Elle se cambrait sous ses coups, ses gémissements claquant tout autour de lui, son dos ondulant devant lui puis se figeant de plaisir, tout lui parvenant comme à travers une vitre, avec un temps de retard, une latence due à ce qui cramait ses veines. Pourtant tout était décuplé, tout flambait, tout bourdonnait jusqu’à l’extase. Jusqu’à ce que le souffle se perde dans sa gorge, que sa poitrine n’explose sous l’orgasme. Ça crépitait tout autour, diffusait dans ses artères, frappait ses os comme si la réalité s’acharnait à vouloir toquer aux portes de son organisme sans jamais vraiment parvenir à y entrer. Alors Alec s’écroulait dans les draps, se laissant tomber en arrière en délaissant brusquement la jeune femme, à peine conscient de sa présence. Propulsé au loin, plus haut, trop haut pour elle, trop haut pour la fange de toute son existence, il se laissait couler contre le matelas, ramenait une jambe nue contre lui, articulant à grand peine.
« Va voir ailleurs si j’y suis… » En réponse à ce qu’elle avait dit, pas plus conscient de ces mots que de ce qu’elle lui répondait. Il partait, loin, violemment, le sol devenant meuble, le monde tourbillonnant autour de lui, percolant un plaisir intenable dans chaque particule de son être. Mais pas de sourire à ses lèvres pourtant. L’adolescent n’avait perçu que par à coups les mouvements autour de lui. La fille qui lui gueulait des mots inintelligibles, ses gestes secs se rhabillant avant de sortir de la pièce en claquant la porte. Les bruits étouffés des parents rentrant finalement. Le battant de la porte percutant le mur alors que son père faisait irruption, le bras de la nana enserré dans l’une des grandes serres qui lui servaient de main. Le tumulte qui avait suivi. Leur disparition brusque. Non, rien n’était parvenu tout à fait à lui. Pas même lorsque son père était revenu, que son corps avait décollé pour rencontrer le mur. Rien. Rien ne perçait vraiment la brume épaisse et libératrice. Véritable délivrance, Alec s’y laissait bercer, s’y perdait totalement. Qu’importe la violence du monde extérieur.
Jusqu’à ce que tout devienne brusquement noir.
Et qu’il n’ouvre les yeux, lourds, douloureux, pour les poser sur le plafond de sa prison dorée.
Membres de pierre, il reprenait conscience avec son organisme, la tête comme une enclume. Doucement, l’adolescent comprenait qu’il était de nouveau dans son lit, les draps jetés avec négligence sur lui, son cou étrangement tordu, tout autour qu’un de ses bras, l’ensemble dans une position douloureuse qu’il avait sans doute gardé bien longtemps sans vraiment s’en rendre compte. Il bougeait à peine que la porte s’ouvrait brusquement à sa droite, sa mère y faisant irruption, le fusillant du regard.
« Les Wilkins arrivent. Debout, douche, et tu nous retrouves en bas. Tu me feras le plaisir de t’habiller correctement. »Comprendre comme un sorcier bien élevé, et non comme une raclure de moldus. Ce qu’il s’éclatait à faire la majorité du temps vu à quel point ces simples fripes pouvaient rendre les Rivers totalement dingues.
Il n’avait pas encore réellement bougé qu’un ensemble de tissus fouettaient son visage, y tombant d’un bloc.
« Ne me force pas à me répéter. Tu n’as aucune envie que ton père remonte une nouvelle fois. » Pourquoi ? Il est à bout de nerfs le pauvre petit ? Bien longtemps que la rage paternelle n’avait plus de réelle prise sur lui et qu’elle amusant l’esprit rebelle de l’adolescent. Pourtant il n’avait rien dit, à moitié anesthésié.
« Pas un mot. Soit poli. » « Comment je fais pour être poli sans parler ? » « C’est ta seule façon de faire comme si tu l’étais. » Quoi ? Bien élevé ? Mais ça non plus, il ne l’avait pas dit. Du reste, elle avait déjà disparu, elle et ses menaces muettes, ses reproches sourds et sa déception froide.
