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Overwhelmed - Léon - Jordane

 :: Londres :: Est de Londres
Dim 24 Mar - 15:48
Précédemment, dans les aventures des Wargraves ...

*

Les muscles à bout répondent aux regards délavés, aux teints grisâtres, aux bras aux veines apparentes et aux tissus déchirés. Ça sent la crasse, l’huile, la pisse. Qu’importent les immeubles, qu’importent les squats, tout se ressemble. Impossible de savoir s’il croise les mêmes regards qu’un an plus tôt, les mêmes parquets limés, les mêmes moquettes bouffées. Impossible de dire si ces gens mentent, quand il leur demande s’ils connaissent Léon, ou Jeremy. Chaque fois, c’est le même rituel. Les yeux qui s’évadent. La négation balancée dans un mouvement de fuite. L’espoir, toujours plus mis à mal. Maxence le sait, il dérange. Tout chez lui montre qu’il n’est pas de ce milieu. Tout chez lui, dans ses veines, son ADN, son histoire sait qu’il y appartient pourtant tout à fait. Alors ses paumes sont moites, sa gorge râpeuse.
Pour eux, il est un flic ; pas un frère. Un agent quelconque, du gouvernement, d’une asso, d’un organisme quelconque. Un type contre qui tous se liguent de base, sans en écouter davantage. Il est l’ennemi. L’intrus.
Donc personne ne parle.

Et chaque fois, l’image de sa mère prend un peu plus de place. Les cris, les accusations. Les rires aussi. L’odeur, surtout. Celle du Febreze qui peine à masquer l’odeur âcre du tabac froid, des aliments frits la semaine passée. Des murs humides.

A présent chez Néolina, tout ça semble loin. Son passé. Les squats de Londres. La possibilité sans doute absurde d’avoir frôlé son frère. Plusieurs mondes s’affrontent, le sorcier se sait particulièrement bien placé pour en avoir conscience. Pourtant dans la chaleur d’un foyer, il lui semble être tout à la fois resté dans la rue et être rentré chez sa petite amie. Incapable d’être véritablement avec elle, sur ce canapé aux coussins changé récemment, face à la télé du salon, dans la pièce aux senteurs de café froid.

Plusieurs fois, Maxence s’est arrêté, dos sur le plâtre de l’un d’eux, à forcer sa respiration au calme pour éloigner les images de corps calcinés, de rechute maternelle, les déceptions et la culpabilité. Ses bras, ses jambes, sa colonne, tous brisés dans des angles anormaux. Le corps en photo de sa mère biologique, fracassé par les Supérieurs alors même qu’elle reprenait contrôle sur son existence. Un “mieux” comme Maxence en a déjà trop connu. Mais un mieux malgré tout.
Sa voix a résonné, au travers des voix étouffées d’un des immeubles visités dans un hasard lamentable. “Tu m’as laissé. Tu as fait le choix de partir et je n’ai rien eu à dire. Tu les as choisi, eux.” Et aux réminiscences du passé, les maux du présent qui s’alignent. Léon est là, quelque part, mais d’heures en heures, Maxence a compris qu’il ne fera qu’affronter des murs.
Pourtant, il n’est pas rentré.
Pas plus quand il a froissé quelques roquets d’un squat et qu’ils ont joué des coups de pression pour le faire rebrousser chemin que quand la nuit est finalement tombée.
Avancer, interroger, se plonger chaque fois un peu plus dans la misère humaine en sentant ses jambes perdre en consistance dès lors qu’il imaginait Léon dans un tel cloaque. Le savoir là, à portée de main, sans doute en danger…. Mais incapable de le trouver.
Plusieurs fois, Maxence a senti ses nerfs lâcher face à ceux dont la préoccupation principale était de le voir disparaître de leur vue. L’étranger.
Il aurait fallu quelqu’un qui connaisse ce milieu. Quelqu’un qui en saisisse les codes, pas quelqu’un qui l’a vu de l’intérieur mais de loin, toujours protégé d’une certaine manière. Peut être en aurait-il été capable, de parler leur langue, d’avancer dans ce milieu, s’il ne l’avait pas fuit comme il l’a fait. Peut être aurait-il obtenu des réponses. Mais les heures passant, Maxence a compris être incapable d’aboutir à quoi que ce soit.
Mais là non plus, il n’est pas rentré.
A vrai dire, il en était à envisager des moyens inacceptables, quand des sirènes de police et d’ambulances l’ont forcé à sortir de l’immeuble condamné à la démolition.
A ce moment, Maxence cherchait par quel moyen contacter Logan pour lancer le legilimen dans la fosse aux lions. Ça aurait signifié blesser sciemment nombre des pauvres ères de ce milieu d’abîmés par la vie. Provoquer des morts, sans doute. Des violences morales dont personne à un stade pareil de sa vie, n’a besoin.
Mais aussi violent que soit Logan, il aurait obtenu des résultats.

Il n’est pas rentré non plus, après avoir suivi les sirènes et les gyrophares, avoir atteint la cohue devant un entrepôt désaffecté, et fait face à l’enfer d’une descente de police en milieu hostile. Entrepôt désaffecté. Lieu de rendez-vous de camés ou rave partie clandestine pour SFD paumés. Là, ça hurlait. Flics, camés, SDF, soignants. Des types au sol, mains dans le dos, d’autres sur brancards. Confusément, il lui est alors venu à l’esprit qu’il devrait être de ceux-là, ceux qui arrêtent tout pour soigner les autres. Qu’il n’était pas dans son rôle, la posture acquise depuis des années. Pourtant envers aucun de ces blessés, Maxence n’a accordé plus qu’un regard appuyé. Catalogué, non pas les blessures et l’urgence de la situation, mais un point de vue bien plus binaire : Léon / Pas Léon. La gamine au sol, les pupilles dilatées et le phrasé trop vif : pas Léon. Le type à l’épaule démise, au visage en sang : pas Léon. Le flic dont le canon du Glock tremble plus qu’il ne devrait : pas Léon. Le soignant qui parle fort et tente de calmer le colosse qui lui beugle dessus, une main menottée : pas Léon et pas Léon. Le type sur la civière, un drap sur le visage. Cœur qui se retourne, jambes qui lâchent. Trop grand, trop épais : pas Léon. L’homme qui boite, un genou en rade : pas Léon. La bande de jeunes, infusés à la weed : pas Léon.

Pas Léon. Pas Léon. Pas Léon. Pas Léon.
Incapable de savoir si c’est une bonne nouvelle ou non.

Le flic qui le braque avant de baisser son Glock, l’appeler “monsieur”, et lui demander de s’éloigner. Pas Léon.

Combien de fois aurait-il pu rentrer, d’échecs en échecs, avant de renoncer, finalement vaincu par la présence des autorités ?
Finalement, Maxence est rentré. 1h du matin, pour s’effondrer, mutique, sur le canapé de Néolina.

Là, il se repasse le fil. L’appel de Jordane 48h plus tôt, l’ascenseur émotionnel, les recherches, les squats, la descente de flics, la retraite. Ça tourne en boucle. Ça ne cesse de tourner quand Néolina lui demande des nouvelles. Ne cesse, quand il demande à Gary d’aller voir ailleurs. Ne cesse, quand Néo lui jette un regard critique mais compréhensif. Ne cesse, quand elle lui fait une tisane, arguant qu’il devrait dormir un peu. Ne cesse, quand la Garde appelle mais qu’il décline sa participation.
Par où attaquer, quand le soleil sera levé ? L’idée de contacter Jordane l’effleure et disparaît, jamais elle ne lui dira ce qu’elle faisait là et la pudeur de cette femme égalant bien souvent l’austérité d’une porte de prison, elle n’aura rien à lui apprendre. L’idée, surtout, d’appeler Enzo boucle un moment dans sa tête. Mais pour ça, il lui faudrait davantage qu’une vieille carte ayant traîné durant ce qui pourrait être des mois dans la poche d’un type ne se lavant jamais.
Logan, donc, revient à son esprit en choix du désespoir.

Là encore, il boucle. Il projette. Il imagine. Enzo sur la piste de son frère. Logan qui fracasse la vérité comme on pète une vitre, identifie les mensonges et brise les esprits. Léon qui sort d’une pièce usée, la télé en fond et le tapis de toile au centre. Celle de sa mère biologique.
L’odeur de fumée aussi.

Et la vibration sur sa cuisse qui le rappelle au présent. Endormi. Évidemment. Comme lors des gardes, dans l’hôpital clandestin. Mais il n’y a pas Sanae pour l’arracher des bras de Morphée, Néolina elle-même a disparu. Ne reste que la vibration crue, presque brutale dans son rappel au présent.
Maxence sursaute. Le téléphone tombe. Les paupières papillonnent et l’appartement se forme de nouveau. Sur les chiffres verts de la box internet, l’heure indique 3h04. D’un mouvement brusque, le médicomage voit son bras voler vers le téléphone, se cogner sur la table basse au passage et reconnaître le nom “Brooks”.

- Allo ?

Sa voix ne tremble pas. Elle bute comme on bute au réveil, éraillée, mal-habile. Il tremble pourtant, comme si pour une raison inconnue, Jordane pouvait lui apporter de nouvelles informations. Il l’imagine déjà balancer une mauvaise nouvelle, de sa voix si posée qu’elle en devient dure. Avec son accent british dont il a lui même déceler quelques fausses notes. Une attention qu’il a eu à force d’apprendre à effacer son propre accent. Et de trouver quelques inflexions de chez lui dans le phrasé de la jeune femme, surtout au tout début des années de Poudlard.
Mais ce n’est pas sa voix qui résonne dans le haut parleur.

« Salut, MaxGiver »

Et son cœur part dans ses talons.
Son souffle s’étrangle.
Son esprit bascule.

Ses mains tremblent. Putain ce qu’elles tremblent. Elles tremblent autant que le genoux tressaute sur place et que les lèvres s’arrondissent de surprise, forment des mots, dessinent des émotions mais ne lâchent aucun son. Tout reste bloqué dans sa gorge. Les forts de l’enfance, les expéditions au travers de la jungle Amazonienne, perchés sur le canapés du salon, les histoires du soir, les baskets dans le jardin, la course après le chien des cousins échappé un soir, les discussions sur le monde des sorciers, celles sur la médecine.
L’écriture tremble plus encore quand il chope un stylo et note les informations directement sur la table du salon. Le quartier. L’hôtel. L’étage. La chambre.
Comme s’il s’agissait d’un simple rendez-vous dont le voix rauque du combiné dissocie pourtant toute forme de normalité. « Et emmène ton équivalent enchanté de morphine, de corticoïdes et de Ventoline. »

- Ok.. C’est tout ce qui sort, d’une voix étranglée, lâchée dans un souffle.
Et seul le silence accueille ces deux pauvres lettres, seul reliquat de ce qu’un frère a su dire au second.

- Maxence ?

Avec un temps de latence, l’ancien infirmier relève le regard pour découvrir une Néolina en chemise de nuit, l’air épuisé, le fixer avec un air concerné.

- Elle l’a retrouvé. Sa voix déraille tout à fait quand Néo se précipite vers lui.
- Jordane ?!

Oui. Celle qui a tiré Néolina d’une mort certaine, l’a tractée hors d’une imprimerie en feu le mois dernier, vient de lui retrouver son frère. Mais comme ses traits se tordent d’un sanglot et que la métamorphomage arrive à sa hauteur pour poser une main sur son épaule, Maxence se relève d’un bloc en inspirant à fond.
- Faut que j’y aille. Il lit, et relit les quelques mots notés d’une petite écriture penchée et incertaine sur le bois de la table. Certain de les oublier à l’instant où il s’en détournerait. Puis avec un temps d’hésitation, se retourne vers Néolina et ses traits tirés d’inquiétude. J’dors pas hein ? Dis moi que je ne dors pas…
- Non Max, tu ne dors pas.. Tu veux que je t’accompagnes, c’est peut être mieux ?
- Nan… Le mot butte, tout comme les raisons qui le poussent à refuser si vivement, sèchement même. Non. Merci. Quand elle passe sa main sur son bras, sa douceur le brûle presque et les larmes montent plus étranglées encore.
- Maxence… tu es bien sûr que c’est Jordane ?
- Oui. Non.
- Tu devrais peut être dormir un peu avant ? Tu serais plus efficace si besoin tu en penses quoi ?

Alors, pour toute réponse, Maxence dégage son bras de son contact dans un rire plus sec qu’il ne le voudrait. Un rire sonore, qui lui éclate depuis les tripes et s’étrangle face à l’absurdité de la demande. Et puisqu’il n’arrive pas à concevoir qu’elle soit sérieuse, contourne le canapé pour rejoindre la cuisine et la cafetière à moitié remplie. Coule une tasse de café froid qu’il avale cul sec. Joint la chambre et vide de gestes trop vifs une petite mallette pour en sortir ce dont il a besoin.

Concentres-toi…

Mais ses mains n’en terminent pas de trembler et une fiole lui échappe pour achever sa course sous le lit. Il jure, fourre l’ensemble dans un sac attrapé à la volée et quand il se relève, une seconde fiole s’échappe et rejoint la première, cette fois en éclatant au sol.

Comme une masse, la lanière du sac enroulée autour de son avant bras, Maxence s’assoit. Sur le lit, face à la fenêtre. Comme cette fois, plusieurs mois plus tôt, où il a brutalement craqué, quand ils étaient en attente de savoir si Sanae allait s’en sortir ou non. Larmes aux yeux, toujours bloquées à l’orée de ses paupières, il demeure un moment, le regard fixé sur les immeubles d’en face, baignés d’ombres et des pâleurs lueurs de la ville. Il fixe les lumières mouvantes des phares, la manière dont elles se séparent en trois en léchant le coin de l’immeuble. Inspire, expire. Là où Néolina a raison, c’est qu’il agit trop vite et se disperse. Respirer. Prendre le temps de se calmer. De sentir la caféine se mêler à l’adrénaline dans ses veines et retrouver contenance. L’odeur de la potion se répand dans la pièce, imprègne le pied de lit et Maxence peine à saisir une seule pensée cohérente. Le brouhaha des pensées a laissé place à un vide brutal. Absurde. Le soldat en lui devrait maîtriser. Le frère n’y arrive pas. Le fils voit et revoit les corps calcinés. Il se revoit courir pour échapper à ses poursuivants. Se battre. Laisser un cadavre de plus dans les rues de son enfance. Fuir encore.
Fuir, toujours.

Fuir, par cette immobilité brutale dont il se trouve soudainement incapable de s’arracher.
Les visages décharnés, le teint gris, les dents jaunes, la peau de papier de cigarette et les odeurs du passé. Tout se mêle un instant dans son esprit. A rien de tout ça, pourtant, il n’est capable de rattacher Léon.
En vie.
Là.
A portée.

Là.
A Londres.
Depuis tout ce temps.

Depuis tous ces mois pendant lesquels lui… a simplement fait sa vie.

Va-t-il seulement bien ? Rien ne fait sens, tout s’embrouille.

Sans le toucher tiède de ces quelques doigts venus lui caresser les joues, Maxence n’est pas certain qu’il aurait été capable de se sortir de son état de catatonie.

- Tu es certain de ne pas vouloir fermer les yeux quelques minutes ? Accroupie face à lui, Néolina le dévisage fixement.
- Certain. Et sa voix n’a rien de la solidité qu’il devrait arborer aujourd’hui plus qu’à n’importe quel autre jour. Je devrais déjà y être. Il inspire et laisse un souffle profond vibrer hors de sa gorge. C’est mon frère Néo. Bien des non-dits dans cette affirmation si banale. Bien des absences et des erreurs. Une relation presque errante, à présent. Un retour dans sa vie auquel il ne croit pas.


La sensation ne le quitte pas quand le sorcier transplane au plus proche de la zone, téléphone à la main pour se repérer. Elle ne le quitte pas plus tandis qu’il s’élance pour suivre les indications de google map. Elle reste quand il parcourt les ruelles silencieuses de la ville, croise quelques noctambules et manque de se faire renverser par un Uber Eat. Elle reste là, bien ancrée dans sa chair, quand il se pince violemment en faisant face à l’hôtel. Elle se maintient, quand il passe les portes, avise le comptoir vide de l’accueil, et emprunte les escaliers.
Elle demeure, quand il s’élance dans le couloir du troisième étage qu’il parcoure trois fois sans comprendre.

De nouveau, il se pince. Et de nouveau, ça n’aboutit à rien. Pourtant l’impression demeure : d’être là sans y être. De s’observer comme un lapin perdu dans un labyrinthe, aller et venir. Coincé en plein cauchemar. Pas de chambre 307.

A bout, la baguette à portée de main, Maxence appelle. Ça frappe fort sous les côtes, mais c’est une voix féminine qui lui répond… Une voix qu’il n’analyse pas tout de suite être celle de Jordane. Seul son ton, son impertinence et le cynisme effronté font le lien. Une voix de verre pilé. De nouveau, il bute, hésite, fronce des sourcils. Rien n’a vraiment de sens dans toute cette histoire et personne ne prend le temps de s’arrêter trois secondes pour lui expliquer comment ils en sont arrivés là. Y compris lui-même.

Puis le silence revient et il lui faut un moment pour comprendre que divers sortilèges rendent impossible l’identification de la porte. Ainsi il s’arrête à proximité de la 305. Et respire. Respirer. Voilà tout ce qu’il reste quand on tient à peine sur ses jambes. Respirer et attendre. Un pied devant l’autre.

Et s’il était parti ? Et s’il ne voulait pas le voir ? Et si…

Une porte s’ouvre. Là où il n’y avait pas de porte.

- Tu t’amènes ou tu joues aux dames ?

Aux échecs…

La pensée pulse comme un coup au plexus mais s’il sait que l’impact ne sera pas le seul de la soirée, le second arrive plus tôt que prévu. En quelques pas, Maxence rejoint la porte d’où Jordane n’a quitté le renfoncement. Second coup au plexus, donc.

- Qu’est-ce qu… La voix basse, qui s’étrangle. Toute l’assurance du solat… Qu’est-ce qu’y’ s’est passé ?! Le ton se raffermi, dans une volonté de se rattraper lui-même au vol et ne pas s’effondrer de l’angoisse qui ouvre un cratère sous ses pieds. Si elle est dans cet état alors…
- Escaliers. 1-0.
- Il a des pouces opposables ton escalier… Toujours planté à l’entrée de la pièce, le regard rivé sur les marques de son cou. Deux mains, tracées au fusain. Et pour tout cadre, les hématomes du reste du corps et les cheveux encore mouillés qui gouttent sur un t-shirt trop grand.
Le visage blafard, elle trouve pourtant la force de claquer une langue dédaigneuse. “Ask Darwin...” Pourtant quand elle s’écarte, Maxence jurerai de la voir vaciller. Une main se lève vers elle, mais s’arrête quand elle la repousse. S’arrête, surtout, parce qu’à pousser le cadre de son corps, elle révèle celui de Léon.

Là. Devant lui. La pommette déformée par une contusion violette, ouverte sur l’extérieur, puis le teint aussi gris que les types du squat, l’organisme perdu dans un hoodies qui empêche le grand frère de faire le listing de l’état du plus jeune. Ce qu’il ne couvre pas, en revanche, c’est ses jambes nues. Pourquoi nues ? La question passe en comète, sans s’arrêter. Et lui ne s’arrête que sur l’aspect glabre et plissé de sa peau au niveau de son mollet. Brûlure. Une nouvelle fois, ses lèvres s'ouvrent sur le silence. Incapable de le combler autrement qu'à jouer la carpe.

- Doc ? Surpris, comme s’il l’avait oubliée, Maxence redresse le regard vers elle. Fracassée. Comme Zach quand il l’a trouvé. Bouge. Et d’un signe, elle désigne la porte qu’elle ne peut fermer.

Et puisque son cœur dégringole sous ses côtes, Maxence dégage l’espace de deux pas sans réussir à réellement quitter son frère des yeux. Ce serait sans doute le moment de trouver quoi dire. Mais il bute et se retourne une seconde. Soudainement certain qu’elle fera comme ces quelques fois à l’infirmerie : elle disparaîtra dès qu’il aura le dos tourné.

- Toi tu ‘bouges pas.
- Pas l’genre....Et la porte claque dans son dos tandis que le prénom de son petit frère empli l’espace. Mais il ramène le regard vers Jordane. De nouveau elle vacille. C’est certain à présent. Et l’un de ses mouvements soulève assez son haut pour que sous le bras, il aperçoive l’étendue des hématomes.
- Tu t’assoies. Je déconne pas Jordane : va t’asseoir.

Et puisqu’elle acquiesce de mauvaise grâce et s’éloigne de la porte, Maxence en revient à Léon. Le cœur dans les tempes et le monde entier qui tremble.

Un pas. Deux.
Trois. Et ses bras se referment autour du petit frère disparu.
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Maxence Lukas Wargrave
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Maxence Lukas Wargrave
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Maxence Lukas Wargrave
Lun 25 Mar - 21:22
Rarement Léon n’avait été pris dans un échange visuel aussi intense. Le bleu javellisé des yeux de la jeune femme semblait pouvoir contenir tout un monde de ressentiment et d’avertissements, le tout rigoureusement enfermé au sein de ses iris. Incertain de ce dont il s’agissait, mais totalement convaincu d’avoir franchi déjà trop de limites pour en dresser une liste, il fut néanmoins incapable de se retenir. Parce qu’à travers l’apparente colère qui brillait dans ces deux orbes bleues qui l’avaient tant défié depuis le début de la soirée, Léon lisait son « Arrête » silencieux. Alors, puisqu’il devait arrêter, il continua. Et acheva sa question dans un souffle qui rebondie avec légèreté sur l’arrête de son nez. Mais qui sembla la percuter d’une façon bien plus tranchante. Elle ne détourna pas les yeux, néanmoins. Et quelque part, Léon fut rassuré qu’elle ne le fasse pas : dans son courage un brin insupportable, le jeune homme puisait sans vergogne de quoi supporter d’en manquer lui-même. Alors il resta là, à contempler la manière dont sa respiration trébucha infiniment avant de repartir au galop, ferrée d’une sincérité qui le désarçonna.

« Jamais, » confia-t-elle dans un murmure.

Son honnêteté l’ébranla et pendant un instant fugace, Léon en perdit les mots autant qu’il en manqua d’air. Peut-être aurait-il préféré un mensonge, finalement. L’illusion prophétique qu’il serait possible de ramasser tout le désordre accumulé au cours de cette dernière année pour reformer quelque chose de solide à partir de toutes les miettes de désespoir qu’il avait en stock. Au lieu de ça, elle lui souffla sa fragilité au visage. Et ce fut soudainement trop à soutenir : la clarté de ses yeux, la noirceur de ses contusions, l’intransigeance de sa posture fière, sa souffrance en arrière plan, bien cachée par son orgueilleuse fierté en or dix-huit carats. Et ses jambes d’argile qu’elle maintenait droites, parce qu’elle ne comptait sur personne pour l’empêcher de tomber.

Fais chier.

Il se sentait assiégé : par sa proximité, par sa franchise, par l’intensité de son regard, par sa capacité à rester au bord du précipice alors que rien ne l’y obligeait. Parce qu’il savait qu’elle rêvait de fuir loin de cette chambre. Pour la simple et bonne raison que lui aussi caressait cet espoir insensé. Au fond, peut-être qu’elle était aussi perdue que lui. Peut-être tremblaient-ils ensemble d’être découverts dans cet état, puis soignés en conséquence par des mains doucereuses jusqu’à l’overdose, bien qu'incapable de soigner les vraies plaies. Peut-être auraient-ils choisi un providentiel échappatoire, s’il avait été question de courir comme avant. Derrière toute l’insolence de leurs derniers échanges, Léon savait lui avoir croqué les ailes un peu plus tôt en lui faisant suffisamment peur pour qu’elle annihile ses réflexes de fuite. Il lui avait forcé la main. Et il n’en était pas désolé. Pas plus qu’elle ne s’excuserait de l’avoir retrouvé ou que Maxence ne se soit désormais derrière cette porte, alors qu’elle savait qu’il ne serait jamais, comme elle l’avait dit, prêt. Mais puisqu’ils s’étaient mutuellement enchaînés à cette chambre, toute fuite était donc exclue. Alors, après s’est mordu les lèvres dans un réflexe nerveux, il acquiesça. Un dernier instant dans l’intensité océanique de ses yeux et Léon la contourna, frôlant malgré tout son corps lorsqu’il s’extirpa de leur position.

Il avait un besoin urgent d’espace avant que Maxence n’entre pour, il le savait, dynamiter toutes ses défenses et faire de ses murailles des feuilles de papier mâché. Un dernier moment de solitude et d’entre-deux, quelque part devant la porte de la salle de bain qui faisait face à celle de l’entrée, vers laquelle Jordane se dirigeait à présent. Et tout comme il avait suivi ses gestes un peu plus tôt, Léon s’attarda sur chacun de ses mouvements, machinalement : quatre pas vers la porte, un bras levé vers l’aboutissement d’une année et quelque de fuite. Cinq doigts qui abaissèrent la poignée.

Et un Univers entier – le sien – prêt à imploser.

Et il aurait été puérile de se terrer dans la salle de bain juste derrière. Alors, à la place, Léon se cacha dans la cascade cheveux peroxydés en face de lui, ce mur de mèches blondes qui dissimulait toujours son frère à sa vue. Et il y noya son regard  pour éviter d’en chercher un autre.

Ce fut pourtant un souvenir, qui le cueillit le premier.

« Tu t’amènes ou tu joues aux dames ? » balança-t-elle en ouvrant la porte.

Léon se revit presque deux années auparavant, abaissant son Roi pour offrir sa reddition à un Maxence surpris de ce brusque manque de combativité. A juste titre : il y avait eu au moins deux combinaisons possibles pour se tirer du Mat annoncé, mais le cadet avait persisté d’une voix atone après un rapide va et vient entre son sac à dos, préparé pour rejoindre des amis le temps d’un après-midi, et celui de son frère, préparé pour rejoindre ce monde qui avait toujours eu plus d’importance qu’eux, le temps de toute une vie. J’abandonne avait-il alors renoncé, bien plus économe en mot qu’en ressentiment. Le Roi, le jeu, de faire semblant de mal jouer pour éterniser une complicité que tu amputes un peu plus à chacun de tes départs. Toi. Nous, n’avait-il pas précisé, bien moins honnête qu’il n’était pourtant en colère.  

Léon inspira difficilement. L’air, lourd, glissa dans sa trachée comme s’il inhalait du coton. De son index, il chercha son pouce pour en malmener la commissure de son ongle, désireux de s’ancrer dans un présent suffisamment douloureux pour qu’il n’y ait besoin d’ouvrir la boîte de Pandore de ses blessures passées.

« Qu’est-ce qu… le percuta ensuite la voix de Maxence, surgissant brusquement d’outre-tombe, avec plus de consistance qu’au travers du téléphone.

Réelle. Léon ferma instinctivement les yeux. Très fort.

« Qu’est-ce qu’y’ s’est passé ?! s’inquiéta-t-il avec une sincérité qui avait toujours été la sienne.

Parce qu’il venait de réaliser qu’une partie de lui avait toujours douté – et doutait encore – que Maxence soit en vie. Et tout à coup, les morts se relevaient. Revenaient. Parlaient. Et il n’était pas prêt.

«Escaliers. 1-0. » mentit Jordane, le faisant osciller entre souvenirs, espoir, crainte et réalité.

Et Léon se raccrocha à sa voix éraillée et à ses excuses foireuses comme s’il s’agissait d’un canot de sauvetage bazardé en plein milieux d’une tempête. Il s’harnacha à l’insolence de la jeune femme, tâchant d’enfiler sa répartie comme si c’était un gilet de sauvetage ayant le pouvoir de le maintenir à flot. Parce qu’il ne savait pas nager dans ces eaux serties de souvenirs et d’espoirs désespérément enfouis. Parce qu’il craignait de se diluer dans l’océan jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de lui.

« Il a des pouces opposables ton escalier…  
- Ask Darwin… »

Dans un sursaut de courage, Léon rouvrit pourtant ses yeux, incapable de résister. L’espoir, cela ne disparaissait jamais, en définitive. Et il tomba droit dans les yeux bien vivants de Maxence, Méduse version mec, qui le statufia sur place d’un seul regard rendu bien plus efficace que n’importe quelle malédiction. Il frôla l’embolie pulmonaire, le cœur si lourd qu’il s’attendit à vaguement couler à travers la moquette pour disparaître tout à fait, entraîné par le poids des émotions. Ou peut-être l’espérait-il, plutôt. Disparaître. Il voulait s’enfoncer, s’enfoncer, loin sous l’immeuble, jusqu’à se retrouver quelque part entre les vers et le centre de la terre, quelque part où les morts restaient sagement dans leurs cercueils et ne surgiraient pas brusquement au milieu de sa vie. C’était trop.

« Doc ? Bouge, » encouragea Jordane.

Et Maxence bougea. Léon en fut pour sa part incapable, statufié par un trop plein qui le rendait aussi lourd qu’une enclume et aussi immobile qu’une montagne de plomb. Il entendait leur conversation sans arriver à en saisir le sens, englué dans ses propres sables-mouvants. S’il bougeait, il se ferait engloutir. S’il bougeait, tout cela serait réel. S’il bougeait, c’était lui qui allait disparaître.

« Toi tu ‘bouges pas,
- Pas l’genre…  
- Tu t’assoies. Je déconne pas Jordane : va t’asseoir,» ordonna finalement Maxence.

Et Léon pu voir l’exact moment où Maxence n’y tient plus, et s’élança vers lui. Son esprit en pause, son cœur au bord des lèvres, ses poumons noyés il se contenta d’être un corps glacé que Maxence télescopa sans la moindre hésitation au centre de la pièce.

Et là, enlacé par des bras fantomatiques, il lutta pour leur trouver une consistance. Parce qu’il avait fallu négocier avec son espoir et trouver un compromis avec Monsieur-Puissance-Supérieure, Maxence avait dû disparaître pour qu’il puisse enfin cesser d’espérer qu’il ne vienne le sauver. L’esprit était capable de ce genre de chose : de tordre la réalité pour la rendre plus acceptable, d’effacer des certitudes trop douloureuses et d’avorter des espoirs encore plus insupportables. Sans doute avait-il fallu qu’il ne meure, au moins un peu, sinon tout à fait, pour que toute cette solitude ne devienne sa réalité et non un entre-deux dont son frère viendrait l’arracher. Alors, l’étreinte fantasmagorique lui sembla sortie tout droit d’un de ses rêves étouffés, de ceux fait de brume, ceux qui rendaient les réveils si foutrement compliqués. Parce que cela avait été ça, le plus dur, dans les débuts : ce moment juste après avoir ouvert les yeux, ou rien n’était encore tangible et où il oubliait son état d’orphelin, juste avant que la réalité de sa condition ne le rattrape tout à fait. Alors, de cet amour venu du passé qui l’enveloppait, Léon ne savait pas que faire, parce qu’il en avait fait le deuil. Les bras le long du corps, le visage stupéfait, il se contenta donc de regarder droit devant lui, fixant la seule chose de la pièce qui prouvait que tout ceci ne se passait pas dans sa tête, juste à l’orée d’un nouveau réveil en plein cauchemar, dans la crasse, la faim et le désespoir.

Et elle était bien là. Adossée à la table, le teint blême, la jeune femme posait sur eux un regard indéchiffrable. Elle avait les yeux chargés de fatigue et cernés de douleur, le tout nacrant sa peau de noir. Léon s’y perdit, se demandant ce qu’elle pouvait bien penser de tout cela. De l’élan de Maxence, de son état de sidération à lui, de la tendresse de l’un et de l’immobilité de l’autre. Et là, dans les abysses de ses prunelles de glaces, il cru voir les prémices d’un raz-de-marée. Mais, lorsque la larme coula sur sa propre joue, Léon constata que c’était ses yeux qui s’étaient emplis d’eau.

Et, aussi soudainement que les digues cédèrent, il sentit. La force avec laquelle Maxence avait ramené son corps contre lui, la chaleur de sa joue râpeuse collée la sienne, son souffle paniqué qui s'échouait contre sa clavicule, l’odeur particulière de sa mousse à raser. Un parfum familier se dégageait de lui et les mains tremblantes du cadet se mouvèrent enfin, froissant maladroitement le tissu de la veste de Maxence lorsqu’il joignit ses doigts au milieu de son dos pour l’enlacer à son tour, une multitude de souvenir injustement négligés se disputant la première place. Et Léon, qui dépassait pourtant le plus âgé depuis de nombreuses années eut brusquement la sensation d’avoir de nouveau cinq ans, le visage enfouie dans l’épaule de ce frère perdu qui revenait enfin vivre dans leur famille. Qui venait le chercher. Les images du passée se bousculèrent encore et Léon raffermit sa prise, comme s’il voulait l’empêcher de disparaître à nouveau, un sentiment de peur lui nouant la gorge alors qu’il inspirait à plein poumon sa présence, les sens saturés de souvenirs. Et puis, la boule dans sa gorge grossi, prit trop de place, l’empêcha  de respirer correctement. Étouffante. Suffocante. Alors, Léon le lâcha, recula d’un pas, effaçant avec précipitation ses joues détrempées d’un revers de main agacée. Puis d’un autre. Et encore un autre.

« Ca va, mentit-il alors d’une voix qu’il aurait désespérément voulu plus convaincante, ses yeux fuyant le regard de son frère pour rejoindre la jeune femme derrière eux. Ca va, je vais bien, » le rassura-t-il de nouveau en reculant – fuyant - d’un autre pas, ses mains continuant de frotter ses joues sans se préoccuper de la blessure sur sa pommette, frénétiquement.

«J’ai besoin d’air » prit-il encore de la distance en reculant à nouveau, jusqu’à ce que son dos ne butte contre la porte de la salle de bain.

Pris au piège, il avala sa salive, bascula son poids d'un pied à l’autre, puis remonta finalement ses yeux noyés dans ceux de son frère.

« S’il te plaît,» demanda-t-il, par les yeux et par les mots.

Il coula ensuite un regard sur le visage de Maxence et son inquiétude dévorante, puis vers Jordane, et ses blessures bien plus urgentes. Il conjugua les deux, choisissant la meilleure échappatoire à sa disposition.

« Si je vais bien, c’est parce qu’elle a pris tous les coups à ma place, » confessa-t-il dans un souffle.

Léon lui lista ensuite en bouclier les blessures de Jordane, lui refusant les détails de leurs soirées autant qu’il lui refusa d’approcher de nouveau d’un simple échange visuel, brûlant d’avertissement, peinant de supplications informulées. C’était trop. Les côtes, les hématomes, sa main gauche, les risques pour sa rate et son poumon, le fait qu’elle ait pris suffisamment d’anti-douleurs pour continuer à se faire mal sans même s’en rendre compte, le tout balancé sur le ton de l’urgence et emballé d’une inquiétude qui sonna néanmoins juste, car non feinte. Et puis, il s'échoua sur l'ultime blessure, celle qui crevait les yeux et qui le crevait tout autant de culpabilité, décrivant les hématomes et la fracture de l'os hyoïde d'une voix blanche.

«Alors s’il te plaît, aide là à mieux respirer,  » termina-t-il son inventaire, le dos toujours appuyé contre la porte de la salle de bain.

Et fais moi de la place, ne rajouta-t-il pas. J’étouffe.

( :peace: )
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Léon Wargrave
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Léon Wargrave
Sam 6 Avr - 9:44
Les prunelles d’automne succèdent aux suivantes. Si les premières se sont détournées, les secondes s’y refusent. Elles m’agrippent, me toisent, me percent. Putain de frangins. La surprise crispe les traits de Maxence et l’incompréhension s’y grave comme on taillerait la pierre. Ça me tord les tripes. Aussi effrontément capable de me dévisager sans comprendre… que son frère l’est de baisser le regard.
Ils me foutent la gerbe, ces yeux du type apparemment très surpris de ce qu’il peut se passer en dehors de son champ de vision. Eh ouais Max, tu contrôles pas tout. Tu sais quoi ? Même à Poudlard des gens se faisaient buter. Alors en dehors ? Surprise Captain America, certains t’appelleront même pas. Mais là n’est pas la question. Parce que dans le fond, chacun de ces bleus qui attirent ton regard de supercopter, c’est une barrière morale entre toi et le frangin. Mais t’admettras jamais un truc pareil hein ? Nan, toi t’es l’bon gars.
T’as même tellement trempé dans la potion magique de la bonté quand t’étais petit que tu comprends pas. Tu comprendras jamais Max.

Escaliers 1-0, donc. Ça ou la gueule contre le bitume, les chutes en vélo et la porte de placard. Toutes les excuses sont bonnes et personne n’est dupe. J’ai arrêté de chercher plus loin. Personne n’a envie de rentrer dans les détails. Ça a jamais été pour moi : les excuses, c’est les autres qui les chopent.
Pourtant Wonder-Toubib s’acharne. Un acharnement d’une seconde tout au plus avant de lâcher l’affaire : j’ai pivoté. Laissé le champ libre au frangin mutique dans le fond de la pièce. Celui que j’ose pas regarder. Celui que je n’ai pas besoin de regarder. Je sais trop bien ce qui lui mord les tripes. J’en oublierai presque ce qui pulse dans ma chair tant j’ai sous la peau ce frisson qui plisse l’épiderme si fort qu’il t’en fait mal. Presque.
Presque, car la vérité c’est que je ne m’écarte pas que par empressement d’achever cet échange.
Presque. Parce que j’avorte leur face à face hollywoodien en imaginant la pesanteur de ce regard-là, quand t’es le frère. Pas l’inconnue. Et que je suis pas certaine d’y survivre, si j’étais à sa place.
Presque, car ses yeux reviennent sur moi et que je m’en veux immédiatement.

« Toi tu ‘bouges pas,
- Pas l’genre… Je l’ai déjà fait face à lui ? J’crois pas. C’est donc encore plus crispant de le voir insister comme s’il savait. Tu crois que c’est écrit dans mon ADN, de me barrer à la moindre difficulté ?

