C’était sans doute tout à la fois insensé et dangereux mais Logan avait besoin d’être là. Besoin de frôler les lieux de sa chute, besoin de sentir la présence de ces lieux qu’il avait arpenté enfant et qui signifieraient sans doute sa mort si on l’y croisait à présent. Au moindre regard, l’ancien directeur était mort, il en avait une terrible conscience. Septembre. Un an qu’il était tombé, un an qu’il avait dû faire face à la grande salle remplie de jeunes qui le dévisageaient, de ses collègues, pour certains en sang, pour d’autres les mâchoires serrées, le front las ou les épaules basses, parfois résignés, parfois en colère, parfois terrifiés. Certains étaient morts ce jour-là bien sûr. Il lui avait longtemps semblé en avoir fait parti. Humilié, violenté, isolé ensuite dans une geôle humide durant des mois à s’amaigrir à vue d’oeil, à se voir disloqué de sa part d’humanité tant la douleur le sciait sur place, à se retrancher dans la forteresse de son esprit, morcelé de toutes parts pour ne donner à ses agresseurs aucune part des informations qu’il cherchait ; Logan était toujours vivant. Il demeurait aujourd’hui, droit dans cette forêt dans laquelle il s’était isolé de nombreuses fois adolescent, à la recherche du calme que les autres ne lui offraient pas. Le legimen de naissance avait toujours été un monstre dangereux, il le savait. Mais ici les choses étaient différentes. Le bruissement des feuilles ou le craquement d’un animal ou d’un autre lui avaient toujours été réconfortants. Sans doute était-ce pour ça qu’il y avait sous cette même terre quelques cadavres qu’il avait épargné à la forêt interdite. Impossible, bien sûr, de remonter jusqu’à la tombe de son frère. Malgré tout il était là. Non pas pour célébrer ces morts mais pour faire face à tout ce qu’il n’était plus… mais également à ce qu’il restait. En vie. Ce fameux gosse sauvage qui avait tant inquiété ses faussement semblables était et demeurait.

Fermant doucement les paupières, il s’autorisa à ressentir la douleur sous sa chair, là où le serpent de flammes avait rampé durant des mois. Serrant et relâchant ses mains blessées, il posa sur elles un regard lourd. Là, plusieurs phalanges coupées qui avaient fini par cicatriser comme elles le pouvaient. Au cœur de ses paumes, des cicatrices en étoiles, marques d’une foutue crucifixion le jour qui aurait dû être son dernier. Ce jour-là les Supérieurs n’avaient pas imaginé qu’ils allaient tuer deux amis d’enfance sur la grande scène, pensant marquer le public, étouffer l’étincelle encore vive de la résistance. Mais la Garde était arrivée et les avaient libérés. Ainsi le voilà toujours. En vie. En colère.

Un nouveau craquement dans les fourrés attira finalement son attention. Il aurait pu sortir sa baguette mais depuis l’enfermement, le sale bâtard prodigue devenu adulte blessé avait appris à user autrement  de la magie. Et puis, surtout, il rechignait à se servir de ses mains, éternel rappel de sa faiblesse physique et de sa déchéance.

Qu’importe, ce n’était pas un Homme. Sans doute un ennemi, mais pas l’un de ceux qu’il avait imaginé.

« Je suis sur tes terres ? »

Le centaure ne lui était pas encore tout à fait apparu mais il distinguait le son caractéristique des sabots dans les fourrés.

Tous le reconnaîtraient, même un centaure. La première fois qu’il avait eu à faire à eux c’était ici justement. Le clan Lockwood. Ceux qui l’avaient plusieurs fois informé qu’il n’avait rien à faire sous ces cimes tandis que l’adolescent cherchait à s’éloigner des humains pour se défaire de l’étau que leur présence imposait à son statut de légimen de naissance. Il était parti. Puis revenu. Et lorsqu’il y avait eu des corps à cacher, d’autres l’avaient croisé.

Étrangement, jamais ils ne l’avaient dénoncé. Et un accord avait été passé lorsqu’il avait pris la tête de Poudlard. D’abord par Ismaelle, puis par lui. Chacun trouvant sa place et se protégeant les uns les autres. Ainsi Logan ressentait un étrange apaisement face à ces créatures.

