Suite de "Ou l'art d'emmerder le monde - Théo & Amelia"
Qu’il demeure en lui une forme d’agacement vis à vis de Théodore n’est pas étonnant. La tension entre eux est à présent gravée dans le marbre et il en a été le burin, Alec ne se fait aucune illusion sur la question. Injuste ? Sans aucun doute. D’autant plus à présent. Le recul est bien là, la colère envers les autres s’est apaisé et qu’il ne passe plus tant ses nerfs sur le premier venu. Mais est-ce vraiment le cas ? Lorsqu’il revient de chasse avec Azalea, au bord de la nausée, l’esprit saturé d’horreurs, incapable de se voir dans la glace sans gerber ses tripes, Alec n’a que cette envie : faire payer. Leur faire payer. Se faire payer.
Une sensation bien habituelle chez le jeune homme. De l’enfant à l’adulte, elle a bercé ses jours et hanté ses nuits. Pourtant porté par les rires échangés avec Warren, Alec n’a pas remis les choses en question. Il aurait pu, a appris à le faire, a assimilé l’idée de voir les autres différemment, de leur accorder une chance, de ne pas les percevoir comme l’ennemi. Les mots de Théo résonnent alors encore, mais Alec s’attache davantage au petit sourire envoyé en douce à Amelia. L’air insolent et l’amusement chevillé au corps.
Qu’on lui en veule pour les dérapages du passé ? Sincèrement, les erreurs de toute une vie pèsent déjà trop lourd. Certaines choses sont remisées, écartées de sa conscience. Il fait le tri, c’est humain. Injuste, mais humain. Impossible d’y survivre autrement.
Alors lorsque Warren s’en va et que la fin de soirée empli de nouveau l’espace de visages hostiles, alors retombent les idées noires.
Quand une femme l’arrête en glissant un “tient donc, le traître Rivers…”, Alec la coupe sans attendre la fin de la sentence “On m’appelle.” Pas plus de réponse que de courtoisie : Alec s’esquive. Il ne manque pas ceux qui le suivent du regard, s’interroge sur lequel de ces inconnus a été mandaté pour le surveiller et vérifie d’un regard à la ronde qu’il n’a ni famille ni bourreau en visuel lorsqu’il s’évade en silence de la chaleur humide de la soirée.
Il n’y tient plus, la morosité le rattrape et sa vie, celle qui n’existe qu’en sous-texte quand il passe du temps avec Warren, lui manque. Alors le jeune homme s’enfonce dans les jardins, leurs haies bien taillées, les statues aux visages des grands pontes de la medicomagie - un truc de cette famille sans doute - et après quelques regards en arrière, un sort de révélation lancé, dégaine son téléphone. Quelques textos d’Hailey, reçus avec un sourire en coin. Durant toute la soirée, une part de lui a craint de voir le père de la belle blonde se pointer. Mais rien. Alors il réponds, évoque la soirée, discute quelques instants. Puis c’est le téléphone à l’oreille qu’il enchaîne en s’enfonçant plus loin dans les extérieurs des jardins, là où les parterres de fleur laissent place à une parcelle de bois faussement sauvages. Impossible de croire ici que le petit manoir appartient à Mayfair, en plein milieu de Londres. La magie permet bien des choses, surtout chez les sangs purs fortunés.
Et puis vient la question qui lui brûle les lèvres.
Lorsqu’il perçoit un nouveau craquement, Alec raccroche précipitamment. Rien d’enregistré dans ce téléphone, numéro masqué qui l’a appelé. Aucun moyen de remonter les pistes. Qu’importe : ça l’angoisse.
Ainsi lorsqu’une ombre le surprend, le garçon sursaute.