Je sors de chez Zonko rapidement, pressée dans ce quotidien et cette vie, glissant une emplette pour Aaron dans mon sac déjà bien rempli. Je désensorcèle mon balai que j’avais laissé devant l’entrée, de l’antivol magique que j’avais appliqué dessus. Je jette un regard à ma montre, puis au ciel qui est merveilleusement dégagé en cette fin de journée. La nuit sera parfaite pour les observations et pour la reprise de la lecture.

Par habitude et précaution, j’envoie un sms à Aaron, le prévenant que je suis de sortie en pleine nature. Lui seul sait quel endroit cela désigne et que je ne rentrerai pas avant le petit jour au plus tard. Je mets mes lunettes de vol, resserre ma grosse écharpe autour de mon cou, me couvrant le bas du visage et le nez par la même occasion avant d’enfourcher le balai offert par mon père, puis de décoller doucement et de filer tel un Vif d’or vers la Forêt Interdite.  

Je n’ai pas prévu de m’enfoncer trop loin dans la futaie, préférant rejoindre un endroit que j’affectionne et qui est un peu ma safe place. J’ai trouvé cet endroit pendant ma dernière année, il y a plus de deux ans maintenant. Après une quinzaine de minutes de vol, je ralentis, volant à cinq-six mètres du sol, zigzagant entre les arbres. Cette partie de la forêt n’est pas la plus dangereuse dans mes souvenirs. Plutôt en périphérie, il est rare de voir des créatures s’aventurer jusqu’ici, le danger rôdant plutôt en plein cœur du bois, endroit que j’évite soigneusement. Chercher la quiétude est une chose, se mettre face au danger de manière irréfléchie en est une autre et j’ai décidé de m’accrocher à la vie à présent, encore plus qu’auparavant où je ne faisais que survivre. Je veux à présent Vivre, rien de plus.

Je finis par arriver auprès d’un arbre que je connais bien, reconnaissable entre tous avec sa forme courbée et son manque d’harmonie. Les couleurs qui le composent ne sont pas unies et homogènes, il donne l’impression d’avoir commencé à pousser, puis de s’être arrêté de nouveau et ce, à plusieurs reprises. Malgré son aspect disgracieux, il est le seul à dégager quelque chose de particulier, une sensation d’apaisement me prend et une sérénité nouvelle m’emplissent, à chaque fois que je me trouve face à lui. Mais ce n’est pas au creux de ses branches que je me niche. Je choisis la ramure de l’arbre qui est juste en face et au sein duquel j’ai ma place, une branche assez large et forte pour que je puisse m’asseoir tranquillement et au-dessus de laquelle se trouve un enchevêtrement de rameaux dans lequel je peux glisser en toute confiance mon balai.  

Avant de foncer tête baissée, je fais une première fois le tour des deux arbres, formant un huit lent et méticuleux, vérifiant les abords de mon foyer pour la nuit, avant de m’installer à ma place.  

Le soleil se couche doucement, habillant le ciel d’une aura rougeoyante mais pas chaleureuse pour autant, la fraîcheur de la saison reprenant sa place avec le départ de l’astre incandescent et les degrés tombant comme la pluie de saison.  

Confortablement nichée, une couverture sortie et posée sur les jambes, grignotant quelques fruits secs ramenés pour la soirée, j’attends que les derniers rayons se dissipent. D’ici moins d’une dizaine de minutes, l’heure sera venue pour moi de me concentrer et de renouer avec celle que je suis réellement. Je range dans mon sac mes lunettes de vol que j’avais laissées sur ma tête, m’en servant pour retenir ma chevelure le temps de mon repas frugal.

Depuis les sombres évènements de 2014, lorsque mon école a été attaquée et que ma mère a disparue avec Lyz’, je n’ai pas voulu utiliser mon don, le laissant enfermé au plus profond de moi, cherchant à le chasser et à l’oublier, faire comme s’il n’avait jamais existé mais j’ai réalisé, avec le départ de mon père que ce n’était pas ainsi qu’il fallait que je vive. Alors, avec ma tante Sue’ que j’avais revue en début d’année, nous avons repris les bases, recommencé à travailler sur ce qui pourrait être un jour une force et j’allais mettre ce soir en application mes dernières leçons. J’allais, pour commencer, renouer avec mon véritable moi.