Logan lui fit face lorsque l’animal apparu.

 

Surgissant des fourrés, voilà que le centaure enjambait les végétaux secs et l’humus craquant. Plus petit que la plupart de ses contemporains, l’animal était torse nu, comme il convenait à sa race hors milieu urbain. Lèvres pincées, il se peignait sur son visage un air neutre quoi qu’analytique qui ne tarda pas à tomber doit sur ses mains. Six mois qu’avaient eu lieu les évènements et Logan en restait toujours profondément marqué, gardant les marques plus récentes d’ongles arrachés. La rançon de la gloire. Et de son égo.

Les prunelles d’acier du sorcier imprégnèrent la chair du centaure à son approche, ne fronçant ni ne cillant lorsque celui-ci s’arrêtait sur l’observation sordide de ses mains mais sentant crisser en lui cette pulsion qui le prenait sans cesse lorsqu’il s’agissait de mettre en avant ses blessures. Il était ainsi. Ces marques étaient les symptômes de ses échecs, d’une chute aussi brutale que complète. Logan aurait dû mourir dans ses cachots et sans doute une part de lui l’avait fait. L’autre y était toujours. Seule une infime bride de lui-même foulait encore ce sol, par moment détachée du monde des vivants, insensible à ses tourments tout autant que lacérer par le présent. Logan ne chercha ni à les cacher, ni à disparaître, ni à cacher son visage, il observait la créature avec un calme obtus, si rugueux qu’il en devenait acide. De ceux qui rappellent le danger d’un prédateur à l’affût. L’ancien directeur n’avait aucun doute sur la question, les deux, qu’importe qui était ce centaure, c’était lui, le monstre. Celui dont le don se cachait sous des apparences humaines mais dont l’animalité trouvait le chemin au travers de ses traits, sa posture, sa voix et ce foutu regard de glace aussi acéré que des lames. Celui qu’il haïssait pour l’avoir bien trop souvent côtoyé chaque fois que son père le dévisageait avec répugnance et convoitise.

《- Ouais, ce qu'il en reste.》

Une ombre lui passa dans les prunelles. Le chagrin et la colère, les marques d’un deuil encore brûlant. Aucune nécessité pour le sorcier d’étendre son esprit jusqu’au sien tant cette forêt semblait silencieuse et cette créature, affligée. Les feuilles chantaient encore au son de la brise d’été la mélopée de trop nombreux décès.

《- Qui êtes-vous ? 》 Ah, cette fameuse question sans cesse répétée comme un disque rouillé. Par moment, il semblait à Rivers que tous savaient. Ils restaient nombreux, pourtant, à poser cette sempiternelle question. 《- Laissez-moi deviner, un inféri ? Un vampire ? 》 Ah, celle-là, on ne la lui avait jamais faite en revanche. 《Avec tout le respect que je vous dois pas puisque je vous connaît ni d'Adam ni d'Eve ... 》 Celle là non plus d’ailleurs. 《… vous ressemblez un peu à l'un et beaucoup à l'autre.》

Inattendu donc. Assez pour lui arracher dans un souffle rond un petit rire tout à la fois cynique qu’amusé. Inferi ou vampire. Belles comparaisons. Voilà qui aurait plu à son géniteur tient, très à propos. « Je respires à ce point la mort ? ..» Question rhétorique, il en gardait un sourire amusé accroché au coin des lèvres. « ..Comparaison légitime, la faucheuse est une vieille amie.. » Une des plus anciennes, à vrai dire.
Un cadavre humain ensorcelé pour obéir à un mage noir. Ça aurait pu. Évidemment, le bâtard songea à son cousin, aux prises avec les Supérieurs, forcé de jouer le jeu et d’agir au diapason tant que sa situation ne se serait pas stabilisée. Mais Alec tiendrait le coup. Quant à lui, personne, encore, n’avait su le faire obéir. Pas même la mort. Il n’était donc pas plus un vampire qu’un simple humain.