Ma paume pousse la porte qui se pivote et claque dans les gongs sa fermeture automatique. Les sorts s’activent de nouveau, aveugles à toute la dramaturgie de la scène qui se déroule derrière moi quand je tourne les talons pour m’éloigner.
J’ai les yeux baissés. Qui s’y plongerait y trouverait sans doute la même expression que celle que l’ambre portait un instant plus tôt. Mais personne n’y cherche rien et je rejoins la table et la chaise que Léon a failli faire valser un peu plus tôt.
Les deux frères se rejoignent et je traîne mon attention sur l’emballage, les quelques miettes qui subsistent dedans, l’emprunte que ma main laisse sur le bois patiné. Après un temps infini, je laisse l’arrière de mes cuisses s’adosser sur la table et agrippe le dossier de la chaise de ma main droite. J’ai rien à foutre là. J’ai tellement rien à foutre là qu’il y a quelque chose de dérangeant à assister à ces retrouvailles. D’intrusif. Mais c’est pas pour ça que je garde le regard baissé, quitte à fixer le coin de la couverture mal coincé sous le matelas. Pas pour ça que j’en suis à davantage me demander combien de faciales cet édredon s’est pris dans la gueule plutôt que de penser à ce qui se passe devant moi.
J’remonte le regard, pourtant. Pas par soutien. Pas par respect. Pas par irrespect non plus. Plutôt dans une forme de curiosité morbide. La même qui vous fait ralentir près des accidents de bagnoles. Celle qui vous feraient fixer les SDF dans la rue jusqu’à plus soif si vous ne craignez pas tant qu’ils lèvent un regard vers vous.
Celle qui me fait voir un frère en enlacer un second. Qui me fait me plonger dans le regard vide du plus jeune, où je vois les ondes frapper la surface jusqu’à la fêlure. Ses larmes. Et ses bras se refermer sur son dos.
Mes doigts écrasent la table. Ou peut être le monde m’écrase-t-il. Peut être eux m’écrasent-ils avec leur amour fraternel, leur étreinte à la petite maison dans la prairie et leurs larmes Bisounours.
Ouais. J’ai sous la peau ce frisson qui plisse l’épiderme si fort qu’il t’en fait mal. Un frisson froid. Vide. D’une peau que la famille n’a jamais étreinte comme ça.

Même ça c’est faux. Même dans mes pensées je mens.
J’occulte, cette première étreinte d’un père qui n’en est pas un. Cette première impression figée à ne pas pouvoir respirer. A pas savoir quoi ressentir.
Si je dis que sept ans plus tard, je serais toujours incapable de savoir si je gerbe ce contact ou si je le regrette. Si j’ai honte, ou si la peur que j’ai perçu ce jour là me fait simplement bander.
Ça ne serait pas juste. Mais j’ai jamais été quelqu’un de juste.

Pas plus qu’il serait juste de ressentir de la colère face à des retrouvailles que j’ai provoqué. Ou de la peine. Ouais. De la peine. Celle qui noie l’ambre et me déchire les tripes. C’est donc sans doute la même curiosité morbide qui me fait en rester là. A les observer s’étreindre comme au jour du jugement dernier. A sentir le ventre de Léon se creuser et sa gorge se nouer.
A moins que ce soient les miens.
Des sensations promptes à s’ajouter à l’humidité sous mes paumes…

J’ai fait le taff. Ils sont ensembles.
J’ai rien à foutre là. Ya d’autres médicomages, ailleurs.

Mais la voix étranglée de Léon reprend.

« Ca va… Et j’en sourirais presque. Ca va, je vais bien, » En vérité je crois que c’est le cas. J’ai souris. De ces sourires sans joie, sans force non plus, qui n’ont jamais existé dans l’espace électrique qu’on a créé entre nous. C’est pas de la bravade, pas même du soutien. C’est rien de tout ça. Mais c’est là. Ce contact infime que tracent l’ambre et la glace quand ils se rencontrent. Rien qu’une esquisse. Un truc aussi pâle que nous.

C’est pas en frottant la plaie que tu gagneras des couleurs.

«J’ai besoin d’air »

Et mes paumes s’enfoncent plus encore dans la table quand il bute contre la porte de la salle de bain. T’as nulle part à fuir. J’imagine les ronces dans ta gorge quand tu déglutis. Accuse la ferraille dans la mienne. Je vois, surtout, Maxence essuyer du revers du pouce ses propres larmes et lever les mains en signe de reddition. J’entends ses narines qui ravalent ses émotions troubles avant que la voix de Léon ne poursuive d’une supplique tout à la fois inutile et nécessaire. Maxence croit laisser l’espace, avec ses airs de reculer, de ne pas insister. Mais tout ce qui émane de lui suffit à cramer l’oxygène de la pièce. Ses yeux rougis, les tics de sa joue et sa putain de gentillesse. Ce serait peut être plus simple, s’il ne comprenait pas. S’il ne jouait pas la reddition.
Et si c’était plus simple, je ne verrais pas venir la suite à l’instant même où l’ambre revient sur moi.

J’esquisse une menace du menton, mais mon corps refuse de bouger. Ne reste que le regard. L’honnêteté du regard. Celle qui enrage autant qu’elle l’admet sans mal : à sa place, je me serai servi de l’autre comme du punching ball à mettre au centre de la scène. Entre moi et le point de bascule. J’aurais pas hésité.
Et il n’hésite pas.

« Si je vais bien, c’est parce qu’elle a pris tous les coups à ma place, »  

Ça tourne déjà, sous ma boite crânienne, en prévision de ce qui vient et si je ne détache à aucun moment mon regard de celui de Léon, je sens mon estomac tomber dans mes talons lorsque Maxence se retourne vers moi. Je devine son visage pâle, ses traits tirés, ses cheveux en vrac pas tout à fait propre et les joues rougies par l’enchaînement des émotions qui ne lui laissent aucun répit.

Il n’y a qu’une demi-seconde dans ce silence. Une demi-seconde tremblante, dans lequel tout le mal de Léon déforme son être, sa voix, ses yeux. Une demi seconde qui suinte entre l’ambre et la glace, suspendue dans nos deux regards mêlés. Puis vient le flot. Le listing impitoyable de chacun de mes maux, asséné non plus comme des coups mais des suppliques. Et je pourrais presque y entendre chacun des siens, dans cette voix qui déborde de tout mais surtout du pire de ce que les émotions humaines peuvent contenir. Mais puisqu’il ne parle ni de faim, ni d’affrontements, de froid et de peur. Puisqu’il n’évoque pas la mort de leurs parents, la fuite et la rage et que seuls des mots comme “antalgiques”, “fracture côtes K 8”, “11”, je ne sais quoi puis “luxation”, “os hyoïde” et “strangulation” ne sont évoqués. Alors quelques points brillants apparaissent à mon regard et je sens la sueur sous ma paume lorsque je déplace ma main sur la surface du meuble.
Et puisque Maxence se souvient soudainement de ma présence et que tous les regards se braquent en ma direction, croisés entre les suppliques mutiques de Léon et l’horreur médicale du doc, je sens quelque chose lâcher dans les tréfonds de mon corps. J’en peux plus. Et mon souffle, tout superficiel qu’il soit, se coupe lorsque mes cuisses trouvent l’assise de la chaise. Ça me secoue comme si je m’y étais jetée mais je ne crois pas l’avoir fait. Le vertige me mord la nuque. La nausée me rattrape.

«Alors s’il te plaît, aide là à mieux respirer… »  Son ton étranglé me brûle tant son trop plein devient palpable.
C’est de moi qu’on parle. Mais c’est pour lui que je suis désolée.

Puis une secousse me chope aux épaules et je bats des paupières deux ou trois fois en réalisant que Maxence a transplané jusqu’à moi. Bien sûr, il n’en a rien fait. Je comprends surtout qu’il m’a rejoint pendant un temps qui m’a échappé et vient de me rattraper alors que je basculais en avant.
Le malaise qui rend sentimentale.

- T’es avec moi ?

Rarement.

Lui aussi a la voix décharnée tant elle est pâle. Au travers de ses lunettes, deux yeux rougis me fixent, accompagnés de ses traits de premier de la classe, de ses cheveux un peu sales qui retombent sur son front et d’un air profondément inquiet.

- ça va… ça serait risible si ma main ne tremblait pas tant lorsqu’elle remonte sur la sienne pour la repousser de mon épaule. Sans succès.
- Non, ça ne va pas Brooks. Tu pourrais te tuer que tu ne t’en rendrais même pas compte. Droppe mon nom de famille, vas-y, j’te dirais rien..
Et effectivement je ne dis rien. J’ai juste la sensation de pâlir davantage quand il me repousse doucement contre le mur sans lâcher mon épaule.
- Oublie ça. Je désigne du menton la fiole qu’il me tend en me demandant d’en prendre deux gorgées. Je sais c’que c’est et c’est mort, oublie. Tu me foutras pas dans le coltard dans une chambre d’un hôtel pourri avec deux types.
- Ce que j’ai à faire sera douloureux Jordane. Je dois replacer l’os et le souder et je te promets que ça n’aura rien de plaisant.
- Ouais.. Mais tu m’shoote pas.
T’es déjà shootée, répond-il sans prendre de gants avant de s’enfoncer dans le silence. Je retrouve contenance, m’arrache à sa poigne et soutient son regard. Mais je devine que dans le mien, quelques traits de peur rayent les prunelles de verre. Puis, contre toute attente ;
- Tu ne devras pas bouger d’un pouce. Si tu le fais je pourrais te tuer, tu comprends ça ?
- J’ai une vague idée du concept… Et quand il se recule légèrement pour jauger de la situation, je perçois le regard de Léon, non loin.
Une vague idée du concept, ouais.
Alors à la place de remonter le regard vers le plus jeune des frères, je le baisse jusqu’à la main qui tient toujours la fiole et tremble sur sa cuisse. Accroupi face à moi, Maxence est raide quand il sort sa baguette de sa poche. D’une voix égale, il me prévient qu’il me tiendra le menton pour dégager ma gorge et travailler. Une prévenance à base de consentement qui me flingue.
Puis il se met en place, me soulève le menton entre deux doigts, lève le bout de sa baguette vers ma gorge. J’y vois davantage une baïonnette prête à s’y planter. L’impression appuyée par son regard rouge et humide.
Je croise le regard de Léon.
Et claque une frappe du dos des doigts sur le crâne de son frère qui sursaute.

- Hey, Wonder toubib. Y’en a quelques uns que j’ai pas envie de rejoindre. Alors tu te ressaisis.

Le craquellement de ma voix est plein d’accusations qu’il reçoit de plein fouet, je le lis dans ses cils qui battent et ses lèvres qui se crispent d’un rien.
Mais puisqu’il n’a rien d’autre en tête, il se retourne vers Léon sans rien ajouter de plus et reviens vers moi. Sa baguette s’illumine et balaye ma gorge.

- Pourquoi tu ne m’as pas appelé ?

Voilà qu’il peut être cruel finalement, wonder-toubib…

Mon regard part vers Léon et puisque Maxence comprend rapidement que je n’ai pas l’intention de répondre, il prévient de la suite, passe ses doigts sur ma gorge, analyse des trucs que je ne peux que deviner.
Et sous la pulpe de ses phalange, je sens comme un cartilage qui bouge et foudroie mes nerfs d’une douleur vive. J’ai la coquille brisée d’un escargot sous la glotte. Et seulement mes ongles pour riper contre la fibre de mon jean. Pour se glisser entre deux mailles, tirer et arracher la kératine hors de la peau sur laquelle elle a poussé. Pour m’y centrer plutôt que d’écouter la valse des nerfs quand mon os remonte dans ma gorge et y pince quelque chairs. Une erreur médicale ? L’idée me traverse et perce d’angoisse et de douleurs mon regard planté sur Léon sans être certaine de le voir. Puis la douleur se mêle de chaleur et si l’instant dure une éternité, il s’arrête aussi soudainement qu’un coup de tonnerre. M’indique de déglutir. Si la douleur existe toujours, elle n’a plus rien à voir.

Et comme s’il était du genre à oublier, Maxence demande à Léon de confirmer les côtes blessées. Je ferme les yeux, écoute la réponse. Puis intègre à rebours que le plus âgé demande au plus jeune de l’aide à me poser sur le lit.
De nouveau, je comprends avoir légèrement basculé en avant.
Alors j’me lève.
Et mes jambes lâchent après deux pas. Je crois me rattraper à Léon comme je lui ai broyé l’épaule plus tôt dans la soirée, quand j’ai cru gerber chacun des coups de l’arène. Dur à dire : je finis assise sur le matelas, un champ de vision noyé d’ombres claires et mouvantes. Et la voix de Maxence - pleine d’une bienveillance qui pue les reproches contenus - me parvient.

- “J’ai besoin qu’on soit dans le même camp Jordane, c’est le seul moyen pour que je puisse t’aider. Et t’es pas dans le tien là.” Assis face à moi, il me maintient et je comprends aux paumes qui soutiennent mon dos qu’il a demandé à Léon de l’empêcher de retomber en arrière. Et face à mon mutisme obtus, il reprend. “Dis-moi pour voir :  pourquoi tu n’as pas séché tes cheveux ? Je redresse le regard. Me sens idiote. Inapte. A nu. Il saisi ma main gauche et la manipule. Pourquoi tu as commencé à soigner ton pouce sans aller plus loin ?”
- Ca va Maxence. Fais ton job. J’ai pas besoin de tes commentaires.

Et pour me stabiliser, je pose une main en arrière, qui achève sa course sur ce que je devine être le genoux nu de Léon. Je l’en retire. Ma vue se stabilise et je m’allonge en soulevant mon t-shirt, agacée par la pudeur du plus âgé qui me semble hésiter bêtement. J’arrête le tissu par dessus la brassière de sport que je n’ai jamais réussi à fermer dans la salle de bain un peu plus tôt.
Nouvel échange entre les deux frères : lui sortir un produit de son sac. J’ai l’impression d’être cet os qu’on file entre deux chiens pour les obliger à faire du lien. Et le pire dans cette idée, c’est que je la comprends parfaitement.

Puis vient l’auscultation. Les mains à plat qui passent sur mes épaules, ma cage thoracique, confirment le diagnostic de Léon et réaffirment la filiation des deux Wargrave. Quand les doigts du toubib passent sur chacune de mes côtes, j’ai le regard qui l’ambre du plus jeune. J’inspire - à peine - quand Maxence me le demande. Le même placement. La même pression. Les mêmes gestes, millimétrés, médicaux. La même force d’habitude, plus affirmée chez l’ancien infirmier de l’école.
La glace et l’ambre, de nouveau. Les ombres en filigrane, de sa culpabilité et de ma peur ravalée.
Je ne m’extrais qu’à peine de ses prunelles pour caresser les bords limés de ses traits abîmés.
Sous la peau rendue translucide par le manque de sommeil et d’une bonne alimentation, derrière les yeux rougis, la pommette éclatée, la maigreur de la rue et les piques à répétition, je devine l’avenir amputé et la chute sociale. J’me demande comment c’était, chez eux, quand ils étaient jeunes. Puis je me souviens du coup de fil, sur ce même matelas, et je comprends que dans le fond, ça ne change plus grand chose à présent. Et puisque je lâche Léon une seconde du regard pour comprendre que celui de Maxence a rejoint la même cible que le mien et observe son frère sans mot dire, j’y claque un nouveau coup de doigts sur le bras.

- Focus, toi.  

Et il souffle avant de reporter son regard vers les marbrures qui barrent mes muscles rendus flous par le relâchement général consistant à éviter de compresser mes côtes. Je sais avoir quelques anciens hématomes jaunâtres en arrière du dos et sur la hanche, reliquats d’un entraînement musclé. Mais il ne dit rien. Il ne commente pas non plus les tatouages sur mes bras ou le flan gauche, qu’il pourrait pourtant deviner appartenir à la Garde. Non, il fini juste par demander, platement :

- Vous m’expliquez ce qu’il s’est passé ? Jordane ne bouge pas, je vais re-placer et souder les os. Derrière son timbre de professionnel limé par l'épuisement, je comprends qu'on repart pour un tour de manège côté douleurs vives.

Dans cette main qu’il place sous mon plexus et presse un peu, je devine qu’il s’adresse bien davantage à son frère qu’à moi. Son pouce plonge dans ma chair pour maintenir une côte et cette dernière me file l’impression d’un coup de poignard quand il la replace. Alors je ferme les yeux et perd l’occasion de supplier Léon du regard.
De lui dire de se taire.

A la place, mes doigts se crispent sur la couverture et je cherche une seconde son contact sans trouver autre chose que le vide. Ma propre supplique avortée, ne reste que le corps qui se crispe et l’oreille qui se tend.
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Jordane Suzie Brooks
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Mar 9 Avr - 22:02
A quelques mètres seulement l’un de l’autre, ils s’observaient en silence comme si des kilomètres les séparaient. Léon et son corps fuyant, bloqué par la porte de la salle de bain. Maxence et ses mains de chaque côté de son visage, en fausse reddition mais dont toute l’attitude semblait crier qu’il voulait à nouveau l’étreindre jusqu’à l’asphyxie. Mal à l’aise, Léon bascula le poids de son corps d’une jambe à l’autre, le souffle court et le coeur au bord des lèvres. Dans les yeux de Maxence, il pouvait y voir sa cargaison de larmes, mais Léon n’avait pas la force - ni l’envie -  de s’y attarder trop longtemps. Ce lâché prise quelques instants auparavant lui aurait au moins appris une chose : cet amour fraternel lui avait manqué, quoi qu’il en dise. Et pourtant, cela ne suffisait pas. Parce que le retrouver, même sous cette forme éphémère, constituait une douleur qu’il n’était pas encore prêt à encaisser. Sans doute était-ce déloyal, ou au moins lâche, mais tant que Maxence restait loin, le spectre de sa famille décimée restait également en retrait. Il n’avait pas envie d’affronter le sujet pour le moment, pas plus qu’il ne désirait laisser de nouveau Maxence entrer dans sa vie.

Il avait tant eu de mal à l’en faire sortir, après tout. Maxence s’était sans cesse dérobé, le poussant à multiplier les raisons d’attirer son attention, du choix de devenir médecin jusqu’à son caractère provocateur. Quand il avait fallu rester loin de l’Angleterre, Léon avait même choisi de faire ses études à l’Impérial Collège britannique, ne récoltant rien d’autres qu’un soupire résigné et mesuré. Parce que Maxence était comme ça : résigné et mesuré, en toutes circonstances, secret jusqu’à l’aphasie, distant jusqu’à l’oblitération. Sauf en cet instant. Comme si maintenant que leurs parents tutoyaient les étoiles, les yeux de son grand-frère voulaient enfin clamer : tu es la personne la plus importante de ma vie et je veux te garder auprès de moi. Des années auparavant, Léon aurait tout fait pour entendre ça. A présent, cela sonnait creux et désespéré.

Rien que ça.
Et rien d’autre.
Quelle vaste ironie.

Et s’ils partageaient pourtant le même deuil et le même manque, Léon était à peu près certain que leurs expériences similaires s’arrêtaient là, sur la porte de leurs expectatives respectives et de leurs actes manqués. Juste bon à fleurir la même tombe, si tant est que Maxence n’ait au moins fait le nécessaire pour ça. Alors, il lâcha le visage de son frère des yeux, incapable d’y voir autre chose qu’une tendresse manquant de ponctualité et pléthores de remords surgissant avec un train de retard.

« Elle fait un malaise, » constata-t-il soudain en poussant ses mains sur la porte pour se précipiter vers Jordane, dont il venait de saisir la dangereuse bascule vers l’avant, comme une providentielle distraction à l’introspection de leur relation gâchée.

Formidable échappatoire pour une réelle inquiétude néanmoins. Maxence arrêta de justesse sa chute, et Léon la regarda cligner faiblement des yeux. Elle avait le teint si blême qu’elle en paraissait cadavérique.

«  T’es avec moi ?» questionna Maxence d’une voix inquiète, et Léon en aurait presque parié qu’il s’en voulait d’avoir manqué la laisser s’écraser au sol.

Toujours incapable de correctement prioriser, visiblement. Il aurait dû sécuriser la jeune femme dès son entrée dans la pièce, comme l’on apprenait à organiser les transferts de multiples polytraumatisés en situation de crise. Système peut-être barbare, mais terriblement efficace, à base d’étiquettes de couleur que l’on accrochait autour des victimes - vert pour les blessés légers, orange pour ceux nécessitant une hospitalisation mais dont les jours n’étaient pas engagés, rouge pour les urgences vitales et noir, pour ceux dont le temps ne serait plus jamais un problème.  Pragmatiquement, on appelait cela du tri, exercice qui ne fonctionnait qu’en la présence de médecin libre de tout sentimentalisme. Ce qui n’était pas le cas de Maxence. Parce que Jordane méritait de loin la couleur rouge, mais qu’il était pourtant distrait par l’étiquette verte de son petit-frère. Voilà où menaient les sentiments : aux erreurs.

Une de plus a lui attribuer, songea Léon, de plus en plus amer et injuste.

« Ca va, » mentit-elle ce qui arracha un sourire lourd d’ironie à Léon qui, bon joueur, lui concéda le plagiat de ses propres réparties.

Son frère, en revanche, ne lui concéda pas son emprise sur son épaule, tandis qu’il la repoussait solidement vers le mur pour ne pas qu’elle ne s’effondre une nouvelle fois. Léon se mordit les lèvres, retenant de justesse son intervention. Il aurait déjà dû la forcer à s’allonger, au lieu de maintenir ainsi une position assise alors que tout son corps criait à l'hypotension. Mais, vestiges encore insoupçonnés des restes de l’admiration que lui avait vouée Léon, ce dernier se contenta d’observer. Il avait longtemps rêvé assister aux actions héroïques de son frère, se plaisant à imaginer quel héros il était auprès des autres, à défaut d’être le sien.  

Et, même là, il fut déçu.

« Non, ça ne va pas Brooks. Tu pourrais te tuer que tu ne t’en rendrais même pas compte, » la contredit Maxence sans délicatesse  en cherchant dans ses affaires, reléguant sa patiente au rang d’incapable.

Il extirpa une petite fiole au liquide bleu que Léon observa de loin avec une curiosité emplie de scepticisme avant que ses yeux ne navigue entre son frère et Jordane. Quelle que soit la relation qui les liait, Léon était presque sûr que Maxence venait de choisir le plus mauvais angle d’attaque.

« Oublie ça, refusa-t-elle sans grande surprise, terminant de le convaincre de la nature de la composition de la potion anesthésiante.  Je sais c’que c’est et c’est mort, oublie.
- Ce que j’ai à faire sera douloureux Jordane, tâcha de la convaincre un Maxence que Léon sentait être dangereusement proche du point de rupture, à défaut de savoir s’y prendre - pas comme si cette fille avait l’air de craindre la douleur. Je dois replacer l’os et le souder et je te promets que ça n’aura rien de plaisant.
- Ouais... Mais tu m’shoote pas, réaffirma -t-elle, reine de l’obstination.
- T’es déjà shootée, » lui rétorqua Maximilien, injustement irrité.

Les bras resserrés autour de son propre corps, un frisson de froid le traversant pour une énième fois, Léon lutta pour conserver ses lèvres résolument closes, observant en silence le match qui se tenait devant lui, se doutant qu’il n’y aurait pas de vainqueurs. Comme s’il s’agissait d’une bande-annonce à ce qui viendrait, lorsque Maxence se retrouverait face à lui et souhaiterait soigner du bout de sa baguette magique toutes les choses horribles dont il était visiblement déjà prêt à endosser toutes les responsabilités, sans jamais comprendre à quel point sa sollicitude pouvait être difficile à encaisser. Ni à quel point elle était déplacée, parce que survenant bien trop tard. Pour lui comme pour Jordane, du peu qu’il en savait. Question de priorité et d’espace vital, là encore, mais Maxence était ce genre de médecin pour qui la notion de consentement s’arrêtait aux frontières de ses propres certitudes. Foutu complexe de Dieu, toujours prompt à prêcher la bonne parole lorsqu’il était question de soigner, tordant le cou à toute l’éthique concernant le libre choix du patient pour peu qu’il faille à tout prix réparer des corps pour le plus grand bien. En silence, Léon regarda donc Maxence tergiverser, entre sa volonté de soigner convenablement, celle de soigner efficacement, puis celle de soigner sans douleur. Puis celle qui supplantait toutes les autres : celle de le soigner lui, parce qu’il en crevait d’envie et de culpabilité. Léon pouvait le voir à la manière dont il se tournait furtivement, comme pour s’assurer qu’il était toujours là, présent, objectivable, soignable. Ce fut sans doute pour cette raison que Maxence abdiqua, du reste : dans l’urgence de passer à son autre patient. Ou peut-être connaissait-il suffisamment la jeune femme pour savoir que la convaincre s’avérerait être une perte de temps.

Qu’importe.

« Tu ne devras pas bouger d’un pouce. Si tu le fais je pourrais te tuer, tu comprends ça ?
- J’ai une vague idée du concept…» accepta-t-elle sans broncher, ses yeux clairs cherchant ceux de Léon.

Ce qui ne fut pas très dur, étant donné qu’il les lui céda au même instant. Et Monsieur-puissance-supérieure aurait vraiment eu un sens de l’ironie plus que douteux s’il permettait à l’aîné des Wargrave de la tuer de cette manière, là où le plus jeune avait heureusement eu si peu de courage pour achever sa vengeance quelques heures plus tôt. Sans doute aurait-ce était le bon moment pour s’excuser, si Maxence n’avait pas été au milieu et qu’il n’avait pas fallu expliquer les raisons pour lesquelles les empreintes qu’elle portait en collier avait manqué être les siennes. Alors Léon ne dit rien, pas plus qu’elle et le silence fut suffisamment oppressant pour que Maxence ne relève à son tour la tête. Et si le poids du regard de Jordane était déjà bien suffisant, celui qu’il y rajouta manqua d’étouffer complètement Léon. Il n’aurait pas su correctement définir ce qui était si désagréable dans l’examen que Maxence faisait de lui, mais s’il avait dû s’y essayer, Léon aurait incriminé la pitié en premier lieu. Maxence le regardait avec cette inquiétude débordante, entremêlée d’une tristesse et d’une culpabilité encore plus terrassante qui lui enserrait sa cage thoracique dans un étau redoutablement incendiaire.  

Et toute cette désespérance manqua sincèrement de le brûler au troisième degrés.

« Hey, Wonder toubib, » le sauva Jordane encore une fois, de sa voix cassée qui eut le mérite d’attirer l’attention sur elle.

Léon en profita pour expirer lentement, se rendant alors compte qu’il avait retenu sa respiration tout ce temps.

« Y’en a quelques uns que j’ai pas envie de rejoindre. Alors tu te ressaisis. »

Et elle n’avait pas tord. Dans un hôpital, Maxence aurait été prié de rester en salle d’attente. Il avait l’attitude défaite des gens à bout de course, usant de leurs ultimes réserves pour pianoter sur les touches fatiguées du piano que l’on venait de poser juste devant. Maxence soignait comme l’on jouerait un morceau sans grande conviction, de ses mains distraites dont Leon percevait les tremblements jusqu’à ses yeux hagards qui furetaient souvent dans sa direction. Il connaissait le morceau, mais le réalisait gauchement, bien loin de la virtuosité ayant fait de lui un artiste. Alors Léon se mura dans son mutisme, refusant de participer encore plus à l’effritement de Maxence alors qu’il lui fallait être précis pour la soigner.  

« Pourquoi tu ne m’as pas appelé ? » cracha Maxence sans préambule, dangereusement prêt du reproche à présent.

Alors même qu’elle peinait encore à déglutir.  C’était absurde. Sa colère mal dirigée, ses reproches en embuscade derrière ses soins et toute cette manière qu’il avait de marcher sur des œufs en ne s’adressant qu’à celle dont il craignait plus les blessures que les mots. Léon savait pertinemment que la question lui était principalement destinée. Il n’avait pas appelé : ni lorsqu’il avait été en danger dans la maison prise d’assaut, ni quand il en était sorti, ni les jours d’après. Les semaines de silence étaient devenues des mois, et à force de se trouver des excuses il avait fini par comprendre qu’il n’en avait surtout aucune envie. Quatorze mois sans chercher à le joindre, dont Léon ne s’excusa pas, de la même manière que la fille garda pour elle les raisons de son propre mutisme. Humble dans sa défaite, Maxence continua donc sans relever. Et si aucune médecine moldue n’était capable du même prodige, son frère répara l’os hyoïde en un tour de baguette. Léon savait que c’était bien plus complexe et difficile que cela en avait l’air. Néanmoins, lui qui avait toujours trouvé la magie fascinante ne pu s’empêcher de juger la pratique de son frère soudainement barbare, à l’éclair de douleur qui traversa le visage de sa patiente.

Au moins, aux urgences moldues, on aurait été capable de la sédater convenablement  à coup de gaz hilarant. Mais peut-être que Maxence était trop habitué à l’urgence pour ce genre de considération. A moins que cela ne soit toute sa colère enfouie, que Léon voyait pourtant poindre à chaque fois que Maxence ouvrait la bouche pour s’adresser à Jordane, à défaut de s’adresser véritablement à lui, se contentant de lui demander de confirmer les blessures de Jordane. Terrain neutre, no man’s Land de termes scientifique et de langage commun, dans lequel Léon s’aventura d’une voix prudente mêlée d’urgence, tandis que le teint de la jeune femme recommençait à flirter avec l’opale. Il acquiesça quand Maxence caressa enfin l’idée de l’allonger, retenant de justesse de saluer enfin qu’il n’y songe. Soupire qu’il laissa tout à fait échapper lorsque Jordane, obstinée depuis le berceau, tâcha de vérifier si son corps obéissait aux lois de la gravité en se redressant, visiblement insensible aux signaux de son propre corps.

« Je te tiens, » lui souffla avec douceur Léon en passant un bras solide autour de sa taille tandis qu’elle se rattrapait à son épaule après quelques pas vaseux.

Il la guida jusqu’au lit ou Maxence lui demanda de l’asseoir. La porter aurait été plus simple, mais elle aurait détesté et il y avait bien assez d’un seul Wargrave autoritaire dans la pièce. Dans un nouveau soupire, Léon prit donc place derrière la jeune femme, l’empêchant de basculer en arrière sous ordre de son frère, gardant ses diagnostic et conduite à tenir pour lui même, mais n’en pensant pas moins. Il y avait sûrement bien assez d’un médecin dans la pièce également. Quand bien même ce médecin s'obstinait à la garder assise aux portes du malaise vagal.

« J’ai besoin qu’on soit dans le même camp Jordane, c’est le seul moyen pour que je puisse t’aider. Et t’es pas dans le tien là. Dis-moi pour voir : pourquoi tu n’as pas séché tes cheveux ? la sermonna-t-il comme une enfant, récoltant un balancement de la tête de Léon qui conserva néanmoins son religieux silence, ce qui tenait promptement du miracle. Pourquoi tu as commencé à soigner ton pouce sans aller plus loin ? »  enfonça-t-il encore le clou.

Paumes posées contre le dos de Jordane, à deux doigts pourtant de la tirer lentement vers l’arrière pour arrêter cette absurdité qui manquait de la faire s’évanouir à chaque instant, Léon n’y tint plus et adressa à son frère un regard circonspect dans lequel pointait une lueur d’agacement grandissante. Maxence avait son fameux ton professoral, celui qui réveillait chez Léon toute une panoplie de batailles avortées qu’il regrettait à présent de ne pas avoir menées convenablement. Avoir le pouvoir de sauver des vies n’excusait rien, de la lâcheté à l’abandon en passant par les leçons moralisatrices que personne n’avait envie d’entendre dans cette pièce.

« Ca va Maxence. Fais ton job. J’ai pas besoin de tes commentaires, » se défendit-elle d’une voix qui avait retrouvé tout son timbre.

Léon s’accorda un moment de fascination, pour la prouesse magique tout autant que pour le recadrage dont elle gratifia Maxence. Puis une main moite effleura son genoux nu. Le contact fut bref et elle se reprit, s’allongeant enfin sur le lit, pour le plus grand bonheur de ses artères cérébrales. Léon secoua la tête : il n’était pas trop tôt. Il se décala pour lui laisser de place, ses yeux naviguant du corps copieusement tabassée au visage de son frère tout aussi copieusement révolté de l’état de sa patiente. Maxence n’était pas dupe : il avait fallu beaucoup de coups pour en arriver à un tel résultat et Léon pouvait presque suivre le fil de ses pensées à mesure qu’il était dévisagé à son tour. Maxence semblait presque regretter de ne pas posséder des yeux radiologiques, capables de diagnostiquer son petit frère même à travers le tissu trop grand du sweat. Et Léon comprit dans la foulée qu’il allait lui être extrêmement difficile de laisser Maxence constater les dégâts de cette dernière année, voir impossible. Il n’avait pas envie de dévoiler ses blessures, physiques comme morales, chargées de douleurs ou de regrets, si ce n’est de honte.

Pas à son frère, en tout cas.

Frère qui tenta de se reprendre en lui demandant de lui passer l’un des onguents de sa mallette. Interdit, Léon acquiesça, fouilla quelques instants, en extirpa l’objet de la demande pour le tendre mécaniquement vers Maxence, toujours sans prononcer le moindre mot. Les efforts de son grand-frère était presque aussi louables que l’énergie que Léon mettait à les ignorer. L’hypocrisie n’avait jamais fait partie de leur vocabulaire commun, contrairement à la culpabilité dont ils se partageaient probablement tous les deux la vedette. Parce qu’à mesure que les mains du médecin passaient sur le corps de sa patiente, Léon se revit dans ce monte-charge, avec des intentions bien moins nobles avortées de justesse. Il ferma les yeux, les rouvris, mal à l’aise, seulement pour retrouver ceux de Jordane. Là aussi, il aurait dû trouver le courage de lui présenter des excuses, sans doute. A la place, il se contenta d’un échange silencieux et lourd de sens, parce qu’il était convaincu qu’elle repensait à la même chose. Et si elle respirait à présent bien mieux, Léon, lui, aurait bien eu besoin d’un peu plus d air. D’autant plus que Maxence se rajouta une fois encore à l’équation, incapable de contrôler ses putains d’émotions qui asphyxiaient totalement le plus jeune.

« Focus, toi, » le rappela-t-elle encore une fois à l’ordre, ne récoltant qu’un soufflement agacé du plus vieux auquel se rajouta un soufflement soulagé du plus jeune.

Voilà pourquoi on déconseillait aux médecins de prendre en charge les gens de leurs familles. Parce qu’il y avait trop d’affect pour être efficient, trop de pathos pour prendre les bonnes décisions. Et comme tout à l’heure, Léon pouvait presque saisir l’espace infime séparant Maxence du vide contre lequel il se battait depuis qu’il était entré dans la pièce. A moins que cela ne soit depuis des mois.  Depuis cette fameuse nuit. Ou depuis plus longtemps. Léon n’aurait su dire. Les remords de Maxence n’étaient qu’une succession d’excuses rances dont il n’avait pas la moindre envie d’en entendre la litanie. Alors, sans que cela ne soit très juste, Léon n’avait pas la moindre envie non plus de retenir son frère, qui avait trop longtemps flirté avec le précipice sans jamais se rendre compte qu’il finirait par tous les entraîner dans le vide.

Pire que ça.
Il était à deux doigts d’augmenter la mise et de le pousser lui-même.

« Vous m’expliquez ce qu’il s’est passé ? » re-tenta Maxence d’une voix lasse dans laquelle Léon pouvait identifier sans mal toute la culpabilité de ne pas avoir été là pour les sauver.

Jordane.
Lui.
Leurs parents.

Quelle ironie. D’avoir tant envie d’être un super-héros et de pourtant si mal supporter les conséquences. Pas plus qu’il n’encaissait l’ignorance. Et ce fut sa question, bazardée d’une voix plate et dénué de combativité, qui manqua mettre le feu aux résolutions de Léon.

Ne leur avait-il pas infligé ça, justement, des années durant ?
De ne pas savoir ?
De crever d’inquiétude ?
Pour lui ?
Tout le temps ?

Au prix d’un ultime effort, il ravala sa colère par il ne savait quelle prouesse. Tout en sachant pertinemment que cela n’était qu’une question de temps avant qu’il n’explose. Si faire monter en pression Léon avait été une discipline sportive, Maxence en aurait été le quadruple champion olympique, toute catégorie confondue. Colère volcanique ou guerre froide, son frère avait sans doute expérimenté toutes les thermostats du ressentiment de Léon depuis ces dernières années à confondre présence et inconstance. Mais s’il y avait bien une chose, parmi toutes les autres, capables de dynamiter toute contenance, c’était bien ce pseudo complexe de Dieu dont Léon ne supportait aucun contour, de près comme de loin. Et quand bien même Maxence avait des excuses pour se comporter de la sorte, chacun des ordres qui claquait contre Jordane l’écœurait un peu plus, comme s’il avait oublié quelque part sur le chemin de la médecine qu’être celui qui sauve ne donnait pas le pouvoir d’être celui qui juge, et encore moins celui qui punit. Pas plus que le droit de condamner leur famille sur l’autel de ses convictions politiques, au nom d'une cause dont il s'était bien gardé de leur expliquer quoi que ce soit. Et quand bien même son frère était bouleversé, Léon ne cautionnait pas qu’il passe ainsi frustration et peur accumulées sur quelqu’un qui n’avait fait que le retrouver, là où lui avait échoué.

Encore une fois.

Pas plus qu’il ne supportait ses exigences de vérité, là où lui n’avait faire qu’ériger des murailles de secrets en guise de rempart pour s’éloigner de sa famille, jusqu’à devenir un temple dont personne ne connaissait la moindre divinité.
 
Encore une fois.

Combien de larmes de sa mère avait-il essuyé, lorsqu’un énième jour sans nouvelles de Maxence s’était encore écoulé ?
Combien de repas dans une  ambiance d’outre tombe avait-il dû encaisser après que son frère n’ait annoncé s’engager au front ?
Combien d’anniversaires manqués ?
Combien de dîner de familles avortés ?
Combien de Doloris lancés sur maman, pour punir le fils prodigue?

Stop.

« Jordane ne bouge pas, je vais re-placer et souder les os. »

Et combien de Va te faire foutre Maxence que Léon aurait rêvé de lui balancer ?

