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Mar 19 Mar 2024 - 19:54


Mars 2017

La joue coincée entre mes canines, côté droit, j’ai le regard posé sur mon pied qui s’agite sur la table basse. J’le vois pas, pas plus que la télé qui passe je ne sais quoi ou même le paysage droit devant moi de l’autre côté de la baie vitrée. Dans ma tête ça cogite, ça tourne à vive allure, ce qui s’exprime n’est pas du stress mais une réelle réflexion que je tourne dans tous les sens pour trouver un truc concret, solide. Une direction.
Ça fait un moment maintenant que j’ai envie de me créer mon propre espace, ma cabane au milieu de nulle part où m’exiler quand j’en ressens l’envie ou le besoin. Un truc qui me servirait essentiellement pour les Pleines Lunes mais pas seulement, que je partagerais ou pas. Et si jusqu’ici ça ne m’avait pas effleuré l’esprit ça vient de craquer dans mon crane comme une allumette qu’on embrase. Une putain d’évidence pour laquelle je n’ai pas envie d’attendre. Mes pieds nus retrouvent le tapis entre le canapé et la table d’un geste vif, je me lève d’une traite sans prévenir sous le regard étonné de Liam qui était en train d’enchainer les articles dans l’un des nombreux magasines scientifiques auquel il est abonné. Sa grosse tête n’en a jamais assez.
J’suis presque certain qu’il a sursauté, tout comme Wax qui a immédiatement relevé la tête alors qu’il dormait contre son frère sur le carrelage. Là où le soleil prend son temps le soir avant de disparaitre, une « tache » large d’un mètre à peine dans laquelle ils s’agglutinent tous les deux « Qu’est c’que tu fais ? » Je pourrais contourner la table, au lieu de ça je pose un pied sur l’assise du canapé et enjambe le dossier pour passer de l’autre côté « J’vais détruire la cave. » Short, T-shirt, les seules fringues que je porte ici « Quoi ?! » Je réagis pas, lancé dans mon truc et déjà en train de glisser mes pieds dans la première paire de pompes que je trouve « Attends. Comme ça ? » Je devine qu’il s’est levé, j’entends le bruit sourd du magazine qui retombe sur la table basse. Je réponds que d’un signe de tête « Hey ralentis l’bulldozer. » Legit. Pas comme si je vivais tout seul et qu’il n’avait pas son mot à dire sur la question mais sachant qu’il n’a jamais aimé l’idée d’avoir ce truc sur le terrain – et j’peux comprendre – je crois que je suis parti du principe que ça ne lui poserait aucun problème. Quand je me retourne c’est pour le trouver devant moi, je baisse les yeux pour trouver son regard à cause de notre différence de taille. J’me prends une pichenette sur le front et ça me fait rire comme un sale gosse alors que j’attrape son poignet pour le dégager « J’voyais bien que ça tournait à plein régime dans ton crane. Explique. » Une main à plat sur le mur pour prendre appuie je plie un genou pour passer mon index entre mon talon et l’arrière de ma chaussure « J’en veux plus ici, c’est pas sa place. » Radical et un peu soudain, certes. Un peu impulsif le garçon mais pourquoi attendre ? On pourrait en faire autre chose c'est vrai mais je crois que c'est symbolique « Quand j’aurai trouvé l’endroit que j’cherche j’en reconstruirais une. Ailleurs. » Une cellule, une cage, un abri ... On peut lui donner tellement de nom et y porter des regards différents.

Ça m’a rassuré pendant un moment, je pensais que c’était essentiel de l’avoir à domicile pour les urgences mais non, j’ai plus envie de ça chez moi. Chez nous. Plus envie que qui que ce soit débarque, plus envie de ramener ici qui que ce soit comme je l’ai fait avec Asher il y a de ça quelques mois. Plus envie de ramener le moindre drame à la maison ni la moindre crise « T’es sûr ? » Le hochement de tête est sans appel, pas la moindre trace d’hésitation « Certain. » J’pourrais pas l’être plus et c’est vrai, je pourrais attendre d’avoir trouvé un autre lieu sûr avant de tout faire péter mais j’ai pas envie d’attendre « Ok. Dans c'cas on le fait tous les deux. » Je sais qu’il comprendrait si je disais que je voulais faire ça seul mais c’est pas le cas, au contraire. Faire ça ensemble me parait plus symbolique encore « Cool. » Mes yeux trainent sur lui, si mon cœur bat aussi vite c’est à cause de l’adrénaline que je me suis insufflé tout seul dans les veines à l’idée de passer à l’acte. J’parle de la cave, bande de pervers.

