Installée dans l’un des nombreux salons de la demeure familiale, assise dans un des fauteuils nonchalamment, mon regard parcourait la pièce, se posant sur chacun des membres de ma famille. Tous réunis autour de la grande tablée qu’ils utilisaient pour les réunions, l’atmosphère était lourde et pesante.
Lorna se caressait le ventre distraitement, n’écoutant que d’une oreille la discussion familiale, Cassy sirotait sereinement son thé qu’un des Elfes de Maison lui avait apporté, Ewan avait la mine grave et fermée comme à son habitude et Carron, dont la barbe grisonnante prenait de plus en plus des reflets argentés au fil années était debout, en bout de table, à nous présenter son exposé concernant une situation dont je n’avais que faire. Père était installé à l’autre bout de table, en bon chef de famille, Mère à ses côtés, tout deux attentifs à la situation qui nous était présentée.
Il était extrêmement rare que nous soyons tous les sept réunis, la dernière fois remontait au mois de mars, pour les fiançailles de la Benjamine qui faisait honneur à sa lignée en préparant déjà sa descendance. Inutile de parler de mes aînés qui étaient eux aussi parents depuis un moment et seule Cassandre n’était pas trop embêtée pour le moment par nos parents car elle avait à priori d’autres projets à mener.
« ... C'est donc là que Fenella interviendra. De par ses connaissances de la Roumanie, sa collaboration nous est capitale. » Le silence se fait, je fixe Carron sans un mot, sans une réaction, laissant ses dernières paroles s’imprégner dans l’esprit de tous. Je finis par poser mes yeux sur mon père qui garde son air fermé et froid si coutumier. Personne ne parle, ne fait le moindre bruit, jusqu’à ce que Cassy ne pose sa tasse sur la sous-tasse, brisant le silence.
« Je ne connais rien de pertinent de la Roumanie. Je ne vous serai d’aucune utilité, sauf si vous souhaitez trouver des dragons mais je ne pense pas que ce soit l’objectif. » Un souffle agacé de Mère, Père me fusille du regard, Lorna sourit amusée par ma réponse mais c’est Ewan qui tape du poing sur la table, sortant de ses gonds et levant la voix.
« Mais quand cesseras-tu enfin d’agir comme une enfant égoïste. Il t’est donc si difficile de concevoir que ta petite personne nous importe peu et que tes questions de morale sont le dernier de nos soucis ? Arrête de nous prendre pour des imbéciles. Tu connais la Roumanie, tu sais que tu nous seras utile mais tu préfères rester terrée dans ton quotidien et ta vie misérable en espérant que tu sois oubliée. Père et Mère te font la grâce de te laisser vivre en paix suite à la disparition de notre regretté Ildut mais tu as des devoirs envers ta famille, chose que tu sembles oublier bien aisément. » Je pince les lèvres.Il s’est arrêté car Père a levé la main, imposant le silence tandis que Mère, avec son air choqué de bonne Dame de haute famille me donnait envie de lever les yeux au ciel devant ses manières démesurées et épuisantes.
« Il suffit. Nous ne sommes point ici pour nous quereller mais bel et bien pour trouver une solution et agir pour soutenir les Nôtres. »« Nous avons tous nos batailles à mener et nos problèmes. Qui sommes-nous pour nous mêler ainsi de la vie des autres ? Nous ne sommes des Dieux à vouloir jouer ainsi avec des vies et à souhaiter entrer dans une guerre qui ne nous concerne en rien. Telle est mon opinion, puisqu’elle m’est demandée. Concéder d’être présente à ce Conseil est une chose que je vous accorde, pour autant, je n’ai toujours pas de volonté pour me mêler de ce qui ne me concerne pas. » Carron souffle, épuisé par ces affrontements perpétuels qui se produisent et se renouvellent à chaque fois que nous sommes tous réunis. Il le savait pourtant, que les choses allaient tourner ainsi quand il est venu me trouver sur le Chemin de Traverse avant de me traîner sur nos terres pour m'y garder et me demander de prendre parti.
Je n'étais pas officiellement captive mais nous savions tous que la réalité était toute autre. Depuis plusieurs semaines maintenant, j'étais conviée de force à ces réunions, en plus petit comité habituellement, faisant uniquement acte de présence, mais prenant note que la situation se dégradait effectivement. Ma position sur le sujet était toujours restée la même mais une fois de plus aujourd'hui, mon frère Ainé me demandait de suivre la famille et de joindre mes forces aux leurs. Je ne le souhaitais pas le moins du monde, mais je commençais également à comprendre pourquoi la demande était faite, aujourd'hui, devant toute la famille. Non pas pour me mettre en difficulté, plus que je ne l'étais déjà, mais pour que je réalise que toute la fratrie était prête à accomplir la volonté de nos parents sans se poser la moindre question, Lorna compris, malgré sa condition actuelle.
« Je n’ai pas le temps pour prendre part à une bataille qui n’est pas la mienne. Je ne suis pas un soldat, et je ne le serai jamais. » Mon père excédé par mes paroles et mon refus d’obtempéré se leva brusquement et commença à marcher, faisant les cent pas derrière mes sœurs qui se tenaient assises face à moi.
« Nous avons été bien trop tendres avec toi, tu refuses de comprendre qu’il est important que tu mettes tes capacités et ton sang au service de notre communauté. C’est ce que nous exigeons de toi aujourd’hui. Si tu ne souhaites entendre raison... » Je hausse un sourcil, faisant mine de ne pas comprendre la menace restée en suspend mais je vois bien du coin de l'oeil qu'Ewan ne s'est nullement calmé.