« Personne. » Honteux mensonge, le même depuis si longtemps. Et comme chaque fois, une pensée pour cette amie qui s’amusait tant de cette constante réponse si profondément ironique tandis que la moitié du monde magique était à ses trousses, interrogeant régulièrement des personnes au hasard et placardant depuis six mois sa gueule aux murs des tavernes.

Mais « personne », il resterait.

Se détournant du centaure pour poser le regard sur les bois, Logan en détaillait les fourrés plus bas qu’à l’habitude, les marques ici et là, déjà englouties par un an de pousses, la forêt digérant déjà ses morts.

« Je les ais connus ; les tiens. Je les appréciais. » Cette fois, il y avait une sorte de douceur dans sa voix. Nulle agressivité ou cynisme, pas plus que ce timbre malsain qui grinçait souvent dans sa gorge. Seul un fait, énoncé sans affect mais avec une certaine sincérité.

« Il s’est passé quoi ? » Sans plus se retourner, Logan restait attentif aux actes de son interlocuteur, n’ignorant pas le geste qu’il avait fait vers un carquois imaginaire mais gardant assez confiance en ses propres capacités pour s’estimer apte à réagir en cas de problème. La vérité était qu’il s’interrogeait réellement de ce qu’il était advenu de ses alliances une fois sa chute prononcée.

Le roi est mort, vive le roi, n’est-ce pas ? Qu’avait fait Walters tandis que son ennemi se tordait de douleur dans les boyaux de Poudlard ?

 

《- Ouais jusqu'à votre haleine, qui sent l'inferi ranimé tout fraîchement.》  

Dos à lui, ses prunelles s’était arrondies de surprise, lui jetant un regard en arrière où se mêlait dépit et amusement. Mépris, également. Facile comme attaque, sans fondement surtout, vu la distance qui les séparait. Ou alors ça devenait effectivement sacrément grave.

《- Sérieusement on se calme sur le wisky pur feu, vous avez déjà vu des centaures copains avec des sorciers, vous ? Où le contraire ?》  

Lui ? Abuser du pur feu ? Oh ! Vraiment pas le genre…
Alcoolique notoire depuis des années, Logan avait appris à lever le coude très tôt, au même titre que la grande majorité des Rivers. L’alcool avait toujours été synonyme de réussite et de pouvoir tout autant que d’échappatoire et l’ancien directeur de Poudlard était assoiffé des trois. Un sourire mauvais aux lèvres, il ne répondit donc pas concernant le possible – et évident – abus de boisson. Ce genre de choses, Logan le survolait sans y prêter véritable attention.

« Il faut croire que les temps changent. » Détournant de nouveau le regard du centaure, l’homme eut un petit sourire. C’était là ce qu’Ismaelle lui avait répondu. Lui même était pétri d’idées réductrices mettant les gens dans des cases impossibles à mêler. Et pourtant son existence même allait à l’encontre de bien des leçons qu’on lui avait apprises. Le bâtard au sang mêlé, bien plus puissant que ses sangs purs de contemporains. Alors oui, les centaures et les sorciers pouvaient se côtoyer. Pourquoi pas après tout ? Miser sur les alliances improbables, celles que les sangs purs n’auraient jamais imaginé lui avait semblé être une bonne idée à l’époque. A voir l’état de la forêt et le regard du centaure, Logan se doutait que cette idée avait causé mort et destruction.

Il était tombé, avait perdu la plus importante des batailles. Pourquoi ses alliés s’en seraient-ils sortis indemnes ?
Les centaures l’avaient déjà prévenu de la présence de rôdeurs dans ces bois. Avaient-ils été détruits pour ce qu’ils étaient ou ce qu’il avaient fait ?

Oui, Logan avait déjà fait ses déductions bien avant que Pholos ne mette le doigt sur ce que tous reconnaissaient pourtant : son identité. Bien avant qu’il ne réponde réellement à ses questions, d’ailleurs.

