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Jeu 6 Mai 2021 - 8:26
15 mai 2016


Il est amusant ce refus de te faire soigner, n’est-ce pas Logan ? Il suffirait pourtant de dire les choses, de t’exprimer. Mais il y a peut-être là dedans une colère salutaire, un besoin de garder la douleur, de la faire tienne, t’en emparer pour ne pas oublier. Pour te punir aussi peut-être ? Certains se tranchent, toi tu vas chercher tes ennemis, tu fais mine de tomber sous leurs coups. Certains cherchent la rédemption, on peut se demander si tu ne cherches pas l’anéantissement. Pour te sentir en vie ou faire taire ces bourrasques qui tamponnent ton esprit ? Pour faire taire quoi, alors ? Taire la proximité, abolir la faiblesse quand hier tu laissais une faille, une entrée ? N’y serais-tu plus en sécurité, dans ta forteresse de marbre ? Tu laisses filtrer l’humanité par ces fissures. Ça fait si mal que ça d’être démasqué ? Si mal, de sentir ses défenses s’étioler, le besoin de l’autre marquer tes veines, l’appel de l’humain crisser sous ta peau ? Elle te manque. Ils te manquent, à vrai dire. Ils sont légion. Ce serait si banal que de l’admettre ?

Assis sur le fauteuil de Sanae, un verre à la main, son regard portait sur le petit écran mais perçait bien au-delà. Il y avait de la colère,  dans ce corps meurtris, de l’impatience, de la frustration. Il y avait des abandons en pagaye et une incapacité à les gérer, des rejets muets qu’il cherchait sans les reconnaître. Au fur et à mesure des jours, Logan avait pris de la place dans l’appartement. Au fur et à mesure des absences, il grignotait l’espace, voyait Sanae disparaitre auprès des uns et des autres. Elle était là, elle faisait face. Elle faisait exactement ce qu’il avait espéré qu’elle fasse. Et pourtant, ça le faisait chier. Aucune logique dans cet esprit troublé, Logan en avait conscience. Pourtant, elle grésillait, la douleur issue d’autres plaies qui venait, suintait, percolait dans ses synapses. C’était le manque qui parlait, la peur. C’était la certitude de voir ceux qu’il aimait disparaitre, chuter, se perdre. C’était l’angoisse pour son cousin, l’impression sourde de ne pas avoir fait assez, qui venait griffer ses nerfs. C’était la connaissance muette de ne pouvoir s’imposer dans le destin que Maeve avait choisi, si violemment conscient pourtant qu’il la perdrait au bout du chemin. Il y avait l’impuissance d’aider les uns et les autres, les laisser aller, faire, sans aucun contrôle.

Alors peut-être était-ce l’éloignement, le mutisme de Sanae qui le mettait dans cet état. Peut-être était-ce simplement le fait de la sentir utile quand lui ne l’était plus. Peut-être y avait-il l’agacement d’avoir faibli face à elle, de lui avoir laissé une entrée là où il aurait dû être plus solide, parfaitement imperméable, stable à jamais. L’angoisse, sourde, de ne plus correspondre à ce dont on a besoin de sa part, d’être oublié dès lors qu’on n’y trouve plus utilité. Ou bien la rage de savoir ses amis dans cette tourmente. De voir à quel point Dorofei perdait pied, captant l’esprit déchiré, ébranlé, qui manquait de s’écrouler. Il restait, ombre dans les ténèbres, prêt à intervenir. Il observait de loin, comme souvent. Comme pour faire un pied de nez aux paroles de Maeve, pour refuser l’évidence. Comme une ironie sourde qui crissait à ses nerfs. Non, il n’en avait pas fini de jouer au stalker, il changeait juste de cible. A contrecœur. Oh, si violemment à contre cœur que ça lui en foutait la nausée. Si brusquement qu’il en avait envie de hurler. Qui est-on quand on ne quitte pas les ombres ? Qui est-on quand on observe ses proches se détruire ?

T’en es où, Alec ?

Sur son pantalon, ses doigts blessés accrochaient les fibres de coton, ripaient contre le tissu, disséminant dans ses os des salves électriques remontant jusque dans son bras, directement dans sa mâchoire. Pourquoi faut-il que la douleur soit si douce ?

De l’autre main, il posait son verre vide là où le serpent de feu élisait domicile quelques mois plus tôt encore.

Pourquoi faut-il que le tourment soit le plus sûr des refuges ? L’isolement, la solitude, la douleur. Voilà ce qui avait constitué bien des piliers de son existence. Et quand les muscles jouaient sous ses joues, son esprit partait ailleurs, plus loin, les visages défilaient, jusqu’à celle qui en avait oublié le sien à force d’en trop souffrir. Et d’un pouce sec, il jouait avec les plaies de ses  ongles arrachés sans voir les images défilant sur le petit écran. Voilà donc ce que faisaient les moldus ? Seuls dans un appartement aseptisé, à observer la vie à travers une boite noire ? Une veste étalée sur le canapé, deux chaussures au milieu du couloir, des fléchettes plantées à côté du mur, des poids non rangés. C’était peut-être sa façon à lui d’être perçu, vu, de s’imposer. Peut-être sa façon de refuser l’abandon. De prendre possession de lieux qui n’étaient pas les siens, d’une vie qu’il n’avait pas choisie.

Lorsqu’elle rentrait, elle dormait ou passait son temps au téléphone. Et il l’observait en silence, sans entrer dans son cercle, la voyant se démener pour les autres, pour elle-même aussi, pour s’accrocher malgré cette tempête qu’il savait rageuse en elle. Oh oui, Sanae faisait les choses bien, elle cherchait à avancer dans la bonne direction, à parcourir ces chemins noyés de brumes et d’embuches qui menaient aux autres et non au massacre. Mais parmi les autres, il n’existait plus. Et de brume, il n’était plus la main qui se tendait dans les ténèbres. Elle était abîmée, cette main. Abîmée de se refermer dans le vide. Abîmée de ne savoir quoi faire pour les uns et les autres. Abîmée d’être inutile, brûlée d’être exécrable.

Alors il partait, lui aussi. Respectait, lui aussi, ses besoins d’espace. Il s’enfermait, tout autant, dans un mutisme conscient, dans une distance aussi nécessaire que délétère.

Mais quand l’homme fuit l’humanité aussi violemment qu’il la réclame, comment se situer ? Comment rompre la cacophonie qui lacérait son esprit ?
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Lun 10 Mai 2021 - 21:33
15 Mai 2016 – Soir



Le soleil se couchait déjà lorsque Sanae redémarra le moteur de sa moto aux pieds de l’immeuble de Kezabel. Londres se laissait engloutir dans les ombres et seuls les lampadaires et les façades illuminées surveillés par le grand Big Ben donnaient un peu de couleurs à cette ville brumeuse. La sorcière avait remis ses grosses chaussures noires et son blouson de cuir avant de mettre son casque sur sa tête. Les chaussures à talons et la veste élégante avaient été remises dans le compartiment de la moto et la jeune femme avalait la route à vive allure. La journée avait été longue, pénible pour les nerfs et son esprit était fatigué, éreinté par la mascarade qu’elle avait joué main dans la main avec sa sœur. Tout allait bien, le boulot était crevant, les loisirs moindres mais tout allait pour le mieux. Oui, pour le mieux. C’était la version officielle, la leur, à elles deux. Les mensonges s’étaient écoulés de leurs lèvres en harmonie et Sanae sentait la pression retomber lourdement au fond de son ventre. Elle s’était faite rempart contre les questions, avait amené l’inquiétude qui pouvait poindre vers d’autres sujets, restant aux côtés de Kezabel quoi qu’il lui en coûte. Même si ça voulait dire faire semblant, encore et encore. Même si ça voulait dire retourner à nouveau chez les Hasting, foulant de ses pieds un sol qui revêtait tant de souvenirs de son père, heureux aux côtés de James, heureux en regardant Kezabel et elle grandir ensemble. Le manque lui crevait le coeur, lui enserrait la gorge et dans son casque, il lui semblait que des larmes venaient border ses yeux sombres. Sa conversation avec James avait remué des choses, remué l’absence d’un père dont la présence dans son esprit palpitait toujours. La sentirait-elle un jour s’effacer ? Se souviendrait-elle toujours de ce qu’elle avait éprouvé à sentir son esprit toucher le sien, l’envahir pour se connecter à elle ? Chaque jour passé sans lui, elle se demandait combien de temps il lui restait avant que les souvenirs se tarissent, s’estompent, deviennent moins clairs, moins vifs. C’était comme si elle avait peur de perdre les sensations que tous ses sens avaient imprimés dans sa mémoire. Pourtant, elle s’accrochait, dans la douleur, dans le chagrin mais elle s’accrochait à lui, partout, pour tout tandis qu’elle s’éloignait néanmoins des choses qui ne collaient plus, qui ne convenaient plus à ce qu’elle avait toujours été et devenait à chaque pas franchi avec plus d’assurance.

Mais il lui semblait le retrouver dans sa volonté de prendre soin des autres. Elle essayait, mal parfois, de tout conjuguer et les journées paraissaient trop petites, trop courtes pour tout contenir. Le boulot trop prenant, Kezabel, Margo, la Garde et les missions qui s’enchaînaient, les entraînements qui lui faisaient un bien fou… Elle tentait de s’équilibrer, de trouver des échappatoires, des défouloirs, des moments de pause tandis que les événements et les inquiétudes s’amoncelaient. Et dans tout ça, bien qu’il lui semblait trouver une façon d’avancer efficacement, il y avait ce grondement au fond de son ventre. Ce truc qui commençait à frémir en elle, ce truc qui était empêtré dans les non-dits, dans l’attente, dans la maladresse. Ce truc, elle le sentait sans pouvoir l’identifier dans le brouhaha de sa vie. Pas vraiment d’instant de pause, seule. La recherche d’un nouvel appartement pour Kezabel dans une volonté de contrôler l’environnement qui pouvait l’accueillir au mieux, d’avoir une emprise sur ce qui lui arrivait, à défaut d’en avoir vraiment une sur ce qui se jouait à l’intérieur de son crâne… l’envie de montrer à Margo qu’elle était là, qu’elles pouvaient surmonter ce qui menaçait de faire flancher les nerfs de la blonde… Tout s’était enchaîné si vite, trop vite. Alors quand elle rentrait, elle s’écroulait, passait les derniers appels, s’assurait que tout allait avant de s’échouer dans son lit. Et dans ses draps, juste avant de s’endormir, il y avait cette chose en elle qui grinçait avant que le sommeil ne la prenne.

Si elle n’avait pas été aussi fixée sur l’extérieur de cet appartement, elle aurait vu, compris, identifié ce qui grésillait si fort.

C’était le manque.
Le manque d’alcool, le manque d’oubli ?
C’était ça, hein ?
Ou bien était-ce autre chose ?

La tête pleine, Sanae garait sa moto dans le parking sous-terrain de son immeuble et casque sous le bras, remontait jusqu’au rez-de-chaussée pour prendre l’ascenseur. Elle tenait ses chaussures à talons dans une main et sa veste de tailleur sur le bras tandis que son autre main jouait avec son trousseau de clés. Le regard dans le vide, elle entendit à peine le « ding » alors que les portes s’ouvraient au quatrième étage. C’était presque mécaniquement qu’elle avançait dans le couloir jusqu’à sa porte. Ses pensées défilaient,  allaient vers un visage connu qu’elle avait retrouvé la veille au matin avant d’aller apporter un tout nouvel œil à Dorofei… Un dernier entraînement, comme une façon de se dire au-revoir, de clore quelque chose, de s’assurer que tout était en place. Si l’inquiétude vrombissait à l’intérieur de son estomac, elle n’imaginait pas ce qui tordait celui de l’homme qui se trouvait derrière cette porte.

Ils n’en avaient pas parlé. Le prénom d’Alec lui semblait être quelque chose qui devenait trop douloureux à prononcer face à Logan alors elle ne disait rien.

Elle ne lui disait rien depuis longtemps d’ailleurs…

Comme une façon de lui donner son espace, de ne pas ajouter à la proximité partagée qui risquait de le faire fuir à tout instant, Sanae gardait une distance fébrile avec lui. Elle avait enlevé les affaires de Keza dans sa chambre d’ami, lui avait fait de la place, laissait des mots derrière elle comme si cela pouvait attester de sa présence ou la remplacer. Sans savoir ce qu’il voulait vraiment, sans savoir comment se positionner, la sorcière tentait de trouver ses marques dans le nouvel espace qu’ils partageaient, dans cette relation qu’ils n’avaient pas attendu, pas prévu mais qui était là. La vérité, c’était qu’elle ne savait pas quoi faire, pas quoi dire, ou ne pas dire...alors elle se taisait, elle posait un regard trop rapide sur lui pour se garder de la tentation de poser des questions, de venir vers lui, et elle manquait des choses. Elle passait à côté, elle se focalisait sur ce qu’elle pouvait contrôler, pouvait prévoir, sur ceux qui avaient besoin d’elle et les jours passaient...Elle savait qu’il s’absentait, qu’il allait elle-ne-savait-où faire elle-ne-savait-quoi et une rancoeur injuste grandissait dans son être. Elle n’était entrée que deux fois dans son esprit et malgré le fait qu’il avait toujours la main mise sur ce qu’elle y voyait, elle savait que c’était déjà trop. Trop à gérer. Trop à accepter. L’échange, la proximité, l’intimité qui se créait au fil du temps...à cela s’ajoutant une colocation étrange, encore neuve, comme une plante qu’elle n’osait pas arroser au risque d’en noyer les racines. Alors elle passait devant, constatait qu’il était toujours là, que la plante était toujours vivante et elle se disait que c’était sans doute ce qu’il fallait. De la distance, le temps de digérer l’humanité qu’il lui avait montré. Le temps d’accepter de vivre ici. Et lui...lui ne disait rien, n’allait pas vers elle, alors elle comprenait, en mal, que c’était ce qu’il voulait. Du silence.

Etait-ce vraiment ce qu’il voulait ?
Etait-ce vraiment ce dont il avait besoin, là en ce moment ?

Elle fronça les sourcils à ces pensées, enfonçant les clés dans la serrure avant d’ouvrir la porte et de la refermer, distraite.

Est-ce qu’elle avait pensé à envoyer un message à Dorofei pour lui demander si sa première journée avec son nouvel œil s’était bien passée ?
Elle aurait du rester un peu plus avec Kezabel après le repas d’anniversaire…
Est-ce qu’elle avait répondu au dernier message de Margo ?
Et celui de Max ?
Et est-ce qu’elle avait fait les courses depuis….

« Ah PUTAIN ! »

L’insulte en français avait transpercé le silence de l’appartement. Son casque et son contenu s’étaient écrasés au sol, les clés avaient glissé sous le meuble de l’entrée et sa veste gisait par terre avec les restes de son costume de la journée. Il s’en était fallu de peu qu’elle ne tombe au milieu de tout ça, le cul sur le parquet. Elle s’était rattrapée au rebord du meuble et son regard était retombé lourdement sur la paire de chaussures responsable de cette entrée fracassante.

Pas ses chaussures.

Des prunelles accusatrices tranchèrent l’espace et allèrent trouver le propriétaire des chaussures qui semblaient avoir traversé les âges – elle leur donnait plus ou moins cent ans. Un souffle rageur passa ses lèvres, sourcils froncés. Elle remit une mèche de ses cheveux derrière son oreille et prit une chaussure pour l’envoyer valser vers le fauteuil dans lequel il était assis.

« T'es chiant avec tes godasses dégueulasses ! »

Elle se débarrassa des siennes et d’un pied, repoussa toutes les chaussures sur le côté. En s’avançant dans la pièce, elle prit conscience pour la première fois depuis deux semaines que cet appartement était un vrai foutoir. Les mains sur la hanches, elle regardait le désastre. Des poids abandonnés par terre, des vêtements par-ci par-là, la veste de Logan sur le canapé, des verres vides sur le comptoir, de la vaisselle dans l’évier, des papiers sur la table basse, …

« Pourquoi j’ai pas vu avant que cet appart était un bordel sans nom ?! Et pourquoi il faut que tu laisses tes chaussures en plein milieu ? » Ses mains s’agitaient en direction des chaussures, son regard allait d’un point à l’autre alors que les reproches s’enchaînaient dans une mini-tempête insupportable « Et tu peux pas garder tes poids de 2kg à peine dans ta chambre ? … »

Elle ne le regardait même pas, passait devant lui en déplaçant des objets plus qu’elle ne les rangeait. Et dans ses va et viens dans la pièce, Sanae arrêta un instant son regard sur lui. Une seconde à capter l’état des mains, des doigts. Une incompréhension outrée crispa son visage. Ce fut l’inquiétude sourde qui perça dans ses veines mais qui décida de s’exprimer de la pire manière qui soit.

« Ah. Biiiiiien. En fait, ça te sert à rien de vivre avec une médicomage, hein ? Vu que tu es assez con pour ne rien dire quand t’es blessé. T’as raison, laisse ça s’infecter et gangrener, c’est mieux. Et pis ça fera plaisir aux Supérieurs...qui a tué Logan ? Oh, personne ! Il s’est juste pas soigné. PARFAIT ! MEME PAS BESOIN DE LE BUTER NOUS MEMES HEIN ! »

Elle ne savait plus à quel moment de son discours elle s’était mise à lui lancer des choses au visage mais soudainement le canapé était libéré des vestes et autres vêtements qui l’avaient recouvert.

Elle se sentait bouillir comme un tourbillon de frustration qui décidait de se libérer maintenant, ce soir, là tout de suite parce que ces putains de chaussures étaient au milieu, parce que ce putain d’appartement ne ressemblait plus à rien, parce qu’il restait là dans son fauteuil avec son verre de putain de whisky, et…

...parce que cela faisait deux semaines qu’ils ne se parlaient presque plus…
...qu’ils n’échangeaient plus rien que de l’espace…vide.

Deux semaines que leurs esprits ne s’étaient pas rencontrés, deux semaines qu’il n’y avait eu aucun contact, aucune proximité. Elle ne savait ni ce qui se passait dans sa vie, ni ce qu’il endurait. Tout ce dont elle était persuadée c’était que si elle avait eu le malheur de poser des questions, elle n’aurait pas eu de réponse. Et qu’au fond, s’il ne venait pas vers elle, c’était parce qu’il n’en avait pas besoin, pas envie, ou pas envie d’en avoir besoin. Au final, ici, tout ce qui lui était utile à lui n’était que le toit qu’elle lui offrait ; il ne voulait pas même de ses services de médicomage. Il ne voulait rien d’elle, c’était ça ?

Si elle avait été un peu plus enclin à regarder la situation en face, Sanae aurait compris que la culpabilité mordait sa chair. Parce qu’elle n’avait pas fait attention, parce qu’elle n’avait pas réussi à tout conjuguer comme elle l’avait voulu, parce qu’elle aurait du savoir, aurait du voir et que trop de choses lui échappaient le concernant. La frustration venait s’amonceler en elle et elle ne trouvait pas les mots, pas la manière d’exprimer ce qui se jouait vraiment.

On s’éloigne.
Je ne sais pas comment te parler.
J’ai peur.
Je suis désolée.
Tu me manques.


Tout ça contenu dans un « Tu fais chier Rivers ! » qui résonna en même temps qu’une chaussure tapait contre le mur derrière son fauteuil.
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Dim 16 Mai 2021 - 16:53
« Tu sais que tu peux décocher un ‘Joyeux anniversaire’. Ça sera merdique comme discours de départ, mais ça sera toujours ça. »

La voix sourde, grave de celui qui n’était qu’un gamin il y avait si peu de temps résonnait encore à ses oreilles. Le regard froid, dur, grave, les sourcils froncés, les mâchoires serrées, ses muscles qui y palpitaient sous la surface. Et cette réflexion immonde qui l’aurait fait hurler s’il l’avait entendue : on dirait ton père. A vrai dire, on dirait aussi le mien. Lui n’y ressemblait pas, jamais. A aucun instant, sous aucune lumière, Logan ne portait le moindre trait semblable aux Rivers. Et pourtant, qu’il en était un. Il l’était jusqu’au mutisme glacial qui l’avait encore pris ce jour-là, posant un regard neutre, barré d’un masque sur celui qui, pourtant, risquait sa vie. Faut-il que tu me haïsses pour survivre ? Il le revoyait, ce gosse, tenir tête sans jamais baisser le regard. Il le revoyait, tremblant, son esprit partant dans tous les sens, là, sous la surface, quand on lui demandait de parler, de dénoncer sa sœur. Et ne rien en laisser paraître. Il le voyait rire et boire, s’écraser, la gueule en vrac à Poudlard. Il se voyait le couvrir.

Il se voyait sous les murailles, le voir pousser un corps par une fenêtre. Et le crâne de ce type se fracasser sur la roche en contrebas. Il se voyait courir, l’acide dans les veines, tracer le chemin jusqu’à masquer la présence du corps avant de le rejoindre, calme, imperturbable, l’emportant. Enterré dans la forêt interdite, à l’endroit même où il avait retrouvé Enzo un jour. A l’endroit même où le corps de son propre frère avait disparu. Oh Alec. Il revoyait cette gamine, la petite blonde, lui cracher à la gueule son venin, tirant la sonnette d’alarme. Comme si tu n’étais pas assez solide pour tenir. Comme si tu n’avais pas les trippes. Tu es un Rivers, toi, non ? Un vrai, un pur. Si branlant, pourtant, si instable, si friable.
Encaisse. Encaisse encore un peu. Apprends. Apprends, j’arriverais Alec. Mais avant, il faut apprendre, connaître les coups, connaître le charbon dans ta gorge, le salpêtre dans tes poumons. Apprends. Un jour, il te faudra user de ces heures sombres pour tenir le choc bien plus longtemps, bien plus intelligemment.

Avait-il eu raison ? Dans ces yeux clairs où brûlait un feu glacial, pensait-il trouver la survie ou le désespoir ? Lui avait-il donné assez de clefs, balayé l’usure pour la muer en fer ? Toutes ces journées passées, son esprit plantant le sien, lui apprenant à comprendre d’où venaient les attaques, à s’enfermer à l’intérieur de lui-même, à s’abolir pour creuser des fosses entre lui et les autres, était-ce suffisant ? Quand il finissait la gueule en sang dans son bureau, saurait-il tenir le choc face à ce qui l’attendait à présent ?

Elle était là, l’angoisse sourde, froide. Il ne serait pas là, cette fois. Il avait su accepter que sa seule méthode ne suffirait pas, qu’il devait de toute manière s’éloigner de lui. Mais est-ce que tout ça suffirait ? Des années pour l’amener là.

Tu sortiras à la moindre intrusion, t’emporteras Aileen avec toi, et rien ni personne ne t’arrêteras.

T’as fait le taf, gamin. Aileen va bien. Et toi, tu as les clefs. Les armes.

Le reverrait-il seulement un jour, autrement que son sang sur ses mains ? Prenait-il le même chemin que Maeve, ne l’évoquant pas, pas même avec elle. Avec personne. Seul. Les voilà éloignés, tous, de l’une qui perdait jusqu’aux sonorités de son prénom aux deux autres, en marche pour leur destins.
Et lui, au centre, à observer les déchéances sans jamais vraiment réussir à fermer les yeux sur la misère humaine.

Et la colère, la frustration, la solitude, elles se mêlaient pour donner quelque chose qu’il ne maîtrisait pas, qui grésillait dans ses cellules. Le manque, là aussi. Quand l’une crevait d’avoir perdu un père, le second se tuait d’observer les autres disparaitre. Le manque. Parce qu’ils se fuyaient l’un l’autre, noyés pourtant dans un besoin d’humanité évident. Et noyé, il l’était bien. Noyé de rejet, noyé d’amertume, noyé d’un manque fuyant, indistinct, un peu comme elle. Toujours absente, toujours ailleurs, à se plier en quatre pour les autres, tous. Toujours là, comme un bon soldat, parfaitement dédiée sur la voie qu’il lui avait tracée, vers laquelle il l’avait amenée, lui refusant l’abandon, la violence et le goût du sang. Alors au fer, elle avait choisi l’humain, comme il l’espérait. Elle avait choisi Kezabel, Margo. Il le savait sans avoir besoin de prendre ses pensées, conscient de ce qu’elle traversait et de ceux pour qui elle était là. Et ça le rendait dingue.

Dingue, la présence autant que l’absence. Le manque de contrôle, le fait de s’introduire chez elle sans vraiment savoir si c’était ce qu’elle désirait ou non, ce qu’il désirait ou non. Dingue, l’humanité autant que son rejet. La sensation d’être toujours à côté, dans l’erreur. Mal. Pourquoi, comment, depuis quand et jusqu’où, il n’en savait rien. Mal. Ce mot-là, en revanche, il était certain. Si simple. Trois lettres. Et un trouble persistant dans la poitrine. Une sensation douloureuse qui ne s’en allait pas.