Je le regarde enfiler ses pompes à son tour après avoir ouvert la porte d’entrée et d’un geste silencieux « ordonne » à Wax de rester dans la maison. Einstein nous regarde sans bouger, parfois je me demande comment un corps de cette taille peut contenir autant de flemme mais c’est comme ça qu’on l’aime. Personne ne voudrait qu’il soit différent, comme son maitre qui a vraiment un sens du style très personnel. Ce soir il a sur le cul un vieux short élimé de couleur rouille et un T-shirt violet délavé qui ferait faire des cauchemars à Eleanor « Et ça t’fera bosser tes p’tits muscles. » Dit-il en lui palpant le biceps avec un air de sale petit con arrogant sur le visage avant d’esquiver le coup qui part « J’te soulève quand tu veux Ryans. » J’ai qu’à croiser ses yeux bleus pour y voir l’allusion « J’demande à voir Jackson. » La provocation est évidente, d’autant plus quand je le regarde de haut en bas et de bas en haut en marchant à reculons jusqu’à ce que mes pieds rencontrent l’herbe.

Quand il me rejoint il me file un coup d’épaule qui me fait chasser sur le côté, j’me marre, l’ambiance est légère et le soleil amorce gentiment sa descente plus franche sur l’horizon. Demain matin je me lèverai aux aurores pour aller prendre des vagues, j’vois pas plus loin que ça et ça me va très bien.
Ce que j’appelle la cave se trouve dans un coin reculé du jardin – que d’autres appelleraient un parc parce que c’est vrai, c’est immense.
Une sorte de bunker dont l’entrée est planquée par la végétation, un truc blindé de sortilèges en tout genre pour des raisons évidentes et ça n’a rien à voir avec la trouille de se faire choper par les drones du service urbanisme. Oui, c'est ça de se trouver une passion pour la réno, t'apprends des trucs que tu vois pas venir.
De l’extérieur on ne voit rien, le seul moyen d’y accéder c’est déjà de savoir où il se trouve et ensuite de défaire le sortilège d’illusion. D’un accio je fais venir jusqu’à nous des gants et des lunettes de protection que je garde dans l’atelier. Ça me sert pour mes planches mais aussi pour réparer ou bricoler d’autres trucs. Mon dernier délire en date : Un nichoir pour oiseaux. C’est mignon non ? Lune va adorer « On sort les meubles ? » Première étape, vider les lieux effectivement « Tu veux pas les récupérer pour l’asso ? » On est pas mignons là, avec nos dégaines à jouer dans une téléréalité de rénovation ? « Si, carrément. » Eh ben aller, ça c’est réglé.
Ça ne demande pas beaucoup d’effort étant donné le peu de trucs qu’il y a à l’intérieur. Un canapé, une table basse, un autre petit meuble pour stocker les potions. Tout l’arsenal capable de shooter ou soigner un Lycan, spoiler alert faut un peu plus qu’une dose de cheval. Mes réserves de Tue-Loup, aussi. Et puis des trucs un peu plus étranges, du style cette magnifique statuette en forme de … de je sais pas trop quoi d’ailleurs que ma tante m’a offert à l’époque où je passais encore chez eux de temps en temps « Ça t’en fais quoi ? » J’attrape l’objet qu’il me tend et grimace « C’est vraiment hideux … » Euphémisme les amis « J’crois que je l’ai mise là en espérant que quelqu’un y compris moi la détruirait par inadvertance. » Un Lycan énervé ou en souffrance ça détruit tout sur son passage mais non, malgré l’intervention de Tatiana sur Asher il y a quelques mois cette horreur a survécu « Tu veux dire comme ça ? » Il me reprend le truc des mains, le laisse tomber au sol où il s’éclate en des dizaines de petits morceaux. Quand je croise son faux air désolé j’éclate de rire, le chope par le T-shirt et claque un baiser sur sa joue « Merci. » Du bout du pied je balaie vaguement les morceaux pour les entasser dans un coin, le plus dur reste à faire « Avec plaisir. J’avais peur que tu veuilles la ramener dans la baraque. » Jamais de la vie, et puis de toute façon c’est pas comme si la mère d’Eleanor allait foutre les pieds ici un jour « Remarque elle aurait été bien sur une des étagères dans ton bureau. » A te regarder bosser tous les jours avec ses p’tits yeux vicelards.