En silence encore, Léon tiqua, mordit ses lèvres, secoua légèrement sa tête, bouillonnant. Ni s’il te plait, ni compte à rebours, même pas l’ombre d’une petite pause entre deux gestes douloureux. Maxence agissait méthodiquement, comme le parfait petit soldat médical qu’il avait toujours voulu être, dans son uniforme de bonnes intentions et son cerveau compressé par le casque de ses responsabilités, oubliant de réfléchir en dehors des protocoles établis. Ce genre d’actions toutes préparées qui permettait de noyer tout le reste, Léon l’avait déjà expérimenté lors de ses stages aux urgences et en réanimation : c’était ce qui protégeait tout le monde du chaos. Mais Léon voyait : les yeux rougis par la fatigue, les cernes qui s’étalaient sous les paupières lourdes, les cheveux désordonnés, la concentration qui défaillait de temps à autre lorsqu’il finissait par couler un regard vers lui, les gestes qui s’enchaînaient parce qu’il n’avait qu’une envie, vérifier que le dernier membre de sa famille n’allait pas mourir sur le tapis miteux du motel, le laissant totalement seul. Lui qui avait tant peur d'être abandonné. Et le voilà, soudainement pétri de la volonté de sauver ce qu’il lui restait mais encore une fois torturé par l’ordre des priorités – l’histoire de la vie de Maxence, ange déchu parmi les justes, sans cesse balloté entre ses contradictions. Et Léon entendait : les reproches qui se trompaient de cibles, les remerciements envers la jeune femme qui ne venaient pas, les questions qui dissimulaient mal la frustration de ne pas avoir été là, les os qui craquaient, trop vite.

Et lorsque Léon saisit en périphérie le geste avorté de Jordane qui effleura à peine ses doigts dans un instant de faiblesse qui voulait dire beaucoup quant à son état, Léon se tendit encore un peu plus.  

Une autre côte craqua. Et à la troisième, Léon explosa tout à fait.

« Laisse-là souffler, bordel, exigea-t-il brusquement en attrapant le poignet de son frère d’un geste autoritaire avant qu’il ne saisisse une quatrième côte. Elle va finir par s’évanouir, à ce rythme. »

Il affronta Maxence du regard avant de le relâcher, certain d’avoir serré beaucoup plus fort qu’il n’aurait dû, jusqu’à lui en laisser un possible bleu. Sans un mot, et encore moins une excuse, il se releva et regagna la cuisine, le regard brûlant d’une colère sourde que la présence de Maxence avait ravivé comme du bon pain. Rageur, il ouvrit le frigo pour attraper une bouteille d’eau, puis le congélateur pour récupérer un bac à glaçon. Dans le silence oppressant de la chambre, il déplia ensuite un torchon, retourna le bac jusqu’à faire tomber tous les petits carrés. Puis il noua les extrémité consciencieusement, attrapa un second torchon, ouvrit le mitigeur, le glissa sous l’eau pour l’humidifier, le plia en quatre. Éteignit l’eau. Une vingtaine de seconde plus tard et après avoir fouillé l’un des placards dont il claqua la porte sans délicatesse, il rejoignit le lit.  Sans un regard pour son frère, il se rassit à côté de la jeune femme. Son teint était verdâtre et la moiteur de ses mains à elle-seule aurait dû signifier à Maxence qu’elle était en train de consommer ses ultimes réserves de sucre en luttant contre la douleur. Alors, après lui avoir essuyé le visage avec une douceur qui contrastait avec sa fureur, il déposa le torchon sur son front et ouvrit le sachet de sucre en lui demander gentiment de le laisser fondre sous sa langue. Quand elle eut terminé, il posa délicatement la glace sur l’une des cotes encore fracturées après l’avoir prévenue inutilement que cela serait froid.

« Tu ressouderas une fois que la glace aura endormi la zone, ordonna ensuite Léon d’une voix tout aussi réfrigérante, lèvres pincées et yeux accusateurs solidement fixés dans ceux de l’autre Wargrave. Regarde autour de toi. Tu n’es plus sur l’un de tes champ de bataille et elle n’est pas sous tes ordres, » fit-il sans sans se préoccuper d’enfoncer des portes que Maxence préférait sans doute savoir verrouiller à double tour.

Et puis, puisqu’il fallait encore attendre que le froid n’anesthésie convenablement les tissus, Léon reprit de cette voix chargée de reproches que Maxence découvrait sans doute pour la première fois, rincée de son admiration pour lui, délavée par toute cette année passée dans la rue puis remodelée par la rancœur qu’il avait dû faire sienne. Il n’avait jamais eu de compte à rendre à son aîné – encore aurait-il fallut qu’il soit d’ailleurs présent pour les réclamer – en presque quinze ans de cohabitation. Il ne comptait pas commencer aujourd’hui. Pas plus que Jordane, il n’avait envie de raconter, surtout à une personne qui ne comprendrait rien d'autre que ce qu'elle voudrait y voir. La rue était devenue son jardin secret et à défaut d’y avoir cultiver quoi que soit de fertile, Léon avait fini par se faire à son terreau de secrets aux multiples racines. Quant à Maxence, malgré toute l’affection qu’il lui portait, il n’était pas le mieux placé concernant l’honnêteté, lui qui avait menti par omission jusqu’à ce que la guerre ne vienne elle-même frapper à leur porte et les faucher en pleine naïveté. Léon ne lui devait rien. Mais à elle, si. Alors, il reprit, ses doigts tenant toujours le torchon glacé tout contre l’abdomen de Jordane tandis que ses yeux remontaient vers ceux de son frère.

« Si tu ne veux pas entendre l’histoire dans laquelle je n’avais pas la moindre envie que tu me retrouves, tu vas devoir te contenter de l’absence de réseau et des marches glissantes de l’escalier, » lança-t-il, se moquant bien de l’éventuel Touch Down infligé à son frère.

Après l’avoir affronté du regard un instant, il détourna les yeux et retira son anesthésiant de fortune de la jeune femme.  Un cercle rosé entourait à présent la côte brisée, petite nuance rougeoyante au milieu des rivières de bleus qui nimbaient sa peau drapée d’ecchymoses. Plus ou moins satisfait de cette méthode vieille comme le monde mais particulièrement efficace, Léon l’autorisa à poursuivre d’un hochement de tête. Puisque c’était la dernière côte, il se saisit avec précaution du poignet bleu de Jordane. Il était probablement cassé, en définitive. Après un regard dans ses yeux d’Arctique pour appuyer son vœu de silence quant aux dernières heures, il déposa de nouveau la glace dessus, pressant doucement. Puis, parce qu’il n’y avait pas que les os de Jordane qui s’étaient brisés, Léon reprit, incapable d’endiguer ce que Maxence provoquait en lui.

« A moins ... » reprit-il en laissant volontairement planer sa phrase pour chercher son regard, quatorze mois de questions sans réponses prêtes à être dégainées de nichées au fond de ses yeux accusateurs … que tu ne veuilles vraiment que l’on joue, toi et moi, à découvrir qui doit réellement expliquer ce qu’il s’est passé à l’autre ? » tira-t-il sa flèche, sans la moindre sommation.

( :basket: )
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Léon Wargrave
Bambineihmer
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Crédits : Marine <3
Léon Wargrave
Ven 12 Avr - 9:46
On ne peut pas sauver tout le monde. Chaque soignant, chaque membre du corps médical sait comme cette phrase peut sonner lourd certains jours. Cette phrase, elle soulève ses nerfs quand parfois, il faut faire face à ses décisions. Aux doutes, aux erreurs. Personne n’est infaillible, et il n’est personne dans les jeux de dés du destin. Personne même, pour imposer une étreinte à un frère qui étouffe clairement de ce contact. Personne pour trouver les mots quand lui-même se sent capable de traverser le parquet d’un instant à l’autre tant il peine à s’implanter tout à fait dans la réalité. Léon lui échappe et cette seule étreinte lui permettant de raccrocher au réel lui est arrachée pour laisser place à cette sensation mal assurée d’être tout à la fois là et un peu à côté.
Un peu comme cette première nuit chez sa mère, chaque fois. Cette première semaine chez ses parents. Ses premiers mois au front. Ses premières secondes après le baiser du détracteur dont Enzo l’a sauvé à Poudlard bien deux ans auparavant. Quelques entre-deux qu’il n’est toujours pas certain, encore à l’heure actuelle, d’avoir véritablement vécu. Peut-être était-ce un autre ? Peut-être était-ce le même que le jeune homme ayant posé pour la première fois les pieds à Salem, seul et incapable de tout à fait se sentir autrement que ballotté d’un monde à l’autre.
Celui qu’on présentait, un jour, à sa première famille d’accueil, après l’avoir assommé de conseils. Celui qui en repartait, pour débarquer le jour suivant chez d’autres inconnus et recommencer le mois d’après. Pour s’apprêter à repartir.
Et se surprendre, un an après, à demeurer au sein des mêmes murs.

Ce gosse qui manque d’air, aujourd’hui, sous les côtes de l’adulte qui tente de faire face. Maxence lève les mains, tente d’apaiser un frère qui est bien là mais qu’il sent loin, à des miles de là. Celui qui était bien réel dans ses bras un instant plus tôt lui semble fait de brumes dès lors qu’il s’éloigne. Seule reste la souffrance. Les yeux rougis, les spasmes des lèvres, les crispations des joues et celles du cou. Les marques violacées sur son visage, celles verdâtres sur ses cuisses, l’absence de poils et la plissure d’une brûlure sur son mollet. La manière qu’il a de détourner le regard, de parler avec cette voix étranglée tout à la fois brusque et hésitante, un peu trop haute, ou trop rêche. La tension dans ses épaules et la nervosité de sa posture, incapable de rester en place. Tant de choses qui lui écrasent le cœur et réveillent ce qu’il se fait fort de ne pas déterrer.

La voix d’une mère, quelque part, résonne à son esprit.
Les mots exacts se sont dilués depuis longtemps dans le courant du quotidien mais le sens reste bloqué. Quelques détails qui ont marqué le gamin de dix ans qu’il était alors, pétri d’inquiétude. Ce gros ventre qui tirait le tissu d’un haut mal ajusté. La texture brûlante des mains d’une mère qui ne l’est pas tout à fait et le force à se relever du vieux tapis qu’ils n’ont pas gardé longtemps et qu’ils avaient déposé dans le salon en plein travaux. Les bâches ici et là. La cuisine en chantier et le réchaud dehors pour faire “comme au pique-nique”. L’inquiétude d’un môme, que son “père” a chopé plongé dans un vieux manuel de Sciences. Combien de semaines ? Combien avant l’arrivée du fils prodigue, de celui qui n’était pas envisagé. De celui qu’on a comblé par un autre enfant, déjà là, à l’inquiétude étranglée dans la gorge. A l’époque, il avait cru être fort dans les questions qu’il ne posait pas. La naïveté de l’enfant qui pense que son mutisme est une arme car toute parole risquerait de faire basculer sa réalité. A cet enfant, la mère a répondu, sans vraiment chercher ses mots, qu’un petit frère arriverait dans deux mois. Et qu’il devrait bien s’occuper de lui, car dès lors, ce serait son rôle.
Un sous-entendu nécessaire, que l’administration du pays a violenté tant de fois sans que qui que ce soit n’ait véritablement les armes pour s’en prémunir. La déclaration d’amour d’une mère qui se voulait rassurante. Et a offert à son premier fils une arme à double tranchant.

Ne lui reste que ça à contempler. L’alignement de trois tombes. Celui des ecchymose. Et la courbe effacée des larmes balayées.

Et puisque son monde n’a cessé d’éclater et qu’il se résume à l’instant à la posture incertaine d’un jeune homme en détresse, ce dernier trouve pour toute échappatoire à leurs retrouvailles, l’idée de percer de nouveau la bulle. Et d’y faire rentrer les obligations.

« Elle fait un malaise »

Et puisqu’il ne voit que son frère, Maxence s’en détourne.
Puisqu’il souhaite que le serrer dans ses bras, il se se précipite et s’en écarte.
Parce qu’il n’a que les blessures du garçon en tête, il rattrape Jordane au vol et la maintient pour l’empêcher de s’effondrer.
Comme il n’a pas pu protéger son frère de chaque seconde passées dans un enfer dont il ignore tout, il fait face à celui qu’il ne peut ignorer.

Blafarde, elle n’a plus rien de son irrévérencieuse assurance. Chaque hématome lui saute à la gorge et dans le battement incertain de ses cils quand il la réceptionne, Maxence ne peut qu’y voir une gamine. Celle qu’il a tant vu au détour des couloirs. Les longs cheveux roux ont disparus, comme la frange et les sourires légers. Elle a les mêmes traits tirés qu’à l’enterrement de Zach. Le même regard fermé. La même détermination nauséeuse lorsqu’elle répond à son interrogation angoissée.
Pas tout à fait le même, en vérité. Une forme d’ironie passe dans ses prunelles de glace et ces yeux-là appellent le souvenir de ceux qu’elle lui a adressé, le jour de l’arrivée des élèves de Salem. Lorsqu’il cherchait les visages connus sans vraiment se l’autoriser. Qu’il balançait les ordres injustes et classait les blessés et les morts. Quand Zachary justement, Takuma et d’autres, s’agitaient autour de lui pour déblayer la grande salle des patients les moins urgents et qu’il s’occupait du reste avec l’atroce conscience qu’un autre aurait fait bien mieux. Mais au front, on fait avec ce qu’on a. Puis d’autres soignants sont arrivés, soulageant ses épaules sans jamais lui enlever cette impression de n’avoir fait qu’ “au mieux”. De n’être qu’un gosse de trente ans face à une vague trop grande pour lui.
Ce jour-là, les prunelles de glace ont accompagné Alec et Jayden, blessée. Il les a relégué dans la case “non urgent”.
Et les prunelles sourient à présent. Sans aucune trace d’amusement mais porteuses d’un message plus cynique qui le percute de plein fouet.

Ça y est ? C’est urgent cette fois-ci Maxence ?

Oui. Ça l’est. Et il l’a laissée de côté.
Tout comme il l’a laissée repartir, persuadé de retrouver son frère. Tout aussi certain qu’elle lui aurait donné tout ce qu’il lui faudrait pour mettre la main sur le dernier membre de sa famille en vie.
Pourquoi mentir ? Pourquoi mentir sur un truc pareil ?!

Ses lèvres tremblent d’un rien lorsqu’elle répond. Sa gorge tressaute et sous le regard de Maxence, au corps de la jeune femme se substitue celui de son frère.

“Si je vais bien, c’est parce qu’elle a pris tous les coups à ma place…”

En la laissant repartir, en n’envisageant pas une seconde qu’elle ne serait pas honnête avec lui sur un sujet aussi grave, il l’a laissée foncer droit dans la gueule du loup. D’où elle a sorti Léon. Où elle aurait pu perdre la vie.
Ne sont-ils pas déjà trop, fauchés si jeunes aussi facilement que les herbes en bord de route ? L’image d’Enzo le rattrape, de ses décisions, de ses batailles solitaires. Puis de Doryan, des dernières crispations de son corps sur la table d’opération. De Megan. D’Elias. De chacun de ceux qui ne méritaient pas ça. De Charleen, qu’on a retrouvé morte.
Une fois est certaine, c’est que s’il fait lui-même partie des survivants, il l’est avec la sensation de devoir la vie à un effet de meute. Un soutien mutuel qui a donné à David la force de faire face à Goliath.
Il n’a jamais été le héro. Il n’a jamais été qu’un maillon de la chaîne. Un maillon qu’il est si aisé de briser. Mais quelle est la probabilité de s’en sortir pour chacun des électrons libres qui se pensent assez solides pour faire face aux colosses seuls ?

« Non, ça ne va pas Brooks. Tu pourrais te tuer que tu ne t’en rendrais même pas compte, » Comme son pote, Alec, toujours apte à n’en faire qu’à sa tête quitte à se mettre dans les pires des situations, entraîner les autres dans sa chute et espérer que quelqu’un, un jour, réparera les pots cassés.

Comment, alors, les protéger jusque contre leur volonté ?
Si on ne sauve pas tout le monde, accepter de les voir se détruire n’a rien de simple.
Et savoir qu’on aurait pu intervenir, mais qu’on n’a simplement pas vu est intenable.

Quant à avoir conscience d’avoir sciemment mis de côté quelqu’un pour un autre, et d’avoir pris la mauvaise décision…

Maxence le sait, il n’y a dans la situation rien qui convient de près ou de loin à un environnement de soin convenable. Ni la chambre, ni lui, ni les tremblements de ses mains et le bourdonnement de ses pensées, ni même le rejet obtus d’une patiente dont il connaît l’obstination.

« Oublie ça, Jordane fait partie de celles qu’il a le moins vu. Des mutiques. De celles qu’on laisse partir en sachant pertinemment qu’elle pourrait laisser s’infecter la plaie, ne prendre qu’un médicament sur deux ou ignorer les visites de contrôles. Celles dont on doit deviner les symptômes et qui ne viendront qu’une fois au pied du mur, quand l’affection peut s’être aggraver jusqu’au point de non retour. Je sais c’que c’est et c’est mort, oublie. Elle est celle qui s’est pointée avec une brûlure de feu sorcier qu’il n’a pu endiguer tant elle lui avait rongé les chairs. Uniquement parce que Zachary a usé de ruse pour l’amener à l’infirmerie.
Celle, donc, qui n’acceptera rien.
- Ce que j’ai à faire sera douloureux Jordane, Et encore moins la douceur. Pour n’importe qui d’autre, jamais il n’aurait usé de cette approche. Mais la bienveillance l’a déjà amené à la voir s’échapper une fois. Et la rudesse, à lui faire comprendre que ce feu finirait par faire tomber son bras s’il n’arrivait pas, à minima, à en ralentir la progression. Je dois replacer l’os et le souder et je te promets que ça n’aura rien de plaisant. Quant à sa gestion de la douleur.. Il la connaît. Et la sait capable de gérer. C’est idiot. Ça n’a pas grand chose d’admirable que de vouloir souffrir pour souffrir. Mais c’est surtout la marque d’une jeune femme profondément secouée par la vie qui, bien sûr, n’acceptera jamais de perdre la maîtrise d’elle-même. Surtout pas ici, sans porte de sortie.
- Ouais... Mais tu m’shoote pas, Peut être aurait-il pu faire mieux, espérant que l’approche lui ferait comprendre qu’il ne la considère pas en chose fragile qu’il faut protéger. Qu’il y a du respect derrière ses mots. Elle l’a déjà vu faire. Elle a assisté à l’opération d’Alec, à celle de Logan. Elle sait.
Mais justement, elle sait.
Et Maxence voudrait hurler de cette obstination brusque qui la laisse à la merci d’une souffrance qui aurait pu être évitée s’ils avaient seulement collaboré pour aider son frère.
Et parce qu’au cœur de la glace, les prunelles qui le dévisagent avec bravade sont dilatées, il ne peut que songer au refuge de dealers dans lequel elle l’a appelé. Et à ce que son frère a sans doute vécu, par sa faute.
- T’es déjà shootée, » Voilà. Pourquoi il faut savoir se retirer.

A peine les mots passent-ils ses lèvres que Maxence les regrette.
Pas une faille, dans le regard de givre. Pas un recul, un rictus, une onde. Bien au contraire, Jordane se ressaisi et le confronte du regard sans s’en défaire. Bien sûr qu’elle ne lâchera rien. Que faire face à la souffrance est plus aisé que d’envisager d’être à la merci de qui que ce soi. Il lui faut alors retenir ce qu’il en voit. Les fêlures sous les bravade. La peur sous l’assurance.
C’est son choix. Un choix solide pour une femme solide. Qui n’a rien à prouver et certainement pas à lui. Son droit, d’interdire un état d’inconscience.
Mais qui n’a jamais été très douée pour prendre soin d’elle et mesurer l’étendu du danger qu’elle s’inflige seule. Et la soigner ainsi serait de la torture. Pourtant la prendre à revers et lui imposer l’anesthésie serait la braquer sans retour en arrière.
Le frère retient son regard sur sa gauche. Il y sent peser pourtant, toute l’attention inquiète de celui qui ne fait que se tourner vers elle pour toujours y trouver un soutien en retour.

C’est son choix oui, de patiente, que de refuser certains soins.
Et celui, injuste et atroce, du frère ; de se réfugier derrière des notions bien nobles de consentement pour masquer la peur de perdre le seul point d’appui que Léon semble accepter.

« Tu ne devras pas bouger d’un pouce. Si tu le fais je pourrais te tuer, tu comprends ça ? La réponse est immédiate.
- J’ai une vague idée du concept…»

Et comme pour répondre à cette affreuse pensée, elle trouve de nouveau le regard du cadet par dessus l’épaule de Maxence. Et lui, recule d’un rien son torse pour confronter non pas la jeune femme mais les blessures qui marquent son être. Celles qu’il a ignoré au profit de son frère. Celles qu’il peine à intégrer tant l’angoisse tourne en boucle d’en imaginer des similaires sous le hoodies de coton.
Conscient d’enchaîner les mauvaises décisions, le médicomage se rattrape à ses habitudes et décrit les gestes à venir, s’assure que Jordane a compris dans quoi elle s’engage et s’enquiert de son consentement. A chaque étape, les yeux de la jeune femme s’obscurcissent de nuages d’orage. Alors il se tait, conscient qu’elle est foutue d’avorter les soins, et d’une main moite, sort sa baguette pour la diriger vers sa gorge. Sans un commentaire de plus et sous couvert de faire un bilan de son état, en profite pour saturer au maximum les nerfs de la jeune femme et limiter la douleur qu’elle devra endurer. Il la lui faut à la verticale, en position physiologique, pour empêcher les tissus mous de partir en arrière et de se trouver figés dans un axe qui ne serait pas le bon. La magie possède ses limites et à se sentir au bord de la crise de nerf, Maxence connaît surtout les siennes. Si elle peut tenir, il lui faut agir vite, précisément et … et arrêter ses conneries. Prioriser, respirer. Un coup d’œil. Léon est toujours là, visiblement inquiet. Assez pour s’assurer que la jeune femme passe la nuit.
Se concentrer, donc. Et..
Du dos de deux doigts, Jordane lui décoche une frappe éclair sur la tempe. Pris de court, Maxence sursaute et la dévisage, étonné.

- Hey, Wonder toubib. Y’en a quelques uns que j’ai pas envie de rejoindre. Alors tu te ressaisis.

L’ombre de Zachary se dresse entre eux et miroite un instant dans le regard de la jeune femme. Maxence à son tour, le revoit à l’infirmerie, lors de chaque crise, à prêter main forte. La complicité des deux jeunes, leurs regards, les communications mutiques. L’évidente intimité.
Et la rage muette, dans le regard de Jordane aujourd’hui. En observant en silence cette colère mêlée de peur, l’ancien infirmier comprend qu’elle a toujours su qu’il était celui qui était sur place ce jour-là. Celui qui a recueilli les derniers souffles du garçon.
Arrivé trop tard.
Trop tard.

Et les blessures de la jeune femme lui apparaissent comme sous lumière noire. Brillantes et accusatoires.

- Pourquoi tu ne m’as pas appelé ?

De nouveau, il regrette les mots à peine ceux-ci passent-ils ses lèvres. La question n’était pas destinée à lui échapper ; encore moins à sonner ainsi. Mais apparaît comme bien réelle lorsqu’une crispation légère passe sur les traits de l’ancienne Serdaigle.
Alors Maxence comble le flottement en débutant ses soins. Il achève l’anesthésie des tissus profonds, immobilise les chairs, déplace l’os. A aucun instant, le grand frère n’ose détourner son regard des prunelles inquisitrices de Jordane. De la souffrance qui passe sur ses traits. Des contractions pulsatiles qui vrillent ses muscles.
Chaque détail le ronge. Mais tout vaut mieux que d’affronter le regard de son frère, derrière lui. Et de ce qui doit passer dans ses yeux à lui, à l’écoute de cette question.
Alors il ne se raccroche qu’à ça. A l’alignement des cartilages, la précision des gestes, la délicatesse de l’opération.
C’est qu’il n’est pas chirurgien. N’a pas effectué de telle pratique depuis des années. Les conseils de Sunniva - la vampire lui donnant des cours de médecine moldue depuis plusieurs mois - deviennent rapidement la seule chose à son esprit. La pièce s’efface. Les sentiments avec elle et la patiente devient un enchaînement de muscles et de nerfs à vif. Un puzzle à assembler.

C’est quand il achève son œuvre que tout revient. Plus violemment encore, le réel le percute au visage. Comme au réveil, chacun des foutus jours qui l’ont porté cette dernière année passée. La seconde de flottement d’abord. Puis les corps des parents. Le vide. Les images de son imagination en roue libre qui appliquent à Léon ce qu’il voit de l’état de Jordane.
Il était si près. A portée de main.
Et lorsqu’il jette un regard en arrière, Léon est toujours là. Tout aussi à portée et tout aussi lointain. Quand à Jordane, elle s’effondre de douleurs tandis qu’elle peut de nouveau déglutir. Son front luit, son corps décompense à coup de soubresauts, sa peau confine à la pâleur d’un mort. Et Maxence sent s’ouvrir la gueule du diable sous son être à l’idée d’avoir pris la mauvaise décision.
La vérité c’est qu’il aurait dû l’amener à l’hôpital de la Garde. Mais Léon n’aurait jamais suivi.
Alors quoi ? Il la sacrifie sur l’autel de la souffrance pour préserver son frère ?

Lorsque Maxence reprend la parole, sa voix lui parvient comme au travers d’un tube. Étrangement calme. Détachée. Les cotes blessées, la localisation, les organes possiblement lésés. Et Léon répond. Le terrain neutre de la médecine qui offre encore la possibilité, bien que fragile, de communiquer.

Il ne loupe pas le geste de rejet qu’elle lui opposé pas plus qu’il n’ignore la douceur avec laquelle Léon la rattrape. Ou juste ce réflexe sorti de nulle part, de se rapprocher de lui alors même s’il ne l’a jamais vue agir ainsi auparavant. Pas qu’il la connaisse tant que ça mais le mouvement l’étonne. Plus encore la prévenance de son frère. Le regard qu’il lui lance. La prise délicate quoi que solide qu’il passe sur sa taille en évitant ses côtes.

- Je te tiens.. Et la manière dont sonnent ces quelques trois mots.

Cette fois, Jordane ne relève pas le regard vers lui, mais elle ne s’esquive pas. Elle ferme les yeux une seconde.

Un instant, son cœur se serre plus fort encore. Un instant, ça ne devrait être que passager. Mais l’instant se prolonge à mesure que les minutes filent. Quand il perçoit le refus de Jordane de se laisser allonger comme elle l’a toujours refusé à l’infirmerie de Poudlard. Quand il la met face à son épuisement pour faire appel à son pragmatisme plutôt que d’avoir le paternalisme de jouer le sentimentalisme. Pas plus que la cruauté de lui faire peur. Il pose les cartes, la considère tout à la fois assez solide pour encaisser et assez maline pour comprendre quand lâcher la bride à son égo.

« Ca va Maxence. Fais ton job. J’ai pas besoin de tes commentaires, » Et à sa manière, elle accepte.
L’aurait-elle fait, s’ils avaient été seuls ? Un instant, il la revoit râler à l’infirmerie, pour renvoyer Zachary. “Ça va Zach, j’ai pas besoin qu’on me tienne la main !” Cette même main qui se contractait par spasmes tandis que l’infirmier découvrait la brûlure profonde de ce bras qui s’allonge à présent sur le matelas. Une marque qui emporte un instant son esprit sur le mollet de Léon mais le ramène à contrecœur vers Jordane. “Ça va.” Toujours. Seule, toujours, au pied du mur pour accepter la défaite de ses faiblesses. Certainement pas devant un regard ami.
Pourtant c’est bien ce qu’il perçoit entre eux, dans les regards échangés, la douceur rêche qui les relie. Et sa manière systématique de le rappeler à l’ordre lorsqu’il dérive vers son frère.

Bien sûr qu’il le voit. Bien sûr que ça l’énerve. Bien sûr qu’il la laisse faire et se détourne à chaque fois à regret de ce frangin qui craint son regard pour chercher sans cesse celui de la Serdaigle.

Et bien sûr qu’il manque d’air, lui aussi, quand à chacune de ses tentatives, Maxence se retrouve face au mutisme des deux adolescents. Aux traits fermés de son frère et à ces pensées qui dérivent dans cesse vers ces quinze derniers mois. Ou plus encore. A chaque seconde, le sorcier repousse de ses pensées leur dernière séparation, l’abdication lourde d’une colère froide du frère qu’il n’a de cesse d’avoir déçu. Sans jamais vraiment le comprendre.
Bien sûr qu’il a besoin qu’ils parlent. Que Léon traverse cet océan de silence qui les sépare. Mais il n’en fait rien. Et les vagues des souvenirs refluent et le rattrapent. Elles déferlent sur le corps perclus de Jordane. Elles lèchent les ecchymoses, dansent sur les marques noirâtres, gonflent les contusions sur lesquelles il passe les doigts. Difficile d’esquiver ses plaies tant tout son corps a morflé. Il fait au mieux, fait mine d’ignorer les quelques marques jaunes et vertes, bien moins larges, qui jouent au nuancier de couleur sur sa peau pâle. Dans l’automatisme de ses gestes, le ras-de-marée refuse de refluer. Le mensonge en face de ses parents suite à sa radiation de l’armée. Les promesses de retour jamais tenues. La libération de Poudlard, les gamins blessés qu’il a choisi de soigner, l’école qu’il a aidé à faire tenir pendant quelques mois encore avant de s’accorder une sortie qui le rendait si profondément lâche pourtant. L’explication, celle pour laquelle il perdait ses mots comme si chacun de ceux qu’il prononçait pouvait relier cette réalité à l’autre. Puis la certitude de rentrer à chaque vacances. Les quelques jours qu’il a portant volé, d’une vie à l’autre. Les attaques, les responsabilités. L’impression de ne pas être à sa place une fois de retour dans le calme de son foyer. La culpabilité d’une telle sensation. Les sourires trop appuyés. Parce qu’il ne faudrait pas gâcher les quelques moments qu’il accorde.
Et l’impression de foutre en l’air chaque brique de lui assemblée dans cette famille.

Sans pour autant être capable de… Quels étaient les mots d’Enzo ?

De se trahir.

« Laisse-là souffler, bordel, La poigne brutale se referme sur son poignet et Maxence raccroche. La poitrine de la jeune femme se soulève par à-coups. Souffle court, superficiel qui agite un ventre brillant de sueur. Un peu plus tôt, Maxence en a tiré la brassière pour protéger son intimité, sans vraiment y prêter gare. Tout comme il a rabattu les pans du t-shirt pour pouvoir agir en la découvrant au minimum. Pour autant le ventre battu de soubresauts bloque son attention bien plus assurément que la prise qui lui écrase l’avant bras. “Elle va finir par s’évanouir, à ce rythme. »

4h.
4h de sommeil en 48h. Des émotions en tambourin. Les nerfs en pelote et l’existence entière sur un fil limé.
De quoi avoir conscience d’être le pire désigné par le hasard pour soigner qui que ce soit.

La surprise laisse place au vertige lorsque Léon affronte son regard puis le lâche. La rage le chope au plexus aussi sûrement que l’état de Jordane et il semble à Maxence qu’il perd simplement pied. Sous le poids de l’accusation muette, de l’éloignement de son frère qui s’affaire dans la salle de bain et le petit meuble avec le mini frigo, accolé au mur près du lit. Sous l’impression d’être systématiquement à côté. Sous l’impression d’être violent, sans même l’avoir tout à fait intégré.
Ainsi il ne dit pas que la glace pour les côtes de la jeune femme ne changera rien à la douleur qu’elle ressent. Qu’il est forcé de déplacer les côtes pour les ressouder et que l’anesthésie maximale a déjà été réalisée. Qu’il lui faut un minimum de réaction des tissus pour s’assurer de ne pincer aucun nerf entre les deux morceaux d’os. Que le froid ne fera que rendre les chairs moins malléables. Qu’elle ne fera qu’en souffrir davantage car c’est là la part douloureuse du processus, et non la soudure des os.
Mais assommé par la fureur qu’il perçoit chez son frère et la douleur de la jeune femme ; Maxence se tait.

Il l’observe revenir avec un torchon humide dont il se sert pour essuyer le visage d’une Jordane qui le dévisage un instant, incrédule. Sans doute le repousserait-elle, si la surprise et le mal être ne la paralysaient pas.
De nouveau, il n’existe plus. Une perplexité analytique se lit dans le visage verdâtre de la sorcière quand elle dévisage son frère. Un instant, tandis que Léon lui tend un sachet de sucre en lui disant d’une voix étrangement douce comparée à sa fureur évidente, il semble à Maxence qu’elle hésite véritablement à le frapper. Mais après un temps infini, elle suit ses directives sans un commentaire. Mais en levant les yeux au ciel.
Cinq ans.
Cinq ans qu’il la connaît et jamais il ne l’a vue si docile, et certainement pas face à une douceur pareille. Ainsi en arrondissant les yeux, le médicomage ne peut que constater son manque de réaction lorsque Léon applique avec toute la délicatesse du monde les glaçons contre ses côtes tant bariolées de violet que l’encre qui les décore s’y voit à peine.
Sans doute cet air incrédule barre-t-il toujours ses traits lorsqu’il redresse le regard vers Léon qui, enfin redresser son regard vers le sien.

Et y clouer de nouveau son être au pilori des accusations muettes.

« Tu ressouderas une fois que la glace aura endormi la zone ; Il aurait pu, bien sûr, se vexer de voir son petit frère lui donner des ordres sur le plan médical sur un protocole de soin dont il ignore tout. “ Regarde autour de toi. Tu n’es plus sur l’un de tes champ de bataille et elle n’est pas sous tes ordres, » C’aurait été ignorer l’évidence : il a merdé.
C’est un fait.
Sans ça, peut être n’aurait-il pas été soufflé par la bourrasque constituée par la voix rageuse de ce petit frère qu’il peine à reconnaître. Mais pour qui il éprouve pourtant un élan de fierté, à le voir ainsi s’opposer à lui sur un terrain qui, pourtant, est le sien. Le leur.

A peine remarque-t-il Jordane qui se cache le visage dans le pli de son coude. L’attaque n’est pas innocente, bien sûr. Et Maxence la laisse couler, consciente qu’elle n’est rien d’autre que la première de la salve à venir. Sans un geste, il retrouve les prunelles brunes que son frère remonte vers lui. Non. Jamais il n’a parlé ainsi. Jamais il ne s’est opposé avec une telle virulence revancharde tout autant que cette douceur vis à vis d’autrui est inhabituel à l’adulte qu’il est devenu. Pour l’enfant, c’aurait été différent.

Encore faudrait-il savoir quel adulte est Léon.
Et Maxence s’en sait incapable.

« Si tu ne veux pas entendre l’histoire dans laquelle je n’avais pas la moindre envie que tu me retrouves, tu vas devoir te contenter de l’absence de réseau et des marches glissantes de l’escalier, » Alors, mutique, le médicomage se prend la balle droit dans le plexus. Les mots bourdonnent à ses oreilles. La réalité lui pète à la gueule aussi violemment qu’un flashbang.
A la périphérie de son regard qui ne se détache à aucun instant de la violence d’un petit frère en colère, l’ancien élève de Salem perçoit Jordane qui se défait de son coude pour lever un regard clair vers le plus jeune.
Lui, accuse le coup, serre les mâchoires et dégluti cette réalité qu’on lui assène. Et dont, effectivement, il ne veut pas.
Puis Léon détourne le regard pour l’échouer sur les rives glacées de la Serdaigle. L’échange mutique lui reste obscur. Comme si tous deux se connaissaient sans que l’information ne fasse sens.
Une fois encore, l’impression d’avoir atterrit dans une dimension parallèle s’affirme. Celle qui balayait la moindre prévenance de la part de qui que ce soit, se laisse à présent prendre un poignet qu’elle a pourtant stabilisé. Toutes les raisons du monde existent donc pour estimer ne pas avoir besoin de cette complaisance qu’elle n’a jamais cessé de rejeter en bloc. Et pourtant, elle le laisse faire. Là où elle l’aurait envoyé paître, lui. Là où Léon l’enverra à son tour, quand il aura achevé ces soins que Maxence prend conscience d’avoir cherché à expédier pour se rabattre vers son frère. Le pire à faire, donc.
Mais elle ne dit rien. Ni quand il lui prend le poignet, ni quand il y applique la glace, ni quand il plonge son regard dans le sien.

Et si Maxence n’avait pas une flèche en travers du cœur, sans doute les aurait-il observé avec incrédulité. Là, seule une perplexité circonspecte et crispée lui tend les traits.

« A moins ... » Et sans avoir jamais lâché son frère des yeux, Maxence en retrouve le tranchant du regard. … que tu ne veuilles vraiment que l’on joue, toi et moi, à découvrir qui doit réellement expliquer ce qu’il s’est passé à l’autre ? »

Flashbang. Le retour.

Les silhouettes calcinées sur le porche.

Quelque part entre son genou et celui de sa patiente, Maxence sent ses doigts se crisper puis quelques courants d’air sur sa peau chauffée à blanc. Jordane qui balaye de sa main libre ces doigts qui la gênent. Comme on repousserait un moustique.
C’est épidermique. Il lui semble que chacun de ces micro-rejets émanent en vérité de Léon. S’il lève les mains un instant pour les reposer à plat sur ses propres cuisses, c’est avec un agacement qu’il peine à étouffer. Pas une seconde, il n’a pourtant détourné le regard de son frère. L’accusation empli l’espace. Elle rend l’odeur de renfermé plus écrasante, l’air plus électrique, les gestes plus brusques, les cernes plus marquées. Elle pique, jusque sous la trémulation de son épiderme. Une aiguille pour chaque bosse qu’un frisson dessine sous sa peau.

- Je sais… que j’ai tous les tors ici Léon… Les mots sont du papier de verre sur sa langue. L’air qui s’en échappe, celui chaud et sec du désert. Aride.
Arides, les paupières qui s’abaissent pour une seconde dérobée loin de ces yeux braqués sur lui comme on braquerait le canon d’un flingue.
- Poses-les, tes questions.

J’ai de toute manière échoué sur toute la ligne à la simple mission de te protéger.
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Maxence Lukas Wargrave
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Maxence Lukas Wargrave
Lun 15 Avr - 21:13
Trente-cinq minutes.