Félicitations Logan, tu appartiens de nouveau au monde des vivants. Et tu détestes ça.

Car dans ce putain de monde, les vivants meurent et fuient.

« Ah PUTAIN ! »

Le cri l’avait cueilli, percé, tranché, griffé comme une décharge électrique.

Autant que ce truc, cette inflexion dans l’air, ce truc légèrement plus lourd qui apparaissait quand elle était là, qu’elle se mouvait généralement en ignorant presque sa présence. Là sans y être. Ou bien était-ce lui ? Le retour du fantôme qui observe les vivants sans qu’ils ne le sachent.

« T'es chiant avec tes godasses dégueulasses ! »

La colère, elle vibrait dans l’air quand la chaussure le perçait, percutant le fauteuil dans lequel il était assis, l’œil las soudainement animé d’autre chose de plus brusque. Une vague animée qui s’était éveillée dans sa poitrine comme un golem qui s’éveille.

« Pourquoi j’ai pas vu avant que cet appart était un bordel sans nom ?! Et pourquoi il faut que tu laisses tes chaussures en plein milieu ? »

Pour attirer ton attention, dirait une mère attentive et blasée. Mais ni l’un ni l’autre n’en avaient eu, donc aucune sagesse maternelle ne risquait de les aiguiller.

« Et tu peux pas garder tes poids de 2kg à peine dans ta chambre ? … »

Ses doigts blessés se crispaient sur le verre, fixant un écran qu’il ne voyait plus depuis bien longtemps. Le corps émacié, les mains inutiles, la faiblesse dans ses muscles, ses os, cette chair qu’il ravivait difficilement depuis un moment et dont il ne savait que faire. La larguer, laisser à Alec sa chance de survie ?
Suivre Maeve, partir avec, se noyer dans les ombres. Tentant. Affreusement tentant. Mais elle n’était pas son histoire. Ou plutôt, lui n’était pas la sienne. Il n’avait rien à foutre là, c’était sa fin, pas la sienne, et il ne s’y imposerait pas sans invitations.

Qui t’en donnerait, une invitation, de toute manière ?

« Tu feras gaffe, t’as envoyé aux chiottes tes vœux de silences. »

Une voix sourde, grave, comme le grondement d’un orage qui approche. Mais là, c’était elle qui approchait. Car après avoir balancé toutes ses conneries partout autour de lui, elle envisageait manifestement de ranger. Ou plutôt de bouger des trucs de manière parfaitement aléatoire juste pour reprendre le contrôle de son environnement. Et lui, restait de marbre. Comme un gosse dont la placidité ferait bouillonner ses parents et qui en jouerait de puériles moqueries. Alors il ne posait pas même son regard sur elle. Et pourtant, le petit sourire qui étira ses lèvres n’était pas feint.

« Ah. Biiiiiien. En fait, ça te sert à rien de vivre avec une médicomage, hein ? Vu que tu es assez con pour ne rien dire quand t’es blessé. T’as raison, laisse ça s’infecter et gangrener, c’est mieux. Et pis ça fera plaisir aux Supérieurs...qui a tué Logan ? Oh, personne ! Il s’est juste pas soigné. PARFAIT ! MEME PAS BESOIN DE LE BUTER NOUS MEMES HEIN ! »

Sourire, oui, moqueur, acerbe, piquant. Fourbe même.

Pourquoi ça te fait plaisir, Logan ? De quoi tu jouis d’ailleurs, de l’inquiétude ou de la culpabilité ?

Tu ne lui as pas demandé non plus quand Maeve t’a planté. C’est quoi l’idée ? Garder les plaies pour en faire ton purgatoire ? Garder la douleur en toi, contre toi, la faire tienne pour te sentir en vie. Pour garder les traces de ceux qui pourtant s’effacent ? Ou pour en blesser d’autres ? Tu ne la vois pas, là, cette sensation de rejet, cette impression d’exclusion, d’opposition ? Oh si, tu la vois. Tu l’apprécies, même. Par sadisme ou soulagement ? Ça te ferait mal de répondre à cette question, d’être honnête. D’ailleurs tu n’en as simplement pas la capacité. Ça se brouille trop, ça brûle trop, c’est trop violent en toi, là, pour ça. Alors tu lui souris à la gueule plutôt que de parler.

« Tu fais chier Rivers ! »

Une nouvelle gaudasse volait à présent, percutant le mur derrière lui.

« C’est ma marque de fabrique. »

Sourire. Ce putain de sourire moqueur, violent, agressif. Ce putain de sourire qui t’a valu une lame dans le bide et le rejet de celle que tu voulais trouver.

Et elle, c’est ça que tu fais ? Tu la rejette ?

Autour d’eux, les objets qu’elle avait déplacés s’était mis en mouvement, se posant ça et là…. Exactement au même endroit qu’avant. Et dans le regard qu’il lui jetait par-dessus le fauteuil dont il ne bougeait pas, la flamme du défi, de la colère, de la jalousie même peut être. La plaie, surtout, rougeoyait derrière les âtres. Et son éclat avait un miroir dans les prunelles sombres de son hôte.
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M. Logan Rivers
Dim 23 Mai 2021 - 16:13
Elle lui avait laissé son espace sans s’y imposer réellement, n’étant qu’une silhouette de passage qui tentait de ne pas perturber ce nouvel élément qui devait s’acclimater. Elle lui avait donné du temps, du silence, et pas seulement parce qu’elle ne trouvait pas les mots mais parce qu’il y avait eu très longtemps auparavant, une petite fille qui avait eu besoin de temps. Du temps pour accepter son nouvel environnement, du temps pour regarder autrement qu’avec méfiance un homme qui l’avait prise sous son aile. Cette petite fille ne lui avait pas parlé pendant des semaines, s’était glissée dans les couloirs de cette maison comme si une main pouvait s’abattre à tout moment pour l’en extraire. Alors même si cela faisait bien des années que cette petite fille n’existait plus, Sanae ne l’oubliait pas. Et elle essayait de donner à Logan ce dont elle avait eu besoin autrefois.

Mais ils n’étaient pas les mêmes. Plus elle avançait, plus il lui semblait que ce qu’elle devenait s’éloignait de lui. Pourtant, c’était bien lui qui l’avait poussée à tourner le dos à la destruction, au carnage ; il avait encouragé la voie qu’elle avait prise sans fermer la porte à l’autre, sachant pertinemment que ses arguments fonctionneraient. Sauf que plus elle allait dans cette voie, plus elle se tournait vers une humanité qui lui déplaisait sans doute à lui. Elle lui déplaisait car il en était doté et qu’il en avait besoin ; de ça, Sanae en était consciente. Il devenait hélas impossible de garder cela en tête quand toutes ses craintes, tous ses doutes, tous ses démons lui hurlaient que plus le temps passerait, plus la distance se creuserait irrémédiablement. Elle avait tenté d’oublier alors. Oublier qu’elle ne savait pas ce qu’il voulait, qu’elle ne faisait peut-être pas ce qu’il fallait, qu’elle n’avait ni le contrôle ni les informations nécessaires pour agir. Ce terrain-là était inconnu. Et pourtant, elle savait, elle, ce qu’on ressentait quand on trouvait quelqu’un comme soi-même, quelqu’un qui partageait un don commun, qui vivait avec ce fardeau et cette chance tout à la fois. Elle savait la puissance d’une telle connexion ; les pièges et les profits, les joies et les peines… Oh, ce pouvait être la meilleure chose au monde. Se sentir dans une telle proximité qui se passait souvent de mots, avoir à ses côtés une personne qui comprenait la charge que ce don faisait peser sur les épaules, la solitude amère qui irradiait parfois trop, le débordement et le brouhaha incessant dans l’esprit quand il se retrouvait saturé par les souvenirs de tant d’autres esprits, la sensation de marginalité...oui, sentir qu’on était accompagné par quelqu’un qui savait tout cela pour le vivre lui-même était un cadeau. Un cadeau déstabilisant et unique. Et pour chaque facette d’une chose, il en existait une autre. Être lié à quelqu’un de cette manière engendrait une intimité qu’on refusait parfois. Trop difficile, trop réelle, trop intense, trop humaine. Cette connexion rendait la perte de l’autre plus douloureuse encore et elle se battait constamment avec cette présence indélébile dans son esprit d’un homme qui n’était plus là physiquement.

La vie lui avait donné une nouvelle âme à laquelle se lier.
Et cette nouvelle âme ne le voulait pas.

C’était son constat. Il ne voulait pas, n’acceptait pas, alors elle tâtonnait de peur de le faire fuir, de déclencher la peur qui vibrait en lui et qui mettait des barrières entre eux. Elle le laissait faire, dans la violence, dans le rejet, dans les intrusions mentales et les jeux de pouvoirs dont il usait pour se protéger. Elle laissait faire comme on se laissait approcher, sentir, mordre par un animal trop longtemps battu et qui n’avait pas l’habitude d’un contact plus doux. Alors bien sûr, il lui faisait mal souvent. Il faisait mal dans la distance qu’il imposait et qu’elle s’imposait pour le garder. Il faisait mal dans les secrets, dans les non-dits, dans les refus. Et puis, venant de nul part, il arrivait qu’il fasse un geste, qu’il dise un mot, qu’il lance un regard pour qu’elle sente leur lien plus fort encore tracer un chemin entre eux et dissiper la solitude qui était la leur.

Il lui avait offert un morceau de lui la dernière fois. Il aurait couper court, la repousser, lui faire oublier mais il lui avait laissé ce petit morceau qu’elle avait attrapé au passage de sa tempête.

Les plus belles choses sont celles qu’on offre, hein, Masa ? C’est ça que tu me disais souvent ? On n’entre pas dans un esprit sans la permission, sans l’invitation. Si on le fait, on s’expose aux regrets,  à la culpabilité d’avoir forcé et vu quelque chose qui ne nous appartenait pas. Et pour des gens comme nous qui gardons tout, mieux vaut garder seulement des cadeaux que des souvenirs volés, n’est-ce pas ?

Ce n’était pas pour rien qu’elle ne résistait jamais aux intrusions, ce n’était pas pour rien qu’elle acceptait de laisser faire. Elle lui donnait des morceaux d’elle, et ce qui n’avait été d’abord qu’une façon de lui faire comprendre qu’il ne craignait rien, qu’elle n’était pas une menace, s’était transformé en un vrai don. Un don de soi. On pouvait s’insurger du peu, en perspective, qu’il lui donnait en retour mais elle, elle savait que c’était beaucoup, que c’était déjà trop et qu’elle représentait davantage une menace pour lui qu’auparavant...car s’il réveillait souvent sa monstruosité à elle, elle avait aussi la capacité de réveiller son humanité à lui.

Et il avait peur.
Mais elle aussi avait terriblement peur.

Elle ne savait pas mieux faire que lui. Surtout pas en cet instant. Alors elle s’était contentée de lui offrir du silence et de l’espace dans l’espoir que la distance finirait par se réduire quand il serait prêt. Son attention s’était portée ailleurs et elle avait manqué les signes, manqué le mal être, la solitude, la rancoeur, la souffrance… Et c’était toujours plus simple de se crier dessus des choses qu’on ne pensait pas forcément plutôt que de se dire la vérité. La vérité, c’était qu’elle s’en voulait autant qu’elle lui reprochait de ne jamais faire de pas vers elle, de ne pas lui avoir donné l’occasion de le soigner, de ne pas lui donner la place qu’elle-même lui donnait dans sa vie. Que ce sentiment soit légitime ou non, elle le ressentait si fort en cette seconde que tout suintait, tout volait, tout crépitait et s’alourdissait en elle, autour d’eux.

Et quand lui demeurait immobile dans son fauteuil, Sanae, elle, ne cessait ses mouvements.

« Tu feras gaffe, t’as envoyé aux chiottes tes vœux de silences. »

La remarque avait piqué la colère déjà bien gonflée, inflammée. Que devait-elle comprendre ? Qu’elle aurait mieux fait de la fermer ? Qu’il préférait définitivement quand ils ne se parlaient pas ?! C’était ça ? Ou était-ce un reproche sur le silence qui avait été le sien…. ?

Son regard s’était posé sur lui et avait vu les marques. Les mots avaient fusé de sa bouche sans réflexion et elle était parti dans une diatribe incendiaire et moqueuse. Que cherchait-il ? Mourir ? Alors tout ce qu’ils avaient vécu lors cette première fois où ils s’étaient éveillés n’avait donc servi à rien ? Faisait-il demi-tour ? Tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle aurait aimé arracher ce sourire acerbe, moqueur, provocateur et mauvais de ses lèvres. Elle aurait aimé le secouer et le jeter contre un mur à le voir toujours dans son putain de fauteuil, le regard rivé vers la télévision comme si elle parlait dans le vide. Une nouvelle chaussure atterrissait derrière lui dans la fureur qu’il faisait naître. Mais il continuait de sourire, continuait de s’en foutre.

« Tu fais chier Rivers ! »

« C’est ma marque de fabrique. »

Son sourire devenait une agression qui vrillait ses nerfs déjà à vifs. La fatigue n’aidait pas. Tout la saturait. Alors que la sorcière serrait les poings face à lui, sa langue passant sur ses dents alors que ses lèvres demeuraient scellées par la rage, tous les objets alentours s’animèrent et retrouvèrent leur place comme si elle n’avait rien fait, rien jeté, rien déplacé. Les chaussures revinrent en plein milieu du couloir.

Son regard avait suivi le mouvement des chaussures et bloqua un instant sur leur forme, là, par terre. Elle sentait monter en elle une colère sourde et ce qui avait grésillé en elle depuis tant de temps s’agitait, bourdonnait à ses oreilles plus violemment encore. Ses prunelles d’encre se tournèrent lentement vers lui, froides et brûlantes à la fois, et mâchoire serrée, Sanae tenta de maîtriser une respiration qui s’emballait.

« Tu sais quoi ? Je fais c’que j’peux avec c’que j’ai, ok ? Tu me dis rien, tu veux pas que je sois là, tu veux pas être là, ou peu importe ce qui te traverse la tête mais moi, j’essaie de te faciliter les choses en te donnant de l’espace, j’ai vidé la chambre de ma sœur pour te faire de la place, j’invite plus personne parce qu’on doit pas savoir que t’es là, j’pose pas de questions parce que pitié n’ayons pas de conversation surtout  mais noooooooooon, Monsieur n’est pas content, Monsieur a décidé d’être insupportable comme un enfant qui fait ses premières dents et Monsieur ne sait apparemment pas ranger ses putain d’affaires ! Pourtant, FAUT PAS MILLE DOIGTS POUR LE FAIRE CA, MERDE ! »

Trop consciente que des gestes brutaux lui chatouillaient les doigts, Sanae contourna le fauteuil pour aller….pour aller nul part. Elle ramassa à nouveau ses chaussures dans l’intention de les balancer dans la chambre du sorcier mais se retourna brutalement, les lâchant. Elle n’avait pas fini. Elle n’avait pas fini ? Elle n’avait pas fini.

« Tu veux quoi, Logan ? Hein ? Tu cherches quoi ? » Sa voix était d’un calme précaire, chargé d’une fureur qu’elle tentait de maintenir à flot, sous couvert, et pourtant la crispation prenait possession de tous ses muscles. Elle passa sa main dans ses cheveux, griffant son crâne, se rapprochant de lui sans même s’en rendre compte. « Tu sais c’que c’est ta putain de marque de fabrique ? C’est d’être un trouillard. Un putain de trouillard qui dit jamais ce qu’il veut. Tu veux qu’on se foute sur la gueule ? Parfait ! On peut s’foutre sur la gueule. » Elle s’était postée devant son fauteuil, le regard orageux, tranchant, noir, les poings serrés.

C’était ça qu’il cherchait, ça qu’il voulait ? L’affrontement ?
Maintenant qu’elle y pensait, Sanae se rendait compte que c’était peut-être elle qui le recherchait tant...parce que c’était bien le terrain où ils se retrouvaient le mieux. La fusion lui manquait et rien que l’idée lui tordait le ventre de tout le vide qu’elle ressentait depuis qu’ils ne faisaient que se croiser. Ils ne vivaient pas ensemble, ils vivaient dans un même espace, proches mais terriblement éloignés l’un de l’autre.

Elle n'en pouvait plus du silence.
Elle voulait du bruit.
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Ven 4 Juin 2021 - 1:15
Oui, les plus belles choses sont celles qu’on offre.

Pourtant Logan n’était pas amateur de belles choses, pas plus que d’offrandes. Ce qu’il avait à offrir se constituait de trop et de riens. Ce qu’il avait à offrir se faisait dans la cacophonie ou le silence, dans des actions muettes, un pas en avant, une main tendue. Ce qu’il offrait, il le faisait sans le faire, comme un cadeau qu’on balance à la volée, qu’on confie à quelqu’un d’autre. Qu’on n’assume pas. Ce qu’il offrait, il le faisait à contrecœur, contre l’autre, dans son dos. Pourquoi attirer l’attention sur soi quand on pouvait seulement laisser couler ? Agir dans la violence et le rejet, l’austérité, l’absence. Pourquoi ne pas s’inscrire simplement dans le vide ? Pourquoi faire face à l’autre, s’offrir en pâture quand il s’agissait juste de faire avancer une situation, de fournir la clef, de débloquer une issue ? Pourquoi les autres cherchaient-ils toujours à se mettre en avant ainsi ? Logan ne savait pas faire. Logan agissait par devoir, masquant l’humanité de ses décisions sous une chape de constance froide. Sous une distance toxique. Il se masquait, lui, sous la violence, pour protéger ce dont il ne savait quoi faire.

Un sourire mauvais face aux blessures d’un être aimé, combien de fois cette cruauté avait-elle permis d’éloigner l’autre ? Car il ne savait faire qu’ainsi. Evoluer dans la distance. Observer l’humanité fourmiller sans jamais véritablement s’y mêler. Prendre du recul sur les conflits des uns et des autres, servir son propos, ne pas prendre parti. Avancer. Laisser les autres. Et pourtant, certains avaient fini par grignoter du terrain, par s’avancer en silence, jour après jour, comme s’ils jouaient à mimer des statues à chaque fois qu’il posait le regard sur eux et s’avançaient dès qu’il clignait des yeux. Alec avait été le premier à jouer à ce jeu-là. Le premier à prendre une offrande sans détourner le regard, sans être leurré par les artifices. En silence, l’enfant avait profité de ce qui lui était cédé. Et en silence, plus tard, il était revenu.
Aileen, la seconde. Qui ne jouait pas, elle. Il y avait quelque chose d’amusant à voir une femme à ce point angoissée par la douleur physique et qui pourtant, n’avait cessé de foncer droit vers lui, sans même se préoccuper d’attendre qu’il ait les paupières fermées.

Les autres, ils s’étaient faits plus discrets. Si discrets, même, qu’il ne les avait pas remarqué jusqu’à ce que le lien soit là, étrange au début, puis chaque jour un peu plus familier. Qu’avait-il à offrir à ces gens ? Quelques deuxièmes chances, quelques nouvelles options placées là, comme s’il détenait la solution. Comme s’il n’avait de cesse que d’agir ainsi. Arriver au dernier moment, ouvrir la porte dérobée contre laquelle ils s’appuyaient sans le savoir. Ouvrir. Disparaitre. Comme s’il n’avait jamais existé.

Qu’avait-il à offrir que des portes closes ? Les chocs qui découlaient de la proximité, Logan les connaissait, les voyait les assaillir sans cesse. Il scrutait ces âmes égratignées par chacun de ses battements de cœur souffrir jusqu’à comprendre leurs erreurs. Voilà tout ce qu’il avait à offrir. Le silence. Les plaies. L’absence.

Et quelques portes défoncées. Il ne pouvait plus alors qu’attendre en silence la constance de leur fuite. Muet pour qu’on ne le voit pas parmi les ombres. Sourd, il aurait aimé l’être, pour ne pas capter chaque pas porté sur le pavé noyé de sang.

Et quand les contours de ce qu’il offrait devenaient tangibles, alors lui-même ne pouvait que s’y brûler. Reculer à son tour. Et pourtant, il n’avait pas battu en retraite.
Il restait même dans ce putain de fauteuil sans vraiment savoir quoi y foutre. Rester, quand tous les autres s’esquivaient. Rester. Quand certains se reconstruisaient et que d’autres marchaient vers leur destin. Accepter, quand il n’avait simplement plus ni maîtrise, ni constance, qu’il ne pouvait observer ou agir. Qu’il restait loin des portes dérobées, acteur passif d’existences qui n’étaient pas les siennes. Inutile, il n’avait plus rien à offrir. Pas même le soutien, pas même l’espoir. Rien de tangible, rien d’impalpable. Il n’y avait plus qu’un esprit qui se tendait dans le vide sans pouvoir effleurer qui que ce soit, si violemment conscient que là, dehors, Maeve comme Alec pouvaient tomber à tout moment. Et à gouter l’inconstance, il se contentait de faire face au vide, délesté des seuls liens qu’il effleurait habituellement du bout de l’âme. Ismaelle. Maxence. Aileen. Alec. Maeve.

Ce vide. Ce putain de vide.

Et brusquement, il fallait que le regard se pose sur lui, que le lien explose, qu’il hurle, qu’il revienne, qu’il soit là, palpable, bouillant. Qu’il en reste un, rien qu’un. Un putain de contact, une putain de raison de rester, d’exister, de se refléter encore dans le regard d’autrui. Un manque dévorant lui tordait les entrailles sans même qu’il s’en rende compte.

Alors ; Tu regrette ? D’avoir accepté, de lui avoir laissé la possibilité de plonger dans l’abîme, d’apercevoir l’enfant abandonné au fond du puits ?
Oh, si tu savais ce qu’il s’en fout, en cet instant. Si tu savais ce que les insécurités tonnent et se percutent pour donner un mélange infâme, une mélasse crasse qui dégouline en dehors de l’abysse. Il devrait avoir peur. Il devrait fuir. Mais d’autres angoisses sont, semble-t-il, plus tenaces encore.

Alors il s’enfermait dans le vide, le comblait par petites touches, par détails parsemés, à peine conscient de cette volonté farouche de capter son regard, son attention. De cesser de disparaitre sous la présence des autres.
Il l’avait ramenée droit sur leur chemin pourtant.
Il l’avait décryptée si souvent déjà pourtant.
Il l’avait entendue, l’avait vue. Et là il restait aveugle. A l’enfant comme à l’adulte, il fermait les yeux, oubliait les évidences, cessait de percer le passé.

Et le vide, enfin, s’emplissait brusquement. De cris, de bibelots, de chaussures ou de flammes, qu’importe, mais qu’il vibre de nouveau.

Alors enfin, il souriait. Il souriait pour la pousser, la provoquer. Il souriait pour exister. Il souriait pour retrouver la constance. Il souriait parce qu’elle le voyait, qu’elle s’inquiétait, qu’elle retrouvait le chemin vers lui. La porte dissimulée qu’il ne savait ouvrir car il avait perdu la vue, infoutu de comprendre ses propres attentes, ses tentatives de le protéger, de le ménager.

Mais il souriait. Comme un putain de gosse qui a enfin réussi à attirer l’attention.
Parce que dans la fureur des cris, il oubliait les projections de sang qui ne cessaient de claquer aux portes de sa conscience.

« Tu sais quoi ? Je fais c’que j’peux avec c’que j’ai, ok ? Tu me dis rien, tu veux pas que je sois là, tu veux pas être là, ou peu importe ce qui te traverse la tête mais moi, j’essaie de te faciliter les choses en te donnant de l’espace, j’ai vidé la chambre de ma sœur pour te faire de la place, j’invite plus personne parce qu’on doit pas savoir que t’es là, j’pose pas de questions parce que pitié n’ayons pas de conversation surtout  mais noooooooooon, Monsieur n’est pas content, Monsieur a décidé d’être insupportable comme un enfant qui fait ses premières dents et Monsieur ne sait apparemment pas ranger ses putain d’affaires ! Pourtant, FAUT PAS MILLE DOIGTS POUR LE FAIRE CA, MERDE ! »

Tu ne peux pas demander aux autres de comprendre ce que tu tais. Aurait dit Maxence.
Mais Maxence n’était pas là.

Non. Et monsieur sourit. Monsieur se redresse et quitte son putain de fauteuil.

Tu vois Sana, il réagit mieux au bruit pour s’en extraire.
« Oh, pardon de te détourner de ta vie si palpitante ! »

Un souffle craché en se redressant, l’observant une paire de chaussures à la main, prête à les balancer dans une chambre qu’il ne considérait pas comme étant la sienne. Mais elle s’arrêtait, les lâchait au sol, ne fuyait pas, se retournant finalement pour lui faire faire, de la foudre dans le regard.

