. »

Il n’y avait une nouvelle fois rien de méchant dans la remarque de Julian. Une simple constatation. Elle comprenait bien pourquoi Caitlyn et Jeroen étaient autant amis et pourquoi elle, à l’inverse, semblait si loin d’eux. Il n’y avait pas de jugement dans ce constat, tous ne pouvaient pas être faits du même bois. Par exemple, Julian avait dû se retenir pour ne pas lui retourner sa question, pour ne pas lui demander d’un ton sec et cassant ce qu’il lui était arrivé à elle. Mais ça, elle faisait très bien avec, jamais elle ne serait une bonne samaritaine.

« J’ai pas très envie de parler de ça. Je peux juste te dire que Jeroen et moi, on ne s’est pas séparés parce qu’on l’avait choisi. »

Non, rien de tout ça n’avait été un vrai choix et c’était pour cela que c’était toujours aussi douloureux, aussi à vif. Parce que malgré ses efforts, Julian n’arrivait pas à accepter. Bien sûr qu’au fond elle comprenait ce qui les avait menés là, pourquoi ils n’avaient pas eu le choix. De là à l’accepter, de là à arrêter d’en vouloir à la terre entière parce que les événements avaient pris cette tournure… Non, elle n’était pas prête à sauter ce pas.

« Je suis comme les autres, comme toi, je suis sortie cabossée de Poudlard et y’a rien qu’on puisse faire contre ça. »

Julian haussa alors les épaules dans un signe de fatalisme. Non vraiment, ils ne pouvaient échapper aux blessures que cette école leur avait infligés tous autant qu’ils étaient. Chacun avait trouvé sa façon d’y survivre, ou pas.

« Je connais pas le quartier mais tu veux qu’on aille boire un café histoire de discuter cinq minutes ? »

Julian, tu progresses.

« T’es peut-être moins chevaleresque en apparence mais visiblement tu ne changes pas, toujours le besoin d’aider les autres, même quand ils t’envoient chier. »

Encore dans l'auto-dérision, Caitlyn n'en garda pas moins son sérieux, lâchant un simple souffle du nez. Percevant la critique, elle sentait que Julian ne le pensait pas comme un reproche, quand bien même il y aurait eu de quoi. C'était vrai, si elle voyait que quelqu'un avait besoin d'aide, il fallait bien plus qu'un refus pour la convaincre du contraire. Mais elle savait aussi que l'aide n'était pas toujours facile à accepter, en particularité de la part d'un parfait inconnu, et souvent encore plus de la part d'un proche. Après tout, ce n'était pas seulement leur formation qui faisait que c'était plus facile de se confier à un psy.

« J’ai pas très envie de parler de ça. Je peux juste te dire que Jeroen et moi, on ne s’est pas séparés parce qu’on l’avait choisi. »

Ses yeux bleus happés par ceux de l'ancienne rousse, elle s'y perdit l'espace d'un instant. Assez pour que sa détresse l'étreigne, lui pince le coeur, et elle hocha la tête, sans fuir son regard, attendant que Julian ne le détourne elle-même si elle le souhaitait. C'était la moindre des choses qu'elle pouvait et qu'elle devait faire en cet instant : la regarder en face, dans les yeux, ne pas reculer devant la souffrance qu'ils contenaient. Tout en se gardant bien de montrer de signes de compassion.

« Je comprends. »

Si tu savais comme je comprends.

« Je suis comme les autres, comme toi, je suis sortie cabossée de Poudlard et y’a rien qu’on puisse faire contre ça. »

Léger sourire, sans cacher son amusement cette fois. Elle savait. Bien sûr, qu'elle savait. Parce qu'ils étaient tous dans le même état, autant qu'ils étaient. Avaient tous vécu la même chose, et si chacun s'en acquittait différemment, tous savaient que l'autre comprenait. Où seraient-ils si Poudlard n'avait pas été la cible et la scène de ces crimes ? Si leur monde n'avait pas été en guerre, que leurs seuls soucis avaient été les devoirs et les contrôles ? Quels couples auraient vu le jour, quels couples auraient perduré ?

« Je connais pas le quartier mais tu veux qu’on aille boire un café histoire de discuter cinq minutes ? »

Presque surprise par cette soudaine proposition, Caitlyn sentit ses muscles se relâcher, son corps entier se détendre, son sourire s'élargir. Passer à autre chose. Repartir sur de bonnes bases.

« Avec plaisir. J'ai emménagé dans le coin il y a quelques semaines, il serait temps que je découvre quelques bonnes adresses. »

Et quelques temps plus tard, assises au chaud dans un salon de thé, attendant leur commande, elle relança.