Je ferme les yeux et profite un dernier instant du soleil sur mon visage, écoutant les bruits de la forêt qui m’entoure, faisant attention à la vie autour de moi, donnant pour une fois priorité au Vivant au lieu de m’intéresser uniquement à la Mort. Ma vision du monde change, s’ouvre, se fait plus à l’écoute de ce qui m’entoure. J’ai choisi la Vie à présent, et je compte bien faire en sorte de réussir à avancer, au lieu de me cacher continuellement.

 


Je me familiarise au fil des secondes puis des minutes aux bruits qui m’entourent, j’ouvre mon esprit au Monde dans lequel je baigne, faisant appel à mes sens pour prendre conscience de mon environnement, prêtant attention aux odeurs, aux sons mais aussi à la température descendante.  

Un bruit vint troubler la symphonie de la forêt, bruits de marche calme et posée, en quatre temps. J’ouvre les yeux, tournant mon visage dans la direction du bruit, voyant arriver Pholos, équipé de son arc. Nous avions convenu d’un rendez-vous ce soir, au détour d’un verre aux Trois-Balais, une rencontre loin des tumultes du bar, ayant pour but de m’aider à m’approprier mon don, car lui seul peut ici m’aider à le faire mien.

《- Bonsoir Ashlyn alors tu est bien comme ça ?》
« Bonsoir Pholos, je suis plutôt bien, perchée dans mon arbre telle une petite chouette veillant sur sa demeure. »

Je baisse les yeux de mon arbre et regarde le Centaure qui s’installe au pied de l’arbre.

《- J'imagine que tu connais la réputation violente du chef des centaures de cette forêt ? Cette face de pet avarié de Bane est pas connu pour faire dans la dentelle. À côté mon ancien chef était un véritable monument de douceur et de tendresse.》
« Je m’apprêtais à descendre pour te saluer en bonne et due forme mais je t’avoue qu’après la description que tu viens de me faire de Bane, je préfère rester là-haut, je pourrai disparaître plus facilement avec mon balai qu’en étant au sol à tes côtés. »

Je lui souris, pas forcément plus inquiète que ça de savoir que nous nous trouvions sur le territoire d’une horde qui n’était pas celle de Pholos. Ma concentration s’est brisée à l’approche du Centaure et je ne suis plus concentrée sur ce qui m’entoure. Je referme les yeux et me focalise sur ma respiration, essayant de nouveau de faire le vide.  

« La nuit promet d’être belle, je pense que nous pourrons lire de belles choses dans les astres, qu’en penses-tu ? »

Je remonte un peu la couverture, cherchant à trouver un peu plus de chaleur et à me couvrir face au vent qui prend en force.

« C’est différent, de te voir ainsi équipé et non en service, as-tu peur que nous nous fassions attaquer par le groupe de Bane ? »

Non pas que la présence de ses armes me dérange mais je ne le vois pas régulièrement ainsi équipé, craint-il quelque chose de particulier ou souhaite-t-il simplement être tel qu’il est en dehors de son travail ? Ma question, après réflexion semble un peu irréfléchie, je sors bien avec ma baguette au quotidien, alors pourquoi ne pourrait-il pas en faire de même avec son arc ?  

Je lève les yeux vers le ciel cette fois-ci, regardant les quelques nuages se mouvoir dans la nuit, observant les formes de ces derniers, les mouvements et transformations qui s’opéraient. Pholos devait normalement savoir mieux les interpréter que moi, mais j’allais faire tout mon possible pour y parvenir, à terme, aussi longues et fastidieuses soient les années d’apprentissage nécessaire pour à défaut d’en faire mien cet art, parvenir à en être plus familière.