Maintenant que l’endroit est vidé reste le plus gros à faire et c’est pas comme si on pouvait tout faire péter comme on veut sans risque d’attirer les regards ou les oreilles. Ok les voisins ne sont pas tout près et de toute façon se sont ses potes, sa famille, mais autant ne pas prendre le moindre risque. On se fait un petit kiff, ça fait du bien de péter des trucs à la force des bras en balançant une masse contre un mur – Demandez à Sovahnn, à Tim, à Takuma ou à Riley, à tous ceux qui ont participé aux travaux de la maison en Ecosse. Et puis ça se termine avec la magie pour faire disparaitre les gravas jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucune trace. Dehors il fait presque nuit, demain on aura sûrement des courbatures, mais c’est la satisfaction qui se peint sur son visage comme sur le mien. Ici c’est chez nous, notre bulle, pas une annexe de gestion de crise.
Main gauche sur la hanche je fais un pas en arrière comme pour embrasser la vue plus largement, il n’y a plus sous nos yeux qu’un par terre pour le moment nu « J’vais planter un truc par-dessus, dans une semaine on aura oublié son existence. » Pas de doute, aucune peur de regretter « Mes pieds de beuh ont besoin de prendre l’air ça tombe bien. » Ben voyons « Ouais, et on dira à tes parents que c’est une plante Australienne c’est ça ? » On se vanne, on se cherche, pas comme si sa mère était passionnée de botanique et qu’elle était une véritable encyclopédie sur le sujet « Exactement. Un truc invasif, comme tout c’qui vient de là-bas. » Je baisse la tête, lâche un rire grave, parfaitement conscient de ce qui se trame alors qu’un truc gronde dans le creux de mon ventre. Les gestes sont lents quand je retire mes gants et le laisse tomber sur l’herbe, le regard posé droit devant moi. Ils le sont tout autant quand je me tourne de trois quart pour le regarder de haut et faire un pas vers lui. Ses yeux brillent, son cœur accélère, son souffle s’écourte, il aura beau afficher un air stoïque le corps ne ment jamais « T’as pas idée. » Ma main gauche glisse sur sa hanche, s’y accroche, je penche la tête et cherche la peau de son cou que j’effleure en me nourrissant de tout ce qui émane de lui « Moi j’crois que t’aime ça quand l’Australie t’envahit. » Elles sont loin les ombres quand on se perd comme ça l’un contre l’autre, quand on se cherche puis qu’on se trouve « J’sais pas, j’me souviens pas. » Ma paume glisse jusqu’à sa fesse que j’empoigne pour ramener son bassin contre le mien, son soupir me provoque des frissons tout le long de la colonne vertébrale « Faudrait te rafraîchir la mémoire alors. » Rien que des murmures, une voix de plus en plus rauque, sa main droite glisse dans mes cheveux pendant que la gauche reste dans sa poche. Si tu savais où j'ai envie de la voir glisser ... J'crois que tu sais très bien « Tout à fait. » Et ma façon à moi de l’achever c’est de le mordre, là, juste à la naissance de son épaule. Y a comme un séisme qui se propage dans tout son corps à chaque fois et j’dois prendre sur moi pour m’écarter, le toiser un sourire sur le coin des lèvres en m'éloignant à reculons malgré les palpitations dans le bas de mon ventre. J'ai une putain d'envie de lui, ça me brûle les veines mais j'cèderai pas « Mais ça s’mérite. » A ce jeu là j'ai appris du meilleur, mais ce soir tu craqueras avant moi.
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Enzo S. Ryans
Chaton. Le seul et l'unique
Enzo S. Ryans
Enzo S. Ryans
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Enzo S. Ryans
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