Never a beloved child, but mine

L’annonce du Ministère avait mis le département en émoi depuis plusieurs jours, ce qui était prévisible en vue de la charge de travail qui allait venir se greffer sur les différents bureaux. La sulfureuse et ambitieuse sous-directrice du département avait été contrainte de gérer une grosse partie de ces nouveaux plannings, non sans satisfaction. Mieux que ça même, car après avoir dévoilé l’existence du monde sorcier, ces sales vermines de moldus n’allaient pas s’en tirer aussi facilement. Désormais la priorité était de tout faire pour protéger leurs compatriotes sorciers, hélas même les traîtres au sang impur, mais peut-être que ces derniers se rendraient enfin compte de leur erreur, celle de protéger ces insectes insignifiants. Et Ana comptait principalement sur le racisme et les positions extrémistes partagées par certains employés de ce département pour répandre d’avantage de haine au Ministère, comme une traînée de poudre.

Mais chaque en son temps. Pour le moment, Ana se devait uniquement de faire appliquer les consignes du Ministre, et terminait la répartition des tâches entre les différents bureaux. Ainsi, toute la journée, la sous-directrice passa de bureau en bureau, pour y faire à chacun une sorte de débriefing avec les hauts cadres. Tout cela de manière équitable, impartiale et non corrompue, ce qui était très souvent difficile pour Ana, en qui une haine sans faille grondait, et elle n’avait qu’une hâte, apprendre l’éradication totale de ces vermines de moldus. Heureusement, pour extérioriser sa frustration, la brésilienne pouvait compter sur quelques partisans Supérieurs. Certains qui partageaient simplement ses opinions, d’autres qui lui vouaient une admiration malsaine, ou encore d’autres qui la craignaient et préféraient de loin le léchage de bottes. Ana aimait être crainte, désirée, et qu’on lui lèche les bottes. Cette impression, et certitude, de supériorité flattait son ego de despotique et lui procurait une jouissance intérieure puissante.

Bien sûr, suite à la répartition de la nouvelle charge de travail dans les bureaux, il fallait s’attendre à des revendications diverses. Aussi autoritaire soit-elle, la brunette était bien obligée de les entendre. Elle n’appréciait guère les revendications, comme si l’on discutait ses ordres ou sa façon de faire. Pour elle, ces incompétents n’avaient qu’à lui obéir sans discuter. Elle avait donc expressément demandé qu’on ne la dérange pas dans son bureau aujourd’hui, prétextant un travail acharné sur un dossier du Magenmagot, alors qu’il n’en était rien. Malgré ça, un agitateur eut quand même l’audace de demander une audience avec Ana. Qu’elle refusa bien évidemment catégoriquement, et ne chercha même pas à savoir de qui venait la revendication, elle sût simplement que cela venait de la brigade de police. Évidemment. Elle avait travaillé avec bon nombre d’entre eux là-bas, ils connaissaient mieux la brésilienne que les employés des autres bureaux. Alors ils pensaient pouvoir se permettre d’avantage, mais il n’en serait rien. Ana envoya simplement un petit mot sous forme de lettre à la brigade, sur laquelle était écrit :

« Les consignes sont strictes. Aucune revendication pour le moment.

Ana Sophia Oliveira, sous-directrice. »

À l’écrit, cela paraissait bien plus diplomate et professionnel, que si la brune au sang chaud avait eu cet agitateur en face d’elle.

Le soir venu, Ana s’apprêtait enfin à rentrer chez elle. Une fois son bureau correctement rangé, elle plia bagages jusqu’au lendemain. À cette heure-là, il ne restait dans les bureaux que les cadres de l’administration et veilleurs de nuit. Quoique, peut-être pas seulement. En passant par le bureau de la brigade de police, Ana aperçut un visage familier. Warren Tveit n’était qu’employé et pourtant il travaillait encore. Brave petit. La brunette s’arrêta dans l’encadrement de la porte et, adossée contre celle-ci, le détailla un moment. Un sourire protecteur et carnassier, malsain, à la fois, naquît sur ses lèvres. Car ce jeune homme lui inspirait beaucoup de sympathie, étonnamment, rares étaient les employés du département à avoir ce statut aux yeux d’Ana. Elle-même pourrait difficilement expliquer pourquoi Tveit. Pour de multiples raisons, il était comme son chouchou du département. Et la sous-directrice ne se privait pas de le montrer. Ce soir-là, il ne restait qu’eux, alors elle aurait encore moins besoin de se cacher.

« Bonsoir Warren. »

Bien sûr, elle ne tarda pas à manifester sa présence, quand bien même Warren aurait entendu claquer les talons hauts de la brune dans le couloir. Finalement, elle se redressa et s’approcha du bureau sur lequel travaillait son petit protégé, pour se glisser derrière lui et regarder sans y être invitée, ce qu’il faisait. Il flanchait sur l’une des nombreuses affaires en cours, sans broncher. Warren était un modèle d’assiduité, certains feraient bien de suivre cet exemple.

« Il est tard. Range tes affaires. »

Sur un ton tranchant et suave à la fois. Cela sonnait comme un ordre, en réalité c’était plutôt un conseil bienveillant, du moins selon le point de vue d’Ana. Elle glissa alors une main sur l’épaule du jeune homme et la laissa y vagabonder tandis que la brune vint se placer à présent à côté de lui.

« Pourquoi ne pas aller boire un verre au Chaudron Baveur ? Après une journée chargée comme celle-là... Je t’invite. »

Cette fois, l’invitation sonnait d’avantage comme un ordre que par une proposition. Peut-être aussi que Warren saurait lequel de ses collègues a tenté une revendication auprès d’Ana cet après-midi.

Lundi 6 Juin, dans la soirée

Il voulait absolument finir son dossier avant de partir. Il était fatigué mais en même temps rentrer à la maison pour s'occuper de Nicholas et Mily n'était guère plus reposant, et savoir qu'il avait laissé de la paperasse en vrac sur son bureau serait pire que tout, alors il restait. Il fallait qu'il rentre à la maison l'esprit le plus léger possible. Le début avait été un poil mouvementé et il espérait qu'à présent les choses se calmeraient un peu pour qu'il puisse reprendre un rythme un peu plus normal ; depuis l'histoire Alec, il avait l'impression que les choses étaient encore plus compliquée dans un certain sens. Il s'inquiétait pour son ami ; mais aussi pour lui-même, pour son fils. Il se sentait encore plus observé, il savait qu'on ne lui avait jamais fait confiance, mais depuis quelques semaines, il avait l'impression que cela s'était accentué. Vérité ou illusion ? Difficile à dire, sa paranoïa était probablement à son sommet.

Concentration à son maximum, il n'avait pas entendu quelqu'un arriver si bien que lorsqu'une voix retentit il se retint tout juste de sursauter, se contentant de lever la tête dans un premier temps avant d'aborder un sourire à sa supérieure. Elle avait une attitude un peu étrange envers lui, mais il n'allait pas s'en plaindre non plus. Elle avait un côté malaisant, mais s'y accommoder n'était pas compliqué, après tout, il y avait tellement pire dans les « traditions » et attitudes des sang-purs.

« Bonsoir Warren. »
 « Bonsoir Madame.» répliqua-t-il en lui dédiant son plus beau sourire, par ce qu'après tout, autant jouer de ses atouts dont elle était un peu sensible. Quitte à ce qu'on dise, parfois, qu'il était un de ses chouchous, autant que ce soit pour une bonne raison. Lui, ne savait pas bien si c'était vrai ou pas, et il s'en fichait. Il faisait son job de son mieux et voilà. Advienne que pourra, il n'était de toute manière qu'un bleu et il avait beau donner généralement du cœur à l'ouvrage, il avait bien conscience que la bonne volonté ne suffisait pas. Ana avait fini par s'approcher de lui, pour se mettre derrière lui et regarder ce qu'il faisait. Désagréable sensation mais il n'avait rien à ranger : il était juste en pleine rédaction.
« Il est tard. Range tes affaires. »

Ordre, ou simple conseil ? Avec ce ton tranchant qui ne semblait pas accepté de refus, couplé au suave, il avait du mal à placer ce qu'il devait exactement comprendre. Il finit néanmoins rapidement sa phrase histoire de ne pas se couper n'importe où. Il avait fini le principal il ne lui resterait qu'une conclusion à rédiger ce qui ne lui prendrait normalement pas trop de temps.