« Tu veux quoi, Logan ? Hein ? Tu cherches quoi ? » Toi, et ça marche très bien. « Tu sais c’que c’est ta putain de marque de fabrique ? C’est d’être un trouillard. Un putain de trouillard qui dit jamais ce qu’il veut. Tu veux qu’on se foute sur la gueule ? Parfait ! On peut s’foutre sur la gueule. »
Le rictus était mauvais alors qu’il lui faisait face. « Oh nan, ça c’est TOI qui en crève d’envie ! Et t’es sérieuse là ?! C’est TOI qui décroche pas un putain de mot ! Et c’est moi le trouillard ?! Qu’est-ce qu’on en a à foutre de ce que j’ai à dire, tu fous plus les pieds ici, ya pas grand-chose à écouter de toute manière ! Non mais sérieux, mes pompes t’emmerdent à ce point pour que ça te fasse péter un plomb comme ça ?! Qu’est-ce que t’en as à FOUTRE, sérieusement ?!  Chez Margo ou Kezabel, elles sont pas là j’te signale, mes pompes. Donc retournes-y si ça t’emmerde à ce point au lieu de me faire chier avec tes cris d’hystéro maniaque du contrôle ! Putain sérieusement, t’es ridicule ! »

Le bruit.
Après tout… pour qu’il y ait du son, il faut marteler une surface, il faut la malmener, en tirer des chocs, des ondes qui se répandent partout dans la pièce. Comme une putain de corde de guitare qu’on frappe pour en extraire le son, la symphonie erratique, la mélodie crispante d’une dispute absurde.

« Vas-y, viens si tu veux vraiment qu’on se foute sur la gueule, au moins, ça tu sais faire ! »

N’importe quoi. Y compris quelque chose d’aussi étranger qu’une dispute aux yeux de celui qui se murait toujours dans le silence. Mais aujourd’hui, le silence, il le vomissait.

Après tout...

C’est quoi une corde, finalement ? Mis à part un lien. Un putain de lien tendu qu’on rend visible, palpable, réel. Qu’on fait vibrer pour forcer l’autre à le voir, l’entendre, quitte à se prendre les pieds dedans, quitte à s’étrangler avec même, pourvu qu’il y ait de nouveau autre chose que du vide.
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Dim 13 Juin 2021 - 20:16
Elle n’en pouvait plus de son silence et elle n’en pouvait plus de s’y laisser couler. Elle voulait qu’il parle, qu’il bouge, qu’il crie autant qu’elle avait envie de crier. Quitte à s’époumoner, quitte à hurler, elle voulait simplement des paroles, des mots lancés, crachés, criés pour qu’enfin s’emplisse ce silence entre eux qui la rendait malade. Elle sentait cette lourdeur au fond de son ventre depuis tant de jours, plombant son corps d’un poids ignoble. Ce poids, il fallait le soulever, le pulvériser pour le faire disparaître.

Qu’avaient donc ces hommes silencieux ? Ces hommes pleins de gestes avortés, pleins de mots empêtrés dans la fierté et la peur. Ces hommes pleins de secrets, de pudeur. Ils creusaient la distance, l’entretenaient pour se protéger et ils ne disaient rien, gardaient le mystère de leurs faiblesses intact. Ils s’emmuraient eux-mêmes et avec eux, disparaissaient des moments dont ils brisaient les possibilités, dont ils écrasaient l’existence prochaine. Le rejet s’installait dans chaque creux, dans chaque sillon tracé par leurs silences, par leurs absences et il n’y avait plus que des questions sans réponses, que des chaises vides et des coeurs morcelés. Ces hommes...oh ces hommes qui ne cessaient d’être des énigmes… Elle en avait connu un, un qui malgré toutes les intrusions communes de leurs esprits ne s’était que peu révélé et tout l’amour qu’il lui avait porté et qu’elle lui avait donné n’avaient jamais réussi à dévoiler les secrets de sa silhouette sévère. Elle s’était conformée pour lui plaire, pour qu’il la garde près de lui et elle s’était faite silencieuse elle aussi ; silencieuse quand il l’était lui-même.

Elle avait oublié qu’elle était une enfant du bruit.
Une enfant pleine de chaos inexprimé.

Et si cet homme n’était plus là, celui qui lui faisait face n’était pas si différent. Elle le voyait sans le voir, incapable de faire les liens, les parallèles qu’il aurait été possible de faire entre eux. Oui, entre ces hommes qui se ressemblaient si fort parce qu’ils étaient façades et secrets. Ces hommes qui auraient aimé la façonner comme ils l’entendaient, comme cela leur plaisait. Alors oui, peut-être qu’elle était aussi en colère contre Logan parce qu’il l’avait amenée à emprunter la meilleure voie pour elle et que dès lors qu’elle s’y était dédiée, le silence était revenu. Plus fort encore. Il lui avait permis de voir, de rentrer là où personne n’allait ; il lui avait tendu la main et elle s’en était saisie sans hésitation ; il avait été là parce que personne d’autre n’aurait pu l’aider de la manière dont il le faisait … et elle savait, avait compris ô combien cet effort se révélait terrifiant et inédit pour lui. Alors elle lui avait donné l’espace dont il avait besoin sans se douter qu’il le lui reprocherait. Elle ne savait pas. Ne savait pas comment faire, quoi dire quand il s’agissait de lui. Elle avait l’impression de devoir payer le prix de la proximité qu’ils partageaient ; et le prix n’était rien d’autre que le rejet, la distance immonde qui irradiait entre eux comme un gouffre rempli de lames.
Désormais, toutes les lames vibraient face à la rage.
Et voilà qu’enfin, il se redressait, se levait, lui faisait face. Enfin en mouvement, enfin debout, et elle ne pouvait empêcher la trépidation au fond d’elle.

« Oh, pardon de te détourner de ta vie si palpitante ! »
« Palpitante ? » cracha-t-elle, le visage outré de dégoût.

Que voulait-il au juste ? La voir s’éloigner ou la voir rester ? L’écouter ou plonger ce lien dans le silence ? Il fallait choisir, il fallait trouver comment vivre cette chose qui les liait avant que cette vibration entre eux ne finisse par les engloutir dans une détestation profonde, transformant ce qui aurait pu être un cadeau en poison. Alors là, debout face à face, ils affrontaient le mur d’incompréhension et de non dits qui les empêchaient de voir, d’entendre ce que l’autre ne faisait que hurler dans le vide. Etait-ce ça ? Etait-ce la violence qu’il cherchait ? La réaction brutale ? L’affrontement qui était si familier ?

Son regard s’était accroché au sien, d’un acier tranchant, et elle ne comptait pas lâcher, ne comptait pas reculer. Elle n’avait ni peur de sa rage, ni de sa violence. Poings serrés, elle frémissaient de colère.

« Oh nan, ça c’est TOI qui en crève d’envie ! Et t’es sérieuse là ?! C’est TOI qui décroche pas un putain de mot ! Et c’est moi le trouillard ?! Qu’est-ce qu’on en a à foutre de ce que j’ai à dire, tu fous plus les pieds ici, ya pas grand-chose à écouter de toute manière ! Non mais sérieux, mes pompes t’emmerdent à ce point pour que ça te fasse péter un plomb comme ça ?! Qu’est-ce que t’en as à FOUTRE, sérieusement ?!  Chez Margo ou Kezabel, elles sont pas là j’te signale, mes pompes. Donc retournes-y si ça t’emmerde à ce point au lieu de me faire chier avec tes cris d’hystéro maniaque du contrôle ! Putain sérieusement, t’es ridicule ! »

Merlin, ce qu’elle aurait voulu lui balancer tout ce qu’elle aurait pu trouver au visage en cet instant. Ses narines, sa mâchoire, les traits de son visage se crispèrent au mots qu’il crachait. Elle avait tant de choses à dire que rien ne sortait. C’était injuste. Injuste. Quoiqu’elle fasse, quoiqu’elle dise, il aurait trouvé à redire, il l’aurait rejeté quand même. Alors quoi ? Qu’aurait-elle du faire ? Ne pas lui laisser d’espace, de temps pour digérer tout ça ? Etre constamment là alors que tout chez lui lui montrait que c’était trop pour lui ? Elle n’arrivait pas à comprendre les reproches qui suintaient de chaque mot. C’était lui qui était ridicule. Ridicule d’agir comme un enfant jaloux qu’elle passe du temps avec ceux qui désiraient bien plus que lui sa présence. Il était en colère ? En colère de quoi ? De ne pas savoir ce que lui voulait vraiment ? Ou de le savoir très exactement ?

« Vas-y, viens si tu veux vraiment qu’on se foute sur la gueule, au moins, ça tu sais faire ! » Vive, elle se rapprocha de lui en un éclair, le visage relevé vers le sien, tout son corps vibrant de toute la rage qu’il faisait naître. Elle s’arrêtait à peine à quelques centimètres de lui, ses poings plus serrés encore de tous les coups qu’elle aurait été donner comme si la violence aurait pu faire rentrer facilement le message dans le corps du sorcier.

La voix éraillée par la fureur, les mots claquant dans l’air, elle laissa se déverser le torrent de ses émotions d’entre ses lèvres.

« Ouais...ouais ça je sais faire, t’as raison. C’est pas comme si tu me laissais d’autres options de toute façon, hein ? C’est pas comme si t’acceptais autre chose de moi de toute manière. La violence et pis c’est tout, ça c’est ton domaine. J’suis bien obligée de te hurler dessus pour des foutues pompes vu que tu veux rien échanger avec moi. Oh, non, c’est vrai...c’est faux. C’est faux parce que bien sûr quand moi je partage des choses tout va bien, tout va bien quand Sana fournit ce qu’elle a à fournir hein ? Tu te plains que je ne sois pas assez là ? Que je ne te parle pas assez ? …. Bienvenue dans mon monde, Logan. Mets toi à l’aise, tu verras c’est super. » Elle le poussa violemment pour qu’il retombe dans le fauteuil et posa un regard électrique sur lui. « C’est pas un déséquilibre qu’il y a entre nous, c’est un putain de foutage de gueule. Alors ne t’avise pas de me reprocher de pas être assez là quand toi t’es pas foutu de faire un effort. J’fais peut-être des erreurs mais au moins moi, j’essaie. J’essaie de te rendre les choses faciles, de me mettre en retrait quand je sais qu’un pas de plus vers toi et tu seras déjà à l’autre bout de la planète comme un putain de froussard. Alors ouais, j’ai pas été assez là. J’ai passé du temps avec des gens qui avaient vraiment envie que je sois là, pas juste pour satisfaire leurs égos. » Elle esquissa un mouvement pour se détourner mais fit vite volte face. « ET PIS MERDE QUOI ! J’suis peut-être hystérique mais toi t’es dégueulasse de me reprocher tout ça ! Qui fait le plus pour l’autre exactement ? Qui est venu presque tous les jours pour se heurter à un mur ? Qui a accepté d’aider Alec? Qui a bien fermé sa gueule quand il a été clair que t’avais fait que m’utiliser pour ça et qui a continué malgré tout ? Qui a proposé à l’autre de vivre ici ? Qui partage tout ce qu’il y a dans sa tête ? QUI ? » Le dernier mot sonnait davantage comme un aboiement craché vers lui.

Qui risquait son premier amour pour un lien qui n’était même pas accepté de l’autre ?
Qui faisait du mal à Margo pour préserver ce qu’ils avaient ?
Qui était constamment rejeté ?

Elle prit une inspiration, expira par la bouche.

« Je sais que t’as pas voulu ça. T’as pas voulu ce truc. Mais moi non plus. J’ai pas choisi de me retrouver liée à quelqu’un qui déteste ça. Mais va falloir se décider entre le je-veux-pas-de-ça-et-je-m’en-fous et le tu-passes-trop-de-temps-avec-les-autres parce que je vais pas faire la girouette pendant 100 ans pour satisfaire tes caprices. T’as peut-être été rejeté dans ta vie mais t’as pas le droit de me le faire à moi. »

Non, il n’avait pas le droit. Pas avec tout ce qu’il savait d’elle. Pas avec toutes les sensations et les émotions qu’il avait partagé en entrant dans sa tête.
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Mer 30 Juin 2021 - 2:06
We were born sick


Ils font mal ces hommes silencieux, n’est-ce pas ? Ces hommes distants, inconstants, violents et accusateurs. Non. Son père n’était pas accusateur, ni violent, pas même inconstant à vrai dire. Secret, oui. Le tien l’était.  C’est ce que tu reproduis ? Harold Junior, bâtard de son état. L’ironie fait mal compte tenu du fait que tu en as une conscience absurde, n’est-ce pas ? Certains rejettent les modèles, d’autres les reproduisent, cherchent à s’en éloigner sans vraiment réussir. Tu reproduis, jusqu’à la colère froide, la violence glaciale et détachée, vengeresse dont tu es capable. C’est plus simple, de s’enfermer dans ce qu’on connait, de reprendre les chemins tracés, de parcourir les voies délimitées. Aisé, même, de s’enfermer dans les travers abordables. De reproduire les gestes, les tons, les sons. Blessant, de se savoir semblable à ce qu’on hait, pourtant. Destructeur, même. Alors comment gérer ce qui n’existe pas ? La montagne à creuser, les outils à forger pour dégager une nouvelle voie, jamais empruntée. Comment inventer une relation que personne ne discerne ?

J’en ai pas les clefs.

Il y a deux types de colère. Tu connais et uses de la seconde, c’est bien là le comble de l’ironie.  La colère froide, destructrice, est bien moins aisée à s’approprier et elle est pourtant ton dernier refuge face aux émotions sourdes. La violence pour réponse ultime, le rejet pour seule option alternative. Mais dans le fond, il est hors de question de la blesser. Et la rejeter est bien là la dernière chose que tu souhaites. Sinon tu partirais, plutôt que d’imposer ta présence comme un enfant ignoré. Alors c’est l’autre colère, plus immédiate, plus chaude, qui prend le relais. Mais tu ne la connais pas, celle-ci, tu ne la manies pas. Tu ne cherches pas l’autre, pas ainsi. Pas alors que la moindre trace d’amusement quitte doucement tes traits. Chez Alec, ç’aurait été un signe évident d’une vulnérabilité totale. Mais toi, tu avais dépassé ça. C’est le mépris qui s’était dessiné sur les traits de l’adolescent, comme une manière de retirer à l’autre toute emprise.

Il serait si simple de la mépriser, n’est-ce pas ? Si simple de t’en foutre, comme elle le dit si bien.

Mais ces yeux ne dardent qu’une colère mal gérée, mal comprise. Mal vécue.

« Ouais...ouais ça je sais faire, t’as raison. C’est pas comme si tu me laissais d’autres options de toute façon, hein ? C’est pas comme si t’acceptais autre chose de moi de toute manière. La violence et pis c’est tout, ça c’est ton domaine. » C’est TOI qui fais ça, putain ! « J’suis bien obligée de te hurler dessus pour des foutues pompes vu que tu veux rien échanger avec moi. Oh, non, c’est vrai...c’est faux. » En effet, c’est faux. C’est bordel de tellement faux que tu risques de t’étouffer avec ! «  Non mais t’es sérieuse avec ta merde ou c’est juste pour en tester la couleur ? » Sa voix grondait par-dessus la sienne, embrouillant ses paroles qu’il captait pourtant très nettement. Les mots s’affrontaient à leur tour, autant que les corps face à face, que les âmes blessées et les sonorités crachées. « C’est faux parce que bien sûr quand moi je partage des choses tout va bien, tout va bien quand Sana fournit ce qu’elle a à fournir hein ? Tu te plains que je ne sois pas assez là ? Que je ne te parle pas assez ? …. Bienvenue dans mon monde, Logan. Mets toi à l’aise, tu verras c’est super. »

Ses lèvres s’étaient tendues en même temps que ses traits alors qu’elle le balançait en arrière, le forçant à s’assoir dans son – putain de – fauteuil. Le choc passait dans ses muscles comme une décharge, faisant exploser son cœur dans sa poitrine, percutant les os, si prompt à la riposte qu’il en hurlait dans sa cage thoracique. Lèvres entrouvertes dans un rictus aussi mauvais que sidéré par ses mots, il la laissait pourtant parler.

« C’est pas un déséquilibre qu’il y a entre nous, c’est un putain de foutage de gueule. Alors ne t’avise pas de me reprocher de pas être assez là quand toi t’es pas foutu de faire un effort. »Mais BORDEL t’es SERIEUSE LA ?! « J’fais peut-être des erreurs mais au moins moi, j’essaie. » C’est vrai que moi non, je suis un connard parasite qui squatte le canapé et duquel tu ne sais que foutre, pas foutu de te parler ou de se confier. Mais bordel, je dois faire ça comment, moi au juste ?! Tu veux quoi, un compte rendu de mes journées, une séance chez la psy, le résumé détaillé des traumatismes culinaires perpétrés par ma mère ?! « J’essaie de te rendre les choses faciles… »Oh PARDON, merci de cette grande générosité ! « … de me mettre en retrait quand je sais qu’un pas de plus vers toi et tu seras déjà à l’autre bout de la planète comme un putain de froussard. Alors ouais, j’ai pas été assez là. J’ai passé du temps avec des gens qui avaient vraiment envie que je sois là, pas juste pour satisfaire leurs égos. »

Oh oui, elle claquait, cette colère inconnue. Et pourtant, en ces quelques mots, elle s’était fait souffler. Pas éteinte, seulement relayée au second plan, mise à terre par autre chose. Par la plaie d’une vérité blessante.

C’est ce que tu penses ?
Et en échos, une autre question, plus douloureuse : c’est ce que je fais ?

On dit qu’il n’y a que la vérité qui blesse. Celle là faisait mouche, perforait comme une lance en plein poitrail, touchait juste. Salement juste. Car d’autres avaient marché à l’égo, d’autres qu’il avait haït, rejeté. Vomit.
Comprit. Copié.

Es-tu ton propre parjure ?

Elle esquissait un mouvement en arrière mais revenait à la charge.

« ET PIS MERDE QUOI ! J’suis peut-être hystérique… » En effet. « …mais toi t’es dégueulasse de me reprocher tout ça ! Qui fait le plus pour l’autre exactement ? » De nouveau, chaque mot perçait droit à travers l’armure, carapace inutile, encombrante, lourde et froide vibrant sous l’impact du verbe. « Qui est venu presque tous les jours pour se heurter à un mur ? » Juste. «  Qui a accepté d’aider Alec? » Vrai. « Qui a bien fermé sa gueule quand il a été clair que t’avais fait que m’utiliser pour ça et qui a continué malgré tout ? » Exact. «  Qui a proposé à l’autre de vivre ici ? Qui partage tout ce qu’il y a dans sa tête ? QUI ? » Toi.

Trois lettres qui le perçaient à jour. Trois lettres qui lui arrachaient la gueule. Trois lettres qui résonnaient de culpabilité. Trois lettres synonymes d’échec dont il ne savait se défaire. Dont il se savait être fautif, mais pensait presque naïvement qu’elle pouvait comprendre, tant ses motivations que ses impossibilités. Lui reprochait-elle véritablement chacun de ses choix ? Lui reprochait-elle les douleurs intenables de l’après ? Lorsqu’il ne pouvait seulement survivre à ce qu’il avait traversé et que le monde des vivants lui semblait impossible d’accès, qu’il s’y refusait, l’observant à peine, enfermé en lui-même sans trouver d’utilité à une quelconque rédemption. A un quelconque retour. Avait-elle réellement la violence de lui reprocher ses plaies ? Ses faiblesses ? Ses échecs et ses abandons ?

Avait-elle le culot de lui reprocher de taire les savoirs qu’il avait gardé pour lui, marquant corps et esprit à jamais, sans le moindre signe de reconnaissance, jamais ? De le condamner sur un refus de communiquer quand il avait appris de la pire des manières comme le savoir est meurtrier et qu’il n’y avait qu’en filtrant chaque once d’informations qu’il pourrait se protéger autant que de protéger les autres ? Une leçon qu’elle connaissait pourtant par cœur.
Le blâmait-elle véritablement de ce qu’elle aurait dû accepter ?

Jugé coupable pour l’inné, à la naissance, mais coupable de l’acquis, à présent. Un comble. Un comble qui le prenait à la gorge de sa part, à elle. Car s’il y en avait bien une qui aurait dû comprendre, c’était elle. Mais la juge avait prononcé sa sentence et il ne pouvait s’en défaire. Coupable, donc, il resterait.

Et face à ce dernier aboiement, éructé, craché envers lui, il restait coi, lèvres closes, regard sombre. Cette fois alors, lentement, il se redressait, lui faisant face. Ni sourire ni mépris, pourtant, dans ce silence.

« Je sais que t’as pas voulu ça. T’as pas voulu ce truc. » C’est vrai.  « Mais moi non plus. J’ai pas choisi de me retrouver liée à quelqu’un qui déteste ça. Mais va falloir se décider entre le je-veux-pas-de-ça-et-je-m’en-fous et le tu-passes-trop-de-temps-avec-les-autres parce que je vais pas faire la girouette pendant 100 ans pour satisfaire tes caprices. T’as peut-être été rejeté dans ta vie mais t’as pas le droit de me le faire à moi. »

Head-shot.

La colère ondulait toujours furieusement sous la surface, kraken de ses émotions emmêlées.
Tant de réponses, tant d’arguments, tant d’affect qui crevait de rester emmuré, incapable d’être craché à son tour, bloqués dans sa gorge, enfouis dans ton torse, pourtant gravés jusque dans ses os tant l’ensemble de  son organisme se tendait à chaque mot prononcé.

C’est vrai que je n’ai jamais rien fait pour toi…. C’est réellement ce que tu penses ?

Mais même ça, ça ne sortait pas. Car elle avait raison, évidemment. Elle en ferait plus pour lui. A jamais. Comment pourrait-il en être autrement ? Oui, il s’était servit d’elle, dès leur première rencontre, sautant sur l’occasion pour trouver une échappatoire à une situation pour laquelle il se savait ne pas être à la hauteur. Oui, il avait usé de ce qu’il avait appris dans son esprit. Et oui, il continuait à le faire. Oui, il cherchait ce qu’il connaissait dans ses réactions, car à défaut, il serait seul. Seul comme il l’avait toujours été. Seul, malgré ce rebond, cet oxygène brutal et infernal qui avait cramé ses poumons quand il s’était lié à elle. Car oui, c’était bien là ce qu’ils avaient fait. Se lier. Et non, il ne savait pas gérer ça.

« Si tu penses que je déteste ça, tu es une imbécile inepte. » Chose que tu n’es pas.

Quelques mots, sortis des ombres et du marbre. Quelques mots tranchant le point noyé dans l’acide qu’il jugeait le plus évident. Le plus mensonger aussi. Le plus absurde.

Il haïssait d’être exposé.
Il haïssait d’être hors contrôle.
Il haïssait d’être vulnérable.
Il haïssait de lui offrir ces armes, cette place.

Car avant toute chose, il haïssait l’idée de la perdre. De perdre « ça ».

Je ne sais pas faire. Je ne sais pas faire ce que tu attends.

Et pourtant, lèvres closes, voilà bien ce qu’il observait en silence. Tout grondait, bien sûr, vibrant en lui d’ondes sourdes. Voilà ce qui le dévorait de l’intérieur, monstre immonde de vulnérabilité, mordant chacune de ses chairs si violemment abimées, en poussant les os pour les faire craquer, raclant de ses griffes l’antre de son être.

Il y a elle derrière ces mots. Le risque de la perdre, elle. Elle ou une autre, qu’importe d’ailleurs, c’est bien là tout le problème. L’autre. Quand le soi est dérisoire, l’autre devient triomphant, radieux et fier. Royal. Elle n’avait pas besoin de le dire, comme il n’avait pas besoin d’entrer pour savoir que le sujet avait été abordé et apparaissait là, maintenant, en sous texte.

Déjà. Il aurait pensé avoir plus de temps. Plus de lest avant qu’elle ne tire à son tour.

Ça veut dire quoi, devoir choisir ? Quelle est la menace sous le texte ? Il la connaissait, la lisait dans chaque lettre, chaque fracture, chaque défaut. Pourquoi souffrir de l’absence de quelqu’un si ce n’est par peur de la perdre ?

Si tôt. Pas même deux mois. Deux battements de cœur, deux respirations.

Un départ, puis deux et trois. Un déni. Une négation et une mort à venir. Qu’en est-il du rejet, pur et dur ? De toutes les façons de se quitter, il reste l’évidence : l’autre. Et sa pression.