« Il est vraiment temps que tu arrêtes tes caprices. Nous n’allons pas non plus te supplier. » C'est sur ces paroles qu’il s’est levé et a pointé sa baguette sur moi. Je l'ai regardé avec mépris, lasse de toutes ces histoires, saisissant ma baguette et lançant un sortilège de protection avant qu’il n’ait le temps de m’atteindre, le désarmant par la même occasion avant de récupérer sa baguette par Accio informulé. Je l’ai posée sur la table devant moi, tandis que Lorna s’était éloignée un peu de la table et que Cassy nous regardait avec un air espiègle sur le visage.
Elle avait toujours adoré nous regarder nous affronter Ewan et moi car son sang chaud et son côté conflictuel ne collait pas avec mon caractère et il était toujours le premier à vouloir me défier, bien que mes compétences en duel le dépassaient largement.
« Et ce n'est pas ce que je demande. Juste le respect de mes choix, je ne pense pas que ce soit si compliqué à intégrer. » « Il nous faut ton aide et ta présence, de gré ou de force. Je ne te cache pas que je préfère que ce soit la première option que tu choisisses. » De toute façon, où se trouvait réellement ma liberté, dans ce semblant de Conseil qui en réalité n’était qu’une vaste mascarade. Je pouvais refuser, mais ils savaient où me trouver et je tenais à préserver le peu de liberté que j’avais et à ce qu’ils ne finissent pas de s’immiscer dans ma vie plus qu’ils ne le faisaient déjà. La requête cependant n’était pas que je serve simplement de guide touristique en Roumanie mais que je leur vienne en aide pour porter secours à une famille de Sang-Pur qu’ils connaissaient là-bas.
Depuis plusieurs semaines, quelque chose se tramait là-bas et le conflit avait fini par se présenter. ma Famille avait fait le choix de préserver certaines de ses alliances, ce qui impliquait d’envoyer certains d’entre nous là-bas. Il n’y avait aucun doute sur l’identité des deux premiers à vouloir se rendre sur place, avec l’aval de notre père. Carron et Ewan avaient immédiatement montré leur volonté de s’y rendre, Cassy étant occupée ici et ne pouvant partir pour je ne sais quelle raison, il ne restait donc que Lorna, ou moi. Même si l’idée d’envoyer ma sœur enceinte me débectait au plus haut point, j’espérais tout de même que tous allaient se contenter d’envoyer les deux ainés là-bas et qu’ils allaient me ficher la paix. Mais ce n’était rien de plus que courir après des Chimères car il n’en avait jamais été question.
« Je suppose que je n’ai pas plus l’occasion que ça de réfléchir à ce sujet ? » « Vous partez demain à la première heure. » ---
Les liens de ma famille avec les Supérieurs ne faisaient aucun doute et je ne serai pas surprise d’apprendre qu’Ewan en était un membre actif, même si je doutais tout de même de cela quand je voyais la facilité avec laquelle je pouvais le désarmer. Nous sommes restés un bon moment en Roumanie, bien trop longtemps à mes yeux, même si j’ai eu la chance si je puis dire d’éviter le maximum les conflits sorciers, je me suis retrouvée une ou deux fois à devoir protéger les enfants des personnes qui nous étions partis retrouver.
Je détestais ma famille pour ces moments qu’elle était en train de me faire vivre, pour ce qu’elle me forçait à faire pour préserver les personnes qui m’étaient proches mais que je ne pouvais pour autant exposer. J’avais beau me montrer la plus discrète possible et effacer le plus possible mes traces, je n’étais pas à l’abri qu’ils débarquent un jour à Dorkling et qu’ils s’en prennent à Maxence. Je n’étais pas non plus sereine avec toutes ces histoires de lycanthropie qui duraient depuis des mois maintenant, de la sécurité de Benjamin ou d’Enzo. J’étais encore moins tranquille pour Alec qui je l’espérais de tout cœur n’était pas confronté à cette situation, souhaitant de toute mon âme qu’il soit préservé de cette guerre à des centaines de kilomètres de notre vie.
C’est partiellement éteinte que je suis revenue définitivement début janvier, après avoir fait quelques brefs passages à la maison en fin d’année, histoire de montrer que j’étais en vie mais extrêmement prise par mon travail, pour la version officielle que je donnais à tous. Je récupérais certains ingrédients pour des potions que je ne pouvais obtenir là-bas, notamment des éléments issus des créatures que j’avais à la maison.
Lorsque finalement, en janvier, je suis revenue définitivement, ce fut accompagnée. Dernier caprice de mes parents pour qu’ils me laissent en paix, il fallait que je me trouve un Elfe de Maison pour leur image. Il était après tout inconcevable que non contente d’être mariée à un Sang-Pur et toujours sans enfant, je sois en plus dépourvue d’un serviteur pour les tâches quotidiennes. La condition fut acceptée contre la mienne, celle d’avoir le choix de l’Elfe que j’allais avoir. Il était hors de question qu’ils m’envoient un de leurs espions et j’ai bien pris soin de sonder son esprit avant de l’autoriser à travailler pour moi. Elle fut présentée et validée par la famille et cela allait normalement me laisser un léger sursis, du moins, je l’espérais.