 «Oui Madame. Je voulais juste au moins fini ce dossier pour ne pas le laisser en plan.  Tout écrire tant qu'on a bien tous les éléments en tête est une bonne chose pour moi.»

Pour certain, il valait mieux que ça repose, lui préférait tout mettre à plat rapidement dans la plupart des cas. Au moins faire un genre de brouillon avec un ordre précis d'informations, d’événements afin de tout retracer au mieux. Elle n'avait pas tardé à poser une main sur son épaule et il ne moufta pas d'un poil comme si c'était tout à fait normal.

« Pourquoi ne pas aller boire un verre au Chaudron Baveur ? Après une journée chargée comme celle-là... Je t’invite. »

Là encore, malgré la formulation il doutait pouvoir dire non. Alors il se contenta de se tourner un peu pour lui faire un léger sourire. Allons picoler, à ce rythme là, il allait plonger dans la dépendance... mais c'était si bon cette sensation d'oubli, de désinhibition.

 « J'arrive. J'envoie juste un message à ma femme pour ne pas qu'elle s'inquiète et ne m'attende pas pour coucher notre fils et je vous suis.» Sur un papier, il écrivit rapidement un message, et pris un des hiboux qui se trouvait à côté du bureau. Oui, il voulait réellement prévenir Mily, mais c'était aussi une formulation pour lui rappeler, à la dame qu'il était marié et père de famille. Lorsqu'il revint vers elle, il pris sa veste avant de lui dire  « Et je vous remercie pour cette invitation. Je suis prêt, on peut y aller.»

Il sentait la situation compliquée, il sentait que c'était un « jeu » dangereux, mais en même temps, il ne pouvait pas non plus trop refuser. Il était déjà assez mal vu, se mettre quelqu'un d'autres à dos serait beaucoup trop dangereux pour lui, Nick voire même Alec, qui sait. Parfois, il ne comprenait pas bien ce qui pouvait se tramer dans le cerveau de ces personnes. Il avait commencé à marcher à ses côtés se dirigeant vers la sortie du Ministère pour pouvoir ensuite rejoindre le chemin de Traverse.

Quel bon garçon. Ana savait que Warren étaient de ceux qui se montraient polis et bien élevés en toute circonstance, en particulier avec sa supérieure hiérarchique. Position que la sous directrice se plaisait à rappeler. Le jeune Tveit était chanceux d’être dans les bonnes grâces, encore fallait-il qu’il le reste, ainsi il n’aurait rien à craindre d’elle. Ana s’était donc glissée derrière lui pour le regarder avec délice flancher sur son dossier. Sa main ne quitta pas son épaule, sans se faire trop insistante non plus, ce n’était pour elle qu’un geste de sympathie. Son sourire s’élargit lorsque Warren lui répondit, d’un ton assuré, mais Ana crut déceler une once de gêne tout de même. Encore une fois, elle aimait ça. Se comporter d’une manière étrange et malsaine, observer les réactions, puis se servir des résultats obtenus. Warren ne ferait pas exception à la règle.

« Excellent... »

Ana aime le travail bien fait, encore plus lorsque les employés prennent le temps de finir en dehors des heures de travail, sacrifiant ainsi le peu de temps qu’ils leur restent à passer auprès de leurs petites familles parfaites. Ou peut-être pas si parfaites justement, sinon pourquoi ne pas rentrer directement après tout. Malgré son jeune âge, Warren faisait parti de ceux-là. Loin de refuser l’invitation quasiment forcée de sa supérieure, il accepta de la suivre une fois qu’il aurait tout rangé et prévenu sa...femme. Pour qu’elle s’occupe de son...fils. Un léger rictus apparut alors que les lèvres d’Ana, qui se fichait pas mal de la famille de Warren. Pourquoi avait-il jugé bon de se justifier à ce sujet ? Pensait-il que cela dissuaderait la brunette de laisser vagabonder ses mains sur ses épaules ? Bien sûr que non. Mais elle se contenta d’acquiescer.

« Je t’en prie, fais donc... » dit-elle sur le même timbre suave que tout à l’heure, se gardant bien d’exprimer le fond réel de sa pensée.

Même si elle avait tout son temps, elle espérait que Warren ne la fasse pas trop attendre. Il s’agissait simplement d’un message après tout. Ana se recula alors légèrement et l’observa écrire sur son morceau de papier à destination de sa famille. Une fois le hibou voyageur partit, Warren était enfin prêt à y aller. Sa supérieure lui sourit.

La sous directrice du département connaissait de loin le passif de Warren, par l’intermédiaire des contacts qu’elle avait eu avec la famille Tveit. Elle savait que son jeune chouchou n’avait pas rejoint leur Cause de son plein gré, et qu’il était à surveiller. Mais ce n’était pas l’unique raison pour laquelle Ana avait décidé de le prendre en quelque sorte sous son aile, elle éprouvait pour Warren une réelle sympathie, aussi curieuse qu’étrange. Elle n’était pas toujours derrière son dos non plus, mais il y avait en elle une motivation de plus à passer du temps avec lui.

Sur le chemin, ils avaient simplement eu le temps de discuter de banalités, sur leur journée passée au travail, mais sans plus. Au chaudron baveur, certains clients avaient ostensiblement baissé la tête en reconnaissant Ana. D’autres étaient déjà très éméchés et n’y avaient guère prêté attention. Et bien sûr, beaucoup qui ne travaillaient pas au Ministère et qui ne la connaissaient pas. Suivie de Warren, elle choisit une table assez en retrait pour pouvoir discuter, arborant au passage un air de dégoût en voyant tous ces sangs impurs prendre du bon temps. Elle laissa échapper un soupire, lançant un regard à Warren.

« C’est incroyable le nombre de Sang-mêlés qui traînent par ici malgré les mises en garde du Ministre... »

Déformation professionnelle, ou racisme de bas étage, les deux assurément. Mais tant que cela pouvait passer pour une simple constatation d’un fait suite à une annonce ministérielle, personne ne pouvait le lui reprocher. Elle fit ensuite signe à Warren de s’installer.

« Ici me semble parfait. Qu’est-ce que tu veux boire ? »

Pour elle, ce serait bien évidemment une boisson forte et alcoolisée, comme d’habitude. Loin d’elle l’idée d’être en état d’ébriété, mais elle n’était pas là pour un jus de citrouille.

Il était toujours compliqué avec des Supérieurs hiérarchiques de savoir comment composer exactement. Il y avait ceux qui ne lui faisaient pas confiance, au moins c'était clair et net dans son esprit, il savait qu'il devait faire ses preuves. Tout simplement. Par contre face à des gens comme Ana, c'était quelque chose qui était beaucoup plus compliqué à gérer pour lui, elle avait de l'apprécier , même un peu trop à son goût et son comportement était si ambigu qu'il ne savait jamais comment interpréter ses propos et donc comment agir, mais ce n'était pas bien grave en soi. Il composait au fur et à mesure et essayait de la contrarier le moins possible. Après tout, s'il pouvait avoir quelqu'un « avec » lui et non contre lui c'était toujours bon à prendre, et ça valait bien quelques sacrifices supplémentaires.

Ici par contre, il n'était pas resté pour lui faire plaisir et bien se faire voir, mais par ce qu'il jugeait nécessaire de faire un peu de rab histoire de finir un minimum son travail, pour pouvoir mieux s'y retrouver la prochaine fois et si jamais il y avait une urgence sur ce dossier pendant qu'il n'était pas là au moins  ses collègues auraient toutes les informations nécessaires. Ce n'était pas son travail rêvé, mais il s'y plaisait quand même pas trop mal. Il y avait cet dose d'aventure, d'adrénaline, d'enquête, de réflexion dont il avait besoin. Et puis, pour devenir Auror, une fois qu'il aurait fait ses preuves, il pourrait probablement envisager une petite bifurcation s'il le souhaitait. Pour l'instant ce qu'il faisait à la police magique depuis un peu plus de six mois lui convenait. Et Ana, avec son « excellent », semblait apprécier sa dévotion. Promis, il ne lui lâcha pas son plus beau sourire de faux cul avec ce petit mot.

