Family Portrait - OS

Rester là, lâcher prise, accepter d’être intégrée à une famille qui n’est pas la sienne. Accepter que ceux-ci y ressemblent bien plus que les siens et que la présence bienveillante, positive, chaleureuse de chacun de ses membres ne soit pas qu’une immense plaie béante où gravitait l’absence et le dégout des siens. Les paupières clauses, elle se laissait bercer, les mains refermées sur celles de l’homme qui l’avait prise dans ses bras depuis de longues minutes maintenant. Réfugiée contre lui, ses jambes dépassant de chaque côté d’elle, une main dans la sienne, la seconde sur son ventre, il ne disait plus rien. Ça n’était pas nécessaire. Que dit-on quand quelqu’un vient de mourir ? Que dit-on quand il s’agit d’une injustice absurde ? Que dit-on quand on crève de trouille d’être le prochain sur la liste mais qu’on décide de vivre malgré ça. Malgré tout. Rien à dire. Ni de sa part, ni de la sienne. Alors ils goutaient le silence. Et la petite bougeait, active, loin de toutes les considérations qui agitaient ses parents. Elle cognait, sans cesse, faisant parfois grimacer sa mère qui n’en avait cure. Qu’elle bouge. Qu’elle vive. Qu’elle s’éclate là-dedans, loin du marasme que l’extérieur pouvait être par moments. Qu’elle se montre, qu’elle cogne, surtout, contre la main de son père. Ça n’était pas si souvent, tous deux trop pris par le rush de leurs deux existences pour s’accorder ce genre de moments hors du temps.
Parce qu’il l’était. Malgré toute l’horreur que pouvait receler le décès d’un jeune homme, d’un proche… ce moment n’appartenait qu’à eux. Ce qu’ils étaient, ce qu’ils seraient à l’avenir restait à définir, c’était certain, ils n’entraient pas dans les cases habituelles. Mais il y avait entre eux une complicité réel, un amour particulier qui s’il ne correspondait pas à la norme avait au moins le mérite d’exister.

Et dans ce monde où une putain de tarée transformée en panthère pouvait se décider à broyer un jeune homme de dix huit foutues piges… eh bien c’était déjà énorme. Ça l’était même d’autant plus que ça échappait aux normes, aux règles, aux habitudes. Ça existait malgré ça.

Alors que la puce danse, là, sous la chaleur de la paume de son père. Qu’ils créent du lien. Parce qu’il n’y avait pas de raisons pour que ça reste entre sa mère et elle.

Il avait sa place, elle ne la lui volait pas. C’était simplement le quotidien qui bouffait parfois un peu de leur temps, qui rognait sur ce qu’ils devraient être. Une famille. Aussi bête que ça semble. Aussi énorme que ça paraisse. Juste une famille, avec ses bons moments et malgré les pires, soudée par un lien indissociable. Est-ce qu’ils arriveraient à éviter les erreurs ? A passer à travers les mailles du filet ? A survivre, à profiter ce qu’ils étaient, tous ensembles ? Ces questions restaient en suspens, froide, planant au dessus d’eux dans le silence de la nuit. Et pourtant, malgré toute l’angoisse que l’avenir pouvait bien susciter, en cet instant il ne restait que de la chaleur.

Rien qu’un bonheur simple, celui de sentir une enfant donner des coups sur la surface. Celui d’un père qui attend de rencontrer sa fille.

Quand dans le calme d’une chambre d’enfant, on dessine le tracé de ces souvenirs qui flotteront à jamais. Ceux d’un bonheur simple.

Il y a des moments comme ça. Des instants hors du temps qui s’étirent, dévorent les heures, absorbent les pleurs. Des moments qui donnent du sens. Ces quelques minutes volées à l’horreur du monde, dont on ne se rend pas toujours compte, mais qui définissent en quelques battements de cœur tout le bonheur d’une vie volée.