Or Logan ne savait pas faire mieux, c’était aussi bête que ça. Aussi basique. Un enfant face à l’échec, démuni face au social, inapte à l’humanité, incapable d’aller plus loin, de dénouer l’enchevêtrement qui s’enroulait autour de sa gorge.

Il était là.
Lui aussi était là tous les jours. Lui aussi se heurtait à un mur, fait de leurs briques à tous les deux.

On joue au jeu des ‘qui’ ?
Qui acceptait l’inacceptable en offrant des parts de l’inaccessible ?
Qui lui accordait une confiance totale, lui confiant l’une des deux seules personnes qu’il cherchait finalement à protéger quoi qu’il lui en coûte.
Qui lui prouvait loyauté en restant ici, jour après jour, très égoïstement, par pur désir, tandis que sa présence ne faisait que la mettre en danger. Elle et tant d’autres.
Comment peux-tu, toi, penser qu’il s’agit de rejet, quand rester ici est une faiblesse ? Quand je cède à la vie plutôt que d’affronter la mort ?


Rien n’est juste, ni la présence, ni l’absence. Rien n’est assez, qu’importe les pas en avant, l’immobilité délicate, les tentatives infructueuses.

Qui t’a suivi ? Qui protège ton cul depuis des semaines ?

L’acide se mêlait à la culpabilité.

Qui te tend la main ?
Qui t’offre le chemin de la vie plutôt que de te laisser couler dans la destruction ?
Qui s’oublie pour t’épargner ?


Chacun d’entre vous.
Là est bien l’objet de votre drame.
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Ven 2 Juil 2021 - 20:50
Pourquoi fallait-il que les meilleures intentions revêtent de mauvais déguisements ? Pourquoi fallait-il que la fierté, l’égo, la peur et les doutes viennent engloutir l’affection cachée pour n’en révéler que des contours, un parfum laissé derrière, une vague intuition, une ombre passante ? Derrière chacun de leurs mots se cachait le manque, l’envie de faire résonner la corde si sensible entre eux mais la conversation était brouillée. Brouillée par la peur du rejet qui venait suinter de chaque pore de leurs peaux. Leurs maux s’affrontaient alors qu’ils étaient semblables. Ils auraient pu s’accorder, se comprendre - ils le faisaient tant de fois – mais la nature même des ces angoisses était de faire oublier tout le reste. Ça rendait aveugle et fou, stupide et injuste. Et la fatigue, la frustration et l’impuissance se mêlaient au brouhaha qui les empêchait de s’entendre.

S’entendre sur quelque chose d’improbable, de nouveau, de surprenant et terrifiant. S’entendre sur un lien qu’ils ne maîtrisaient pas, ne comprenaient pas tout à fait, et pour lequel aucun mot ne convenait. C’était là, ce lien et ça demandait des efforts, du temps. Ça exigeait de s’écouter, de s’accorder, de se faire confiance, de se donner du temps et de l’espace, mais d’accepter surtout une proximité qu’il fallait manier avec prudence.

Et pour chaque pensée qu’elle invoquait pour faire barrage contre ses peurs, d’autres venaient malsaines et destructrices pour les contrer. Elle avait l’impression qu’à chaque fois qu’elle se raccrochait aux non-dits qu’elle entendait parfois, aux détails, aux gestes, aux choses invisibles pour les autres mais qu’elle comprenait et qui l’atteignaiten en plein coeur, Sanae devait combattre une mélasse ignoble et froide. Cette mélasse, c’était lui qui la créait. Il la créait quand il n’assumait pas ce qu’il désirait vraiment, quand il gardait le silence et la distance, quand il se disait le déshonneur, le bâtard, celui qui n’avait pas le droit ni à la clémence, ni à l’affection, ni à la confiance. Et elle...elle liait ses peurs à cette mélasse qui s’y confinait si bien et le tout grossissait jusqu’à ce qu’elle ne puisse invoquer que le vide et la colère. Elle secouait tout, secouait, secouait pour se débarrasser de cette chose visqueuse qui l’empêchait de voir et d’entendre. Cette chose qui s’infiltrait en elle, obstruait sa vue, irradiait de douleur au fond de son ventre. Cette mélasse, c’était aussi la peur de Logan, la peur de mal faire, de blesser comme il l’avait fait autrefois, la peur de perdre l’autre tout autant que d’y être attaché...la peur du tout et du rien, tout à la fois.

Ses peurs à lui se battaient entre elles et ses peurs à elle aussi. Et ce n’était pas le combat de l’autre. L’autre, il fallait le préserver de ça, le protéger des maux qui sciaient le crâne en deux et se répercutaient sur ce qui les entouraient. Ce soir, elle ne le protégeait plus, elle n’avait pas la force. Elle le secouait comme un arbre depuis trop longtemps mort dont elle voulait obtenir une feuille, un fruit, quelque chose, n’importe quoi. Et au fond, le coeur criait tout autre chose que les mots. Elle criait toute la distance qui était entre eux, le doute et la crainte de se battre seule pour quelque chose  dont elle n’était pas sûre qu’il voulait aussi ; elle s’époumonait dans le silence pour créer du bruit et entendre un écho. Alors, l’écho rebondissait et s’époumonait à son tour.

«  Non mais t’es sérieuse avec ta merde ou c’est juste pour en tester la couleur ? » Les mots avaient grondé par-dessus les siens mais elle continuait sans s’arrêter. Face à face, ils gueulaient sans véritablement s’entendre...jusqu’à ce que les mots deviennent si douloureux qu’ils faisaient mouche.

Elle l’avait poussé. Poussé dans son fauteuil autant que dans ses retranchements. Parce qu’au fond, ce qu’elle cherchait, c’était une petite confirmation. Une confirmation concrète qu’il donnait de la valeur à ce lien, qu’elle n’était pas la seule à se battre pour protéger ce qui les liait, qu’elle ne se voilait pas la face quand elle invoquait toutes les choses qu’il ne disait que dans le silence et les gestes, qu’elle n’était pas la seule à éprouver ce manque. Et si elle le faisait de manière si injuste, ce n’était pas tant pour le blesser autant que l’incertitude la blessait elle mais parce qu’elle ne savait le faire ou le dire autrement en cet instant.

Elle avait besoin de lui.
Et c’était bien trop dur à dire en des mots simples et justes.

Alors les syllabes se faisaient tranchantes, dures. Chargées de vérité mais de sa vérité à elle. Oui, elle faisait beaucoup pour lui sans qu’il ne semble le remarquer et lui...lui faisait ce qu’il pouvait, pour ce qu’elle en savait. S’il y avait une injustice, c’était de reprocher à quelqu’un de ne pas savoir faire quelque chose qu’il n’avait jamais appris à faire. Oui, c’était cela qui était injuste dans ses paroles. La vérité était injuste. Elle voulait quelque chose de lui qu’il ne savait pas donner, qu’on ne lui avait pas donné à lui et qui demeurait étrangère. Il n’en demeurait pas moins qu’elle en avait besoin, qu’ils en avaient besoin à vrai dire. Finalement, peut-être que personne n’avait tort ou raison ; leurs besoins s’entremêlaient et se répondaient sans trouver encore le chemin l’un vers l’autre et il ne restait que la maladresse, assassinant la bienveillance des choses qui auraient du être exprimées avec de la douceur.

Sauf qu’’il n’accepte pas la douceur, ni l’humanité.
Il n’acceptera jamais ce côté-là de moi.


C’était ça qui la blessait. La pensée qu’il n’était là que par contrainte et non qu’il avait accepté un tant soit peu ce qui les reliait et la proximité partagée, à plus fort raison depuis qu’il vivait ici. La pensée qu’il n’accepterait probablement pas ce qu’elle deviendrait – peu importe ce qu’elle serait plus tard. Ah, la voilà la véritable peur. La voilà la raison de ce parallèle avec son père. Deux hommes silencieux dotés du même don qu’elle. Le premier n’avait jamais accepté qu’elle soit autre chose que ce qu’il voulait ; le deuxième l’y poussait mais resterait-il malgré tout ?

Elle cherchait une garantie que personne ne pouvait avoir. Jamais.
On ne savait jamais si on allait rester jusqu’au bout, on ne savait jamais ce qu’on pouvait accepter jusqu’à ce que la situation se présente. Et dans son silence, elle interprétait ses propres peurs et non ce qui était réellement là. S’il y avait une absence entre eux, ce n’était pas celle de l’affection. C’était celle des choses que les autres savaient faire naturellement et dont ils étaient chacun incapables, à différents degrés. Il n’y avait personne pour traduire, personne pour retranscrire les intentions derrière la colère. Ils devaient trouver eux-mêmes comment se parler.

Ce qui lui parlait à elle, en cet instant, c’était l’expression de son visage. Le souffle court, Sanae avait terminé sa tirade et un instant de silence s’était immiscé, pesant. Elle s’était vidée de sa rage bien qu’elle soit toujours là, elle fixait le sorcier, sourcils froncés, la fureur en étendard. Pourtant, ce qu’elle lisait soudainement sur son visage la prenait aux tripes. La douleur. La colère. L’acide au bord des lèvres. Sans doute les mêmes expressions qu’elle arborait à vrai dire…comme un miroir parfait.

Il s’était redressé, levé, pour lui faire face à nouveau, le regard sombre après la surprise.

« Si tu penses que je déteste ça, tu es une imbécile inepte. » 

And a softness came from the starlight and filled me to the bone.
W. B. Yeats


Elle aurait sans doute du être vexée de l’insulte, vexée du ton employé.
Il n’en était rien.

Elle n’était pas vexée.
Elle était soulagée.

Et ce soulagement l’emplissait en désossant d’un seul coup le corps même de son angoisse. Ces mots venaient rétablir l’ordre des invocations muettes, des espérances, des intuitions naturelles. Les traits de son visage se détendirent de seconde en seconde alors qu’elle l’observait comme si elle découvrait soudainement par l’entrebâillement des rideaux, un filet de lumière dont elle avait momentanément oublié l’existence. Oublié. Oui, parmi le défilé de craintes et de doutes qui projetaient leurs ombres éparses sur les parois de son être, Sanae avait oublié cette chose qu’elle avait comprise très tôt entre eux.

Il en a besoin mais il ne saura pas comment faire.
C’est juste un homme. Un homme brisé.


Et elle, une femme brisée qui voulait se reconstruire.

Bien sûr qu’au fond, elle savait. Elle savait qu’il le voulait, ce lien. Parce qu’il était comme elle, si profondément rejeté de naissance et toujours seul dans son esprit.

Alors, elle fit sûrement la seule chose qui lui paraissait avoir du sens en cet instant. Bien plus de sens que n’importe quel mot qui aurait pu être prononcé après les siens. Elle s’approcha lentement, silencieuse et hésitante, comme si elle s’approchait d’un animal sauvage ou d’un feu trop embrasé. Elle s’arrêta à quelques centimètres de lui, son visage relevé vers le sien.

Et ses prunelles noires appelaient les siennes, les invitaient.
Ils n’étaient pas doués pour se parler alors il n’y avait pas d’autres chemins à emprunter.

Son esprit se tendit vers le sien, toucha les grands murs de sa forteresse, non pas pour y entrer mais pour le faire venir à elle, juste ça, juste une présence pour déclencher la sienne, lui dire de venir...avec une douceur qu’ils n’avaient pas partagé jusque-là.

Il y avait un souvenir dans son esprit qu’elle fit remonter à la surface. Il l’avait déjà vu, oui, mais il fallait parfois rappeler des choses essentielles.

C’était elle, petite et recroquevillée dans le lit de son orphelinat, regardant par la fenêtre cassée dont il manquait un carreau et qui donnait sur une rue de la ville d’Osaka. L’hiver faisait s’infiltrer un froid qui martyrisait ses os. Ses petites joues d’enfant, ses cheveux noirs longs en bataille retombant tout autour d’elle comme une couverture. Seule, seule dans une chambre pas plus grande qu’un débarras. Parce que les autres enfants avaient peur d’elle, parce qu’on préférait la mettre au placard plutôt que de la laisser approcher les autres. Et au fond, ça lui allait bien. Elle n’aimait pas jouer avec eux, n’aimait pas l’idée de leur parler. Ça finissait toujours mal. Ils la trouvaient bizarre. Ce n’était pas tant la scène qui était importante mais ce que cette petite fille se disait dans sa tête.

J’aimerais quelqu’un comme moi.
Quelqu’un comme moi.
Quelqu’un qui ne m’abandonnera pas.
Et on pourrait avoir des conversations secrètes.
Des plans à nous.
Des histoires que les autres ne comprendraient pas.
Et je ne serai plus jamais seule dans ma tête.


Son père avait été là mais c’était un homme, un homme âgé avec sa propre vision des choses. Il n’était pas comme elle malgré le don qu’ils partageaient.

Mais lui...cet homme face à elle, l’était.

Et un autre souvenir prenait place, lui traversant l’esprit sans qu’elle ne le rejette.

« Tu sais...ce don que j’ai...peut paraître extraordinaire vu de l’extérieur, mais la vérité c’est qu’il est très lourd à porter. Pendant longtemps, j’ai été seule dans mon esprit, je ne savais ni le contrôler, ni vivre avec, et mon père est entré dans ma tête une centaine de fois sans jamais vraiment me voir, moi. Parce que ce n’est pas parce qu’on voit ce qui se cache dans l’esprit de quelqu’un qu’on le comprend forcément ; on voit que ce qu’on veut parfois, parce que ça nous arrange… »

C’était sa propre voix qui résonnait en elle.

« Et...quand on rencontre quelqu’un qui nous est similaire et qui comprend ce que l’on est au fond de soi, il se passe quelque chose...qui ne peut pas être expliqué... Si j’ai pu me libérer, c’est parce que je me suis occupée de quelqu’un qui est entré dans mon esprit et qui a tout compris. Quelqu’un qui avait abandonné tout espoir, comme moi, et qui m’a poussée à me faire face. Ce quelqu’un, tu le connais… C’est Logan. »

Comme un rappel des évidences, les mots qu’elle avait prononcé revenaient vers elle et délivraient toute la gratitude, toute la préciosité d’un tel lien.

« Cette libération...elle a créé quelque chose entre lui et moi, qui n’était pas prévu et qui ne s’explique pas. »

Non, ça ne s’expliquait pas mais ça se défendait.

« Je suis profondément...changeante. Je le sais. Et pour chaque parcelle de moi, il y a quelqu’un pour s’y lier j’imagine. J’ai autant de besoins qu’il y a de versions de moi et c’est sans doute égoïste de ma part, mais je découvre la liberté de voir toutes ces versions exister en même temps et elles réclament toutes quelque chose de différent je crois. C’est sans doute impossible à comprendre mais … je ne peux pas réfréner mon  besoin de toi et je ne peux pas réfréner les autres non plus. »

C'était un risque de lui montrer ça. Un risque de le faire fuir mais s'il était toujours là, c'était peut-être que sa peur de perdre "ça" était plus grande que les autres. Alors, elle pensait à toutes les fois où durant ces dernières semaines elle avait voulu lui parler, espéré qu'il lui parle, avait eu peur de le faire partir, de déclencher son rejet en étant trop proche. Elle pensait à ce manque qui tordait ses entrailles et qu'elle avait tenté de nier pour tenir le plus longtemps. Elle pensait à la distance entre eux qui lui faisait mal, au fait qu'elle aurait aimé savoir ce qu'il faisait quand il partait, ce qui lui faisait mal, ce qu'elle aurait pu faire pour l'aider. Elle avait voulu l'alléger et elle l'avait déserté autant qu'il l'avait tenu à distance.

Le coeur battant, comme si elle s'attendait à ce qu'il parte ou réagisse mal, elle attendait en silence avant que ces quelques mots ne viennent glisser de ses lèvres.

« Je ne sais pas mieux faire que toi, tu sais…Des fois, je comprends et je sais ce dont tu as besoin et pourquoi...mais je n’y arrive pas tout le temps, Logan. Parfois le reste parle plus fort que ça. »
Aveu d'échec.

J'ai besoin que tu m'aides un petit peu...



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Dim 4 Juil 2021 - 1:45
Je suis devenu solitaire. Ou comme ils disent, insociable et misanthrope. Parce que la plus sauvage solitude me paraît préférable à la société qui se nourrit que de trahison et de haine.
Jean Jacques Rousseau.

Je ne sais pas faire. Cinq mots qui résumaient bien la violence de l’émotion sous-jacente. Cinq petits mots qui dévoilaient à eux-seuls l’angoisse qu’elle venait réveiller. Ce qu’il y a d’amusant quand on se sent coupable de quelque chose, c’est qu’on se braque immédiatement dès que le sujet se présente. Pas de réflexion, pas d’analyse, pas de recul. Seulement le besoin de se défendre d’une faute dont on sait déjà être responsable. Ça devrait être plus simple, pourtant non ? A savoir ce qui risque de tomber, nous devrions avoir déjà un recul sur la situation. Pourtant, ça n’est pas le cas, les justifications se font mensonges et enflent, la colère gronde d’avance. Je ne sais pas faire. Non, Logan, tu ne sais pas.

Je suis désolé. J’aurais aimé savoir t’aimer.

Ses propres mots résonnaient dans son crâne comme une plaie à vif dont il n savait se défaire et d’où suintaient des litres de sangs venus lui emplir les poumons. L’étouffer de culpabilité.

Coupable d’être incapable.

Pourquoi tu ne m’as pas dit ça plus tôt ? Une pensée, une émotion, un regret muet. Mais il était bon pour saisir les pensées plus que les paroles. Doué pour observé un passé tronqué, un futur impossible. Pourquoi ne pas avoir exprimé ces mots plus tôt ? Parce qu’il en était incapable. Parce que s’il l’avait fait, c’était uniquement parce qu’Aileen oublierait. Pourtant, dans les yeux de Sanae, il trouvait la même colère, la même frustration, la même impuissance dévorante de le voir être là sans jamais y avoir accès. Ce parallèle n’était pas là pour les sentiments qu’il avait pu avoir pour Aileen mais bien pour chaque instant où il n’avait fait que l’observer avec un mépris ironique se battre encore et encore pour avoir le droit de s’approcher, pour obtenir quelque chose de lui. Pour tous ces instants où il s’était montré blessé, distant, moqueur lorsque, pourtant, elle y arrivait. Car oui, elle y arrivait. Et c’était bien ce qui la faisait rester. Quand il lui lâchait des brides, elle s’y emmêlait plus profondément. Et lui, aimait autant qu’il haïssait ça. Un cercle vicieux dans lequel ils s’étaient tous deux enfermés, chacun blessant l’autre sans cesse. Sauf qu’elle n’aurait sans doute pas été ainsi s’il ne l’y avait pas poussée.

Sanae aussi insiste, avance, existe là où il l’avait repoussée en premier lieu. Avec elle comme avec d’autres, il reproduisait, s’enfermait dans des schémas évidents, faciles, connus.

Il n’y avait qu’une femme qui l’amenait bien malgré elle dans d’autres schémas. Une femme dont il essayait de se détacher, trop conscient de la violence probable de l’issu qui serait la sienne. S’avouerait-il seulement que s’il ne la suivait pas comme il avait pu le faire pour Sanae ou Dorofei, c’était tant par respect que par peur ? A bouleverser les codes, il figeait.

Mais ses codes n’avaient amené qu’abandon. Car non, il ne savait pas. Il ne savait ni aimer, ni parler. Se confier, vivre avec quelqu’un, accepter seulement, quelqu’un dans sa vie. Certains y gravitaient, certains faisaient mine de comprendre. Certains faisaient seulement avec. Pourtant, tous ceux-là lui manquaient. Alors le regard plongé dans ces prunelles sombres, c’était un nom de plus qu’il savait sur le point d’ajouter à la liste. Des reproches évidents, classiques, attendus. Il n’y avait dans ces cris qu’un putain de disque rayé, un truc qui lui pétait à la gueule alors qu’il espérait ne pas s’engager de nouveau sur cette voie. Un espoir brisé, celui d’être compris sans en faire l’effort, de trouver dans l’autre la porte de sortie, le miroir d’une vie écartelée. Mais elle ne comprenait pas mieux que d’autres. Foutu disque rayé. Grésillement intenable, virulent, détestable. Une plaie ouverte dans laquelle elle jetait l’acide. La colère en pleine gueule l’amenait face à un mur dont il n’avait jamais réussi à se défaire. Ignorant des relations humaines, il n’y avait là qu’une évidence : le cul de sac. L’échec récurent. L’abandon, inéluctable.

Le « ça ne fonctionne pas ». « Je ne peux pas. » « C’est trop pour moi. »

« Si tu penses que je déteste ça, tu es une imbécile inepte. »

Des mots, plutôt qu’un rire. Un aveu, plus qu’une attaque. Un essai, rauque, hésitant, brusque et colérique plutôt que la distance glaciale du dédain.

Je suis désolé. J’aurais aimé savoir t’aimer.

Un disque rayé qui tournait en boucle, lui sciait les nerfs, le forçait à frapper le sonagraphe de ses pensées, l’envoyer valser, le détruire. Tenter, alors que tout l’écartelait de tout sens. Tenter de rester, d’engager quelque chose, de sortir des chemins boueux à force d’être trop souvent empruntés. C’était le refus de l’attaque, dans ces mots, la plaie à vif qui tentait de s’exprimer sans se présenter plus encore, trop saturée d’acide et pourtant prête à s’en prendre de nouveau. Quitte à s’en cramer les chaires. Quitte à s’en cramer les nerfs.

Tendu, immobile, il observait, comme coincé entre deux battements de paupières, deux battements de cœur. Tellement d’émotions figeaient ses traits et en parallèle, tant déliaient ceux de Sanae. Pourquoi ? Comme s’il ne savait pas ce qu’il essayait de faire, de transmettre, de chuchoter au centre du tumulte. Rien de plus qu’un murmure sous la colère et les blessures, par pudeur, par insécurité, par incapacité.

Mais cette fois, elle entendait. Comme s’il la lui avait hurlée, cette vérité pourtant à peine avouée. Et comprendre ça lui coupait le souffle. Mâchoires crispées, regard sombre, il cessait simplement de respirer, mu par une seule envie : tout mettre sur pause. Ne plus entendre ni l’avant ni l’après.

Mais il n’y avait aucun moyen d’arrêter le temps, de s’enfouir dans le chaos, de tordre le présent. Il n’y avait qu’une âme à s’approcher, à se tendre vers lui alors que le corps s’approchait, mouvement autonome, total. Vers lui. Plutôt que de fermer à jamais la porte.

T’aurais fait quoi, avant tout ça ? Tu faisais quoi avec Aileen ? Bah ça tu vois, tu ne peux pas. Sinon tu perds ce que tu ne peux te résoudre à oublier. Il aurait voulu ne serait-ce que fermer les paupières, lever les yeux au ciel, nier ce rapprochement. Mais il n’y arrivait pas. Car tout son système captait la demande, crevait de ne pas y répondre immédiatement.

Une fois qu’on a appris à respirer, revenir en arrière n’est pas une option.

Silencieuse et hésitante, elle avait conscience que chaque pas pouvait être l’initiateur, l’ouverture pour un départ brutal. Départ de feu ou fuite humaine, qu’importe. Pourtant il ne bougeait pas. Et cette fois, le menton relevé vers lui n’avait rien d’un défi mais bien d’une invitation. Les volutes de son esprit couraient jusqu’à lui, s’arrêtant contre les murailles. Mais il n’y avait là aucune trace de la violence habituelle. Insolente souvent, dévastatrice parfois. Il n’y avait là qu’une caresse, qu’une main tendue pour l’amener à elle.

Elle vient. Encore et encore.
D’autres sont venus.
Tu les as vaincus.

Elle venait avec sa douceur, ses hésitations, son empathie, son indulgence. Cette putain de clémence dont il ne savait que faire. Elle venait avec son invitation. Une porte ouverte quand il s’attendait à s’en prendre les échardes du bois claquant avec violence.

Il suffirait de fermer les yeux, de rompre le contact. Il suffirait de ne pas aimer ça. De ne pas l’attendre. Il suffirait de ne pas réagir comme un putain de camé qui n’attend que sa dose. Il suffirait d’arrêter de faire un pas en arrière dès que tu en fais un en avant, te réfugiant dans un rejet absurde quand il est clair que tu n’as qu’un besoin, qu’une envie à l’heure actuelle : ça. La rejeter aurait été simple, à maintenant saisir comme il pouvait s’être dévoilé en quelques mots. La distance était toujours plus simple que l’humanité. Mais la haine du vide était bien plus violente que la force de ses inaptitudes. Si les hurlements de ses besoins et de ses démons s’opposaient, c’étaient bien les premiers qui sortaient vainqueurs, et il se plongeait dans cet esprit comme on entrerait dans de l’eau trop froide en plein été. Avide. Mais hésitant.