Lorsque, quelques instants plus tard, elle l'avait invité à boire un verre, il avait accepté l'invitation tout en « rappelant » de façon plus ou moins subtile qu'il était marié et père de famille. Il se doutait que cela ne ferait aucune différence, mais au moins c'était posé.  Il doutait que cela l'empêche d'avoir les mains un peu baladeuses... Il avait d'ailleurs rapidement écrit un message pour Mily qu'elle ne l'attende pas, et histoire qu'elle comprenne ne s'inquiète pas, il avait même dit avec qui il allait boire le coup. En sous-entendu, avec sa supérieure. Il espérait rentrer assez tôt pour voir Nicholas réveillé – même si le bambin se réveillerait dans la nuit- mais il en doutait franchement.
Il avait fait le message le plus rapidement/court possible de façon à ne faire attendre trop la femme. Il fallait bien avouer qu'il y avait un grand côté de curiosité là-dedans, comprendre pourquoi elle l'avait invité. C'était une belle femme, intelligente, avec du pouvoir, pas mal de mecs devaient se battre devant son portillon pour elle.

Après de brièves banalités durant le trajet, ils étaient arrivés au chaudron Baveur où forcément on reconnut de suite la bonne femme – lui aussi probablement vu qu'il était assez habitué au lieu-, mais lorsqu'il arrivait on avait plus envie de plaisanter avec lui que de baisser la tête. Deux poids, deux mesures en quelque sorte. Ils avaient traversé une partie de la salle pour s'installer à une table où ils seraient plus au calme, à un moment donné elle eu un air de dégoût avant de lui lancer

« C’est incroyable le nombre de Sang-mêlés qui traînent par ici malgré les mises en garde du Ministre... »

Il lui aurait bien répliqué que certains né-moldus étaient plus doués que certains sang-purs, mais il avait appris à la fermer ces derniers temps, alors il s'était contenté d'un léger sourire en coin. C'est qu'il ne fallait pas la contrarier la Dame.

 «La Milice est là pour veiller pour que tout se passe bien, Madame. » Il avait failli rajouter, ils ont encore le droit de boire, mais il s'était abstenu et avait préféré un plus sobre.  « Ils viennent pour la plupart juste se détendre après une dure journée de travail, certains travaillent au Ministère, d'ailleurs.»


Il avait essayé de rester le plus neutre possible, pour lui rappeler que même si elle ne les appréciait pas, ils étaient en leur droits et certains étaient utiles à l'administration. Qu'est-ce que serait un monde Sorcier qu'avec des Sang-Purs ? Rien. Ils n'étaient plus assez nombreux. Et si elle disait quelque chose à ce propos là, il pourrait toujours dire que c'était aussi son travail d'apaiser les tensions afin que tout se passe bien.
Ils avaient quand même fini par s'installer à une table et elle lui avait demandé ce qu'il voulait boire et pour le coup cette question était bien plus facile pour lui à répondre que ses propos précédents

 « Un Whisky pur feu, Madame, je vous remercie. Est-ce que vous voulez que j'aille nous chercher les boissons ?»

Etre serviable, gentleman ou ce que l'on veut, c'était probablement une bonne idée, il n'était pas certain qu'elle veuille aller chercher les boissons elle-même. Quoiqu'à tous les coups, elle avait le privilège qu'on vienne lui demander ce qu'elle voulait, rapidement.

Le Chaudron Baveur. Ici tout comme son département au Ministère, Ana se sentait un peu comme en territoire conquis. Ce sentiment d’être crainte et respectée à la fois lui procurait une sensation de bien-être et de plaisir, qu’elle voulut ce soir-là partager avec son petit protégé Warren Tveit. Il n’avait qu’à observer par lui-même ce qu’il se passait, les comportements vis à vis d’eux lors de leur passage. Des regards insistants, d’autres furtifs et têtes baissées. Ces minables petits employés de bas rang n’avaient qu’à bien se tenir. Car parmi ces regards admiratifs de sa présence, Ana savait qu’il en aurait certains qui n’hésiteraient pas à lui faire part de soupçons vis à vis de ce qu’ils auraient pu observer. La supérieur de Warren pouvait profiter de sa soirée en sa compagnie. Ce dernier se demandait sans doute ce qui avait poussé Madame Oliveira en personne à l’inviter boire un verre seul à seul, il était pour ainsi dire le seul à jouir de ce privilège.
Pourtant, il ne travaillait pas mieux qu’un autre, et bon nombre de Supérieurs ne lui faisaient pas confiance. À juste titre. Mais même si les propos de Warren étaient un peu trop nuancés au goût d’Ana, elle n’en éprouvait pas moins un attachement inexpliqué. Il ne devait d’ailleurs pas s’en plaindre, tant qu’il continuerait à lui plaire, il garderait son soutien.

À présent, il s’agissait de savoir si Warren était bien digne du soutien de sa supérieure, il avait intérêt à faire attention à ce qu’il disait. La preuve de la nuance flagrante de ses propos, il répondit aussitôt implicitement que ces sangs impurs avaient autant de droit d’être ici qu’eux, ce qui était effectivement vrai, et que même si cela ne lui plaisait pas, elle était bien obligée de le tolérer. Loin de s’offusquer, au contraire, Ana arbora un magnifique sourire.

« Bien sûr. J’espérais simplement qu’il ne leur arrivera rien de...fâcheux. » fît-elle sur un ton sarcastique.

Et hypocrite. La brune ne cachait pas ses positions avec ses collègues, dont faisait parti Warren. Peut-être à tort, mais elle n’aimait que bien trop profiter de son rang et de sa célébrité au sein des plus extrémistes de la Cause. Warren n’en faisait hélas pas parti, mais qui sait, cela changerait peut-être. Ana se fichait évidemment pas mal de ce qu’il pouvait bien leur arriver, milice ou non. Mais comme elle dirigeait en partie cette milice, elle se devait de rester professionnelle. Si quelqu’un l’entendait, il sentirait sans doute le léger sarcasme, mais ne pourrait guère l’accabler pour ses propos. Tout était calculé.

Maintenant que supérieure et employé s’étaient attablés, Warren proposa en bon petit chouchou gentleman qu’il voulait rester, d’aller chercher les boissons. Quel bon garçon. Ana esquissa un nouveau sourire, cette fois plus espiègle.

« Qu’elle adorable intention. Mais ce ne sera pas la peine. » La brune se tourna vers le comptoir, leva le bras en l’air et claqua des doigts.

Elle n’eut même pas à appeler qui que ce soit, aussitôt le serveur derrière le comptoir arriva pour prendre la commande. Inutile de préciser qu’il ne la connaissait que trop bien, et que lorsqu’elle était présente, elle figurait parmi les clients prioritaires.

« Deux whisky pur feu. »

Il ne fallut guère longtemps pour qu’on leur emmène leurs boissons, accompagnées d’un peu d’eau. Ana poussa l’un des deux whisky vers Warren et le leva pour trinquer.

« Et bien, à cette soirée. Je suis ravie que tu aies accepté l’invitation, loin de moi l’idée de t’empêcher de rejoindre ta famille. » Elle marqua une pause. « Comment s’est passée ta journée ? J’imagine qu’avec tous ces...changements, ça n’a pas dû être évident à la brigade... »

Elle prit une petite gorgée de whisky, le regard perçant celui de Warren de manière insistante, se penchant même d’avantage sur la table pour se rapprocher de lui.

Ce n'était jamais simple avec une femme comme elle de savoir où mettre les pieds exactement. Il essayait de faire au mieux pour ne pas la heurter, ni la vexer et se comporter comme elle aimerait – avec quelques limites cependant, il ne faut pas exagérer-. Ils étaient d'ailleurs bientôt arrivés au bar et déjà elle médisait les gens qui n'étaient pas des sang-purs, il avait essayé de sortir une phrase « soft » pour lui rappeler qu'ils étaient – pour l'instant- dans leur bon droit. Il n'était pas sûr qu'elle apprécie, mais il avait pris un ton de façon pour aider à faire passer la pilule et visiblement, il avait plutôt bien réussi. En théorie du moins, par ce qu'il ne savait pas ce qu'elle pouvait penser.