« Bon, tu voulais savoir ce que je deviens. Eh bien, je travaille dans une "pharmacie", je viens de me mettre en couple avec mon patron qui n'est autre que Takuma, d'ailleurs tu es la première à l'apprendre de ma part si on oublie Enzo qui savait déjà, et je viens d'emménager à quelques pâtés de maison d'ici mais je radote ! Et toi, que faisais-tu dans ce quartier que tu ne connais pas ? »

Cette invitation lancée à Caitlyn était définitivement le signe qu’elle ne pouvait passer complètement à côté du fait que la jeune femme était en contact avec Jeroen. Elle n’était pas certaine de trouver la force de la questionner tout de suite sur lui, de réussir à écouter ce qu’elle aurait à lui dire sur la vie que celui qu’elle aimait encore de toute ses forces était en train de mener loin d’elle. Mais elle ne pouvait pas non plus la laisser filer aussi facilement même si leur conversation en venait à porter sur tout autre chose. Parce qu’il y avait ce lien, qu’il y aurait toujours ce lien. Même si elles n’avaient d’apparence rien en commun et si ce n’était pas pour rien si elles n’avaient jamais été réellement amies avant ça. Peut-être aussi était-ce l’opportunité pour Julian de recommencer réellement à zéro, en ne campant pas sur ses vieilles opinions à propos de ses anciennes connaissances, en cherchant à aller plus loin. Redonner une chance comme elle aimerait au fond que certains face avec elle. Un café, une conversation, ça ne pouvait pas lui coûter grand-chose. Elle fut presque surprise cependant de la facilité avec laquelle Caitlyn accepta son invitation. L’ancienne rousse lui adressa un signe de tête et les deux jeunes femmes se mirent donc en quête d’un endroit où discuter au calme.

Finalement, elles optèrent pour un salon de thé. Après quelques hésitations, Julian opta pour un thé anglais classique avec lait et citron. Une manière peut-être de se réconforter en retrouvant une vieille coutume qu’elle oubliait parfois, happée par l’odeur savoureuse du café. Alors qu’elle attendait que sa précieuse tasse arrive, Caitlyn relança la conversation là où elles l’avaient laissée. Julian fut ravie de ne pas avoir encore eu sa tasse en main à ce moment là sinon elle aurait bien pu tout renverser. Takuma ? Sérieusement ?

« N’y vois aucun jugement de valeur mais vraiment j’aurais jamais imagine que toi et Takuma vous puissiez finir ensemble. Mais écoute c’est cool, contente pour vous. »

Il n’y avait aucune ironie et aucun jugement dans les paroles de Julian, elle était sincèrement surprise. Takuma pour elle c’était un zébulon, un mec incapable de tenir en place, gravitant dans l’entourage d’Alec qu’elle connaissait de loin. Aucun doute sur le fait que c’était aussi un mec bien et capable de sérieux puisque c’était lui qui l’avait aidée à se débarrasser de ceux qui voulaient contrôler son identité après ses retrouvailles avec Alec. Mais vraiment, elle envisageait ces deux êtres comme appartenant à des galaxies si différentes… Comme quoi, le monde n’avait pas arrêté de tourner.

« Par contre que tu bosses dans le soin, ça, étrangement, ça m’étonne pas une seule seconde. »

Encore une fois, Julian avait lâché ces quelques mots avec une grande simplicité, elle ne faisait qu’énoncer une vérité, une évidence. Caitlyn ne pouvait bosser que dans deux secteurs à ses yeux : la justice et le soin. Le premier était légèrement compromis ces derniers temps, elle aurait pu faire un pari. Enfin bref. Julian leva les yeux alors qu’un serveur s’approchait de leur table et déposait leurs commandes. Elle prit le temps d’humer l’odeur subtile qui s’échappait de sa tasse et de mélanger le liquide avec une cuillère, plus par réflexe que par nécessité.

« Et sinon pour répondre à ta question j’étais dans le coin pour faire des courses… J’ai des envies de cuisine exotique et je cherchais des ingrédients pour des recettes. Je suis pas devenue une fée du logis je te rassure mais faut bien s’occuper et après tout, se faire à manger ça joint l’utile et l’agréable. »

Julian la parfaite petite ménagère. Même si le milieu dans lequel elle avait grandi aurait pu la mener dans cette voie, aucun doute sur le fait que la jeune femme avait toujours été assez éloignée de ce tableau, tenant à son indépendance mais surtout, au fait de faire ses propres choix. Pour Jeroen elle aurait pu se glisser dans un rôle différent, oh bien sûr elle n’aurait pas lâché sur le partage des tâches mais elle aurait pu aspirer à une vie plus normée. Au-delà de ça, c’était un avenir qu’elle n’avait jamais envisagé.

« Je bosse dans des bars et des restaus à droite et à gauche en tant que serveuse et le reste du temps j’essaye de me reconstituer une vie qui ressemble à quelque chose. A Poudlard je buvais des coups maintenant je les sers, comme quoi, on reste dans une certaine logique. »

Julian afficha un mince sourire avant de porter sa tasse à ses lèvres. Elle en avait organisé des soirées à Poudlard, elle en avait bu des verres malgré les interdictions et les contrôle. Elle avait profité de la seule façon qui lui paraissait à l’époque valoir le coup. Aujourd’hui, elle donnerait beaucoup pour un peu moins de fêtes et plus de temps avec ses proches mais ça, on s’en rendait souvent compte bien trop tard.