Et le simple mélange des esprits l’emplissait de cette satisfaction brusque de l’organisme poussé à bout qui trouve enfin moyen de corriger le déséquilibre. En douceur, il s’enfonçait, se laissait guider dans cette maison qu’il connaissait trop bien, à travers des souvenirs qu’il regardait à peine pour la suivre finalement cette fois avec une certaine pudeur. Il n’était pas conquérant, mais simple invité.

Invité d’un orphelinat où il n’avait jamais foutu les pieds mais qui lui semblait à présent étrangement familier. On ne s’imprègne pourtant pas tant des souvenirs des autres, mais ce lieu était différent. Sans doute parce que dans le fond, il savait que telle aurait dû être sa place. Parce qu’il avait conscience de ces petits détails qui avaient aiguillé leur route à tous les deux, les amenant sur des chemins totalement différents, partant d’un même point de départ, divergeant brusquement… pour finalement se retrouver, comme sur un malentendu. Alors oui, cette petite fille dans son lit, il la connaissait presque comme s’il s’agissait d’une vieille amie. Il pouvait sentir la texture rêche des draps trop vite lavés, l’odeur de la chambre, la lueur à travers la fenêtre. Il pouvait comprendre ces pensées qu’il avait pourtant bien souvent esquivées car elles faisaient grincer quelque chose en lui.

Ces pensées auraient pu être les siennes. Sans doute s’étaient-elles glissées un jour dans son esprit comme dans le sien. Peut-être étaient-elles là, quelque part dans le fond de son esprit, masquées, enterrées, ces preuves de faiblesses. Ces idioties d’enfant.

Ils avaient le même âge. Peut-être y avait-il ce jour-là un petit garçon, à l’autre bout du monde, assis dans le coin de sa chambre, à retenir des larmes qu’il apprenait à ne pas laisser couler. Eloignés de centaines de kilomètres, rassemblés malgré les fuseaux horaires par des souffrances communes. Des prières nocturnes. Des souhaits synchronisés.

Bien sûr qu’elles étaient là ces pensées. Bien sûr qu’elles avaient été enfouies comme Sanae avait enfermé le monstre quand il enterrait l’enfant.
Et bien sûr qu’elles résonnaient pourtant chez l’adulte.

Et le souvenir laissait place à un autre, se laissant couler dans son esprit, emporté dans les tourbillons d’une existence qui n’était pas la sienne et qui prenait de nouveau forme autour de lui pour l’englober dans un moment qui ne lui appartenait pas.

« Tu sais...ce don que j’ai...peut paraître extraordinaire vu de l’extérieur, mais la vérité c’est qu’il est très lourd à porter. Pendant longtemps, j’ai été seule dans mon esprit, je ne savais ni le contrôler, ni vivre avec, et mon père est entré dans ma tête une centaine de fois sans jamais vraiment me voir, moi. Parce que ce n’est pas parce qu’on voit ce qui se cache dans l’esprit de quelqu’un qu’on le comprend forcément ; on voit que ce qu’on veut parfois, parce que ça nous arrange… »

Par instinct, il aurait voulu fuir, s’arracher à ces mots, s’éloigner de ce qu’il devinait être la suite. S’y arracher… pour ne pas savoir s’il avait raison ou tort. Par pudeur ou faiblesse, par traitrise ou couardise. Mais par besoin, il restait. Car quitte à la perdre, il avait besoin d’en connaître les raisons. Et quitte à la garder… il avait besoin de comprendre.

« Et...quand on rencontre quelqu’un qui nous est similaire et qui comprend ce que l’on est au fond de soi, il se passe quelque chose...qui ne peut pas être expliqué... Si j’ai pu me libérer, c’est parce que je me suis occupée de quelqu’un qui est entré dans mon esprit et qui a tout compris. Quelqu’un qui avait abandonné tout espoir, comme moi, et qui m’a poussée à me faire face. Ce quelqu’un, tu le connais… C’est Logan. »

Comprendre. Entendre. Voir. Ou Voir, entendre puis comprendre. Comme si tout se faisait à l’envers. En lui, quelque chose explosait, cognant dans ses cotes, ses veines s’emplissant du timbre de cette voix qui résonnait tant dans son esprit que dans le sien, chacun trop mêlé pour qu’il sache réellement où il en était. Une chose toute simple, trop souvent oublié, délestée. Détestée peut-être. La gratitude.

Car ce qui est évidence devient parfois secret, qu’on n’ose regarder en face, auquel on ne croit plus vraiment, qui s’efface, s’évade d’un esprit trop souvent contraint au statut de contrainte. Utile, mais contraignant. Rarement… celui qu’on remercie auprès d’une autre. Dont on vante les quelconques mérites. Et certainement pas quand il s’agissait… de ça. D’avoir été là. D’avoir compris. D’avoir aidé. Humainement.

« Cette libération...elle a créé quelque chose entre lui et moi, qui n’était pas prévu et qui ne s’explique pas. »

Des mots qu’il pensait sans jamais les avoir prononcés auprès de qui que ce soit. Qu’il pensait pour acquis un jour avant de les oublier le lendemain. Des mots qui soufflaient la colère, apaisaient l’acide dans la plaie ouverte.

Et cette chose, est-ce qu’elle peut résister à l’inaptitude ? Est-ce qu’on en est déjà au bout, comme un aveu d’échec, une façon de tirer un trait sur ce qui aurait pu exister ? D’en admettre les limites ? Déjà. Si tôt ?

Et il cogne, le myocarde, il percute les os comme les mots impactent l’esprit et enserrent la gorge.

« Je suis profondément...changeante. Je le sais. Et pour chaque parcelle de moi, il y a quelqu’un pour s’y lier j’imagine. J’ai autant de besoins qu’il y a de versions de moi et c’est sans doute égoïste de ma part, mais je découvre la liberté de voir toutes ces versions exister en même temps et elles réclament toutes quelque chose de différent je crois. C’est sans doute impossible à comprendre mais … je ne peux pas réfréner mon besoin de toi et je ne peux pas réfréner les autres non plus. »

Donc tu ne peux pas réfréner ce besoin-là non plus. Qu’importe qui il y a derrière, qu’importe ce qu’ils savent donner, ce qu’ils apportent, ça restera là. C’est ce que tu dis dans ces mots ?

Et puis, au lieu de s’extraire, elle l’avait emportée. Emporté dans sa volonté de l’aider, emporté dans ses manque, dans ces besoins qui lui déchiraient les entrailles, emporté dans son incapacité à savoir ce qu’il voulait, lui, cet être distant, fermé et muet qui n’était rien d’autre qu’un mur sur lequel elle se fracassait sans cesse sans réussir à faire autre chose qu’à finir en morceaux. Lui qu’elle pensait aider, mais qui s’enfonçait plus encore. Et elle, qu’elle se devait de préserver face à tout ce qu’elle traversait et pour lesquelles… il était totalement incapable de faire quoi que ce soit. Pourtant, c’était bien lui qui l’avait poussée là, loin du chemin de la destruction. Droit sur le chemin de l’humain. Droit dans des terres qui lui demeuraient inconnues. Alors de landes obscures en landes obscures, ils perdaient leur chemin. Et s’éloignaient.

Elle veut seulement partager. Etre quelqu’un pour toi. Elle veut en être sûre. Le voir, dans le quotidien. Et pas uniquement quand le monde entier menace de s’effondrer sous le choc de sa magie déchainée.
Etre quelqu’un, autrement que par le chaos.

Glissant doucement hors de son esprit, il fermait les yeux, violenté de pressions infernales l’écartelant de toute part. Fuir, rester, tout ça n’était même pas d’actualité. En silence ils étaient restés là un moment, le cœur battant à l’unisson, pourtant désynchronisé. Angoisses communes, réponses différentes, douloureuses, hors de portée.

« Je ne sais pas mieux faire que toi, tu sais…Des fois, je comprends et je sais ce dont tu as besoin et pourquoi...mais je n’y arrive pas tout le temps, Logan. Parfois le reste parle plus fort que ça. »Aveu d'échec.

Parfois on ne sait pas faire. Pas que toi, mais les autres aussi. Tu ne peux attendre d’eux qu’ils sachent comment faire comme ils ne peuvent attendre de toi que tu ais toujours les réponses. Vous ne les avez pas, ni l’un ni l’autre. Mais depuis des semaines, vous êtes là. Pas toujours, pas avec une constance parfaite ni une communication fluide. Mais il semble clair que ça vous importe à chacun. Qu’il faut du temps et des efforts pour apprendre à vivre avec l’autre, à le comprendre, à lui laisser sa chance plutôt que de l’appeler en gueulant comme un sourd, incapable d’entendre ce que l’autre baragouine dans son coin. Vous avez besoin de ça. Parce que ça importe. Parce que ça compte. Parce que ça vaut le coup qu’on se batte malgré les angoisses et les obstacles.

Ça s’explique pas.
Mais ça se défend.


Ses paupières se soulevaient de nouveau, les tentacules de son esprit glissant de nouveau vers le sien, l’effleurant un instant avant que ses lèvres se saisissent des siennes. Un baiser, oui, parce que tout son organisme allait vers elle. Parce qu’en l’instant, il n’avait pas d’autre manière de l’exprimer que la première qui les eu liés. Comme un geste miroir, une façon de valider le fait que oui, se priver de ce lien lui était insupportable. Ce truc, il ne le comprenait pas, n’avait rien à voir avec ce qu’il avait pu vivre. Comme elle, il était lié à d’autres d’une façon différente. Et comme elle, il ne pouvait le refreiner. Aucun de ces liens. Et certainement pas celui-là, unique, étrange, comme s’ils se devaient de l’inventer eux-mêmes, l’intégrer dans un langage qui ne portait pourtant pas de mots pour le désigner.
Ce truc, il lui cramait les nerfs comme une évidence, une révélation qui s’était plaquée dans ses poumons à la seconde où ils s’étaient véritablement liés. Echange il y avait eu, sans qu’il ne donne, pourtant, mais c’était là, il l’aurait juré. Et ça lui vrillait le système, incapable de s’en défaire.

Comment on invente ça, un lien humain, quand on est soi-même profondément inapte en la matière ?

« Je voyageais. Je protégeais une amie. »

Il lâchait ses lèvres sans quitter son esprit, l’acier dans l’obsidienne. La voix s’était fait rauque, difficile, et les mots laissaient place au silence, encore, parce qu’il y avait dans ce souffle un besoin de reprendre le sien, d’encaisser chaque mot si simple soit-il.

Quelle amie ? Quel voyage ?
Aileen, par crainte, protection et jalousie ?
Maeve, par intérêt, curiosité, respect, fascination… affection ?
Il serait même aisé d’ajouter Dorofei, s’il avait utilisé un pronom plus générique. Mais ça n’était pas le cas, car les mots ont un sens.

Et si le votre n’existe pas, ça n’est sans doute pas étonnant de voir que cette relation explose en tout sens, impossible à canaliser.

J’ai toujours été un gardien des secrets.
C’est mon rôle de me taire.
Ma place réside dans le silence, jamais ailleurs. Hors du monde, condamné à ne jamais y appartenir.


Pourtant, tu en sors. Tu agis, tu t’impliques.
Par obligation.
C’est par obligation que tu protégeais ces gosses ?
C’était mon rôle.
Le rôle d’un enseignant n’est pas de sortir en pleine nuit pour cacher des corps ou masquer les méfaits de ceux qui se défendent.
C’était…

Tu vis dans ce monde Logan. Tu aimes ce monde et ces gens. Et tu aimes ce qui te relies à eux. Tu ne veux t’en défaire. Sinon, tu n’aurais pas agit ainsi. Tu n’aurais pas préparé Alec, tu n’aurais pas isolé Aileen. Sinon, Jordane serait morte et Dorofei s’arracherait l’œil qu’il lui restait pour se défaire de la vision vermeil de ses méfaits. Si tu savais rester hors de tout, ces émotions n’existeraient pas. Tu ne serais pas mort d’inquiétude pour ceux que tu sembles pourtant laisser seuls dans leurs chemins abrupts.

Sinon, Logan, tu ne serais pas allé à Paris.
Et tu ne l’évoquerais pas.

« Mes souvenirs sont la seule chose que j’ai jamais réussi à protéger. Si je me ferme, c’est non seulement parce que je ne sais pas faire autrement, mais aussi parce qu’il y a là dedans mille raisons de te faire tuer. Les risques que tu prends te regardent mais… » Mais Alec risque de se faire tuer en ce moment même, Maeve aussi, Aileen est en exil et Ismaelle …
Il n’y a que lorsqu’ils sont loin qu’ils sont en sécurité. Alors si tu te plongeais dans mon esprit, ça serait littéralement prendre une partie de moi. Et du danger qu’il y a avec.

Non, il ne terminerait pas cette phrase, parce qu’il en était proprement incapable.

Alors il soupirait, détachait son regard d’elle, arrachait les deux esprits l’un à l’autre et posait les yeux sur la pièce qui lui semblait alors anormalement étrangère. Comme si le présent, l’actuel, le réel n’existait plus vraiment. Il s’agissait d’une sensation habituelle pour celui qui avait passé trop de temps enfermé en lui-même. Qui s’y perdait encore par moment. Celui qui savait faire de ses pensées une forteresse, mais qui s’était trop isolé à force de rester hors des gens. Hors de tout.

Pourtant profondément en manque d’eux.

Alors lorsqu’il posait de nouveau le regard en elle, les murailles étaient toujours là. Haute, froides et infranchissables.

Mais en aval, il existait à présent une forêt escarpée où serpentait un escalier de pierre. En haut de celui-ci, un temple de bois rougit de lasure. Ces lieux, il ne les avait arpentés qu’à travers les pas d’une autre. Ce temple n’était pas le sien, c’était celui où un père avait amené une petite fille un jour. Un temple vide de pensées, vide de souvenirs. Beau. Mais creux, inutile, comme une coquille vide.

Pourtant, ce temple, c’était surtout une promesse.

« Laisse-moi un peu de temps. »

Pour apprendre.
A parler, à partager. A faire la part de ce qui se doit d’être dissimulé et ce que tu peux arpenter dans la sérénité des sous-bois.

Laisse moi le temps de faire la paix entre ce que je veux et ce qui m’échappe.
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Mer 7 Juil 2021 - 15:37
« And sometimes I have kept my feelings to myself,
because I could find no langage to describe them in. »

Jane Austen

Un langage.
Il leur fallait un langage à eux, quelque chose qui puisse leur convenir, se faire naturellement sans devoir subir les contraintes ordinaires des communications du reste du monde. Et ce langage, ils l’avaient. Au fond, ils avaient toutes les clés, ils savaient quoi faire. Ils savaient les pièges, les fossés, les digues, les chaînes et les voiles sombres obscurcissant leur vision. Ils savaient le pouvoir des peurs enfantines qui s’étaient faites plus fortes en grandissant. Oui, l’enfant en eux savait.

Mais l’Angoisse le savait aussi.
Elle savait où appuyer, où étreindre et emplir pour se trouver couronnée de succès. Elle s’infiltrait à la moindre faille, de la pensée parasite jusqu’au doute évident qui fleurissait dans leurs esprits, et elle amplifiait tout comme un poison capable de faire grossir la plus minuscule pensée fugace. C’était ça, le monstre en eux. La peur, terrible, de ne jamais compter pour l’autre, de ne jamais convenir, de ne jamais trouver de place. Le cynisme ne faisait rien disparaître, il graissait les mécanismes pour les faire fonctionner plus facilement mais il n’enlevait pas cette chose ignoble qui les maintenait dans les bras de l’Angoisse. Elle les prenait à la gorge, les enfonçait, brouillait les communications jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus s’entendre, plus se comprendre. Et quand enfin elle trouvait à ses pieds l’espoir mort et des morceaux de coeur brisé, les doutes se trouvaient triomphants et plus rien ne pouvait arrêter son maléfice. Pire, la fièvre de l’angoisse érigeait des murs, tendait des lames pour planter la chair de l’autre et remuer de son tranchant toute la bile qui y macérait.

Il aurait pourtant suffit de quelques mots, de quelques mots glissés là sans attente de réponse.

Je m’inquiète pour toi, pour nous.
J’ai besoin de ça.


Oh oui, elle en avait besoin. Besoin d’une confirmation, besoin d’un contact. Besoin de savoir qu’elle comptait pour lui, que ça comptait pour lui même au travers des bouleversements de son être. Besoin de s’assurer que les chemins qu’elle emprunterait présenteraient toujours une allée droit vers lui. Une porte jusque dans le recoin où il se cachait. Un chemin escarpé, une trappe où le rejoindre. Elle ne voulait pas d’un autre abandon. Elle ne voulait pas d’un autre silence plein de rejet. Elle ne voulait pas attendre de le voir partir pour réaliser qu’elle s’était trompée, qu’elle avait fantasmé quelque chose qui n’était pas réel.

Mais comment est-ce que ça ne pouvait pas être réel, quand elle l’avait senti si profondément imprimé dans ses chairs, dans son esprit ? Comment douter d’une chose si puissante, essentielle, évidente et impossible à oublier ? Comment ? Eh bien, en ayant très exactement peur de le perdre. Peur de n’être rien à ses yeux. Peur d’être oubliée, repoussée. Insignifiante petite chose qui ressentait trop aux pieds d’une forteresse d’acier. Stupide petit esprit qui avait encore de l’espoir. Dérisoire besoin qui engendrait tant de faiblesse. Elle redoutait cette part de lui qui devait la mépriser d’être aussi humaine, d’avoir tant d’aspects qui lui étaient éloignés. Elle redoutait l’instant où il déciderait que ça n’en valait pas la peine, qu’elle n’était pas comme il espérait. Pas à la hauteur. Pas essentielle. Un nom parmi d’autres, un visage qui s’évanouirait dans la foule mouvante de son esprit fermé.

Dans la fureur d’une demande qu’elle n’arrivait pas à formuler correctement, Sanae avait des dégâts. C’était toujours ça, hein ? Les disputes, même passagères, laissaient des marques et elle voyait ces marques sur le visage du sorcier. Elle les voyait très distinctement dans la douleur, la surprise, l’incompréhension et l’injustice qu’elle faisait naître en lui. Et c’était assez fort pour qu’il ne puisse pas tout dissimuler sur l’instant. Et c’était insupportable cette chose qui battait entre eux comme un coeur aux abois, leur rappelant encore et encore que ça faisait longtemps. Longtemps que leurs esprits ne s’étaient pas rencontrés, qu’ils avaient tenu la distance.

Infâme distance.

Alors, quand les mots débordaient des lèvres de Logan sans qu’il n’ait sûrement compris le sens véritable avant qu’ils n’éclatent dans l’air pour prendre forme, elle comprit. L’orage se dissipait et un rayon de clarté venait fendre l’espace qui les séparait. Un rayon éclairant leurs visages. C’était triste sans doute de devoir se faire mal pour y voir plus clair, de devoir se mettre en danger, de se pousser l’un l’autre pour s’entendre et se distinguer dans la brume. Mais c’était bien ça qui se levait soudain, la brume.

Elle fit la seule chose qui avait du sens.
Parce que c’était la seule option envisageable. La seule option qui ne la broyait pas de l’intérieur.

Elle n’aurait pas pu partir ou lui demander de partir.
Elle n’aurait pas pu fermer la porte.
Et elle savait qu’elle ne pourrait jamais le faire à vrai dire.

Si proche, là, debout face à lui, Sanae s’exposait au rejet, à la colère mais elle s’en fichait. Pour une fois depuis un moment, elle tenait bon dans l’hésitation et la crainte de la suite. Elle l’invitait, comme une invite un vieil ami qui avait l’habitude d’entrer et elle le guidait jusqu’à elle dans l’espoir qu’il la suive et dévoilait sur son passage ce qu’elle n’arrivait pas à dire. Son coeur cognait, se ruait, tambourinant dans ses oreilles dans un moment suspendu. C’était la peur, l’appréhension, et l’excitation qui la submergeaient. Mais il y avait une tendresse pourtant, une douceur en elle pour cet homme qui lui faisait face qu’elle ne pouvait réprimer. Elle la cachait tant de fois pourtant, et ce soir ce n’était plus le moment de dissimuler.

Elle s’ouvrait à lui et attendait, lui laissait le choix, l’opportunité de dire non comme de la rejoindre. Elle attendait oui, un mouvement, quelque chose. Mais elle attendait près de lui, leurs regards ancrés et pas loin, sans contact, dans le silence des amertumes inexprimées.

Le souffle court, fébrile, elle ne put retenir le sentiment lancinant de soulagement qui l’envahit quand dans un geste mental sans violence, il entrait. Un sursaut au fond du ventre. Un souffle qui s’échappait comme si on avait percuté sa cage thoracique. Ses orteils se crispèrent sur le parquet, ses phalanges blanchissaient, et ses lèvres s’étirèrent légèrement en un sourire plein de pudeur. Elle aurait pu gémir à l’instant où son esprit se liait au sien tant ça lui avait manqué. Invisible pour les autres mais terriblement essentiel pour elle, pour eux. La sensation percutait ses nerfs, irradiait en elle. C’était la première vraie bouffée d’oxygène dans cet appartement depuis son retour de Paris. Comme un poids enlevé de ses entrailles, un truc qui desserrait sa gorge, qui faisait passer l’air plus facilement dans ses poumons. Ils ne pouvaient pas comprendre, les autres, ce que ça faisait...Ce toucher mental, cette proximité, cet entremêlement de leurs dons, comme deux mains invisibles qui se retrouvaient, soufflait sur la douleur pour la soulever et la faire disparaître.

Et pourtant, le contact n’était pas habituel. L’esprit du sorcier ne s’était pas immiscé comme un boulet de canon lâché dans une violence qu’elle avait apprise à encaisser, il s’était fait doux, hésitant, prudent. Il suivait la route qu’elle dévoilait au lieu de tout explorer, seul maître du chemin qu’il empruntait. C’était elle qui, cette fois, guidait l’échange…

...jusqu’à son orphelinat, berceau de sa vie brisée, où elle lui rappelait l’existence de cette petite fille qu’il connaissait déjà. Cette petite fille, elle était toujours devant lui, à prier pour qu’on exauce son souhait. Elle avait simplement grandi. Et lui aussi. Ils étaient deux adultes qui n’avaient pas tout à fait les codes, qui avaient leurs incapacités, leurs terreurs, leurs colères et incompréhensions. Elle avait eu plus de chance que lui, elle le savait. On l’avait aimée. Et pour lui, l’amour était venu tard ; sans doute trop tard dans les relations tissées avec ceux qui tenaient toujours à lui. Elle ne savait pas  ce qui en était vraiment, n’avait qu’une faible compréhension de ce qu’il avait vécu mais elle voyait dans les failles, dans les douleurs, dans la rage et le cynisme la peinture d’un homme à bout de souffle parce qu’il n’avait jamais vraiment appris à respirer.

Mais il ne fuyait pas.
Il ne fuyait pas même lorsque les mots qu’elle avait prononcé pour Margo évoluaient dans son esprit pour dévoiler ce qu’elle pensait. Dévoiler l’importance du lien qu’elle défendait, protégeait. Dévoiler le besoin qui était le sien, le leur, et qu’elle n’aurait jamais sacrifié. Tout comme elle ne sacrifierait pas le reste. Peut-être était-ce égoïste, peut-être était-ce trop pour tout le monde, mais elle s’était privée trop longtemps pour ne pas vouloir revendiquer ce dont elle crevait d’envie, ce qui l’aidait à tenir, ce dont elle avait besoin.

Il ne fuyait toujours pas.
La surprise laissait place au soulagement qui l’englobait totalement, apaisait et déliait les nœuds. Pourtant elle savait comme il était tentant pour lui de détourner le regard, d’arrêter d’écouter. Mais il fallait parfois le dire, quand l’autre faisait les choses bien. Il fallait l’exprimer cette gratitude qu’elle éprouverait toujours à son égard quand bien même ça lui faisait peur, à lui, d’être celui qu’on remerciait, qu’on mettait en valeur, qu’on protégeait. Oui, c’était ça qu’elle avait tenté de faire. Le protéger autant que se protéger, elle. Parce que si elle sombrait, elle pourrait pas l’aider, ps être là pour lui. Elle s’était juste perdue dans la distance en essayant de tout faire en même temps et elle avait paniqué, s’était énervée de ne plus le voir, de perdre le contact quel qu’il soit. Alors elle lui montrait, de souvenir en souvenir, de pensée en pensée, de sentiment de perte en sentiment de frustration, pour lui prouver qu’elle n’avait pas voulu lui tourner le dos, qu’elle ne l’avait pas oublié. Elle ne le pouvait pas, du reste.