 « Le futur nous le dira ça.» dit-il avec un autre simple sourire, en essayant de passer outre le sous-entendu et le ton qu'elle avait pris.

On ne pouvait pas lâcher les non sang-purs un instant ? Par ce que non, contrairement à ce que l'on peut croire, ils n'étaient pas la déchéance de l'humanité ou quelque chose comme ça. Ils étaient juste pas des consanguins comme la plupart des sang-purs. Désolé Couz'.
Ceci dit, il avait tellement l'habitude d'entendre des propos si aberrants qu'il n'y faisait plus trop attention, que cela le choquait beaucoup moins qu'à une époque. A vrai dire, est-ce que ça l'avait déjà choqué ? Hum. Peut-être dans le sens commun. Agacé aurait été un mot plus approprié, mais passons. Ils s'étaient vite attablés et il avait proposé d'aller chercher les boissons, maintenant qu'ils s'étaient décidés sur ce qu'ils prenaient, mais elle lui fit comprendre que ça ne serait pas la peine. Il haussa un sourcil – préférant oublier par la même occasion qu'elle avait qualifié ça de « adorable attention »-, tandis qu'elle claquait des doigts et qu'un serveur vint à leur table. Pardon ? Est-ce qu'elle venait vraiment de faire ce geste pour appeler ce pauvre monsieur ? Elle le prenait pour son larbin visiblement... Ce n'était pas étonnant mais il restait toujours aussi sidéré par les attitudes de certains. On se reprend Tveit et on garde un visage impassible, ce n'était pas quelque chose de compliqué en soi. Il suffit juste de garder les mêmes habitudes !

Commande faite, et apportée quelques instants après, il remercia le serveur d'un vague signe de tête et trinqua avec la femme tandis qu'elle reprenait la parole. Oh pitié, qu'est-ce qui l'attendait encore ? Non, par ce qu'il doutait qu'elle l'air invité juste pour parler de sa journée et de … disons de son épanouissement à la brigade, d'ailleurs elle avait utilisé le terme « changement ». Le temps qu'il réfléchisse à la réponse, et voilà qu'elle s'était rapproché de lui en se penchant sur la table et en le regardant de manière si insistante qu'il en était un peu gêné. Il était devenu un bout de steak. Il savait qu'il n'avait pas de réelle marge pour la réponse à cette question... alors... il tenta :

 «Il y a encore quelques mois, je pensais qu'il me restait encore quelques années à étudier à Poudlard, avant de pouvoir devenir Auror, le Destin en a voulu autrement, et je crois pouvoir dire que j'arrive à m'adapter pas trop mal. » Voilà, mais il ne devait pas être trop positif quand même..  « Même s'il faut bien l'avouer ce n'est pas simple tous les jours, j'aime ce que je fais ! Je prends généralement du plaisir à venir travailler... alors mes journées sont toujours bonnes. Certaines sont plus compliquées que d'autres suivant les tâches, ou les enquêtes, c'est tout.» Il but lentement une ou deux gorgées de la boisson tout en la regardant dans les yeux, lui faisant même un petit sourire.  « J'espère que vos journées sont agréables aussi. Quelqu'un vous a -t-il signalé un problème me concernant pour que vous preniez l'initiative de m'inviter ?»

Le futur, oui...Car la priorité du Ministère et des Supérieurs était avant tout d’éradiquer la menace de cette sous-espèce de moldus. Et cela passait par leur protection bien sûr, mais aussi par extension tous les autres sorciers qui n’ont pas le sang pur. Le mépris est ancré et restera présent sans doute éternellement dans l’esprit d’Ana, mais il fallait bien reconnaître qu’elle partageait l’avis de certains de ses collègues, beaucoup moins radicaux, qui affirmaient que non nombre de sangs non purs pouvaient aussi bien se révéler très utiles. Soit, Ana pouvait l’entendre et le comprendre, même si cela s’avérait difficile pour elle. Leur témoigner un tant soit peu de respect derrière un masque d’hypocrisie flagrante, n’était pas si compliqué, bien que cela dépendait de ses humeurs. Qui étaient d’ailleurs très changeantes.
En compagnie de son petit Warren, la brunette était de bonne humeur, fort heureusement pour lui. Car jusqu’à présent, il ne l’avait pas contrariée. Pourtant, elle savait que ses positions étaient bien moins radicales que les siennes. Rien d’étonnant en sachant que le jeune Tveit n’avait pas rejoint leur Cause de son plein gré. Mais par sa seule existence, Ana le lui pardonnait. Après tout, seul compte le résultat. Pour sa survie, Warren savait lui-même qu’il n’avait aucun intérêt à les trahir et pour sa supérieure hiérarchique, c’était tout ce qui comptait.

Lorsqu’Ana avait commandé les whisky, son petit protégé était resté de marbre, sans doute était-il impressionné par la force de respect dont faisait preuve la sous-directrice. Car elle partait du principe qu’en tant que cliente privilégiée, statut qu’elle s’était auto attribuée, elle était Reine du moment qu’elle payait. C’était comme ça, et le serveur ne pouvait donc rien dire étant donné que le client était roi. Peut-être qu’un jour Warren arrivera à la même force de respect, encore fallait-il qu’il se décoince un peu. Pour le moment, il semblait raide comme un piquet sur sa chaise, ce n’était tout de même pas la sulfureuse brune qui le mettait mal à l’aise ? Les hommes en général appréciaient pourtant ces gestes ambigus et entreprenants, mariés ou non. Mais qu’à cela ne tienne, Ana prendrait garde à ne pas trop le brusquer, aussi se recula-t-elle lorsque les whisky furent apportés, et l’écouta attentivement, tout en sirotant sa boisson.

De temps en temps, elle hochait la tête en signe d’approbation. Le parcours de Warren lui faisait un peu pensé au sien. Pas beaucoup d’études, intégration de la brigade de police magique, tout comme elle en fut partie pendant plusieurs années. Avant de grimper les échelons et de se retrouver à son poste actuel. Duquel elle espérait également évoluer et prendre un jour de la place de Rivers. Ana était en tout cas ravie d’entendre que son petit Warren appréciait ses journées au Ministère. L’avantage en effet, était qu’aucune d’entre elles ne se ressemble, et qu’ainsi la routine est rapidement écartée.
Elle le laissa finir avant de réagir. Il se demandait pourquoi Ana l’avait invité ce soir. Si quelqu’un à la brigade de police s’était plaint de son travail. Elle aurait pu s’offusquer, mais la situation l’amusait alors elle laissa échapper un rire.

« Si c’était le cas, je t’aurais convoqué dans mon bureau, directement. »

Ana n’était pas arrivée sous-directrice seulement à coups de pot-de-vin et de coucheries. Elle faisait tout de même preuve de professionnalisme de temps en temps. Elle convoquait parfois sans raison, pour faire peur ou bien si elle avait quelque chose d’autre à tirer de la situation. Ce n’était pas le cas pour Warren.

« Les études ne sont pas toujours la clé de la réussite. Continue à faire du bon travail, et si tu veux devenir Auror, tu le deviendras. » En particulier si il léchait les bottes de sa sous-directrice.

Ana répondit au large sourire de son petit protégé. Quel charisme. Une excellente friandise à se mettre sous la dent. Il était bien difficile de rester sage, alors que pourtant elle n’avait pas grand chose à tirer avec Warren.
Elle était en attendant bien placée pour savoir qu’avec du travail, de la patience et du léchage de bottes, on finissait par arriver à ses fins. Pour le moment, elle avait juste essayé de rassurer Warren. Si il voulait absolument savoir la raison qui avait poussé Ana à l’inviter lui en particulier, elle ne lui dirait rien de plus que cela :

« Si tu te demandes pourquoi je t’ai invité à sortir, toi en particulier, tu devrais plutôt profiter d’être dans mes bonnes grâces. » Et oui Monsieur Tveit, tu es un privilégié et au lieu de te poser des questions, tu ferais mieux d’en profiter car ce n’est certainement pas donné à tout le monde.
D’ailleurs, elle le lui rappela sur un ton plutôt tranchant, sans pour autant perdre son sourire.