C’était le temps approximatif qu’avait durée la mise à mort des Wargraves. Trente-cinq minutes, c’était à la fois très peu de temps et beaucoup trop. Trente-cinq minutes, c’était le temps que mettaient certaines mères a donner la vie et certains personnes à mourir d’une crise cardiaque. Trente-cinq minutes, c’était à peine la durée d’un trajet en voiture dans le Tunnel sous la manche et juste un peu moins qu’un épisode de série télévisée. Trente-cinq minutes, c’était parfois le temps que semblaient durer certaines nuits ou encore le temps qu’il fallait pour tomber amoureux pour toute une vie. Trente-cinq minutes, cela ne serait jamais suffisant pour dire au revoir aux êtres chers mais trente-cinq minutes, c’était aussi terriblement trop long lorsqu’il s’agissait de les entendre souffrir. Trente-cinq minutes, c’était quatre fois moins de temps que la durée moyenne d’un film d’horreur. Et pourtant c’était aussi trente-cinq minutes de trop lorsque l’horreur n’avait plus rien d’un film. Trente-cinq minutes, c’était le temps qu’il avait fallu à trois sorciers pour faire voler en éclat leur vie, la sienne, ses rêves et les leurs. Trente-cinq minutes, c’était le temps après lequel les cris s’étaient enfin tus avant d’être remplacés par les flammes. Trente-cinq minutes, c’était également le temps que Léon avait passé à espérer que Maxence ne vienne les sortir de cet enfer. Trente-cinq minutes, c’était ce qu’il avait fallu à Léon pour commencer à le haïr.

Alors, Léon étouffait : de sa tendresse, de sa sollicitude, de ses yeux coupables, de sa voix écorchée. De ses tremblements, de ces cernes et de sa peur. De son envie de prendre soin de lui après avoir tant pris la fuite. De ses mots mal ajustées et de ses phrases mal assumées. De cette douleur contenue dont Maxence se paraît en croyant avoir les épaules suffisamment larges pour encaisser la rage de son frère. Une rage qui grossissait à mesure que les secondes se transformaient en minutes et qu’il restait là, immobile et mutique, affable et compréhensif, si désespérément silencieux que Léon avait envie d’hurler pour le faire réagir. Mais Maxence avait toujours été comme ça, colère désertique au milieu des tempêtes de son cadet, mots soupesés quand lui n’était qu’un coeur en fusion sous les réactions en chaîne de sa contrariété. Et si Léon avait appris dans la déchéance de leur relation en dents de scie à plus rien espérer d’un caractère si prompt à tendre la joue lorsqu’il était question d’explications, rien, en cette soirée, n’était plus à même de le décevoir une nouvelle fois. Son faux calme, qui venait paver leurs échanges comme l’enfer l’était de bonnes intentions, agissait comme un combustible à la colère de Léon, incapable d’arrêter l’incendie qui gagnait en intensité.

Trente-cinq minutes que Maxence était là.
Trente-cinq minutes que Léon souhaitait qu’il ne disparaisse de nouveau.

Mais il ne dit rien. Ni lorsque Léon lui broya le poignet, puis les nerfs, dans la poigne rageuse de sa main ou sous les mots tranchants qui sortirent de sa bouche. Ni lorsqu’il fut question de ramener la guerre sur le devant de la conversation, ou de faire emphase sur la manière dont il s’adressait à Jordane, de ce ton inquisiteur et militaire dont Léon en exécrait jusqu’à la ponctuation. Ni lorsque le plus jeune empiéta sur le territoire de la médecine magique, auquel il ne connaissait rien mais dont Maxence lui céda pourtant toutes les vérités comme un caprice nécessaire a calmer un gamin capricieux. Et il ne dit rien non plus lorsque Léon lui refusa la vérité, troquant sa curiosité contre la peur de voir s’effriter leur lien, ne réalisant probablement pas à quel point il était déjà rompu. Et si Léon semblait être celui le plus à même d’incendier les reliquats de leur relation sous les flammes de sa haine, Maxence en était pourtant bien le pyromane involontaire : il rajoutait de l’huile, ouvrait grand les fenêtres pour faire entrer l’oxygène jusqu’à la fatale explosion. Jusqu’à ce qu’il ne subsiste que les restes calcinés de leur lien fraternel, juste à côté des corps méconnaissables de leurs parents. Et plus il se taisait, plus il creusait le caveau familial, n’ayant visiblement jamais compris que ses silences et ses non-dits finiraient par les enterrer tous. Maxence était comme un galet que l’on aurait lavé de la moindre aspérité, brassé par les flots jusqu’à devenir suffisamment lisse pour ricocher entre les crises sans jamais vraiment réussir ni à s’envoler, ni à sombrer tout à fait. Et pour cette raison, Léon le haïssait un peu plus à chaque seconde qui s’écoulait dans ce mutisme qui leur avait déjà tant coûté.

Sachant par anticipation que lorsque Maxence se déciderait enfin à parler, le combat serait perdu d’avance. Parce qu’encore une fois, cela adviendrait avec un train de retard. Une défaite anticipée, que le regard brûlant de Léon transperçait sous le joug accusateur de ses reproches, les anciens comme les futurs.  

« Je sais…  résonna enfin la voix de Maxence, aussi brisée qu’il ne paraissait éreintée, que j’ai tous les tords ici Léon… »

Sur le poignet de Jordane, les doigts de Léon tremblèrent en maintenant le torchon rempli de glaçons, traîtres témoins de toute la colère qui menaçait de jaillir là, dans un geyser de phrases assassines trop longtemps contenues. Ses lèvres se pincèrent violemment, douloureusement scellées derrière une armée de reproches en acide sulfurique. Et si Maxence soutenait encore son regard, Léon devinait déjà qu’il finirait par ployer sous le poids de ses reproches informulés. Et c’était tellement, tellement facile, d’abdiquer ainsi sans avoir rien d’autre à offrir qu’un dos sur lequel planter un nouveau poignard, pour se targuer ensuite d’être celui ayant accepté le jugement dernier dans une dignité à en rendre jaloux tous les apôtres. Tellement lâche, de reconnaître après avoir péché, comme si entrer dans le confessionnal suffisait à laver tous les crimes, pour peu qu’ils soient reconnus et avoués. Et que faire de la colère lorsqu’elle ne trouvait rien contre laquelle s’abîmer ? Que faire des reproches lorsque l’autre était déjà prêt à se crucifier sur la croix de tous ses malheurs ?  Que faire de la rancœur lorsque l’autre  ne se défendait de rien ? Que faire de la possibilité de s’expliquer, lorsqu’en face on s’accusait déjà de tout ? Que faire du pardon, lorsque l’autre endossait déjà les crimes ? Comment réparer une relation, lorsqu’il n’y avait rien d’autre à comprendre qu’une faute entièrement assumée ?

« Poses-les, tes questions, abdiqua sans combat Maxence, progressant fidèlement sur son chemin de croix.

Que faire des réponses lorsque qu’aucune réponse ne suffirait jamais ?

Parce que leurs parents étaient morts et que rien ne les ramènerait. Alors, la colère déserta Léon subitement, comme un soufflet retombant en sortant du four. Pour faire place à bien pire : l’indifférence. Parce que la colère, c’était encore espérer un peu d’amour et qu’à choisir, alors autant ne céder à aucune des deux émotions. L’indifférence, donc. Parce qu’il ne voulait plus savoir au nom de quelle noble cause ses parents avaient bien pu être sacrifiées, parce que maintenant que Maxence proposait, Léon réaliser qu’il n’avait pas envie d’entendre les raisons pour lesquelles il arrivait tout le temps trop tard.  Parce que c’était sans doute de bonnes raisons, à n’en pas douter, de bonnes actions et de terribles choix et qu’il n’en avait rien à foutre. Parce qu’en ne disant rien, au moment où il était encore temps de tout dire, Maxence leur avait ôté la possibilité de comprendre et d’accepter. La possibilité de se sacrifier et de mourir dignement. La vérité, c’était qu’aucun des Wargrave n’avait jamais donné à Maxence une raison de douter d’eux. Ni de leur soutien, ni de leur loyauté. Pas plus que de leur compréhension, de leur courage, de leur acceptation. Et encore moins de leur amour. Ils avaient vaillamment accepter tous ses silences, tous ses mensonges, tous ses non-dits, tous ses départs. Ils avaient été là à chacun de ses retours. Mais Maxence avait choisi de ne rien dire, jusqu’à ce qu’il ne puisse faire autrement.

« Que je te poses des questions ? » Répéta Léon doucement, comme si Maxence lui avait demander de gravir l’Everest en fauteuil roulant. « Pourquoi je nous infligerais cela ? Tu ne crois pas que l’on a assez souffert comme ça, toi et moi ? »

Voilà donc que Maxence voulait parler. Maintenant qu’il n’avait plus le choix, maintenant que son Univers avait percuté le leur, maintenant qu’il fallait s’excuser à défaut d’avoir eu confiance, maintenant qu’il fallait réparer à défaut d’avoir préserver, maintenant qu’il fallait pleurer à défaut d’avoir correctement aimé pour avoir confiance. Cela n’avait rien de noble. Et encore moins de courageux. Évidemment, tout était question de choix et de perspective, mais maintenant que Léon n’en avait plus aucune, de perspectives, alors il n’avait plus envie d’avoir le choix de l’écouter. Par où commencer, de toute façon, quand il y avait tout à raconter et si peu d’intérêt à soudain l’écouter. Parce qu’à présent que Maxence promettait des réponses, Léon n’avait pas envie de lui poser la moindre question. La vérité lui semblait vétuste, comme un roman dont on aurait lu la dernière page pour découvrir que tous les personnages adorés se faisaient assassiner. Alors non, Léon n’avait pas envie d’entendre parler de combat et de justice, pas lorsque l’injustice avait fini par frapper à la porte pour assassiner tous les personnages de sa vie, au nom d’un combat dont il n’avait jamais entendu parler. Pas lorsqu’il aurait eu le choix de comprendre et de choisir au lieu de subir sans comprendre, pas lorsqu’il aurait eu  la possibilité de le soutenir en acceptant les risques plutôt que de tout perdre sans savoir que Maxence avait tout miser à leur place. Il ne voulait pas que son frère s’excuse maintenant que tout l’accusait, esclave de cette culpabilité qui n’avait plus que Léon comme seul juge. Il ne voulait pas entendre qu’il avait dû sauver d’autres et faire des choix, parce que ce poids lui appartenait et qu’importe la justice et la noblesse, puisque c’était Léon qui avait du faire crédit de toute sa vie. Et qu’à présent, Maxence voulait partager la moralité ? Léon refusait de participer à cette vague utopie. L’héroïsme et les dilemme, c’était la vie que s’était choisie Maxence. Et il était hors de question que Léon ne s’inflige d’avoir à avouer que milles fois  il aurait préféré qu’il ne sacrifie des inconnus pour eux. Hors de question d’avouer l’inavouable vérité et de confesser que deux vies valaient beaucoup plus qu’une multitude d’autres à ses yeux.

Léon n’avait pas envie de plonger dans cette abîme sans fin. Parce que cela n’était pas le sien. Alors, il refusait de sauter avec lui.

« C’est drôle, tu sais, souligna donc Léon en esquissant un sourire sans  joie. Cela fait des années que j’attends que tu daignes enfin me parler de toi. Que tu me laisses enfin entrer dans ton Univers...

Son index avait entrepris de dessiner des arabesques inconscientes sur la peau de Jordane, pour se donner du courage et de la consistance. Parce qu’elle était aussi là première personne tangible appartenant à l’autre vie de Maxence qu’il rencontrait. Tout en étant la première personne  avec qui une ébauche de confiance se dessinait depuis presque quatorze mois. Bancale, brutale, sans concession : comme eux. Et sans avoir jamais été tactile, ce contact ténu flirtait avec un réconfort aussi inattendu qu'inestimable. Il se sentait moins seul, dans cette chambre où Maxence ne lui avait jamais autant semblé être un inconnu. Lié par le secret de cette soirée, dont Léon avait perçu le soulagement lorsqu’il avait refusé de répondre aux questions de Maxence.

Trente-cinq minutes, le temps qu’il avait fallu pour lui accorder sa confiance dans ce face à face fraternel voué à l'échec. Trente-cinq minutes, pour préférer son regard à celui de son frère. Son contact à elle plutôt que ses étreintes à lui.

« Des années que je brûle de curiosité. Des questions, c’est ça que tu veux ? reprit Léon, sa voix continuant à s’égarer au même titre que ses doigts s’égaraient sur la peau de son poignet. J’en ai des tas. Pourquoi tu as choisi la médecine, par exemple ? Et dans l'armée ? Et pourquoi être brusquement rentré en nous mentant ? poursuivit-il en remontant brièvement les yeux sur lui, comme pour simplement confirmer que ce secret n’en avait jamais été un. Ça sonne creux, aujourd'hui, n'est-ce-pas ? Non, ne répond pas. Je n’ai pas fini, lui demanda-t-il en appuyant ses mots d'un regard avant de reprendre. Pourquoi tu ne nous as jamais présenté tes amis ? Est-ce tu avais honte de nous, parce que nous étions moldus ?  Et est-ce tu as quelqu’un dans ta vie ? Et si oui,  lui as-tu parlé de moi, de nous ? Ou est-ce que tes deux mondes, dans tes rêves, étaient voués à ne jamais se rencontrer ? lança -t-il d’une voix perdue dans un passé qui lui semblait aussi lointain que l’époque à laquelle tout cela avait encore eu du sens. Qu’importe, à présent, puisqu’il ne reste plus rien de notre famille, n’est-ce-pas ? Et puis, il y a les questions qui empêchaient papa et maman de dormir. Tu les veux aussi, celles-là ? D’accord, abdiqua Léon sans en attendre la réponse, ses doigts continuant à glisser sur la peau de Jordane par réflexe. Qu’est ce que tu as vécu pendant cette année où l’on t’a cru mort ? Est ce que l’on t’a fait du mal ? Est ce que tu avais besoin d’aide ? Est-ce que des gens prenaient soin de toi à notre place ? Est-ce que nous allions te revoir ?  Mais tout ça… tout ça n’a plus la moindre importance, aujourd’hui, hein ? Papa et maman ne sont plus là pour entendre tes réponses. »

Trente-cinq minute pour tout perdre. A la fois si peu de temps et tellement trop.

« Et puis… et puis évidemment, il y a les dernières questions. Celles qui nous rongent tous les deux, hein ? Pourquoi sont-ils mort ? enchaîna Léon sans leur accorder de pause. Pour quelle noble cause les as-tu sacrifié sans la moindre explication ? Ou-est ce que tu étais ? Pourquoi tu ne nous as pas protégé ? Pourquoi tu ne nous a rien dit ? Pourquoi est-ce qu’il ne reste que moi ? Pourquoi tu ne m’as pas retrouvé alors que j'étais sous tes yeux ? M’as tu seulement cherché ? Ou aurais-tu préféré sans te l’avouer que je sois mort avec eux, pour ne jamais avoir voir à m’inclure dans ce monde ou tu ne nous as jamais laissé aucune place ? Non, Maxence, ne répond pas, ordonna-t-il sévèrement. Je ne veux pas savoir. Ni aujourd’hui, ni demain, ni dans quinze ans. Je m’en fou, d’accord ?  » déclina-t-il en vrillant ses yeux dans les siens.

Parce que jamais aucune réponse ne lui suffirait
Trente-cinq minutes pour tout perdre et aucune éternité de suffisamment longue pour tout récupérer.  

« Alors non, termina-t-il, sans se rendre compte qu'il avait cherché à nouer ses doigts à ceux de Jordane avant d'avorter son geste, définitivement non, je n'ai aucune question à te poser. Parce qu'en fin de compte, aucune de tes réponses ne changerait ce qui est déjà arrivé, n’est-ce-pas ? »

( :orage: )
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Léon Wargrave
Mar 16 Avr - 23:47
« Que je te poses des questions ? » La douceur de la voix tranche avec le mordant des prunelles. Dans la périphérie de son regard, Maxence note pouvait cette main qui a cessé de trembler contre le poignet de Jordane. « Pourquoi je nous infligerais cela ? Tu ne crois pas que l’on a assez souffert comme ça, toi et moi ? »

« La prochaine fois que tu as une idée aussi merdique, prends une aspirine Max. »

Dans une présence aussi absurde qu’exutoire, la voix de Sanae résonne à ses oreilles. Peut être aurait-il eu besoin d’une amie, lui aussi. Quelqu’un qui lui tienne le poignet plutôt que de chercher à le broyer. Qui le recadre ou lui arrache un sourire. Mais là où il avait toujours été à sa place à Poudlard, Léon lui donne l’impression de le mettre aujourd’hui sur un siège éjectable.
A l’observer ainsi, lui revient la partie d’échec, la froideur du regard et le roi qu’il allonge sans chercher à maintenir les jeux mis en place depuis longtemps.

« Je t’imagine peu manquer de courage, Max. »

Quelle est l’étendue de cette erreur ? L’immensité de sa lâcheté lorsqu’il s’agit de faire le choix de sa famille et d’affronter ces cratères qu’il n’a jamais eu réellement l’intelligence de voir s’élargir ? Il y a dans leur relation des creux et des ravines. Des cancer qui s’étendent et infectent petit à petit l’ensemble de l’organisme. Traîtres et sourds. Muets et discrets. Ils forment une masse maligne qui les étouffe depuis tant d’années qu’il n’a même jamais noté l’essoufflement de leurs échanges et les tremblements du naturel.

« C’est drôle, tu sais, Un sourire s’esquisse sur ses lèvres et ouvre une plaie dans le coeur de son frère. Cela fait des années que j’attends que tu daignes enfin me parler de toi. Que tu me laisses enfin entrer dans ton Univers...

***

Pas mon histoire. Pas ma place. Et pourtant chacun de ces mots m’atteint comme s’ils m’étaient destinés. Ne pas broncher. Je fige, comme je figerais devant ma sœur. Comme Maxence fige devant son frère. Et l’espace d’un instant, Léon me rappelle que des deux, c’est à la place de la grande soeur absente que je me situe. Ni partage ni réponse. Juste de la lâcheté. Je pourrais relever les prunelles, chercher celles du toubib, faire des liens avec l’adulte solide qu’il est et que je ne suis pas. Mais je garde le regard fixement baissé. Comme le lièvre qui s’attend à prendre une balle perdue.
Mais ce n’est pas la balle qui m’atteint.


***

Il voit, pourtant, la douceur avec laquelle les doigts de son frère tracent des arabesques sur la peau d’une femme qui fronce une seconde des sourcils avant de laisser faire sans mot dire. Dans chaque arc que tracent ses ongles sur elle, il voit les courses effrénées d’un petit frère qui lui fonçait dans les bras sur les allées de gravier du jardin. Ces moments où ses petites jambes risquaient de s’emmêler et où il craignait de le voir tomber. Ces fois où il le rattrapait au dernier moment ou où le chien des cousins lui sautait dessus et l’étalait en avant. Il revoit les petits pas doux sur le parquet et la chaleur d’un corps miniature passer dans la chaleur de la couette pour se coller au sien. Et sa façon de se rouler en boule sur le canapé à côté de lui, pour boire son bib devant la télé.
Ces petits riens balayés à l’adolescence. Ceux que leur mère se disait impatiente de voir revenir.

***

C’est idiot. Ce sursaut dans les ténèbres, sous les côtes blessées, les tissus contusionnés. Cette brusque soulevée du cœur qui se serre et tambourine brutalement. La réaction vivre de la peau qui brûle un instant, des picotements qui surviennent comme des aiguilles à chaque endroit où Léon passe le doigt.
Rien ne perce la surface. Rien n’affleure. Je retiens la réaction épidermique qui revient à arracher mon bras de là comme on éloignerait sa paume du feu après qu’une braise ait sauté.
Mes yeux s’arrondissent, mon souffle se coupe et l’espace d’un instant, je ne fais que retomber toute l’attention sur mon poignet sans en voir les hématomes sombres. Seulement la douceur des caresses. Je revois les longs doigts de Keza, sur le dos de mon bras, enlacées dans cet aquarium en plein milieu de la nuit. Son souffle qui s’apaise, la panique qui reflue. Mon pouce et ses allers retours sur sa peau. Si je fronce des sourcils et retient mon souffle, c’est parce que je mange le manque. Je bouffe le vide.
Deux mois.
Huit semaines sans le moindre contact. D’aucune sorte. Pas mon genre. Quant à ce truc qui m’a noué les tripes dès l’instant où il s’est mis à trembler contre moi.. C’est autre chose, encore. La colère sourde d’abord, puis froide. Celle qu’il confond sans doute avec de l’indifférence. Celle qui va se cristalliser dans un “j’m’en fous” qui n’aura de sens que pour lui. Sur le moment. Un temps.
Je redresse le regard, sens trembler la voix. J’observe les mouvements de sa gorge, la crispation de ses muscles.
Sans un mot, sans un geste, je cède à la douceur
et lui laisse son exutoire.


***

« Des années que je brûle de curiosité. Des questions, c’est ça que tu veux ?  “ Non. Soudainement, plus une seule seconde. Le monde chavire et cette simple réflexion suffit à lui faire comprendre qu’il a effectivement tors sur toute la ligne. Tors de comprendre qu’il ne s’agissait que d’une passade. Tors de penser que l’adolescence était passée par là. Tors d’imaginer que les reproches sont récents. J’en ai des tas. Pourquoi tu as choisi la médecine, par exemple ? Et dans l'armée ? Et pourquoi être brusquement rentré en nous mentant ? Parce que j’étais creux. Vidé. En échec, véritable et profond, pour la première fois de ma vie. Et je savais pas comment le gérer. Ça sonne creux, aujourd'hui, n'est-ce-pas ? Non, ne répond pas. Je n’ai pas fini A peine une esquisse de réponse pourtant. Un soulèvement des côtes à l’idée de cette chose si rêche qui se répond à elle-même d’un frère à l’autre. Ouais. Ça sonne creux. Pourquoi tu ne nous as jamais présenté tes amis ? Est-ce tu avais honte de nous, parce que nous étions moldus ?  Et est-ce tu as quelqu’un dans ta vie ? Et si oui,  lui as-tu parlé de moi de nous ? Ou est-ce que tes deux mondes, dans tes rêves, étaient voués à ne jamais se rencontrer ? De nouveau, Maxence se sent entrouvrir les lèvres, prêt à arguer qu’il a déjà ramené quelqu’un. Qu’elle l’a bercé un jour, quand il s’était blessé. Qu’elle a rit à leur table et offert des chocolats à leurs parents. Qu’elle s’est endormie dans le jardin et a embrassé leurs cousins. Qu’elle est partie, et lui a brisé le cœur. Qu’elle est revenue. Dans sa vie, dans leur foyer aussi. Que c’était il y a dix ans. Et qu’elle l’a de nouveau quitté. Qu’il n’y a jamais eu personne d’autre à leur présenter.
Qu’il a peiné à croiser les deux mondes, de crainte de perdre les deux. Mais tout ça sonne vide.
. Qu’importe, à présent, puisqu’il ne reste plus rien de notre famille, n’est-ce-pas ? Et puis, il y a les questions qui empêchaient papa et maman de dormir. Tu les veux aussi, celles-là ? D’accord,

« Je t’imagine peu manquer de courage, Max. »
Et pourtant.

Qu’est ce que tu as vécu pendant cette année où l’on t’a cru mort ? Est ce que l’on t’a fait du mal ? Est ce que tu avais besoin d’aide ? Est-ce que des gens prenaient soin de toi à notre place ? Est-ce que nous allions te revoir ?  Mais tout ça… tout ça n’a plus la moindre importance, aujourd’hui, hein ? Papa et maman ne sont plus là pour entendre tes réponses. »

Droit sous le plexus, là où la cage thoracique a cessé de se soulever.

***

Droit sous le plexus, là où la cage thoracique se soulève d’un coup et vrille mes nerfs de douleurs.
Mais la douleur répond à la rage qui envahi mes veines et reflue pour repousser la culpabilité. La gamine d’hier, quinze ans, les ongles noirs et le cul plat à force de dormir au sol, voudrait gerber sa bile à ces mots.
Je m’observe, de part et d’autre d’un immense canyon, tout à la fois d’un côté et de l’autre des accusation.
Est-ce qu’ils se les sont posé une fois, ces questions là ? Est-ce que j’avais besoin d’aide ? Qui prenait soin de moi ? M’a-t-on fait du mal ?

Alors j’ai la haine qui répond. Mon moteur à kérosène. Et je redresse le regard vers la peau pâle du jeune homme. Vers ses yeux noisettes. Puis le rabaisse loin de leur querelle et des plaies qu’elles rouvrent. Je suis la crispation de ses muscles, la peau fine sur ses mains qui laisse voir ses veines, et les entailles qui soulignent chaque phalange. Je ferme les paupières une seconde pour ne pas hurler mon propre trop plein, et ne fais plus que suivre un instant l’inconstant tracé qu’il porte sur ma peau.


***

« Et puis… et puis évidemment, il y a les dernières questions. Celles qui nous rongent tous les deux, hein ? Pourquoi sont-ils mort ? Parce que j’ai été naïf, bête et lâche. Et parce qu’il existe en ce monde, des salopards qui agissent ainsi tous les jours. Pour quelle noble cause les as-tu sacrifié sans la moindre explication ? Ou-est ce que tu étais ? Pourquoi tu ne nous as pas protégé ? Pourquoi tu ne nous a rien dit ? Pourquoi est-ce qu’il ne reste que moi ? Pourquoi tu ne m’as pas retrouvé alors que j'étais sous tes yeux ? M’as tu seulement cherché ? Ses lèvres s’ouvrent, comme un poisson qui manque d’air. Chaque mot est une arme qu’il se prend de plein fouet sans possibilité de replis. Ou aurais-tu préféré sans te l’avouer que je sois mort avec eux, pour ne jamais avoir voir à m’inclure dans ce monde ou tu ne nous as jamais laissé aucune place ? Non, Maxence, ne répond pas, Il ne répond pas. Hébété. Ces plaies là ne sont pas d’hier. Ces plaies-là, il ne les a jamais vues.

“Tu devrais vraiment écrire un livre hein, tu aiderais des milliers de gens inexpérimentés comme moi à parcourir les Hunger Games des relations humaines. »

Je ne veux pas savoir. Ni aujourd’hui, ni demain, ni dans quinze ans. Je m’en fou, d’accord ?  »  

« J’essaierai ta technique de « faire équipe » et « parler »... »

« Alors non, définitivement non, je n'ai aucune question à te poser. Parce qu'en fin de compte, aucune de tes réponses ne changerait ce qui est déjà arrivé, n’est-ce-pas ? »

Flashbang.

Entrouvertes, ses lèvres tremblent de mots qu’il ne trouve pas. Et se ferment. Car non. Aucune de ses réponses ne changeraient ce qui est déjà arrivé.

***

Entre mes doigts, les siens se sont glissés et s’arrêtent dans leur mouvement. Une crispation l’en a avorté. Lentement, je redresse le regard vers l’un, puis le second. Le temps s’est arrêté ici. Il s’est suspendu entre chacune des déflagrations déçues. Maxence bute, ferme les lèvres, dégluti et crispe ses joues comme un boxer sur un ring, conscient des coups qu’il tente d’analyser avant de les prendre. Mais les coups, il les a déjà reçu. Peut être est-ce les suivants qu’il appréhende ?
Peut-être imaginait-il échapper aux blessures du jour.
Puis il renonce au silence, et repars de sa voix éraillée.

- J’ai jamais..
- Fermes-la. L’ordre claque et je me surprends à comprendre avec un temps de retard qu’il ne s’agit pas de la voix de Léon mais de la mienne. Je choque son regard pourtant, y croise un élan de colère qui n’a jamais eu lieu dans ces yeux de miel. Soigne. Et tais-toi. Pitié.
T’as pas de bonne réponse. T’as que des justifications à la con que personne n’a envie d’entendre ici.


***

La colère le fouette et projette son regard depuis celui qu’il soutenait difficilement à au second. Non pas qu’il peine à soutenir le regard houleux de la Serdaigle mais celle-ci s’affirme dans un moment qui ne la regarde pas. Bien sûr, Maxence le sait, toute la peine et la frustration qu’il rattrape de justesse, si une part de lui veut les cracher à la gueule de la gamine, c’est simplement parce qu’elle n’est pas son frère. En avoir conscience est une chose. Retenir la bourrasque électrique qui l’a pris lorsqu’elle l’a coupé, en est une autre.
Mais il retient. Les réflexions injustes, les attaques, les suppliques, les débordements. Il souffle un coup, abaisse le regard vers son ventre à nu et dérive un instant vers les mains jointes. Là, la surprise retrouve le chemin de ses nerfs. Jordane a noué deux doigts autour des siens. L’auriculaire et l’annulaire, à moitié crispés sur les siens, noués étrangement de sorte à aménager quelques espaces, comme les mailles mal ajustées et twistées d’une chaîne d’ancre sous la coque d’un bateau.

Et puisque remonter le regard dans celui de son frère pour s’y perdre une éternité assez longue pour en conclure que Jordane est dans le vrai, seul un souffle perce de nouveau ses narines.

Tout ce qu’il trouve à faire réside dans le soin de la dernière côte, réalité avec une douceur soudaine et une attention renouvelée. Jordane se crispe sous l’action, non plus tant par douleur cette fois, devine-t-il, mais par rejet. Quelque part dans la relation étrange qui les lie, la présence l’un de l’autre semble les enjoindre à accepter l’inacceptable.

***

J’ai envie de le frapper. Lui et cette douceur nouvelle. Ses doigts brûlants qu’il applique sur mon flan, le déplacement de ma côte et la douleur qui me perce. Plus fort, je le jurerai, que les précédentes.
Un grondement roule derrière mes lèvres closes sous l’effet de cette dernière côte qu’il déplace d’un rien pour la remettre dans son axe. Un grognement. Ce truc que ma gorge a refusé précédemment, bloquée dans un mutisme complet. Et s’il redresse une fois le regard, je sais qu’il sait à quel point j’ai envie de lui en coller une, là tout de suite. De lui faire payer la soirée, la douleur, ses mots et sa bêtise.
Mais je souffle lorsqu’il stabilise l’ensemble et que la souffrance reflue. Et puisque je pourrais saisir l’air entre nous trois tant celui-ci semble épais, j’interromps ce silence qu’il envisage sans doute toujours de rompre de ses jérémiades.
- Combien de temps avant que les bleus disparaissent complètement ?
- Deux semaines. Trois max.
Et toi et moi on sait très bien que je le sais déjà.
- Je ne peux pas souder totalement les côtes. C’est une zone sensible, il suffit d’un rien pour que le sortilège glisse hors de l’axe et calcifie les organes à portée. Ton corps doit finir le travail. Donc pas de conneries pendant ce délais. Se sent-il obligé de reprendre. Comme si c’était mon premier rodéo.
Mais j’fais aucune remarque. Parce que c’est surtout un moyen d’apaiser les choses et que cette manière de poser les informations, avec cette voix qui ne me prend pas pour une poupée de chiffon, tend à calmer ma colère à son égard.
Pour une idiote, donc, mais pas une poupée.
Ya pas de petites victoires il parait.


***

Ils se retrouvent en terrain neutre. Triangulent la douleur par des gueules de six pied de long et des évidences inutiles à évoquer. Mais peut être ne le fait-elle pas pour elle-même.
Une réflexion rapidement engluée dans le bourdonnement de toutes ces questions qu’il a su écarter le temps de la fin des soins.

D’un geste, Maxence lui fait signe qu’il la laisse tranquille, à moins qu’elle lui donne son poignet. Ce qu’elle ne fait pas. A la place alors, le regard du frère retrouve celui du gamin qui a trouvé place dans sa vie à un moment où rien ne faisait vraiment sens. A ses côtés, Jordane rabat le t-shirt qu’elle avait soulevé sans gêne et se redresse difficilement sur l’arrière du lit.

Il retombe un instant sur le hoodies large, les jambes nues. Et remonte.

- Je dois comprendre que tu veux rien de moi c’est ça ?
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Maxence Lukas Wargrave
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Maxence Lukas Wargrave
Ven 19 Avr - 12:52
Détester. Aimer, c’était détester un peu.

La  haine n’avait jamais été le contraire de l’amour. C’était l’indifférence, la véritable fin. Et alors qu’il lui crachait toutes ses questions, Léon pouvait sentir sa rancœur et ses reproches enfler, comme des fruits trop mûrs que l’on aurait écrasés sous le talon d’une chaussure. Simplement ? Il brûlait. De non-dits aiguisés en tessons de bouteilles, d’accusations transformées en cocktail Molotov qu’il lui balançait les unes après les autres, avec ce qu’il avait sous la main et sans même prendre la peine de viser. Pourvu que ça fasse mal. Pourvu que cela le blesse. Pourvu qu’il en crève sous l’accumulation. Des tranches de vie, en pagaille, des absences, encore plus nombreuses, posées ci-et-là entre les souvenirs de leurs défunts parents et ceux encore plus douloureux de toute l’indifférence que Léon avait ressenti de sa part. Et tant pis, si c’était cruel. Qu’importe, si Maxence souffrait déjà. Parce qu’au final, cela ne serait jamais suffisant pour arrêter quoi que ce soit. Et, comme lorsqu’il avait couché son Roi, Léon n’avait plus envie de jouer : les pions perdus étaient trop nombreux, les coups de Maxence trop aléatoires et les sacrifices qu’il avait choisis, des tributs dont Léon ne lui pardonnerait jamais la perte. Pire que ça : toutes les parties précédentes s'avéraient être mensonges. Ce qu’elles avaient toujours été, du reste : puisque dans une idée absurde de fraternité illusoire, il avait toujours laissé gagner Maxence sur l’échiquier - le réel comme le métaphorique, pour prolonger quelque chose sans jamais comprendre que là encore, cela n’était que du vide.

Que Maxence aille donc se faire foutre.

Avec ses yeux larmoyants, son attitude brisée et cette immobilité détestable avec laquelle il tâchait de conserver en rangs serrés tout la droiture de son putain de code de conduite héroïque. Rien ne l’émouvait, dans l’attitude défaite de son frère qui même lorsque le gouffre se profilait sous ses pieds, refusait de plonger avec lui. Ou plutôt, si : tout, dans son attitude, lui donnait envie d’hurler. Ah, il était beau, son stoïcisme à toute épreuve dont Léon en aurait arraché chaque composant s’il y avait eu quelque chose à faire contre un colosse aux pieds d’argile, jamais capable de ployer tout à fait. Qu’il s’enfonce donc, dans les marécage de sa peur, tétanisé par ses doutes et immobilisé par son angoisse du conflit. Il en venait à se demander si Maxence avait même pleuré la mort de leurs parents. Mais comme d’habitude, il était un mur de briques, collées étroitement les unes au dessus des autres, cimentées par sa foutue peur de l’abandon. Maxence s’était construit une muraille pour protéger son cœur de beurre, faîte de bonnes actions et de pseudo-solidité, pour oublier à quel point il était fragile. Et Léon aurait beaucoup donné pour avoir une massue suffisamment solide pour en abattre chaque mur et en soulever toutes les herses, quitte à le broyer tout à fait. Au moins, cela aurait eu l’air vrai. Au moins, ils auraient pu avancer, se détester, se renvoyer leurs peines respectives en bouclier pour finir par désarmer toute cette guerre de douleur. Peut-être, alors, ne serait-il resté que l’amour et le deuil, celui qu’il fallait faire ensemble pour qu’il ait un sens.

Tout plutôt que l’impression d’être le seul à exploser. Tout plutôt que de se battre contre des chimères.

Tout plutôt que ça.

Et rien d’autre.

Rien d’autre que l’envie de lui exploser la gueule.

«  J’ai jamais…
- Fermes-la.»

La voix de Jordane claqua, aussi sèchement que Léon eut l’impression de réintégrer un corps qu’il ne se souvenait pourtant pas avoir quitté. Le cœur battant à s’en rompre l’aorte, le plus jeune des Wargrave baissa les yeux sur une pulsation plus douce qu’il sentait sous ses doigts. Seulement pour constater que dans sa colère, il avait cherché son contact pour oublier à quel point il se sentait si foutrement seul depuis tant de longs mois. La peau était chaude, vibrante, réelle. Tout ce que Maxence n’était pas, lui qui était capable d’anesthésier ce qu’il ressentait au nom d’il ne savait quel comportement d’évitement. Léon inspira, souffla, déglutie. Tâcha de refouler ce violent élan qu’il ressentait envers Maxence, cette envie de le frapper à lui en rompre les os pour voir s’il lâcherait enfin sa cape et son costume. Au diable les médailles, qu'il ne veuille montrer la bonne voie en se comportant comme un saint. Il voulait le voir percuter le rail. Il voulait arracher les bras de Peter Parker, lester Clark Kent de Kriptonite et ruiner Bruce Weyne. Broyer les masques. Parce que sa façade de super-héros, il l’aurait fracassé s’il l’avait pu.

Rien à foutre, du héros.
C’était son frère, qu’il voulait.

Celui qui le portait sur ses épaules lorsqu’il était question de récupérer des fruits chez leur grand-père. Celui qui lui avait sauvé la vie lorsque Mrs Thomsons avait agrémenté ses pancakes de beurre de cacahuètes. Celui qui lui racontait la magie, les dragons, le quidditich, le soir dans la fière cabane de plaid suspendus au dessus des canapés. Celui qui avait séché les larmes lorsque son institutrice lui avait expliqué que biologiquement parlant, ils n’étaient pas liés. Celui qui lui avait assuré que cela ne changerait rien, jamais, avec une étincelle de colère dans les yeux à l’idée que l'on détruise leur socle. Celui qui disait que Mrs Huberts était une idiote et qu'on emmerdait Mrs Huberts.

Pas celui qui se prenait tous les reproches sans comprendre que Léon espérait pourtant qu’il le contredise. Pas celui qui cherchait à se justifier là où il aurait dû simplement s’offusquer que tout soit ainsi remis en question, alors qu’ils avaient tant partagés et tant aimés.  Pas cette putain de façon d’accepter tous les tords comme si Léon avait raison de les formuler. Comme si Léon avait raison de douter. Comme si Léon avait raison de le haïr.

Parce que s’il s’excusait, alors c’était que les craintes de Léon était au moins un peu vraies.

Léon aurait voulu sa colère. Il aurait voulu sa rage. Il aurait eu besoin que Maxence soit offusqué de ses accusations, alarmé de ses conclusions, déçu qu’il ait ainsi pu penser qu’il ne l’avait pas cherché. Il aurait voulu qu’il outrepasse son monologue, soit incapable de le laisser dire de telles inepties, lui dise de la fermer, lui balance toutes les incohérences de son discours. Il aurait voulu qu’il se batte, au moins un peu, sinon totalement, en lui disant que lui non plus, ne l’avait pas appelé. Il aurait voulu s’en prendre plein la gueule, lui aussi. Que Maxence lui crache sa douleur à son tour, qu’il ne lui reproche d’avoir fuit, de ne pas avoir eu confiance en lui. Qu’il rééquilibre le conflit, nivelle leurs tords, apaise leurs discordances. Qu’il lui dise qu’il était là.