《- Votre tête d'Inferi me dit quelque chose maintenant, je vous aie vu rôdé dans la forêt à plusieurs reprises.》

Sans répondre, Logan hocha une seule fois du chef, validant sa réflexion soudaine. Effectivement, il avait traîné dans ces bois. Adulte autant qu’adolescent. Ici, personne pour attirer son esprit, personne pour l’oppresser de leur présence et de leur médiocrité, personne, simplement. Les centaures l’avaient majoritairement laissé, délimitant simplement avec rigueur leur territoire s’il s’enfonçait trop  avant.
Adulte, ils l’avaient vu, avaient compris, s’étaient tus lorsque de quelques sorts, l’enseignant dissimulait les cadavres de leurs oppresseurs. Donc oui, peut être l’avait-il vu rôder. Peut être avait-il, surtout, repéré son visage sur les avis de recherche placardés partout dans le monde sorcier.

《- La mort verte, puis douloureuse et rouge, nous est tombés dessus en pleine nuit, à 21 heures.  》 De nouveau, Logan acquiesça.
« C’est dans ses habitudes ces temps-ci... »

Pas un frisson, pas un dégoût. Logan était de ceux qui jouaient avec la mort et la maniait tout autant que leurs ennemis. Pas plus de sensiblerie ; son empathie passait par le silence et le respect avec lequel il foulait ces bois.

« Tu es le seul survivant ? »

Du coin de l’oeil, Logan notait l’absence de mutilation contrastant profondément avec les marques qui sillonnaient son corps. Les phalanges amputées, les cicatrices dans ses paumes, les ongles arrachés, les traces du serpent de feu dans sa chair, bariolant son torse. Mais la douleur ne laisse pas toujours de marque. Celle de l’absence, du moins, est invisible.
Elle suintait pourtant du centaure, aussi évidente que ses sabots plantés dans la terre.

 

《Les temps sont durs, mon p'tit monsieur.》

A peine ces mots sortaient-ils que Logan sentait l’agacement pointer. Merci grand sage, il n’avait pas noté tient. Aux yeux du sorcier, valait se taire plutôt que d’étaler des banalités à n’en plus finir. Pour autant il se tu, n’adressant au centaure qu’un regard en coin marqué d’une certaine morgue. Des platitudes et des insultes gratuites. Bien. Admettons. Pas que Logan se formalise pour si peu, mais il notait, encore indécis sur sa manière de percevoir le centaure. Celui-ci bénéficiait d’un à-priori étonnamment positif qui n’était pas dans ses habitudes. Mais une telle chose pouvait changer.

Non loin de lui, le centaure se tu quand il s’agit de dénombrer les survivants du massacre qu’il abordait. Le vide claqua alors dans la clairière avec la violence d’un cri silencieux. Il était le dernier.
Par respect ou par habitude, l’ancien directeur ne commenta pas, acquiesçant seulement en silence.  Loin d’être porté sur le sentimentalisme, il savait pourtant ce que c’était que de vivre l’enfer. Si c’était récent, la forêt ne serait pas dans cet état. Si l’attaque datait davantage, alors Logan était sans doute encore dans les cachots de l’école, embourbé dans sa propre damnation.

Percevant un léger mouvement de la part de l’homme-étalon, Logan y jeta un coup d’oeil. Son corps n’était pas tendu, pas plus que son myocarde ne battait vivement mais il restait à l’affût, habitué à connaître la violence d’une attaque surprise. Mais le blond ne faisait que l’observer, ses paupières légèrement plissées, un air neutre affiché sur les traits. Il comprenait. Ainsi les mots suivants ne surprirent pas davantage l’ancien enseignant.