Il s’extirpait de son esprit et ils n’étaient plus que deux coeurs battants entre des côtes, debouts, presque à nus dans la vulnérabilité d’un instant suspendu. Et ils reprenaient leurs souffles en silence alors que les regards s’éloignaient un instant. Le sien, à lui, se fermait à elle quelques secondes. Il fallait encaisser, digérer, et elle patientait en observant ses traits sans faire trop peser son regard sur lui. Elle admettait, alors, dans un aveu douloureux qu’elle ne savait pas mieux faire que lui, qu’elle avait peut-être été plus chanceuse mais qu’il y avait des choses qui demeuraient difficiles, qui nécessitaient des efforts. Elle admettait qu’elle avait peur, elle aussi. Et finalement, est-ce que ce n’était pas la seule chose à dire à quelqu’un qui était lui-même effrayé des attentes des autres, de ne pouvoir y répondre ? On pense toujours que les autres savent mieux faire. C’est faux.

Mais ils essayaient, maladroitement mais constamment.
Et ça voulait dire que ça importait, que c’était précieux, que ça valait le coup, oui, de passer au-dessus des échecs pour atteindre son but, pour préserver ce qu’ils avaient pendant si longtemps espérés.

Ses paupières s’ouvrirent à nouveau et l’acier plongea dans le néant. Les tentacules de son esprit vinrent toucher celui de la sorcière, en caressant la présence, et ses lèvres vinrent prendre les siennes. Il n’y avait pas de violence dans ces gestes, le physique rejoignant le mental dans un besoin impérieux de se retrouver. Les doigts de Sanae s’accrochèrent une seconde au tissu de son haut. Tout en elle se tendait vers lui. Le besoin rugissait sans se faire attendre. Besoin de fusion, celle-là même qui les avait réunis la première fois. Celle qui étourdissait les sens et éloignait la solitude ignoble de leurs esprits. Un lien comme le leur demandait un contact physique, quelque chose de concret dans le réel, qui puisse traduire le rapprochement mental et sans doute était-ce aussi cela qui avait participé à la frustration et à la colère : pas seulement inaccessible par l’esprit, il demeurait loin d’elle sans jamais franchir la distance physique. Inaccessible forteresse, oui, la construction de son esprit était bien choisie. C’était d’autant plus compliqué qu’il n’aimait pas être touché, qu’il n’était pas habitué aux contacts humains. Et Merlin ce que ce toucher lui avait manqué…

Tu m’as manqué.

Ses lèvres quittèrent les siennes et Sanae laissa retomber ses mains dans le vide. Pourtant, son esprit était toujours contre le sien, sans violence.

« Je voyageais. Je protégeais une amie. »

Sa voix rauque rebondissait contre elle dans la proximité qu’ils partageaient. Elle fronça les sourcils, cherchant dans son regard quelque chose...Il voyageait ? Pour protéger… Ses sourcils se relevèrent dans une expression de surprise. Lentement, elle croyait comprendre. Elle avait cru que sa présence sur la plage, en France, n’avait été qu’un événement isolé dont il avait pu savoir la destination aisément vu la date… C’est vrai qu’elle était partie sans dire un mot, sans laisser d’indication. Qu’aurait-elle fait s’il était parti aussi longtemps sans laisser de traces ? La dernière fois où il s’était absenté pendant une dizaine de jours, elle avait au moins pu constater que la vie était toujours présente dans la maison des parents de Kezabel. Elle savait qu’il était parfois rentré. Mais elle, elle était partie en laissant son appartement dévasté dans un silence plombant.

Il l’avait suivi ?
Il l’avait suivi.

Une boule se forma dans sa gorge sans qu’elle ne puisse dire un mot, sa langue humectant ses lèvres pincées.

« Tu voyageais... » dit-elle dans un souffle, comme si répéter ses mots les rendrait plus facile à digérer.

Pour me protéger...

Se trompait-elle ? Est-ce qu’il s’agissait de quelqu’un d’autre ? Si cela avait été le cas, il ne l’aurait pas dit ; et ça n’aurait pas été aussi difficile de le dire, n’est-ce pas ? Les sous-entendus, les non-dits, elle croyait les entendre distinctement. Et ils rendaient certains reproches plus injustes encore, sans doute. Il faisait des choses pour elle. C’était ça, qu’il lui disait, n’est-ce pas ?

Il s’inquiétait.
Tout comme elle s’inquiétait pour lui. S’inquiétait des absences courtes comme des marques sur son corps, sur ses doigts, dont il taisait les raisons.

« Mes souvenirs sont la seule chose que j’ai jamais réussi à protéger. Si je me ferme, c’est non seulement parce que je ne sais pas faire autrement, mais aussi parce qu’il y a là dedans mille raisons de te faire tuer. Les risques que tu prends te regardent mais… »

Il détournait le regard en même temps qu’elle baissait les yeux avant de les ancrer sur la droite, vers le vide où il n’y avait pas à affronter l’acier. Pudeurs communes. Leurs esprits ne se touchaient plus, une infime distance se creusait alors que les mots faisaient leur chemin. Il voulait protéger les autres, se protéger lui et ses secrets. La protéger elle, aussi. Si son ancienne maison était un mausolée, son esprit à lui l’était tout autant. Un mausolée, un musée aux secrets, des centaines de dossiers dans lesquels s’inscrivaient les failles de tant de gens. Le lot de tous les légimens. De vraies bibliothèques dont l’entrée coûtait cher. Elle avait pensé que c’était seulement pour avoir le pouvoir sur elle, pour la repousser, la rejeter, mais ce n’était pas la seule raison : il ne savait pas s’ouvrir et il avait peur de la perdre, de la mettre en danger. Et ça, elle pouvait l’accepter.

Elle prit une courte inspiration, à moitié bloquée, pinçant les lèvres dans une hésitation infernale. La culpabilité mordait ses chairs.

« D’accord... » murmura-t-elle, doucement. Elle l’entendait, elle comprenait. La mâchoire crispée, se raclant la gorge, elle ajouta sans le regarder, parce qu’après tout, elle n’était pas plus à l’aise que lui : « Tu sais, la dernière fois que je me suis disputée avec quelqu’un...c’était avec Keza et je l’ai giflé en lui disant qu’elle n’était pas ma famille. » Elle releva un regard douloureux mais ferme vers lui, le regret imprimant ses traits. « J’crois que je dis pas mal de conneries quand je suis énervée, hein... » Elle eut un souffle moqueur envers elle-même. C'était con, n'est-ce pas? De remettre des choses établies en question alors qu'en réalité, elle savait au fond d'elle la solidité de certaines fondations. A travers ces mots, elle s'excusait, laissait paraître plus qu'auparavant la culpabilité qui la tenaillait.

Elle savait maintenant sans qu’aucun doute ne vienne embrumer sa conscience que ça lui importait, qu’elle lui importait. Et elle l’invoquerait à chaque fois qu’ils s’éloigneraient, à chaque fois qu’ils s’énerveraient sans pouvoir se parler.

Son regard vint la chercher à nouveau et elle releva le visage vers lui. Son myocarde cognait bien plus fort, bien plus vivement mais sa bouche sèche n’arrivait pas à s’ouvrir.

« Laisse-moi un peu de temps. »

Du temps.
Laisse-lui du temps Sana.


Elle ne dit rien pendant quelques secondes, son regard plongé dans le sien, gardant son esprit pour elle, mais d’un geste lent, elle sortit sa baguette de la poche de son pantalon et son regard retomba sur les mains du sorcier. Elle captura sans violence son poignet dans sa main gauche et le sortilège fut prononcé dans un murmure, faisant disparaître le sang et les plaies. L’autre main subit le même sort. Les doigts qui lui restaient termineraient de guérir avec une potion mais c’était le geste qui importait. C’était un merci, un merci et un pardon.

Quand elle releva ses prunelles d’encre vers lui, il n’y avait pas de questionnement. S’il voulait lui raconter, il le ferait mais il saurait, maintenant, que ça lui importait de savoir.

« Tout le temps que tu veux. » lui souffla-t-elle.

C’était acté.
Elle attendrait. Autant de temps qu’il le faudra.
Elle encaisserait, ses inaptitudes autant que les siennes à elle.
C’était une promesse.

Ses doigts lâchèrent lentement son poignet, glissant sur sa main pour lui redonner sa liberté mais son esprit vint lécher le sien sans brusquerie, sans obligation. Juste pour lui faire sentir à quel point elle en avait besoin, à quel point ça lui avait manqué. Lui faire sentir qu’il n’y avait pas de déception, pas de colère, pas de reproche. Et quand son esprit glissait sur la forteresse, elle fut soudainement déstabilisée non pas d’y trouver une faille, mais de découvrir, là, sur un petit chemin de côté, comme dans une bulle externe et protégée des autres, un espace nouveau.

Cet espace, elle le reconnaissait. Ses paupières papillonnèrent une seconde sous la surprise, sourcils froncés. Pas d’agressivité, mais un choc, comme un sursaut interne qui la fit frémir. Elle se glissa sur le chemin et remonta les marches d’un temple qui appartenait au passé mais revenait dans le présent, seulement pour eux, seulement pour elle. Un temple qu’elle avait visité avec son père, beau mais vide, silencieux et serein.

C’était son espace, à elle.
Dans son esprit, chez lui.

Elle déglutit.
Il n’y avait pas de mots pour ça.
Il n’y en aurait jamais.

Il lui donnait quelque chose de nouveau. Quelque chose de plus précieux que n’importe quel autre mot qu’il aurait pu prononcer. Et peut-être que c’était peu d’un point de vue extérieur, mais pour elle...c’était gigantesque. Parce qu’elle savait à quel point c’était dur pour lui d’aller à l’encontre de ses propres mécanismes, d’aller à contre courant de ses peurs.

Alors ce qu’il lui offrait, ce soir, était sans doute le plus beau cadeau qui soit.
Un espace de partage, où il mettrait ce qu’il voudrait, quand il le voudrait.

Une place.
Et c’était tout ce qu’elle voulait.

Il y avait un torrent en elle d’une violence dont la source n’était pas la rage pour une fois. Mais un torrent qui se démenait, qui appelait avec la même force. Une envie de le retrouver pour de bon. Une émulation, un bond, une impulsion qui le guidait vers lui. Son ventre se tordait autant que son esprit s’agitait sur le sien, pas pour entrer dans la forteresse mais pour rencontrer son esprit à nouveau, pour le sentir contre elle, pour revenir à cette fusion dont le besoin cramait son organisme.   Tout était une question d’espace. L’appartement, l’esprit, la distance respectueuse et patiente autant que la proximité essentielle. Elle voulait investir cet espace, que ce soit dans la violence qui ne la gênait pas ou l’étrange tendresse qu’ils se donnaient parfois, contre toute attente. Ce lien, il était à eux. A eux d’en faire ce qu’ils voudraient. Et tant pis si c’était malsain pour les autres, tant pis si c’était différent, indéfinissable ou dérangeant.

Ils en avaient besoin comme de l’oxygène.
Besoin de se lier.

Ses lèvres prirent les siennes dans une ardeur désespérée, ses mains accrochant sa nuque. Elle capturait sa bouche comme une assoiffée, son esprit fusant aux quatre coins du temple, le torrent grossissant, tumultueux, et l’envie cognait comme un cri de ralliement. Elle voulait se réapproprier leur lien, leur fusion, celle qui les avait bouleversé la toute première fois et les fois suivantes. Celle qui autorisait autant la brutalité que le reste. Peu importait. C’était leur langage.

Détachant ses lèvres des siennes d’un minuscule centimètre, un sourire en coin, elle soufflait quelques mots comme pour interrompre le torrent, comme une porte de sortie s’il le souhaitait : « Tu peux laisser tes chaussures où tu veux. ».

Je m’en fous.
On s’en fout.
Du désordre, des normes.
C’est notre désordre.


Et je suis désolée.








Maybe it's time that
I tried something dangerous
Only if you have my back
During the highest tide
While the water is rising
Will you still keep me in your side?

The Highest Tide, The Wealthy West


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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Jeu 22 Juil 2021 - 3:37
Demander pardon ne veut pas toujours dire que tu as tort.
Ça peut aussi vouloir dire que tu tiens plus à la relation qu’à ton égo.


Oh comme il était mauvais à ce jeu-là pourtant. Qu’il ne savait s’y résoudre, se mettre de côté, s’oublier, faire taire ses propres barrages pour laisser la possibilité à l’autre d’être là, d’investir les fosses, de rester. Pas moyen : il repoussait sans cesse, ne trouvait pas la voie qui l’amenait aux autres, restait enfermé derrière ses propres digues. En sécurité. Voilà ce qu’il y avait de plus évident face à ce comportement. Enfant maltraité, adulte isolé, il n’avait jamais pu voir l’Autre autrement que comme un danger potentiel. Chaque faille exploitée, utilisée, décuplée. Chaque plaie dévorée, écartelée sans pitié. L’indulgence ne lui avait jamais été accordée. Pas plus qu’il n’en faisait usage. Jamais. Inflexible, il ne laissait rien passer, n’accordait aux autres que la possibilité d’avancer, sans jamais leur offrir ce que bien des Hommes cherchent à la suite d’une discorde. Parce qu’il avait la vanité de se penser au dessus des autres, la lâcheté d’avoir peur de l’humanité, l’incompréhension de la bienveillance. Parce qu’il n’avait jamais eu à se battre pour une relation. Qu’il avait laissé les autres s’esquiver sans ciller. Qu’il avait laissé son cœur saigner sans le soigner. Qu’il n’avait jamais trouvé d’autres voies. Soit les autres se battaient, soit ils acceptaient, soit ils conceptualisaient sa façon d’être. Mais dans le fond, avait-il seulement déjà plié ?

Je suis désolé de n’avoir su t’aimer.

Non. Et à ne jamais plier, il rompait. Il se brisait comme un coup dans la glace, des myriades d’éclats voletant dans l’air, accrochant les lueurs de la lune. Il partait en lambeau comme un drapeau mort. Comme si des doigts squelettiques et décharnés froissaient l’image de celui qu’il était devenu. Rien qu’un reflet dans l’eau brouillée d’un dernier impact. Une image tordue, informe qui ployait sous les coups de son humanité. D’ordinaire, il l’aurait méprisée, c’était vrai. Il aurait gardé ses distances, aurait moqué ses besoins, renié les siens, repoussé ses demandes. Jamais il ne l’aurait suivie dans cet affrontement. Du reste, Logan ne savait pas faire. Et pourtant, ce qui était acceptable hier ne l’était plus aujourd’hui, et inversement. Avait-il jamais craint ainsi la distance ?

Bien sûr que oui. Elle était son angoisse suzeraine, le cauchemar fait réalité. Elle était l’acceptation froide et lourde de son existence.

Mais ils avaient changé la donne, les uns après les autres. Ils s’étaient insinué de force, avaient franchi ce qu’il pensait infranchissable. S’étaient rendus indispensables.
Mais il n’avait pas compris.
Mais. Tant de ‘mais’. Tant de façons de s’éloigner, de mettre de la distance face à un besoin pourtant si profondément humain. Tant de plaies échangées qu’il ne pouvait les ignorer. Par égoïsme, essentiellement. Il se savait au point de rupture sans pour autant l’énoncer. Il n’en aurait sans doute pas été de même s’il n’avait été confronté durant ces dernières semaines au manque, à l’abandon, à la solitude. S’il n’y avait eu cette sensation persistante d’échec dont il ne savait se débarrasser.  S’il n’y avait des vides qui cramaient ses neurones à chaque seconde et dont les noms ne trouvaient toujours le chemin de l’acceptation. Aileen, Ismaelle, Maxence, Alec. Maeve. Des aveux brusques dont il se préservait. Anormaux. Si certains avaient pourtant fait leur chemin, le dernier n’avait pas de sens, ne devrait pas le dévorer ainsi. Pourtant il était bien là, aussi vif que les autres, plus fourbe, plus traitresse, cette sensation de perte. Mais il refusait, enfouissait, refoulait. Alors il ne restait que Sanae. Et ça, là, face à elle, le besoin crachinant dans ses veines comme un brouillard acide viendrait vous envelopper chaque pore de la peau… ce besoin-là, il ne pouvait le nier. Il ne pouvait la repousser, n’en avait pas la force. L’enfant n’en avait pas la force. Si elle priait dans ses souvenirs, lui devenait furie, frappait les murs de sa conscience, grondait. Il refusait que l’adulte le prive de cette seule chose qu’il avait jamais réclamée en silence. Son unique besoin, sa seule supplique. Un semblable, appartenant à son espèce, apte à partager ce quotidien qu’il était le seul à connaître. Apte à comprendre. A savoir. A sentir jusque dans chaque parcelle de son être ce qu’est ce monstre enfouis dans les ténèbres, si avide de l’autre. Si violemment emmuré.

Qu’aurait été cet enfant s’il avait vécu ailleurs ? Que seraient-ils, êtres profondément liés aux autres, instinctivement en demande de partage, s’ils ne vivaient pas dans une société où ce besoin était une traitrise, une atrocité ? Félons de leur propre nature, ils réclamaient pourtant en silence ces unions hors norme. Que serait une société de légimens de naissance ? Comment grandiraient-ils s’ils vivaient parmi ceux qui comprenaient ? Qui se cherchaient ? Formeraient-ils un réseau entremêlé d’esprits assouvis, repus, apaisés. Appartiendraient-ils à l’autre autant qu’ils se sauraient complets ? Comment concevoir la vie quand sa propre nature est reniée dès l’instant où elle se reflète dans les regards écœurés de ceux qui ne peuvent vous concevoir comme légitimes d’exister ?

Comment aurait-il pu seulement résister un instant de plus à ce qui tambourinait depuis toujours ? Accepter délibérément de renoncer à ce besoin brutal, intense, acharné de relier ses pensées à celle qui avait connu les mêmes douleurs, les mêmes rejets. Ils n’étaient pas si similaires, en effet. Certes, elle ne choisissait pas la voie qu’il aurait aimé la voir emprunter. Mais s’il avait voulu la modeler à son image, ses propres décisions auraient été bien différentes. Il ne cédait pas à ce que ses propres démons pouvaient murmurer à ses oreilles. Car il y aurait dans cette corruption quelque chose qu’il refusait d’engager. Etonnant de sa part, oui. Depuis très jeune, Logan voyait, savait, comprenait ceux qu’il côtoyait. Assez pour manipuler, mais jamais pour les considérer fondamentalement comme ses semblables. Trop différents, trop  influençables peut-être. Sans doute était-ce ce qui l’amenait à en considérer certains différemment. Ceux qui sortaient du lot, qui possédaient la rugosité nécessaire à capter son attention. Jusqu’à forcer son respect. Mais elle n’appartenait pas à cette catégorie. Dans chaque fibre de sa construction mentale se trouvait le trésor de normalité qui lui manquait tant.

Alors ce lien bouleversait ses codes établis. Les règles implicites de sa survie. Elle rebattait les cartes, profitait de la faille laissée par la perte de ceux qui lacéraient ses nerfs par leur absence. Il ne fuyait pas, bien au contraire, il entrait, comme il ne le faisait jamais. Au travers des silences, il y avait des mots bien mal prononcés. Des aveux bégaillés, des incertitudes tremblantes, des suppliques muettes. Elle s’ouvrait. Attendait les lacérations de son rejet, de sa violence. Mais il n’y avait que ça. Que des aveux informulés. Des besoins incertains.

Des choix hésitants.

Il y avait ça d’étonnant que ce don soit si douloureux, si violent, l’intrusion étant douloureuse, systématiquement… mais qu’ils en oublient ce caractère dans ces moments-là. Bien au contraire, le contact apaisait bien des plaies, plus profondes et voraces que cette affliction fluette. Pas une intrusion, rien de plus qu’une promenade, un moment partagé. Et cet échange-là, il permettait bien des choses, amenait à l’impensable. Non, il ne fuyait pas. Ça n’était pas envisageable. Logan était là, dans un cul de sac qu’il avait lui-même construit, entouré des murailles de ses contradictions, bloqué au cœur de ses impuissances, il forçait la voie de l’humanité, tendait corps et esprit vers elle, cherchant à exprimer ce que les mots ne savaient prononcer. Non, il ne savait pas. Ni définir cette relation, ni l’expliquer, et encore moins s’y positionner. Ce concept en lui-même n’avait rien à voir avec ce qui pouvait exister. Alors oui, peut-être ce type de geste pouvait sembler étrange, déplacé, surtout au vu des sentiments qu’il percevait dans certains souvenirs, mais c’était le seul mouvement qui lui venait naturellement. Oui, il s’attendait à un refus, oui, il était soulagé de la sentir réduire un peu la distance. Il n’y avait là aucune revendication, aucune ambigüité, ce qu’elle partageait avec Margo ne le regardait pas, ne le concernait pas et s’il jalousait l’Autre, ça n’avait à voir ni avec sa personne, ni avec ce qu’elles partageaient. Ça ne concernait qu’eux, et ils ne savaient pas toujours comment se placer, comment se trouver. Parfois, le lien se faisait naturellement, mais d’autres, il peinait, il renâclait, comme un animal sauvage qui inventait des obstacles là où il n’y avait que mirages. Alors ce qui pouvait sembler n’être que douleur pour certains devenait apaisement. Comme s’il respirait enfin autre chose que de la fumée lui brûlant les poumons.

Logan aurait pu esquisser un sourire à voir ses doigts s’accrocher à son haut, comme un besoin d’ancrer plus encore les certitudes. Le soulagement. S’il ne le faisait pas, s’il ne se laissait aller à ces démonstrations de ce qui marquait pourtant jusqu’à sa façon d’inspirer plus librement, c’était seulement parce qu’il faisait face à ses propres limites. Parce que ces mots, ces gestes, cette façon d’admettre à l’autre ses propres besoins n’était ni naturelle ni innée. Parce qu’il ne savait faire, et que son visage restait marqué du ressac de ses instabilités. Comme les vagues qui vont et vienne, il était sans cesse rattrapé par une éducation tranchante, centrée sur l’abolition de toute faiblesse. Mais perdre l’autre par couardise ou vanité n’aurait rien d’une force.

Alors les mots sortaient sans lâcher son esprit. Quelques mots qu’il aurait été aisé de prendre pour des banalités. Mais elle ne s’y laissait pas piéger. Il voyait dans son regard autant que dans les remous de ses souvenirs, les brusques virements de ses pensées, l’évidence se tracer dans sa conscience. Oui, il l’avait suivie. Oui, il s’agissait là de l’aveu de sa volonté d’être là, de la protéger sans soutenir son regard. Et oui, elle aussi était partie, brusquement, sans prévenir, sans dire ce qu’elle faisait, sans laisser de trace, sans assurer son retour. Du reste, serait-elle seulement revenue ? Ou n’aurait-elle été qu’un corps de plus dans la Seine ?
Si naturellement Logan aurait eu tendance à fuir son trouble, il l’affrontait pourtant, notant en silence les similitudes dans leurs actes, leurs réponses. Il se taisait, elle demeurait. Il disparaissait, elle en suivait les mouvements du mieux qu’il lui permette. Elle fuyait à son tour, il suivait, de loin, en silence, avec cette distance respectueuse qu’elle pouvait avoir quand, assise en silence une après midi durant, elle accompagnait ses absences hors du monde. Mais elle, s’était bien contre ce monde qu’elle s’était effondrée. Et il en avait sécurisé les éboulis. Il la laissait s’écorcher, faire ses erreurs, choisir les chemins empruntés. Mais il ne la laissait pas échouer. L’abandon comme seul synonyme d’échec. Alors s’il était présent sur cette plage ce jour-là, sans doute était-ce parce qu’il avait pensé qu’à cet instant, elle était au bout de ce chemin qu’elle se devait de parcourir seule. Ce jour-là, pour la première fois, il s’était véritablement effacé. Ce jour-là n’avait rien eu d’une coïncidence.

« Tu voyageais... »

Pour te protéger.

Des pensées similaires, se répondant en échos sans réel besoin d’être captées pour se comprendre.
Voilà bien ce qu’il disait de ses mots malhabiles. Ce qu’il soufflait de maux, de blessures face à ses attaques, ce qu’il admettait, en réponse à ses craintes. Ce qu’il cédait, lui qui ne savait plier.