« Et Jeroen, il fait quoi de sa vie ? »

Juste comme ça…

Caitlyn oubliait souvent que Julian avait sympathisé avec leurs tortionnaires, pendant un temps. Ne se souvenait même pas vraiment quel avait été son rôle, ses missions, ne gardant d'elle que l'image d'un feu follet respirant et répandant la joie de vivre. Légèrement élitiste, certes, ne s'associant pas avec n'importe qui, mais pas méchante pour autant.

C'était à peine si elle avait accordé de l'importance à sa chute, ni réellement compris que son statut de Sang-pure avait été remis en question et sa vie entière retournée à l'envers. Sans doute parce qu'elle n'accordait de base que peu d'importance aux statuts de sang, pour qui que ce soit. Et puis, sa propre vie n'était pas tellement à l'endroit non plus à ce moment là.

Ce n'était donc pas la peur ou la haine qui les avaient tenues à distance l'une de l'autre à Poudlard, et ce n'était pas un quelconque ressentiment qui les empêcherait de se rapprocher aujourd'hui. Peut-être ne deviendraient-elles pas meilleures amies, peut-être ne continueraient-elles même pas à se voir, mais elles ne pouvaient nier que ça avait quelque chose d'agréable de se retrouver ainsi, de savoir que l'autre pouvait comprendre.

Agréable, mais pas facile pour autant. Ravivant des souvenirs douloureux, rouvrant des plaies encore pas totalement refermées. Pas pour rien que Caitlyn s'était retranchée en Norvège. Et Jeroen au Danemark, Enzo en Australie, Takuma au Japon...  Julian teinte en blonde ? Probablement. Chacun se protégeait comme il pouvait, avançait à son un rythme.

Tentant de repartir sur un sujets moins fâcheux que celui qui lui avait valu une réaction acerbe, elle ne s'attendait pas le moins du monde à la réaction de sa compagne.

« N’y vois aucun jugement de valeur mais vraiment j’aurais jamais imaginé que toi et Takuma vous puissiez finir ensemble. Mais écoute c’est cool, contente pour vous. »

En y réfléchissant, elle était surtout surprise de voir que Julian semblait le connaitre bien mieux qu'elle ne l'aurait cru. Avant de réaliser qu'ils étaient plus proches en terme d'âge et qu'ils avaient probablement plusieurs amis communs. Il n'empêche que ça avait quelque chose de perturbant, voire pire...

« Par contre, que tu bosses dans le soin, ça, étrangement, ça m’étonne pas une seule seconde. »

Cette fois, ce fut un sourire franchement amusé qui étira ses lèvres, profitant de l'occasion pour chasser l'ébauche d'un sentiment mal placé et indésirable. Julian se répétait, mais c'était plutôt touchant de voir que c'était ce trait de caractère-là qu'elle avait gardé en tête la concernant.

« Boh, j'vois pas qu'est ce qui te fait dire ça ! »

S'écartant légèrement pour laisser la place au serveur de déposer les tasses de thé, elle se demanda dans quelle branche elle aurait imaginé Julian et dût reconnaitre qu'elle la verrait bien dans un bar ou un café, justement. Ou bien dans la politique. Eventuellement l'humanitaire.

« Et sinon pour répondre à ta question j’étais dans le coin pour faire des courses… J’ai des envies de cuisine exotique et je cherchais des ingrédients pour des recettes. Je suis pas devenue une fée du logis je te rassure mais faut bien s’occuper et après tout, se faire à manger ça joint l'utile et l'agréable. »

En cela, elles étaient assez similaires, finalement. Pas une fée du logis, initialement par manque de moyens, maintenant surtout par manque de temps, dire qu'elle n'aimait pas cuisiner et surtout manger des plats faits maison aurait été mentir, mais elle appréciait surtout l'efficacité et par dessus tout l'efficience. Rapide et gouteux, le combo gagnant, sain si possible.

« Je bosse dans des bars et des restaus à droite et à gauche en tant que serveuse et le reste du temps j’essaye de me reconstituer une vie qui ressemble à quelque chose. A Poudlard je buvais des coups maintenant je les sers, comme quoi, on reste dans une certaine logique. »

Elle eut un rire.

« Effectivement, ça ne m'étonne pas ! Enfin, j'espère que ça te plait, mais c'est vrai que ça te va bien comme job. »

Rousse ou blonde, vive ou calme, Julian dégageait une aura parfaite pour participer à celle des lieux de boisson ou de restauration. Clairement, elle ne semblait pas heureuse, mais Caitlyn avait l'impression que travailler dans le service et la petite hotellerie lui apportait un certain plaisir.