《- Vous êtes pas le directeur de Poudlard ? 》 Penses-tu. Une personne recherchée par une grande partie du pays ne viendrait pas au pied de la forteresse de ses ennemis, non ? 《 Maintenant je me souviens que j'ai lu votre nom dans la Gazette du sorcier avec votre photo qui bouge.. 》 Sans doute rien de très flatteur, et probablement une photo récupérée auprès des Rivers. Lui-même n’avait pas vraiment eu le temps pour ce genre de mondanités. On le nommait directeur d’une école et directeur il avait été. Pourtant il lui avait davantage semblé avoir occupé un poste de caporal de guerre plus que d’administratif dans l’éducation. Bien sûr, Logan avait géré la logistique, les cours, les emplois du temps, le ravitaillement des repas en temps de siège, l’organisation des matchs et autre approvisionnement de matériel scolaire. Mais il avait surtout engagé des soldats, des gardes, avait organisé des entraînements, mis en place de nouveaux enseignements de défense, avait ravitaillé l’infirmerie, engagé des maîtres d’arme, appris aux élèves à faire face à leurs angoisses. Ils n’étaient alors plus à ses yeux des enfants mais des futurs adultes qui devraient un jour où l’autre être confrontés à la guerre et faire face à leurs actes. Qu’importe leur âge actuel, ils devaient avoir les armes pour affronter la suite. Et qu’importe, surtout, quel monstre cela faisait de lui. 《..mais je me rappelle plus le nom de l'article. Oui je vous aie vu rôder dans les bois mais j'avais d'autres soucis à l'esprit que de m'occuper des humains qui font des trucs bizarres dans la forêt, les sorciers paumés c'était pas mon problème.》
« C’est là très exactement un mantra que j’ai souvent répété.. » Lui répondit Logan d’un air amusé.
Tant de temps à refuser de se mêler des affaires des autres, à évincer les demandes, à estimer que les problèmes des autres ne le regardaient pas. Et pourtant il avait fini par s’impliquer, pour son propre égo, son propre besoin de pouvoir, sa propre arrogance mais aussi parce qu’en étant engagé dans ce château en tant qu’enseignant, en se voyant confier la gestion d’une des maisons, ces gosses étaient devenus sa responsabilité. « L’article devait faire mention d’un bâtard au pouvoir… et ne devait pas être particulièrement élogieux. » Un dangereux monstre dans la nature, un directeur aux capacités dantesque, né sous la malédiction de la légilimencie. Un danger que tous devaient dénoncer pour le mettre hors d’état de nuire. C’était là ce qu’on disait sur lui depuis ses cinq ans, il ne s’en émouvait donc plus depuis longtemps.
Logan reprit.
« C’est un tort. » Son regard se planta de nouveau frontalement dans celui du centaure. Les prunelles d’acier auraient pu désirer le transpercer qu’il n’en aurait pas été autrement. C’était là une habitude chez lui.  «  D’estimer que les étrangetés des sorciers ne vous concernent pas. Mais je suppose qu’à présent tu en prends la mesure. » Tranchant. Un brin cynique.  « J’ai enterré des hommes ici. Ceux qui ont massacré les tiens les pleurent sans doute. » C’est là le seul réconfort que j’ai à t’apporter.

L’espace d’un instant, le regard du directeur s’arrêta au sol, loin derrière la croupe de la créature mais revint rapidement dans son regard pour reprendre un nouvelle fois avant que l’autre n’ait eu le temps d’intervenir. « Tu en as revu ? Certains de ces hommes. » Ils possédaient la zone à présent. De nouveau maîtres de Poudlard, ils régnaient en maîtres sur l’école et devaient se présenter en conquérants dans pré-au-lard comme ils le faisaient à Londres. Pourtant, le reste de l’Ecosse leur échappait encore. Trop grand sans doute ; ils se concentraient sûrement sur le centre névralgique de la Grande Bretagne. Londres.

 

Logan vit bien le sentiment de dégoût du centaure à l’évocation des cadavres sous terre. Tout à la fois étonnant et étrangement satisfaisant pour lui. Qu’importe la part de respect qu’il avait éprouvé pour ceux sont le sang nourrissait la terre, Logan aimait cette impression d’étrangeté, ce dégoût latent qui venaient se poser sur lui lorsque ses actes faisaient vriller la morale. Dans le regard du centaure, il sentait que son échelle de valeur venait d’être heurtée et le monstre sous la chair de l’ancien directeur se délectait de l’horreur latente. La neutralité sur les traits, Logan le laissa poursuivre.