S’il détournait pourtant le regard, c’est que les mots qui passaient ensuite ses lèvres venaient porter un nouveau coup à cette pudeur de l’autre autant que de soi qu’il portait en chape protectrice plus qu’en étendard. Si le legimen avait posé son regard sur elle, sans doute un sourire amusé se serait-il dessiné sur ses lèvres car le malaise était partagé. Pour une fois, les mots prenaient la place des pensées, les esprits se séparaient, se fuyaient sans qu’ils ne s’éloignent vraiment. Pour une fois, l’intime se faisait trop prenant, trop vif, et ils se préservaient l’un l’autre sans y songer. Quand avait-il été aussi clair, aussi brusque dans ses dires, si profondément dévoilés ? Pour une fois, ce qu’il estimait être l’évidence, Logan acceptait de l’énoncer à haute voix, conscient qu’il s’agissait manifestement d’une réalité qu’elle n’avait pas intégrée. Non, elle n’entrerait pas, et même s’il s’agissait peut être d’une excuse facile, d’un moyen de l’éloigner de pas qu’il n’était pas apte à passer, il y avait là une réalité qu’il ne feignait pas. Non, il ne lui donnerait pas accès à ce qu’il gardait jalousement depuis des années, parce qu’il y avait là bien des arrêts de morts qu’il se devait de porter seul. Dont il n’aurait d’ailleurs pas dû être le gardien. Jamais l’homme n’avait demandé à se trouver dans cette situation, à se voir imposer la garde de secrets qui n’auraient dû le concerner. Mais comme durant l’enfance, il avait prit le cadeau empoisonné sans vraiment se battre, trop conscient qu’il s’agissait là d’une malédiction qui le suivrait jusqu’à la tombe. Comme les données qui s’accumulaient, s’oubliaient, se perdaient dans son esprit labyrinthique. Sauf que l’âme comme le corps étaient marqués de plaies profondes, des stigmates d’une vie entière de mutisme. Ces souillures étaient les siennes et qu’importe ce qui le poussait vers elle, vers cette chose étrange et addictive qu’ils partageaient du fait de leur nature commune… qu’importe. Ça, il ne pouvait les partager. Il ne pouvait l’éclabousser des marques du savoir, sillonner son âme du sang de leurs ennemis. Il ne serait celui qui tracerait en vermeil une cible dans son dos.

Alors pourquoi tu es là ?
Pourquoi tu ne pars pas ?
Parce que j’y arrive pas.

« D’accord... »

Arraché à ses brumes, Logan posait de nouveau les yeux du elle, découvrait qu’elle fuyait son regard tout autant que lui, traçant en silence un demi sourire à ses commissures.

J’ai parfois l’impression que tu sais où tu vas quand il s’agit d’Humain. Mais ça n’est pas le cas.

« Tu sais, la dernière fois que je me suis disputée avec quelqu’un...c’était avec Keza et je l’ai giflé en lui disant qu’elle n’était pas ma famille. »

Il avait toujours été mauvais pour le pardon. Ne savait pas accorder l’espace ou le temps aux autres pour avancer, tranchait dans le vif, comme un fouet qui claque dans l’air sans jamais admettre la faiblesse ou les erreurs. Mais c’était bien d’erreurs dont il était pétri. Et elle n’était pas mieux. Ce pourrait être une insulte. Ça ne l’était pas. C’était un soulagement.

« J’crois que je dis pas mal de conneries quand je suis énervée, hein... »

Cette fois, si le souffle se faisait moqueur entre les lèvres de celle qui s’excusait sans y sembler, un véritable rire presque étranglé passait au travers de celles de celui qu’elle visait en silence.

Je suis désolée.
Je t’ai entendu.
Je n’aurai pas dû dire ça.

S’il ne répondait rien, c’était simplement qu’il n’avait pas les codes. Mais pour une fois, ce silence était celui de l’acceptation. Ces mots réparaient ce que les premiers avaient brisé, blessé, entaché. Qu’en était-il du pardon dans tout ça ? Il s’était imposé à l’instant où il avait entendu ses dires adressés à Margo. Alors l’amusement n’était pas feint, ne cachait pas de distance, ne masquait pas de mensonge, il se chargeait seulement d’un amusement compréhensif. Lui ne disait pas de conneries. Non. Il poussait l’autre à la destruction. Il douta que cette façon d’être soit bien plus saine qu’un énervement poussant aux agressions verbales abusives. Il comprenait surtout que ces mots étaient l’arbre cachant la forêt. La pique pour faire réagir l’autre, espérant que, peut-être, le conflit permettrait de faire ressortir ce qu’elle attendait finalement. Comme si pousser l’autre en frappant où ça faisait mal permettrait d’en extirper la vérité, le soulagement qu’elle cherchait si brusquement. Exactement ce qu’il s’était passé, en soit.  Blesser pour trouver la vérité. Ça n’était pas un arbre, c’était un feu de forêt pour en faire sortir la vermine qui fuyait la fumée. Et pour une fois, c’était lui qui en était sorti, plutôt que de s’y enfoncer plus profondément, niant la brûlure. Pour une fois, il avait répondu.

Et ils s’étaient retrouvés hors des flammes.

S’il avait quitté son regard de nouveau, celui-ci retrouvait le sien, captait le chatoiement sombre de l’encre. Ces mots avaient l’allure d’une promesse, venaient sceller chaque pas qu’il faisait vers elle, masquant encore ce qui s’était construit aux côtés de la forteresse. Il se rendait compte qu’il n’avait jamais imaginer son existence autrement qu’au cœur de ces murs, trop conscient de ce qui l’attendrait à l’extérieur, face aux autres. La symbolique était forte : il s’était construit en se protégeant des autres, assiégé de toute part, enfouissant les souvenirs comme des trophées de guerre qu’il attrapait ci et là comme s’il s’agissait de conquêtes. Ces butins devenaient des armes. Et ces armes lui permettaient de survivre. Où était la normalité dans tout ça ? Quelle place pouvait prendre l’Autre ? Ceux qui vivaient en dehors des murailles, ceux qui ne posaient ni les doigts sur des armes, ni le regard sur des cendres ? Comment faisaient-ils, sans ces hauts murs pour leur faire de l’ombre ? Les protéger des rayons vifs de l’extérieur. Soleil ou flèches, c’est selon. Alors que verraient ceux qui entreraient sans doute un jour ? Quelle était cette normalité étrange, dénuée de remparts ? Que comprendre de ces arbres qui de leurs branches épaisses protégeaient les lieux des agressions trop brusques ?

Il était le bâtard d’une haute famille britannique, mais il n’en portait qu’à peine les traits. Ce temple portait des origines évidentes. Voilà ce que vous pouvez y voir. Ce que je ne suis pas. L’enfant du pays, arraché à ses racines. Ce qu’il aurait pu être, ce sur quoi il a fermé les yeux depuis bien longtemps.

Ce que tu es.
Ta place, donc. Comme un double discours, une façade habile pour les uns, un espace pour l’autre. Un temple, dans le premier sens du terme. Là où l’on protège le sacré, l’essentiel. Pour celle qui n’y verrait pas sa pute de mère mais autre chose de plus grand.

« Laisse-moi un peu de temps. »

Le regard dans le sien, ils restaient immobiles un instant. Oserait-il avouer comme chaque mot l’amenait en territoire inconnu ? Il lui semblait y avoir fait les premiers pas pour rejoindre Aileen, pour la retrouver un instant avant de la perdre définitivement. Mais finalement, c’était bien là qu’il évoluait sans cesse depuis. S’était-il jamais montré plus humain ? Plus vulnérable dans ses erreurs, ses échecs et ses tentatives incertaines ? Bien étranges, ces pas en avant. Inquiétants même, par moment. Quand il attendait dans l’ombre d’une ruelle que Sanae ne laisse un homme perdu, choqué, interloqué par les mots prononcés. Qu’il ne se montrait pas, qu’il ne faisait que réparer, sans s’avancer.

Quand il attendait à la lueur des réverbères la crinière revêche d’une femme vers laquelle il tendait sans en connaître l’issue. Sans chercher à en paver le chemin.

L’inconnu, oui.
Oserait-il, donc, avouer qu’il tremblait de chaque pas effectué vers un autre que lui, un type qu’il ne connaissait pas. Un type qui s’était excusé, n’avait tué aucun Inquisiteur. Et s’était échoué sur une plage pour y parler avec plus d’altruisme dont il eu jamais été capable.

On dit que la folie, c’est de répéter sans cesse les mêmes choses en attendant des résultats différents.
Peut-être se décidait-il à en sortir, finalement, de sa folie.

Peut-être avouerait-il qu’il n’y avait rien de plus dur que ça. Affronter le regard lourd d’un cousin. Les yeux tranchants de reproches de Maeve ou ceux, étrangement doux de Sanae en cet instant.

Il y a des semaines, j’ai décidé de vivre, contre toi. Je me suis accroché à une autre pour retrouver le sens de la réalité. A présent, il faudrait sans doute décider d’où je vais.

Sans doute pouvait-il comprendre comme elle pouvait avoir le tournis, à force de prendre des virages serrés, épingles de vie qui menaçaient de la faire chavirer.

Ce qu’il ne captait pas immédiatement, en revanche, c’était ce geste. Ce geste doux et franc qui prenait son poignet, le laissait observateur quand elle effaçait les plaies, balayait le sang. Les marques de ces instants passés auprès de Maeve disparaissaient. Pourtant, il les avait laissé traîner, tous. Combien de ses propres plaies avait-il soigné ? Combien des siennes pouvait-elle guérir bien mieux qu’il en serait jamais capable ? Trop, bien sûr. Mais il n’avait jamais cherché à lui demander. Peut-être parce qu’il voulait attendre de voir combien de temps elle mettrait à les voir, comme une méthode passive agressive pour mesurer ce qui les reliait. Pour savoir si, de ça, elle s’en ferait.

Peut-être cherchait-il seulement à garder pour lui les marques d’une femme qu’il savait avoir sans doute déjà perdue.  Comme si la douleur, seule, gardait encore le sens de sa présence.

Mais ces souvenirs-là, il en était le Gardien. Qu’importe les plaies oubliées, il était des vestiges qu’il ne laisserait jamais s’effacer.

Alors de ce geste ne restait qu’une chose : l’intérêt, l’inquiétude, l’affection. Tant de choses qu’il repoussait d’ordinaire autant qu’il en était pourtant avide. Elle avait remarqué, bien sûr, cette femme remarquait tout. Comment en douter ? Pourtant il avait douté. Douté que ça importa.
Et lorsqu’elle posait le regard sur lui, il s’attendait à y voir des questionnements auxquels il ne répondrait pas. Car celle que le sang évoquait était son ennemie et que cette fois, c’était elle qu’il protégeait derrière les forteresses. Pas que ce soit son rôle, elle savait bien se défaire de ses détracteurs seule, qu’importe ce qu’elle pouvait en penser. Seulement, il lui devait bien ça. Protéger ce qu’il avait volé autant que ce qu’elle avait donné, offert peut-être. Cédé.

Mais son regard en était dénué.
Elle ne demandait pas. Elle remerciait, s’excusait.

Elle posait une chape de douceur sur ce qui ne lui évoquait d’ordinaire que violence.  

« Tout le temps que tu veux. »

Pas de remous dans ses yeux, dans ses poumons ou ses lèvres. Et pourtant le choc était vif. Il eut été hypocrite de dire qu’il n’était pas homme à qui on offrait du temps. Car du temps, il en avait eu. Bien des années pour évoluer, se racheter, avancer. Bien des années pour devenir un autre qu’il se refusait de faire naître. Non, ça n’était pas le temps qu’elle offrait, mais l’indulgence. La compréhension. Tant de concept que d’autres avaient dit lui offrir. Des promesses veines, promises à l’échec. Et si ces mots l’avaient si violemment heurté, c’était bien parce qu’ils dénotaient de l’échec d’une compréhension mutuelle. Alors sans doute aurait-il dû prendre ça comme le symbole d’une traitrise à venir.

Six mots. Six mots symboles de réussite, aussi étrange que ce soit. Peut-être parce que la promesse miroitait de nouvelles auspices. Peut-être seulement parce qu’elle faisait face à l’après. Parce qu’elle s’appuyait sur quelque chose de concret quand d’autres la jetaient au vent. Car la compréhension, elle, elle l’avait. Instinctive, meurtrie et mensongère parfois, corrompue peut être, altérée par toute l’humanité froissée de sa propriétaire. Mais bien là. Alors pour une fois, la promesse avait un sens.

Et comme pour sceller le contrat, elle tendait son esprit, le mêlait au sien et tombait sur celle qu’il lui faisait à son tour. Un serment qu’il ne sifflait pas dans le vent mais ancrait dans quelque chose d’aussi tangible que la structure même de son esprit. L’onde de ses pensées avait ondulé autour de lui, comme un sortilège frappant aux alentours, faisant frémir le paysage un instant. Le choc de la découverte, l’hébétude de son symbole. Une promesse, un serment, une parole. Appelez ça comme vous voulez.

Une place. Matérialisée, évidente, impossible à nier. Voilà là un aveu dont il ne pouvait falsifier la puissance.
Et une nouvelle fois, elle comprenait, le symbole tant que le message. Sans qu’il ne prononce un mot, sans qu’il ne cherche à se substituer à sa présence. Et pourtant, comme ça s’agitait là-dedans. La tempête des pensées, la fureur des émotions, l’inquiétude en étendard qui menaçait de ravager, trop angoisser de laisser là une place réelle à qui que ce soit.

Mais de places, il y en a d’autres, Logan.
Oui. Pour des gens qui l’ignoraient si férocement. Là était bien toute la différence. Il apprenait à communiquer, de la seule manière qui lui sembla logique, auprès de la seule personne qui pouvait comprendre ce que l’instinct lui dictait. Le dragon en protégeait des trésors. Il veillait sur des pièces de vie, des éclats brisés, des fortunes de souvenirs, des pépites aux multiples noms, aux sons rauques ou clairs, des perles cristallines d’émotions qu’il gardait jalousement, incapable de les assumer autrement qu’en apparaissant ça et là dans une vie qui n’était pas la sienne juste pour chercher l’autre et la trouver. Il veillait. Gardait. Protégeait. Mais à présent, il s’engageait à partager.

Le torrent qui déferla dans ses sens se déversait sur lui brusquement, enveloppant son esprit d’une sensation qu’il connaissait bien. Oui, tout est une question d’espace, de distance. De ce qu’on en fait. De ce qu’on y met. De ce que ça symbolise. Alors si plus tôt, tout volait pour l’impacter par moment, c’était seulement pour couvrir cette distance invivable.
Et si en cet instant, les esprits se mêlaient, déferlaient comme le déluge… si les lèvres se rejoignaient et les corps se retrouvaient, c’était pour retrouver cette chose sans nom qui ne faisait sens dès lors qu’elle abolissait la distance.

Retrouver ce moyen de communiquer. De trouver une normalité qu’on leur avait toujours refusée. De lier ce qui ne saurait s’ignorer. Deux âmes liées, d’une façon si étrangère aux autres, si évidente pourtant, pour eux. Alors ses mains se nouaient contre elle, son corps frissonnait de la sensation brusque et vive de l’avidité de l’esprit qui se scellait par leurs lèvres, comme si le réel se devait de fournir une accroche pour imprimer ce que les psychés mêlées savaient exprimer. Leur langage, oui. Leur évidence. Et si ça ne faisait sens que pour eux, c’était alors plus précieux encore. Ineffable. Indicible. Inviolable.

Ces torrents, ils n’appartenaient qu’à eux, s’extirpaient des considérations des autres, des émotions habituelles, des liens trop souvent tracés. Ils dessinaient autre chose. Et par Morgane ce que ça lui avait manqué.
Pourtant elle le rompait, presqu’à peine, les mots prononcés vibrant sur la surface de ses lèvres autant que des siennes, reliés par l’oxygène qui semblait à présent couler avec plus de fluidité dans leurs poumons.

« Tu peux laisser tes chaussures où tu veux. »

Un rire franc et clair s’échouait entre leurs lèvres jointes alors qu’il l’emportait ailleurs, dans un lien qu’ils étaient les seuls à comprendre.

« Tu regretteras cette phrase. »

Le rire s’éternisait quand les torrents se mêlaient, se léchaient, se retrouvaient avec force. Cette complicité, elle se retrouvait dans les gestes miroirs, dans cette volonté commune de retrouver ce qu’ils avaient partagé en premier lieu, ce qui avait aboli la notion d’étranger entre eux, les liants d’une façon qu’ils avaient eux-mêmes parfois du mal à appréhender. Mais c’était là, ça les flambait, les appelait, les reliait sans possibilité de s’en défaire.

Si hier, des fers, ils apprenaient à se défaire, à présent les liens qu’ils tissaient entre eux se faisaient solides, fiables. Bien plus stables alors qu’ils s’accordaient en silence sur un langage qui leur conviendrait. Plus sûr, puisqu’il y avait dans les fondations qu’ils mettaient à jour des pierres plus solides qu’auparavant. Ainsi, ils stabilisaient alors ce qui manquait parfois de s’écrouler.
Eux-mêmes, sans doute. Mais ensemble cette fois.

Ils construisaient, à deux, une évidence qui n’était pas si simple à accorder.
Mais elle, sans y songer, elle lui fournissait aussi quelque chose de profondément ironique.
Des réponses.
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Lun 26 Juil 2021 - 20:48
Alors c’était ça la clé, n’est-ce pas ?

Se parler, exprimer autant la colère que l’inquiétude, autant l’intérêt que l’incapacité? C’était l’acceptation, simple et clair de ce que l’autre sait ou ne sait pas faire. L’acceptation, dans toute sa pureté. Accepter que ni l’un ni l’autre ne détenait la vérité ou ne posait les bonnes questions parfois. Accepter qu’il y aurait des secrets, des incompréhensions, des barrières même dans un lien comme le leur. Accepter l’autre, dans tous les aspects. Et accepter de ne pas y arriver, de ne pas comprendre, de ne pas avoir les éléments pour faire le bon choix. Accepter, aussi, qu’il n’y ait pas de bon choix. Accepter la distance protectrice mais refuser celle où poussait la rancoeur.

Et accepter, de se donner de l’espace – à soi, comme à l’autre.
De donner une place, à ce truc, à ce lien, à cette chose indéfinissable et pourtant si tangible quand ils croisaient leurs regards.

Des semaines passées avec un truc au fond du ventre, avec un grésillement incessant, et voilà que dès le moment où leurs esprits se touchaient, l’évidence se faisait jour. Pleine. Des idiots. Ils étaient deux idiots qui ne voyaient pas plus loin parfois que le bout de leurs nez. L’évidence, c’était ce besoin. Unique. Inaltérable. Un besoin qui n’avait rien à voir avec quelque sentiment romantique, quelque désir du corps. Et c’était clair, pour eux. Clair que ce qui les reliait ne se trouvait dans aucun dictionnaire, dans aucun livre, dans aucune histoire racontée au coin du feu. Cet truc les dépassait et toutes les comparaisons étaient vaines, désuètes. Pourtant, Sanae traçait bien des parallèles avec ce qu’elle avait déjà connu mais ils peinaient à rejoindre ce qu’ils vivaient. Tout était différent. Altéré par le simple fait que c’était cet homme face à elle et non un autre, que les corps se liaient pour rejoindre la fusion des esprits, qu’en eux dans les tréfonds de leurs barricades se trouvaient ces deux enfants autrefois laissés de côté, rejetés et battus. Battus par la vie, réduits à néant par l’abandon, par le mépris, par la peur des autres autant que par leur haine. Mis à terre, dès la naissance, par la place qui avait été la leur. Et par leur don. Cette chose qui n’était souvent qu’un fardeau, qu’un poids impossible à aimer tant il écrasait leurs épaules, brisait tout espoir de normalité. Alors quand on refusait quelque chose à ceux qui la désirait tant, ils finissaient par la détester, cette chose. L’humanité, l’affection, l’acceptation, la normalité de l’existence.

Si elle comprenait le sorcier aussi bien, c’était parce qu’elle voyait chez lui des similarités qui demeuraient toujours en elle. Si elle le comprenait, c’était parce que ce refus de ressentir, de se lier, de compter sur les autres et pour les autres, ça ressemblait drôlement à ce qu’avait contenu la rage d’une petite fille aux longs cheveux noirs, tout comme ses yeux. Ça ressemblait à ce qui tordait les entrailles quand on réalisait soudain qu’il n’y avait tout autour personne pour nous aimer, personne pour nous voir, personne pour avoir un peu d’espoir pour nous, un peu de foi, un peu d’intérêt. Et qu’à des kilomètres à la ronde, l’on ne distinguait que la pourriture du rejet, et que sur la peau s’étendait les marques de la haine et de la violence. On commençait alors à se vouloir invincible, sans émotions, rigide et vide, plus monstre qu’humain, parce qu’après tout...l’humanité, elle était loin et très floue, et que de toute façon, c’était pas ça qui allait nous sauver, nous faire survivre.

Heureusement, la vie octroyait des lueurs éparses mais certaines étaient trop frêles pour se fortifier dans l’ombre de la fureur et de la hargne. Oui, ils ont hurlé aux pieds de la forteresse quand d’autres couvraient les murs froids avec du papier peint fleuri pour dissimuler ce qu’il se trouvait en-dessous. Ce « ils », c’était toutes les personnes qui avaient croisé leurs routes. Ils tourbillonnaient autour des murs quand on ne les laissait pas rentrer, ils s’éloignaient, puis revenaient, disparaissaient parfois pour toujours quand d’autres arrivaient. Et chacun apposait sa marque, bonne ou mauvaise ; chacun laissait quelque chose derrière lui dans les esprits tourmentés. C’était ça, l’apprentissage de la vie. Prendre tout ce que les autres pouvaient bien laisser comme souvenir, comme leçon, comme exemple, positif ou négatif. Apprendre, toujours, de tout ce que les autres voulaient bien tracer dans notre vie. Et qu’est-ce qu’on pouvait rater comme occasions, qu’est-ce qu’on pouvait gâcher comme relations...par orgueil ou par peur, les erreurs s’accumulaient et distribuaient autant de regrets que de leçons.

Mais ça...ça, là, c’était inédit. Il n’y avait personne alentour, il n’y avait pas ce « ils » présents. C’était eux. Juste eux qui devaient apprendre à se parler, à s’apprivoiser, à négocier avec leurs peurs pour trouver un espace qui leur convenait. Un espace où chacun se sentait à sa place et sans danger. Il n’y avait rien de simple là dedans, rien de familier, mais ils tendaient vers l’autre leurs mains tremblantes et ils apprenaient. Ils apprendraient. Peu à peu, pas à pas, en accordant leurs rythmes. Elle marchait trop vite ? Et lui trop lentement ? Il suffisait qu’elle ralentisse, un peu, et qu’il accélère, un peu. Et alors ils marcheraient côte à côte, du mieux qu’ils le pouvaient, n’est-ce pas ? Au final, c’était quand même mieux de ne pas marcher seul tout devant ou tout derrière, non ?

Alors s’il voulait du temps, elle lui en donnerait. Parce qu’il lui octroyait les armes, le serment muet qu’elle avait sa place, là, tout accolé à la forteresse dans cet espace où demeurait le sacré de leur lien. Une duperie pour ceux qui voudraient comprendre, une vérité secrète pour eux deux seulement.

Et on pourrait avoir des conversations secrètes.
Des plans à nous.
Des histoires que les autres ne comprendraient pas.


Ça, c’était à eux. Ils en feraient ce qu’ils voudraient car personne d’autre ne saurait ; ils rempliraient leur espace de ce qui leur importerait et qui n’appartiendrait qu’à leurs esprits reliés.

Deux promesses.
Un espoir.
Un merci.
Et un pardon.

Tout ça contenu dans leurs sourires discrets, leurs pudeurs partagées, leurs regards profonds, et par-dessus tout, dans ses mains qui s’accrochaient à l’autre, dans les lèvres qui se rejoignaient pour respirer un peu mieux contre l’autre, dans les esprits qui se retrouvaient enfin avec toute la fébrilité qui était la leur. Parce qu’elle n’avait pas été sûre qu’il accepte, qu’il pardonne, Sanae lui avait laissé une porte de sortie, toute petite mais présente, acceptant le rejet qu’il brandissait pour se protéger autant lui que les autres. Mais elle avait vu dans son léger sourire, dans son regard, qu’elle avait été pardonnée.

Ils s’étaient pardonnés l’un l’autre.
Pourtant, ils n’en étaient pas adeptes. Ils auraient pu retenir l’amertume et la rancoeur encore longtemps, enfermés dans les tiraillements de leurs êtres qui souffraient, mais il y avait des choses bien plus importantes que la fierté et l’incapacité. Des choses qui valaient la peine de dire « On fera mieux la prochaine fois. ». Ils lâchaient prise. Ils lâchaient, un peu, la terreur de ce que l’autre représentait, la terreur de l’absence et des différences. Et ils se retrouvaient là où ils s’étaient rencontrés en premier lieu. Dans l’étau d’un lien chaotique qui les avait libérés en pleine tempête.