« Et Jeroen, il fait quoi de sa vie ? »

De but en blanc, sans préambule, Caitlyn devait avouer qu'elle ne s'attendait pas à revenir sur le sujet de si tôt, mais ça n'en restait pas moins prévisible. Ou du moins, compréhensible. Elle haussa les épaules.

« À vrai dire, j'ai pas beaucoup de détails. Je sais juste qu'il a retrouvé sa famille, je crois qu'ils ont même emménagé tous ensemble, je pense qu'ils voulaient avoir un oeil sur lui... »

Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle pouvait dire ou non, n'était même pas réellement sûre d'avoir saisi la nature de leurs relations. Elle ne pensait pas se tromper en disant que son père et son frère étaient des hommes bien, droits et justes mais aimants, et que la plus forte punition avait été celle de sa propre culpabilité. Mais elle n'était pas bien sûre d'apprécier à quel point ils avaient pu se montrer sévères.

« Il a juste dit que son travail était assez prenant mais qu'il pensait souvent à nous. »

Comme si tout était normal… Les deux jeunes femmes papotaient comme deux anciennes camarades de classe s’étant simplement perdues de vue et réalisant que certaines choses étaient peut-être déjà écrites par le passé. Oui, au final l’une comme l’autre semblaient s’être destinées à des carrières prévisibles, suivant des chemins qu’elles avaient elles-mêmes amorcés sans peut-être réellement s’en rendre compte. Pourtant, Julian ne pouvait pas affirmer qu’elle se serait vu travailler dans des bars et des restaurants et pas seulement parce que l’idée de vivre dans le monde moldu aurait semblé tout simplement impossible à l’époque. Parce que malgré son envie de faire la fête elle avait eu de l’ambition à une époque. De grandes envies. Maintenant, elle n’était plus certaine que cette partie d’elle se ravive un jour. Était-ce grave ? Pas vraiment, Julian regardait cet aspect de son histoire avec un certain fatalisme, n’ayant pas réellement l’envie ou l’énergie de faire en sorte que ça change.

Elle pensait sans doute être capable de tourner aussi facilement d’autres pages mais certainement pas celle de Jeroen. Alors qu’elle avait montré une colère froide envers Caitlyn quelques minutes auparavant, elle réinterrogeait finalement la jeune femme sur son ancien amant. Son regard se perdit cependant à la surface de son thé alors qu’elle écoutait la réponse de la jeune femme. Une vie normale. Voilà le message qu’elle entendait derrière tout ça. Jeroen était de nouveau parmi les siens, accaparé par son travail, pensant à ses proches… Julian laissa les mots de Caitlyn flotter quelques secondes entre elle avant de soulever sa tasse, de boire une gorgée de thé puis enfin de tourner son regard vers les yeux de la demoiselle en face d’elle.

« En fait, ça fait quand même mal. »

Difficile de dire si ce commentaire était pour Caitlyn ou pour elle-même. Le constat n’en restait pas moins limpide. Elle était remplie de questions, elle avait envie de savoir, brûlait d’en demander d’avantage à Caitlyn. Elle voulait la harceler de questions et en même temps, chaque fois qu’elle répondait, chaque fois qu’elle évoquait le fait d’avoir encore des nouvelles de Jeroen mais aussi la vie que lui continuait à mener, Julian avait l’impression de recevoir un coup en plein cœur. Elle n’était pas prête à regarder cette histoire avec sérénité, la plaie était encore à vif. Tant qu’elle ne règlerait pas certaines choses avec elle-même, elle ne se refermerait sans doute jamais.

« J’ai envie de savoir et en même temps je crois que si je m’acharne à te poser des questions je risque de me remettre à hurler d’ici peu. Pas certaine que ce soit souhaitable. »

Un sourire en coin déforma alors le visage de Julian. Elle se trouvait en cet instant légèrement pathétique et n’appréciait pas trop ce qu’elle donnait à voir. Mais au moins, ces derniers mois d’errance lui avait appris une forme d’humilité : elle devait s’y faire, elle était loin d’être en pleine possession de toute sa superbe.

« Peut-être qu’à un moment j’aurais envie de te poser de nouveau des questions sans risquer de te sauter à la gorge. Si ça te dérange pas je prendrais bien ton numéro ou n’importe quel moyen de te joindre. Mais t’as bien sûr le droit de refuser, j’ai conscience d’abuser clairement et surtout, que tu ne me dois absolument rien. »

Julian détestait cette position. Être celle en demande, celle qui dépend du bon vouloir et de la générosité de quelqu’un d’autre. Caitlyn était une bien meilleure personne qu’elle et il y avait une probabilité qu’elle accepte sans même lui faire sentir sa position de quémandeuse mais ça ne changeait rien aux yeux de Julian. Ca égratignait sa fierté, aussi discrète qu’elle ait pu se faire ces derniers temps.