Qu’il l’avait toujours été.
Qu’il le serait toujours.
Que leurs parents lui manquaient, à lui aussi.
Qu’il avait mal, si désespérément mal à l’idée de ne plus jamais les revoir.

Mais il ne fit rien de tout ça.

« Je dois comprendre que tu veux rien de moi c’est ça ? » choisit-il de dire.

Alors, Léon ouvrit des yeux ronds, un peu hagard, qui retombèrent dans ceux de son frère avec quelques secondes de retard. Ses mains se mirent à trembler et il constata alors que les doigts de Jordane n’étaient plus dans les siens. Qu’elle s’était redressée, que Maxence semblait avoir terminé ses soins et qu’il posait sur lui un regard déjà résigné.

Anticipant l’abandon avant qu’il ne lui claque à la gueule.

« Je dois comprendre que tu veux rien de moi c’est ça ? »

Au contraire, il ne voulait pas rien.
Il voulait tout : du souvenir des longues-après midi à jouer aux échecs à ceux plus douloureux de leurs parents, de sa magie capable de soigner ses plaies à celle de ses mots capables de panser son âme. Ses peines, ses choix, ses regrets, ses certitudes, ses reproches, sa tristesse… Tout. Il aurait voulu se jeter de nouveau dans ses bras, comme lorsqu’ils étaient enfants, à en mourir d’asphyxie sous l’étau de son affection. Mais Maxence abandonnait, sans même essayer. Alors, soudain parcouru d’un frisson de solitude, Léon resserra ses propres bras autour de lui dans la seule étreinte qu’il lui restait. Songeant un instant que ses doigts auraient bien gardé un peu de la chaleur de ceux de Jordane, comme des reliques incrustées de douceur, fichées dans sa peau par inadvertance à l’instar d’éclats d’obus.

Mais il était tout seul.
Alors, il secoua doucement la tête, de gauche à droite, concédant à Maxence son ultime abandon – celui de trop - du bout des lèvres :

« Rien du tout, non. »

( Shocked )
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Léon Wargrave
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Léon Wargrave
Ven 19 Avr - 18:22
La peine qu’il menace de gerber tant elle déborde. La frustration qui lui explose en arrière du nerf optique. La peur qui lui cisaille les nerfs. La colère qu’il menace de déverser sur Jordane comme si elle constituait la seule issue pour canaliser l’ensemble des émotions que son frère fait surgir dans la moindre retenue. C’est injuste, et amoral. Tout comme ça l’est, de ne pas savoir décrypter les peines de l’être le plus cher qui ait jamais côtoyé son existence. De le voir se raccrocher à quelqu’un qui semble bien davantage le comprendre que lui. D’écouter, donc, les barrières que pose cette dernière, sans véritablement savoir si elle marche dans son camp ou l’éloigne plus encore de son petit frère. C’est injuste, de ne pouvoir le serrer contre lui. De craindre chaque mot comme celui qui brisera à jamais leur relation.
Jusqu’à ne plus être capable d’en prononcer un seul.

Que se serait-il passé s’il avait poursuivi ? S’il s’était justifié, avait trouvé les mots ? Ceux qui se dérobe pourtant sous lui, qui s’entrechoquent dans son crâne et étranglent sa gorge ? Ceux qu’il n’a pas. Car les reproches de Léon, pour la grande majorité, Maxence se les fait depuis plus d’un an. Quant au reste, ceux qu’il n’a pas vu venir et le prennent par surprise, ils cadenassent son mutisme. Non pas tant par refus de parler. Mais par lâcheté.
C’est vrai, l’ancien soldat évite le conflit, aussi absurde que ce soit. Il prône la communication mais n’a jamais su s’ouvrir véritablement à sa famille. Ou plus exactement, il l’a fait. En grandissant, petit à petit. Auprès de son grand père, en tout premier lieu. Puis sa mère. Et son père enfin. Ces gens à qui il a parlé de la guerre en cours, de ses inquiétudes, de sa position dans le conflit et de l’impossibilité pour lui de lâcher ceux auprès de qui il s’est engagé. Ceux à qui il n’a jamais dit avoir amputé vive sa carrière. Qui n’ont jamais été autrement qu’aimants et compréhensifs avec lui. Mais dont il a toujours craint l’éclat de la déception. Du premier au dernier jours. Incapable de dépasser les angoisses de l’enfance. Incapable de faire avec eux ce qu’il a appris à faire ailleurs. Incapable d’être juste, avec ceux qui l’ont toujours été. Incapable, même, de le voir.
Et coupable de s’être pensé à la hauteur.

Rien d’étonnant, finalement, à ce qu’il ait fuit.
Aimer de loin, c’est peut être plus simple.

Mettre à distance l’autre, c’est peut être inscrit dans les gênes de l’espèce humaine.

C’est ce qu’ils font, tous. Ces gamins avec leur colère, lui avec ses silences. Jordane qui se redresse dès qu’elle le peut pour se caler jusqu’au fond du lit, le dos contre le mur qui pourra la soutenir mieux - pense-t-elle sans doute - que n’importe quel humain. Léon, qui crache sa bile jusqu’à l’acidose avant d’entourer ses bras autour de lui.

Pour lui rappeler dans un simple geste à quel point derrière toute sa rage, il y a toujours l’enfant d’hier.
Un gosse qui lui rappelle à présent horriblement celui qu’il était. Devant le juge, devant les hautes portes d’une bâtisse administrative que l’adulte d’aujourd’hui ne saurait qualifier. Devant le premier foyer. Puis la première famille. Et la seconde. Derrière leur porte, une fois qu’on l’ait renvoyé chez sa mère. Assis dans le fauteuil de son enfance, les bras enroulé autour de lui, à observer le tremblement des mains de sa mère.
Léon semble l’oublier. Léon semble l’ignorer. Mais c’est parce qu’il sait trop comme ce sentiment fait mal qu’il aurait tout donné pour le lui éviter.
C’est pourtant l’inverse parfait qu’il a réussi à réaliser.

Ainsi les quatre mots qui suivent peine même à le blesser davantage.

« Rien du tout, non. »

Un instant, il l’observe sans rien dire et ignore la virulence amère avec laquelle Jordane le dévisage comme s’il possédait les réponses et qu’il s’acharnait à en donner des fausses.

- Laisse-moi jeter un œil Léon, s’il te plaît.. Il hésite, un instant. Refuse de regarder ailleurs que vers son frère. “Déteste-moi autant que tu veux, mais fais-le en sécurité. Si c’est pas auprès de moi c’est pas grave. Mais me demande pas de te voir disparaître à nouveau.”
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Maxence Lukas Wargrave
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Maxence Lukas Wargrave
Sam 20 Avr - 0:09
Qui aurait cru qu’en enfer, il fasse aussi froid ?

Parce que Léon était gelé. Pas seulement parce que ses jambes étaient nues, ou que le sweat était la seule chose qu’il avait sur la peau, ou que la chambre d’hôtel n’était pas particulièrement chauffée en ce mois de mars. Non, c’était autre chose : quelque chose de viscéral, comme si l’on avait brusquement joué avec le thermostat de son organisme, coupant les vannes de sa régulation thermique pour rediriger l’énergie ailleurs. Il luttait depuis trop longtemps, de toute façon : contre la fatigue, d’abord. Contre la douleur, aussi. Et puis, contre tout le reste : la faim, l’angoisse de ne pas savoir de quoi seraient faits les lendemains, l’impossibilité à dormir sans être aux aguets, tous les jours, tout le temps. La culpabilité : d’avoir survécu, de ne pas les avoir sauvé, d’être parti, d’avoir été retrouvé, d’avoir fait des erreurs, d’avoir fait des choix. Oui, il était frigorifié. Las, aussi.

Et surtout, il était fatigué.

« Laisse-moi jeter un œil Léon, s’il te plaît, » insista Maxence en soutenant son regard, unique brasier qui subsistait dans son être congelé.

A l’opposé du lit, Léon ne dit rien, défiant toujours son regard. C’était sans doute l’angle d’attaque le plus lâche qu’il soit. Le plus efficace, aussi. Et également le plus prévisible.  Parce que c’était ce que Maxence avait toujours choisi de faire, pour être certain que l’on aurait toujours besoin de lui. Soigner, en dépit des conflits. Pour se convaincre qu’on ne l’abandonnerait jamais tout à fait. Soigner, pour avoir toujours une raison d’être là. Afin d’oublier que l’on pouvait ne pas avoir envie qu’il le soit. Soigner, pour réparer. Jusqu’à oublier que cela ne pouvait pas toujours suffire. Et surtout, soigner pour oublier que c’était sa propre hémorragie d’incertitude, qu’il essayait d’endiguer. Soigner, parce que c’était une des choses les plus difficiles à refuser lorsque l’on avait mal et plus une once de réserves en stock. Lâche, prévisible, héroïque. Maxence, donc. Définitivement lui.

« Déteste-moi autant que tu veux, mais fais-le en sécurité.  Si c’est pas auprès de moi c’est pas grave. Mais me demande pas de te voir disparaître à nouveau. »

Refuser qu’il le soigne, c’était pourtant le dernier pouvoir qu’il restait à Léon. La colère, la rage, cela avait été le carburant de sa survie. Il s’en était nourri, abreuvé, réchauffé. Parce qu’il n’avait eu rien d’autre pour faire barrière au deuil qui avait menacé de l’engloutir lors de la mort de ses parents. La sidération avait envahi ses veines, bloquant sa respiration, saisissant ses muscles avec tant de force qu’il avait crû mourir instantanément de chagrin. De douleur et de peur. Il avait eu tour à tour l’envie de se rouler en boule ou de se jeter par la fenêtre du grenier. C’était là que la colère était arrivée. Elle l’avait sauvée, dressant une passerelle salvatrice entre l’abandon, facile, et la résistance, si coûteuse en sacrifice. Elle l’avait empoigné avec force, le poussant à traverser la rive pour délaisser la mort et choisir la vie, réactivant les rouages de son cerveau, lui rendant d’un même coup sa mobilité et son énergie. Alors y renoncer, même pour quelques minutes, l’effrayait. C’était comme se débarrasser de sa dernière amie. Celle qui ne l’avait jamais déçue et l’avait réchauffée lors de ses nombreuses insomnies. Celle qui lui avait permis d’envoyer tout le monde se faire foutre. Comme un torrent à l’énergie inépuisable emportant tout sur son passage, lui permettant d’enfoncer toutes les portes,  d’affûter tous ses mots, de lever tous les poings et d’encaisser tous les coups dans l’arène.

Ou d’avoir envie de tuer une inconnue dans un monte-charge sordide, sans aucune preuve de quoi que ce soit, se surprit-il à penser.

Ses mains se crispèrent alors sur le tissu du pull, prises de tremblements face à l’étendu du vertige qu’il sentait se profiler sous ses pieds. Délaissant Maxence, Léon se retourna pour faire face à la jeune femme, remontant lentement des hématomes encore visibles de son cou jusqu’à ses yeux en perles glacées. Et, comme un peu plus tôt, sur ce même lit, lorsqu’il avait pressé le téléphone contre sa joue pour céder à la voix de sa mère, Léon en arriva à la conclusion qu’Hannah n’aurait pas été fière de ce qu’il était devenu. Cette vérité, plus que les autres, enfla jusqu’à prendre toute la place. Alors, sans lâcher Jordane des yeux, parce qu’elle lui donnait du courage et qu’il avait le sentiment qu’elle seule comprenait à quel point il était difficile de céder, parce qu’elle était encore là et parce qu’il n’arrivait même plus à s’excuser, Léon comprit.

Qu’il était arrivé au bout de ses limites.
Au bout de ce qu’il était prêt à sacrifier à la rue.
Au bout de ce qu’il était capable de refuser par orgueil.
Au bout de ses limites.
Au bout.
A bout.

Alors, peut-être pouvait-il céder pour lui-même, à défaut de concéder quoi que ce soit à Maxence.

« D’accord, » acquiesça-t-il alors en passant ses bras derrière sa tête.  

Ses mains se rejoignirent au milieu de son dos, puis tirèrent d’un même mouvement pour faire passer le Hoodies au dessus de sa tête. Il dégagea ensuite ses bras, l’un après l’autre. Voilà. Il n’avait plus rien sur la peau, pas plus qu’il n’avait de peau sur les os, pas plus qu’il n’avait tous ses os d’intacts. Un nouveau frisson le traversa et soudain, les yeux givrés furent difficile à supporter également. Alors, il se détourna, s’échappant de ses prunelles d’Arctiques, fixant obstinément les emballages de sandwich qui trônaient encore sur la petite table de la chambre d’hôtel. Il s’était regardé dans le miroir un peu plus tôt, aussi avait-il une vision claire de ce qu’ils voyaient. Sa peau, rendue grisâtre par la dénutrition. Ses côtes, dont on pouvait en suivre les courbures du bout des doigts, si ce n’est des yeux. Et puis, la palette de couleurs qui lui léchait les flancs et l’abdomen, déclinaison de jaune et de verts éparpillés autour de flaques d’ecchymoses encore fraîches. Trois côtes fêlées en cette soirée, deux autres fracturées de plusieurs semaines auparavant et mal cicatrisées, doublées d’une clavicule encore en touche de piano. La coupure qui lui avait entaillé le flanc dans la box, celle plus ancienne et suturée par un vétérinaire à la manque qui n’avait clairement pas le doigté d’un chirurgien esthétique qui lui barrait l’épaule, résultat d’une rixe dont Léon n’avait qu’un vague souvenir rendu brumeux par l’héroïne. Et puis, dans le creux de son dos, la brûlure hideuse en arc de lune, laissée par la poignée de la porte brûlante du salon qui lui était tombé dessus lorsqu’il avait dû s’extraire de l’incendie. Blessure dont il avait senti le feu des mois durant, comme s’il avait fallu que l’horreur ne lui grignote les chaires en plusieurs mensualités.

« Dépêche toi, par contre, » grelotta Léon, le regard toujours résolument fixé droit devant lui. « Je crève de froid. »

( :peace: )
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Léon Wargrave
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Léon Wargrave
Sam 20 Avr - 13:09
Je lève les yeux au ciel, souffle, soupire cette gerbe guimauve qui me soulève le cœur quand Maxence énonce son petit discours de grand frère responsable. Ça me broie. C’est ça la vérité. J’ai envie de lui en coller une pour ce que ces mots soulèvent en moi. Envie de me frapper, moi, de fracasser ces os qu’on vient de recoller au mieux. De briser les sutures magiques, de désolidariser les protections tissées autour de mes chairs. De tout foutre en l’air.
J’ai le rejet dans la gorge. Dans les veines. Dans les prunelles. La colère qui impose une mise à distance solitaire. J’manque d’air, quand je regarde le plafond. J’manque d’air parce que ces mots creusent des sillons dans mes poumons, qu’ils me vrillent d’un sentiment que j’veux pas ressentir. Que j’y vois rien d’autre qu’un discours fade et lisse, parfaitement tissé pour toucher juste. Un mensonge éhonté, surtout, dans lequel Léon pourrait tomber. De belles palabres qui me font me sentir comme une merde d’en être encore touchée. Après tout ça, j’ai encore la faiblesse de me prendre ce genre de conneries en pleine poire. Comme si ça me concernait.
Mais c’est pas le cas.

Un instant encore, je fixe la fenêtre. Inspire, expire. J’agrippe la brûlure de ces flammes qui me vrillent les nerfs pour en faire… quelque chose à quoi me raccrocher. Je le sais pourtant. C’est pas tangible. Ya que moi qui le suis.
Portant quand je reporte mon regard vers Léon ; il n’y a rien de plus concret que ça. La façon dont il serre ses bras autour de lui. La manière dont il tremble. Plus pâle que la mort.
Il est comme on l’est tous. Un mort en sursis. J’le sais, comme il le sait après m’avoir regardée d’un peu trop près. Il y a des stigmates qu’on reconnaît je suppose. J’ai perdu cet air terne qui vous crève les yeux quand on le regarde. La peau. Les yeux. Les ongles. Chaque jour là-bas nous prend quelque chose. Chaque matin est un entre-deux. Chaque nuit, une épreuve.
Alors ouais, je la connais cette sensation, de disparaître chaque fois un peu plus. De pas pouvoir tenir le regard des autres, parce qu’ils voient un truc qui n’est plus là. Qu’ils n’imaginent pas. Qu’il pensent encore que le retour en arrière est possible. Qu’on peut nous réparer. Mais il est comme cette scène dans Chihiro. Il devient transparent. Comme happé ailleurs, loin de la chaleur des vivants. Là où il fait toujours trop froid, trop humide. Où tout est tellement sale que ça s’incruste en nous sans jamais vraiment en partir.

Alors toi qui sait à quel point la crasse s’incruste profondément dans l’âme, même des années après…

J’ai beau voir, quelque part devant moi, à quel point Maxence attend sa réponse, je ne perçois que ce regard de gosse qui se rabat vers moi. Celui qui n’arrive pas à céder. Mais dont l’attention lâche finalement mon regard pour couler plus bas. Une nouvelle fois, comme tant d’autres, ses yeux se perdent. Ils remontent le long du t-shirt large et froissé, suivent la courbe d’un bras, et s’arrêtent abruptement.
J’inspire. Imagine la peau qui vibre sous mon souffle. La poitrine qui se soulève. L’air qui circule de nouveau. Le corps qui hésite, pourtant, à se gonfler trop fort. À affirmer sa propre survie. Et comme j’ai peur d’inspirer tout à fait, je devine les hématomes noirs qui attirent tant son regard. Je devine ce que je refuse de regarder mais qui se reflète quelque part dans ses expressions.
Puis ses yeux se redressent. Ils glissent sur ma gorge, suivent ce que je devine être des arabesques sombres. Puis ils longent ma mâchoire et s’arrêtent dans le verre pilé de mon regard.
Pas de miel chez lui. La sève a figé depuis longtemps. Elle a craquelé. Durci. Elle s’est vendue sous les aléas. S’est assombrie.
J’esquisse pas un mot. Pas plus que Maxence ne le fait, quelque part non loin.

Et à mon tour, un frisson glacé me parcours.

« D’accord, »

Définitivement, t’as plus de courage que moi.

Puis ses bras passent en arrière de ses épaules et retirent le hoodies avec tout l’épuisement dont le corps humain est capable. Encore un instant, j’ignore Maxence et ses états d’âme pour ne voir que cette peau fine sous laquelle on devine les veines. Les contusions. Les marques verdâtres et jaunes. L’ancienne trace d’une brûlure en croissant et le frémissement des muscles qui ne cessent de trembler. Il retire une manche, la deuxième. Pour Maxence, c’est sans doute tout un monde qui s’écroule. Toute la violence gravée sur le corps de celui qu’il considère comme un enfant.
Pour moi c’est un corps comme les autres. L’un des trop nombreux, croisés de jour ou de nuit, parfois dans le miroir. Un corps que j’devrais sans doute pas regarder, par pudeur ou par respect. Mais comme j’ai toujours porté mes plaies comme une fierté, c’est ainsi que je perçois les siennes. Je lis l’histoire d’une vie. La portée de balles perdues qui n’auraient pas dû percuter son existence. La résistance obtuse. Acharnée.
Pourtant je lui reconnais ce regard fixe. C’est ainsi qu’il fixait le plafond du monte-charge. Ainsi qu’il lâche.
Crois-moi, j’ai souvenir de nombre de ces moments moi aussi…

Plus un regard.
Alors, après un temps infini, je ramène le mien vers Maxence. Les vertiges m’ont quittée. La douleur reflue. L’épuisement guette. Mais comme dans le monte-charge, son abattement me redonne de l’énergie.
Maxence n’a pas vécu dans la rue. Je parierai qu’il a eu une flopée de personnes pour l’accueillir et qu’il ne lui est même pas venu à l’esprit de résister. Je parierai qu’il y a toujours eu quelqu’un, quelque part, pour le soutenir si besoin.
Aujourd’hui c’est pas le cas.
Ses yeux ont rougi, ses mains tremblent à plat sur ses cuisses, sa poitrine se soulève par courts séismes qu’il contient sans un bruit. Il dégluti. Pâlit à son tour. Fixe l’accordéon des côtes, visible au travers de la peau trop fine. Dévisage les contusions. S’abîme dans la marque sur le bas du dos de son frère.
Puis, après un temps, quand il voit que je l’observe, sursaute, inspire et s’ébroue. Puis il se redresse et contourne le lit en bloquant visiblement sa respiration. C’est un genou à terre qu’il pose, pour ausculter son frère.

J’ai pas bougé.

Je note le tremblement de ses mains lorsqu’il les pose sur le torse de son frère pour suivre chaque ligne, chaque os. Comme il l’a fait sur moi. Méthodiquement. C’est plus simple, hein, de se raccrocher aux protocoles ? Comme un cahier des charges à suivre pas à pas sans plus réfléchir. J’fais ça, sur le terrain, avec la Garde.
Après un temps, je réalise que l’air est chaud. Sans doute a-t-il agit bien plus tôt, tandis que Léon se déshabillait. Un nouveau frisson me soulève la peau. Et lui arrête un instant son inspection minutieuse du corps de son frère. Il en est aux clavicules et pâlit de nouveau.
C’est pas un putain de concours. T’es pas censé être l’adulte ? Ressaisis-toi, merde.

Mais il n’en fait rien. Et si Léon refuse obstinément de le voir, les tremblements de ses mains ne m’échappent pas quand il sort de nouveau sa baguette. Pas plus que cette lèvre qu’il presse si fort sur ses dents qu’elle creuse des ravins dans son menton. Ou les crispations de sa mâchoire. Je ne loupe, surtout, pas les larmes qui lui échappent et qui tombent directement sur le tapis quand il se penche pour pointer le bout de l’arme sur les côtes de son frère.
L’éclat de douleur qui griffes les miennes quand je me détache soudainement du mur n’est rien d’autre qu’un artefact, je le sais. Pas mon premier rodéo. Les nerfs sont saturés, ils pulsent par moment. C’est normal.
Ma main saisi son poignet. Une douceur ferme qui tranche avec la colère qui n’a pourtant pas cessé de pulser dans ma chair.

Hors de question.
T’es pas en état.
Lui fait pas ça.


Il est pourtant l’homme le plus stable que je connaisse. Face à son frère, il semble perdre tout repère.

- Respire. C’est dit avec la neutralité froide d’un ordre, envoyé avec un coup de menton vers le fond de la pièce. Reprend contenance, ressaisis-toi. Tu risques de merder là.
Un spasme secoue son poignet dans le mien et l’ancien infirmier inspire avant de se redresser pour faire quelques pas loin du regard de son frère, du côté opposé du lit, près de la fenêtre. Là où je le vois pincer l’arrête de son nez et tenter de stabiliser sa respiration.
Ça vaut bien le coup de faire le type calme et posé qui gère la situation si c’est pour craquer comme ça quand l’autre a enfin accepté qu’on le soigne...

Et parce que je me vois mal laisser Léon comme un con en slibard au centre de la pièce, j’achève de me rapprocher de lui et pose ma jambe pliée en tailleurs sur sa cuisse.

- Tourne-toi vers moi toi, j’vais pas faire tous les efforts non plus. Sinon tu vas me forcer à me lever et m’poser entre tes cuisses : avec ton frère dans le coin c’est gênant.

Une connerie. Qui arrache un rire nerveux à Maxence dans le fond de la pièce. De quoi désamorcer certains trucs par l’humour.
Je capte sans mal l’élan d’inquiétude du toubib quand je sors ma baguette à mon tour, que je balaye d’un geste de la main.

- Ca va, je soude pas, ‘me prend pas pour plus con que j’le suis. J’le tuerai sans doute, si je faisais un truc pareil. Nan, initier la soudure des côtes, je sais pas faire. Stabiliser l’ensemble, ça entre dans mon champ de compétences. D’un regard, je cherche celui de Léon.
Pourquoi t’as pas laissé le sweat sur ton dos ? Pour la même raison qui me fait me dessaper plutôt que de jouer la pudeur quand il s’agit de soigner mes propres côtes ? Pour faire mal une dernière fois ? Par épuisement de chercher à te battre ? Ou par résignation ? Une seconde, je l’observe, avec sa pommette éclatée et sa peau terne.
On se renvoie la balle, tous les deux, hein ?
Puis de la main gauche, je pose la paume sur son flan. J’ai pas ce truc que font les toubibs, à pianoter comme s’ils prenaient nos os pour des touches d’instruments. Je longe seulement les côtes, j’appuie en douceur, trouve la première faiblesse dans la structure osseuse. Chaque fois qu’il sursaute de douleur, je lui décoche une pichenette sur le bras ou la mâchoire, l’air faussement mauvaise, comme pour lui dire de prendre sur lui. C’est pas ce que je fais pourtant. J’aime juste pas cette impression que j’ai de le voir se disloquer quand la colère n’est plus là.
A un moment, la tranche du pouce sur l’une de ses côtes, je songe que celle-là… c’est sans doute moi. Qu’elle était déjà fragilisée. Je remonte mon regard vers le sien un instant. Puis stabilise l’os sans rien dire.
Quand il s’agit de passer à l’autre flan, Maxence s’est repris et revient pour reprendre la main. Je sais que ce que j’ai fait ne sers à rien. Qu’il doit de toute façon re-passer par dessus chacun de mes sorts pour envelopper les os d’un tissage de sortilèges qui favorisera l’ossification et aidera les tissus à cicatriser, comme ce qu’il a fait pour moi. Qu’importe. Si je me décale pour éviter de faire l’effet sandwich pour un Léon qui manquera invariablement d’oxygène, je laisse ma jambe en contact avec la sienne.
Je pose mon poignet bleuâtre sur mon genou, observe un instant la douceur avec laquelle Maxence agit, aux antipodes de son comportement avec moi. Proche, pourtant, de ce qu’il fait avec chacun de ses patients. Son regard est rouge, sa peau irritée. Régulièrement, il passe un doigt sous sa narine et inspire par grandes bouffées d’air. Mais il est de nouveau en maîtrise de ce qu’il fait et, d’aucune manière, ne fait mal à son frère.
Pas de côtes à déplacer au travers de tissus assez mous pour se refermer autour, ça doit aider.

Et puis, sans prévenir : - Tu serais d'accord.. pour rentrer avec moi ? Chez "moi", ou chez quelqu'un d'autre ? A son tour, il cherche le regard de son frère. Pose la question avec toute l’hésitation du monde. Puis, me prenant de court, rajoute en me fixant avec l’intensité d’une vache : “Chez toi, peut être ?”
J’ai un rire.
- Navrée, mon palace et ma piscine sont privés.

Je détourne les yeux, rencontre ceux de Léon.

J’ai pas de “chez moi”. Ça fait dix ans que j’ai pas de chez moi.

Et si je sens passer tant la frustration que le désespoir dans son regard, Maxence ne se laisse pas démonter. “Chez des amis ? Si c’est pas les miens, ça peut être les siens.”
De nouveau, il me désigne.
A quel moment je suis devenue la caution “réassurance” ?

A quel moment on me désigne, moi comme quelqu’un qui a des amis ?

Ma première pensée est de me dire qu’il ne me connaît vraiment pas. Puis la réalité me rattrape, d’abord sous les contours du visage d’Enzo puis, comme s’il était l’écluse pour faire entrer la vérité, celui des autres. Et si je baisse le regard un instant, lorsque Léon demande s’il a vraiment le choix, c’est un regard noir que je ramène droit vers Maxence lorsqu’il répond comme un con “Non.” juste “non”.
Mais pas un “non” qui sonne comme un ordre. Un “non” craquelé. Murmuré. Une supplique. Tout un univers d’angoisses contenues dans trois petites lettres.
T’as aucun droit sur lui pourtant. Encore moins celui de l’enfermer…

Je n’ai que l’assourdissant reproche à lui opposer. Mais c’pas mon histoire, pas ma réponse. Pas mon frère.
Alors j’me tais.
Mais je dégage pas ma jambe de contre celle de Léon.
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Jordane Suzie Brooks
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Jordane Suzie Brooks
Dim 21 Avr - 0:06
Léon connaissait suffisamment Maxence pour ressentir ses émotions sans avoir à le regarder.
Cela n’était pas pour rien, que l’on déconseillait aux urgentistes de prendre en charge leur propre famille.

Alors, même le regard résolument fixé sur l’emballage des sandwich triangles abandonné sur la table, Léon pouvait la ressentir. Son horreur. A mesure qu’il cartographiait sa peau sans, il le pressentait, être pourtant capable d’en supporter les routes qui s’y dessinaient à coup d’hématomes et de plaies. Celles qui traçaient des voyages en enfer dont Maxence n’avait sans doute pas envisagé les destinations – ou peut-être l’avait-il fait, sans jamais être vraiment prêt à avoir raison. Cet arc-en-ciel qui lui dépeignait haut en couleurs les trop nombreux passages à tabac : des bleus profond, des verts de prairie, des jaunes solaires qui se mélangeaient pour former toute cette palette de douleurs, comme le nuancier de ses pires cauchemars. Et sous ce regard perçant, Léon eut étrangement envie de se recroqueviller de honte. Encore plus lorsque son frère choisit de s’attarder sur la brûlure, celle du creux de ses reins et du creux de son âme. Alors, lorsque Maxence lui fit enfin face, paumes tremblantes effleurant ses clavicules, Léon eut un sursaut de recul. Puis, il expira bruyamment, le regard résolument fixé droit devant lui. Nulle part. Il aurait voulu disparaître, s’éparpiller quelque part entre les miettes de pain qu’il fixait. Plus encore lorsqu’il perçut que Maxence pleurait, à la périphérie de son champ de vision.

A la périphérie de son cœur, surtout.

La lèvre de Léon trembla. Alors, il la mordit violemment, refoulant sa colère sans pouvoir s’empêcher de penser que Maxence jouait un jeu particulièrement sadique et déloyal, sans même s’en rendre compte. Lui balançant sa souffrance en guise d’étendard, prenant en otage tout ce qu’il ressentait au profit de sa culpabilité débordante et de son chagrin en raz-de-marée, qu’il était incapable de retenir et qu’il lui balançait là, sans aucun scrupules. Le pied de Léon se mit à s’agiter, tapant nerveusement contre le sol du lit, à deux doigts de se dégager totalement de son emprise. C’était trop intrusif, trop pathétique, trop… tout, après tant de mois à anesthésier lentement le robinet de ses propres émotions. Et même si Maxence ne le faisait sans doute pas exprès, sa peine et sa pitié étaient comme des balles cruelles et dévastatrices qu’il incrustait dans sa peau, entre toutes ses autres blessures.

C’était trop.
Il étouffait.
Il l’étouffait.

Lâche moi.

« Respire, » ordonna soudainement Jordane.

Et Léon, dans un sursaut, constata qu’elle ne s’adressait pas à lui. Comme un écho à son geste un peu plus tôt, elle venait de stopper les soins de Maxence. Il en profita pour reprendre une lente inspiration, posant sa main contre son propre genoux pour en arrêter les tremblements incontrôlés. Et lorsque Maxence s’éloigna enfin jusqu’à disparaître de son champ de vision, il retrouva une respiration fluide. Il baissa alors les yeux sur ses jambes nues et sur le sweat noir qui trônait toujours sur ses genoux. Et retrouva rapidement son calme, ainsi délesté de la mièvre souffrance de son frère. Non pas qu’il y soit insensible. Ou plutôt, si : il l’était. Il avait besoin d’y être immunisé. Parce que s’il commençait à lâcher totalement prise, il allait se perdre entièrement. Sous ses yeux à lui, il se sentait vulnérable, fragile, honteux, coupable, en miettes. Et il n’était pas suffisamment solide pour ça.

Les blessures physiques, plutôt que celles de l’esprit.
Dix fois.
Cente fois.
Milles fois.

« Tourne-toi vers moi toi, j’vais pas faire tous les efforts non plus, » râla-t-elle alors, comme incapable de se montrer gentille sans venir amoindrir l’effort sous la provocation.

Abrupte, comme toujours. Mais les lèvres de Léon esquissèrent pourtant un début de sourire, railleur, tandis que les draps se froissaient dans le mouvement qu’elle faisait vers lui. Saisissant la diversion à peine voilée qu’elle lui offrait encore une fois. Et dire qu’elle avait osé lui reprocher de ne jamais lâché l’affaire. Si cela n’était pas l’hôpital qui se foutait la charité. Mais, sans surprise, il obtempéra. Parce que dans ses yeux à elle, il n’y avait aucune pitié.

« Sinon tu vas me forcer à me lever et m’poser entre tes cuisses : avec ton frère dans le coin c’est gênant,» plaisanta-t-elle encore, sarcastique.

Surjouant. Mais elle avait cet éclat espiègle dans les yeux, comme si ce genre d’humour un brin salace et sorti de nulle part avait du sens. Et sans doute en avait-il, finalement, parce que Léon sentie le poids qui lui faisait ployer les épaules se retirer. Et lorsqu’il sentit sa cuisse se poser contre sa jambe nue, il redressa ses yeux dans les siens.

« Trouillarde, » articula-t-il alors sans bruit, entrant dans son jeu avec une facilité déconcertante.

Là non plus, il ne la remercia pas. Ni d’avoir arrêté Maxence, ni d’accepter de le soigner à sa place. Il avait la sensation que cela ne faisait pas plus parties de leur vocabulaire que les excuses. Et qu’elle n’apprécierait pas qu’il le fasse, de toute façon. En revanche, cette manière de se répondre en demi-vérités et phrases sucrées, cela avait quelque chose de rassurant. Et sans vraiment savoir d’où est-ce que cela venait, Léon se rendit compte qu’il avait cessé de trembler et qu’un air chaud caressait sa peau, comme la brise brûlante d’un mois d’Août. Qui contrastait avec l’hiver éternel de ses yeux à elle. Sans rien dire, il l’observa sortir sa baguette et  balayer les excuses de Maxence d’un revers de main. Il se détendit même tout à fait lorsqu’il constata avec soulagement l’absence de pitié alors qu’elle évaluait l’étendue des dégâts de son corps, perforé par la rudesse de la rue. Si le regard de Maxence, usé par l’horreur et la culpabilité, lui avait brûlé la peau comme le bout d’une cigarette incandescente, les doigts de Jordane sur son flanc furent bien plus légers. Supportables. Elle n’était pas effrayée, ni peinée, ni vraiment désolée non plus, alors qu’elle remontait lentement le long de son abdomen, suivant le trajet des côtes dans un long effleurement que Léon se serait fait un plaisir de railler dans le même registre que le sien, si elle n’avait pas appuyé brusquement sur l’une de ses anciennes fractures. Il sursauta, surpris par la douleur qui venait s’immiscer dans l’écrin de sa douceur. Ce qui lui valu une nouvelle pression sur la zone endolorie. Léon se mordit les lèvres.

Quelle emmerdeuse.

Elle murmura des mots incompréhensibles en agitant sa baguette. Méthodiquement, même si elle suivait un ordre médicalement discutable, elle continua à remonter le long de son flan. Il se demanda si quelqu’un lui avait appris à soigner, ou bien s’il s’agissait juste d’une médecine de base, une version sorcière des premiers secours. Tout à sa réflexion, il ne la lâchait pas des yeux : en partie parce que le regard que Maxence posait sur eux était déjà suffisamment étouffant de loin pour ne risquer l’overdose en le confrontant. Et puis, aussi – surtout -parce qu’elle avait un air si sérieux, qui contrastait terriblement avec cette manière qu’elle avait de toujours faire comme si rien n’avait la moindre importance et qu’elle se moquait de tout. Un instant, il se demanda si certains la voyaient uniquement par la rudesse de ses coups et l’acidité de ses paroles. Si quelques uns avaient su trouver le chemin qu’il entrevoyait déjà, derrière les  bravades et le langage grossier brandit comme des boucliers. Ses yeux glissèrent sur son visage, pour la première fois réellement depuis le début de la soirée, tandis qu’elle se pinçait les lèvres dans une moue concentrée en continuant son examen minutieux. Un petit nez droit. Un menton obstiné. Et des pommettes hautes, en dessous desquelles, il le remarquait juste, s’étalait une nuée de minuscules grains de beauté, déposés là comme les étoiles d’une étrange constellation. Les doigts de la jeune femme choisirent ce moment pour ricocher sur l’ultime côte douloureuse, celle qu’elle avait-elle même fêlée quelques heures plus tôt, l’arrachant à sa contemplation. Leurs regards s’accrochèrent de nouveau. Là non plus, pas d’excuse. Ils n’en avaient pas besoin.

« Dangereux, la valse, hein ? » Pépia-t-il innocemment du bout des lèvres, pour envoyer définitivement valdinguer toute culpabilité.

Trop bas pour que Maxence n’entende quoi que ce soit. Elle stoppa son geste. Ferma les yeux. Léon fixa les coins de sa bouche avec un air de sultan satisfait lorsqu’elle esquissa le début d’un sourire. Avant qu’elle ne relève les yeux et la main vers lui, pour venir claquer la ligne de sa mâchoire d’une énième pichenette, dont le bruit résonna suffisamment dans la pièce pour que Maxence ne l’entende à coup sûr.

La garce, songea Léon avec légèreté, amusé également.

« A peine assez, » lui souffla-t-elle, tandis que Maxence se rapprochait d’eux.

Sonnant la fin de la trêve.

Elle lui céda la place, et la sensation de ses doigts légers sur sa peau lui manqua immédiatement. Cette fois, en revanche, elle ne partie pas tout à fait, constata-t-il en baissant ses yeux pour s’attarder sur le contact entre leurs jambes qui demeurait encore. Là non plus, pas de remerciement, malgré le cadeau qu’elle lui faisait. Celui de ne pas être encore complètement démuni contre toutes les munitions que Maxence lui tirait dessus, sans même se rendre compte qu’il usait de sa tristesse comme d’une arme de destruction massive. Tout paraissait tellement plus lourd, tellement plus grave, sous ses doigts, sous son regard, sous ses reniflements incessants, sous l’infinie douceur avec laquelle il prenait soin de lui. Comme s’il était si précieusement fragile que Maxence ne craignait qu’il ne se disloque en milliers de morceaux sous un faux mouvement. Il n’avait pas eu la même prévenance envers Jordane et Léon ne ressentie aucune satisfaction à cette constatation : juste une preuve, s’il en fallait encore une supplémentaire, que Maxence risquait de prendre le chemin inverse à ce à quoi il l’avait habitué. Qu’après l’avoir laissé sans défenses dans la gueule du loup, il était dangereusement prêt de chercher à l’enfermer dans une boîte de coton. Dangereusement prêt également de souhaiter tout aseptiser, comme les nouveaux-parents à deux doigts de stériliser tout l’univers pour leur rejeton. Et il ne se rendait pas compte, du poids de son amour et de ses angoisses, qui venait ainsi l’asphyxier d’un air dont il avait pourtant été privé si longtemps. Alors, Léon détourna les yeux, ployant de nouveau des épaules, comme si le monde voulait peser de tout son poids dessus.

