L'élégance sous le soleil | Rain

Toujours très occupée par les dossiers à finir avant d’en entamer d’autres, Rain n’avait pas beaucoup posé sa plume depuis le début de la semaine, mais la fin de l’après-midi approchait à grands pas, ce qui ne put que lui procurer un soulagement intérieur de bien-être. Qu’elle n’avait pas ressenti depuis un moment, d’ailleurs, pas depuis ses retrouvailles avec Jane, loin des yeux du Ministère, lui évitant ainsi bon nombre d’ennuis dont l’ambassadrice n’osait à peine imagier l’ampleur. A croire que la flamme qui l’animait lorsqu’elle travaillait, n’était plus aussi vive et éclatante qu’avant. Au vu des circonstances et du contexte international du moment, il n’y avait pas à chercher plus loin, hélas. Voilà pourquoi l’américaine se réjouissait de retrouver un ami qu’elle n’avait eu guère le temps de revoir depuis plusieurs mois, au minimum. Shura était une rencontre faite à l’université de droit à l’époque, lorsque leurs carrières s’étaient croisées. Pourtant, Rain n’avait pas étudié cette discipline très longtemps, elle avait simplement eu besoin de connaître les bases, pour sa propre carrière, mais rapidement, elle s’était dirigée vers la géopolitique et le commerce international pour en comprendre les tenants et aboutissants. Depuis, les deux quarantenaires, bien que s’ayant perdus de vue à un moment donné de leur vie, ce qui était inévitable, s’étaient retrouvés depuis peu au Ministère. Rain en tant qu’Ambassadrice nommée pour représenter son pays ici, au Royaume-Uni, et Shura, en tant qu’avocat privé. Cela n’avait pas étonné la grande brune, qui avait su dès le début que les compétences de cet homme étaient prometteuses.
Néanmoins, l’américaine était certes ravie de le revoir, mais également curieuse de savoir ce qu’il faisait ici, à Londres. Elle l’avait croisé à plusieurs reprises dans les couloirs du Ministère, sans jamais avoir le temps de n’échanger plus qu’un sourire discret, alors qu’elle le pensait être retourné en Russie. Mais elle avait préféré lui proposer cette rencontre, afin de rendre les choses moins informelles. Aussi, Rain évitait de montrer qu’elle pouvait éventuellement avoir de sympathiques relations au sein du Ministère, la prudence étant de mise, toujours. Voire même, d’avantage, ces temps-ci. Impossible de savoir ce que pensait Shura de toute cette situation, de ce contexte. Et même si elle le questionnait à ce sujet, elle n’obtiendrait que des réponses évasives, ou même, mensongères. Elle avait simplement entendu dire qu’il n’exerçait pas toujours son métier de manière très honnête, contrairement à ce que Moira pourrait faire, à qui l’ambassadrice n’avait jamais songé à poser la question, d’ailleurs. Mais pour tout cela, elle ne pouvait en aucun cas blâmer l’avocat russe, ayant elle-même eu recours parfois aux magouilles et à la corruption. Ainsi l’exigeait la sphère dans laquelle ils évoluaient, chacun d’eux. Et la brune ne serait probablement pas à sa place actuelle si elle avait suivi les principes moraux de base. Shura ne pouvait que comprendre les difficultés auxquelles Rain avait été confrontée, étant lui aussi de sang-mêlé.

Tout ceci faisait tenir bon leur amitié, d’une certaine façon. Finalement, l’informatrice quitta son poste plus tôt que prévu, dans l’idée saugrenue de profiter des derniers rayons de soleil. Comme elle était indépendante, elle pouvait bien faire ce qu’elle voulait de toute façon. Elle rassembla ainsi ses dernières affaires avant le week-end, afin de quitter le Ministère.
Lorsque la grande brune mît un pied dehors, elle rechigna un instant et plissa les paupières. Effectivement, voilà bien un signe qu’elle n’avait pas pris le soleil comme ça depuis un certain temps. Quitte à en profiter, autant espérer que ces rayons chaleureux ne donnent un meilleur teint à sa peau. Quelques heures étaient loin d’être suffisantes, bien sûr, mais c’était toujours ça de pris. Rain ne mît guère longtemps à arriver jusqu’au lieu de rendez-vous, un bar plutôt chic sur Picadilly Circus. Elle reconnut Shura, installé à une table en terrasse, sa fidèle cigarette entre les lèvres, au beau milieu de ces rues animées et parsemées de moldus et de sorciers qui se promenaient là en ce début de week-end, parmi ces innombrables publicités défilant en boucle sur les bas immeubles. Cette ambiance rappelait New-York et son Time Square. A son arrivée, l’homme se leva pour accueillir l’ambassadrice, par une étreinte chaleureuse. L’exagération de l’accueil la fît sourire, elle répondit sur le même ton enjoué.