« Je crois pas avoir grand-chose à t’offrir en échange si ce n’est quelques verres gratuits dans les bars où je bosse mais si jamais, tu peux toujours demander. »

« En fait, ça fait quand même mal. »

Et, alors que la douleur de Julian la prenait aux tripes, le souvenir d'Elias se rappela à elle sans prévenir et elle sentit son regard s'assombrir, sa mâchoire se crisper, son coeur s'emballer. S'efforça de soutenir son regard, consciente que baisser les yeux aurait été lâche, espérant qu'elle n'y lirait pas son malaise mais y trouverait la force et le soutien dont elle avait besoin.

« J’ai envie de savoir et en même temps je crois que si je m’acharne à te poser des questions je risque de me remettre à hurler d’ici peu. Pas certaine que ce soit souhaitable. »

Un sourire en coin, contagieux. De quoi chasser l'image de son ami et lui faire oublier les événements de l'hiver dernier, l'ancrant dans le présent. À son tour, elle porta sa tasse à ses lèvres et but une longue gorgée de thé, en savourant le goût. Puis elle sortit le sachet, l'égoutta et le déposa sur le bord de la sous-tasse.

« Peut-être qu’à un moment j’aurais envie de te poser de nouveau des questions sans risquer de te sauter à la gorge. Si ça te dérange pas je prendrais bien ton numéro ou n’importe quel moyen de te joindre. Mais t’as bien sûr le droit de refuser, j’ai conscience d’abuser clairement et surtout, que tu ne me dois absolument rien. Je crois pas avoir grand-chose à t’offrir en échange si ce n’est quelques verres gratuits dans les bars où je bosse mais si jamais, tu peux toujours demander. »

Secouant la tête, elle s'empressa de répondre.

« Pas du tout, avec plaisir ! Et je n'attends rien en retour, mais ça me ferait plaisir qu'on se revoie, tu m'enverras un message avec les noms des bars où tu bosses. »

Elle pianota rapidement son numéro sur le téléphone de sa camarade et le lui rendit, non sans tiquer sur sa liste de contacts qui s'était affichée après avoir sauvegardé le sien. Involontairement, et le regrettant instantanément, mais c'était trop tard.

« Désolée, je voulais pas... Je.. T'as des nouvelles d'Alec et Warren ? »

De but en blanc, chacun son tour.

Elle avait accepté. Sans même hésiter, sans même émettre de conditions, sans donner l’impression à Julian de lui rendre une belle faveur. Elle aurait pu pourtant, c’était sans doute ce que l’ancienne Serpentarde aurait fait. Mais pas Caitlyn, elles n’étaient définitivement pas faites du même bois et en soulignant une fois de plus cette différence entre elles, la jeune femme eut l’impression de mettre enfin le doigt sur un truc qui la dérangeait tant dans toute cette histoire avec Jeroen. Au-delà de la douleur de la séparation, de ce que les circonstances les poussaient à faire. Au-delà de tout ça, elle se rendait compte que cette amitié entre les deux l’énervait toujours un peu. Parce qu’elle ne pouvait s’empêcher de se dire que peut-être, Jeroen aurait été plus assorti avec une fille comme Cait’. Une fille bien comme lui, qui s’était trouvée du bon côté de l’histoire… Julian chassa cette pensée de son esprit d’un mouvement de tête, ce n’était clairement pas le moment de se lancer dans une introspection sur ces questions. Mais sans doute un jour se poserait-elle plus sérieusement la question ce qui pourrait lui permettre d’être un peu plus cool avec Caitlyn d’autant qu’elles seraient sans doute amenées à se revoir.

C’était donc tout naturellement bien que toujours surprise par la spontanéité de Caitlyn que Julian lui avait tendu son téléphone pour qu’elle puisse y inscrire son numéro. C’était plus facile comme ça. La jeune femme l’avait ensuite récupéré, écrivant déjà un message au dit numéro pour que sa camarade ait aussi de quoi la contacter. Elle suspendit cependant son geste à la question de Cait’. Ou plutôt, ce fut son ton de voix, sa manière de parler qui venait légèrement de changer et qui l’avait poussée à relever la tête. Cette hésitation non pas liée à un regard involontairement inquisiteur mais à une certaine peine. Julian reconnaissait ce qui se jouait dans la voix de sa camarade parce qu’elle l’avait elle-même ressentie. C’était étrange cette soudaine inversion. Au fond des entrailles de Julian, il y avait une forme de jubilation malsaine à voir la situation s’inverser, à ne plus être la seule à souffrir du silence. C’était mesquin et clairement mauvais et même si Julian était loin d’être un ange, elle fit au mieux pour faire taire cette voix qui n’avait pas sa place. La jeune femme reposa alors son téléphone pour se concentrer pleinement sur Caitlyn.