Cette fois, néanmoins, il ne recula pas et le laissa faire. Parce que Maxence ne pleurait plus, sans doute. Parce que Jordane avait amorcé les soins, peut-être également. Mais il le laissa faire. Refusant toujours de le regarder, mais incapable pour autant de ne pas ressentir toutes les excuses qu’il esquissait en sortilèges le long de son corps, atténuant chacune de ses douleurs comme s’il en aspirait toutes les terminaisons nerveuses par le biais de sa baguette. Léon finit même par fermer les yeux, vaincu par la sensation doucereusement traître qui l’emplissait petit à petit : les hématomes ne pulsaient plus et sa peau ne lui donnait plus l’impression d’être du papier de verre prêt à se craqueler. Maxence était délicat, ses doigts glissants le long de son corps avec précision, volant d’un points douloureux à un autre sans avoir jamais besoin d’appuyer fort pour savoir qu’il était au bon endroit. C’était de la belle magie. Léon avait l’impression que son corps glissait doucement dans un bain brûlant qui délassait ses muscles et ses tendons, réchauffant son être tandis qu’il …

«  Tu serais d'accord.. pour rentrer avec moi ?

… rouvrit brutalement les yeux,  coupable d’avoir si facilement céder au soulagement et brusquement en colère d’être pris en traître de nouveau dans un infime instant de vulnérabilité.

« Chez "moi", ou chez quelqu'un d'autre ? reprit-il en traitre, maladroitement. Trébuchant sans surprise là où cela lui faisait probablement très mal de tomber. Chez toi, peut être ? » hasarda-t-il, faisant brusquement entrer Jordane dans les équations insolubles de leurs problèmes.

Les yeux de Léon passèrent de Maxence à Jordane. Dont il sentait encore le contact lorsque sa jambe s’agita contre la sienne alors qu’elle se fendait d’un rire sans joie. Un rire plein d’ironie, qui cascada dans l’air en soubresaut devant une telle ineptie. En écho, Léon leva ses propres yeux au ciel et secoua sa tête de gauche à droite face à cette vaste  blague que Maxence n’était sans doute même pas capable de comprendre.

« Navrée, mon palace et ma piscine sont privés, » déclina-t-elle en cherchant son regard.

Pas d’excuses. Pas de mépris non plus. Tout cela était ridicule, de toute façon. Et s’il aurait pu simplement s’arrêter là, sur la quantité de désespoir qu’il fallait que Maxence ne possède pour céder son petit-frère à Jordane, juste pour être certain qu’il ne lui échappe pas, il n’en fit pourtant rien. Non. Pire. Il décida d’augmenter la mise.

« Je me serais occupée de ta pelouse, pourtant,  enfonça-t-il le clou, enfoiré jusqu’au bout.
- Pas d'bol, faudra te trouver d'autres pelouses.. rétorqua-t-elle, pas vraiment plus mature que lui face à toute cette mièvre désespérance qui dégoulinait de Maxence.
- Chez des amis ? Continua-t-il pourtant d’énumérer, donnant vaguement l’impression qu’il pourrait lui citer le boulanger du coin, une fois qu’il aurait passé en revue toutes les personnes de son cercle, proche ou éloigné. Si c’est pas les miens, ça peut être les siens, marchanda-t-il, n’ayant peur de rien, touchant le fond mais creusant encore.
- J’ai le choix ? Se contenta de répondre Léon, résigné à mettre un terme à cette parodie de démocratie enrobée de choix qui n’en étaient pas vraiment.  
- Non, » eut-il au moins le courage d’affirmer, dictateur insoupçonné qui se découvrait.

Le mot claqua, aussi douloureux qu’implacable. Léon attendit la suite, mais rien ne vînt. Sans doute estimait-il que cela suffisait, ou refusait-il de partager à voix haute la crainte de le voir partir, celle dont il n’avait qu’esquisser la douleur un peu plus tôt en le suppliant déjà d’accepter les soins. La sécurité, avait-il dit. La prison, entendait pourtant Léon. Parce qu’avoir été retrouvé, cela n’était que troquer sa condition de sans-abri contre celle de sans-magie. Dans un monde où l’on chercherait toujours à le tuer et dont il ne posséderait toujours rien d’autre comme défense, sinon le fait de se cacher. L’illusion de la sécurité, en sommes, comme les masques d’oxygène qui tombaient dans les avions juste avant un crash aérien. Mais avec le ventre plein et de quoi se doucher et dormir. Comme les soins, il y avait des choses qui ne se refusaient pas. Ce qui n’empêcha pas Léon d’adresser à Maxence un long regard, dont les reproches étaient comme des lucioles crevant ses pupilles désespérément fatiguées. Le combat était perdu d’avance. Et si Maxence ne lui avait jamais semblé aussi brisé, Léon savait également qu’il ne lui concéderait aucune nouvelle fuite. Quelle ironie. D’avoir tant cherché à ce que Maxence ne veuille de lui, pour qu’au moment où cela soit le cas ne demeure que l’envie de le repousser au plus loin.

« Génial, » soupira Léon, choisissant très puérilement de se comporter comme l’adolescent que Maxence persistait à voir en lui.

Il récupéra le Hoodies, le remit dans le bon sens, puis l’enfila sans un mot. Ses épaules roulèrent sans difficulté lorsqu’il fallu y passer ses bras et il ressentie une vague de bien-être déstabilisante à retrouver la fluidité de ses articulations. Ce à quoi il fut obligé de contre-attaquer en décochant une nouvelle flèche, tandis qu’il abaissait le pull sur son torse, frissonnant de nouveau. De fatigue et du reste. De la sensation d’avoir déjà cédé beaucoup à son frère, mais qu’il en voulait encore plus.

« Alors quoi, Maxence, tu comptes m’enfermer jusqu’à la fin de ta foutue guerre ? demanda-t-il alors en portant la main à sa joue, seulement pour constater que la plaie avait disparue. Prodigieuse et dangereuse magie, dont il ne serait jamais capable de se protéger, capable de tant de miracles et de tant d’horreurs. Choisis donc toi-même les barreaux de ma cellule, dans ce cas, refusa-t-il donc se décider, résolu à ne pas participer à sa propre mise en conserve. Lesquels me donneront le moins envie de m’y pendre, à ton avis ? »

Quels étaient les mots, déjà ?
Ah.
Oui.
Déteste-moi si tu veux.

( :zen: )
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Léon Wargrave
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Léon Wargrave
Dim 21 Avr - 19:26
Les cordes qui soutenaient l’édifice rompent les unes après les autres. Chacune des fibres grince avant de céder. Puis c’est la pierre qui craquelle lorsque la structure elle même bascule. L’éboulement des piliers. L’avalanche des contreforts.
Ça l’a pris en traître, incapable d’endiguer la violence avec laquelle chacune des plaies de Léon lui est apparu comme une tranche de vie dont il n’a pas su l’en préserver. Pire, dont il est pleinement responsable. Combien de fois a-t-il répété aux élèves de l’école de ne pas se tromper de cible ? Combien de fois a-t-il rappelé qui étaient ceux qui prenaient les décisions ? Ceux qui se trouvaient de l’autre côté de l’arme.
Mais il ne voit qu’un corps ravagé. Il voit chacun des passages à tabac. Chacune des nuits sur un sol trop dur. Chacun des jours sans avaler grand chose. Chaque verre d’alcool avalé pour faire passer le froid. Chaque coup infligé pour se maintenir debout.

Il voit l’humour. Les sourires échangés entre Jordane et Léon. La manière de se raccrocher à l’indifférence, d’esquisser un rire, de s’entendre. Il voit ce qu’il a toujours craint. Trouver chez son frère la même résistance froide à l’horreur qu’il a vu se mettre en place chez tant d’autres. Tous ont le même éclat râpeux dans le regard. Chacun de ses frères d’armes, terrorisés mais incapables de faire demi-tour. Chaque patient, si proche de la mort, qui doit apprendre à voir son corps se détériorer jours après jours. Chaque gosse, fracassé par une guerre qui n’est pas la leur. Chaque môme ayant appris à tuer. A voir la mort. Ou à vivre avec. Chacun de ceux qui ont dû dévisager leurs bourreaux comme il l’a fait à leurs côtés.
Il a le même regard qu’Enzo, droit et dur.
Le même air buté qu’Alec.
Les mêmes traits de couleurs sur le corps que les mômes des cachots.
Leur humour, aussi. A tous.

Un instant, la cage thoracique soulevée par une respiration qu’il lui faut garder sous contrôle. Il les voit, esquisser des sourires et des regards. Les deux mômes aux os disloqués, à la chair peinte et aux mots trop durs.
Il n’a pas vu.
Mais il est devenu l’un d’eux.

Sauf qu’eux, il les a vu grandir.
Pas Léon.

Pour eux, il constituait un refuge.
Pas pour Léon.

Eux, il les a écoutés, a vu leurs pires journées et leurs nuits trop claires.
Pas Léon.

Alors le trait d’humour lui arrache un rire, car il n’a plus que ça dans le carcan de sa nervosité. Il voudrait retrouver les échanges muets avec Ismaelle, l’appui simple d’une amie comprenant tant ses forces que ses faiblesses. Il voudrait être celui-là. Celui qui est apte à sortir quelques bêtises pour désamorcer les bombes posées les unes après les autres au fil de la conversation. Mais tout juste est-il capable d’avoir conscience marcher sur chacune des mines intercalées entre lui et son frère.
L’air frais qu’il arrache à l’extérieur en ouvrant les vieux battants collés de la fenêtre aide. Il inspire, expire, enchaîne chacune des techniques mises en place dans son quotidien depuis plus de dix ans. Mais dans le fond, Maxence le sait, il n’est pas mieux que ces gamins. L’évidence est présente dans la manière dont il les regarde, avec tout le respect qu’on accorde à ceux qui traversent tempêtes après tempêtes sans trop se perdre. Elle l’est dans chacun des mots échangés avec Enzo. Dans la manière dont il pose les yeux sur lui, sur Sovahnn, sur d’autres.
Mais là il s’agit de Léon. Et Léon n’aurait pas dû vivre ça.

Un Léon qui esquisse un sourire et pose le regard sur Jordane. Sans doute Maxence n’est-il pas le seul à voir toutes les bêtises qui affleurent ses lèvres puisque dans le silence des échanges des deux gamins, le jeune homme se crispe brusquement, immédiatement puni par une frappe de l’ancienne Serdaigle.
Une seconde, il vient à Maxence l’élan de l’arrêter. Mais le sourire complice partagé entre les deux l’arrête et lui fend le cœur tout à la fois. Il lui semble pouvoir mesurer toute l’étendue de ses échecs à la manière dont Léon trouve refuge dans des dynamiques implacable de l’humour et de l’indifférence. La douleur ? Qu’importe. La complicité s’infiltre entre la froideur et le flegme de ceux qui gèrent mieux l’humanité à distance.
Il le voit, pourtant, porter un regard sur cette jeune-femme que Maxence lui-même ne saurait connaître. Il voit la concentration de la Serdaigle à réaliser des soins parfaitement inutiles mais porteurs d’un apaisement humain évident. Dure, sèche, tranchante et contrôlante, elle est pourtant bien plus efficace que lui avec Léon. Et à voir la manière dont il la détaille, Maxence s’interroge un instant sur la relation qui les lie véritablement. Quarante-huit heure avant, elle n’avait aucune idée de son visage. Pourtant il se raccroche à elle. Et elle le laisse faire. Elle qui envoyait Zach au loin. Elle dont il a vu le regard à l’annonce de la mort de Dissemba.
Le grand frère qu’il est aurait aimé le vanner. Esquisser un sourire en surprenant ce type de contemplation. En jouer au repas du soir, faire mine de le balancer aux parents. Jouer de complicité.
Il n’en est rien.
Il observe sans rien dire le frangin se dérider quand elle surprend son regard et lui fait de nouveau mal. Maxence se tend à nouveau, mais note qu’elle ne fait jamais rien d’autres que ces petites souffrances inutiles dont la cruauté n’engendre rien d’autre que des sourires. Des gosses. Qui se cherchent. Et se trouvent… à en juger par leurs échanges discrets.

De nouveau, lorsque l’ancien soldat s’approche à présent calmé, il éteint les sourires comme une brise éteint les flammes d’une bougie. La fenêtre est de nouveau fermée. Qu’importe, l’air frais n’atteindrait pas les deux jeunes, entourés d’un bulle de chaleur. Passé une certaine distance, Léon se referme. Comme ces bestioles dans les jeux vidéos qu’ils branchaient en douce sur la télé de Mrs Thomson quand ils étaient petits. Quand il lui avait fallu se faire pardonner avoir manqué de tuer l’un des gamins Wargrave. Et que ces derniers ont gagné toute la largeur de jouer sur la corde sensible. En s’asseyant de nouveau face à lui, le contrôle retrouvé sur sa respiration et le débordement de ses larmes, il se revoit. Il les revoit, eux. Tous deux assis sur le canapé du salon, à brancher les câbles de la console achetée pour l’occasion. Se tromper de branchements. Lancer des “et là ça fait quoi ?!” à son petit frère planté devant la télé. Et lui, disparaître derrière le meuble bas, coincé entre les fils et le mur, la vieille plante en plastique et les moutons de poussière. Une lampe torche coincée entre les dents.
Puis la joie, chaque fois que ça marchait enfin. Et la panique, lorsque l’écran d’accueil les surprenait par le son trop fort de l’allumage. L’attente, incertaine, après que Léon ait coupé le son, tous deux attentifs à chacun des bruits émanant de l’étage. Puis les parties, assis en tailleur sur le canapé, face au chien endormi entre la table basse et leurs pieds. Chien qui n’avait, bien sûr, pas le droit de dormir à l’intérieur.
Chacune des couleurs de ces nuits lui reviennent en tête tandis qu’il soigne sans un mot celles qui barrent le corps de son petit frère. Il revoit le jaune poussin du salon quand il pose deux doigts de part et d’autre d’un hématome des plus anciens. Repeint les toiles représentant des forêts, quand il s’oriente du côté de sa hanche. Note à ses souvenirs le vase chinois, aux fleurs roses et violettes, qu’ils ont cassé un jour en accusant le chien. Pense, aux blouses bleues des internes qui les ont reçu une fois qu’il eut encastré la voiture de la vieille Thomson devant le terminal des urgences. Et enfin, le cadre noir de la télé et du meuble en bois qui ont accompagné leurs nuits fugitives dans un univers fictif dont le nom lui échappe tout à fait à présent.

Tout est là. Tout pulse quand il sent son frère se détendre enfin, ouvrir un rien de son être à ses soins. Tout vibre sur ses lèvres, lorsqu’il le supplie presque de rentrer avec lui. Conscient de s’engouffrer trop vite. Comme la bagnole, cette nuit là.
Et comme cette nuit-là, il se crashe.

L’évidence frappe dès l’instant où Léon rouvre les paupières. Mal calibré. Mauvais timing. Trop hâtif.
Et puis le mur.
Son propre crâne qui vole droit dans le volant. L’airbag qui le retient. La cicatrice qu’il porte toujours à présent, vingt ans plus tard.

Mais pas d’airbag aujourd’hui. Pas même lorsqu’il se dirige vers Jordane pour tenter de négocier un lieu qui semblerait à priori plus sécurisant pour Léon. Qui ne soit pas chez lui, si vraiment il n’y a qu’en elle qu’il accorde quoi que ce soit. Et s’il faut apprendre à lui faire confiance, alors le sorcier le fera.
Mais l’airbag ne s’ouvre pas. Jordane rit. Décline. Elle vit pourtant bien quelque part, cette nana dont personne ne sait rien. Elle vit sans doute quelque part. Quelque part qui n’est pas ici. Et quelque part où elle n’accueillera pas Léon.
Dans ce “quelque part”, sans doute, où ils se rejoignent sans se consulter, partageant déjà un rire de verre pilé, signature d’une absurdité que Maxence aurait dit sans vraiment s’en rendre compte. De nouveau, les piques s’enchaînent. De nouveau, passablement sous la ceinture. Et de nouveau, ça lui échappe.

Pas chez elle, donc. Ok. Ne pas s’attarder, ne pas montrer sa propre frustration. Trouver des solutions. Juste ça. Qu’importe la colère que chacun d’entre eux lui brandit en étendard. Qu’importe celle qu’il lui rétorque, à l’image de cette affirmation selon laquelle il ne voudrait rien de lui.

- J’ai le choix ?  

Non. Non parce que j’te laisserai pas retourner .. Là-bas.

Mais seul le “non” s’échappe et coupe la route à chacune des suppliques qui s’accumulent derrière les sanglots trop violemment endigués.
Il comprendra ? Il s’en foutra peut être. Mais il comprendra. Bien sûr qu’il comprendra.

« Génial, »

Le mur, au travers du par-brise.

Et Maxence esquisse un souffle, conscient qu’il est semble-il écrit dans les fils tissés par les moires. Quoi qu’ils fassent, leurs besoins s’opposent. Leurs mots se percutent. Leurs émotions s’agressent.
Devant lui, Léon passe de nouveau son sweat et à sa droite, Jordane adresse au sorcier l’un de ses regards dont elle a le secret. Tout faux. Toujours tout faux, semble-t-elle lui dire.
Effectivement, il a tout faux. Le timbre de Léon, sa choix et ses yeux d’ado le lui rendent dès l’instant où il se tourne à nouveau face à lui et ne lui offre pour tout réconfort que l’impression de lui trouver des gestes plus fluides.

« Alors quoi, Maxence, tu comptes m’enfermer jusqu’à la fin de ta foutue guerre ? Il porte la main à sa joue soignée quand la pique atteint une nouvelle fois son frère et le laisse criblé d’autant de flèches que Boromir en route pour son dernier voyage. Choisis donc toi-même les barreaux de ma cellule, dans ce cas, Une de plus, donc. Lesquels me donneront le moins envie de m’y pendre, à ton avis ? » Et une dernière.
Un souffle contrarié le prend et retient le frisson glacial et électrique qui soulève sa peau. Un instant, Maxence ne trouve rien d’autre à faire qu’à contempler la colère adolescente de son petit frère. Comme la fois où il avait fallu négocier pour le convaincre de suivre les parents à une pièce de théâtre obscure dans un petit cabaret. Pièce horrible, cela dit. Mais de toutes les raisons du monde, Léon coche toutes les cases de la légitimité.
- Tu sais que c’est pas ce que je veux dire.. Et une nouvelle fois, il lui prend la faiblesse d’aller chercher du soutien dans le regard de Jordane. Comme si quatre ans à Poudlard avaient signé les bases d’un accord commun et non négociable. Un accord sur lequel elle crache aussi promptement que Léon sur leur ancienne complicité. Dans ses yeux d’azur, tout ce que l’ancien infirmier détecte, c’est une réflexion mutique qui s’apparente à un “Alors là t’oublie. Me mêle pas à ta merde”.
Cul de sac, donc.
Par tic, Maxence mord sa lèvre, y passe à l’intérieur le bout d’une langue, puis revient vers son frère. Il inspire, repousse les séismes internes qui menacent toujours. Et reprend.
- Désolé Léon mais arrête de jouer au con s’t’euplait. Je te propose juste de rentrer te mettre en sécurité. Quelque part où t’aurais un toit au dessus de la tête, un lit qui a pas vu trente passes dans le dernier mois et un frigo rempli d’autre chose que de trois bouteilles d’alcool.
- Tient, encore une balle perdue..
- Je.. C’est toujours pas bien malin ça Max. J’te propose pas une foutue prison. Juste un point de chute. Déjà pour la nuit et après on verra. J’peux.. Retrouver un boulot, te louer un appart… Recommencer quelque chose. Quelque part. Mais j’te laisse pas repartir… de là où tu viens.
- T’as une chambre à me payer déjà. J’pose l’info entre deux missiles.
La mâchoire en avant, légèrement ouverte, l’ancien soldat fixe une seconde le flegme indocile de celle qui lève d’un rien les sourcils vers lui l’air de le mettre au défit de refuser. D’un cynisme léger, joyeux presque, face à leur colère électrique. Il souffle, cède. Il suffisait pourtant de demander normalement, et il l’aurait payée, sa foutue chambre miteuse.
- Ok, s’tu veux. Avant de reporter son attention vers Léon et sa rage versatile. Une nuit, deux.. Quelques semaines. N’importe. Il faut bien commencer quelque part.
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Lun 22 Avr - 0:21
Bien sûr qu’il le détestait.  

Et comme le disait Freud les émotions que l’on ne disait pas ne mourraient jamais. Elles étaient juste enterrées vivantes pour revenir plus tard de manière plus laides. Et puisqu’il fallait continuer dans la psychologie de comptoir, Léon aurait rajouté qu’avec des si, on ne refaisait évidemment pas le monde mais que l’on empilait les regrets les uns aux autres jusqu’à croire en ce putain d’effet papillon. Et parfois, très égoïstement, il en venait à se demander quelle aurait été sa vie si Maxence n’avait pas battu de ses ailes quelques part au Mexique pour provoquer un ouragan à l’autre bout du globe. Et le cadet aurait aimé que la certitude de l’aimer soit plus forte que celle de le haïr. Mais cela n’était pas si simple. Malgré tout, il aurait tout donner pour pouvoir affirmer sans l’ombre d’un doute que non, s’il avait eu le choix, il aurait voulu que rien ne change. Ni l’arrivée de Maxence dans leur famille, ni leur amour respectif. Mais cela aurait été accepter également la fin du livre. Alors, évidemment que Léon aurait adoré mentir et affirmer que la mort de ses parents n’avait rien changé, rien remis en questions. Que cela ne ternissait pas les éclats de joie de leur enfance, que cela n’assombrissait pas le ciel de leur relation ni ne déchiraient les souvenirs. Il aurait tellement souhaité être capable de dire que cela avait quand-même valu la peine et qu’il n’aurait jamais préféré grandir sans lui. Qu’il n’aurait jamais échangé cela parce que c’était quelque chose d’inestimable.

Mais la vérité était tout autre. Elle était laide, ingrate, rugueuse et inflexible. Comme la rue. Mais elle était honnête – tout ce que Maxence n’avait pas été, d’ailleurs.

La vérité, aussi douloureuse soit-elle, c’était que Léon n’était pas sûr qu’il aurait choisi Maxence. Si on lui avait donné l’opportunité de retourner le temps durant ses quatorze mois, beaucoup de soirs l’auraient vu opter pour un autre chemin. Et bien sûr que son coeur s’était brisé en mille morceaux à cette constatation, bien sûr qu’il s’était trouvé absolument horrible, détestable et honteux de ne serait-ce que songer à cette possibilité. Sauf qu’il y avait des histoires qui n’étaient pas faites pour se mélanger. Qu’il y’avait des mondes qui ne gagnaient rien à se télescoper sinon à provoquer la chute de l’un d’eux. Des convictions qui ne pourraient jamais s’accorder, des sacrifices qui n’auraient jamais de sens. Qu’il y avait des liens qui n’étaient faits que pour faire souffrir ceux autour desquels ils se nouaient. Et peut-être que Maxence aussi, aurait été plus heureux loin d’eux. Il n’aurait pas eu à se scinder en deux jusqu’à ne plus jamais être capable d’être bien dans aucun de ses deux univers. Il n’aurait pas non plus eu à faire semblant de revenir alors que son esprit volait toujours auprès d’autres personnes qui savaient mieux le comprendre, mieux l’aimer, mieux l’attirer à lui. Parce que Léon, lui, savait qu’il l’aurait probablement été. Plus heureux. Ou du moins, pas aussi malheureux ni désespéré : s’il n’avait jamais eu Maxence, alors ce frère ne lui aurait jamais manqué. On ne pouvait pas souffrir de l’absence de ce que l’on ne connaissait pas, après tout. Il aurait vécu en fils unique, dans leur jolie maison de Boston. Peut-être serait-il devenu médecin, ou peut-être aurait justement voué sa vie à autre chose qu’à celle de vouloir attirer l’attention d’un fantôme. Il serait tombé amoureux, plusieurs fois, aurait fini par se marier et avoir des enfants. Il aurait vu ses parents vieillirent. Et il les aurait enterré à un âge où il était tout à fait légitime de les perdre.

Maxence était un champ de bataille.
Et Hannah et Peter Wargrave auraient mérité la paix.

Aucun d’eux trois n’avaient mérité tout ça. De se se noyer dans ses dérives et de finir brûlés pour ses pécher. A lui. Et à lui seul. Pourquoi avait-il fallu qu’il se trouve une famille, si c’était pour la sacrifier ? Si l’Univers l’avait fait orphelin, sans doute était-ce dans la prévision d’une telle catastrophe. Peut-être aurait-il donc dû le rester puisqu’il n’avait ensuite rien fait pour éviter de le redevenir. Tout ça pour finir par retourner à son point de départ. Pourquoi avait-il fallu qu’il l’entraîne avec lui, pourquoi avait-il fallu que lui aussi ne perde ses parents ?

Et pourquoi fallait-il qu’il revienne, si désespérément prêt à lui offrir soudain toute l’attention qu’il n’avait pas su lui donner lorsqu’il avait été encore temps ? Pourquoi fallait-il qu’il insiste et ne comprenne rien à rien, comme s’il fallait d’abord répondre à ses propres besoins avant de s’intéresser aux siens ? Maxence était égoïste. Il prenait tout, tout en prétextant que c’était lui qui offrait. C’était ses propres inquiétudes, qu’il voulait voir disparaître. C’était sa propre douleur, qu’il avait voulu soigner alors que cela avait été si difficile pour Léon à l’accepter. C’était sa culpabilité, qu’il cherchait à rassurer en lui offrant ce qui s’apparentait surtout à des excuses dont Léon ne voulait pas. C’était Maxence, qui avait peur de la rue.

Pas Léon. Plus aujourd’hui. Maintenant, il craignait les murs trop étriqués des maisons, les regards trop tendres des habitants qui l’occupaient, l’abondance de confort dont il ne saurait plus quoi faire. Il craignait la pitié. Et il n’avait pas la moindre l’intention de rester enfermer, pas même si Maxence s’amusait à inscrire Paradis en lettres dorées sur la porte.

« Tu sais que c’est pas ce que je veux dire… » nuança immédiatement son frère, balayant ses craintes comme si elles n’avaient pas lieu d’être, n’y accordant même pas l’ombre d’une considération.
Ca, c’était nouveau. Cette condescendance insupportable.
« Désolé Léon mais Arrête de jouer au con s’t’euplait »

Les mots de Maxence le percutèrent de plein fouet, comme un train lancé à pleine vitesse et dont les freins auraient lâché. Sa mâchoire se carra dangereusement tandis que ses yeux remontaient avec une lenteur exagérée le long du visage de son frère. Sous la jambe de Jordane, son genou recommença à trembler. La suite se perdit alors qu’il observait Maxence, voyant ses lèvres bouger sans en entendre grand-chose d’autres que des bribes qui n’arrivaient pas à faire sens, ni dans son esprit ni dans son coeur. Jamais Maxence ne lui avait paru aussi égoïste qu’à cet instant, usant et abusant de toutes les formes de persuasion pour chercher à lui faire accepter ses propres besoins en lui faisant croire que c’était les siens. Ne voyant déjà pas l’immense pas qu’il avait fait en sa direction en acceptant de l’appeler, puis qu’il ne le soigne, il exigeait encore plus de lui, comme s’il était en droit de tout ordonner sans jamais rien sacrifier en retour que quelques larmes éparpillées sur le tapis miteux du motel.

Il osait.
Il osait le traiter comme un enfant, alors qu’il avait laissé mourir les seules personnes qui en avait jamais eu le droit. Il osait lui dire où il devait dormir les prochaines nuits, alors qu’il l’avait laissé crevé de faim sous les ponts sans même être foutu de le retrouver. Il osait lui parler de sécurité alors qu’il n’avait même pas été foutu de tisser le moindre sortilège de protection autour de leur maison. Il osait critiquer la chambre d’hôtel alors qu’il ne se rendait même pas compte du luxe qu’elle représentait à ses yeux.

Une sensation brûlante, corrosive, prit d’assaut ses veines. Jusqu’à emplir toute sa personne. Il le détestait. Comme il avait détesté les soirs rudes du premier hiver passé dans la rue, comme il avait maudit la chaleur de son foyer perdu, comme il avait hait la première fois qu’il avait été poussé à trier les ordures pour avoir quelque chose à manger. Il le détestait. Comme il s’était lui-même détesté d’être si faible pour ne pas pouvoir protéger leur parent, comme il s’était maudit d’être incapable de se venger, comme il avait haïe de ne pas être sorcier. Il le détestait aussi fort qu’il ne l’avait aimé et qu’il n’avait été déçu. Et si certains se laissaient aller au chagrin, Léon lui était de ceux qui se laissaient consumer par la haine. Parce que jamais les larmes ne lui auraient permises de survivre, parce que jamais la tristesse n’aurait été suffisante pour qu’il ne se relève, pas plus qu’elle ne lui aurait donné suffisamment de courage pour gagner de quoi manger en entrant dans l’arène de Djenco.

Alors, il avait brûlé. Pas en même temps que ses parents, pas gisant sur le perron de leur maison, mais il avait cramé à son tour. Il n’y avait plus d’ailes dans son dos, cela faisait bien longtemps qu’il ne croyait plus en le Paradis et qu’il logeait en enfer. Et si cette soirée était une épreuve supplémentaire, alors Monsieur-Puissance-Supérieure pouvait bien aller se faire foutre.

Parce qu’il n’était définitivement pas un saint.
Ni avant de tout perdre et encore même maintenant qu’il n’avait plus rien.
Il n’avait même jamais été croyant.
Eve aurait dû bouffer Adam et baiser le serpent.
Lui, c’était ce qu’il aurait fait.

Alors, son poing s’écrasa sur la joue de Maxence dans un affreux bruit de cartilages brisés qui ricocha dans la pièce. Et en regardant son frère tomber au sol, Léon se fit la réflexion qu’il ne se souvenait même pas s’être redressé ni même avoir initié le geste. Il avait littéralement éclaté, sa colère justifiant qu’il ne vole tout à fait en éclat.

« Va donc te faire foutre, Maxence, » cracha-t-il.

Avant de lever ses mains de part et d’autres de sa tête et de reculer jusqu’au fond de la pièce.


( :aza: )
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Léon Wargrave
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Léon Wargrave
Lun 22 Avr - 14:34
Et toi.. Tu l’étais ?
Jamais.

J’le vois venir. A mille kilomètres. Je vois la fatigue prendre le dessus, les nerfs qui lâchent, l’apaisement qui s’impose. J’imagine le rebond. La peur de s’être laisser aller, celle d’avoir baissé les armes et de voir ses digues envahies. A l’instant même où Maxence reprend la parole, je sens les prémices de l’explosion.
J’ai fais quoi moi ? Après chaque heure passée avec Kezabel. Après l’honnêteté offerte à Enzo. Après les quelques instants de douceur accordés. Et si on remonte plus loin ?
Je revois la dernière nuit avec Sixten. Je sens ses tremblements sur ma peau et la manière acharnée avec laquelle ils enclenchaient les miens sans que mon corps ne sache s’y préparer. J’entends ses larmes. J’entends ces moments que la rue vous arrache sans que ça n’ait jamais de véritable prise sur le réel. C’est un entre-deux, un espace temps qui n’a pas vraiment d’importance. Dans lequel les fêlures n’existent que par intermittence.
Puis vient le réveil. Le rebond. Les cris. Les coups. La rage.
La manière de se rappeler qu’on est soit. Solide. Et juste là, entre la douceur dérobée et l’explosion de rage : la trahison.

Immense ou incertaine.
Par petites touches ou grands cratères.

Et elle est venue. A grands coups du mépris indissociable à celui qui n’a jamais été indiciblement heureux d’avoir une couette dans laquelle s’allonger. Qu’importe qu’elle ait porté “trente passes dans le mois”. Qu’importe les mites ou les puces. Qu’importe l’odeur de foutre ou tes propres jambes qui en tremblent d’avoir trop servi. Mais il n’a jamais connu ça. Pour lui c’est une chambre miteuse parmi les autres. Tout un univers dans lequel il est impensable d’implanter son frère.
Mais ton frère y est. Tu sais quoi ? Il fait même partie des murs. Il suinte comme la peinture au plomb d’une vieille baraque. Il craquelle comme le lichen au bord des fenêtres. Il se fend, comme chacune de ces vitres. Il pue la moisissure, les mauvaises pensées et le poison de l’amiante.
Attention, c’est pas un jugement de valeur. Il est ainsi, parce qu’il le faut. Il l’est, parce qu’il est en vie. Il est fort. Quand tu n’y vois que de la crasse. Comment veux-tu qu’il parle ? Comment veux-tu qu’il cède ?
Tu méprises ce qu’il n’a pas osé espérer depuis des mois. T’insultes ce qui l’a tant fait trembler, j’le sais, une fois qu’il a été seul. T’as pas idée, ça se voit, que d’être un gosse en enfer. Toi tu fais des choix nobles. Et tu regardes de haut ceux qui se débattent avec les miettes de tes valeurs.
Ils sont beaux tes sentiments, quand on les couche sur papier à coup d’enluminures et de belles illustrations.

Il est laid, pourtant, celui que tu fais naître chez lui. J’ai pas besoin de me tourner pour le voir. Pas besoin du tremblement sur ma cuisse pour en prendre conscience. Je lâche une pique, pour détourner le truc, sans imaginer que ça suffira. Une deuxième alors ? Pour la forme. Mais il ne cesse pas de trembler. Ses muscles se bandent. Son corps initie le mouvement.

Je ferme les paupières pour cesser de voir cet air de grand frère moralisateur qui veut reprendre tout le contrôle qu’il n’a pas eu pendant un an. Mon souffle se suspend dans un sourire de dépit.
Tu peux pas t’en empêcher hein ? De tout gâcher. Tu les vois pas, ses efforts ? Bien sûr que je vois les tiens. Bien sûr que c’est pas juste. Mais hier soir tu dormais dans un lit.Tu parles de choper un boulot, de louer un appart. Comme si c’était la plus banale des choses.
Mon alcool t’emmerde. Ma couette usée t’emmerde. Et les tâches qui joueraient au néo-impressionniste si tu les éclairait au luminol.

Je t’emmerde.

J’ai pas bougé. Ni quand le matelas a plié sous le poids du mouvement. Ni quand l’impact a craquelé l’atmosphère. Ni quand le bruit mat d’un corps tombé au sol a témoigné de la sidération du grand frère fracassé.
J’ai pas bougé.
Pourquoi je l’aurais fait ?

« Va donc te faire foutre, Maxence, »  

C’est pas tout à fait vrai : j’ai basculé mon crâne en arrière dans un souffle que personne n’a dû entendre.

Ouais. C’était prévisible.

Et je rouvre les paupières, pour fixer l’aîné, l’œil à moitié fermé, une main sur sa pommette éclatée, le regard ahuri, le coude tremblant.
Ça tu vois, c’est la raison pour laquelle avoir le soin pour premier réflexe est une connerie monumentale.
Les gens frappent moins fort quand ils ont mal.
Puis je redresse le regard vers Léon et condamne ma pensée immédiate.
Nan. Les gens frappent plus fort, quand ils ont mal.
Il recule, se prend la tête dans les mains.
Et je sais qu’il fallait en passer par là.

A vrai dire j’ai le cynisme de penser qu’ils devraient tous deux se foutre sur la gueule plutôt que d’essayer de parler.
Une fois HS le dos sur un monte-charge crasseux, il y aurait peut être moyen de s’entendre.
Mais pas ce soir.

- Bon, allez ça va bien ! J’me lève, d’un bond qui n’en a que le nom. La douleur demeure, clin d’œil sardonique à la véritable souffrance qui me pulvérisait une heure plus tôt. “Toi tu prends l’air et surtout tu la fermes.” T’aimes pas hein ? J’vais être très honnête, moi j’aime assez. J’aime que tu comprennes dans mon regard que j’ai raison, et qu’il vaut mieux que tu te taises. Que t’aurais simplement dû la boucler depuis longtemps puisque la vérité, c’est que t’avais aucune bonne réponse. Vous êtes trop épuisés, trop écartelés de peine pour véritablement vous entendre. Dans le sens premier. Pas de vous accorder. Nan. De vous entendre.
Tu vois pas. Ni ce qu’il a vécu, ni ce qui l’angoisse.
Et j’crois que je pourrais pas définir ce que toi, tu voudrais lui dire.

Alors dégages. Avant d’enterrer un lien auquel tu tiens…
Crois-moi je connais.

Le monceau d’hématomes que je suis se glisse entre eux, avec une solidité que je devine n’avoir de sens qu’au travers de leur fragilité évidente. Maxence se lève, se tient la joue. Il regarde vers Léon, au travers de moi. N’a jamais cherché à faire autre chose. Puis il revient vers mon regard et sans acquiescer, sort.
J’accompagne le mouvement. Alors seulement il s’arrête, débute une esquisse de phrase que je clôture avant qu’elle ne prenne le moindre sens. Nan. Oublie. Prends l’air, vraiment.
Et puisqu’il n’y a rien d’autre à faire ; ferme la porte derrière lui.
J’ose simplement espérer qu’il n’aura pas la connerie de s’en aller.

Me retourne.
Et grimace.

- Bon bah j’trouve que ça s’est pas si mal passé… La moue se fend d’un sourire car j’te ferai pas l’affront de la mièvrerie. Et puisque je m’infligerai pas l’injure de te craindre, je te rejoins, calme dans la tempête. Jusqu’au face à face tranquille. Les bras qui tremblent, les yeux fixes, le souffle qui vrille et le cœur qui ne fait pas mieux. Ça aussi j’connais.
- Ton frère est un gland. Pour toute forme d’esprit de synthèse, non sans un sourire pincé d’ironie.
J’en soutiens le regard un instant. Puis le prolonge d’un rien avant de me pencher pour saisir deux bouteilles près du mini bar rongé par la moisissure et les fêlures du plastique.
La première, quasi vide, je la termine de deux gorgées.
La seconde, pleine, je la lui confie.