« Ce n’est pas donné à tout le monde, sache-le. »

Jouis de tes privilèges, et tais-toi.

Une manière d’affirmer sur son petit protégé une certaine autorité, quand même. Et Ana ne perdait pas de vue le principal sujet de conversation qu’elle voulait abordée avec Warren ce soir. Elle doutait fort qu’il soit du genre à balancer qui que ce soit, mais elle allait tout de même essayer. Sans se rapprocher de nouveau du jeune homme pour le moment, la brunette se redressa sur sa chaise, et reprit une nouvelle gorgée de whisky.

« Mais puisqu’on en parle...aujourd’hui j’ai reçu une liste de revendications concernant les nouvelles mesures prises par le Ministère. Et cela provenait justement de la brigade de police. Il semblerait que l’on leur en demande trop... »

Ces fainéants n’étaient pas au bout de leurs surprises, pourtant. Cela ne faisait que commencer.

« Tu as dû en entendre parler... » sous-entendu, dis-moi ce que tu sais.

Il fallait voir ça comme un apprentissage : il devait réussir à rester calme, courtois, lui faire des sourire et même sortir des blagues sans la vexer ! Oui, voilà, c'était un peu comme un pain béni, n'est-ce pas ? Alors il faisait de son mieux pour être poli, pour avoir du répondant, mais pas trop. Pareil pour l'humour, essayer de bien doser le tout. Par ce qu'il fallait l'avouer, il avait bien compris qu'elle l'appréciait, et ce de « relation » cela pouvait toujours servir pour le futur, alors il devait la dorloter un minimum ! Tveit avait donc essayé de faire un résumé assez fidèle de ses journées, de ses ressentis tout en choisissant au mieux ses mots, avant de lui poser une question simple mais pas anodine et lorsqu'elle lui répondit il acquiesça doucement avant de lui faire un vague sourire.

 « Tant mieux, j'ai craignais une si mauvaise nouvelle qu'il allait falloir la faire passer avec un verre ou deux.» plaisanta-t-il.

Au final, ça aurait pu être vrai. Il ne la connaissait pas assez pour savoir de quoi est-ce qu'elle était capable, et puis parfois certaines actions sont faites spécialement pour pouvoir manipuler quelqu'un. Il était totalement conscient de cela, alors ce n'était pas une idée qui était juste abracadabrantesque. Il était un peu rassuré, mais il se demandait si la mauvaise nouvelle n'aurait pas été une meilleure chose suivant ce qui allait suivre.

 « C'est bien mon objectif au final de pouvoir évoluer au sein de la société et de ne pas rester toute ma vie au bas de l'échelle. J'ai beaucoup plus d'ambition que ça.»

Nouveau sourire en coin. Là encore, il ne faisait que dire la vérité, même si actuellement Auror n'était pas forcément son objectif premier. Pour l'instant avec les nouvelles mesures, les collègues, il faisait sûrement meilleur d'être dans la Police Magique. Mais Auror était un rêve. Auror, c'était faire parti de l'élite, alors oui, c'était quelque chose qui malgré tout était à miroiter.
Bientôt, elle avait repris la parole qui pour expliquer... pas grand chose au final, cela ressemblait d'ailleurs plus à une mise en garde qu'autre chose, beaucoup de traits d'esprit – ou du moins de sarcasmes- lui venaient en tête mais, par mesure de sécurité, il se contenta de lui faire un nouveau sourire un opinant bien docilement du chef pour montrer qu'il avait compris ce qu'elle lui disait là. Sois juste un bout de steak qui sourit, Warren, c'est visiblement tout ce qu'elle souhaite.

Fort heureusement, elle avait bientôt changer de sujets pour lui expliquer pourquoi elle voulait le voir en tête à tête. Il fronça d'abord un peu les sourcils, assez étonné de ce qu'il entendait là. Il se gratta un peu la joue pour réfléchir à ce qu'il savait ou pas – pas grand chose- et sur la réponse à fournir à la femme. Il but une autre gorgée de sa boisson histoire d'avoir quelques instants supplémentaires de réflexion mais aussi pour se donner un minimum de contenance.

 « Je suis désolé, je ne suis pas certain de voir de quoi vous parlez. Après, ce n'est pas étonnant, la plupart de mes collègues ne me font pas forcément confiance vu que je suis nouveau dans le service et... disons l'intérêt que vous me portez, ou comme vous dites, le fait que je sois dans vos bonnes grâces ne doivent pas les aider à se confier, ou à m'en parler.» Il se racla un peu la gorge avant de continuer  « Pourrais-je connaître quelques points de cette liste, même si on ne m'en a pas parlé, peut-être ai-je entendu un mot ou deux en passant ; et si vous le souhaitez je pourrai vous donner mon avis. »

Il savait qu'il jouait peut-être un peu gros là... mais s'il la décevait, cela aurait beaucoup trop de répercussion, et puis comme il n'avait entendu parler de rien, il pourrait probablement temporiser un peu les choses du côté de la femme. Il pouvait comprendre ses collègues qui disaient qu'on leur en demandait beaucoup... mais comme il n'était pas là depuis longtemps, difficile de faire une quelconque comparaison.

La brune laissa échapper un rire. Doux agneau que Warren était...il s’essayait même à l’humour pour ne pas risquer de contrarier sa sous-directrice, si bien qu’elle aurait pu prendre cette évocation d’un verre ou deux pour une invitation à prolonger cette soirée. Le jeune Tveit n’avait-il pas une famille à rejoindre ? Ou bien peut-être préférait-il rester dans ce pub rempli de sangs-mêlés, en compagnie d’une femme bien plus sexy et sulfureuse que la sienne. Le choix était assez évident, mais Ana se contenta de ce rire. Elle gardait simplement à l’esprit que Warren était partant pour un deuxième verre. D’ailleurs, cela ne saurait tarder, car la brésilienne n’était hélas que trop habituée du whisky pur-feu, dont elle descendait les verres assez rapidement, tout en restant maîtresse d’elle-même. L’expérience de l’âge sans doute. Elle en avait pourtant l’air, mais elle était loin d’être comme toutes ces vieilles bourgeoises qui prétendaient tenir l’alcool alors qu’un simple verre de vin leur faisait tourner la tête.

Ana garda cependant cette idée pour elle et prit simplement une nouvelle gorgée de whisky, concentrée sur ce que lui disait Warren. Évidemment qu’il avait plus d’ambition que de rester toute sa vie à la brigade, sa sous-directrice n’en doutait pas. Et elle serait peut-être en mesure de le faire évoluer plus tard, se fichant pas mal de ce que pourraient penser les autres en qualifiant le jeune Tveit de « pistonné ». Tant qu’il n’y avait aucune preuve, rien ne pouvait être prouvé, les employés du département de la justice magique étaient bien placés pour le savoir. Jusqu’à présent, Ana s’était toujours débrouillée pour que toute tentative de corruption quelle qu’elle soit, passe inaperçue.

« Je n’en doute absolument pas... » dit-elle en arborant un petit sourire charmeur, tandis que ses doigts effleuraient doucement son verre de whisky. Et oui, tant que Warren restait un gentil garçon bien obéissant, il n’aurait aucun mal à gravir les échelons.

Mais ce n’était pas ce qui intéressait le plus la brune, qui jusqu’à présent n’avait pas évoqué ce qui lui titillait l’esprit. Elle avait attendu le moment propice, qui avait finit par arriver puisque le jeune Tveit se demandait pourquoi elle l’avait invité lui. Ana lui avait tout de même fait comprendre de ne pas poser trop de questions et de profiter, tout simplement. Car c’était elle qui les posait, les questions. Elle l’écouta alors de nouveau attentivement. Autant dire qu’elle ne fut pas vraiment satisfaite de la réponse. Malgré que Warren essayait de rester le plus diplomate possible, Ana fronça un sourcil. D’un autre côté, son argument était plausible. Il était évident que ces autres jaloux ne lui diraient pas grand chose. Était-ce le problème de la sous-directrice ? Non. Elle voulait des réponses. Et son attitude changea. Elle perdit son sourire, se redressa sur sa chaise et se mit sur le côté, une jambe relevée sur l’autre. Elle rejeta ses cheveux en arrière et soupira.