« J’ai croisé Warren par hasard et j’ai mis une mandale à Alec mais oui… On peut dire que j’ai des nouvelles. »

Là encore il y avait quelque chose de mystérieux dans tout ça pour Julian. Bien sûr que les anciens de Poudlard étaient tous liés d’une façon ou d’une autre, passer des années dans la même école et qui plus est en vase clos, ça crée forcément des liens. Ce qui l’étonnait toujours c’était à quel point elle et Caitlyn qui étaient si différentes pouvaient avoir des relations aussi communes. Vraiment étrange…

« Qu’est-ce que tu veux savoir ? »

Julian n’était peut-être pas toujours la plus sympathique de la bande mais renvoyer un ascenseur elle savait faire. Elle n’irait jamais trahir les secrets de son meilleur ami mais elle pouvait au moins donner des informations banales. De toute façon, elle ne savait pas vraiment ce que Caitlyn attendait de sa remarque.

« Ou qu’est-ce que tu veux faire passer comme message ? »

Caitlyn ne comptait pas le nombre de fois où elle s'était dit qu'ils auraient été mieux avec quelqu'un d'autre. Elias, Rafael, Jake, chacun avait souffert à cause d'elle, de ses secrets, de ses initiatives, de son égoïsme. Comme un oiseau de mauvaise augure, elle n'avait fait que leur porter malheur, même ou peut-être justement en voulant les protéger. Elle était loin de se douter que Julian se faisait la même réflexion, et Julian devait être bien loin de s'imagier que Caitlyn puisse penser ainsi.

Elle le savait, le voyait dans ses yeux, que Julian la considérait comme la petite Miss Parfaite. Qu'elle ne comprenait pas pourquoi Caitlyn accédait à sa demande si facilement, n'entendait pas qu'elle ne faisait pas ça pour l'aider. Pourquoi faisait-elle ça, alors ? Eh bien, parce que pourquoi pas. C'était aussi simple que ça. Ce n'était pas un service à ses yeux, encore moins un sacrifice. Julian était la seule à penser qu'elle demandait une faveur qu'elle ne méritait pas, mais pour Caitlyn, l'idée de la revoir n'avait rien d'impressionnant.

Ce ne fut que quand les rôles s'inversèrent qu'elle eut un aperçu de la position de sa camarade. Son malaise, son sentiment d'en demander trop, d'être illégitime et vulnérable, sans compter sa honte d'avoir laissé glisser son regard indiscret sur sa liste de contacts. Ne fit pas le lien, pourtant, comme si demander des nouvelles de Alec et Warren était tout à fait autre chose que demander des nouvelles de Jeroen.

« J’ai croisé Warren par hasard et j’ai mis une mandale à Alec mais oui… On peut dire que j’ai des nouvelles. »

Le soulagement fut immédiat et Caitlyn eut même un sourire amusé à l'évocation de l'altercation (en fait je sais pas ce que ça veut dire mandale ^^') entre les deux anciens Serpentards. Ca lui aurait presque suffi, consciente que moins elle en savait mieux c'était pour elle comme pour eux, ou peut-être ne se le répétait-elle que parce que c'était plus facile ainsi. Mais Julian ne semblait pas prête à s'arrêter là.

« Qu’est-ce que tu veux savoir ? Ou qu'est ce que tu veux faire passer comme message ? »

Sa proposition la prit de court. Elle n'imaginait pas pouvoir passer un message aussi facilement à ses amis. Pourtant, si elle avait voulu les trouver, elle savait qu'elle aurait pu le faire sans grande difficulté, mais elle avait tellement enregistré que leur amitié les mettait en danger, que avait accepté la distance et le silence.

« Qu'ils vont bien, dans la mesure du possible en tout cas. »

Elle le sentait, ce mur qui s'érigeait autour d'elle, contenant ses émotions, refoulant ses inquiétudes. Ce mur qui pensait la protéger, mais le faisait-il vraiment ? Elle secoua la tête à son tour, souffla du nez.

« Cabossée de Poudlard tu disais ? »

Mieux valait en rire qu'en pleurer...

« Le pire, c'est que je ne sais même pas de quoi on pourrait parler d'autre. »

HRP:

Savoir qu’ils vont bien… Un sourire amer passa sur le visage de Julian et il n’avait rien de moqueur ou de condescendant. Pour le coup, elle qui ne voyait sans cesse que ce qui la séparait de Caitlyn ne pouvait s’empêcher de se reconnaître dans ces quelques mots. Parce qu’au final, cette question lancinante, elle se l’était posé un nombre incalculable de fois. Elle avait essayé pourtant, pendant un temps, de la mettre de côté, de l’effacer de son esprit. Elle avait essayé de les faire tous disparaître pour être plus légère, pour ne plus se sentir étouffée par les possibilités atroces que tous ses proches pouvaient avoir croisées sur leur chemin. Et puis il y avait eu cette lettre. La mort de Zachary. Tout lui avait alors explosé au visage et cette question avait alors pris tout l’espace disponible dans son esprit. Elle avait été mue par le besoin viscéral de savoir. C’était pour ça qu’elle était revenue après avoir enfin réussi à construire quelque chose au Canada. Pour ça qu’elle avait accepté de plonger dans un passé qu’elle n’était pas encore certaine de savoir comment gérer. Pour savoir s’ils allaient bien. Tout simplement. Le sourire de Julian se transforma en léger rire quand Caitlyn reprit ses mots. Cabossée. Oui Cabossées. Elles l’étaient toutes les deux et le seraient sans doute à jamais et c’est ce qui faisait qu’au fond, elles étaient peut-être capable de se comprendre bien plus que d’autres.