« Bonjour, Shura. Le plaisir est amplement partagé. »

Radieuse n’était pas le terme qu’elle-même aurait employé pour se décrire, néanmoins elle acceptait le compliment amicalement, et rebondît simplement :

« Le soleil, sûrement. » Ironie, cette fois. Un léger rire, puis Rain reprît. « Je vais bien, merci. Et toi ? »

Un simple échange formel qui ne signifiait pas grand-chose pour l’américaine, systématiquement elle répondait cela. Son élégance faisait partie d’un artifice utilisé pour toujours faire preuve de présentation irréprochable.

« Je vois que tu ne perds pas tes bonnes habitudes ! »

Elle faisait référence à la cigarette, qu’elle considérait plutôt comme une fâcheuse manie moldue, qu’elle aussi bien sûr avait déjà essayé. Mais c’était purement ironique, là encore, elle se fichait pas mal de ce que fumait Shura. Elle s’assit à la table à son tour, attrapant dans son sac à bandoulière ses lunettes de soleil pour les poser sur son nez. Encore une invention moldue bien utile.

« J’imagine que ça ne doit pas vraiment plaire à nos collègues ! »

Adopter des habitudes moldues lorsque l’on travaillait au Ministère, n’était pas la meilleure chose à faire.

« Alors ? Ça fait combien de temps que tu es à Londres ? »

Pour une fois, il n’y avait aucune once d’hypocrisie dans les paroles que Rain adressait à son ancien ami d’université, bien que ses mots étaient toujours pesés et prononcés avec subtilité, l’ambassadrice était sincère envers Shura. Les bons moments partagés restaient gravés en mémoire, ainsi que leur complicité de l’époque et l’intérêt certain qu’ils se portaient l’un à l’autre, encore aujourd’hui, même si ils ne s’étaient pas recroisés depuis longtemps. Pourtant, la communication entre russes et américains pouvait parfois être rude et difficile, mais entre les deux sang-mêlés, tout était simple et fluide. L’engouement avec lequel l’avocat parlait de ses affaires, qui se portaient pour le mieux disait-il, mettait un peu de baume au cœur de la brune, si terne ces temps-ci. Cette rencontre et cette conversation étaient plus que bienvenues, naturellement Rain ne laissait rien paraître, et avait pris soin de laisser son mal-être chez elle. Elle ne savait pas où se positionnait Shura dans tout ça, et lui non plus ne connaissait pas les positions de son amie, l’un comme l’autre ne pouvait parler librement. Une bonne chose en fin de compte, car Godwin n’avait aucune envie de parler de ce mal grimpant qui lui rongeait l’âme, depuis quelques temps. Exprimer ses émotions, ou assumer qu’elle traversait une mauvaise passe, avait toujours été des exercices compliqués pour elle, aussi préférait-elle penser à autre chose et faire comme si de rien n’était.
Aujourd’hui, elle était simplement une vieille amie retrouvée, installée à une terrasse de café moldu sur Picadilly Circus, souriant de bon cœur à l’évocation de sympathiques souvenirs de jeunesse. Ceux qu’elle avait d’un homme dont la compagnie était intéressante et appréciable, absolument le genre de personne qu’elle pouvait compter dans un cercle très privé.