« Dommage...Tu me déçois. »

Maintenant, Warren voulait avoir plus de détails sur la fameuse liste de revendications dont parlait Ana. Et bien, qu’elle présomption. Comme si elle se souvenait de chaque détail alors qu’elle ne l’avait lue qu’en diagonale, n’ayant que faire de ces pitoyables revendications. Ces imbéciles n’avaient qu’à faire ce qui leur était demandé. Ana n’appréciait guère qu’on ne lui obéisse pas sans rien dire. Agacée, elle scrutait la salle du chaudron baveur, à la recherche d’un bel homme à regarder pour se distraire.

« Et bien pour faire simple, certains craignent une surcharge de travail liée à la mise en place de la milice chargée de protéger les sorciers au sang non pur. »

Faisant preuve d’un minimum de professionnalisme, la brune avait fait l’effort de ne pas se montrer médisante. Elle se tourna alors vers Warren après avoir marqué une pause, pour avaler une nouvelle gorgée de whisky.

« Et toi Warren, que penses-tu de tout ça ? » Elle retrouva un sourire, non charmeur mais presque narquois. « J’imagine que tu travailleras autant qu’il le faut, sans broncher, pour l’intérêt commun. Pas comme ces écervelés qui devraient plutôt s’estimer heureux de pouvoir conserver leur emploi... »

D’une main, Ana s’amusait à entortiller l’une de ses mèches de cheveux, le regard de nouveau planté sans celui de son petit protégé, se faisant de plus en plus insistant.

Est-ce qu'il avait un peu froncé les sourcils lorsqu'elle lui avait qu'il le décevait ? Peut-être l'ombre d'un instant avant d'essayer de retrouver un visage plus joyeux.  Bien sûr que ce genre de phrase l'inquiétait et le mettait un peu aux aguets, car qui sait ce qu'elle pouvait bien faire avec son esprit tordu, vu sa position  hiérarchique. Il devait rester concentré, essayer de commettre le moins d'erreur possible, mais en même temps, s'il n'avait pas entendu parler d'une information, il ne pouvait pas non plus l'inventer, n'est-ce pas ? Visiblement, il l'avait assez vexée pour qu'elle se trouve une autre cible visuelle. Est-ce que c'était vraiment censé être vexant ? Non, par ce que personnellement, il le prenait bien et au contraire, il avait l'impression de pouvoir un peu mieux respirer maintenant qu'elle n'avait vu plus le regard rivé sur lui ! Elle le mettait vraiment mal à l'aise mais il n'osait toujours rien dire sur ce sujet.

Et elle lui avait bientôt répondu sur le sujet des revendications. Ah. Voilà tout ce qu'il se disait. Juste Ah. C'était tout ce qui l'ennuyait ? Il lui en fallait vraiment pas beaucoup, mais là encore ce n'était pas une réflexion qu'il pouvait faire et pourtant, à cet instant précis, il la voyait un peu comme une grosse fragile qui avait juste besoin de se plaindre  de ses sous-fifres.  C'était compréhensible cette crainte, lui non plus n'avait pas envie de passe des heures à protéger certains culs plutôt que de faire la partie intéressante du métier... Tandis qu'il réfléchissait à une manière de dire les choses, elle s'était de nouveau tournée vers lui. Ah , elle avait même repris la parole en lui demandant son avis. Dommage qu'il n'y ait pas d'olive dans le coin, il ne pouvait même pas essayer de s'étrangler avec pour ne pas avoir à répondre ! Concentration... difficile vu qu'elle avait planté son regard sur lui en se tripotant les cheveux et le malaise était revenu.

Comment faire pour trouver les bons mots alors qu'il était plutôt d'accord avec ses collègues... Il n'avait pas envie de travailler des jours durant et de ne pas avoir son fils ; mais s'il ne faisait pas preuve de bonne volonté et bien elle pouvait lui faire nombre de crasse, or il avait besoin de son soutien. Etre un peu faux cul n'avait jamais tué personne de toute façon. Le tout était de ne pas dire quelque chose qu'il pouvait regretter....

 « Je pense que le problème est plus complexe que cela. Certes, je travaillerai plus s'il le faut, mais pour être efficace il faut pouvoir se reposer. Or, plus de travail avec le même nombre de personnes et avec beaucoup plus d'heures, ça ne peut qu'être problématique. Comment bien protéger les nôtres, si l'on est trop fatigués, si  on doit en plus essayer d'enquêter sur nos affaires de tous les jours ? Le travail sera mal fait, et mettra la vie de nos concitoyens en jeu.» il se tut quelques instants avant de reprendre  « Bien sûr, dans les premiers temps, cela ne se verra pas forcément, mais notre déclin face  à la fatigue finira par tous nous porter préjudice.»

Il entendait déjà qu'il la décevait blablablabla, mais il ne pouvait dire oui je ferai toutes les heures nécessaires. Le boulot  ordinaire + les missions pour la cause dans le cas des Supérieurs + celui dont elle parlait, ça allait forcément mal finir... et dans son cas, il y avait en plus bébé à la maison. Son air fatigué devait déjà en dire long.

 « Personnellement, j'aime que les choses soient bien faites, et éviter de laisser les choses au hasard. Je prends les choses à cœur, en quelque sorte, c'est pour cela que je finis parfois plus tard, pour finir mon dossier et ne pas le laisser au lendemain, et je continuerai de le faire à chaque fois que ça sera nécessaire. Avec une trop grosse surcharge de travail, il sera forcément mal fait.»

Son discours n'allait pas lui plaire, mais il voulait  vraiment lui montrer que ce n'était pas les heures sups qui le gênaient mais ce que cela pouvait engendrer. Forcément ses collègues ne seraient pas tous de son avis, mais tant pis, il parlait pour son propre cas.

Sentir la gêne de Warren vis à vis du comportement d’Ana envers lui, ainsi que l’insistance dans son regard, la délectait d’avantage à chaque instant. Jusqu’à ce que le jeune Tveit répondit à sa question, donnant son avis sur les nouvelles directives. Sa supérieure hiérarchique n’en demandait pas tant, peut-être que le fait de parler l’aider à oublier et à évacuer sa gêne, après tout ce n’était pas un comportement inhabituel. Heureusement pour Warren, il l’intéressait de moins en moins ce soir, elle avait espéré en apprendre d’avantage sur ce qu’elle voulait savoir, plutôt que d’entendre une espèce de beau discours sur le bien-être des employés au travail. Tout cela l’ennuyait, alors Ana finit par détourner le regard de son protégé pour se focaliser sur les potentielles futures victimes de tout à l’heure. D’un battement de cils, la brune avait d’ors et déjà capté l’attention et l’intérêt de quelques hommes. Il ne lui resterait plus qu’à faire le tri, si Warren continuait de l’ennuyer ainsi, il se pourrait bien qu’elle le libère de cette soirée plus tôt qu’elle ne l’avait prévu au départ.

Dommage, Ana appréciait sincèrement le jeune Tveit, même si ses « sentiments », si on pouvait les qualifier ainsi, étaient plutôt malsains. Elle voulait qu’il reste son protégé, autant qu’elle ne voulait pas être déçue. Mais si il n’avait rien entendu, elle n’y pouvait rien. Et il aurait pu s’arrêter là, la sous-directrice aurait tenté d’insister un peu puis elle aurait lâché l’affaire et serait partie sur autre chose. À moins que Warren ne voulait que délibérément l’agacer. Elle ne rentra de toute manière pas dans son jeu, pas plus qu’elle n’était intéressée par ses revendications. La seule chose intéressante qu’elle avait relevée, était qu’effectivement si les employés travaillaient trop ils seraient trop fatigués pour assurer la protection de leurs compatriotes au sang impur. Cette réflexion lui fit élargir son sourire...