《- Tu m'étonnes que les moldus ont peur du monde magique quand tu vois la façon de pensée de certains sorciers, il y a de quoi être angoissé effectivement.》

Les moldus vivent dans un cocon de confort, loin de toute difficulté réelle et ne se confrontent jamais à l’adversité du monde. Ce sont pour une grande majorité de faibles geignards fuyants les épreuves dans un monde illusoire, se créant des problèmes inexistants pour faire palpiter leurs misérables existences. La majorité sont des pleutres incapables de prendre les armes et restent choqués et outrés au moindre coup du sort.

Songea-t-il en silence. Oh, pas qu’il les estima tous ainsi, bien au contraire. Mais Logan les estimait pour la majorité mous et inconsistants. Ceux qui, au contraire de ces estimations premières, se révélaient faire preuve de force et de persévérance, méritaient son respect. Tout aussi tranchant envers les sorciers, qui plus est les nés moldus ou les sangs mêlés élevés dans un écrin de douceur similaire, Logan ne reconnaissait que le mérite et exécrait les privilèges.

L’amusement dans le fond du regard, Logan restait impassible, ne laissant sur ses traits que ce masque habituel auquel il ne prêtait plus attention depuis bien des années.

《- Je vous signale que Royos raconter à qui voulait l'entendre à la veillée que les sorciers se nourrissait de centaures tel votre croquemitaine pour inciter les bébés à ne pas s'aventurer parmi vous. Et non j'ai pas revu ces hommes mais je sais qu'ils sont là, tapis dans le noir. 》

C’était donc qu’ils ne passaient pas tant de temps à Pré-au-lard. Du moins pas ceux qui étaient la cause des excursions dans la forêt et qui y avaient massacré les centaures avec lesquels il avait lui-même passé des pactes lors des années passées.

« Un Homme sage ce Royos.. » Mort, mais sage.
Enfin.. centaure. Un abus de langage qu’il ne prendrait pas la peine de corriger. Qu’importe la forme ou le caractère magique ou non des créatures, le fond restait le même. Tous des Hommes, de manière plus ou moins similaire du moins avaient-ils une base commune.

《- Si c'est pas élogieux comme article, faut se battre pour qu'il le devienne et je sais de quoi je parle, homme. » Avait-il réellement pondu une connerie condescendante pareille ?! Ses pupilles se dilatèrent l’espace d’une seconde, fixant le centaure avec l’amusement rugueux de celui qui pourrait bien devenir dangereux à tout moment. « Pour prouver que vous êtes digne de ce poste et pour leur faire oublier votre bâtardise. » Digne de ce poste ?! Mais quel enfoiré.  « Si vous persévérer, ils verront bien qui vous êtes vraiment et vous témoigneront du respect, oubliant votre naissance.》

Le considérant le crâne penché de côté, Logan réceptionna l’injure en silence, un sourire mauvais aux lèvres.

« T’es pas vraiment du coin toi hein ? » Comment pouvait-on tout à la fois habiter juste à côté de Poudlard et être à ce point déconnecté de ce qui s’y était passé ? Ça lui échappait. Durant la période où il avait été le directeur de l’école, Logan avait fait en sorte de faire filtrer un maximum d’informations allant à l’encontre des Supérieurs. Bien sûr, celles ci n’étaient passées que de bouches en bouches et dans certains canards qui, à l’époque, ne devaient être suivis par personne. Mais ils étaient là, les gamins extradés, les parents angoissés, les proches inquiets. Ils avaient parlé. Bien sûr, tout s’était déformé de proche en proche mais si Pholos avait conscience de l’histoire des chocolats empoisonnés, le reste aurait dû suivre.
Logan avait tenu l’école à bout de bras, avait fait face aux assauts, avait agit du haut de son bureau dans la tour comme un roi qui tiendrait un siège. Il avait protégé ces gosses, dû prendre les décisions qui s’imposaient, y compris lorsque celles-ci faisaient de lui l’ordure de l’histoire. Mais personne n’avait pris les devants, personne n’avait eu les épaules. Seul lui et Ismaelle avaient été là pour tenir les rennes de l’école, organiser la libération de ceux qui refusaient de rester ici, entraîner les autres à de futurs combats et maintenir une normalité illusoire pour que tous puissent grandir et avoir les couilles d’agir le moment venu.