- Ça c’est parce qu’il arrive rien de bon après deux heures du mat’.” Référence à une série.
Puis je tend la vide. “Et ça c’est parce qu’à ta place j’aurais tendance à bousiller la pièce. D’expérience, ça défoule. D’un doigt, je trace un cercle dans le vide pour désigner les lieux. “C’est comme dans Alien : personne ne t’entendra crier.”

Et j’ai toujours été meilleure pour réparer les objets plutôt que les gens.
Avec l’humour, plutôt que les sentiments.
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Jordane Suzie Brooks
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Jordane Suzie Brooks
Mar 23 Avr - 8:52
Il tremblait de son tout être.

Le dos collé à la porte de la salle de bain, Léon avait l’impression de se consumer et de se noyer en même temps, dans une sorte de chute vertigineuse qui n’avait ni haut, ni bas. Tout cela était absurde et pourtant, c’était exactement les mots qu’il aurait choisi d’employer s’il avait fallu qu’il ne le fasse. Il brûlait de rage, coulait de désespoir, à la fois attiré par des abysses de noirceur tout en essayant pourtant de voler pour rejoindre le rivage le plus proche. Et devant toutes ces contradictions, son corps se contentait donc de trembler misérablement, de cette façon violente et incontrôlable, comme si ses muscles se révoltaient sous les ordres bordéliques qui ne cessaient d’affluer. Il ne savait pas s’il était pétri de colère ou de honte à l’idée d’avoir frappé son frère, ni même s’il désirait s’excuser ou recommencer. Alors il se contentait de le regarder avec une émotion furieuse et encore non identifiée au fond de ses yeux, songeant à quel point la pièce était une dangereuse poudrière.
Si quelqu’un osait craquer la moindre allumette, tout partirait en fumée. Et peut-être que Jordane arriva à la même conclusion que lui, alors que sa voix crevait le silence oppressant de la pièce :

« Bon, allez ça va bien ! »

Du coin de l’œil, il capta qu’elle quittait le lit pour venir s’interposer entre eux. Mais cela n’était pas suffisant pour camoufler Maxence – ou peut-être que Léon n’avait pas envie de lâcher son frère des yeux et se décala pour le garder sous le feu de son regard. C’était presque comique. On aurait dit un albinos mal exécuté, dont toutes les couleurs se seraient retirées du visage pour se trouver concentrées sur sa joue, sur laquelle Léon pouvait déjà voir les prémices d’un bel hématome se dessiner. Un nouveau frisson le parcouru alors qu’il fixait la contusion, à deux doigts de reprocher à Maxence de marquer aussi vite. De ne même pas être foutu d’esquiver convenablement. Ni de répondre correctement. Il s’était contenté de tomber, comme une poupée de chiffon, vaincu avant même que le combat ne s’engage vraiment. Et à cette analyse qu’il savait juste, Léon se mordit furieusement les lèvres pour ne pas cracher un peu plus de son venin, sans même se rendre compte de l’éclat infiniment provocateur qui luisait au fond de ses yeux. Comme une invitation, il serra un peu plus les poings.

Une étincelle.

Une toute petite étincelle, il ne lui fallait que ça pour rhabiller Maxence au même couleurs que les leurs.

« Toi tu prends l’air et surtout tu la fermes, » lui vola soudainement Jordane alors que Maxence semblait si prêt de craquer cette putain d’allumette.

Un tic nerveux agita la joue de Léon et il se surprit à la foudroyer des yeux, quelque part entre la chute de ses reins et la cascade de ses cheveux. Il buta sur son dos et écrasa furieusement sa langue entre ses dents. Il bouillonnait tellement qu’il était à deux doigts de la prendre également pour cible, à deux doigts de lui demander de se mêler de ses affaires et à deux doigts de la repousser sur le lit en lui ordonnant d’y rester. Tout ça, c’était entre Maxence et lui. Et un seul coup, cela n’était définitivement pas suffisant pour régler quoi que ce soit. Il ne dit rien, cependant, surprenamment bloqué par la manière dont elle faisait barrage entre eux deux, à la fois agacé qu’elle n’endosse un tel rôle et terrifié à l’idée de lever à nouveau ses poings vers elle. Alors, il se contenta d’un claquement rageur de la langue, vite suivit d’un soupire rageur et terriblement proche du juron avorté.

Fais chier.

Et évidemment, Maxence choisit ce moment pour se décider à rendre les armes. Il n’avait pas remarqué avoir exagéré sur les soins, pas plus qu’il n’avait eu conscience du poing qui menaçait de s’écraser sur son visage avant que ce dernier ne le percute. Et si, paradoxalement, il avait toujours été doué pour éviter les conflits, il n’avait jamais cessé de les attiser en cette soirée, oscillant tour à tour entre des silences oppressants puis des paroles encore plus asphyxiantes, choisissant toutes les mauvaises options et ne comprenant aucune des mises en gardes. Mais pas . Il fallait qu’il choisisse ce moment précisément pour se comporter de la manière la plus logique qui soit, alors même que Léon avait abandonné toute idée de retenue.
Vas-y, enfonce toi, pria même Léon alors que Maxence ouvrait sa bouche. Mais il la referma tout aussi vite, ravalant les paroles en silex qui auraient sans doute permis de rejouer la guerre du feu. Léon fit un effort herculéen pour dissimuler sa frustration alors que Maxence renonçait et disparaissait derrière la porte. Et lorsqu’elle claqua tout à fait, Léon braqua sur la seule personne de la pièce un regard chargé de reproche et de colère mal contenue et dont elle demeurait le seul exutoire encore tangible. C’était de sa faute.

« Bon bah j’trouve que ça s’est pas si mal passé… » ironisa-t-elle alors, inconsciente de son état, en se retournant vers lui.

Léon la fixa, incrédule. Prudent, aussi, parce qu’il était tellement proche du point de rupture qu’il n’était pas certain de pouvoir arrêter la collision. Alors, lèvres pincées jusqu’à en rendre douloureuse la crispation de sa mâchoire il suivit du regard son avancée avec le sentiment étrange qu’il était pourtant le seul à craindre qu’il ne perde le contrôle. Il inspira et se tendit encore plus - si cela était possible - lorsqu’elle frôla les limites de son espace personnel. Son regard chercha le sien, comme un avertissement. Évidemment, elle l’ignora superbement, comme l’emmerdeuse qu’elle était. Un pas de plus en avant.
Léon souffla bruyamment, ses ongles ripant contre l’intérieur de ses poings qu’il serrait si violemment que cela en devenait douloureux.

«Ton frère est un gland. »

Pour plonger dans ses yeux tout aussi violemment. Pas de commentaires, pas d’approbations non plus et encore moins de jugement. Juste cette affirmation qu’elle posait là, sans pression, comme l’on déclamait une évidence pour enfoncer des portes déjà ouvertes. Pour dire quelque chose, n’importe quoi. Et bien sûr, cela le désarma. Mais pas tout à fait. Alors, il suivit ses mouvements avec suspicion, à l’affût de ses propres émotions. Sa colère était sourde, mordante, dévorante et il n’était pas vraiment sure que Jordane ne soit hors de sa portée. Il était frustré de son intervention et pas vraiment apte à encaisser quoi que ce soit. Mais elle n’avança pas plus, heureusement, si ce n’est pour s’emparer des bouteilles d’alcool qui se trouvaient au dessus du mini-frigo. Et son regard se perdit alors dans la manière dont ses cheveux glissèrent le long de son tee-shirt trop grand, dévoilant la ligne fine de ses clavicules alors qu’elle se penchait en avant. Sans un mot, il suivit également le mouvement de ses lèvres alors qu’elle portait l’alcool à sa bouche, songeant qu’elle était tout simplement inconsciente de ce qu’elle venait de faire ni de qu’elle était en train de provoquer. Et lorsqu’elle lui tendit l’autre bouteille, il s’en empara précautionneusement et mécaniquement, sans la toucher de peur d’exploser tout à fait.

« Ça c’est parce qu’il arrive rien de bon après deux heures du mat’» dit-elle simplement, référence a un sitcom qui lui semblait venir d’un autre monde.

Ses doigts s’entourèrent autour goulot comme s’il voulait la briser. La bouteille. Pas elle. Elle, il se contenta de la regarder sans même oser ciller des yeux, le corps tendu jusqu’à la rupture. Ses yeux fichés dans les siens, de peur qu’elle n’avance de nouveau. Avec la sensation brute et corrosive qu’il pourrait tout envoyer valser s’il ne maintenait pas les rangs. Mais elle conserva la distance. Trop proche mais suffisamment loin en même temps. Ou le contraire. Elle flirtait avec ses limites comme si elle valsait à l’orée de sa colère. Et il la laissait faire. C’était étrange et absurde à la fois.  

« Et ça, continua-t-elle en lui tendant celle qu’elle venait de vider, c’est parce qu’à ta place j’aurai tendance à tout détruire. »

Cette fois, ses doigts frôlèrent les siens lorsqu’il s’empara de la seconde bouteille, dont il fixa un instant la vacuité sans rien dire. Vide. Alors que lui débordait d’à peu près tout.  

« Vas-y, » l’encouragea-t-elle alors, en véritable pyromane de sa colère.

Elle ne se rendait pas compte. De la manière dont sa voix le percutait, dangereusement tentatrice.  Alors, Léon retint sa respiration, ses yeux entamant une dangereuse navette entre l’arme qu’elle venait de glisser entre ses doigts tremblants et ses lèvres qui continuaient à lui intimer de céder alors qu’il luttait intérieurement pour ne pas exploser. Il retint sa respiration, alors qu’elle ouvrait de nouveau la bouche.

« C’est comme dans alien : personne t’entendra. »

Et peut-être que la phrase fut de trop. Ou bien le regard de trop. Parce que dans ses yeux, Léon pouvait presque y lire l’invitation. Alors, il ferma les yeux pendant une ultime seconde. C’était elle, l’allumette.

Alors, il céda à la tentation.

Et le reste se perdit dans l’explosion du verre contre la porte, ne laissant à Léon qu’un souvenir furieux, rouge et bouillant qui s’éparpilla comme les centaines de fragments de la bouteille. Il ne se souviendrait pas l’avoir contournée ni même de l’avoir frôlée au passage. Seules demeuraient les phrases assassines qu’il retenait et qu’il déversait à la place sur le mobilier, comme si son frère pouvait entendre ce qu’il lui hurlait à grand fracas de meubles brisés derrière les parois trop fines de la chambre du motel. Parce qu’il était juste derrière cette maudite porte, Léon le savait. Il le sentait. Maxence était là, juste là, paralysé dans sa douleur, incapable d’arrêter le raz-de-marée qui menaçait de l’emporter tout à fait. Il était assis par terre, dans sa lâcheté, ses erreurs et surtout dans sa douleur. Alors c’était bien contre lui que Léon envoyait toute valser, puisque cela n’avait jamais été avec Jordane qu’il avait vraiment eu l’intention de danser. Ni même peut-être avec aucun des combattants de la box, il le comprenait à présent aujourd’hui. Non. C’était Maxence. C’était lui, qu’il voulait éclater sous ses poings.

Pas elle. Mais cela n’était pas passé loin.  

Jordane avait raison. Il était en colère. Et il avait envie de tout détruire. C’était comme dans Alien : il avait un monstre dans le ventre, quelque chose de proprement hideux et monstrueux, une bête à la gestation très longue qui était enfin arrivée à maturité. Quelque chose de laid, une créature violente qui lui broyait les tripes jusqu’à ce qu’il ne la  vomissent là, entre toutes les petites fioles de potions de son frère qui atterrirent elles-aussi irrémédiablement sur la porte, comme les impacts d’une mitraillettes tirant en rafales. N’entre-pas, voulait dire chacune des explosions. A moins que cela ne soit un appel à ce qu’il ose venir l’affronter. Mais Maxence en était incapable et Léon le savait. Il n’entrerait jamais dans l’arène, il n’oserait jamais lui faire du mal parce que jamais il ne serait foutu de comprendre que sans conflits, il n’y aurait  pas réconciliation non plus.  Léon le savait, là aussi : il devrait se contenter de la porte. Alors, tant pis pour toutes les potions, au diable ses onguents et tout ce qu’il possédait, puisqu’il n’avait pas été capable de les utiliser sur les seules personnes qui comptaient vraiment. Alors Léon détruisit tout, avec un acharnement qui confinait presque à la folie. Il n’aurait pas su dire combien de temps cela dura. Ni combien de gorgée de Vodka il avala. Peut-être avait-ce été bref, comme un éclair dans un ciel nuageux. Ou peut-être la tempête s’était-elle étalée sur de longues minutes, faisant trembler la chambre sous ses assauts tumultueux. Ce qu’il savait, en revanche, c’est qu’il en aurait probablement honte au lendemain matin. Honte de toute cette puérilité, honte d’avoir ainsi cédé à l’appel de la colère, honte de s’être comporté comme l’enfant qu’il détestait que Maxence ne voit en lui. Pourtant, il continua à s’énerver sur tout ce sur quoi il mettait la main, comme une nécessité de tout détruire pour oublier à quel point il haïssait ce que ses quatorze mois avaient fait de lui. Il n’avait plus rien. Il n’était plus rien. Il était comme cette chambre : un vaste bordel, bancal et chaotique. Le genre d’endroits – de personne – que Maxence détestait jusqu’à la méprise et dont il ne supportait pas la vision.

Et puis, fatalement, arriva le moment où il n’y eu plus grand-chose à fracasser.

Alors, Léon rejoignit le lit et s’y laissa tomber – chuter, aurait était plus approprié. Une étrange impression de vacuité l’assaillit alors, comme s’il avait épuisé tout ce qu’il lui restait d’énergie. Les ressors grincèrent sous son poids, comme pour répondre à ce qu’il ressentait intérieurement. Il était comme le sommier : usé, fatigué et vaincu par tous les poids qu’il avait fallu supporter. Mais il était toujours là. Alors, dans un soupire, il porta la bouteille à ses lèvres pour avaler une longue gorgée. L’alcool était bon marché, alors c’était surtout pour occuper ses mains – et son esprit - qui tremblaient encore que par envie de se décaper de nouveau l’œsophage. Il remarqua que la lumière était éteinte et que seul l’éclairage extérieur permettait d’y voir encore quelque chose. La lune étalait ses reflets bleutés, accrochant les éclats de verres et de bois qui s’éparpillaient au sol comme des petits morceaux d’étoiles. Il ne se rappelait pas avoir éteint. Il avait balancé tant de choses contre les murs que l’une d’entre elle avait peut-être percuté un interrupteur. Qu’est-ce qu’on en avait à foutre, de toute façon. Il soupira, baissant la tête lorsque son genou effleura la jambe de Jordane. S’il avait eu à peine conscience de la rejoindre, le geste n’était pas si hasardeux que ça en revanche. Elle était, il s’en rendait compte à présent, devenue la seule chose dans cette pièce qu’il n’avait pas vraiment eu envie d’exploser contre les murs.

« Ca va lui coûter cher en caution, » déclara-t-il simplement, la voix encore légèrement essoufflée de colère.

Toujours pas d’excuses, en revanche. Toujours pas de remerciement non plus. A la place, Léon fit tournoyer le reste de vodka dans le fond de la bouteille, lentement, comme s’il était capable de se diluer dans le mouvement hypnotisant du liquide qui tournoyait tout au fond. Siphonné. Il avait l’impression qu’on l’avait entièrement siphonné. Alors sans plus réfléchir, il se laissa glisser à son tour jusqu’au mur et s’y adossa de la même manière qu’elle. Epaule contre épaule, il inclina alors la bouteille dans sa direction tandis qu’il laissait reposer sa tête contre le mur. Et puis, d’une voix fatiguée, légèrement réchauffée par la colère et la vodka, il chuchota  :

« Et du coup, à partir de quelle heure on peut espérer que quelque chose de bon arrive ? »

( . )
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Léon Wargrave
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Léon Wargrave
Mer 24 Avr - 21:52
J’en ai connu, des cris, des coups, des pleurs et des râles. Je connais la menace contenue dans un regard.
J’ai eu tellement peur. J’ai tant tremblé face aux brouhahas de la colère. Me suis tant repliée quand il a fallu encaisser. J’ai tant claqué de portes et bouffé le silence de l’après. Quand les chiens de la peur fracassent vos côtes, qu’il ne reste plus rien dans l’atmosphère que la violence électrique. T’as beau t’éloigner du danger, ça te reste sous la peau.
C’est là. Ça ondule sous ma peau à chaque pas que je fais pour me rapprocher de lui et soutenir la brutalité de son regard. Ça irradie et pulse comme tant de bleus qui demeurent, qu’importent les soins de Maxence. Eux mettront du temps à disparaître. Ce que je ressens en m’approchant d’un homme en colère dans un hôtel miteux, ça passera jamais tout à fait.
Pas de naïveté de ma part, je connais ce regard. Je pourrais dire que c’est de la confiance en lui, de ne pas me prendre pour cible. Ou de la confiance en moi, d’être assez solide pour dévier ou encaisser si besoin. C’est ni l’un ni l’autre. Pourtant j’entre dans un champ que je sais personnel. Mais pas plus loin.
J’ai entendu. Sa colère dans mon dos.
Je vois. La brutalité de son regard face à moi.
Je sais. Que j’outrepasse ma position. Son espace.

Mais je fais tout ça à la fois, sans trembler, quand je plonge dans son regard de TNT. J’observe une seconde ces lèvres qui me traitaient de menteuse, quand j’affirmais ne pas être suicidaire. Puis me décide à lui confier alcool et armes. J’y glisse ma présence surtout. Dans cet espace ondoyant de fureur. J’y appose mes ruptures passées, mes débordements, mes traumas et mon mal-être.
Je demeure, car je connais la couleur de la solitude.
Je reste, parce que je sais la morsure qui pousse à haïr ceux qu’on aime.

J’insiste, peut être parce que j’aime ça. J’aime cet espace où chacun de ses souffles se craquelle en menaces, où l’air devient si épais qu’il suffirait que deux électrons se percutent pour créer le chaos. J’aime ce trop plein d’émotions qu’il me gerberait à la gueule si une seule de ses digues cédait. J’aime cette impression instable que tout est si brutal entre ces quatre murs que rien n’existe plus à l’extérieur. Qu’aucune autre minute ne compte que celle-ci.
C’est pas très beau comme sensation, mais elle prédomine pourtant.

Ça l’est pas plus que le frisson malsain qui passe en moi quand je surprend son regard. La même sensation braque qui me mordait le bas ventre et échauffait ma peau dans l’arène.

Alors mon regard lèche un instant ces éclats de bronze qui cuivrent son regard. Les inflexions de sa peau quand ses muscles tirent pour retenir tout ce qui explose déjà à l’intérieur. Ça ne dure qu’une seconde, un moment éphémère qui accélère soudainement le temps. Puis le moment de bascule. L’allumette qu’on craque. Le trop plein qui déborde. Il s’est mis en mouvement comme un automate, m’a dépassée et j’ai à peine senti la crispation réflexe de mes muscles. J’y suis pas. Ailleurs. Déconnectée. Dissociation. Un bien grand mot quand il s’agit de soi.

Puis le premier impact. J’ai un sursaut. Un second et mon corps suit. A chaque crispation soudaine, la douleur pulse sous la surface, alors je me retourne et fait face à la bourrasque qui foudroie le mur à quelques mètres de moi. J’y vois Sixten. J’y vois ma sœur. J’y vois tant de silhouettes informes plus ou moins musclées, plus ou moins dangereuses, plus ou moins distinctes. Je vois toute la rage passée qui parfois, ne se contentait pas des murs.
La peur reflue, dès la seconde où je m’attarde sur ces yeux qui ne voient plus qu’une porte close. Celle-ci tremble et il en fait de même. Il n’est que tensions. Des muscles du cou à ceux des cuisses qui se contractent à chaque impact pour donner plus de force à ces grondements qui s’échappent de lui. Si Maxence était là, éclaterait-il sous les coups ? Si cette porte finissait par céder, Léon fondrait-il sur lui pour fracasser chacune de ses peines contre son être de marbre ?
Sur le mur, passent tour à tour chacune des fioles abandonnées là. Pulvérisées sur l’autel d’une année en enfer. Sur le billot des deuils arbitraires. Enterrées dans le vacarme du silence.
J’inspire.
Je crois que j’ai toujours aimé la colère, puisqu’on m’a appris le calme.

J’ai menti. J’me suis toujours détruite, moi. Aucune chambre n’a subi ce sort de mes poings. Pourtant en m’asseyant, j’imagine ce que ce serait, d’être du côté de celui qui explose pour une fois. Si j’avais hurlé, moi, plutôt que Suzie, à la sortie de l’école quand rien n’allait. Si j’avais explosé à la mort de maman. Au départ de mon père. Si j’en avais balancé plus d’un, de ces verres que j’ai confié à la gamine quand il a fallu lui arracher ces émotions qu’elle ne lâchait pas. Si j’avais frappé, moi, à la place de Sixten. Ou de ce gars, à l’hôtel, pas si loin d’ici. Ou en Russie, quand j’étais “qu’une d’entre elles”. Et si j’avais été celle qui perdait pied, avec Kezabel, il se serait passé quoi ? Si Dorofei s’était éclaté sous mes poings et non l’inverse ? Il aurait fait quoi, Lex, si c’était moi qui l’avait mitraillé de reproches ? Ça ferait quoi, hein ? D’exploser ?
Mon dos se cale contre le mur et mes talons s’encrent dans le matelas. J’inspire, me sens flottante.
Je crois que j’admire ça. Ce lâcher prise.
D’un coup de baguette, j’entoure mon corps et le sien d’un protego muet quand une nouvelle fiole explose. Puis la range et reste à ma contemplation du chaos. Je pourrais m’y plonger jusqu’à me perdre tant sa fureur assassine me fascine. Tant ses plaies ouvertes font vibrer en moi ce que j’aurais aimé vomir depuis longtemps.

Là encore, j’ai menti. J’ai déjà fracassé une chambre. J’en ai aucun souvenir. La gueule de bois a été carabinée, le down qui a suivi tout autant.

C’est peut être égoïste ce que j’ai fait. J’ai peut être pas sorti Maxence pour lui empêcher de dire l’irréparable. Pour arrêter Léon avant qu’il ne brise à coup de poings les derniers fragments de leur relation.

Une seconde, je ferme les paupières. Quand je les rouvre, Léon s’est arrêté. Le silence a toujours eu ça d’inquiétant qu’il est impossible de savoir où se trouve l’autre. Ce qu’il fait. Ainsi dans l’entre-deux durant lequel mes paupières se sont ouvertes, j’ai eu l’image d’une silhouette prête à se pencher sur moi. Un frisson d’angoisse, le cœur qui pulse trop fort. Puis Léon est retombé assis. Véritable poupée de chiffon qui se laisse tomber sur le matelas, assez distant pour que l’illusion tatouée sur mes paupières n’ait pas de sens. Assez près aussi, pour que j’en ai le cœur qui se serre.
Il ne me voit pas pourtant. Le regard braqué quelque part vers le frigo, là où il n’a pris aucune autre bouteille à balancer, pas plus qu’il n’a touché au petit sac de cuir limé.
Les épaules basses, les cuisses nues écartées sur la bouteille qu’il fini par porter à ses lèvres. L’âme en vrac. Épuisé. Le down. Pas besoin d’une dose pour ça. Un soupir écrase le poids de la fatigue sur le haut de son dos qui ploie. Des vertèbres jusqu’au crâne, la tête bascule vers l’avant et son genou en fait autant jusqu’à toucher ma jambe. Peut être se rappelle-t-il ma présence. Peut être ne l’a-t-il jamais oubliée.
« Ca va lui coûter cher en caution, »
J’esquisse un sourire mais ne répond pas. J’entends la demande. Ne comptais pas faire autrement.
Quelques instants plus tard, le voilà m’avoir rejointe, son dos contre le mur, les jambes nues étalées devant nous. Son épaule contre la mienne.
Seuls face au carnage.
Et seuls face au carnage, il bascule la bouteille pour me l’adresser.

« Et du coup, à partir de quelle heure on peut espérer que quelque chose de bon arrive ? »

Seul un chuchotement porte sa voix. J’ai pourtant l’impression que le brouhaha n’est pas si loin mais que ce murmure confine à l’intime. A nouveau. Comme chaque fois. Peut être baisser le ton permet-il de maintenir le chaos à distance.
La bouteille passe d’une main à l’autre et son contenu ne tarde pas à me brûler la gorge. Tous les nerfs à vifs semblent se crisper comme des doigts à l’intérieur de mon organisme et j’écrase une grimace sur le goulot avant d’en avaler une nouvelle gorgée. Puis mon crâne bascule à son tour contre le mur en miroir avec Léon.

- Tout dépend de la programmation télé et de l’heure à laquelle passe Alien. La blague de cul était à portée. Elle vient pas. Je laisse glisser un ongle contre le verre de la bouteille puis la lui rend. Enfin encore faut-il avoir une télé. Mon regard s’abîme vers l’écran noir. Un temps, puis son prolongement. Et encore un moment. Alors seulement je ramène mon attention vers lui. Vers cette pommette encore rouge du sang qui l’a maculée. Ses mâchoires entre la crispation et l’abandon total. Ces cernes qui tirent le brun de son regard vers le bas. Les poils épars mal rasés. La mimique butée qui, soutenue par son nez en trompette seraient plus aisément calquées sur le visage d’un enfant. Mais rien sur cette peau blafarde n’évoque réellement le gosse qu’il a dû être à un moment donné. C’est sans doute pour ça que je le vois. Toute l’injustice du monde réduite à un nez retroussé et à quelques grains de beauté. C’est l’seul truc que je sais pas réparer ici. Congrats, tu l’as épargné. Et tandis qu’il manque de finir le contenu de la bouteille, je la lui récupère d’entre les doigts et l’achève à sa place. Puis dans un élan de force dont je n’étais pas certaine d’être capable, j’envoie valser le cadavre de verre droit vers l’écran.
- S’il paye pas, je préconise un hôtel basket..
C’est con. Il y avait peut être Alien à la télé.
A nous dévisager, l’écran crache quelques gerbes électriques et après un instant d’hésitation, fini par tomber au sol.
Je suis pas de celles qui balayent la colère. Ça c’est ton frère.
Mon dos se cale de nouveau contre le mur, et mon épaule sur la sienne. Je ferme un instant les paupières. La douleur est là, sourde à chaque mouvement, contenue dans un écrin de magie qui empêche mes côtes de bouger mais n’épargne pas les tissus lésés tout autour. De quoi rappeler à mon organisme qu’il n’est pas censé danser la gigue toute la nuit. Pas envie. Pas plus que d’un énième sprint.

- Il parait que j’ai des amis alors… ma voix me surprend, et je me rend compte avoir murmuré la première phrase, puis énoncé plus fort les trois suivantes, et abaisser de nouveau le ton pour cette dernière. Je poursuis malgré tout, en détachant le regard des fils qui pendent du mur, des tâches et du placo enfoncé. De nouveau, je le ramène sur sa joue d’abord, puis avec un temps de retard, à ses yeux. … Je vais copier l’un d’eux. Attend prépares-toi, c’est technique comme truc .. Un sourire amusé s’esquisse et la douceur soutient finalement le sérieux que j’aborde. A rebours de mes propres habitudes : Tu veux en parler ?

Un tips à la Ryans, on tente des trucs.
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Jordane Suzie Brooks
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Jordane Suzie Brooks
Sam 27 Avr - 23:39
« Et du coup, à partir de quelle heure on peut espérer que quelque chose de bon arrive ? »  
- Tout dépend de la programmation télé et de l’heure à laquelle passe Alien rétorqua-t-elle en lui arrachant un éclat de rire un rien blasé et aussi vite étouffé.Enfin encore faut-il avoir une télé. »

De son ongle, il entreprit de triturer l’étiquette de la bouteille, comme pour chercher à la décoller - non sans ignorer  le regard tout aussi adhésif qu’elle posait sur lui. Méthodiquement, il gratta la surface en verre, avec un air si concentré sur le visage que l’acte en lui même paraissait être d’une complexité démesurée. Tout était surtout bon à prendre. Tout, donc, plutôt que de songer que cette même main dont il abîmait à présent les ongles s’était écrasée contre la joue de son frère. Ni que la jumelle de la bouteille s’était elle-même éclatée contre la porte. Et encore moins à leurs âmes en peine qui s’étaient fracassées l’une contre l’autre sur l’autel de leurs incompréhensions. Et comme l’étiquette lui résistait, que son regard à elle devenait trop lourd et qu’il n’avait plus le moindre gramme de patience, ni de courage, Léon abandonna. A la place, il porta plutôt la vodka à ses lèvres, bien décidé à remplir son vide intérieur par quelque chose de plus consistant que la solitude et de moins enivrant que ses perles de givres.

« C’est l’seul truc que je sais pas réparer ici, avorta-t-elle déloyalement son geste en lui piquant des doigts sa seule distraction ce qui attira comme du bon miel les yeux de Léon vers son visage. Congrats, tu l’as épargnée. »

A part nous deux, tu veux dire ? songea-t-il très fatalement en la regardant jalousement finir d’un seul trait le reste d’alcool sans lui en laisser la moindre goutte. Quelle emmerdeuse. Zéro virgule sept secondes après, elle envoyait valser le cadavre de verre contre la télé, qu’il avait sans doute épargnée en bon américain pur souche qu’il l’était. Dans son mouvement, les coins de son tee-shirt avaient encore glissé le long de son épaule, laissant de nouveau entrevoir sa peau de porcelaine de la naissance de ses clavicules jusqu’à son cou. Et si le regard de Léon s’y attarda encore une seconde de trop, personne n’en fut de toute façon témoin.

« S’il paye pas, je préconise un hôtel basket… fut son seul commentaire alors qu’elle se reculait de nouveau contre le mur.
- Oh, pas d’inquiétude. Il payera. Maxence fait toujours ce qu’il faut, non ?» railla-t-il avec humeur alors qu’elle collait à nouveau son épaule contre la sienne.

Question purement rhétorique, évidemment. Mais dans sa bouche, le compliment claqua comme une insulte. C’était enfantin – sûrement – et puérile – assurément - mais Léon avait abandonné toute idée de rapprochement concernant son frère pour le reste de la soirée – et peut-être même pour le reste de la décennie. Ils ne se comprenaient pas – si tant est qu’ils se soient même compris un jour. Alors, Maxence payerait. L’hôtel, la caution, un appartement, qu’importe, il trouverait un boulot – il l’avait dit - offrirait sa chemise – à la coupe toujours proprette, que Léon détestait par principe -  partagerait sa nourriture et lui offrirait peut-être même celle qui dormait dans son lit si tant est que son petit frère ne lui prouve par A plus B que la réconciliation passerait par là. Il en rajoutait ? Si peu, en définitive. Maxence avait toujours été aussi prévisible que la chute d’un mauvais polar. Tout comme l’était celle de la télévision, qui après avoir vaguement agonisé dans un concert d’étincelles, s’écrasa brutalement au sol.

Il s’esclaffa de nouveau devant le pathos de la situation Pas qu’il y ait vraiment de quoi rire, pourtant. Mais il n’avait plus de larmes à sacrifier. Et alors qu’ils se réinstallaient un peu mieux sur le matelas, il tourna sa tête vers la sienne Elle avait fermé les yeux. Pas très longtemps. Mais suffisamment pour que ses traits se détendent le temps d’une respiration. A celle d’après, Léon avait à son tour fermé les siens. Peut-être que c’était la télévision, la plus avisée d’eux trois. Peut-être était-il temps de lâcher prise.

« Il parait que j’ai des amis alors…» le surprit-elle alors qu’il était à deux doigts de songer à dormir.

Elle avait dit ça avec toute l’incertitude de ceux qui craignaient que cela ne soit du vent. L’amitié.  A nouveau, comme dans le monte-charge, la barrière lui sembla s’éroder. Ce fut suffisamment fragile pour qu’il ne rouvre donc les yeux pour fixer droit devant lui, dans le vague. Elle n’avait pas besoin d’en dire énormément plus pour que Léon ne ressente à nouveau son passé : elle avait vécu dans la rue. Et elle y avait laissé, comme lui, bien des choses qu’elle ne récupérerait jamais. Les bas fonds étaient avares : ils prenaient tout et ne rendaient presque rien. Pire : on y apprenait qu’avoir encore quelque chose, c’était simplement posséder un bien supplémentaire à perdre. Que les relations avec les autres étaient comme des cordes qui entravaient. Que l’amour était le pire des nœuds coulants. A force, on finissait par y croire tout à fait. Par devoir y croire. Et de cette religion du silence, évangélisée dans les dédales miteux des squats, Léon en était à présent le fidèle servant.

«… Je vais copier l’un d’eux, reprit-t-elle et Léon eut l’impression étrange qu’elle s’effaçait, regagnant des rives qu’il ne serait jamais capable de rejoindre.

Peut-être qu’elle avait réussi à sortir un peu de la secte, à entrevoir le monde extérieur et à s’y bâtir quelques temples sécurisés pour supporter le reste de ses insécurités. Quelque chose enfla dans sa gorge, lui coupant peu à peu la respiration à mesure qu’elle continuait à s’enfuir dans un endroit où il ne savait plus nager.

« Attend prépares-toi, c’est technique comme truc ...» tenta-t-elle d’ironiser et, pour l’effort, Léon tourna la tête vers la sienne.

Ses lèvres à elle dessinèrent un sourire, lequel glissa sur son visage comme quelque chose de précieux. Très égoïstement, il se demanda en pinçant les siennes combien d’années il valait, ce sourire. Combien de déceptions il lui avait coûté et quel était le prix exact de la confiance retrouvée en les autres. Juste pour mesurer l’étendue de la fortune qu’il lui faudrait amasser pour réussir à se l’offrir de nouveau.  
 
« Tu veux en parler ? »  lui demanda-t-elle alors.

Pendant quelques secondes, il se contenta de la regarder comme si elle venait subitement de se lever et de se mettre à danser un tango en équilibre sur le mini-réfrigérateur. Et puis, il détourna de nouveau le regard pour cribler de sa douleur la porte de la chambre. Question banale, entendue une centaine de fois dans une autre vie. Question ouverte, aussi, dans laquelle il aurait pu y mettre ce qu’il voulait sans réelle obligation de confier l’essentiel. Mais elle lui apparaissait surtout comme un trou béant et sans fond, prêt à l’engloutir, le broyer et le digérer.

Et ça le terrifia.

« De tes amis ?  détourna-t-il alors le sujet pour se laisser du temps, continuant de fixer la porte derrière laquelle Maxence avait disparu. S’ils ne sont pas pires que ceux de mon frère, concéda-t-il tournant la tête pour chercher son regard et s’y amarrer, pourquoi pas. Et de chuchoter. Les derniers qui se sont présentés comme tels n’en étaient pas vraiment. C’est pour ça... que j’ai voulu te tuer, avoua-t-il de but en blanc. Les amis de Maxence, jusqu’à toi, ça ne m’avait pas franchement réussi, tu vois, souria-t-il avec tristesse.

Puis, il bascula de nouveau la tête contre le mur pour fixer le plafond. Un soupire. Puis un deuxième et il se laissa glisser contre le mur jusqu’en position allongée, comme s’il se coulait dans l’eau d’un bon bain. L’air lui paraissait pourtant aussi froid que ses souvenirs n’affluaient. Alors, il roula sur le côté, en chien de fusil, passant un bras sous sa tête et laissant son autre main entre Jordane et lui alors qu’il la regardait en contre-plongée.

Il l’observa longuement, essayant de trouver par quels fils il conviendrait de commencer pour que toute la laine de la pelote ne se déroule avec fluidité. Sans succès. Il lui offrit donc la seule confession qui lui paru avoir du sens.

« Ils...me manquent tellement, c’est atroce, » murmura-t-il alors, aussi simplement que cela lui avait été si difficile à lâcher depuis des mois.

( :orage: )
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Léon Wargrave
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Léon Wargrave
Dim 28 Avr - 11:04
- Oh, pas d’inquiétude. Il payera. Maxence fait toujours ce qu’il faut, non ?»
- Pas toujours.

Ça tombe en pierre avec autant de maussaderie qu’il est railleur. Il y a dans ses mots tant de reproches que je devrais peut être avoir la douceur d’arrondir les angles. Le ressentiment jailli pourtant en bile dans ma gorge. C’est pas juste. C’est même pas vrai et surtout, ça me choque au corps et à la gueule comme un truc que j’avais pas vu venir. Cette colère est absurde, je le sais. Sans doute nourrie par celle du frère blessé et à bout de nerf qui vide ses dernières forces à côté de moi. Illusoire même. J’ai besoin de quelqu’un à haïr. J’ai toujours eu besoin d’un coupable dans la vie. Besoin d’une impulsion, d’un grondement de rage, d’un truc pour survivre. Quitte à ce que l’incarnation du mal prenne la forme d’un père, d’un ami ou d’un infirmier qui n’a rien demandé à personne. Qui a fait son job et malheureusement, cette fois-là, n’a pas ramené l’être aimé.
Sauf que je me fous qu’il soit arrivé trop tard, je me fous qu’il n’y ait rien eu de plus à faire ce jour là.
T’aurais dû le ramener.
Ya juste une petite gamine qui répète ça depuis ses quatorze ans.
Ils auraient dû rentrer.

Là encore la pensée est égoïste. Elle n’est pas soignée, surtout. Elle suinte toujours autant qu’au premier jour et me surprend par sa prégnance. Elle m’écrase les côtes et la gorge et supplie de passer à autre chose. De pas y penser.
D’oublier les tombes sur lesquelles je suis allée deux fois dans ma vie. La première pour la mise en terre. La seconde par faiblesse. Jamais plus de deux.