« Ce serait en effet bien regrettable... »

N’importe qui pouvait deviner l’ironie et le sarcasme dans cette remarque, Warren n’y faisait pas exception. Même si Ana n’avait jamais cherché à dissimuler ses positions, cela ne l’empêchait pas de faire preuve de professionnalisme jusqu’à présent, à contre-coeur parfois, certes. Mais quand même. La brune lâcha ses cheveux et se redressa, en poussant un léger soupire, comme pour clairement manifester son ennui.
Elle n’avait retenu du discours du jeune Tveit que la partie où il disait qu’il aimait que les choses soient bien faites et qu’il était prêt à travailler aussi souvent que possible. Ana avait délibérément esquivé sa dernière phrase, insinuant que le travail serait mal fait. Un nouveau sourire se dessina sur ses lèvres.

« Je suis ravie de te l’entendre dire, et ça tombe bien parce que dès demain matin, j’aurais justement un dossier supplémentaire pour toi. »

La brune se mordit la lèvre inférieure, l’air carnassier, sans lâcher des yeux son petit protégé, qui allait être le premier à goûter au rythme de travail dû aux nouvelles directives. Sur ces bonnes paroles, elle termina son verre de whisky. Aussitôt la dernière gorgée ingurgitée, elle se redressa pour rappeler le serveur d’un nouveau claquement de doigts, comme tout à l’heure. Une pratique qui devait certainement en impressionner plus d’un, à commencer par Warren.

« Vous, là. Deux autres. » fît-elle en désignant leurs verres, le sien vide et celui du garçon qui l’était bientôt. Ana ne lui laissait pas vraiment le choix, elle ne voulait pas s’arrêter totalement sur cette conversation. Maintenant qu’ils étaient là, autant continuer sur une note plus sympathique et moins professionnelle.

« Cette tournée, elle est pour toi. » fît-elle à l’adresse de Warren lorsque le serveur revint pour déposer les deux autres verres devant eux.

Il n’allait tout de même pas refusé alors qu’elle l’avait gracieusement invité la première fois. Ce n’était pas ce soir que la sous-directrice allait obtenir l’information qu’elle était venue chercher, mais peut-être pouvait-elle en apprendre d’avantage sur son petit protégé. C’était en tout cas sa dernière chance d’intéresser sa supérieure hiérarchique.
Cette dernière se pencha de nouveau vers le jeune Tveit, arborant toujours son sourire malaisant.

« Alors, à part ça ? Tu as des choses à me raconter ? »

Tout ce qu’il voulait...du moment que ce soit intéressant.

On lui posait une question il y répondait. Parfois avec rigueur, parfois avec beaucoup plus de faux semblant, par ce qu'il fallait bien l'avouer, les faux semblants c'était important dans leur vie,un apparat duquel on ne pouvait pas se passer ; lorsqu'il y eut fini de parler, elle eut un sourire avant d'ajouter

« Ce serait en effet bien regrettable... »

Oui, ça serait aussi regrettables que certains sang-purs en pâtissent de cette fatigue, donc de cette « non-protection ». Probablement, d'ailleurs ne voyait-elle pas les choses de la même manière que lui, probablement qu'elle se dit qu'il y aurait toujours assez de monde pour protéger les Purs ou qu'ils pouvaient se défendre eux-même. A voir. Il aurait pu répondre beaucoup de choses, mais il préféra rester silencieux, c'était quelque chose qu'il ne maîtrisait pas à la perfection mais qui avait le mérite au moins de servir à quelque chose.
Malheureusement, il avait du auparavant un peu trop parler par ce qu'elle ne tarda pas à lui annoncer qu'elle aurait dès demain un dossier supplémentaire pour lui. D'accord, elle voulait le tuer à la tâche, ceci dit, c'était sa supérieure et s'il voulait augmenter de grade, qu'on lui fasse confiance et compagnie, il devait juste se taire. Etre dans les petits papiers de cette dame pourrait en plus lui servir un jour ou l'autre, alors il fallait bien serrer les dents pour pouvoir avoir quelques potentiels avantages futurs. Rien n'était certain, il le savait, mais il préférait le jouer comme ça, gagner des points ci et là. Tout servait un jour ou l'autre.

 « D'accord, est-ce qu'il faut que je vienne le chercher à votre bureau ou est-ce que je le trouverai sur le mien ?»

Elle pouvait se le carrer là où il pensait le dossier, mais ça, il ne pouvait malheureusement pas le dire. La politesse, être faux-cul était de rigueur dans ce monde-là. C'est bon, je valide la compétence ? Et soudain de nouveau, elle claqua des doigts. Argh ! Que c'était agaçant, d'autant plus que le pauvre type était obligé de radiner sa fraise comme un petit toutou. Qu'est-ce qu'elle croyait, la pédante, que c'était bien vu de faire ça ? Ca frisait plutôt le ridicule de son côté. Deux autres verres, et si lui n'avait pas envie de boire de nouveau ? hey mec, il en faut beaucoup plus pour te bourrer, non? Et quelques instants, il apprit qu'en plus cette tournée était pour lui. Normal en soi, il n'avait rien contre mais il aurait préféré qu'elle lui demande... mais bon, là encore il ne pouvait pas lui faire la remarque à la grognasse. Tout va bien se passer ne t'inquiètes pas. Répond à ces questions, tout simplement.
Et le voilà, le retour du sourire malaisant. Pitié, faite quelque chose contre ça, ce n'est pas possible? S'il avait des choses à raconter ? Tu veux qu'il te raconte la vie avec son bébé, ce qu'il fait en dehors du boulot, tu vas voir c'est passionnant la vie de famille. Oui, elle allait peut-être être gonflée par ses propos, est-ce que ça ne serait pas une douce vengeance même si elle serait sûrement coupée un peu trop rapidement ? Il fit mine de réfléchir avant de se lancer.

 « Oh, bah vous savez, au travail, vous avez mes rapports, du coup, il ne reste que le personnel. Je passe pas mal de temps au Ministère et quand je rentre il faut que j'aide ma femme à m'occuper de notre fils, passer du temps en famille aussi. Et puis le voir grandir et s'épanouir ça apporte tellement vous savez ?»  Oh oui, son discours il le pensait, mais il rajoutait quelques petites choses pour agrandir ce sentiment de plénitude.  « Il y a quelques sorties entre amis, mais au final, elle sont assez rare. C'est un boulot à plein temps et crevant d'être père... mais en même temps, il faut bien renouveler la future génération de sang-pur, n'est-ce pas ?»

Petit sourire en coin. Alors, Chef, tu en dis quoi de tout ça ?

Boire du whisky et contempler avec délice l’effet qu’elle procure lors de son passage dans ce pub traditionnel sorcier, Ana adorait ça. Ce sentiment de puissance et de supériorité, de bien des façons, tout dépendait de qui elle avait face à elle. Ce petit Warren dont le sans était pur mais dont la réputation le précédait. Un jeune homme dans la fleur de l’âge, si séduisant et pourtant si tolérant envers ceux qui ne le méritaient pas, qu’elle tristesse. Pour cela, il ne ferait sans doute jamais parti du cercle extrémiste de sa sous-directrice, dont les partisans trouvaient le Ministère et surtout Walters trop laxiste, alors qu’avec un peu plus de fermeté et d’autoritarisme ils pourraient aisément régner sur le monde sorcier. La frustration commençait réellement à se faire sentir, d’autant plus qu’Ana et les autres représentaient une minorité pour le moment, sauf si beaucoup préféraient taire leur véritable point de vue. Qui sait, peut-être que Warren aussi changerait d’avis.
Cette frustration, la brune l’évinçait un tant soit peu lors de ce genre de soirée. Boire du whisky, se montrer à de beaux mâles, s’amuser avec le jeune homme...Même si elle appréciait Warren pour un tas de raisons, certaines légitimes et d’autres absolument étranges, Ana prenait tout autant de plaisir à jouer avec lui telle une souris entre les griffes d’un chat. Elle ne cherchait pourtant pas à ce que le jeune Tveit l’apprécie, mais passer du temps avec lui en dehors du travail tout en profitant de sa position hiérarchique par rapport à lui était toujours très plaisant.

