Spirited Away - OS

Son regard l’accrochait depuis son arrivée. Depuis l’instant étrange où elle les avait rejoint après une hésitation, saluant tout le monde jusqu’à arriver à lui. Une bise hésitante, chacun d’eux agissant par mimétisme plus que réelle décision. Ils n’étaient là que pour leurs amis, ça n’avait rien d’un moment de retrouvaille, seulement.. de gène contenue. Ils n’avaient simplement pas à prendre de l’espace, pas à laisser leur relation exister ici, de quelque manière que ce soit. Pas même alors que le départ s’était fait dans la douleur et les ressentiments. Pas alors qu’ils n’avaient pas échangé pendant longtemps. Pas tandis qu’elle s’était mise à tenter de lui raconter sa vie, ses voyages, renouant avec lui quand il n’y était pas prêt, se sentant comme celui à qui on explique tout ce à quoi il n’a pas le droit, tout ce qu’il perd. Et après ? Après ; le silence, assourdissant. Et puis, récemment, les tentatives de contact de son côté, pour Sovahnn. Et la réponse, perçue comme violente. Trop loin. Pas de réseau. Salut.
Et pourtant, elle était là. Pourtant, elle se tenait à présent devant lui. Pour Sovahnn. Pas pour lui, bien sûr. Juste pour elle. Parce qu’elle n’aurait pas pu ne pas être là.
Et parce qu’il avait perdu un collègue, un allié, un ami un peu aussi sans doute. Parce qu’il se concentrait sur Sovahnn, sur la façon dont Aileen pouvait le percevoir à présent que sa mémoire était effacé. Parce qu’il n’avait pas à laisser ses sentiments bafoués interférer, il se contentait d’agir en silence, la laissant s’éloigner, le bras d’Aileen s’enroulant autour du sien, son regard accrochant celui d’Enzo une seconde.  S’accrocher à ses proches, ne pas oublier la présence de ses amis pour assouplir cette sensation de tiraillement qui lui déchirait le cœur. Son regard la cherchait encore par moment durant la cérémonie, l’éloignant égoïstement du décès de celui qui l’avait accompagné bien souvent à l’infirmerie sur les derniers mois. Pas seulement. Ensembles, cotes à cotes face à l’horreur des attaques, à hiérarchiser les blessés, effectuer les soins qui étaient à leur mesure, faire au mieux, simplement. Comme avec Caitlyn. A nouveau, comme un peu plus tôt dans la journée, il la cherchait sans la trouver. Présente, pourtant, il le savait, elle le lui avait dit. Mais cachée, dissimulée par un sortilège à priori. Toujours était-il que son regard passait de visages en visages, s’éloignait de la nuque de Dakota, trouvait les espaces vides, les sondait sans vraiment y trouver le moindre signe.

Retour sur Aileen qui l’interrogeait du regard et à qui il répondait d’un signe négatif de tête. Non rien. Rien du tout…
Enzo saurait sans doute cela dit. Oui, non, rien. Oubliez-moi.

D’autres ont su le faire. En Ramenant son regard sur elle, Takuma la trouvait le fixant, ses yeux posés un instant sur Aileen avant de revenir au prêtre. C’était quoi ? Sincèrement ? Un soupçon sur ce qu’il y avait entre eux ? Il en aurait presque rit s’il ne se sentait pas à ce point la mort dans l’âme. A Aileen, ils avaient dit qu’elle se devait de venir icognito pour protéger son frère qui avait été en contact avec Logan, le directeur. Un homme qu’elle ne connaissait pas. Un homme qui ne l’avait pas poussée dans ses bras à lui pour se venger. Un homme qui ne lui avait pas demandé, à lui, de gérer un certain nombre de missions l’amenant à renouer avec la rue et ses travers. Un homme qui, donc, de manière indirecte, avait réveillé des démons qui le martelaient à présent. Ceux-là même que Dakota avait entraperçu au moment même où elle-même se faisait emportée par les siens. Suivant le mouvement, en silence, il baissait les yeux, se levait en silence.
Bientôt, ils auraient une conversation à base de « content que tu sois là. Tu as bonne mine. Sympa le Népal ? » Salut. Bye. A dans huit mois. Ou pas.

Et elle repartirait. Aileen avec elle.
Et il resterait là, en arrière, à observer le vide.

Londres, Royaume Uni

« Je viendrai. Mais pas à découvert. »

Ses yeux dans ceux de Takuma, elle savait qu’il comprenait. En réalité, si ce n’avait pas été pour lui, probablement qu’elle n’y serait pas allée tout court, ou du moins aurait-elle hésité beaucoup plus. Mais même si elle ne lui serait pas bien utile, invisible, se montrer ne rentrait pas en ligne de compte. Peur de revoir ses amis. Peur de revoir ses ennemis.


Ils étaient tous là. Enzo, qui l’avait sentie une fois de plus. Layla, Sovahnn, Ora. Alec, Jordane, Riley, Kezabel. Dakota. Dakota qu’elle ne quittait pas des yeux ou presque, observant chacun de ses mouvements, chacune de ses expressions, tout comme elle observait les réactions de Takuma. Takuma qui appréhendait bien plus qu’elle les retrouvailles, mais qui n’avait pas eu le choix.

Comme s’il fallait que l’un d’eux s’en aille pour qu’ils se réunissent. Elias, Doryan, maintenant Zachary. Trois victimes en 4 mois à peine. Trois noms se rajoutant à la liste déjà beaucoup trop longue de ceux qui avaient succombé à cette guerre qui faisait rage autour d’eux. Comme pour ne pas qu’ils oublient, ne jamais qu’ils oublient, qu’ils n’étaient et ne seraient jamais en sécurité.

Les anciens de Poudlard. Les survivants, les rescapés. Ceux qui avaient vécu l’Enfer, le vivaient toujours quelle qu’en soit la forme. Rassemblés, répondant à l’appel, comme pour montrer qu’ils étaient toujours là, quelque part. Qu’ils le resteraient, jusqu’à ce que le dernier d’entre eux ne tombe.

À l’écart, les bras repliés sur son ventre comme pour remplacer une étreinte qui ne viendrait pas, Caitlyn était en proie au souvenir d’Elias. Takuma, Zachary, l’un comme l’autre le lui le lui rappelaient, chacun à sa manière. Elle ne résista pas. Sourit tristement.


[Ca va ?]

Un SMS, les yeux rivés sur lui alors qu’il peinait à garder la face, implosant sous un masque de détachement, elle le savait. La proximité de Dakota, à portée de main, si distante pourtant. Elle aurait pu être inconfortable, mal à l’aise, d’assister sous couvert à la souffrance silencieuse d’autrui, mais la seule chose qu’elle éprouvait en cet instant était de la peine, de la compassion. Sans aucune trace de pitié. De l’empathie à l’état pur.