Il n’avait pas à se montrer digne de ce poste, il l’avait déjà été. A sa façon, extrême et violente, intransigeante et tranchante, mais il l’avait été. Et il l’avait été encore bien après ça. Chaque jour depuis qu’il avait été vaincu dans cette foutue grande salle, après avoir causé bien des morts et choqué bien des gosses. Il était le monstre, avait pris des vies et brisé des os et ensuite, il s’était tu en protégeant le quotidien de centaine de personnes qu’il n’était même pas certain de respecter.

Et tout ça pour qu’un connard vienne le prendre de haut à lui sortir des banalités sur le statut de bâtard et la sacro-sainte persévérance ?!

La forêt s’était tue. Ça n’était pas arrivé d’un coup sec mais le silence s’était installé comme la brume à chaque mot de la tirade du centaure. Autour, insectes et volatiles avaient cessé chants et stridulations, les petits mammifères ne courraient plus dans les fourrés et la brise elle-même semblait avoir cessé de filtrer au travers du feuillage. Tout s’était arrêté, car instinctivement quiconque aurait compris que l’homme qui faisait à présent face au centaure appartenait à la pire engeance. La violence sourdait de son organisme pourtant immobile, assombrissant son regard d’acier.

« Qu’il est suffisant cet ignorant pour se penser en position de donner des leçons de vie... Et qui te dit que le croque-mitaine dont tu parles n’est pas juste en face de toi ? » Le sourire qu’il lui adressa fut celui d’un prédateur. Acéré et carnassier. « Reste à ta place, cette terre dégorge de trop de sang pour que j’y ajoute le tien. »

Ah comme il était tenté par cette idée soudaine et morbide qui vibrait dans ses os.

 

Certains comprenaient très vite qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas avec Logan. Que dans l’acier tranchant de son regard, une chose immonde vivait. L’une de celles qui tire la sonnette d’alarme et font tinter sous leur peau l’immonde impression de n’être qu’une proie. Un être de chair particulièrement fragile que l’on peut briser d’une pression un peu trop violente. Ces êtres-là entendaient le silence de la forêt, notaient comme toute chose se terrait au changement de l’atmosphère. Comme lorsque le tonnerre approche. Instinctivement, ils savaient devoir se mettre à l’abri, se faire oublier.

Pholos, lui, prit le parti inverse.

Les poings serrés, les mâchoires tendues, chacun de ses muscles se crispait jusqu’à faire saillir monts et crevasse sous son épiderme. Ah comme le mépris et la colère pouvaient monter aisément dans le corps d’un autre lorsqu’on savait où appuyer pour le faire basculer.

《- Tes menaces tu te les enfonce où je pense, caca de Détraqueur enfariné, rester à ma place ? Tu te prends pour qui ? Tu te crois supérieur à moi parce tu fais joujou avec ton bâton qui s'illumine ? J'en ai rien à faire que tu sois le directeur de Poudlard je m'en cogne.. Ici, malgré le silence c'était chez moi, alors tu va respecter ce lieu, les morts et surtout t'écraser..》  

Une joie malsaine se mit à chuinter dans les nerfs de l’ancien directeur dès que l’autre eut commencé à lui aboyer dessus tel un roquet en mal de supériorité. Ah, comme il les connaissait, ces petits chiens à trop japper pour un rien. Et comme il se foutait de ce que le centaure avait pu vivre si la réciproque ne lui était pas accordée. Qu’importe, à vrai dire. Mais la tendance méprisante du centaure à lui faire des leçons de vie, à lui, ne pouvait qu’engendrer une brutale violence en réponse.

S’écraser ? Il n’avait pas dû bien entendre ce qui se disait sur lui. L’enfant monstrueux de l’une des plus grandes familles du pays. Le fils bâtard du ministre de l’économie. Le danger ambulant que tous évitaient déjà dans l’enfance, celui qui avait prit bien des vies depuis. Oh, il en circulait des choses à son sujet. Légendes urbaines ou faits avérés, Logan s’amusait du folklore qui se dessinait autour de sa personne. Le gosse qui faisait fuir les prédateurs, parlait aux monstres et dévastait des âmes.
L’adulte instable, dangereux, l’être nocif et malsain qui avait fait bien du mal à ses élèves et ses collègues jusqu’à emporter dans la mort bien des nobles membres du gouvernement envoyés pour veiller sur l’école.