« Je crois que malgré tous nos efforts, cette étiquette est bien solidement collée sur nous.

Pourtant, tout le monde ne pouvait pas forcément la voir. Julian était certaine que la plupart des gens qu’elles ne faisaient que croiser ne pouvaient deviner les blessures profondes qu’elles portaient en elles. D’autant que si Caitlyn et elle avaient bien un point commun c’était cet égo, cette force profonde qui leur donnait envie de garder la tête haute et de ne surtout pas montrer leurs fêlures. Mais quand ils se croisaient entre eux, Julian le sentait bien. Ils savaient, tous. Les uns, les autres, amis ou ennemis qu’importe. Tous ceux qui avaient vécu à Poudlard portaient en eux des marques que nul autre ne pouvait comprendre.

« Le pire, c'est que je ne sais même pas de quoi on pourrait parler d'autre. »

Le fatalisme des mots de Caitlyn tira Julian de ses pensées et son regard interrogateur se perdit quelques secondes sur le visage de sa camarade. C’était assez terrible de se dire que de ces liens si forts qui avaient dû exister un temps, sinon elle n’aurait pas ainsi demandé des nouvelles, il ne resterait absolument rien. Que le souvenir de traumatismes commun. Que le besoin de se savoir en vie. Julian regarda quelques secondes sa tasse avant de reprendre la parole. Comme pour laisser le temps au mots de trouver leur chemin.

« Pour le savoir il faut essayer. Mais essayer vraiment et pas se cacher derrière le premier silence et se dire que c’est un échec. Je connais mieux Alec que Warren et je peux être affirmative surtout pour lui mais… S’il t’a laissée approcher à un moment c’est qu’il y a une raison. Il couche certes avec la terre entière mais il ne laisse pas grand monde s’approcher. »

Julian n’avait aucune idée de ce qu’il y avait eu entre Caitlyn et Alec, s’il y avait eu une relation charnelle, une conversation, des circonstances particulières… C’était l’inconnu et peut-être lançait elle un pavé dans la marre sans s’en rendre compte mais ce ne serait à vrai dire par la première fois.

« Après je connais pas votre historique, si ça peut te rassurer je n’ai aucune info compromettante. »

Un rire, léger, amusé, mais surtout entendu, et Caitlyn eut comme un sentiment de déjà-vu, se souvenant de la connivence retrouvée avec Takuma il y avait à peine quelques semaines, mais aussi de l'amitié construite avec Riley il y avait bientôt six mois. Faire appel à leurs vécu commun aidait à créer un rapprochement là où il ne semblait pas exister de terrain d'entente, et Poudlard restait l'élément qui les liait le plus fort. Aussi étrangers se fussent-ils pendant leur scolarité, ce passé partagé leur rappelait qu'ils avait été sur le même bateau, et ne l'avaient jamais réellement quitté.

« Je crois que malgré tous nos efforts, cette étiquette est bien solidement collée sur nous. »

À son tour de sourire. Oui, entre anciens de Poudlard, ils savaient. Chacun avait beau avancer à sa manière, certains s'engageaient, d'autres fuyaient, aucun n'oubliait réellement, les souvenir remontaient immédiatement lorsqu'ils se retrouvaient. Mais ce n'était qu'entre eux qu'ils pouvaient vraiment se comprendre. Car si les sorciers adultes pouvaient se douter, compte-tenu de l'âge des gosses, qu'ils avaient dû passer par Poudlard au moment fatidique, ils ne sauraient jamais ce qu'ils y avaient vu. Quant aux moldus, ils n'en avaient tout simplement aucune idée, n'imaginaient pas qu'il puisse y avoir un autre monde que le leur, un autre quotidien que celui qu'ils connaissaient, une autre enfance que celle qu'ils avaient eue. Alors oui, l'étiquette était bien là, visible pour ceux qui la portaient aussi, cachée aux yeux des autres. Et parfois, c'était comme s'il n'y avait rien d'autre.

« Pour le savoir il faut essayer. Mais essayer vraiment et pas se cacher derrière le premier silence et se dire que c’est un échec. Je connais mieux Alec que Warren et je peux être affirmative surtout pour lui mais… S’il t’a laissée approcher à un moment c’est qu’il y a une raison. Il couche certes avec la terre entière mais il ne laisse pas grand monde s’approcher. »

Elle fronça les sourcils, bien que touchée par les paroles de l'ancienne Serpentard, mais ne voyant absolument pas où elle voulait en venir... avant de réaliser qu'il y avait eu un malentendu. Elle se retint de rire, appréciant sincèrement l'attention et l'intention de Julian qui manifestement s'appliquait à vouloir la réconforter, et qui continuait sur sa lancée.