Pour une fois, ce n’était pas la rage qui les animait.
C’était le besoin dans toute sa splendeur d’être liés, corps et âmes ensemble, d’une manière qui leur était propre et qui n’avait de sens que pour eux. C’était bien ce besoin qui faisait fuir la peur, qui l’enfermait un instant quelque part pour que les souffles se répercutent sur les lèvres de l’autre et que les sourires se joignent en miroir.

« Tu peux laisser tes chaussures où tu veux. »
- Tu regretteras cette phrase. »

Et il avait ri.
Il avait ri comme il le faisait peu. Jamais à vrai dire. Il riait pour la première fois devant elle avec une liberté et une franchise qui la transportait, soulevait son coeur, inondait son esprit d’une joie étrange, presque qu’euphorique. C’était comme de voir un lever de soleil, de sentir une brise fraîche en pleine canicule, ou de voir sur le visage d’un patient qui n’avait connu une souffrance éternelle éprouver de la joie après tant de temps... Il riait comme si la forteresse s’éclairait brusquement à toutes les fenêtres et que les pierres de ses murs se réchauffaient un instant. Il n’y avait pas plus surprenant et plus touchant que cette chose légère que faisaient les autres sans cesse mais dont il demeurait d’ordinaire si imperméable. Pas de moquerie, de cynisme, de raillerie mauvaise et sarcastique dans ce rire. Non, juste un rire. Un rire plein d’honnêteté, spontané et léger.

Alors, elle rit aussi.
Parce qu’il ne riait pas seulement devant elle mais avec elle.
Et oh comme c’était étrangement magique de pouvoir rire ensemble. Oh, comme c’était rafraîchissant d’entendre d’autres sons dans l’espace de leur collision que celui des cris, des gémissements furieux, des cassures et des tremblements. Il y eut seulement entre eux l’euphorie de se retrouver, de se lier de la façon qu’ils connaissaient et qu’ils aimaient. Et tant pis si ça n’avait pas de sens pour les autres, si c’était bizarre, problématique, fou et un peu dangereux. Tant pis si c’était violent. Tant pis si c’était un maelstrom et non de simples vagues. Ce maelstrom d’émotions, de sensations, de morceaux d’esprits et de chairs mêlées, c’était le leur.

Leurs mains qui se retrouvaient, agrippaient l’autre. Leurs lèvres qui se capturaient, se goûtaient, soupiraient et gémissaient. Leurs esprits qui tournoyaient ensemble, s’accrochaient, fusionnaient. Leurs corps qui se liaient, se percutaient. Leurs magies qui se répondaient, l’une enveloppant l’autre non pas pour l’emprisonner mais pour la recouvrir d’une chape protectrice. Sa magie, son esprit, elle les aurait reconnus entre mille. Il laissait son empreinte en elle, sur elle, et elle faisait de même. Si leurs esprits ne se trouvaient pas ainsi, ils auraient pu fermer les yeux et ils se seraient reconnus quand même. Et ça lui avait manqué. Ça lui avait manqué comme de l’oxygène.

Alors, quand les respirations s’étaient faites plus douces, plus lentes, c’était presque à regret qu’elle quittait son corps et son esprit. Mais pour une fois, il demeurait entre eux une complicité plus légère car ils savaient au fond que le lien qui les reliait était devenu plus solide. Et plus tard, devant un Londres endormi qui s’étendait par-delà la rambarde du balcon, le liquide ambré d’un whisky fut versé dans un verre posé sur une petite table entre deux fauteuils qui faisaient face à la vue. Juste à côté du verre de whisky demeurait une tasse fumante d’un chocolat chaud.

La sorcière avait enfilé un long t-shirt et avait replié ses jambes contre elle. Ils restaient tous deux silencieux mais apaisés. Ce n’était pas le même silence qui les avait torturés durant des semaines entre eux, non, c’était un silence partagé, complice. Et la sorcière laissait revenir à elle toutes ses pensées. La tasse entre ses mains, sans le regarder, elle dit presque dans un murmure :

« Il survivra. »

Alec.
Ils n’en avaient pas parlé, comme un truc qui rôdait là entre eux et qui n’était pas dit à voix haute. Pourtant, il avait vu dans son esprit la dernière fois où elle l’avait vu. Un au revoir plus triste et inquiet qu’elle n’avait cru. Alors elle se doutait bien qu’il n’en n’ait rien dit que ce départ ne faisait qu’enfoncer un clou quelque part en lui.

« C’est un Rivers après tout. » Un léger sourire en coin tout autant qu’un regard en biais, amusé. Mais l’amusement fut de courte durée car déjà un soupir franchissait discrètement ses lèvres. Elle savait quel était le plan de Logan. La première partie était engagée, Alec avançait sur le chemin avec la détermination de celui qui veut survivre et protéger ceux qu’il aime ; mais la deuxième partie du plan, elle… « Je sais ce que tu prévoyais en premier lieu... » souffla-t-elle sans le regarder, ses doigts enserrant la tasse fumante, le ton plus ferme. « ...mais la deuxième partie de ton plan n’arrivera pas. » Une affirmation, nette, clair, un peu dure dans le tranchant des mots. Un refus, pure et simple. « On trouvera autre chose... » On, parce qu’il n’était plus seul, parce qu’elle ne le laisserait pas faire dans son coin, parce qu’elle était là et que ce n’était pas négociable.

Elle se tourna vers lui et rien dans son regard ne cillait.

Il l’avait entraînée dans tout ça, lui avait demandé de s’occuper de l’entraînement d’Alec dans le grand échiquier de ses planifications. Mais le pion, s’il avait été docile et droit, n’admettrait pas la défaite de celui qui avait voulu tirer les ficelles. Ce pion-là, il le regardait dans les yeux et lui disait haut et clair qu’il n’y aurait pas de grand sacrifice.

On trouvera autre chose.
Un autre plan.
Une autre issue, s’il le faut.
Mais pas celle-ci.

Tu vivras.


Au loin, dans le brouillard de la ville, surplombant de son grand œil les toits des maisons, Big Ben sonna minuit et Sanae regarda les aiguilles en souriant et but une gorgée.

C’était le whisky de minuit.
Et il était en l’honneur d’Alec et de ce nouveau « on ».

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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Jeu 5 Aoû 2021 - 22:23
C’était ça ? Parler, communiquer, prendre en compte les faiblesses de l’autre et accepter les siennes ?

***

« Putain, mais t’es un véritable animal, une bête qu’a jamais appris à communiquer ! Réagis merde ! »

La frappe s’abattait, la seconde, le repoussant brusquement, s’y ajoutant un coup de poing qui, s’y l’impactait, le faisait à peine trembler. Et il serrait les dents, l’adolescent, sentant bouillir en lui les tréfonds d’une violence que cette petite chose était bien loin d’imaginer.

« Arrête de faire ton hystéro deux secondes, tu seras mignonnes. »
« Tu fermes ta gueule et tu me parles, après on verra ! »

Pas le temps de signifier que ce qu’elle racontait relevait de l’oxymore que déjà, c’était le plat de sa main qui s’abattait sur sa joue. Or cette fois, ça n’était plus lui dont le souffle était coupé alors même qu’il s’apprêtait à prendre la parole, cynique, c’était elle. Repoussée brusquement sur le mur, elle en perdait l’air de ses poumons, crachant un petit claquement sec au visage du bâtard des Rivers.

« P.. lâche-moi, connard. »
« Quoi ? C’est pas ce que tu voulais ? Une putain de réaction ? Tu l’as. »

Si elle levait un bras de nouveau, bien moins assuré que le premier, il l’arrêtait, le plaquant au mur sans la moindre trace de douceur, sans même se rendre compte que son corps bloqué contre le sien la soulevait de quelques millimètres.

« Fils de chien tu me lâches putain !! »
« M’emmerde pas, c’est ce que tu voulais non ? Repousser tes limites et te faire l’enfoiré que tout le monde fuit comme la peste ? Me foutre sur ta saloperie de tableau de chasse. »

La peur, dans ses yeux, il la lisait, s’en repaissait, sans jamais vraiment comprendre le pourquoi de ses réactions. Non, il agissait seulement, piqué au vif, malmené à son tour, sans chercher à intégrer ce qu’il voyait pourtant. C’était un comble, non, pour un adolescent apte à lire dans les pensées des autres ? Mais il ne le faisait pas. Parce qu’il avait appris à ne pas le faire, à respecter l’autre, à en rester loin. Parce que dans le fond, de l’Autre, il avait peur, et qu’il n’était au fond qu’un putain d’adolescent en proie à trop d’ingérables pour  savoir faire la part des choses. Alors il ne voyait pas, ne voulait pas voir, la terreur se faire dans le regard de celle qu’il bloquait si fort, furieux de chaque moment passé avec elle, du mépris qu’il lisait en elle, de l’utilisation crasse à laquelle il se pliait par… par faiblesse. Par besoin. Par désir brusque d’appartenir à quelque chose, à un cercle social qui lui échappait pourtant totalement. Il n’avait pas frappé, s’en était pris une nouvelle, par la gauche, avait fait un pas en arrière, posant sur elle un regard qui vibrait. Sans doute avait-elle compris l’intrusion à venir, ou seulement le danger inhérent à la situation. Toujours était-il qu’elle s’était esquivée, attrapant sa baguette. L’instant suivant, un craquement parvenait à son esprit et quelque chose lui frappait le coin du crâne…. Et son corps percutait le sol, luttant contre les ombres.

« Putain de taré ! »

La porte s’était fermée, se verrouillant derrière elle, le laissant seul dans la pièce à se redresser difficilement, un mal de crâne lancinant sous ses tempes.

La suite ? Il la repoussait de son esprit.
***

Se comprendre, accepter de laisser à l’autre ses faiblesses sans attendre de lui qu’il trouve un moyen de les contrer comme si seuls ses ressentis personnels importaient. Elle ne pouvait pas ? Bien. Lui non plus. Et ça n’avait rien de grave tant qu’ils étaient aptes à s’entendre l’un l’autre. Tant qu’ils comprenaient ce qui bloquait et empêchait chacun d’avancer et de parcourir l’espace qui les séparait si douloureusement. Car en entendant les failles de l’autre, sans doute pouvaient-ils calmer ce qui hurlait en eux, y donner un sens, empêcher les plaies de saigner sans raison. C’était étrange comme d’un bloc, la situation s’était renversée. Elle aurait dû exploser, être intenable, briser les murs et scier les cœurs… et pourtant son regard la cueillait par moment en douceur, sans que son don ne soit vraiment muselé. Il restait là, comme des volutes courant vers elle sans vraiment entrer, juste là, en silence, comme repus du contact enfin consenti. Ces retrouvailles n’avaient de sens que pour eux, Logan en avait conscience, mais surtout, il  se tissait à présent dans la nuit une complicité qu’il n’avait jamais eu avec qui que ce soit. Détournant son regard, il le posait de nouveau sur la ville endormie, conscient que là, partout, on le cherchait. Pourtant il était là, bêtement perché sur un balcon ensorcelé. Avec une amie.

Et on pourrait avoir des conversations secrètes.
Des plans à nous.
Des histoires que les autres ne comprendraient pas.  


Dans les ombres de la nuit tombée, son cœur se serrait un instant, conscient qu’il n’avait jusque là été capable qu’offrir des murs à ceux qui s’approchaient, balançant à son tour des coups dans ceux, si frêles, qui protégeaient ses interlocuteurs. Il était pierre, roc, muraille. Destructeur. Il était à l’image des murs qui constituaient son esprit : une surface lisse et froide qui n’en finissait plus de s’étendre à l’encontre des autres, rendait les coups comme si chaque impact était absorbé pour en préparer la réplique. Froid et lisse. Pourtant, lorsque ça se fissurait, c’était bien des bouillons de lave qui s’échappaient des failles. Que ce serait-il passé s’il avait appris plus tôt à avancer vers l’autre ? Cette voie, elle l’inquiétait bien sûr, tout le monde craint l’inconnu… mais il fallait croire qu’il l’acceptait. Que ce lien qui les unissait, que cette petite chose aussi simple que des mains se liant en miroir aux esprits, comptait plus à ses yeux que tout le chemin parcouru jusque là. Que la douleur fulgurante des plaies qui ne cessait de palpiter, quelque part, au fond de lui. Sur l’épiderme d’un enfant malmené.

Des plans à nous…

De nouveau, il posait ses iris d’acier sur celle avec qui il s’était lié, captant l’encre de ses prunelles sans s’y déverser. Il avait toujours observé ainsi les autres, avait bâti dans cette façon d’être le seul moyen de créer du lien. Il y avait alors une sorte d’évidence à comprendre que c’était en celle qui demandait ce contact qu’il pouvait trouver une nouvelle porte. Une solution à ses défaites.

***

« Baisse le regard. »

Alors l’enfant baissait les yeux.

« Je t’interdis de les dévisager tu m’entends ? »

Mais le garçon aux yeux clairs redressait la tête et dévisageait son père sans mot dire. Il entendait, bien sûr, comprenait les ordres. Il y avait dans cette injonction une peur qu’il entendait, qui s’étendait sur son épiderme comme autant de lames de rasoir venues le trancher lentement jusqu’à remonter vers sa gorge. Il y avait du mépris aussi, des craintes sociales, des retenues perverses qu’il entendait sans vraiment les comprendre. Ce qu’il voyait, surtout, c’était qu’il n’était pas adapté, tellement pas même qu’il n’avait même pas le droit de poser les yeux sur quelqu’un. Car l’esprit partait, chaque fois, violemment. Il suffisait d’une pensée, d’une émotion, d’un léger choc et ce qu’il cherchait à garder en lui s’évadait sans qu’il n’arrive à le rattraper.
Pourtant, quelques instants à peine après les ordres assénés, le garçon était de nouveau là, comme hypnotisé par les regards d’autrui, happé par ces fenêtres ouvertes dans lesquelles il voulait plonger le regard. Planter ses griffes. Délier ses pas. Oh comme il y avait dans ces abysses des tentations qui cognaient à ses tempes, une évidence que personne autour de lui ne semblait comprendre. Retiens-toi, chuchotait sa conscience. Déplois-toi, hurlaient ses sens.

Soudainement, de longs doigts secs et durs se plantaient dans ses cheveux noirs et broussailleux, plantant les ongles dans la peau de son crâne pour le forcer à baisser le regard.

« Mais il est impossible ! Suis-moi ! »

Certains n’auraient fait qu’entendre un homme en colère, un père dépassé. Lui, entendait les grondements du monstre, la sentence à venir, l’appel du sang. Mais son regard cherchait toujours une porte, un puis où se déverser. Alors la grande main se refermait sur lui, broyait son bras jusqu’à le tirer à distance des autres, dans une rue plus étroite, loin du tumulte de l’avenue sorcière.

« Tu vas m’écouter attentivement, Logan. Si tu ne veux pas redevenir Marek, le fils de sa pute de mère, il va falloir te plier à mes ordres. BAISSE – LES – YEUX face aux autres. Je t’interdis de te servir de cette chose qui dort en toi. »

Mais même face à lui, malgré l’hématome qui poussait sur son bras, Logan le fixait en silence de ses grands yeux bleus d’enfant.

« Ok, tu l’as cherché. » La baguette était tirée brusquement, atterrissant sous son œil droit dans un grondement lâché quelque part du côté de la gorge de son père. « Ecoutes-moi bien sale petit monstre, si tu fais ça encore une fois, c’est tes yeux que je crève, tu le comprends, ça ? Comme ça, on sera tous tranquilles, toi le premier. » Sa voix tremblait, grondait, prenait tout l’espace dans le monde du garçon qui sentait le pouvoir lui échapper comme de l’eau passant entre ses doigts ouverts. Incapable de les refermer, voilà ce qu’il était.

« ça serait bête. » La voix était fluette, tremblante.
« Quoi ? »

La douleur était là, presque illusoire, elle perçait sa paupière inférieure et, à vrai dire, s’il n’avait pas senti une gouttelette chaude glisser le long de sa joue, sans doute n’aurait-il pas pensé que son père lui entaillait en effet la peau en direction de son œil.

« C’est notre seule ressemblance. »

Il n’avait pas compris, sur le coup, qu’il tapait parfaitement juste. Ou peut-être le savait-il sans vraiment l’intégrer. Oui, Logan avait les yeux de son père, des yeux gris bleutés aux éclats froids et durs. Des yeux qui se faisaient lames et semblaient aptes à percer les gens. Il ne savait pas non plus qu’un certain Anthony lui avait dit que cet enfant, il recelait tant de pouvoir qu’il en disait beaucoup sur la puissance de son sang, Logan le saurait plus tard. Non, il ne savait pas, ça n’était que des paroles innocentes d’un enfant qui avait déjà appris à taper juste pour survivre. Un enfant qui baissa dorénavant le regard… jusqu’à avoir assez de données pour se permettre de le poser de nouveau, droit comme un carreau d’arbalète, dans les yeux de ses ennemis. Comme si lui, à son tour, pouvait percer les yeux des autres autant que leur âme.

***

Sans mot dit, Logan portait un doigt à sa paupière, se demandant si la cicatrice était toujours là après tout ce temps. Jamais, de toute son histoire, il n’avait eu quelqu’un à ne pas porter de rejet, de mépris ou d’inquiétude sur ses aptitudes. D’autres l’avaient soutenu, ce regard, comme on croiserait le fer. Mais personne ne l’avait attendu avec autant d’avidité.

Non, il n’aurait pas pu. Il n’aurait jamais pu prendre une autre décision, fuir ou se battre, la rejeter, qu’importe la façon dont il y serait venu. Ça n’avait jamais été dans ses options et ce soir-là, alors qu’il lui semblait que son corps autant que son âme portaient toujours les traces des liens qu’ils portaient en eux, Logan en prenait finalement conscience.

Sans doute était-ce vrai pour d’autres.  
Peut-être était-il arrivé au bout de ce chemin qui avait été le sien jusque là, repoussant les autres quitte à se noyer dans la bile acide de ses propres rejets.

Sans réussir à la rejeter, l’image de Maeve s’imposait à lui, immédiatement repoussée, comme surgissant de sous la surface sans qu’il n’arrive à la garder à couvert.

Tu scindes. Tu es doué pour ça. Pour scinder ton monde et en garder les autres à l’écart.

Alors il en éloignait le souvenir, l’étouffait, refusant tout autant celui d’Aileen qui passait comme une flèche. Comme s’il y avait un lien entre les deux que son cerveau enfouissait profondément, le refusant totalement. Quelque chose qu’il ne pouvait ni accepter, ni laisser l’emplir. Quelque chose qui ferait trop de mal s’il lui donnait de la place. Un intérêt qui l’avait déjà mené à une perte qui cognait encore trop fort.

Tu fuis ce qui tourne dans les abysses comme un requin avide.

***

« Tu vas aller voir ton cousin. Le fils de mon frère a pas mal de choses à se reprocher, tu sauras trouver ce qu’il nous cache, n’est-ce pas Logan ? »

L’adolescent observait son père, le regard froid et tranchant le percutant de plein fouet. Il n’avait pas parlé, s’était contenté d’acquiescer en silence. Oui, il saurait. Quelques années plus tôt, devenir l’outil de son père avait été un honneur, amenant l’enfant qu’il était à espérer qu’il trouvait finalement une place dans cette famille, quand bien même celle-ci ne serait que celle d’un instrument. Comme il était avide d’attention, de fierté et d’importance, ce garçon. Il n’était plus, pourtant. Il ne baissait plus le regard, s’amusait de la crainte que ses iris d’acier pouvaient déclencher, y compris chez son père – bien que celui-ci n’en laissa jamais rien paraître. Le petit avait fait de même, l’inquiétude se lisant en lui comme dans un livre ouvert. Mais il avait tenu le choc, restant droit et fier malgré l’intrusion de l’adolescent. Il n’avait pas supplié, n’avait pas plié, n’avait pas argumenté. Il était resté là, à faire face à celui qui venait de creuser dans ses souvenirs bien des sillons ensanglantés.
Logan savait où était Janie. Il savait pourquoi elle était partie.
Et il s’était tu, traçant entre les deux garçons un lien invisible dont aucun ne parlerait plus.


***

Devant lui, Sanae déposait un verre empli d’un liquide ambré, dessinant sur ses lèvres un sourire amusé. Le voilà, finalement, le whisky de minuit. Un léger souffle vint à son tour alléger la nuit quand il vit le chocolat chaud fumer auprès de son verre. Pas d’alcool, la voilà sur le chemin de la rédemption. Etait-ce ce qu’il faisait aussi, se laissant emporter dans ses souvenirs comme le ferait le cerveau d’un condamné ? Pourtant, jamais il n’avait tant marché sur les sentiers de l’existence. Jamais il lui avait semblé tant flirter avec la vie, pas réellement capable de s’y situer, mais infoutu de s’en éloigner.
De ses doigts restants, il attrapait le haut du verre, à peine conscient que sa magie le stabilisait dans sa main, assurant sa prise. Sans vraiment la regarder, cette fois, il fit tinter la faïence. Oui, ils fêtaient quelque chose ce soir-là. Eux.
Après tout ça, il devrait être empli d’allégresse, une part de lui l’était sans doute d’ailleurs, mais le reste… ouais : pourtant il était en vrac.

« Il survivra. »

Deux mots qui le cueillaient en plein cœur et l’arrachaient à sa torpeur. Pas besoin de lire en lui, sans doute, pour savoir ce qui ne cessait de tourner comme un animal en cage. Après tout, il avait trouvé dans son âme bien des brumes jumelles à ses propres tourments. Doucement, Logan posait de nouveau l’acier dans l’encre, portant son verre à ses lèvres pour en prendre quelques gorgées. Pas par désintérêt, mais pour délier le nœud dans sa gorge.
Il survivra. Tant d’angoisses résumées en deux mots.

« C’est un Rivers après tout. »

Cette fois, il lâchait un petit souffle amusé qu’ils partageaient, complices d’une souffrance muette. Alors s’ils s’étaient finalement retrouvés dans le silence, à présent, c’était dans quelques mots soufflés qu’ils croisaient l’affection sans même y songer.

« Il parait qu’ils ont tendance à pondre des têtes de lard dans cette famille. » ça s’accroche ces bêtes-là hein ? De véritables mauvaises herbes.
Sans qu’il y songe, ses doigts blessés se refermaient plus durement sur le verre, blanchissant les plaies de ses phalanges autant que celles qui tenaient à présent lieu d’ongles, souvenir de son escapade auprès de Maeve.

Enterrée, nous disons. Auprès de ce monstre béant d’angoisse pour un jeune homme qui, un jour, avait tenu tête à toute la famille Rivers à son tour. Auprès d’un jeune homme auquel chacun d’eux fondait une confiance qu’il n’imaginait pas, le laissant porter en silence bien des allumettes au cœur d’un champ de mine.

Mais il ne déraperait pas.
Il survivrait.
Tu survivras Alec.


« Je sais ce que tu prévoyais en premier lieu... » Son regard revenait vers elle, comme dans un sursaut, l’homme dont le cœur se serrait se rendant alors compte qu’il l’avait porté de nouveau vers la ville endormie, perdu dans ses pensées. Mais cette fois, elles allaient toutes vers cette femme qui, à sa manière, avait tout fait basculer, le ramenant chez les vivants. « ...mais la deuxième partie de ton plan n’arrivera pas. » Les mots étaient durs et froids, tranchants dans l’air du soir, entaillant les murailles lisses, s’insinuant dans ses failles. Ses lèvres se pinçaient, étrangement ébranlé par ces mots. « On trouvera autre chose... » On.

Des histoires que les autres ne comprendraient pas.  

On.

Il ne dit rien. Il n’aurait pas pu du reste. Sans ciller, il soutenait son regard, ne s’en dégageait pas, ne le fuyait pas, ne l’affrontait pas. Il s’y mêlait. Il engrangeait ce refus avec tant de violence qu’il sentait à peine ce truc, là, au fond de lui, qui vibrait brutalement.

Comme quoi, certaines promesses peuvent ébranler la plus obtuse des forteresses.

Tu vivras.

On trouvera.

Elle détourna son regard, le posant sur les grandes aiguilles de Big Ben et dans cet entre deux journées, elle sourit dans la nuit. Alors à travers ses lèvres pincées, un fin sourire apparu à son tour et il leva son verre avant d’en boire une gorgée.

A Alec.
Puisse ta tête de lard ramener sa couenne un de ces quatre.


Peut-être quelqu’un avait-il glissé une main dans la sienne depuis quelques jours déjà. Il n’avait seulement jamais pris le temps d’en reconnaître le poids.
Un peu comme celle qui, des nuits durant, n’avait jamais songé à se retourner pour voir l’ombre qui marchait dans ses pas.
On.

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