Hélas seulement deux verres de whisky dont un à peine entamé ne suffisaient pas à la brésilienne pour s’intéresser à ce que lui racontait Warren. Habituée aux soirées bien trop arrosées, il lui en fallait bien plus pour rebondir sur une discussion concernant sa vie de jeune père. À l’entendre, s’occuper d’un petit être fragile et innocent paraissait magnifique, merveilleux...et Ana voulait bien le croire. Mais elle n’avait malheureusement jamais pu connaître cela. Elle avait tiré un trait sur ce bébé qu’elle avait eu plus jeune. Tout comme cet épisode de sa vie, avec bien d’autres, ne faisaient plus partis de son passé. De son vivant, Anthony avait réussi à effacer tout ça, et la jeune femme lui en serait éternellement reconnaissante. De l’avoir sauvée, mais détruite à la fois. Tout dépendait du point de vue. Ana se considérait comme sauvée, il ne lui restait plus qu’à reprendre le flambeau...

Mais pour le moment, son esprit était focalisé sur Warren, puis sur ce qu’elle allait faire du reste de cette soirée. Son jeune employé lui demanda également si il devait venir récupérer son dossier dans son bureau ou bien si elle allait lui amener. Voilà bien une drôle d’idée. Ana n’allait tout de même pas faire son travail à sa place ? Ou encore aller chez lui changer les couches de son héritier. Ah, ce petit sang-pur...il devait assurément être le portrait de son père. Mais quel gâchis de l’élever dans la tolérance plutôt que dans la hargne de surpasser tous les autres. Bref. À cette remarque, la brune perdît son sourire, et lui répondit assez sèchement.

« Viens le chercher, bien sûr. Tu ne veux quand même pas que je fasse le travail à ta place ? Tu n’es qu’un employé, je te rappelle. »

Sarcasme. Mais en effet, même si Warren était pour le moment toujours dans les bonnes grâces d’Ana, il ne fallait pas qu’il oublie qu’il était toujours qu’un simple employé. Et qu’il devait ainsi lui obéir, et supporter les réactions parfois excessives et exacerbées de sa sous-directrice. D’autant plus qu’elle reprit aussitôt son sourire malaisant à l’égard de Warren.

Son discours sur la paternité l’ennuyait, donc. Il était d’ailleurs très étonnant d’entendre un si jeune homme en parler avec autant d’aisance et d’implication. Chez les sangs-purs, milieu très traditionaliste, l’homme n’avait pas l’air de s’impliquer dans ce genre de tâches. Ana elle-même avait été élevée, avec ses deux autres sœurs, quasiment uniquement par son père, alors étonnamment elle pouvait comprendre son petit protégé au sang-pur. C’était simplement un sujet qu’elle préférait éviter. De plus, la brune prit sa dernière remarque comme une provocation, alors qu’il n’en était probablement rien. Insinuait-il qu’Ana ne serait jamais capable d’assurer une lignée de sangs-purs ? Même si c’était vrai, ça n’en restait pas moins agaçant et vexant. Mais le jeune Tveit avait probablement dit ça afin de tenir un discours qui pourrait lui plaire. Mauvaise pioche. Mais la brésilienne ne laissa rien paraître d’autre qu’un sarcasme et un air ennuyé.

« Ah oui, ça a l’air passionnant. »

En aucun cas. Et si Warren n’avait que ça à lui raconter, alors il était préférable de laisser là cette entrevue. Ana laissa échapper un soupire en avalant une autre gorgée de whisky. La compagnie de son petit protégé était plaisante mais il était temps pour elle de passer à un autre niveau, plus...adulte. Les deux hommes adossés contre le comptoir du bar n’attendaient que ça probablement également. Et la sulfureuse brésilienne, qui les avait déjà repérés tout à l’heure, répondit d’un regard qui en disait long, ne prêtant plus vraiment d’attention à Warren. Mais elle n’allait pas non plus partir comme une voleuse, aussi commença-t-elle par récupérer son sac à main et s’apprêta à se lever.

« Très bien mon cher Warren, ce n’est pas que je m’ennuie mais je vais te laisser rentrer chez toi et retrouver ton adorable famille. »

Ta femme fatiguée par l’accouchement incapable de te satisfaire, et ton insupportable rejeton braillard. Quelle merveilleuse vie. Les projets qu’Ana avaient en tête pour la suite de cette soirée s’avéraient bien plus amusants que ceux de Warren, assurément. Elle se leva donc avec son sac à main et son verre de whisky dans l’autre main. En passant à côté du jeune Tveit, elle ne manqua guère d’effleurer de sa main son épaule, la lui caressant furtivement.

« À demain et bonne soirée. »

Sans se retourner, Ana laissa là son petit protégé pour aller se nicher entre les deux beaux hommes adossés au comptoir afin d’engager une conversation très explicite.

Est-ce qu'il cherchait à la pousser à bout ? Même pas. Peut-être qu'une partie de lui, effectivement essayait de répondre ce qu'il pensait tout en priant pour qu'elle ne le prenne pas en grippe mais qu'il puisse rentrer chez lui rapidement.

« Viens le chercher, bien sûr. Tu ne veux quand même pas que je fasse le travail à ta place ? Tu n’es qu’un employé, je te rappelle. »

Des fois c'était à se demander si même Godwin n'était pas plus agréable et moins condescendante et pourtant elle en tenait déjà une sacré couche. Au moins Rain avait un petit quelque chose de marrant et surtout elle dégageait moins de choses malsaine que son interlocutrice du moment. A quelqu'un d'autre il aurait peut-être répondu qu'un sort c'était quand même vite jeté... mais là, il ne pouvait pas se le permettre, quel dommage. Tout comme il ne pouvait pas lui dire que quelques pas supplémentaires ne pouvaient pas faire de mal et permettaient de garder la forme.

 « Bien sûr, je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps inutilement pour quelques formalités. Je viendrai le chercher quand j'arriverai au bureau sans aucun souci Madame. »

Le tout dit avec son plus beau sourire histoire de mieux faire passer la pilule, comme si cela ne le gênait pas qu'elle lui parler comme ça... alors qu'il avait en réalité juste envie de l'envoyer balader ! Et si elle croyait qu'il allait se laisser impressionner par ces petites phrases, ces sous-entendus ou autres, elle se trompait. Bien sûr, il y faisait attention, il essayait de doser le tout, de ne pas commettre trop de fautes, mais il préférait aussi dire ce qu'il pensait sur les sujets importants, tout comme il mettait le paquet sur sa vie de famille. Il avait bien compris que cela ne passionnait pas Ana mais qu'elle ne pouvait rien dire là-dessus : après tout, la famille, la lignée de sang-pur c'était SI important dans leur monde. Cela, on ne pourrait pas lui reprocher, du moins en théorie, alors il en jouait sans souci !
D'ailleurs, lorsqu'elle avait commencé à récupérer son sac à main, il avait fait son étonné, cachant à la perfection qu'il était en réalité réjoui. Il allait pouvoir rentrer plus rapidement que prévu et il lui tardait franchement de pouvoir retrouver son canapé ainsi que sa famille. Se reposer, ne pas avoir à réfléchir à chaque mot prononcé, à devoir plaire à son supérieur hiérarchique.

« Très bien mon cher Warren, ce n’est pas que je m’ennuie mais je vais te laisser rentrer chez toi et retrouver ton adorable famille. »
 « D'accord Madame, merci beaucoup.»

Ils allaient pouvoir se fendre la poire sur tout ça, peut-être s'amuser avec Mily. Mais forcément, il fallait qu'elle fasse une sortie « remarquée » en passant à côté de lui caressant son épaule.

 « A demain, bonne soirée.»

Dommage, celle-là même quand elle pécho quelqu'un elle n'était pas plus agréable après, elle avait l'air d'être ce genre de femme insatiable et jamais satisfaite. Une plaie, selon le garçon qui pourtant aimait déjà beaucoup s'amuser avec les belles jeunes femmes jusqu'à il y a quelques mois où il avait dû se ranger. Il finit son verre et, à son tour se leva, mais lui pour quitter le bar et retourner chez lui.