« Après je connais pas votre historique, si ça peut te rassurer je n’ai aucune info compromettante. »

Alors elle secoua la tête et se corrigea.

« Je disais pas ça pour Alec, mais pour nous. En fait je crois que je voulais changer de sujet mais je ne savais pas trop de quoi d'autre on pourrait parler. »

Elle afficha un sourire gêné.

« Mais ça me touche beaucoup, ce que tu as dit pour Alec. »

Elle marqua un temps de silence, puis reprit.

« Et tu as raison qu'il faut essayer pour de vrai et pas s'arrêter au premier échec. Même si ça peut sembler artificiel au début... du coup, t'aurais pas un loisir que tu voudrais partager avec moi ? La musique, le sport, la peinture, j'sais pas... la cuisine, tiens, c'était quoi ce plat que tu voulais cuisiner et ça t'arrive souvent de vouloir tester des recettes ? »

Car, oui, en cet instant, c'était Julian qui était là, et c'était de Julian qu'elle voulait se rapprocher. Autrement qu'en radotant sur leurs traumatismes de Poudlard.

Vous le connaissez ce frisson qui remonte le long de votre colonne vertébrale, ce frisson à la fois chaud et froid ? Celui qui vous fait comprendre que vous aimeriez être à n’importe quel endroit sauf à celui où vous êtes présentement ? Voilà ce que Julian pouvait ressentir chaque fois qu’elle était au cœur d’un malentendu. Difficile de dire si c’était lié à son égo, à la désagréable impression d’avoir été prise en faute mais elle détestait ça. Bien évidemment, la bienséance et la vie en société lui avaient appris à ne pas trop montrer cette émotion, à la garder pour elle et à se contenter d’un sourire de façade. Aussi, automatiquement, c’était ce qu’elle avait fait, sourire. D’autant que le malentendu en question n’avait rien de grave. Elle avait mal compris la phrase de Caitlyn, l’avait mal interprétée ce qui en soit n’était pas très important, ce n’était pas comme si leur conversation touchait à quelque chose de vitale. Mais ça la gênait quand même et lorsque son ancienne camarade renchérit en disant qu’elle était tout de même touchée par ce qu’elle venait de dire au sujet d’Alec elle eut l’impression de s’étouffer avec sa propre salive. Elle se mit d’ailleurs à tousser légèrement sans se départir de son putain de sourire hypocrite. Quel enfer ! Elle aurait aimé être plus normale sur ce sujet et ne pas réagir comme une gamine prise en faute mais c’était plus fort qu’elle. Respirer et passer à autre chose.

« T’habitues pas trop, j’ai un quota de trucs gentils à dire par journée et je peux pas le dépasser. »

C’était comme ça qu’elle reprenait consistance, une réaction de défense complètement disproportionnée mais inscrite en elle. Son ton n’était pourtant pas spécialement hostile, non, c’était simplement une belle illustration de son amour pour les bravades et les bons mots.
Caitlyn de son côté ne semblait pas avoir été trop déstabilisée par ce petit malentendu ou plutôt, ce dernier n’était pas suffisant pour la détourner de son intention initiale : parler d’autre chose avec elle que de leurs traumas communs. Julian ne pouvait expliquer ce qu’elle ressentait alors. Un vieux réflexe lui donnait envie d’être méchante et cassante alors que c’était franchement gratuit. D’un geste de tête, surtout adressée à elle-même pour chasser ses vieux réflexes, Julian releva finalement le regard vers Cait.

« Honnêtement je suis pas une grande cuisinière et ça m’a surtout pris comme une envie de pisser. Je sais pas, je crois qu’avoir soudainement du temps à meubler ça me pousse à tester des trucs. Mais je suis pas certaine que ça mène à grand-chose. »

Au-delà de la bravade, la question de Caitlyn mettait le doigt sur quelque chose. Julian se rendait compte qu’en réalité, elle ne savait plus réellement quels étaient ses hobbies, ce qu’elle aimait. Avant ça aurait été simple, le Quidditch, les soirées, danser jusqu’au bout de la nuit. Mais maintenant ? Toujours cette confrontation à son identité trouble qui la mettait mal à l’aise.

« Et le sport je suis pas encore sûre de tout comprendre aux sports moldus. Quant au Quidditch la pratique est proscrite pour de multiples raisons. »

Haussement d’épaules. Comme si ce n’était pas important, même si la proposition de Sovahnn se refit alors un chemin dans son esprit.

« J’aime beaucoup la rando depuis quelques temps. Marcher dans la nature, en silence. Observer. Et toi ? »