Un bruit étrange s’extirpait de sa gorge alors qu’il se redressait difficilement, faisant rouler sa tête sur ses clavicules, posant un regard étonné sur quelques traces sombres dans ses draps. Du sang. Le sien, très probablement. Pourtant le jeune homme n’avait même pas cherché les plaies avant de partir prendre une douche éclair, se perdant sous l’eau claire. Pas de cicatrices, pas de preuves, pas d’existence. Voilà un concept parfaitement intégré. Du reste, il n’en avait même pas de souvenirs.
Lorsqu’il descendit, parfaitement affublé des belles robes de sorciers haute couture parfaitement ajustées tant en terme de coupe que de couleurs, le jeune homme ne décrocha que quelques mots, saluant les nouveaux arrivants au salon, soutenant en silence le regard que les parents posaient sur lui. Pas de réflexions, ni d’un côté, ni de l’autre, la conversation mutique vibrant un temps dans la pièce sans que quiconque ne s’y attarde. Alors il était resté là, à les écouter converser, sans vraiment y être.
Lorsque le repas fut servi, aucun des sorciers présents ne daigna seulement poser le regard sur les elfes de maison qui s’agitaient pour proposer un repas digne des plus grandes tables. Pourtant, en silence, Alec se releva sous les regards lourds de ses géniteurs. Il posait d’un geste lest le verre qu’il tenait du bout des doigts, exactement comme son père et où un liquide ambré qu’il n’était pas censé contenir tournoya un instant. Et en silence, il alla remettre la chaise qui avait été enlevée à ses côtés. Cette de Janie. Sans faire de réflexions malgré tout ce qu’ils en pensaient, ses parents continuaient leur diner d’affaire et lui, posait sa jambe gauche sur la barre qui reliait les deux pieds de la chaise, comme lorsqu’il était enfant. Un geste qu’il n’avait jamais perdu, un lien, muet dans l’opacité de ces moments sourds. Souvent, enfants, ils se battaient sous la table, les pieds passant l’un sur l’autre pour tenter de prendre le dessus. Et ce qui était alors une bataille devenait signe de ralliement. Sans même s’en rendre compte, il enroulait le pied comme s’il s’agissait de la jambe de sa sœur, comme si les deux naufragés étaient toujours ensembles, aptes à se raccrochés l’un à l’autre pour encaisser les coups.
Pourtant sa sœur n’était plus là, et son regard fut attiré par une autre blonde qui perçait les feuillages de la haie d’en face sans que personne d’autre que lui n’aperçoive sa chevelure hérissée de branches traversant les sorbiers.
T’es trop vieille pour faire ça sans finir griffée de partout, Mack… Une pensée ironique qui perçait pourtant les brumes de ses pensées, activant ses neurones engourdis.
Quelques instants plus tard à peine, il s’était extirpé du repas pour la rejoindre.
Ses parents perdaient le contrôle, ils laissaient passer ce qu’ils n’auraient jamais toléré, arrivant au bout de leurs aptitudes, conscients que rien ne marchait. Las. Tout autant que lui à vrai dire. Sauf qu’il se nourrissait de chacun de leurs abandons.
En silence, il se glissait contre le petit muret où Mackenzie s’était assise à l’abri des regards, le regard lourd, les traits tirés.
« J’ai fait une connerie. » Disait-elle, comme si la présence de son voisin à ses côtés était normale, à cette heure de la journée.
Et elle l’était.
Bien sûr qu’elle l’était.
« Oh ? »Mais il savait.
Bien sûr qu’il savait.
A vrai dire, tout était déjà réglé, une évidence qu’il ne lui révèlerait jamais.
Pourtant, à l’écouter parler, un petit sourire sincère s’était dessiné sur ses lèvres pour la première fois de la journée.