C’est peut être de la connerie de proposer de parler. Il ne l’attendait pas, ça c’est certain. Mais tu sais quoi ? Moi non plus. Alors l’un dans l’autre, ça équilibre les charges. Pourtant ça vient comme ça, sans forcer. Je sais que ça plaît pas forcément, j’ouvrirai une porte de sortie si besoin. J’y calerai des conneries, nourrirait ce sourire qu’il perd chaque fois et retrouve pourtant. Un élan de survie que je connais bien. Bien trop sans doute.
Je pourrais reculer, avorter ma question. J’observe pourtant les nuances ocres dans son regard. Les automnes envolés. La lasure sur le porche de son enfance. La cannelle des soirées d’hiver qu’il ne verra plus jamais. Le café du matin, qu’on sent avant même de descendre de sa chambre.
Ou peut être vois-je les miens. Mes ravines. L’argent des vagues au matin. Les journées d’orage. Les éclats de givre au réveil. L’ether azuré de l’océan en plein après midi.

« De tes amis ?   Il détourne le sujet, à l’instant même où j’allais le faire, soudainement consciente de ce qu’Enzo a pu voir, chaque fois qu’il s’aventurait sur ces terres désolées dans lesquelles je ne laisse personne entrer. J’ai un sourire donc, déjà prête à dire des conneries, trop consciente du regard porté aux débris noyés par la pénombre. S’ils ne sont pas pires que ceux de mon frère,   Il retrouve mes yeux et j’ai un soudain doute. A parler ainsi d’amis, comme si j’avais la même place dans leur vie que n’importe qui en donnerait à celui qu’il nomme ainsi. Égoïste comme pensée là encore. pourquoi pas.  C’est de la rouille que t’as dans le regard… La pensée survient et remplace la première. Puis il chuchote. Les derniers qui se sont présentés comme tels n’en étaient pas vraiment. C’est pour ça... que j’ai voulu te tuer L’aveu me scie d’un frisson électrique. Je revois toute la rage, la fêlure au moment où il a décidé de foutre en l’air ses chances quitte à me planter au passage. Je revois la silhouette ancrée dans le sable, immobile quand le monde basculait, une large poigne écrasant ma gorge. Je revois son corps sur moi. La sensation de ses mains. Le frisson se poursuit. Crasse. Poisseux.
T’as l’air plus doué que moi pour faire face.
Les amis de Maxence, jusqu’à toi, ça ne m’avait pas franchement réussi, tu vois

Un battement de cœur et je réalise avoir suspendu ma respiration.
Il bascule le crâne en arrière et fixe le plafond. T’as combien de larmes contenus dans tes hurlements ? Combien de cris que t’a plus la force de cracher ?
Quand je le vois couler le long du mur jusqu’à s’allonger comme un enfant épuisé, j’ai du mal à ne pas songer que durant ces deux dernières semaines, j’ai décidé de bosser pleinement avec un type qui a bien failli me tuer à notre première rencontre, et suis dans un lit avec un second.
Sans doute le moment de m’interroger sur mes choix de vie.

Pourtant je l’observe en silence et ne commente pas. Je réalise, je crois, après coup, ce qu’il vient de révéler.
C’est comme ça qu’ils vous ont eu ? A se faire passer pour des amis de Maxence ? Une pensée va vers Alec et son angoisse qu’on en fasse de même avec lui et ses proches. Moi, par ricochet. Comme le rappel intenable d’une déclaration d’amour que j’aurais fait bien malgré moi : Il parait que j’ai des amis.

Je crois que j’essaye de me représenter ce que ça fait. Puis je songe à tous ces noms inscrits sur le mur de l’éternel. Toutes ces tombes que je ne fleurirais jamais. Et j’me sens échouée, sur ce matelas piqueté. A la dérive. Assez perdue même pour trouver trouver dans le fond de mes tripes un élan d’affection pour ce mec qui m’observe sans mot dire, allongé en chien de fusil contre moi. Et dont je pourrais encore sentir les doigts sur ma trachée.
Mon crâne retombe au mur.
Chacun sa définition de la normalité je suppose.

Un instant encore, je lui rend son regard puis relève le mien vers le petit sac limé sur le meuble du fond ; avant de le rabattre vers la chambre détruite.

Si le silence est d’or, le nôtre est de rouille.

« Ils...me manquent tellement, c’est atroce, »

La surprise me chope dans un coton ouaté. J’arrondis le regard une seconde, avant de laisser ces mots glisser sur mon épuisement. Je sens mes traits tirés, les bleus qui pulsent, mes côtes qui chauffent, ma gorge râpée, la douleur qui irradie de partout. Et pourtant un calme comateux qui étale ses tentacules sur tout mon être.
J’abaisse mon regard de nouveau pour le considérer un moment.
Puis je ferme les yeux et ramène le regard vers la pénombre.

- Je comprends ça...

J’inspire, soupire à mon tour, puis laisse mon bassin s’enfoncer un peu plus dans le matelas, les épaules à plat sur le mur, le dos rond. J’ai mal. Ça tire sur les côtes pour me rappeler de ne pas en faire plus. Mais je n’appuie pas davantage et la douleur se calme. Mes yeux se ferment un instant avant de les rouvrir sur mes genoux que je rabats vers moi sans songer à m’allonger à mon tour.

- C’est pas mon pote. Ton frère. Mais contente si ça te réussi. Tu seras bien le premier.

Puis dans les ombres mouvantes, je dessine des histoires qui ne sont pas toujours les miennes. Des familles détruites, des gens laissés pour compte. Des gamins qui se déchirent plutôt que de s’aimer. Des poings qu’on lève pour ne pas s’écrouler.
Plusieurs fois, j’ai les paupières qui s’abaissent. Plusieurs fois, elles restent fermées une seconde trop longtemps. De ces secondes qui pourraient être des heures, si tant est qu’un réveil menace quelque part.
Je dors pas.
Seule et unique règle dans une chambre : tu dors pas. Avec qui que ce soit.
Pourtant dans les ombres, entre chaque ouverture de paupières, la douceur d’un toucher me rattrape. Les rires d’une brunette, sa peau sur la mienne, la manière absurde avec laquelle j’ai fini par me laisser couler un jour dans ses draps. Un peu comme dans un bain chaud. Un putain de bain chaud dont j’ai pas eu envie de sortir.
Et j’ai froid soudainement.

Puisque ses bras ne sont plus là, que j’ai dans la gorge des épines et des pieux dans la cage thoracique, je rouvre les paupières et contemple les ombres. Une minute. Dix. Une heure. Deux. Aucune idée. Sans doute cinq minutes. Je ne dors pas. Je dors jamais. Mon regard tombe sur Léon comme pour me rappeler de sa présence. Sur la peau abîmée, les cheveux en vrac et le mouvement lent de sa respiration. Puis les ombres de nouveau, et les paupières qui se rabattent. Qui se meuvent et se dessinent.
Qui sculptent des vagues dans la pénombre. Des remous. Des souffles.
Des silhouettes.
Qui grandissent et se rapprochent.
Se penchent.

J’ouvre les yeux, la boule au ventre. Le cœur qui frappe les côtes. Incapable de bouger. Incapable d’esquisser ne serait-ce que le début d’un geste tant je me sens de marbre, givrée dans un carcan trop rigide pour moi. Ya rien. J’ai l’habitude. On respire. Mes yeux s’ouvrent. N’étaient-ils pas déjà ouverts ? Respirer. Mon regard s’en prend aux contours de la pièce, réaligne le présent, retrouve les surfaces pourtant peu familières. La fenêtre à droite, la table en face, la télé fracassée, le mini-frigo à gauche, la porte de la salle de bain et le corps endormi de celui qui n’a plus tout à fait grand chose d’un inconnu, immobile contre moi. Le sac. Le sac est là. La baguette quelque part sur ma cuisse, dans la poche de coton.
Les draps froissés, les éclats de verre, les fioles brisées, le… Mon corps se tend brutalement et sort de sa léthargie, pas tout à fait certaine d’avoir véritablement balayé la pièce du regard tant je bascule d’un coup dans la réalité. La silhouette en face, assise au sol, se redresse aussi brutalement que moi et je comprends qu’en sursautant, la main déjà partie vers la sensation rassurante d’une baguette sous le bout de mes doigts… j’ai surtout réveillé tout le monde.

Léon, à côté de moi. Maxence, assis au sol entre les débris de verre, entré je ne sais pas quand et tout autant à moitié endormi que nous. Et le calme péniblement acquis que j’ai fait valser en éclat.
Je.
Ne dors.
Pas avec qui que ce soit.

C’est si compliqué ça Jordane ?

Le cœur qui bat à tout rompre me foudroie les côtes quand je me redresse, forcée de me défaire de cette position absurde qui me comprime les chairs. Je gronde de douleur, râle, grogne, accuse Maxence d’un regard lourd et ignore ses quelques mots pâteux pour me rassurer.
Ta gueule… J’ai pas eu peur.
Un regard sur ma montre et l’abandon de la baguette. 4h47. Deux heures qu’on a sombré.

- P’tain le plan à trois cringe va falloir envisager d’y mettre fin là les gars…
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Jordane Suzie Brooks
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Jordane Suzie Brooks
Mar 30 Avr - 23:10
(Musique ici)

Il n’avait pas pu les pleurer correctement.
Il n’avait pas pu les raconter correctement non plus.

A la place, il s’était crée une armure dans les forges de cette vie - sa vie - qu’il refusait de perdre. Et puis il l’avait enfilée pour se défendre de tout, quitte à y devenir prisonnier au moins un peu. Mais dans cette chambre, Léon avait l’impression qu’elle se fendillait de partout, cette carapace, menaçant de le laisser complètement à nu et vulnérable. La sensation était désagréable et douloureuse, mais étrangement apaisante. Peut-être parce qu’il n’était pas seul, peut-être parce qu’elle lui donnait l’impression de savoir écouter sans forcer. Sans doute, aussi, parce qu’il avait besoin de parler d’eux, puisque c’était la seule manière pour qu’ils survivent encore un peu. Alors, il lui avait concédé des bribes, juste murmurées du bout des lèvres, entrecoupées de mention au présent pour réussir à achever des phrases trop longtemps tues. La manière dont ils étaient entrés dans leur maison, les raccourcis qu’il avait pris dans l’arène. Sa culpabilité. Sa douleur.

Le vide et le trop plein.
Il avait glissé le long du lit.

Il fallait s’y habituer. A la sensation oppressante et suffocante de l’absence. Léon avait l’impression qu’on avait enfoncé une main glacée dans son thorax et que des doigts givrés lui broyaient le coeur avec une lenteur agonisante avant de le relâcher. Et puis de recommencer. Penser à ses parents, c’était comme ouvrir la boîte de Pandore à une ribambelle d’émotions auxquelles il n’était absolument pas prêt de faire face. Et pourtant, en confessant le manque, il savait avoir légèrement desserré le carcan de la colère dans lequel il avait mis sous camisole les évènements. Il avait toujours eu l’impression ténue qu’il suffirait qu’il s’épanche un peu, juste un tout petit peu plus pour que les vannes ne s’ouvrent tout à fait. Fuir le danger, en un sens, cela lui avait donné un but et une destination. Mais on ne pouvait pas fuir la peine : il n’y avait aucun endroit dans lequel disparaître où la tristesse ne saurait retrouver sa proie. Elle était juste là, tout contre sa peau, calcifiée dans ses os, comme une substance sirupeuse que l’on aurait étalée sur son âme entière. Alors, il se recroquevilla un peu plus, comme s’il fallait se protéger pour mieux endurer la dure réalité, celle où le deuil perdurait sous les non-dits et la trop longue durée de sa fuite. Celle dans laquelle il avait tout perdu, y compris le droit de faire correctement son deuil. Lorsqu’il avait eu l’impression de s’enfoncer dans un puits de douleur, il n’avait reçu aucune aide : il n’y avait pas eu d’amis, de proches, de voisins, de simples connaissances pour se pencher au dessus de lui, pour tendre des perches de réconforts et lui descendre des échelles qu’il aurait sans doute refusées, mais gravit pourtant un jour à force d’encouragement. Il n’y avait pas eu de discours tout faits pour mettre en mot ce qu’il n’aurait jamais réussi à dire, pas eu non plus de serrement dans les bras pour l’emplir d’autre chose que de l’absence. Il n’y avait rien eu d’autre que la peur, vite remplacée par le farouche instinct de survie bien trop gourmand en énergie pour qu’il ne se consacre à autre chose.

« Je comprends ça… » murmura-t-elle d’ailleurs, comme un écho au ressac de ses pensées.

Sa voix lui avait semblé glisser sur un océan de douleur – le sien, le leur. Et comme pour son passif avec la rue, Léon entendit dans les trois simples mots qu’elle prononça tout ce qu’elle n’avait pas besoin de dire : l’absence. D’un frère, d’une sœur, d’un père, d’une mère, d’amis : d’un cocktail de plusieurs, peut-être, mais surtout d’un verre qui semblait déborder. Il n’aurait pas su dire exactement, mais cela n’était pas si important en définitive. Juste restait l’absence, la douloureuse et insupportable absence, celle qui accueillait chaque réveil et qui bordait chacune des trop courtes nuits. Alors il releva légèrement sa tête vers elle, l’observant dans la pénombre bleutée de la chambre. Ses grands yeux clairs fixaient à présent le vague et Léon devina qu’elle venait de plonger dans un passé moucheté de souvenirs douloureux. C’était presque imperceptible, néanmoins : à peine un discret pli sur le front et un léger tremblement de sa lèvre, que l’on pourrait tout aussi bien attribuer à la fatigue. Rien de plus. Rien de moins. A croire que son armure à elle avait bien moins de failles que la sienne en cette soirée. Alors, elle ne dit rien d’autre et lui non plus. Dans une autre vie, une existence où ils n’auraient pas été brisés et si fatigués, où les bleus n’auraient pas eu des histoires aussi tragiques ni encore plus coupables, sans doute Léon aurait tendu une main vers la sienne. Elle l’aurait peut-être même acceptée, dans une histoire différente. Et s’il n’en fit rien, leurs vies entremêlées lui semblèrent un instant s’effleurer.

Et s’ils ne se touchaient pas physiquement, Léon eu pourtant l’impression d’avoir un peu moins froid.

« C’est pas mon pote, se sentit-elle le besoin de préciser ensuite, d’une voix qui frôla Léon et lui arracha un sourire qu’il étouffa contre le drap sous sa joue. Ca sentait la lessive. Ou bien les fruits. Peut-être le lichie, d’ailleurs . Ton frère.
- Hm, » acquiesca-t-il alors que ses yeux se fermaient déjà un peu.

Un peu.

Il se sentait un peu moins glacé, un peu moins affamé, un peu moins douloureux, un peu moins en colère, un peu moins effrayé. Un peu moins seul, surtout. Alors, tout, tout doucement, Léon eut l’impression que son corps s’enfonçait dans le matelas au même titre que son esprit s’échouait quelque part entre le bruit de la respiration de Jordane et ses mouvements le long des draps alors qu'elle changeait d’appuis. Cela n’était pas grand-chose, mais c’était pourtant bien plus que ce qu’il avait eu depuis de longs mois. Même à distance, il pouvait sentir la présence de son corps, chaud et vivant, à quelques centimètres et son être s’en abreuva comme une plante assoiffée larguée en plein désert. Et si elle ne parlait plus, il percevait toujours le soulèvement discret de sa cage thoracique lorsqu’elle inspirait, la légère tension de son corps lorsqu’elle réajustait sa position contre le mur, le bruissement de l’air lorsqu’elle soupirait et les frôlements de ses cheveux contre la tapisserie quand sa tête roulait traitement vers-lui avant qu’elle ne gagne son combat contre le sommeil. Et si elle luttait vaillamment contre Morphée, lui avait déposé les armes et déclaré forfait sans état d’âme. Il s’entendit même lui conseiller de s’allonger. Puis, il comprit que les mots étaient restés des pensées ponctuées de brumes. L’instant d’après, il avait déjà oublié comment transformer les mots en phrases et jusqu’à la manière d’utiliser ses cordes vocales. Il glissait dans la torpeur, rouvrant ponctuellement ses yeux, seulement pour constater que rien n’avait changé. Hormis les reflets bleutées de la Lune, qui marbraient la peau de la jeune femme de façon différente, comme si un peintre s’était amusé à la nervurer de ses pinceaux irisés de poussière d’étoiles. Il se trouva aussi absurde qu’elle n’était jolie. Puis, les secondes devinrent des minutes et ses pensées lui parurent peser lourd, bien trop lourd pour qu’il ne puisse les suivre. Alors, il les laissa s’égarer et prendre leur envol. Et comme si c’était le signal que son esprit harassé recherchait,  il s’endormit tout à fait dans un sommeil sans rêves.

Un brusque sursaut le tira de sa léthargie.

Et, preuve s’il en fallait encore une qu’il avait sombré bien profondément, Léon eut bien du mal à réellement émerger. Les traits encore groggy, il cligna plusieurs fois des paupières avant de relever la tête pour faire un état des lieux de la situation. Ensommeillés, ses yeux gorgés de larmes de fatigue firent la navette entre Jordane et Maxence et conclurent rapidement en l’absence de danger immédiat – ce qui était une bonne chose, étant donné qu’il était toujours allongé et qu’il n’avait plus le moindre millilitre d’adrénaline en stock dans son organisme. Cela faisait des mois qu’il n’avait pas réellement dormi, aussi lui fallu-t-il quelques secondes pour réaligner correctement les neurones et les planètes, puis pour conjuguer correctement les différents évènements de la nuit. Un millième de seconde fut néanmoins suffisant pour que son visage détendu ne retrouve la dureté qui était maintenant la sienne. Et une fraction de seconde aussi pour comprendre qu’il avait lâché prise, vraiment lâché prise, à tel point que ses réflexes acquis par plus d’une année dans la rue semblaient l’avoir tout bonnement lâché. S’il y avait vraiment eu besoin de se défendre, il n’en aurait tout simplement pas été capable. Alors, il vrilla son bassin – il avait glissé sur le ventre il ne savait quand durant son sommeil – et poussa sur son bras pour se redresser avant de s’installer au bord du lit, jambes au sol, les coudes sur les genoux et le visage dans ses mains pour tâcher de se réveiller. Dans son dos, il entendait Jordane s’ébrouer et se tourna à demi pour la regarder tandis qu’elle prenait la parole :

« P’tain le plan à trois cringe va falloir envisager d’y mettre fin là les gars… » fit-elle en regardant sa montre.

Pour toute réponse, Léon s’esclaffa doucement alors qu’il la regardait avec une attention pourtant sérieuse, quelques secondes de trop. Juste assez pour être certain du sentiment qui le parcourait depuis que son sursaut l’avait arraché à son sommeil : elle était à cran. Comme une corde que l’on aurait tendue jusqu’à l’ultime point de non retour. Prête à se rompre tout à fait. Et il n’eut pas besoin de trop s’attarder pour saisir toute la myriade de détails lui confirmant sa pensée – il avait déjà croisé son propre reflet, après tout : les cernes profondes, l’impossibilité à s’endormir, les réflexes aux aguets, les subtils tremblements des doigts témoignant des rafales déloyales de cortisol et d’adrénaline. Il la lâcha néanmoins rapidement des yeux, sachant par avance qu’il aurait détesté être surpris dans un instant de faiblesse comme le sien. Ses yeux balayèrent à la place le chaos de la pièce pour retomber rapidement dans les yeux de son frère, qui avait sans doute profité de leur sommeil pour revenir dans la chambre.

Il l’observa un moment, sans rien dire.

S’il ne s’excuserait pas de son geste, il n’en était pas heureux non plus pour autant. Alors, il se mordit les lèvres et passa une main fatiguée sur son visage avant de basculer sa tête vers le plafond, poignet en appuie sur le matelas dans son dos. Il s’octroya quelques secondes à fixer le vide au dessus de lui. Il lui sembla y voir défiler non pas sa vie mais sa fatigue, ainsi mise en exergue par le sommeil de plomb qui était venu lui rappeler à quel point il en manquait cruellement. A quel point aussi il touchait du bout des doigts la fin d’au moins un de ses cauchemars. Alors, il rouvrit les yeux et se redressa. Un dernier regard vers la jeune femme et son état acheva de le convaincre, et il lança alors vers Maxence avec une résilience tout aussi éreintée qu’ils ne l’étaient.

« Elle ne serait pas vraiment fière de nous, n’est-ce-pas ? fit-il et sa voix qui lui sembla étrangement rauque. Il continua néanmoins, plus bas  : Maman ».

Quelques secondes douloureuses passèrent. Puis, de nouveau complètement frigorifié, Léon se releva en grimaçant avant de se diriger vers Maxence, naviguant entre les différents cadavres de sa colère du mieux qu’il le pouvait avec ses pieds nus. Et après avoir enjambé du verre, du bois et les restes de la télévision, il se planta au dessus de lui. A cette distance, il percevait sans mal le début de l’ecchymose qui lui barrait déjà la pommette et promettait une contusion de plusieurs jours. Il n’y était pas allé de main morte. Et alors que son ventre se serrait désagréablement, une pensée le percuta comme une comète.

« Ma seule exigence, c’est que je ne veux juste pas vivre avec toi, comprit alors Léon en posant sur Maxence ses yeux désespérément humides, dans lesquels la douleur et la fatigue se partageaient la vedette sans état d’âme. Je ne veux pas vivre avec toi parce que ça serait comme vivre dans une version réduite de notre famille, infestée de souvenirs insupportables. Je ne veux pas me réveiller le matin et te croiser à la table du petit déjeuner en me rappelant la fois où tu étais en train de regarder maman rater la pâte à crêpe. Je ne veux pas non plus manger le midi à tes côtés et te voir cuisiner les macaronis au fromage de papa, ni voir ton air concentré quand tu feras les courses pour être certain qu’il n’y aura pas de traces de cacahuètes. J’ai besoin d’un endroit où tu ne sois pas, un refuge où l’on ne parlerait même pas de toi tout court, un royaume dans lequel je ne m’effondrerai pas sur un bol doseur ou un paquet de macaroni.  Un Univers où je ne te détesterai pas un peu plus à chaque fois que je te verrai parce que tu me ferais trop penser à la famille que l’on n’est plus. »

Sa voix se tue enfin et Léon se demanda si elle avait sonné aussi désespérément écorchée qu’il ne se sentait mis à nu. Et puis, parce qu’il avait l’impression que sa mère ne cessait de vouloir se rappeler à sa pensée lorsqu’il était question de son frère, Léon eu la sensation que son aura venait de nouveau caresser sa conscience. Ce qui était idiot : il n’avait jamais cru en la vie après la mort, ni en une quelconque forme de divinité.

« Je suis vraiment fatigué Maxence,» murmura-t-il alors en secouant la tête, comme pour mettre en garde les souvenirs d’affluer de trop proche alors qu’il n’était pas en état de les supporter.

Pourtant, suivant l’impulsion chuchotée par un fantôme en lequel il disait ne pas croire, Léon tendit une main hésitante et tremblante vers son frère.

( :peace: )
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Léon Wargrave
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Léon Wargrave
Ven 3 Mai - 10:53
A chaque explosion, le battant s’était mis à trembler. A chaque impact, l’homme recroquevillé contre la paroi en avait fait de même. Chaque fois, inlassablement. La joue qui pulse, le cœur qui part en vrille et l’incapacité de respirer correctement. Les larmes jusqu’au bord des lèvres, tout aussi incapables de s’en écouler que les mots qu’il n’aurait pas trouvé, Maxence était resté. Bloqué. Écrasé par l’impact. Cadenassé par le mal de son frère. Terrifié, par l’impression caustique d’avoir dévasté sa propre famille.
Après tout, n’était-ce pas ça qu’on pouvait projeter, quand on posait le regard sur son dossier d’enfance. Ça que les mots “Mère toxicomane” évoquaient en premier lieu de l’enfance d’un môme déraciné ? Les murs défraîchis, la peinture écaillée, la moquette cramée, les odeurs de clope et de café froid, les draps sales et cette colère brutale et incendiaire dont on ne sait que foutre quand elle vous éclate à la gueule. Un décor qu’on lui prêtait à l’époque, mais qui n’avait pas été le sien. Un décor pourtant, qui aura bien fini par s’implanter dans son existence. Pire, dans celle de son frère. Ce môme qui se serrait contre lui à chaque fois qu’il avait peur. Qui refusait de poser ses questions à leurs parents, pour les lui glisser en douce. Qui faisait tout pour grappiller quelques instants avec lui.
Et dont émanait à présent une haine vorace.

Il aurait voulu pleurer, exploser à son tour. Ou mieux, trouver les mots, l’attitude et la distance. Il aurait voulu un tas de choses, jusqu’à remonter le temps et émousser la lame venue déchiqueter leurs existences paisibles. Mais rien n’est venu. Au fil du temps, les impacts se sont taris et le silence est revenu. Là encore, Maxence aurait aimé avoir le courage de rouvrir cette porte pour tenter, encore, de ramener son frère auprès de lui. Il aurait même aimé savoir que ce n’était pas la chose à faire. Pourtant il n’eut pour lui que ce regard fixe. Que le mur d’en face, pour lui répondre sans le voir.
Et les questions ; incessantes et obtuses, venues taper sur ses nerfs à chaque seconde. Les inconnues dans l’équation. Les jours passés sans se voir, les blancs qu’il n’était pas certain de vouloir combler, les tempêtes traversées par ce petit frère qu’il aurait dû protéger. Et ces réflexions, devenues tambourins dans sa poitrine. Celles qui frappèrent sans cesse une fois l’hôtel rendu aphone.
Celles qui frappent, encore, une heure plus tard. Puis l’heure d’après. Et celle qui suit.

Celles dont il n’a pu se défaire, en se relevant finalement, comprenant à retard que ses joues étaient belles et bien humides, bien que n’ayant aucun souvenir d’avoir versé la moindre larme. Celles qui l’ont rendu inerte encore, quand il s’est agit d’abaisser la poignée. Celles qui l’ont ceinturé, quand il a passé le seuil. Et celles qui l’ont enraciné, finalement, quand il a fallu avancer.
Tenu à distance par un monstre sans substance.
Il s’est alors vu. Non pas comme le stalkeur dans le fond de la chambre. Mais en frère qui rejoint les deux silhouettes endormies. Il a pensé ses doigts dans les cheveux de son frère, son pouce pour caresser sa peau et s’assurer que qu’importe qu’il lui en veuille, l’important est qu’à présent il soit en sécurité.
Imaginer refaire l’histoire. Balayer le réel. Gommer les marques et les cicatrices.

Au lieu de ça, Maxence s’est vu glisser en silence le long du mur et s’asseoir pour contempler tout le calme qu’il n’a su insuffler. La silhouette d’un môme, recroquevillé près de la seconde. Là encore, il aurait aimé y faire quelque chose. Empêcher qu’elle se blesse à dormir comme ça à malmener davantage ses côtes.
Mais son frère dormait. Calme. Alors il l’a laissé.
Après tout, qu’est-ce que quelques heures, s’ils pouvaient tous deux grappiller un peu de sommeil ?

Il a noté l’odeur d’alcool, les débris de verre, la télé brisée.
Mais dans le fond, rien n’avait vraiment d’importance que la respiration apaisée de son frère en fuite.

Une heure, deux heures ; trois. A laisser les questions tournoyer. A écouter la solidarité muette de deux gamins, comme il en a vu trop durant ces quatre dernières années. Trois, sans doute, à comprendre que sa place n’y était pas. Qu’importent la crasse de la moquette et l’odeur des murs, la violence étalée en bris de verres ou les effluves rances : ils dormaient.
Une heure, deux ; trois. Il aurait pu les observer ainsi pendant une éternité. A se foutre de la pulsation lancinante de sa joue tant le roulis calme de la respiration de son frère avait ça d’hypnotisant qu’il était… là. Simplement . Aussi bien endormi qu’à ses dix ans.
Qu’importe après tout, ce qu’il avait pu se passer entre eux. Qu’importe même ce qu’elle pouvait traîner dans son sillage, ou la facilité avec laquelle elle avait semblé avoir navigué dans la rue. Là où lui avait été refoulé sur le palier, elle était entrée. Dans la rue autant qu’à ses côtés. D’une manière chagrine et butée qui lui échappait totalement. Mais elle était entrée. Criblée de violettes sur sa peau de soie, boudeuse jusqu’à sa posture de sommeil, mais plantée là comme un gardien de pierre contre lequel il viendrait se reposer.

Et deux ou trois heures, c’est le temps qu’il lui aura fallu pour finalement sombrer, assis dos au mur, une jambe à plat dans les débris de verre, la seconde contre un meuble au bois fendu.  Le temps, aussi, pour que Jordane le réveille en sursaut.

Le coup de fouet le saisi aux jambes, remonte dans sa colonne et passe dans ses bras. Mouvement miroir, il ramène une main vers sa hanche et cligne sans tout à fait comprendre s’être assoupi. L’espace d’une seconde, en se redressant son regard pars vers la porte d’entrée pour n’y découvrir que les déboires de la nuit et le pan obscure du bois peint. Rien. Alors les neurones se connectent et Maxence comprend que c’est de lui dont Jordane a eu peur. Le réflexe de se mettre debout s’envole alors et les mains à plat s’envolent en direction des deux jeunes pour apaiser l’inquiétude de la Serdaigle.
- ça va ça va c’est que moi. Et elle râle.
Léon, lui, n’avait pas bougé. L’oscillation tranquille de sa cage thoracique s’est interrompue et l’espace de ces quelques secondes lui donnent le temps de ramener un regard vers Jordane, puis son frère. Lui permettant alors de distinguer malgré l’obscurité le soudain revirement de ses traits. Un instant détendus, si proches de celui qu’il était avant, et le suivant, de nouveau faits de marbre. A croire que chaque jour passé depuis la date funeste n’a été qu’une brique de plus pour l’emmurer vivant.
On pourrait le trouver calme. Son frère le voit éreinté. Le regard humide, les mouvements lourds pour se rasseoir et arrondir le dos. La manière dont il plonge son visage dans ses mains pour sortir de sa torpeur. Sans compter le reste bien sûr. Mais à ce geste, Maxence accroche un instant le souvenir d’un bambin dans sa chaise haute, tout à la fois incapable de tenir en place, refusant la purée avec son air bougon et recouvrant son visage de ses mains avant de se pencher en avant. Puis de se frotter les yeux, signe qu’il valait sans doute mieux abandonner le repas et le coucher plutôt que d’insister. Le mouvement n’a pas grand chose de similaire mais ce qui émerge lui serre le cœur un instant.
Puis Jordane lâche sa réflexion cynique pour se redonner une contenance et Léon reporte son regard vers elle. Il retrouve alors ses airs d’ado échevelé, un peu revêche mais pas fermé. Du moins c’est ainsi que Maxence l’imagine.
Là encore, se dessine un instant qui n’appartient qu’à eux, de cette manière étrange et imprévue qui les relie. Puis Léon ramène son regard vers lui et un instant, le champ des possibles entrevoit bien des réponses à ce face à face. Au sol, le sorcier n’esquisse pas un geste. Pas plus quand Léon lève les yeux au ciel et contemple le plafond un instant. Ni quand il se redresse puis jette un dernier regard vers Jordane qui lui rend sans mot dire. Et encore moins tandis qu’il reprend la parole. De cette voix de papier ponce qui ne lui ressemble pas.

« Elle ne serait pas vraiment fière de nous, n’est-ce-pas ? Chaque mot s’enfonce sous ses côtes, enroule son cœur et le serre en silence. Il les revoit, maculés de boue, un jour d’enfance. Le retour dans la maison, la montée des marches concentré pour ne pas les faire craquer. Le bain donné au plus jeune tout en balançant vêtements et chaussures à la machine à laver. Quatorze et quatre ans. Des fringues rétrécies et des pompes flinguées. Sans compter les traces de boue mal lavées sur l’escalier. Mais il n’y a ni boue ni mère. Juste un mot qui résonne dans la gorge de l’un et rebondi dans celle de l’autre. Et pique ses yeux un instant. Maman ».
Cinq lettres à la gravité bien particulière. Une présence en forme de crevasse entre eux, tellement évoquée depuis ces dernières heures qu’elle force la réalisation pour Maxence : il n’a pas fait son deuil. Il n’a fait que repousser sans cesse ces pensées pour ne pas s’y confronter. Faire autrement n’était simplement pas concevable sans celui qui finalement se lève pour le rejoindre. Ses pas aussi, ont une pesanteur à eux. Des pieds que Maxence fixe bêtement tout à la fois sans doute pour éviter son regard et s’assurer qu’il ne marche pas dans les débris de verre. Ces jambes nues et frêles de grenouilles lui rappellent le môme qui faisait ses premiers pas au réveil et les cris dans la maison pour rameuter toute la famille. Pas de brûlures, dessus, à l’époque.
Quand son frère s’arrête seulement, ses yeux en reviennent aux siens.

« Ma seule exigence, c’est que je ne veux juste pas vivre avec toi, L’espoir se craquelle, parjure de simplement exister. Je ne veux pas vivre avec toi parce que ça serait comme vivre dans une version réduite de notre famille, infestée de souvenirs insupportables.  Et l’humidité grandit davantage sous ses paupières. Sous cette main trop moite qu’il crispe sur son genou en soupesant ces mots qui lui tombent dessus comme la grêle un soir de mai. Je ne veux pas me réveiller le matin et te croiser à la table du petit déjeuner en me rappelant la fois où tu étais en train de regarder maman rater la pâte à crêpe. Je ne veux pas non plus manger le midi à tes côtés et te voir cuisiner les macaronis au fromage de papa, ni voir ton air concentré quand tu feras les courses pour être certain qu’il n’y aura pas de traces de cacahuètes. J’ai besoin d’un endroit où tu ne sois pas, un refuge où l’on ne parlerait même pas de toi tout court, un royaume dans lequel je ne m’effondrerai pas sur un bol doseur ou un paquet de macaroni.  Un Univers où je ne te détesterai pas un peu plus à chaque fois que je te verrai parce que tu me ferais trop penser à la famille que l’on n’est plus. » Une larme chute, sur sa joue et quitte à perdre les mots, Maxence inspire et gonfle ses poumons, comme pour leur éviter de rester collés.
A peine ose-t-il songer un maigre “qu’on redeviendra” qui lui semble davantage soufflé par quelqu’un d’autre que par sa propre conscience.

« Je suis vraiment fatigué Maxence,»   quelques mots qui lui fendent bien davantage le cœur que tout le reste. Ou bien seulement en achèvent les craquelures, difficile de déterminer. Un ressenti profond qui fait écho et presse ses lèvres un instant quand finalement, son frère lui tend la main.
En silence, sans vraiment hésiter, il se saisi de sa paume et un instant avant de se relever, la serre fort dans la sienne. Juste une pression, un pouce qui s’ancre un peu sur sa peau, des doigts qui se saisissent de la froideur de sa chair. Qui voudraient y transférer toute la chaleur du monde, mais Maxence prend soudainement conscience d’en être démuni. Alors il se lève et se contente d’une main posée un instant sur le bras de son frère, d’une légère caresse du dos de la phalange ; avant de le lâcher finalement et d’acquiescer en silence.

Je sais, gamin. Je sais.
Moi aussi.


Un souffle passe ses narines et ses épaules basses lui semblent soudainement aussi lourdes que son soupir est las.

- Je comprends. Le fragile murmure que portent ses lèvres le surprendrait presque tandis qu’il lui adresse ce qui n’a de sourire que le nom. Une faible inflexion des lèvres, quelque chose de simple et de bref.

J’entends, surtout, ce que tu essaies de préserver.


***

Il n’avait pas fallu plus d’un quart d’heure pour envisager le départ. Rendre le jean acceptable à base de quelques récurvit dans le lavabo de la salle de bain, les laisser mettre les chaussures sans se blesser et évoquer l’idée de transplaner plutôt que de se traîner au travers de la ville dans leur état. Une impulsion venue de nulle part, évoquée par une Jordane ne faisant pas grand cas de la notion d’hésitation. Ça, la coloc de Sovahnn, et le reste, tous évoqués par la grande blonde avec sa manière de ruer dans les brancards qui ne semblait pas déranger Léon tant que ça venait d’elle.

- Enzo ou Sovahnn ? Lui avait-elle balancé, sans préambule. Réflexion à laquelle il avait répondu “Sovahnn”, comme une décision bien arrêtée, un truc établi dans son esprit certain de ne pas vouloir demander un tel service à Enzo alors même que celui-ci avait assez à gérer de son côté. Une évidence, aussi, du fait de l’isolement que pourrait ressentir Léon s’il était ainsi balancé loin de Londres où il était venu sciemment. De retour aux USA, qu’il avait fuit.
Quand il avait évoqué l’idée d’y aller à pied, pour épargner à son frère l’imprégnation du monde sorcier et l’idée que “là-bas” n’appartiendrait pas à son monde, elle avait simplement râlé un “Oui parce qu’on n’a pas encore assez marché aujourd’hui t’as raison.” Voilà. Comme ça. Un “on” sorti de nulle part que n’avait pas loupé Léon. Un “on” qui s’était changé en main tendue, invitation à transplaner, qu’il avait lui-même laissé vivre sans insister.

Voilà. En quelques minutes, c’était réglé et, sac sur l’épaule, elle avait transplané, le laissant seul comme un con dans la chambre dévastée, avant de transplaner lui-même dans le petit escalier, téléphone sur l’oreille.

Impossible de trouver l’appartement de Londres sans y avoir été invité. D’ordinaire, en passant par la rue, ils auraient dû traverser un petit porche entre deux maisons serrées, accéder à une cour carrée pavée de salles grises, et rejoindre l’angle droit, au fond. Là, entre deux murs ; l’escalier dissimulé aux regards où ils transplanèrent tous les trois. Atteindre le palier ensuite, et entrer dans l’appartement de 25m² à tout péter. Un bon choix, compte tenu de l’emplacement et de la possibilité de s’y rendre sans être vus, pour les sorciers recherchés qu’ils étaient. Obtuse aux limites personnelles des uns et des autres, Jordane avait passé la porte, ouvrant sur une petite cuisine encastrée entre deux murs, un bar pour délimiter le salon exigu. Trois portes au fond : une chambre, une salle de bain, un débarras. Quoi que “porte” soit exagéré pour deux des trois pièces. La chambre se trouvait séparée du reste par un rideau de tissu et le placard par son équivalent en perles. Très années 90. Possible ainsi de voir que le débarras s’était changé en chambre d’enfant aux peintures neuves et à l’allure soignée malgré l’espace.

Enfin, à la gauche de l’entrée, devant le canapé de récup’ ; une cheminée encastrée dans le mur.
Pas un chat dans l’appart.

- Fini pour moi -
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Maxence Lukas Wargrave
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