Logan, lui, à cheval entre les rumeurs et la vérité, se tenait droit face au centaure qui lui fonçait dessus, menaçant. Sourire aux lèvres, il avait fait taire tout ce qui vivait alentours et faisait face à la menace avec l’air malfaisant de celui qui aime violence et affrontements. Et c’était juste. Logan avait grandit avec le goût du sang à la bouche. A présent plongé dans une guerre à laquelle il n’avait  voulu participer, il s’était révélé en guerrier. A se demander s’il n’aimait pas davantage le bruit d’une lame qu’on sort de son fourreau que les personnes qu’il était censé protéger.

Et l’autre qui continuait de glapir sa colère.

《 - Tu va me faire le plaisir de FERMER TA GRANDE BOUCHE et de DÉGAGER fissa de cette forêt et t'avise pas de sortir ta baguette où je vais devenir méchant et je crois pas que ça va te plaire. 》  
De nouveau, rien d’autre qu’un calme vorace, un sourire de prédateur sur les lèvres et une envie brutale dans le fond de sa chair : détruire.
«  Pauvre de moi.. » Tout le sarcasme et le dédain sur mon dans ces quelques mots. Approchant d’un pas, loin d’être inquiet par la petite démonstration de force du canasson, Logan reprit d’un air mauvais. « Parce que tu penses que j’ai besoin de sortir une arme pour être dangereux ? » Trop tard pour la moindre attaque, les pattes de Pholos étaient déjà immobilisées et Rivers n’avait pas esquissé un mouvement. La puissance avait coulé tôt dans ses veines d’enfant mais il avait fallu des mois d’entraînements et une application de son don sur sa magie classique pour apprendre à agir ainsi. Bien sûr, il n’était pas apte à se servir de tous les sortilèges mais ceux qui ne demandaient pas une précision folle lui étaient abordables sans baguette. Un mode d’utilisation rare que Pholos n’avait manifestement pas anticipé. Il n’était pas hors de portée mais le sortilège serpentait déjà sur le centaure jusqu’à s’enrouler autour de ses bras, le rendant incapable d’actions. Dans le même temps, son esprit vola contre le sien, l’écrasant comme un étau et perforant ses maigres défenses. Il n’y resta qu’un court instant, davantage pour infliger à l’autre une douleur vive que pour lui arracher des informations.
Non, Logan n’estimait pas être supérieur à lui parce qu’il possédait une baguette. Il estimait l’être très exactement car Pholos s’était sentit assez supérieur, justement, pour jouer dans la condescendance face à lui. Pire encore, son arrogance l’amenait ensuite à attaquer comme un chiot en manque de sensations fortes.

« Un homme sage, ton Royos. Sans doute aurait-il fallu l’écouter davantage. » Il ne suffisait pas d’aboyer comme un roquet pour pouvoir survivre dans ce monde, Logan l’avait bien compris et n’était pas homme à s’épuiser pour des inutiles. La pression du sortilège compressait à présent les muscles du centaure.  « Je respecte tes morts et ta terre, sans ça tu serais déjà parmi eux. Sans leur intervention, j’aurai sans doute eu plus de morts encore parmi les gosses qui m’ont été confiés. Apprends à tenir ta langue, fils de Matsu, ou ta quête de vengeance sera aussi pitoyable que tes aboiements. »

Oui, Logan savait. Bien sûr qu’il savait.

L’instant suivant et sans lui laisser la possibilité de répondre, le sorcier avait disparu, laissant le centaure empêtré dans le sortilège sans l’en défaire. Il lui faudrait une bonne demi-heure avant que les liens ne perdent réellement de leur solidité et qu’il puisse s’en dégager. Sans doute d’ici là aurait-il la peau marquée de rouge et les muscles anoxiques.

Pas son problème.