« Ravie de l’entendre ! En même temps, compte tenu de tes compétences en la matière, il ne pouvait en être autrement. »

C’était une évidence pour Rain, étant donné que Shura avait toujours compté parmi les plus doués aux cours de droit. Si il ne l’avait pas été, il n’aurait pas rencontré l’américaine, qui ne s’entourait que des meilleurs. Elle brillait dans les études de droit, comme ailleurs. Mais tandis que le russe avait continué dans une expertise plus poussée en la matière, la brune était partie en géopolitique. Mais cela ne faisait aucun doute que si elle avait continué dans le droit, elle aurait dépassé Shura, elle se garda bien de lui dire, naturellement.
L’ambassadrice laissa échapper un rire franc lorsqu’il évoqua les bienfaits de l’odeur de sa cigarette, contribuant à éloigner ses collègues de son bureau. Elle ne comprenait que trop bien les difficultés à travailler dans ces sphères en tant que sang-mêlé. Mais elle prit cette réflexion à la rigolade et lança avec amusement :

« Vu comme ça…Bonne idée tiens, je devrais essayer. »

Humour, d’une part la cigarette n’était pas son genre même si cela pouvait lui arriver de temps en temps, elle n’en faisait pas une habitude régulière. D’autre part, elle ne recevait pas grand monde dans son bureau, généralement, donc elle n’avait pas à se plaindre sur ce point. Shura quant à lui, devait être bien plus confronté aux complaintes des uns et des autres, dans le cadre de ses affaires.
Voilà maintenant six ans qu’il était installé à Londres, les années passaient donc si vite. Autant d’années qu’ils avaient passé non loin l’un de l’autre, sans jamais prendre le temps de se voir. Rien détonnant hélas, Rain était une femme réellement débordée, à courir partout entre Londres et New-York, Shura devait sûrement l’être tout autant. Elle l’écoutait attentivement, elle ne doutait pas que son propre cabinet marchait aussi bien qu’il ne l’avait espéré. En y repensant, il connaissait sans doute Moyra, et vice-versa. Mais l’ambassadrice ne voulait pas risquer de mentionner leur proximité à qui que ce soit. Elle voulut le complimenter mais Shura le fît le premier, la félicitant pour sa nomination en tant qu’ambassadrice, ce qui naturellement lui fit esquisser un large sourire satisfait. Pourvue d’une immense fierté et d’un égo surdimensionné, elle savourait chaque compliment qui pouvait lui être fait, surtout lorsqu’il s’agissait de son travail. Elle passa une main dans ses cheveux pour les rejeter en arrière et répondit fièrement :

« Bien sûr que je le suis. Ma nomination était une évidence et s’est faite sans surprise, personne n’était assez qualifié pour représenter le MACUSA. » Elle marqua une brève pause après s’être jetée ses fleurs. « Mais merci. Je le suis depuis bientôt sept ans maintenant ! »

Et pourtant, Godwin donnerait tout pour revenir quelques années en arrière, à l’époque où les États-Unis étaient une grande Nation, neutre et en possession de son libre-arbitre, avant de lentement basculer dans la folie de l’idéologie Supérieure, entraînant dans sa chute toutes les valeurs auxquelles l’ambassadrice était attachée avant.

« Je suis absolument débordée, comme tu t’en doutes. Je navigue constamment entre le Ministère britannique et le Congrès Magique américain. Mais je ne peux pas croire que tu sois à Londres depuis si longtemps, et que nous n’ayons pas pris le temps de nous revoir avant. »

Adossée à sa chaise, elle commençait à avoir soif. D’un claquement de doigt, Rain somma à un serveur de venir prendre leur commande, il répondit simplement d’un signe de tête, l’air de dire qu’il viendrait après le rangement d’une table.

« J’espère remédier à cela, maintenant. »

Quelques secondes suffirent au serveur pour revenir, avant qu’il ne put les saluer, la brune prit aussitôt la parole, pour tous les deux.

« Une bouteille de Chardonnay. » Puis, son regard vint rencontrer celui de Shura. « C’est pour moi. »

Qui n’aimait pas le bon vin, après tout. En particulier deux quarantenaires aux goûts si raffinés comme l’étaient les deux anciens amis d’université. Le serveur prit note, puis repartit préparer la fameuse bouteille. En attendant, l’ambassadrice enchaîna :

« Alors ? Pourquoi avoir choisi Londres, après tant de voyages ? »